Rapport du premier échange de vues régulier de la Secrétaire Générale
avec la société civile
Strasbourg, 15 septembre 2023
Session plénière
Après le discours d'ouverture de la Secrétaire Générale du Conseil de l'Europe, Mme Marija Pejčinović Burić,
Les représentants de la société civile (SC) ont souligné les principaux points suivants lors du débat avec la Secrétaire Générale :
Ø La société civile joue un rôle crucial dans la sensibilisation et le fonctionnement de la démocratie, y compris en ce qui concerne le travail du Conseil de l'Europe (CdE).
Ø L'accessibilité peut être un problème pour les organisations de la société civile (OSC) nationales et locales (par exemple, le besoin de financement pour se rendre à Strasbourg) ; les réunions en ligne peuvent constituer un avantage.
Ø La sensibilisation et la diffusion des normes doivent être améliorées, notamment par une communication approfondie (bulletin d'information) et une traduction dans les langues locales.
Ø Les consultations et l'engagement avec la société civile peuvent être renforcés : Le CdE devrait être plus ouvert aux contributions des OSC, fournir un portail fonctionnel pour leur consultation, identifier suffisamment tôt les organisations qui peuvent apporter la contribution la plus significative, y compris lors de la définition des priorités.
Ø Coopération avec d'autres organisations internationales : Le CdE pourrait jouer un rôle dans la coordination et la facilitation de l'élaboration de normes communes concernant l'espace dévolu à la société civile en général (UE, CdE, GAFI, etc.) afin d'éviter tout chevauchement.
***
Sessions des groupes de travail
Principales tendances concernant le rétrécissement de l'espace dévolu à la société civile
Tous les groupes de travail ont discuté des principales tendances au rétrécissement de l'espace dévolu à la société civile. Ces tendances touchent en particulier les populations vulnérables et les minorités, avec une criminalisation croissante de l'aide humanitaire aux migrants et une répression de l'activisme environnemental. Les tendances suivantes ont été mises en évidence :
ØL'utilisation abusive du droit pénal est un moyen de restreindre le fonctionnement de la société civile, par exemple par la mise en œuvre de législations antiterroristes appliquées aux OSC menant des activités de défense des droits humains (y compris les groupes vulnérables, les associations d'avocats et les chambres médicales). Des inspections trop fréquentes des associations sont également utilisées comme mesure de restriction. L'introduction de nouvelles législations, telles que les lois sur les "agents étrangers", constitue un obstacle majeur à l'espace dévolu à la société civile et à la liberté d'association. Lorsque les OSC sont qualifiées d’« agents étrangers », il devient difficile de les aider car les organisations en question ne peuvent pas recevoir de financement étranger.
ØDans certains pays, les restrictions constitutionnelles imposées aux OSC les empêchent de participer à des activités politiques et d'avoir accès à certaines institutions publiques telles que les établissements psychiatriques et les maisons de soins. Le manque d'accès à la prise de décision est également fréquent, par exemple lorsque les OSC ne sont pas invitées à participer aux comités juridiques.
ØLes difficultés d'accès au financement constituent une autre mesure restrictive de l'espace dévolu à la société civile, pouvant être due au manque de transparence des règles de financement et, dans certains cas, au nombre croissant de GONGOs qui réussissent à concourir pour les mêmes fonds. Le financement est de plus en plus fourni par le biais de canaux gouvernementaux, mais il devient difficile de l’obtenir pour les litiges relatifs aux droits humains. En outre, les OSC ont de plus en plus de mal à se faire enregistrer et l'étiquetage des activités de la société civile comme étant "politiques" limite leur action.
Groupe de travail A : La participation de la société civile à l'élaboration et au suivi des normes du Conseil de l'Europe
Défis : Les OSC ont noté que le CdE devrait accorder plus d'attention à la cohérence de l'implication de la SC dans les différents travaux de normalisation de l'Organisation, car l'accès dépend souvent de chaque organe d’établissement des normes, et parfois même de l'engagement personnel du président ou du personnel du Secrétariat. L'importance de la reconnaissance des contributions soumises, ou du retour d'information sur l'utilité et l'impact de la contribution elle-même, a été soulignée. Ce dernier aspect est nécessaire pour que les OSC puissent illustrer l'impact de leur participation. Les suggestions suivantes ont été formulées en vue d'un engagement plus significatif :
ØDes règles et des lignes directrices communes pour la participation des OSC devraient être élaborées. Pour que l'engagement ait un véritable impact, les OSC doivent savoir quand et comment contribuer : calendrier, contenu, contexte de la demande (l'utilisation de formulaires vierges est déconseillée), alertes par courrier électronique, portail d'entrée unique.
ØL'engagement devrait inclure tous les groupes, en particulier les minorités, y compris ceux qui n'ont pas beaucoup de ressources ou qui ne sont pas présents à Strasbourg ; le CdE devrait envisager de financer ceux qui n'ont pas les moyens de participer aux réunions clés.
ØSi un trop grand nombre de représentants d'OSC souhaitent participer, des processus de sélection/limitation du nombre/coordination entre les OSC et les institutions nationales des droits de l'homme pourraient être envisagés. L'utilisation accrue de réunions en ligne ou d'un répertoire centralisé devrait être envisagée.
ØLa formation des OSC, y compris par la société civile elle-même, sur le CdE, ainsi que celle du personnel du CdE sur la manière de travailler avec la SC pourrait être utile pour soutenir une culture et une méthode de travail plus ouvertes.
ØIl est important pour les ONG de savoir comment leur contribution sera utilisée. De même, pour le CdE, il est important d'évaluer l'impact des contributions de la SC et les réussites des processus de consultation. Cette évaluation permet également de relier la contribution de la SC à la mise en œuvre des normes et d'éviter de considérer les consultations comme un exercice de normalisation consistant à "cocher la case". Le Conseil de l'Europe pourrait également réfléchir à la manière d'utiliser la même contribution dans plusieurs mécanismes du Conseil de l'Europe.
ØLe modèle de cogestion utilisé dans le domaine de la jeunesse pourrait être expérimenté dans d'autres domaines de l'Organisation en ce qui concerne l'élaboration des normes.
Groupe de travail B : La démocratie en action : travailler ensemble pour renforcer la mise en œuvre des normes du Conseil de l'Europe en matière de démocratie et de bonne gouvernance
La mise en œuvre des normes relatives aux droits humains, à l'État de droit et à la démocratie est essentielle au fonctionnement de la société civile et son absence entrave la création d'un environnement favorable aux OSC. Les suggestions suivantes ont été faites pour renforcer la participation de la société civile à la mise en œuvre des normes :
ØL'accès à l'information devrait être amélioré et circuler dans les deux sens, du CdE vers les OSC et vice versa. Une information de qualité, opportune et accessible sur les normes, les recommandations de suivi et les rapports du CdE est essentielle pour que les OSC s'engagent de manière significative. De même, les connaissances des OSC locales sur ce qui se passe sur le terrain devraient être mieux exploitées par le CdE dans la prise de décision et la mise en œuvre des normes. Les acteurs étatiques pourraient également être inclus dans certains échanges.
ØUne plus grande visibilité de la société civile est nécessaire. La Secrétaire Générale pourrait préparer un rapport annuel sur l'état de la société civile et sur la responsabilité et le suivi des diverses recommandations du CdE.
ØAfin d'utiliser au mieux le potentiel de la SC en ce qui concerne la mise en œuvre efficace des normes du CdE, il est également nécessaire de renforcer le développement des capacités de la SC dans les Etats membres. Cela signifie qu'il faut aider la société civile à maîtriser les nombreuses normes de qualité du CdE (conventions, recommandations) en multipliant les occasions d'acquérir des connaissances et d'échanger des expériences. La société civile peut être un moyen de diffuser ces connaissances au niveau local.
ØLe rôle des OSC dans la mise en œuvre des normes devrait être maximisé. Le CdE devrait aider à développer une méthode de travail collaborative avec les OSC, calibrée en fonction des circonstances locales. Il devrait utiliser la SC internationale/nationale comme catalyseur pour assurer l'engagement précoce des OSC locales, qui connaissent bien les circonstances autour d’elles mais manquent de connaissances et de ressources financières pour agir efficacement. Un bon exemple est le deuxième cycle de suivi de la Convention de Lanzarote, où les OSC ont été activement impliquées dès les premières étapes.
ØLe CdE devrait être plus réceptif aux contributions des OSC et les rendre publiques, le cas échéant, car cela encouragera d'autres organisations à s'impliquer.
ØMême si les normes du Conseil de l'Europe sont universelles, leur mise en œuvre est localisée et nécessite une contextualisation. Une meilleure visibilité des contributions des OSC aiderait également le Conseil de l'Europe à élargir l'impact de son travail. La coopération visant à renforcer les capacités des OSC locales comporte aussi une dimension budgétaire.
Groupe de travail C : La liberté d'association en Europe : protéger et renforcer l'espace dévolu à la société civile et élargir l'espace du Conseil de l'Europe pour la société civile
Un suivi plus étroit de la situation de l'espace dévolu à la société civile dans les États membres et le renforcement de l'interaction du CdE avec les OSC sont les deux faces d'une même pièce, car l'une ne peut exister sans l'autre. Des améliorations sont possibles de part et d'autre :
ØToutes les entités du CdE devraient donner la priorité aux questions relatives au rétrécissement de l'espace dévolu à la société civile (la CEDH devrait donner la priorité aux requêtes concernant ce sujet, le CM devrait donner la priorité à la mise en œuvre des arrêts de la CEDH sur ce sujet, etc.). La situation de l'espace dévolu à la société civile dans les Etats membres devrait être suivie afin de s'assurer que les propositions législatives et la mise en œuvre des lois sont alignées sur les normes et obligations du CdE en matière de droits humains.
ØLe CdE devrait s'élever, tant au niveau national qu'européen, contre les législations qui nuisent à l'espace dévolu à la société civile et qui menacent de saper les normes démocratiques fondamentales - la réaction aux tendances négatives devrait être rapide et sévère.
ØIl est nécessaire d'introduire un mécanisme d'alerte et de sensibilisation au rétrécissement de l'espace dévolu à la société civile, y compris en ce qui concerne les droits de l'enfant, et, à l'instar de la plate-forme pour la liberté des journalistes, de partager les défis auxquels la société civile est confrontée et les moyens potentiels de les contrer.
ØRenforcer la participation des OSC à la prise de décision publique, ce qui devrait se faire à deux niveaux : au sein des Etats (inclure la participation de la société civile dès le départ dans l'élaboration des politiques et des lois) et au sein du Conseil de l'Europe.
ØLe Conseil de l'Europe devrait évaluer les instruments/mécanismes en place par rapport aux menaces actuelles qui pèsent sur la société civile (les instruments mis en place sont-ils réellement conçus pour aider à résoudre les problèmes particuliers à un moment donné ?) Il est important d'examiner la mise en œuvre des engagements que le CdE a déjà pris, par exemple la Recommandation (2018)11 du Comité des Ministres sur le rétrécissement de l'espace dévolu à la société civile. Le CdE devrait également évaluer ses normes afin de prévenir les abus possibles au niveau national (par exemple, la législation nationale sur le financement des organisations terroristes par le biais de Moneyval).
ØRenforcer le mécanisme existant pour les défenseurs des droits de l'homme du Cabinet de la Secrétaire Générale, afin de faire connaître son existence et de publier un rapport sur les activités pertinentes.
Discussion finale avec la Secrétaire Générale en séance plénière
Les rapporteurs ont présenté les points ci-dessus, développés dans chaque atelier, en soulignant en particulier que le :
ØLe CdE devrait s'efforcer d'être inclusif et de s'engager avec les OSC locales, nationales et internationales. Les bureaux de terrain sont invités à créer des opportunités pour que les OSC s'engagent dans le travail de l'Organisation. La Secrétaire Générale pourrait également profiter de ses visites dans les Etats membres pour rencontrer les OSC.
ØLe CdE peut servir de pont entre le contexte international et local de la SC, ce qui peut donner lieu à de nouvelles opportunités. Les synergies et la coordination sur le terrain avec d'autres OI sont essentielles pour permettre aux OSC d'investir là où elles peuvent maximiser leur impact.
ØLes OSC sont prêtes à contribuer à la mise en œuvre de la déclaration de Reykjavík en faveur d'un engagement significatif avec la société civile.
Dans ses remarques finales, la Secrétaire Générale a fait l'éloge des discussions constructives qui ont eu lieu lors du premier échange. Rappelant l'engagement du Quatrième Sommet en faveur d'un engagement significatif avec la société civile, elle a souligné en particulier que :
ØLa reconnaissance par le CdE de la nécessité d'être plus cohérent dans son engagement avec les OSC est la bonne voie à suivre et elle est partagée par ses Etats membres ; de nombreuses propositions émanant des représentants de la SC font déjà partie intégrante de la feuille de route de la Secrétaire Générale ;
ØLa contribution de la SC aux travaux de l'Organisation doit être reconnue de manière plus visible et un poids plus important doit être accordé au mécanisme existant de protection des défenseurs des droits de l'homme ;
ØLe CdE s'engagera davantage au niveau national et local, par le biais des bureaux de terrain, afin d'utiliser au mieux l'expertise de la SC sur place ;
ØLe nouveau Comité directeur pour la démocratie (CDDEM en 2024) viserait à contribuer à la mise en œuvre de la déclaration de Reykjavík, y compris les principes de Reykjavík pour la démocratie, en ce qui concerne l'engagement avec la SC.