DÉCLARATION DES MINISTRES DE LA JUSTICE DES ÉTATS MEMBRES DU CONSEIL DE L'EUROPE SUR LE RÔLE DE LA JUSTICE RESTAURATIVE EN MATIÈRE PÉNALE  

à l'occasion de la Conférence des Ministres de la Justice du Conseil de l'Europe

 “Crime et justice pénale - le rôle de la justice restaurative en Europe”

(les 13 et 14 décembre 2021, Venise, Italie)

Déclaration de Venise sur le rôle de la justice restaurative

en matière pénale

Les Ministres de la Justice des États membres du Conseil de l’Europe,

1.      Soulignant l’importance des travaux déjà réalisés par le Conseil de l'Europe dans le domaine de la justice restaurative et constatant avec une grande satisfaction que les Ministres participant à la Conférence de Venise soutiennent pleinement les objectifs de la Recommandation CM/Rec(2018)8 du Comité des Ministres du Conseil de l'Europe relative à la justice restaurative en matière pénale et réaffirment les normes et les principes qui y sont énoncés; 

2.      Soulignant que, conformément à la recommandation susmentionnée, la justice restaurative est un processus permettant aux personnes qui ont subi un préjudice résultant d’une infraction et aux responsables de ce préjudice de participer activement, s’ils y consentent librement, au règlement des problèmes résultant de l’infraction, avec l’aide d’un tiers qualifié et impartial (généralement appelé médiateur ou facilitateur);

3.      Soulignant que ce processus prend souvent la forme d’un dialogue (direct ou indirect) entre la victime et l’auteur de l'infraction, ce qui suppose la reconnaissance préalable des facteurs criminels par l'auteur, et peut également impliquer, le cas échéant, d’autres personnes touchées par l'infraction, notamment la famille et, le cas échéant, la communauté à laquelle elles appartiennent;

4.      Soulignant les avantages relatifs des processus de justice restaurative, eu égard en particulier au caractère volontaire de ces processus et à la possibilité de les interrompre ou de les arrêter à tout moment, en soulignant l’égale préoccupation pour les besoins et les intérêts de toutes les parties impliquées, et réitérant que le processus est axé sur la réparation des dommages matériels et immatériels, le caractère volontaire, la participation, la confidentialité, la réinsertion des délinquants, l'impartialité du tiers, et donc la réduction du risque de stigmatisation ;  

5.      Reconnaissant que la justice restaurative a suscité un intérêt croissant dans un certain nombre d'États membres du Conseil de l'Europe, et que son développement et son utilisation efficace peuvent être considérés à la fois comme une opportunité et un défi positif pour améliorer les systèmes de justice pénale européens, tout en observant qu’en général, le développement de la justice restaurative devrait être considéré comme un élément important du processus global de développement durable, car il contribue également à l'Objectif de développement durable 16 des Nations Unies: promouvoir l’avènement de sociétés justes, pacifiques et inclusives;

6.      Observant que la Conférence de Venise, qui a réuni les Ministres de la Justice des États membres du Conseil de l’Europe, les hauts fonctionnaires des gouvernements et les professionnels, s'est avérée être une plateforme instrumentale et opportune pour l'échange de connaissances, d'informations et de bonnes pratiques, et pour discuter les défis dans ce domaine;

7.       Soulignant le devoir des institutions publiques de favoriser des interventions constructives à l'égard de la délinquance juvénile et de donner de nouvelles chances aux jeunes délinquants, compte tenu de leur jeune âge et de la nécessité de les réintégrer dans la société, et accordant une attention particulière à la manière dont les processus de justice restaurative devraient être utilisés dans les affaires impliquant des enfants (victimes ou auteurs d'infractions) et réitérant à cet égard la pertinence des normes et des principes contenus dans les Lignes directrices du Comité des Ministres sur une justice adaptée aux enfants (2010) et sa Recommandation CM/Rec(2008) 11 sur les Règles européennes pour les délinquants mineurs faisant l'objet de sanctions ou de mesures;

8.      Soulignant que la nécessité de fournir une formation adéquate pour la mise en œuvre de la justice restaurative a été largement discutée et soutenue lors de la Conférence de Venise;

9.      Considérant que, dans un contexte de contraste croissant entre les différents niveaux de la société, la justice restaurative peut représenter un outil important pour traiter les conflits résultant d'actes criminels et pour favoriser la cohésion sociale en résolvant ces conflits et pour considérer les conflits non pas comme une occasion de nouvelles divisions sociales;

10.  Considérant la justice restaurative non seulement comme un simple outil dans le cadre de l'approche traditionnelle à la justice pénale, mais comme une culture plus ample qui devrait imprégner le système de justice pénale, fondé sur la participation de la victime et du délinquant sur une base volontaire, ainsi que d’autres parties concernées et de la communauté au sens large, pour traiter et réparer le préjudice causé par le crime;

11.  Affirmant l'impact positif de la justice restaurative sur la réduction de la récidive et notant les nombreuses preuves empiriques qui prouvent que la justice restaurative est efficace et produit des résultats satisfaisants pour les parties aux conflits concernées et, au-delà de cela, pour une communauté dans son ensemble;

12.  Constatant l’éventuel impact positif des parcours de justice restaurative également sur la lutte contre la radicalisation des individus;

13.  Soulignant que, l’utilisation appropriée de la justice restaurative peut contribuer à utiliser plus efficacement et de manière personnelle et socialement inclusive les processus de justice pénale, et contribue de cette façon également à améliorer la manière dont nos sociétés traitent les délinquants et les victimes, et nécessite donc de ressources financières et humaines adéquates, qui devraient être considérés comme un investissement dans l'avenir et propices à la sécurité et au bien-être de nos sociétés;

14.   Considérant que le Conseil de l'Europe est particulièrement bien placé pour prendre la tête des travaux futurs dans ce domaine, et que le suivi de la présente Déclaration pourrait prendre différentes formes, sur la base de l’approche à trois volets de l’organisation, à savoir des activités normatives, de suivi et de coopération/sensibilisation visant à réaliser une plus grande unité et harmonisation entre les Etats membres du Conseil de l'Europe ;

15.  Invitent le Conseil de l'Europe à encourager et à aider ses États membres à :

i.  élaborer des plans d’action ou des politiques au niveau national, le cas échéant, pour la mise en œuvre de la recommandation CM/Rec (2018)8 sur la justice restaurative en matière pénale, en assurant une coopération interinstitutionnelle à l’échelle nationale, une législation et un financement nationaux appropriés, tout en réfléchissant à l'idée qu'un droit d’accès à des services adéquates de justice restaurative pour toutes les parties intéressées, si elles y consentent librement, devrait être un objectif des autorités nationales;

ii. promouvoir l'application la plus large possible de la justice restaurative pour les mineurs en conflit avec la loi, comme l'une des composantes les plus précieuses de la justice adaptée aux enfants, conformément aux Lignes directrices du Comité des Ministres sur la justice adaptée aux enfants (2010);

iii.  stimuler, dans chaque État membre, une mise en œuvre à grande échelle, de la justice restaurative, de ses principes et de ses méthodes, en tant que complément ou, le cas échéant, en tant qu’alternative aux procédures pénales, ou dans le cadre de celles-ci, visant à la désistance de la criminalité, à la réinsertion des délinquants et au rétablissement des victimes;

iv. considérer la justice restaurative comme un élément essentiel des programmes de formation des professionnels du droit, y compris les magistrats, les avocats, les procureurs, les travailleurs sociaux, la police ainsi que le personnel pénitentiaire et de probation, et réfléchir à la manière d'inclure les principes, les méthodes, les pratiques et les garanties de la justice restaurative dans les programmes universitaires et d’autres programmes d'enseignement supérieur destinés aux juristes, tout en accordant une attention particulière à la participation de la société civile et des autorités locales et régionales aux processus de justice restaurative et s'adressant au Conseil de l'Europe lorsque des programmes de coopération et de formation de ses fonctionnaires chargés de la mise en œuvre de la justice restaurative sont nécessaires;

v. sensibiliser aux processus de justice restaurative à l'échelle nationale et mettre en œuvre des projets visant à une communication plus étendue du rôle et des avantages de la justice restaurative en matière pénale, en apportant une réponse au-delà des sanctions pénales;

16. Invitent le Conseil de l'Europe à:

a) réaliser une étude complète des modèles de justice restaurative actuellement couverts par les législations nationales et mis en œuvre par les gouvernements des États membres, afin de faciliter l’échange de connaissances, de bonnes pratiques, d’expériences et de véritables travaux de recherche scientifique sur ce sujet, tout en reconnaissant les spécificités nationales;

b) élaborer des ˝Principes de haut niveau du Conseil de l’Europe sur la justice restaurative", proposant un ensemble de mesures par lesquelles les Etats membres s'efforceront d’appliquer ces principes;

c) continuer, par l’intermédiaire du Comité européen pour les problèmes criminels (CDPC), à évaluer régulièrement la mise en œuvre de la recommandation (2018)8 et des principes qui y sont annexés, à la lumière de toute évolution significative du recours à la justice restaurative dans les États membres et, si nécessaire, la réviser, conformément à l'article 67 de la recommandation.

                                                                                                                      Venise, 14 décembre 2021