Veuillez trouver ci-dessous certains arrêts définitifs rendus par la Cour européenne des droits de l'homme (la Cour), présentés dans un ordre chronologique, qui peuvent susciter un intérêt particulier pour la communauté du GRECO. L’affaire Léotard c. France (requête no 41298/21, 14.12.2023) porte sur une procédure pénale diligentée à l’encontre du requérant, un ancien ministre français de la Défense. La procédure pénale a abouti à sa condamnation par la Cour de justice de la République (CJR) pour complicité d’abus de biens sociaux, à des fins personnelles, de biens ou du crédit de deux sociétés. Invoquant l’article 6 §§ 1, 3 b) et 3 d) (droit à un procès équitable) de la Convention européenne des droits de l’homme (la Convention), le requérant soutient, d’une part, qu’il n’a pas été jugé dans un délai raisonnable et dénonce, d’autre part, le manque d’équité de son procès. À ce titre, il se plaint plus particulièrement de la tardiveté de la notification de son droit au silence lors de l’audience de jugement, des conditions dans lesquelles la CJR est passée outre l’audition des témoins absents, et de l’atteinte aux droits de la défense résultant de l’ancienneté des faits. Il allègue en outre que des pièces de nature à établir la prescription de l’action publique lui ont été dissimulées par le juge d’instruction, et qu’elles ont ensuite été dénaturées par la CJR. Non-violation. L’affaire Tadić v. Croatia (requête no 25551/18, 28.11.2023) concerne une procédure pénale à l’issue de laquelle le requérant a été condamné pour un complot visant, par le versement de sommes d’argent, à influencer la Cour suprême afin qu’elle rende une décision favorable à un homme politique de renom jugé pour crime de guerre. Le requérant dénonçait un manque d’impartialité de la part de la Cour suprême, juridiction d’appel dans son procès, en raison du témoignage à charge fait par le président de la Cour suprême et du rôle que celui-ci avait supposément joué dans les infractions pénales pour lesquelles il était jugé. Il soutenait également que la publication dans les médias, deux mois avant que la Cour suprême ne statue en l’espèce, d’enregistrements de ses conversations téléphoniques réalisés par l’Agence de renseignements de sécurité, avait poussé les juges de cette juridiction à confirmer sa condamnation et avait violé son droit à la présomption d’innocence. La Cour juge que l’implication du président de la Cour suprême dans le procès de M. Tadić n’a pas nui à l’impartialité objective de cette juridiction. Elle estime que la capacité du président de la juridiction à imposer ses vues aux autres juges était en réalité très limitée, et qu’en toute hypothèse rien n’a entaché la décision par laquelle la Cour suprême a confirmé le jugement de première instance. La Cour conclut en outre que l’arrêt de la Cour suprême n’a pas été influencé par les publications des médias. Elle considère que les juges de la Cour suprême ont rendu leur décision avec professionnalisme, sur la base des éléments figurant au dossier, et en examinant la manière dont la juridiction de première instance avait établi les faits et appliqué le droit. Non-violation. L’affaire Wałęsa v. Poland (requête no no. 50849/21, 23.11.2023) concerne une action civile engagée par M. Wałęsa contre un ancien ami et associé, qui l’avait accusé publiquement d’avoir collaboré avec les services secrets sous le régime communiste. M. Wałęsa avait obtenu gain de cause, mais le jugement définitif rendu en sa faveur fut infirmé neuf ans plus tard par la chambre du contrôle extraordinaire et des affaires publiques à la suite d’un recours extraordinaire formé par le procureur général. Le requérant se plaint des violations de l’article 6 § 1 (droit à un procès équitable), de l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) et de l’article 18 (limitation de l’usage des restrictions aux droits) de la Convention. La Cour juge en particulier, comme elle l’a déjà fait dans de précédentes affaires, que la chambre du contrôle extraordinaire et des affaires publiques qui a examiné le recours extraordinaire n’était pas un « tribunal indépendant et impartial établi par la loi ». Par conséquent, il y a eu violation du droit de M. Wałęsa à un procès équitable. Sur la question de savoir si le recours extraordinaire a enfreint le principe de la sécurité juridique, comme l’alléguait M. Wałęsa, la Cour relève que le fait d’investir le procureur général – un membre du pouvoir exécutif qui exerçait une autorité considérable sur les tribunaux ainsi qu’une forte influence sur le Conseil national de la magistrature – du pouvoir illimité de contester pratiquement n’importe quelle décision de justice définitive allait à l’encontre des principes de l’indépendance du pouvoir judiciaire et de la séparation des pouvoirs, avec le risque que les recours extraordinaires se transforment en un outil politique aux mains du pouvoir exécutif. Elle juge la procédure de recours extraordinaire incompatible avec les principes de la sécurité juridique et de l’autorité de la chose jugée (une affaire qui a été tranchée par une décision de justice définitive ne peut être renvoyée devant un tribunal pour un deuxième procès ou un nouveau recours), et elle estime que les allongements de délais accordés au procureur général pour la formation d’un recours extraordinaire et appliqués rétroactivement vont à l’encontre non seulement de ces principes mais aussi de l’exigence de la prévisibilité de la loi aux fins de la Convention. Elle relève également des éléments qui indiquent que l’autorité publique a abusé de la procédure de recours extraordinaire aux fins de promouvoir ses propres opinions et visées politiques. Violation. L’affaire Gyulumyan and Others v. Armenia (requête no 25240/20, 21.11.2023) concerne la cessation du mandat de juge à la Cour constitutionnelle des quatre requérants, intervenue en 2020 à la suite de modifications de la Constitution n’ayant pas fait l’objet d’un contrôle juridictionnel. Ces événements s’inscrivirent dans le cadre de la lutte contre la corruption menée par le gouvernement qui fut porté au pouvoir à l’issue de la « Révolution de velours ». Pour l’essentiel, les requérants ont formulé des griefs sur le terrain de l’article 6 § 1 (droit d’accès à un tribunal) et de l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour conclut que même si la plainte des requérants porte sur un droit « défendable » au regard de la législation arménienne, à savoir leur droit d’exercer leur mandat jusqu’à la retraite, l’impossibilité qui leur a été faite d’accéder à un tribunal était justifiée par des motifs objectifs. En particulier, il a été mis fin à leur mandat par une révision constitutionnelle qui faisait partie d’une réforme plus générale et n’était pas dirigée spécifiquement contre eux. En outre, les effets sur leur vie privée ont été limités. Irrecevable. L’affaire Bild GmbH & Co. KG v. Germany (requête no 9602/18, 31.10.2023) concerne une décision de justice ayant ordonné à bild.de, un important site d’actualités en ligne, de retirer les images de vidéosurveillance (et toute utilisation future de la séquence filmée) d’une arrestation, qui avait été effectuée par la police, dépeignant l’usage de la force, dans une boîte de nuit à Brême, à moins que le site ne brouillât le visage de l’un des policiers impliqués. Invoquant l’article 10 (liberté d’expression), la société requérante alléguait que l’injonction de retirer la vidéo non pixellisée de son site Internet avait porté atteinte à sa liberté d’expression. La Cour juge en particulier que la motivation que les juridictions allemandes ont exposée concernant la deuxième utilisation et toute utilisation future des images était insuffisante. Sans évaluer la contribution au débat public, les juridictions internes ont exposé dans une motivation à caractère général qu’une couverture neutre de l’intervention de la police, même si elle ne dépeignait pas le policier concerné sous un jour négatif, ne pouvait être considérée comme présentant un aspect général de la société contemporaine et serait donc illégale. Cela pourrait conduire à une interdiction inacceptable de toute publication future d’images non éditées de policiers accomplissant leur mission qui n’aurait pas été autorisée par les intéressés. Violation. L’affaire Manole v. the Republic of Moldova (requête n° 26360/19, 18.07.223) concerne la révocation de la requérante de ses fonctions de juge pour avoir communiqué à la presse les raisons de son opinion dissidente, déjà connue, avant la publication du texte intégral de la décision prise par la cour d’appel dans une affaire où elle avait siégé. Invoquant en particulier l’article 10 (liberté d’expression), la requérante estime que sa révocation a porté une atteinte illégitime et disproportionnée à son droit de communiquer des informations au sujet d’une question d’intérêt général. La Cour précise que le devoir de réserve d’un juge lui impose de ne pas dévoiler les motifs d’une décision avant que ceux-ci ne soient accessibles au public. Toutefois, elle rappelle que les garanties procédurales ainsi que la nature et la lourdeur de la sanction infligée sont également des critères à examiner lorsqu’il s’agit d’apprécier la proportionnalité d’une ingérence dans l’exercice de la liberté d’expression garantie par l’article 10 de la Convention. La Cour observe que la révocation de la requérante était la seule sanction qui pouvait lui être appliquée à l’époque des faits. C’était une très lourde sanction qui mettait fin définitivement à la carrière de l’intéressée après 18 ans de bons et loyaux services. Violation. L’affaire Guliyev v. Azerbaijan (requête n° 54588/13, 06.07.2023) concerne le licenciement du requérant du parquet, en raison de conduite dans sa vie privée jugée contraire au code d'éthique. Il fut licencié parce que, « malgré les recommandations [pertinentes] », il « n'a[vait] pas tiré les conclusions [nécessaires] ni pris les mesures pour résoudre le problème découlant de sa relation personnelle [avec son ancienne compagne] ». Le requérant se plaint, en particulier, que son licenciement était illégal et qu'il a emporté violation de son droit au respect de sa vie privée tel que garanti par l’article 8 de la Convention. La Cour a estimé que les juridictions nationales avaient interprété et appliqué le droit interne de manière imprévisible, ne protégeant pas le requérant contre des ingérences arbitraires. Aucun motif factuel ou juridique pertinent n'avait été établi pour justifier le licenciement du requérant. Violation. |