Rapport sur le projet de Charte mondiale de l’autonomie locale : Etat des discussions - CPL (8) 5 Partie II

 

Rapporteurs :
Dr Gerhard ENGEL (Allemagne)
M. Alan LLOYD (Royaume-Uni)


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EXPOSE DES MOTIFS

1. Le présent rapport contient des informations sur les travaux préparatoires menés en vue de la tenue d'Istanbul + 5, manifestation que l'ONU organisera en juin 2001 pour permettre de dresser le bilan, cinq ans après, de la Conférence des Nations Unies sur les établissements humains de 1996, ainsi que sur l’état des discussions sur le projet de Charte Mondiale de l’autonomie locale (ci-après : Charte Mondiale ou projet de Charte).

Istanbul + 5

2. Du 2 au 6 juin 2001, à New-York, la Conférence des Nations Unies sur les établissements humains, tenue à Istanbul en 1996, fera l'objet d'une évaluation quinquennale (Habitat). Les représentants de pouvoirs locaux ont été fortement impliqués dans la Conférence d'Istanbul et joué un rôle actif dans la rédaction de la Déclaration d'Istanbul et du Programme pour l'habitat, les documents issus de cette conférence.

3. Istanbul + 5 s'attachera essentiellement à examiner la mise en œuvre du Programme pour l'habitat. L'Assemblée générale des Nations Unies fera le point sur les progrès réalisés, déterminera les obstacles rencontrés et les carences de l'action et identifiera les priorités pour l'avenir.

Le Programme pour l'habitat

4. Le Programme pour l'habitat est un ambitieux document principalement consacré au développement urbain durable. Avec la concentration dans les zones urbaines de plus de la moitié de la population mondiale et la très nette aggravation de la pauvreté en milieu urbain, des villes intégrées et bien gérées, constituent un élément essentiel à la réalisation du développement durable. Le Programme pour l'habitat a pour ambition de rendre les villes de la planète plus sûres, plus saines et plus équitables et définit des engagements clés portant sur le logement, l'élimination de la pauvreté, la gestion environnementale, le développement économique, la gouvernance et la coopération internationale.

5. Le Programme pour l'habitat s'appuie sur le concept de partenariat et définit les collectivités locales comme les «partenaires les plus proches» et les plus importants dans sa mise en œuvre. Il prévoit 20 engagements clés, dont celui de promouvoir une décentralisation effective et un renforcement des pouvoirs locaux.

6. Istanbul + 5 s'intéressera à deux grands thèmes, sous les intitulés «Un logement pour tous» et «Des établissements humains durables». Les gouvernements élaborent actuellement des rapports nationaux dans lesquels sera expliquée la manière dont ils ont assuré la mise en œuvre du Programme pour l'habitat.

Comité préparatoire d'Istanbul + 5

7. La Commission des établissements humains des Nations Unies et le Comité préparatoire d'Istanbul + 5 se sont réunis à Nairobi les 12 et 13 février. La contribution des collectivités locales à Habitat est coordonnée par la CAMVAL (Coordination des associations mondiales des villes et autorités locales) et la présidence est actuellement exercée par Métropolis, dont le secrétariat se trouve à Barcelone. La délégation des collectivités locales comprenait des représentants du Canada, du Sénégal et du Royaume-Uni ainsi que de l'Union internationale des pouvoirs locaux (IULA). La CAMVAL prépare actuellement une déclaration en vue d'Istanbul + 5 et coordonnera diverses manifestations prévues en marge d'Istanbul + 5 à New-York.

Charte mondiale de l'autonomie locale

8. Le projet de Charte mondiale de l'autonomie locale est une initiative de l'IULA, développée en partenariat avec le Centre des Nations Unies pour les établissements humains. Le texte s'inspire de très près de la Charte européenne et prend la forme d'une série d'engagements entre lesquels les gouvernements pourront choisir en ratifiant la Charte.

9. Le présent rapport se fonde avant tout sur le rapport que Mme Doganoglu a présenté lors de la sixième réunion du Congrès comme premier projet de Charte mondiale au nom de l’ancien groupe de travail «Charte européenne de l’autonomie locale»; le document CPL(6)5 contient également des informations sur la deuxième Conférence des Nations Unies sur les établissements humains (Habitat II), qui s’est tenue à Istanbul, en 1996, et à la suite de laquelle, en 1998, le Centre des Nations Unies pour les établissements humains (CNUEH -Habitat) et la Coordination des associations mondiales des villes et autorités locales ont signé un document de consultation pour une coopération en vue de l’élaboration d’une Charte mondiale de l’autonomie locale.

10. L’objet du rapport présenté lors de la sixième réunion du Congrès était un premier projet de Charte mondiale élaboré par le groupe de travail mixte. Le Congrès s’était, à l’époque, déclaré prêt à prodiguer ses conseils pour les travaux ultérieurs concernant la charte mondiale et à coopérer avec la CAMVAL et les autorités des Nations Unies, d’autant plus que la Charte européenne de l’autonomie locale, dans ses grandes lignes, avait été prise comme modèle pour l’avant-projet de Charte mondiale et que le Congrès, grâce à l’application de la Charte européenne, disposait de l’expérience adéquate quant à l’application concrète d’un tel texte. Le Congrès a fait quelques suggestions d’ordre rédactionnel sur le texte du projet.

11. Le déroulement futur des travaux est décrit dans le document d’information du Secrétariat CG/INST(7)5 du 8 septembre 2000 pour la Commission institutionnelle du Congrès : le projet de Charte a fait l’objet de débats au cours de huit conférences régionales, au total, auxquelles ont participé des représentants des collectivités locales de plus de cent pays et d’une cinquantaine d’administrations nationales. Les propositions de modifications et de compléments au texte formulées à cette occasion ont été examinées lors d’une réunion d'experts, organisée les 13 et 14 avril 2000, au siège du CNUEH (Habitat) à Nairobi, à laquelle ont participé les rapporteurs du Congrès; elles ont abouti à un deuxième projet approuvé à l’unanimité de Charte. Ce projet met l’accent sur la base et la portée juridiques et constitutionnelles de l’autonomie locale, définit les structures administratives appropriées au niveau local, les compétences et les ressources financières des autorités locales ainsi que les modalités de leur contrôle par l’Etat, la participation des citoyens à l’administration locale, ainsi que la coopération des municipalités au niveau national et international.

12. Il a ensuite été proposé d’inscrire le projet de Charte à l’ordre du jour du Comité préparatoire de la session spéciale des Nations Unies ISTANBUL + 5. Cette initiative a certes reçu un fort soutien, mais il apparut qu’il restait encore des points à discuter, et aussi que les Etats-Unis et la Chine s’opposaient à l’idée d’une charte mondiale, au motif qu’un tel projet ne correspondait pas à leurs données constitutionnelles ni à leurs réalités nationales concrètes. Il convient de prendre acte du soutien du Groupe des 77, et plus particulièrement de celui de l’Union européenne, en faveur de ce projet, comme base pour la décentralisation, la démocratie locale et le renforcement du partenariat entre les divers niveaux de l’administration publique, ainsi que dans la perspective de la Campagne globale pour la bonne gouvernance urbaine.

13. Lors de sa 18e réunion, le 13 février 2001, à Nairobi, la Commission des établissements humains a débattu des questions de décentralisation et du renforcement des pouvoirs locaux dans l’application du Programme pour l’habitat. Le thème de la Charte mondiale a dominé presque tous les débats. L’objet de la discussion n’était cependant pas le texte du présent projet de Charte.

14. Le Secrétariat – après s’être rendu compte, pendant la phase préparatoire, qu’il ne serait pas possible d’arriver à un consensus pour inscrire le projet à l’ordre du jour de la session spéciale des Nations Unies ISTANBUL + 5 - avait proposé de créer son propre comité, au sein duquel pourrait avoir lieu un dialogue formel sur toutes les questions restées en suspens. Ce comité devrait ensuite présenter un rapport à la Commission lors de sa 19e session, en 2003. Mais les délégations n’ont pas réussi à se mettre d’accord sur cette proposition non plus.

15. Certes, elles s’accordaient toutes à reconnaître l’importance fondamentale de la décentralisation, la nécessité de disposer de bonnes structures administratives au niveau local, de renforcer le partenariat, tant stratégique qu’opérationnel, avec les collectivités locales, les forces non gouvernementales, toutes les organisations actives au niveau local, ainsi qu’avec le secteur privé. De même, toutes les parties sont convenues qu’il était nécessaire qu’un vaste dialogue se poursuive entre tous les intéressés, ainsi qu’entre les différents gouvernements. Mais les avis divergeaient quant à la question d’une Charte mondiale. Le projet présenté a recueilli un certain appui; d’aucuns étaient d’avis que ce projet pouvait être amélioré; le Japon a défendu l’idée d’adopter simplement une déclaration, au lieu d’une convention. Les Etats-Unis et la Chine se sont vivement opposés à l’idée d’une Charte mondiale, et ils ne souhaitaient pas poursuivre les discussions sur ce thème: le Canada s’est rallié à leur opinion.

16. Après que les représentants des associations eurent pris la parole, le représentant de la CAMVAL a lui aussi donné son avis. Il a renvoyé à l’article 12 de la Déclaration d’Istanbul, qui dispose : « Considérant que les autorités locales sont nos partenaires les plus proches et qu’elles ont un rôle essentiel à jouer dans la mise en œuvre du Programme pour l’habitat, nous devons, compte tenu du cadre juridique de chaque pays, promouvoir la décentralisation au profit d’autorités locales démocratiques et chercher à renforcer leurs capacités financières et institutionnelles, compte tenu de la situation du pays considéré, tout en veillant à ce qu’elles agissent de manière transparente, qu’elles respectent le principe de l’obligation redditionnelle et qu’elles soient sensibilisées aux besoins de la population – qualités essentielles requises des pouvoirs publics à tous les niveaux. » Il a soutenu la proposition du directeur exécutif concernant la création d’un comité intergouvernemental.

17. La délégation chinoise a rejeté l’objectif d’une Charte mondiale de l’autonomie locale; selon elle, cette Charte va à l’encontre du système constitutionnel, législatif et administratif chinois; en insistant uniquement sur l’autonomie locale, elle fait peu de cas de l’importance qu’a le gouvernement national pour la stabilité nationale et sociale. Une telle Charte ne convient pas aux pays en développement et ne va pas dans le sens de leurs intérêts fondamentaux. La Charte ne sert pas l’objectif de développement économique, pour lequel la condition préalable est de disposer d’un gouvernement national fort. Le projet n’est, en fin de compte, qu’une copie de la charte européenne; il ne saurait y avoir de modèle unique, qui ne tienne pas compte des différences régionales et nationales. Enfin, le projet de charte n’entre pas dans le cadre des compétences du CNUEH.

18. Nous avons également eu l’occasion, en tant que représentants du Congrès, de prendre la parole, et nous avons tenu à souligner que la Charte Mondiale pourrait contribuer de manière très efficace à la réalisation des objectifs du Programme pour l’habitat. Nous avons tenu à souligner que la grande majorité des Etats membres du Conseil de l'Europe ont signé, voire ratifié la Charte européenne, et que les 43 Etats membres sont des Etats de traditions très diverses dans les domaines de la langue, de la culture, de la structure administrative, etc. Il a été en avant le soutien qu’avait apporté le Comité des Ministres au projet de Charte mondiale, le 9 septembre 2000. Nous avons notamment mis en évidence les expériences positives des Etats d’Europe centrale et orientale quant à l’application de la Charte européenne, notamment en tant que base permettant d’améliorer leur développement économique. Enfin, nous avons répondu à la délégation chinoise qu’aucun Etat ne saurait être contraint à signer une charte mondiale qu’il ne pourrait harmoniser avec sa Constitution et, enfin, que ni la Charte européenne ni la Charte mondiale ne constituent un modèle unique pour le monde entier, et que, bien au contraire, chaque Etat peut assembler les parties qui conviennent à sa situation (« modèle à la carte »). Nous avons ensuite approuvé le soutien du Congrès à la poursuite du processus consultatif. M. Hoffschulte a par ailleurs fait remarquer, au cours d’une autre intervention, que certains malentendus, pour quelques gouvernements, pouvaient résulter de l’interprétation des notions de « self government » ou d’« autonomie locale ».

19. Malgré l’accord exprimé de toutes parts sur les questions essentielles de la décentralisation, entre autres, la réunion n’a pas permis de transformer le dialogue jusqu’à présent informel en un dialogue formel entre les gouvernements et les associations, dans le cadre d’un comité par exemple. Au bout du compte, le Secrétariat a proposé de mettre en place un groupe de travail ayant pour objectif de discuter à nouveau de la question d’une charte mondiale lors de la 19e session de la Commission en 2003.

20. En résumé, nous avons eu le sentiment que le rôle fondamental des communes pour mettre en pratique les objectifs définis lors de la conférence d’Istanbul était reconnu par tous, et que l’adhésion au principe d’un dialogue exhaustif avec les municipalités - en tant que principaux partenaires pour la réalisation des objectifs d’Habitat - était motivée par la perception de ce qui est nécessaire. Or, on a sous-estimé jusqu’à présent, semble-t-il, le fait que de nombreux gouvernements de par le monde s’inquiètent à l’idée que le projet de Charte mondiale risque de porter atteinte à leurs propres structures étatiques. On peut supposer qu’un certain nombre de pays se cachent derrière l’attitude déterminée des Etats-Unis et de la Chine. Face à ces préoccupations, les associations nationales de communes devront plus particulièrement continuer de mener un gros travail d’information. Il est clair que le thème d’une charte mondiale reste à l’ordre du jour, même si l’espoir de voir se concrétiser une convention des Nations Unies sur la base d’une résolution de l’Assemblée générale est encore éloigné.

21. Il nous paraît important en tant que Rapporteurs, d’affirmer que le Congrès devrait apporter son soutien - conformément aux objectifs du Conseil de l’Europe - au dialogue sur le principe de subsidiarité et la bonne gouvernance qui se déroulent actuellement à l’échelle planétaire. Le Congrès devrait également encourager les associations internationales de pouvoirs locaux à poursuivre un dialogue permanent avec les gouvernements de tous les pays afin d’assurer leur soutien au projet de Charte Mondiale de l’Autonomie Locale. En effet, cette Charte a été conçue pour devenir un instrument pour le développement durable des autorités locales et contribuera sans doute au renforcement de la participation des citoyens au processus de prise de décision au niveau local, au développement de l’économie locale et à la cohésion sociale.

22. Nous restons convaincu que fort de son expérience fondée sur la Charte européenne de l’autonomie locale et en tant qu’organe représentant les collectivités locales et régionales des 43 Etats européens, le Congrès devrait réitérer son soutien le plus ferme à l’idée de la Charte Mondiale de l’Autonomie Locale.

23. Il reste donc une possibilité aux collectivités locales de travailler avec les gouvernements nationaux au sein de la Commission des établissements humains des Nations Unies en vue de définir une série de principes clés pour la démocratie locale au niveau mondial.

Conclusion

24. Le processus Istanbul + 5 s'est heurté jusqu'à présent à des remises en question notables des avancées importantes qu'avaient réalisées les autorités locales lors de la Conférence d'Istanbul. Les représentants des pouvoirs locaux ont dû batailler ferme pour défendre les engagements pris par les gouvernements en 1996, face à l'opposition des délégations des Etats-Unis, de la Chine, de l'Egypte et de l'Iran en particulier. Le Comité préparatoire a fait la démonstration que l'esprit de partenariat qui sous-tend le Programme pour l'habitat continue à poser des problèmes à certains gouvernements.

25. Malgré l'opposition de certains gouvernements à des projets tels que la Charte mondiale, le fait que toutes ces questions aient été aussi largement débattues et eu un tel retentissement permet de penser qu'il sera possible dans l'avenir d'aboutir à la définition d'un nouvel ensemble de principes internationaux et d'instaurer un dialogue plus formel entre les gouvernements et les représentants des pouvoirs locaux au niveau international. Nous aimerions saisir cette occasion pour remercier M. Hoffschulte de tous les efforts qu'il a déployés au service de la promotion de la Charte mondiale, en espérant qu'il continuera de travailler avec le système des Nations Unies.