CONSEIL DE L’EUROPE
COMITE DES MINISTRES

Recommandation Rec(2003)17

du Comité des Ministres aux Etats membres

en matière d’exécution des décisions de justice

(adoptée par le Comité des Ministres le 9 septembre 2003,

lors de la  851e réunion des Délégués des Ministres)

Le Comité des Ministres, en vertu de l’article 15.b du Statut du Conseil de l’Europe,

Reconnaissant que des systèmes juridiques équitables, efficaces et accessibles sous-tendent et renforcent l’Etat de droit, sur lequel reposent les démocraties européennes;

Considérant que l’exécution d’une décision de justice fait partie intégrante du droit fondamental de l’être humain à un procès équitable dans un délai raisonnable, conformément à l’article 6 de la Convention européenne des Droits de l’Homme (ci-après «la CEDH»);

Reconnaissant également que la prééminence du droit est un principe qui ne peut être respecté que si les citoyens ont réellement la possibilité, en pratique, de faire valoir leurs droits et de contester des actes illégaux;

Considérant que les Etats membres ont le devoir de garantir à toute personne bénéficiant d’une décision de justice contraignante rendue en dernier ressort le droit à exécution, car le fait de ne pas exécuter une décision de justice ou de retarder le moment où elle produit ses effets peut rendre ce droit inopérant et illusoire au préjudice de l’une des parties;

Convaincu de la nécessité de favoriser une plus grande efficacité et une plus grande équité dans l’exécution des décisions de justice en matière civile, et d’établir un juste équilibre entre les droits et les intérêts des parties aux procédures d’exécution;

Conscient du fait que, sans un système d’exécution efficace, d’autres formes de «justice privée» peuvent surgir et avoir des conséquences négatives sur la confiance et la crédibilité du public dans le système juridique;

Rappelant la Résolution n° 3 de la 24e Conférence des ministres européens de la Justice sur une «Approche générale et moyen d’atteindre une mise en œuvre efficace de l’exécution des décisions de justice», qui a eu lieu à Moscou les 4 et 5 octobre 2001, dans laquelle il est convenu que «la mise en œuvre appropriée, effective et efficace des décisions de justice est d’une importance capitale pour les Etats afin de créer, renforcer et développer un système judiciaire solide et respecté»;

Gardant à l’esprit la Résolution Res(2002)12 établissant la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ), adoptée par le Comité des Ministres le 18 septembre 2002;

Considérant l’importance des technologies de l’information dans l’amélioration de l’efficacité de la procédure d’exécution et des instruments internationaux pertinents du Conseil de l’Europe dans ce domaine, y compris la Recommandation Rec(2003)14 sur l’interopérabilité des systèmes d’information dans le secteur de la justice et la Recommandation Rec(2003)15 sur l’archivage des documents électroniques dans le secteur juridique,

Recommande aux gouvernements des Etats membres:

–          de faciliter, lorsque cela est approprié, l’exécution efficace et rentable des décisions de justice, ainsi que d’autres titres exécutoires, qu’ils soient judiciaires ou non judiciaires;


–          de prendre ou de renforcer, selon le cas, toutes les mesures qu’ils estiment nécessaires en vue de mettre en œuvre progressivement les «Principes directeurs concernant l’exécution», qui sont énoncés ci-dessous.

Principes directeurs concernant l’exécution

I.          Définitions

Aux fins de la présente recommandation,

a.         «exécution» signifie le fait de donner effet à des décisions de justice, ainsi qu’à d’autres titres exécutoires, qu’ils soient judiciaires ou non judiciaires, conformément à la loi qui oblige le défendeur à faire, à s’abstenir de faire ou à payer ce qui a été décidé;

b.         «agent d’exécution» signifie toute personne, qu’elle soit un agent public ou non, autorisé par l’Etat à mener une procédure d’exécution;

 

c.         «demandeur» signifie la partie recherchant l’exécution;

d.         «défendeur» signifie la partie à l’encontre de laquelle l’exécution est recherchée.

II.         Champ d’application

1.         Cette recommandation s’applique en matière civile, y compris en ce qui concerne le droit commercial, le droit de la consommation, le droit du travail et de la famille. Elle ne s’applique pas en matière administrative. Cette recommandation pourrait s’appliquer à des questions à caractère pénal qui ne concernent pas la privation de liberté.

 

2.         En outre, cette recommandation s’applique à l’exécution des décisions de justice ainsi qu’à d’autres titres exécutoires, qu’ils soient judiciaires ou non judiciaires.

III.        Procédure d’exécution

1.         Pour qu’une procédure d’exécution soit aussi effective et efficace que possible,

a.         l’exécution devrait être définie et étayée par un cadre juridique clair, fixant les pouvoirs, les droits et les responsabilités des parties et des tiers;

b.         l’exécution devrait être mise en œuvre conformément à la législation et aux décisions judiciaires pertinentes. Toute loi devrait être suffisamment détaillée pour apporter à la procédure sécurité juridique et transparence, et faire en sorte qu’elle soit aussi prévisible et efficace que possible;

c.         les parties devraient coopérer de manière appropriée dans la procédure d’exécution; en outre, en particulier pour les questions relevant du droit de la famille, les autorités concernées devraient faciliter la coopération;

 

d.         les défendeurs devraient fournir des informations à jour sur leurs revenus, sur leurs biens et sur toute autre question pertinente;

e.         les Etats devraient établir un mécanisme visant à empêcher les abus venant de toute partie pendant la procédure d’exécution, qui ne doit pas être considéré comme un nouveau jugement de l’affaire;

           

f.          il ne devrait pas y avoir de report de la procédure d’exécution, sauf si des raisons sont prescrites par la loi. Tout report devrait pouvoir être soumis à l’appréciation du juge;


g.         pendant la procédure d’exécution, un juste équilibre devrait être trouvé entre l’intérêt des demandeurs et celui des défendeurs, tout en tenant compte en particulier des dispositions des articles 6 et 8 de la CEDH. Lorsque cela est approprié, les intérêts des tiers devraient également être pris en considération. Quand la procédure d’exécution concerne des questions relevant du droit de la famille, les intérêts des membres de celle-ci devraient être pris en compte. En outre, quand la procédure d’exécution concerne plus particulièrement le droit des enfants, l’intérêt supérieur de l’enfant devrait être considéré comme primordial, conformément à la législation internationale et nationale;

h.         certains biens essentiels et une certaine partie des revenus du défendeur devraient être protégés, tels que les biens d'équipement ménager de base, les allocations sociales de base, l’argent pour les besoins médicaux essentiels et les outils de travail nécessaires.

2.         Les procédures d’exécution devraient:

a.         être clairement définies et faciles à gérer par les agents d’exécution;

b.         instaurer une définition et une liste exhaustive des titres exécutoires ainsi que la manière dont ils deviennent applicables;

c.         définir clairement les droits et les obligations des défendeurs, des demandeurs et des tiers y compris, dans ces deux derniers cas, leur rang et droit sur les sommes recouvrées et réparties entre les demandeurs;

d.         prévoir les méthodes les plus efficaces et appropriées pour la signification de documents (par exemple remise en main propre par des agents d’exécution, voie électronique, poste);

e.         prévoir des mesures pour dissuader ou empêcher les abus de procédure;

f.          instaurer le droit pour les parties de demander la suspension de l’exécution d’une décision pour assurer la protection de leurs droits et intérêts;

g.         instaurer, le cas échéant, un droit de recours contre les décisions judiciaires et non judiciaires rendues pendant la procédure d’exécution.

3.         Les frais d’exécution devraient être raisonnables, fixés par la loi et portés préalablement à la connaissance des parties.

4.         Les tentatives visant à mettre en œuvre la procédure d’exécution devraient être proportionnelles à l’enjeu, aux sommes à percevoir ainsi qu’aux intérêts du défendeur.

5.         Les coûts nécessaires à l’exécution devraient être en général à la charge du défendeur nonobstant la possibilité de les faire supporter par d’autres parties qui abuseraient de la procédure.

6.         La recherche et la saisie des biens des défendeurs devraient être rendues aussi efficaces que possible, tout en tenant compte des dispositions applicables en matière de droits de l’homme et de protection des données. La collecte des informations nécessaires concernant le défendeur devrait être rapide et efficace par l’intermédiaire d’informations pertinentes contenues dans les registres ou d’autres sources. Il devrait aussi y avoir la possibilité pour le défendeur de faire une déclaration sur ses biens.

7.         Les biens devraient être vendus rapidement tout en cherchant à en obtenir la valeur du marché la plus rentable possible et en évitant toute dépréciation coûteuse et inutile.


IV.        Agents d’exécution

1.         Lorsque les pays font appel aux agents d’exécution pour mettre en œuvre la procédure d’exécution, ils devraient respecter les principes contenus dans la présente recommandation.

2.         Le statut des agents d’exécution, leur rôle, leurs responsabilités et leurs pouvoirs devraient être prévus par la loi afin d’apporter autant de sécurité et de transparence que possible à la procédure d’exécution. Les Etats devraient être libres de déterminer le statut professionnel des agents d’exécution.

3.         Lors du recrutement des agents d’exécution, il faudrait tenir compte de la moralité des candidats ainsi que de leurs connaissances juridiques et de leur formation en matière de législation et de procédure. Pour cela, ils devraient être amenés à passer des examens destinés à évaluer leurs connaissances théoriques et pratiques.

4.         Les agents d’exécution devraient jouir de la meilleure considération, être compétents dans l’accomplissement de leurs fonctions et agir à tout moment dans le respect de normes professionnelles et éthiques élevées et reconnues. Ils devraient être objectifs dans leurs relations avec les parties et être soumis à un contrôle professionnel et à un suivi qui peut comporter un contrôle juridictionnel.

5.         Les pouvoirs et les responsabilités des agents d’exécution devraient être clairement définis et délimités par rapport à ceux du juge.

6.         Les agents d’exécution qui sont soupçonnés d’abuser de leur fonction devraient être soumis à une procédure disciplinaire, civile et/ou pénale, prévoyant, en cas d’abus, des sanctions appropriées.

7.         Un Etat qui emploie des agents d’exécution devrait offrir des conditions de travail appropriées, des ressources matérielles adéquates et du personnel suffisant. Ils devraient également être rémunérés de manière adéquate.

8.         Les agents d’exécution devraient suivre une formation initiale et continue conformément à des buts et des objectifs clairement définis et structurés.