SESSION III : OPTIONS LORS DE LA DEFINITION DE LA PEINE

Comme le rappelle le livre blanc du Conseil de l’Europe sur le surpeuplement carcéral de 2016, les recommandations pertinentes du Comité des Ministres invitent les Etats membres à recourir aux peines privatives de liberté en dernier recours, soit uniquement lorsque la gravité de l’infraction, combinée aux circonstances individuelles de l’espèce, rendent manifestement inadéquate tout autre sanction ou mesure.

Ainsi, la recommandation N° R (92) 17 relative à la cohérence dans le prononcé des peines prévoit que les « principes de base du prononcé de la peine devraient être compatibles avec les politiques criminelles modernes et humaines, en particulier en ce qui concerne la réduction du recours à l'emprisonnement, le recours à des mesures et à des sanctions dans la communauté, la poursuite d'une politique de décriminalisation, l'utilisation de mesures de diversion telles que la médiation et l'indemnisation des victimes ».

De même, la recommandation n° Rec (2017) 3 relative aux Règles européennes sur les sanctions et mesures appliquées dans la communauté incite les Etats membres à favoriser le recours à ces  sanctions et mesures plutôt qu’à l’incarcération. Celles-ci peuvent notamment consister en des travaux d’intérêt général, amendes ou confiscation de biens.

En dépit de ces recommandations, force est de constater que de nombreux Etats sont toujours confrontés à desproblèmes de surpopulation carcérale. Ainsi, bien qu’en Europe, le taux d’incarcération a reflué de 6,6 % entre 2016 et début 2018, passant « de 109,7 à 102,5 détenus pour 100 000 habitants » soit un taux médian européen de 91 détenus pour 100 places, « huit pays ont signalé de graves problèmes de surpopulation » carcérale[1].

La France cherche précisément à endiguer ce phénomène, ainsi qu’en attestent plusieurs mesures de la récente loi de programmation pour la justice que nous aurons l’occasion d’étudier plus précisément lors de cette session.

De manière plus globale, le Conseil de l’Europe propose, lui aussi, plusieurs pistes de réflexion afin de remédier à cette difficulté, tout en regrettant le fait que « de nombreux professionnels tels que les juges ou les procureurs sont rarement, voire jamais, invités à réfléchir de manière plus approfondie sur les répercussions de leurs décisions et les facteurs qui influent sur l’exercice de leur pouvoir d’appréciation en relation avec le prononcé des peines ».

Tel est précisément l’objet de la présente session : nous inviter à réfléchir, sous le prisme de la problématique de surpopulation carcérale, aux choix qui nous guident lors du prononcé de la peine.

Une telle réflexion devrait avant tout nous conduire à interroger nos systèmes et nos cultures juridiques.

Faut-il favoriser la déjudiciarisation et le cas échéant, comment ?

Nos législations devraient-elles dépénaliser certaines infractions ? Certains pays ont ainsi dépénalisé le séjour irrégulier, la conduite en état d’ivresse et l’usage de produits stupéfiants en remplaçant les sanctions pénales par des sanctions administratives ou des obligations de soins.

Ne faudrait-il pas également limiter les possibilités légales de prononcer une peine d’emprisonnement, en l’interdisant par exemple pour certains faits ou certains quantums ?

Quelle est la place de la peine d’emprisonnement dans la culture judiciaire de chaque Etat. Constitue-t-elle de manière partagée la peine de référence ? Certains systèmes s’articulent-ils au contraire autour d’autres peines de référence ?

Au-delà des fondements juridiques, il est aussi possible de s’interroger sur la réalité des obstacles pratiques au prononcé plus régulier de peines alternatives.

Le juge dispose-t-il d’éléments de personnalité suffisants sur la situation personnelle du condamné pour lui permettre d’individualiser réellement la peine prononcée ?

Lui paraît-il plus simple de prononcer une peine d’emprisonnement qu’une peine alternative ?

La peine habituellement prononcée pour certaines infractions, en particulier dans les contentieux de masse, conduit-elle à éluder les alternatives à l’incarcération, qui pourraient être adaptées au regard des éléments de personnalité du condamné? Lorsqu’une peine d’emprisonnement a déjà été prononcée dans de telles circonstances, obère-t-elle en cas d’infraction ultérieure, la perspective d’une peine alternative à l’emprisonnement ?

Dans quelle mesure les injonctions sécuritaires et les débats de société influent-ils sur l’exercice du pouvoir d’appréciation du juge ? 



[1] Article du 2 avril 2019 paru dans le journal Le Monde.