La volonté politique reflétée par les diverses réformes intervenues depuis une dizaine d’années pour encourager des alternatives à l’incarcération n’a pas permis d’endiguer l’augmentation de la population carcérale française qui atteint le chiffre au 1er février 2019 de plus de 70 600 détenus pour 60 000 places. Par ailleurs, au sein de celle-ci, la proportion de détenus provisoires est de 29,4%, chiffre qui évolue peu et qui reste supérieur à la moyenne européenne qui est de 25%.
La surpopulation carcérale, qui est de 116 % en moyenne en France, ne concerne que les maisons d’arrêt où sont incarcérées les personnes en attente de jugement, où s’exécutent les courtes peines et où transitent tous les condamnés avant leur affectation en établissement pour peine. Le taux de surpopulation carcérale atteint une moyenne de 138 % dans les maisons d’arrêt et même le chiffre de plus de 180 % dans certaines grandes maisons d’arrêt de la région parisienne et de 200 % dans quelques maisons d’arrêt en province (Nîmes, Béthune ou Saint-Brieuc). Ce taux très important de surpopulation engendre de grandes difficultés pour les détenus et l’administration pénitentiaire.Le nombre de matelas au sol était de 1.389 en février 2019. Dans de telles conditions, l’exécution de la peine ne permet pas de préparer de manière satisfaisante la réinsertion des condamnés et peut même devenir criminogène.
Il n’est pas aisé de déterminer les causes de cette situation. La surpopulation carcérale s’explique en partie par un taux de détention provisoire qui reste élevé et par une augmentation continue du nombre de peines d’emprisonnement prononcées et de leur quantum.
Selon une étude statistique du ministère de la justice sur les peines prononcées entre 2004 et 2016, l’emprisonnement, en tout ou partie ferme, reste la troisième peine correctionnelle la plus prononcée, mais le volume d’emprisonnement ferme prononcé en matière correctionnelle par les tribunaux et cours d’appel a augmenté de 32 % pour atteindre le volume record de 87 300 années en 2016. Cette augmentation est imputable à hauteur de 22 points à la hausse du nombre de condamnations à une peine d’emprisonnement ferme, et à hauteur de 10 points à une hausse du quantum ferme moyen.
Une explication de cet accroissement des peines fermes est pour partie liée à l’instauration des peines planchers en 2007 (aujourd’hui supprimées), aux restrictions relatives au prononcé de peines d’emprisonnement avec sursis (en fonction du casier judiciaire), et à l’aggravation des peines encourues pour certaines infractions, notamment par le jeu des circonstances aggravantes.
Par ailleurs, la possibilité de recourir aux décrets de grâce collective qui accordaient à certaines catégories de détenus incarcérés au 14 juillet une dispense d’exécution de leur peine- ce qui permettait de réduire le nombre de détenus chaque été- a été supprimée.
On constate aussi une ambivalence des messages adressés au juge par la société qui réclame à la fois une plus grande sévérité afin d’assurer une meilleure protection des citoyens, et dans le même temps, l’aménagement des peines prononcées. Sous la présidence Sarkozy, il avait été instauré des peines planchers qui ont conduit mécaniquement au prononcé de peines plus sévères et dans le même temps le seuil d’aménagement des peines avait été élevé de un à deux ans.
Enfin, les modes de poursuite, et notamment le recours de plus en plus fréquent à la comparution immédiate (procédure essentiellement destinée aux flagrants délits), peuvent également jouer un rôle et conduire au prononcé de peines d’emprisonnement ferme non aménagées lorsque son organisation ne permet pas le recueil satisfaisant d’informations sur la personnalité du prévenu.
L’information précise et de qualité sur la personnalité des personnes poursuivies est un enjeu fondamental auquel la récente loi de programmation pour la justice entend répondre.
Mon propos traitera principalement des nouvelles dispositions françaises pour lutter contre la surpopulation carcérale avec mon regard et mon expérience de juge pénaliste exerçant dans une grosse juridiction de la région parisienne.
La loi de programmation et de réforme pour la justice, qui vient d’être adoptée et dont les dispositions vont entrer progressivement en vigueur, prévoit diverses mesures qui devraient conduire à limiter le nombre de courtes peines d’emprisonnement fermes non aménagées.
Cette loi simplifie le prononcé de certaines peines alternatives, crée une nouvelle peine autonome, pose le principe de l’aménagement ab initio par la juridiction de jugement, et l’interdiction du prononcé de très courtes peines d’emprisonnement. Cette loi prévoit aussi la construction de places supplémentaires de prison.
- Une simplification du prononcé de certaines peines alternatives :
Les difficultés relatives au prononcé de certaines peines alternatives peuvent en effet constituer un frein à leur prononcé.
Le travail d’intérêt général, dont tout le monde s’accorde à dire que c’est une peine efficace et utile, dont le volume n’a cessé d’augmenter depuis sa création, peut être désormais prononcé en l’absence du condamné, son consentement pouvant être recueilli ultérieurement par le juge de l’application des peines. Le seuil du nombre d’heures de travail à effectuer, est passé de 240 heures à 400 heures. Ces modifications devraient conduire les juridictions à prononcer plus de TIG. Son succès suppose une offre suffisante et diversifiée de postes d’accueil.
Dans un souci de simplification, les différents stages (sécurité routière, stupéfiants, violences conjugales etc…) qui sont mentionnés dans le code pénal sont regroupés en un seul stage dans l’article 131-5-1 du code pénal, actuellement applicable au seul stage de citoyenneté.
- Un « sursis probatoire » rénové :
La peine de contrainte pénale, qui avait été introduite sous le gouvernement précédent et qui était la deuxième peine dans l’échelle des peines après l’emprisonnement, va être supprimée car elle était trop peu prononcée en raison de la complexité de sa mise en œuvre.
Pour autant, son contenu, qui permet un suivi individualisé, renforcé et pluridisciplinaire du condamné, a été intégré dans le cadre d’un dispositif unique le sursis probatoire. Celui-ci reprend ainsi le mécanisme du sursis avec mise à l’épreuve, fréquemment prononcé par les juridictions, tout en permettant son adaptation aux circonstances et à la personnalité du condamné par l’intermédiaire d’un suivi renforcé pour certains condamnés.
- La création d’une nouvelle peine autonome: la détention à domicile sous surveillance électronique.
La détention à domicile sous surveillance électronique, nouvelle peine autonome et qui devient la deuxième peine dans l’échelle des peines correctionnelles, emportera pour la personne condamnée l’obligation de demeurer dans son domicile ou dans un autre lieu désigné par le juge, en portant un dispositif électronique permettant de vérifier qu’elle la respecte. La personne ne sera autorisée à s’absenter que le temps nécessaire à l’exercice d’une activité professionnelle, au suivi d’un enseignement, d’un stage, d’une formation ou d’un traitement médical, à la recherche d’un emploi, à la participation à la vie de famille ou à tout projet d’insertion ou de réinsertion, selon des modalités fixées par la juridiction ou le juge de l’application des peines.
La détention à domicile sous surveillance électronique pourra être prononcée à titre de peine principale pour une durée de 15 jours à six mois.
Toutefois, comme actuellement, la juridiction ne peut ordonner le placement sous surveillance électronique mobile qu’après avoir fait vérifier la faisabilité technique de la mesure et la disponibilité du dispositif technique devant être utilisé.
- Le principe de l’aménagement ab initio des courtes peines.
Un des objectifs de la réforme est d’éviter le prononcé de très courtes peines d’emprisonnement, qui n’empêchent pas la récidive et peuvent être très désocialisantes.
La loi prévoit l’interdiction de prononcer des peines d’emprisonnement ferme inférieures ou égales à un mois.
Les peines comprises entre un et six mois s’exécuteront, par principe, sous la forme d’une détention à domicile sous surveillance électronique, d’une semi-liberté ou d’un placement extérieur, sauf impossibilité résultant de la personnalité ou de la situation du condamné. Il appartiendra donc par principe à la juridiction de jugement de définir le type d’aménagement.
Pour les peines entre six mois et un an, le tribunal aura le choix entre décider lui-même d’un aménagement ou orienter le condamné à cette fin devant le juge de l’application des peines, ou imposer que la peine s’exécute en détention, en décernant, lorsque le prévenu comparait libre, un mandat de dépôt à effet différé.
Les peines supérieures à un an ne seront plus aménageables dès le stade du prononcé.
Cet objectif et ces modifications imposent d’améliorer la connaissance de la personnalité du prévenu par le tribunal correctionnel, afin de lui permettre de prononcer la peine la mieux adaptée à la situation de ce dernier.
Le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) pourra donc être saisi au même titre que les personnes habilitées, aux fins de procéder à des enquêtes présententielles permettant de vérifier la situation matérielle, familiale et sociale de la personne et la faisabilité technique de certaines peines ou aménagements de peine.
C’est également dans cet esprit qu’est créé, à titre expérimental, un dossier unique de personnalité. Il est dorénavant indispensable que les dossiers soumis à l’appréciation du tribunal correctionnel contiennent des éléments de personnalité suffisants pour permettre au juge d’aménager à l’audience les peines d’emprisonnement.
Si le tribunal ne possède pas les éléments lui permettant de déterminer la mesure d’aménagement la plus adaptée, il pourra ordonner que la personne condamnée soit convoquée devant le juge de l’application des peines afin qu’il envisage cet aménagement, si la peine est inférieure ou égale à un an.
Si le tribunal estime qu’une peine d’au moins six mois ne doit pas être aménagée, il pourra décerner un mandat de dépôt à effet différé, la personne condamnée étant alors convoquée dans le mois suivant devant le procureur de la République afin que ce dernier fixe la date d’incarcération.
Il faut donc pouvoir améliorer de façon significative les informations transmises en amont aux juges sur la personnalité des prévenus et disposer aussi d’un plus grand nombre d’agents de probation pour réaliser des enquêtes sociales rapides en vue de préparer des aménagements de peine et d’assurer un suivi plus efficace des personnes placées sous main de justice, notamment de celles qui sont placées sous surveillance électronique.
Des efforts sont aussi réalisés dans les juridictions pour améliorer le taux de présence des prévenus aux audiences, des expériences de rappel de l’audience par SMS donnant de bons résultats. Car l’absence des prévenus à l’audience empêche le plus souvent les magistrats d’envisager des alternatives à l’incarcération pour ceux qui ne sont plus accessibles au sursis.
L’effet de ces nouvelles mesures devra en outre être apprécié au regard de celui lié à l’abaissement de deux ans à un an du seuil de la peine aménageable avant l’écrou. Selon l’estimation de la contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) Adeline Hazan, plusieurs milliers de personnes n'auront plus la possibilité d'un aménagement de peine entre un et deux ans, avec le risque d'augmenter la surpopulation carcérale.
Mais la difficulté ne vient-elle pas principalement du fait qu’en France, la peine de référence reste la peine d’emprisonnement pour l’immense majorité des délits ? Dans son dernier rapport, la contrôleure générale des lieux de privation de liberté souligne la culture de l’emprisonnement dans notre pays. Pourtant, pour un certain nombre de délits de moindre gravité, d’autres peines pourraient être seules encourues.
Le législateur vient d’adopter la possibilité de prononcer une peine d’amende forfaitaire pour certains délits, usage de stupéfiants et conduite sans permis, sans pour autant supprimer la possibilité de prononcer une peine d’emprisonnement. Dans le passé, on avait pourtant avec succès dépénalisé certains comportements délictueux comme par exemple l’émission de chèque sans provision pour trouver une autre réponse qui s’est révélée plus efficace que la réponse répressive.
Tant que la peine d’emprisonnement restera la peine encourue, elle continuera d’être massivement prononcée.
Même avec des mesures de simplification, il peut paraître plus compliqué pour une juridiction de prononcer une peine alternative que de prononcer une peine d’emprisonnement non aménagée. On ne peut pas juridiquement reprocher aux magistrats de requérir ou de prononcer les peines prévues par la loi.
- La création de 15 000 places de prison dont 7 000 livrées d’ici 2022
L’intérêt de créer des places supplémentaires de prison est de donner des conditions plus dignes aux personnes écrouées et de parvenir à terme à un encellulement individuel alors que cet objectif fait l’objet d’un moratoire. Cependant, la création de nouvelles places de prison fait aussi polémique car notre taux d’incarcération est déjà très élevé et le risque est d’encourager à nouveau le prononcé des peines de prison.
S’agissant des nouvelles places de prison envisagées, outre la création de centres de semi- liberté, il serait souhaitable de construire des prisons dites « ouvertes » qui favorisent davantage la réinsertion des condamnés. Seules deux prisons de ce type existent en France. Elles offrent aussi l’avantage de nécessiter moins de personnel de surveillance et d’être moins coûteuses, ce qui permettrait d’augmenter le nombre d’agents de probation alors que les missions qui leur sont données vont sensiblement s’accroître avec la loi de programmation.
L’effet utile de ces nouvelles dispositions légales pour diminuer significativement le prononcé et l’exécution des peines d’emprisonnement non aménagées et réduire la surpopulation carcérale ne peut pas être présumé et dépendra largement de leur mise en œuvre par les juridictions en fonction des moyens qui leur seront accordés en ce sens.