Projet de rapport explicatif du projet de Charte Européenne de l'autonomie régionale - CPR (4) 4 PART II

Rapporteur :
Peter RABE (Allemagne)

I. Historique

La première session du Congrès des Pouvoirs Locaux et Régionaux de l'Europe a adopté, en juin 1994, une Résolution No 8 qui "invite la Chambre des régions et la Chambre des pouvoirs locaux: à élaborer une "Charte européenne de l'autonomie régionale, selon le modèle de la "Charte européenne de l'autonomie locale", en coopération avec l'Assemblée parlementaire, ainsi qu'il est stipulé au paragraphe 23 de la Déclaration de Genève".

Sur la base de cette Résolution, un groupe de travail présidé par M. Claude Haegi et ayant M. Peter Rabe comme rapporteur a été constitué au sein du Congrès. Avec l'aide d'experts, ce groupe de travail a produit un Rapport intérimaire, lequel incluait une première version d’un projet de Charte européenne de l’autonomie régionale. Ce texte a été présenté devant la Chambre des Régions lors de la troisième session plénière du Congrès, le 3 juillet 1996 par le rapporteur, M. Peter Rabe. Ce rapport et son annexe ont été adoptés à l’unanimité moins 4 abstentions (Recommandation No 22 et Résolution No 37).

La Chambre des pouvoirs locaux a adopté lors de cette troisième session, sur la base du rapport présenté par M. Diego Scacchi, un avis favorable à ce projet, insistant sur la nécessité d’harmoniser le contenu et les mécanismes de mise en œuvre contenus dans ce projet avec ceux existants et développés pour la Charte européenne de l’autonomie locale [CPL (3) 1 Rev.].

La Résolution 37 (1996) du CPLRE invite le Groupe de travail “ Charte européenne de l’autonomie régionale ” à “ procéder, pendant l’intersession, à une large consultation de l’ensemble des régions européennes sur le projet de Charte, ... ” afin de présenter au Congrès, “ lors de sa 4e session (1997) un texte finalisé dont l’adoption serait recommandée au Comité des Ministres. ”

Suite à la troisième session plénière, le Groupe de travail a élu un nouveau Président en la personne de M. Llibert Cuatrecasas, M. Peter Rabe poursuivant sa tâche de rapporteur. Le Groupe de travail a organisé des auditions à Barcelone (18 octobre 1996), Florence (27-28 février 1997) et à Wroclaw (10-11 mars 1997).

De nombreuses observations écrites ont également été communiquées au Secrétariat du CPLRE. Suite aux discussions au sein du Groupe de travail, le Rapporteur, assisté des experts Philippe De Bruycker et Nicolas Levrat du Centre de droit public de l’Université libre de Bruxelles, a modifié le projet de Charte afin de tenir compte des avis exprimés durant ce vaste processus de consultation.

Le Groupe de travail réuni les 17 et 18 avril 1997 à Paris a amendé puis adopté cette version révisée du projet de Charte, ainsi que le présent Rapport explicatif.

II. Commentaire général

Cette version finalisée de la Charte européenne de l’autonomie régionale essaie de fixer les principes directeurs de l'autonomie régionale, en tenant compte de la diversité des systèmes politiques et juridiques des Etats européens. Certains Etats, de par leur taille géographique et démographique, n'ont pas nécessairement vocation à posséder des structures régionales ; il peut cependant exister des bonnes raisons pour développer des structures régionales dans certains petits Etats. En conséquence, ce texte ne prend pas position sur les particularités de ces Etats.

Les principes posés dans cette Charte constituent le socle de l'autonomie régionale en Europe. Ils n'excluent en rien que les institutions ou la législation d'Etats européens incluent des dispositions reconnaissant l'existence d'une autonomie régionale plus importante. De plus, l’article 21 précise explicitement qu’aucune des dispositions de cette Charte ne peut être interprétée comme restreignant une autonomie plus largement reconnue, à quelque collectivité territoriale que ce soit.

III. Projet de Charte européenne de l’autonomie régionale

Préambule

Le préambule vise à expliciter les valeurs sur lesquelles la charte se fonde, les objectifs poursuivis par ses auteurs ainsi que l’esprit dans lequel celle-ci a été rédigée.

Les objectifs généraux poursuivis par le Conseil de l’Europe, notamment tels qu’ils ont été définis lors du sommet des chefs d’Etat et de gouvernement réunis à Vienne en octobre 1993, sont rappelés. Conformément à l’article 1er de la Convention-cadre sur la protection des minorités nationales, le respect des droits de l’homme inclut celui des minorités. Les régions sont donc tenues de respecter les droits des minorités se trouvant sur leur territoire.

La contribution de la régionalisation à la démocratie est mise en évidence, de même que, conformément à la recommandation R (95)19 du Comité des ministres, l’importance de la subsidiarité comme principe à suivre pour réaliser effectivement celle-ci. Sachant que ce principe doit valoir aussi bien pour les régions que les collectivités locales, les auteurs affirment clairement et nettement leur souci de veiller à ce que la régionalisation ne se réalise pas aux dépens des collectivités de base que sont les communes. Cette volonté se traduit par plusieurs dispositions extrêmement importantes, de sorte qu’il est permis d’affirmer que le projet de Charte européenne de l’autonomie régionale n’est nullement contradictoire avec la Charte européenne de l’autonomie locale, mais plutôt complémentaire à ce dernier texte.

Le préambule indique encore que la régionalisation n’est pas conçue comme une remise en cause de l’intégrité territoriale ou de la souveraineté des Etats européens ainsi que cela ressort de la notion d’autonomie telle que celle-ci est délimitée par la charte. On insiste également sur la nécessité d’accompagner la reconnaissance des régions par des mesures garantissant la mise en œuvre d’une solidarité entre les différentes régions en fonction de leurs richesses respectives et de leur degré de développement.

Article 1

Cet article, dont le libellé s’inspire largement de l’article premier de la Charte européenne de l’autonomie locale, indique qu’il existe plusieurs manières de ratifier la présente Charte, et renvoie aux articles pertinents (articles 20 et 23), d’une part pour la description des modes d’expression du consentement de chaque Etat à être lié par cette Convention, d’autre part afin de définir les conséquences sur les obligations qui seront à la charge de chaque Etat qui aura accepté la présente Charte selon l’une ou l’autre procédure.

PARTIE I

A. FONDEMENT DE L’AUTONOMIE REGIONALE

Article 2 - Fondement de l'autonomie régionale

Cette disposition s'attache au fondement de l'autonomie régionale d’un point de vue strictement juridique en déterminant la nature des normes juridiques appelées à lui donner une substance en droit positif. Pour ce qui concerne l'édiction du principe même de l'autonomie régionale, il est souhaitable que celui-ci soit d'ordre constitutionnel ; les termes “ autant que possible ” ont été rajoutés, notamment pour tenir compte des Etats qui ne sont pas pourvus d’une constitution écrite. La référence exclusive à la Constitution au paragraphe premier, alors que le paragraphe 2 renvoie à diverses sources, montre une prééminence de la garantie constitutionnelle de l'autonomie régionale, à laquelle une préférence doit, autant que possible, être donnée. Il est prévu que les dispositions qui donnent corps à l'autonomie régionale soient nécessairement de nature législative, de manière à exclure que le gouvernement central puisse, par voie de dispositions réglementaires, édicter des normes en cette matière.

La notion de statut de la région employée au § 2 renvoie à l’idée de statut organique des régions, lequel peut dans certains pays être défini pour sa plus grande part à l’initiative des régions elles-mêmes.

Il a été jugé souhaitable de prévoir au paragraphe 3 que les régions doivent trouver dans la procédure d'élaboration de ces normes une protection particulière selon différents moyens, par exemple la nécessité de réunir au sein de l'Assemblée compétente une majorité spéciale pour adopter et modifier ces normes ou l'obligation préalable de consulter les régions par voie d'avis avant leur adoption.

B. DEFINITION DE L’AUTONOMIE REGIONALE

Les articles 3 à 15 constituent la définition de l’autonomie régionale au sens de la présente Charte.

1. PRINCIPE

Article 3 - Principe

Cette disposition définit de manière générale l'autonomie régionale plutôt que la région elle-même en prenant en compte la nécessaire imbrication du droit interne de chaque Etat et des dispositions de la présente charte. Celle-ci n’est d’ailleurs qu’une convention-cadre, de sorte que le droit interne restera la principale source de droit définissant les régions dans le respect des dispositions de la présente charte. Seuls les éléments les plus significatifs de l’autonomie régionale ont été intégrés dans la définition, chacune des autres dispositions de la charte concourant à la définition de l’autonomie régionale.

Cette disposition situe la région par rapport à l’Etat d’une part, aux collectivités territoriales d’autre part, d’un point de vue purement géographiques et sans établir aucune hiérarchie entre les différents niveaux de pouvoir. Cette disposition englobe les deux types de régions qu’on peut rencontrer (lesquels peuvent être désignés de manière générale par les appellations de “ régions décentralisées ” et de “ régions fédérées ”) et qui sont tous deux couverts par la charte, laquelle se caractérise dès lors par sa souplesse et son champ d’application large. Le texte couvre également le cas très particulier des Villes-Etats cumulant les qualités de collectivité régionale et locale (comme par exemple Vienne ou Bruxelles). En rejetant clairement toute volonté d’imposer l’une ou l’autre forme de régionalisation qui serait considérée comme une sorte de modèle à suivre, les auteurs du texte ont tenté de contourner les difficultés qui peuvent empêcher l’aboutissement d’une charte sur l’autonomie régionale à vocation véritablement européenne, comme par exemple l’octroi aux régions d’un pouvoir de nature législative.

Par ailleurs, les termes “ dans le cadre de la loi ” se trouvant dans le texte de l'article 3 de la Charte européenne de l'autonomie locale ont été omis en raison du fait que nombre de régions disposent d'un véritable pouvoir législatif leur permettant d'édicter des normes équipollentes à celles de l'Etat (au sens de pouvoir central) ; dans le même ordre d'idées, l'expression "régler" qui apparaît également à l'article 3 de la Charte européenne de l'autonomie locale, a été omise pour éviter qu'elle puisse être interprétée comme renvoyant à l'idée d'un pouvoir réglementaire.

Il n’a pas paru possible de définir plus avant ce que recouvre "les affaires d'intérêt public" (par exemple l’urbanisme, l’environnement, les transports, l’économie, les travaux publics, ...) prises en charge par les régions. Il reviendra donc au droit interne de définir dans le détail les compétences régionales, ce qui devra se faire dans le respect du principe de subsidiarité auquel il est explicitement fait référence dans la présente disposition. On relèvera que, par souci de cohérence, ce principe ne fait pas l’objet d'une définition dans la présente Charte pour la raison qu’il existe déjà une définition à l’article 4, § 3 de la Charte européenne de l’autonomie locale.

2. TYPE DE COMPETENCES

Avant de procéder à la classique énumération des domaines de compétence, la mise en exergue de deux types de compétences régionales distinctes, les compétences propres et les compétences déléguées, permet une analyse plus fine de la portée des compétences des régions, puisque l'on pourra distinguer des compétences de types différents dans un même domaine, ou des compétences de même type dans différents domaines. Cette distinction entre deux types de compétences est principalement fondée sur la source des compétences, leur étendue et leurs conditions d'exercice ; elle permet de poser des principes fondamentaux qui peuvent être respectés par des Etats ayant des traditions juridiques distinctes, notamment pour ce qui concerne les règles relatives au contrôle portant sur l’exercice de ces deux types de compétences.

Article 4 - Compétences propres

L'expression "compétences propres" provient de la définition qui est donnée par les dispositions transitoires de la Charte du Congrès des Pouvoirs locaux et régionaux de l'Europe et qui précise que le fait de posséder des “ compétences propres ” est une condition constitutive de l'existence d'une "collectivité régionale".

Le paragraphe 1 souligne le principe selon lequel les régions ne peuvent détenir de compétences propres d'aucune autre autorité que la Constitution, la loi, leur propre statut ou le cas échéant le droit international. Les compétences propres ne peuvent par contre en aucun cas avoir leur source au sein d’un autre niveau d'administration ; l'origine des compétences propres ne peut ainsi être de type administratif.

La mention, parallèlement à la définition de compétences, de leur reconnaissance, permet de tenir compte de situations dans lesquelles l’origine des compétences serait d’une autre source (par exemple coutumière ou originaire) ; auquel cas cependant, dans le respect des principes de l’état de droit et de la sécurité juridique, il est néanmoins souhaitable que ces compétences soient mentionnées, et donc reconnues, par l’une des sources formelles identifiées dans ce paragraphe.

Paragraphe 2: Ce paragraphe reprend, mutatis mutandis, l'article 4, par. 4 de la Charte européenne de l'autonomie locale. La formulation retenue dans le présent paragraphe exclut la mise en cause des compétences propres des régions par un exécutif ou une autorité administrative, puisque seuls le législateur national et le constituant sont les autorités qui pourront agir sur la Constitution ou la loi. Il s'agit là d'un niveau relativement élevé de protection de l'autonomie régionale.

Paragraphe 3: Le pouvoir de décision des régions dans leurs domaines de compétences propres peut aller jusqu'à inclure un véritable pouvoir législatif. Dans les Etats qui ne reconnaissent pas un tel pouvoir aux régions, l’exigence que les régions possèdent un véritable "pouvoir de décision", implique nécessairement que ce pouvoir soit plus large qu'un simple pouvoir d'exécution. De plus, la deuxième phrase signifie d’une part que les compétences propres des régions doivent couvrir des domaines politiquement significatifs, et d’autre part que leurs pouvoirs, quelles que soient les formes de leur exercice, doivent permettre aux organes régionaux de développer une véritable "politique propre à chaque région".

Paragraphe 4: Ce paragraphe pose le principe de la mise en œuvre des compétences étatiques par le biais d’une compétence d’exécution dévolue aux régions, plutôt que par le développement d’une administration déconcentrée de l’Etat. Pareil principe est indissociable de la dynamique de l’émergence en Europe du principe d’autonomie régionale, et de la protection d’une telle autonomie dans l’architecture institutionnelle de l’Europe, conformément au principe de subsidiarité.

Bien qu’il ne s’agisse pas de la mise en œuvre de compétences propres des régions, mais bien de la mise en œuvre de compétences étatiques ou européennes par les organes régionaux, le principe général de la compétence d’exécution régionale est bien une compétence propre des régions. Il faut cependant souligner que l’étendue des règles de contrôle applicables à ces compétences d’exécution s’apparente, comme le prévoit explicitement l’article 19 paragraphe 3, à celles relatives aux compétences déléguées.

Article 5 - Compétences déléguées

Des études menées au sein du Conseil de l'Europe sur la "définition et limites du principe de subsidiarité" constatent en Europe une tendance à l'administration déléguée qui se développe parallèlement au processus d'autonomisation du niveau infra-étatique. En conséquence, une disposition régissant ce type particulier d'attribution de compétences, dont les conditions d'exercice peuvent être plus limitées que celles des compétences propres, a sa place dans ce projet de Charte.

Paragraphe 1: Ce paragraphe pose le principe selon lequel des délégations de compétences sont possibles entre différents niveaux de gouvernement. En fonction des besoins particuliers à chaque Etat et selon les traditions existantes, la délégation est possible tant d’une autorité plus vaste (de l’Etat vers la région) que d’une ou plusieurs autorités plus petites (des communes vers la région). Il est cependant admissible que la loi pose des restrictions à ce principe, que ce soit sur les domaines dans lesquels peuvent être déléguées des compétences, ou par rapport aux modalités de délégation.

Paragraphe 2 : Ce paragraphe s’intéresse à l’acte de délégation ; il pose deux conditions principales. Premièrement, il exige la clarté dans la définition de l'acte de délégation de compétences ; cette règle devrait permettre de tenir compte tant de l'intérêt de l'autorité qui délègue une compétence que de celui de celle qui s'en voit confier l'exercice par délégation. En effet, en cas de différend dans le cadre de la mise en oeuvre d'une telle compétence, c'est l'acte de délégation de compétence qui sera la principale référence pour déterminer les droits et les obligations de chacune des parties.

Deuxièmement, la délégation d’une compétence doit prendre en compte les moyens matériels et financiers nécessaires à une mise en oeuvre effective de la compétence. Cette exigence vise tant à protéger les régions, afin qu’elles ne se voient pas déléguer des compétences pour lesquelles elles ne possèdent pas les moyens suffisants pour une mise en œuvre satisfaisante, que les citoyens, pour lesquels le mode d’exercice ou le changement de collectivité en charge de la mise en oeuvre d’une compétence ne doit jamais se traduire par une diminution de la qualité de prestation dans les services fournis par les autorités publiques. La prise en compte par l’acte de délégation n’exige cependant pas nécessairement un transfert de ressources, si l’acte de délégation montre que même sans transfert de ressources, la compétence sera effectivement exercée, sans charge excessive pour la région.

Paragraphe 3 : Bien que certaines exigences relatives à la précision de l’acte de délégation soient formulées au paragraphe précédent, il ne doit cependant pas en résulter une impossibilité pour les régions d’adapter l’exercice des compétences déléguées à la réalité régionale, sous peine de vider de tout sens le principe même de la délégation de compétence, et de ne plus permettre de bénéficier des avantages de la mise en œuvre par les régions plutôt que par une administration déconcentrée de l’Etat.

En effet, cette liberté d'adapter l’exercice des compétences est importante dans le respect du principe de subsidiarité. S'il y a un intérêt à ce que l'action de l'Etat ait dans l'ensemble de son territoire une certaine uniformité, la philosophie sous-jacente au régionalisme est que ce pouvoir de l'Etat doit aussi pouvoir être adapté selon les préférences et les conditions propres à chaque région. Aussi, la délégation de compétence implique que l'Etat admette l'inclusion d'une certaine diversité dans la manière dont seront mises en oeuvre certaines de ces compétences. La Charte européenne de l'autonomie locale contient une disposition de portée similaire en son article 4 paragraphe 5.

3. DOMAINES DE COMPÉTENCES

Quatre domaines de compétences distincts ont été retenus par le Groupe de Travail. Tout d'abord le domaine des "affaires régionales", y incluses les relations avec les collectivités locales ; ensuite celui des "relations inter-régionales et transfrontalières", puis celui de la "participation aux affaires de l'Etat" et enfin celui de la "participation aux affaires internationales et européennes".

La diversité des structures institutionnelles des Etats européens et les variations dans les principes de partage traditionnel des compétences ne permettent pas à la Charte de définir précisément ces domaines de compétences régionales. Par contre, les articles de cette section posent les principes de base selon lesquels chaque droit national définit les compétences relevant de chacun de ces domaines.

Article 6 - Affaires régionales

A la suite de la doctrine française, la notion "d'affaires locales" a été développée et se trouve aujourd’hui reconnue en Europe. Il paraît ainsi possible d’appliquer mutatis mutandis l'expression aux régions et de traiter des “ affaires régionales ”.

Paragraphe 1: Ce premier paragraphe pose le principe des affaires régionales. La Recommandation du Comité des Ministres sur la mise en oeuvre du principe de subsidiarité" (No R (95) 19) recommande aux Etats membres: "de spécifier dans les lois pertinentes, pour chaque niveau de collectivités territoriales, un ensemble de compétences propres, s'ajoutant éventuellement à une clause de compétence générale." Il apparaît donc clairement que la définition des compétences propres ne peut revenir à un traité international mais reste dans le domaine de chaque législation nationale. Afin de tenir compte de cette recommandation, cet article définissant les affaires régionales ne procède pas à une énumération de compétences, mais opère un renvoi au droit national.

Par contre, cet article définit le principe de la compétence générale des régions. Sur ce point, le texte reprend pour l'essentiel la formulation de l'article 4 par. 2 de la Charte européenne de l'autonomie locale prévoyant que "les collectivités locales ont, dans le cadre de la loi, toute latitude pour exercer leur initiative pour toute question qui n'est pas exclue de leur compétence ou attribuée à une autre autorité". Pour ce qui concerne les régions, cette compétence de type général est limitée à "toute question d'intérêt régional qui n'est pas exclue de leurs compétences ou attribuée à une autre autorité". La pratique montre que la notion d’intérêt régional couvre les questions liées au développement économique, à l’aménagement du territoire, à la gestion des services de santé, d’éducation, etc. En sont par contre clairement exclues toutes les questions se rapportant à la défense ou à la sécurité nationale au sens large, ainsi que, conformément aux différentes traditions nationales, un certain nombre de pouvoirs régaliens expressément réservé à l’Etat par chaque ordre juridique national.

Paragraphe 2: La légitimité de l'exercice d'une compétence par une région sur la base de sa compétence générale pourrait être contestée si l'une des conditions posées dans ce paragraphe n’était pas satisfaite. Dans les faits, les critères énumérés dans ce paragraphe devront être évalués par l'autorité qui exerce la compétence.

"L'intérêt des citoyens" doit être compris au sens large et inclure autant l'intérêt direct d'un citoyen à ce qu'une tâche particulière soit exécutée, que par exemple son intérêt économique à ce que les dépenses publiques de la région restent maîtrisées.

Pour ce qui est du "principe de subsidiarité" il paraît opportun de demander aux régions, qui invoquent si souvent ce principe, de l'utiliser également lorsqu'il s'agit de délimiter leurs propres compétences. Les critères posés dans la Recommandation n° R (95) 19 sur la mise en oeuvre du principe de subsidiarité pourront être utilisés pour cerner les limites de ce principe.

La formulation qui se réfère à la "solidarité" empêche notamment que des régions plus riches au sein d'un Etat où les disparités régionales sont importantes, revendiquent une exclusivité dans l'utilisation de certaines ressources qui sont nécessaires à l'ensemble de la population nationale. Cependant, les exigences de la solidarité nationale et européenne, pour réelles qu'elles soient, n'en doivent pas moins rester dans les limites du raisonnable et ne peuvent pas tendre à un nivellement des niveaux de vie.

Article 7 - Relations avec les collectivités locales

Un développement accru de l'autonomie régionale ne peut constituer un risque ou une limitation additionnelle pour l'autonomie locale ; au contraire, le développement de ces deux formes d’autonomie territoriale doit être conduit parallèlement, comme le précisent les paragraphes 5, 6 et 8 du préambule.

Paragraphe 1 : L'inclusion d'une référence à la Charte européenne de l'autonomie locale dans cet article permet, dans les Etats au sein desquels les régions disposent d’une responsabilité dans la mise en œuvre de l’autonomie locale, aux régions de s'engager, d'une manière générale dans l'exercice de leur propre autonomie, à garantir et protéger l'autonomie locale telle qu'elle est définie dans la Charte européenne de l'autonomie locale. Elles s’efforceront notamment de respecter le principe de consultation de ces collectivités locales, tel qu’il est défini à l’article 4 paragraphe 6 de la Charte européenne de l’autonomie locale.

Paragraphe 2: Ce paragraphe contient une nouvelle référence au principe de subsidiarité, dans le domaine particulier des relations entre les régions et les collectivités locales.

Paragraphe 3 : Dans la logique du principe de subsidiarité, les régions sont autorisées à déléguer certaines de leurs compétences aux collectivités locales. La loi peut cependant limiter cette faculté de délégation.

Paragraphe 4 : Ce paragraphe vise les régions qui ont un rôle à jouer dans la péréquation entre les communes, soit qu'elles possèdent la compétence d'édicter des normes en matière de fiscalité communale, soit qu'elles participent d'une manière ou d'une autre au processus de transferts financiers entre l'Etat et les collectivités locales. Dans tous les cas de figure, les régions doivent "assurer une certaine mesure de péréquation", ce qui laisse une large place à l'interprétation de la portée de cette obligation.

Article 8 - Relations inter-régionales et transfrontalières

Cette terminologie reprend d’une part celle qui avait été proposée par le rapporteur du CPLRE pour l'Avant-projet de Convention sur la coopération inter-régionale inclus dans la Résolution 248 (1993) de la CPLRE sous le titre d' “ Avant-projet de Convention sur la coopération inter-territoriale ” ; dans la mesure où la présente Charte vise les régions seules, la terminologie d'inter-régionale paraît appropriée. D’autre part, la terminologie de “ relations transfrontalières ” découle de la Convention-cadre européenne sur la coopération transfrontalière des collectivités ou autorités territoriales.

Ainsi par “ relations inter-régionales ” il faut entendre :

-d’une part, toute activité qui n’entraîne aucune modification directe de la situation juridique de la région, de son Etat ou des habitants de l’Etat;

-d'autre part, des actes ou accords de coopération ou d'association avec d'autres régions ou collectivités locales pour la réalisation d'objectifs d'intérêt commun, dans la mesure où de tels accords ne sont pas régis par le droit international public général.

Par “ relations transfrontalières ”, il faut entendre les activités visées par la Convention-cadre européenne sur la coopération transfrontalière des collectivités ou autorités territoriales et son Protocole additionnel. Soulignons que cette Convention-cadre ne fait aucune distinction entre les frontières terrestres ou maritimes, et que la présente disposition n’entend non plus pas distinguer entre ces deux types de frontières.

Soulignons d’autre part que dans le cadre de la coopération transfrontalière, les régions peuvent développer des activités prenant en considération les intérêts de communautés nationales, linguistiques ou culturelles vivant dans des régions transfrontalières, comme l’indiquent notamment l’article 14 de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (Série des traités européens N° 148) et l’article 18 paragraphe 2 de la Convention cadre pour le protection des minorités nationales (Série des traités européens N° 157).

Paragraphe 1 : Cette disposition n'attribue pas une compétence nouvelle aux régions pour entreprendre des relations inter-régionales ou transfrontalières, mais reconnaît que la capacité des régions d'entreprendre de telles relations dans les domaines de leurs compétences propres constitue un des modes d’exercice commun de ces compétences dans une Europe au sein de laquelle l’intégration et le maillage territorial sont des réalités.

Le paragraphe 2 est novateur. Il rejoint la volonté exprimée dans le Livre blanc de l'Assemblée des régions d'Europe (1993) de considérer "la vision d'ensemble - sociale, économique, culturelle, etc. - d'une véritable région transfrontalière, c'est-à-dire une région qui a une existence réelle propre, bien que traversée par des limites de territoires nationaux" (p. 72-73). Comme son intitulé le révèle, cette proposition ne concerne que les relations transfrontalières, c'est-à-dire situées dans un clair rapport de voisinage. Par contre, les frontières communes peuvent être tant terrestres que maritimes.

La constitution d'organes communs pour de telles régions transfrontalières est une solution qui est envisagée par le Protocole additionnel à la Convention-cadre européenne sur la coopération transfrontalière des collectivités ou autorités territoriales en ses articles 3 et 5. Les normes conventionnelles existant en la matière sont donc notamment celles de ce Protocole additionnel. Un certain nombre d’accords bi- ou multilatéraux relatifs à la coopération transfrontalière existent également entre certain Etats européens voisins ; dans la mesure où ceux-ci prévoient des normes applicables à ce type d’organes communs, ce paragraphe y renvoie également.

Paragraphe 3 : Ce paragraphe renvoie, pour la question des règles qui régiront les relations inter-régionales ou transfrontalières, "aux accords internationaux portant sur la matière". Une formulation aussi générale est rendue nécessaire, sous peine d'une énumération fastidieuse, par la diversité des traités internationaux qui traitent, de manière principale ou incidente, de ces questions (plusieurs de ces accords sont mentionnés ci-dessus dans le commentaire de cet article). Il faut bien sûr en premier lieu envisager les instruments juridiques conclus dans le cadre du Conseil de l'Europe, et notamment la Convention-cadre européenne sur la coopération transfrontalière des collectivités ou autorités territoriales, complétée par un Protocole additionnel qui développe et précise ses modalités d’application.

Il existe également de nombreux autres types de traités plus généraux, qui n'abordent que de manière incidente les règles relatives à la coopération inter-régionale ou transfrontalière. Ainsi en est-il de certains traités de voisinage, de traités d'amitié et de coopération, ou de traités relatifs aux droits des minorités nationales. Les dispositions de ces traités, dans la mesure où elles sont applicables aux relations inter-régionales ou transfrontalières sont également couvertes par ce renvoi. Enfin, cette formulation, interprétée largement, devrait permettre de couvrir des dispositions issues du droit communautaire.

Article 9 - Participation aux affaires de l'Etat

L'imbrication toujours croissante des différents niveaux de gouvernement dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques au sein des Etats européens contemporains conduit à considérer l'existence de mécanismes de coopération entre les différents niveaux de pouvoir, qui soient adaptés aux traditions juridiques de chaque Etat. Il est cependant, compte tenu de la diversité des pratiques existantes en la matière, particulièrement délicat d'envisager sur ce point une solution uniforme pour tous les Etats européens, d’où la flexibilité des solutions envisagées par cet article.

Le premier paragraphe pose en des termes relativement peu contraignants le principe et les conditions générales d’une participation des régions aux affaires de l’Etat. Ainsi le droit qui est envisagé dans ce paragraphe est limité aux cas où "des règles adoptées au niveau de l'Etat peuvent modifier la portée de l'autonomie régionale ou concerner les intérêts des régions" ; il ne s'agit donc pas d'un droit inconditionnel.

Paragraphe 2: Ce paragraphe ne propose que des formules, alternatives, de mise en oeuvre du principe énoncé au premier paragraphe, prenant en considération la diversité des réalités institutionnelles et des traditions juridiques des Etats membres du Conseil de l'Europe.

La première formule couvre des situations relativement diverses mais assez répandues dans la pratique.

La procédure de consultation individuelle de chaque région est probablement la formule la plus souple. Il n'est pas même exigé que cette consultation se fasse selon une procédure formelle, ce qui laisse une grande latitude aux Etats qui le souhaiteraient, de satisfaire le droit accordé aux régions par le paragraphe premier de cet article d'une manière peu contraignante. Il existe d’ailleurs des Etats au sein desquels des procédures de consultation peu formalisées entre le gouvernement national et les gouvernements régionaux sont régulièrement utilisées avec des résultats probants.

Le dernier mode de participation vise deux situations distinctes. Le premier cas, celui où les régions sont représentées par le biais d'une association qui défend leurs intérêts dans des négociations avec le gouvernement national. L'autre cas de figure est la constitution, généralement par un accord entre le gouvernement central et les gouvernements régionaux, de "conférences" au sein desquelles sont régulièrement discutées des questions d'intérêt commun à l'Etat et aux régions. Ces deux possibilités permettent la consultation de toutes les régions simultanément.

Non seulement ces modes de participation ne sont pas exclusifs l’un de l’autre, mais de plus ils n’excluent pas non plus d’autres formules particulières au sein de certains Etats, comme par exemple l’existence d’une possibilité d’initiative législative pour les régions.

Article 10 - Participation aux affaires européennes et internationales

L'imbrication toujours plus importante des niveaux de pouvoirs et des compétences, les transferts non négligeables de compétences traditionnellement exercées par des régions vers les instances communautaires font qu'aujourd'hui les régions considèrent qu'il est de leur droit d'être associées aux affaires européennes.

Trois cas de figure sont distingués. D'une part la participation directe aux institutions européennes, "au sein des organismes conçus à cet effet" (paragraphe 1) ; d'autre part le droit des régions d'être consultées (ou associées) lors de la négociation de traités ou d’actes qui peuvent affecter directement leurs compétences (paragraphes 2 et 3). Enfin, la possibilité pour les régions d’entreprendre des interventions directes, par le biais d’un bureau de représentation, notamment auprès des instances européennes ou d’autres collectivités régionales ou locales (paragraphe 4).

Paragraphe 1: Cet article reconnaît le droit pour les régions de participer ou d’être représentées aux organismes qui sont, dans les organisations européennes, conçus à cette fin. En l'état actuel des institutions européennes, il s'agit de la Chambre des Régions du C.P.L.R.E. et du Comité des Régions de l'Union européenne. Cependant, la formulation générale de ce paragraphe n'exclut pas que cet article puisse concerner d'autres organismes, si ceux-ci venaient à être créés.

Cette disposition ne constitue pas un droit inconditionnel pour chaque région à participer ou à être représentée directement au sein de chaque organisme au niveau européen ; le cas échéant, il est souhaitable que soient prévues, à l’échelon national, des procédures ou une structure spécifique, qui garantisse la meilleure représentation des intérêts de toutes les régions.

Paragraphes 2 et 3: Dans la mesure où sur la scène internationale et plus encore européenne, il arrive que les engagements pris par l’Etat aient des conséquences directes sur les compétences des régions telles qu'elles sont définies ou reconnues par le droit interne, il paraît abusif que l’Etat invoque l'exclusivité de ses compétences en matière de relations internationales et il est légitime que les régions soient associées à ces négociations, dans la mesure où leurs résultats pourront les affecter directement. Cette exigence permet de s’assurer que les garanties qui existent en droit interne pour protéger l'autonomie régionale ne seront pas contournées dans le cadre particulier de négociations internationales ou européennes. Ce risque est, en raison des matières abordées et de la structure particulière du droit communautaire, particulièrement aigu dans les négociations européennes. Ceci étant, afin de ne pas paralyser la capacité des Etats à agir sur la scène internationale, il faut envisager des solutions pratiques à cette difficulté. Deux solutions distinctes sont envisagées.

Le paragraphe 2 prévoit que les régions ont un droit à être consultées, lorsque leurs compétences ou leurs intérêts fondamentaux peuvent être directement affectés par les négociations, ou lorsque la mise en oeuvre des règles issues de ces négociations peut leur incomber. Ce dernier point est particulièrement pertinent en droit européen. Une telle consultation ne saurait se limiter à une exigence purement formelle, et bien que la diversité des traditions des Etats européens ne permette pas dans le texte de la Charte de proposer une solution uniforme, le mode de consultation choisi doit permettre aux régions de pouvoir effectivement exprimer leur accord.

Le paragraphe 3 envisage le cas plus particulier dans lequel un Etat peut associer une ou plusieurs région(s) au processus de négociation, c’est-à-dire leur permettre de participer directement à ces négociations ; pareille solution est notamment intéressante si les intérêts d'une région en particulier sont affectés par un traité international.

Le paragraphe 4 vise à tenir compte d’une pratique d'une importance croissante de la part des régions, suivant laquelle celles-ci créent des représentations à l'étranger, notamment auprès des organes de la Communauté européenne, à Bruxelles, où plus de 100 représentations de ce type existent (voir sur ce point le rapport soumis à la CPLRE en 1992 par J.R. Guevara, portant sur les relations extérieures des collectivités territoriales, notamment p.10). L'avant-projet de Convention sur la coopération inter-territoriale des collectivités ou autorités territoriales prévoit une disposition similaire sur cette question, dont le présent article s’inspire pour l’essentiel.

4. ORGANISATION INSTITUTIONNELLE DES REGIONS

Article 11 - Principe d'auto-organisation régionale

Cette disposition tient compte d'un des principes de base du fédéralisme qui est le droit d'auto-organisation des entités fédérées, en reconnaissant cette possibilité aux régions, de manière plus ou moins limitée, selon le droit interne de chaque Etat signataire. Un minimum est néanmoins prévu, à savoir le droit incompressible pour les régions de compléter les dispositions statutaires qui les concernent sans qu’elles puissent contredire les règles que le pouvoir peut leur imposer via la constitution ou des lois adoptées dans le respect du § 3 de l’article 2 de la présente charte.

Article 12 - Organes de la région

Ces dispositions, qui n'appellent que peu de commentaires particuliers, s’inspirent directement dans leur rédaction des dispositions équivalentes de la Charte européenne de l'autonomie locale. Il importe de préciser que le § 1er n’empêche nullement qu’un membre de l’assemblée soit en tant que tel chargé d’assumer la fonction d’exécutif régional.

On remarquera particulièrement qu'on a explicité au paragraphe 5 l'esprit animant la Charte européenne de l’autonomie locale pour ce qui concerne les contrôles portant directement sur les personnes. Il est en effet précisé que ces formes de contrôle assez particulier exercé par le pouvoir central (suspension, destitution, lesquelles sont parfois qualifiées de “ procédures de surveillance ” pour la raison qu'elles portent directement sur les personnes plutôt que sur les normes régionales), ne peuvent porter atteinte au libre exercice des fonctions des personnes composant les organes régionaux sauf “ dans le cadre d’une procédure judiciaire ”. Cette dernière notion qui devra être interprétée à la lumière du droit interne de chaque Etat, renvoie à une procédure mise en œuvre par un organe relevant du pouvoir judiciaire (par exemple une instruction pénale) , comme le ministère public ou un juge d’instruction.

Article 13 - Administration régionale

Cette disposition régit les moyens administratifs dont les régions doivent disposer pour la mise en oeuvre des compétences qui leur sont confiées. La notion de patrimoine employée au paragraphe premier recouvre toute forme de propriété des régions, en ce compris les immeubles. Il est prévu que les régions disposent de leur propre administration et de leur propre personnel. On leur reconnaît également le droit de créer des personnes morales de droit public auxquelles elles peuvent confier certaines missions, de même que de s’associer avec des personnes morales de droit privé.

Pour ce qui concerne le statut du personnel régional, il est proposé d'adopter une position médiane entre les deux points de vue extrêmes consistant soit à attribuer, soit à refuser toute compétence aux régions en la matière, en leur reconnaissant ladite compétence dans la limite des principes généraux que le pouvoir central peut, s'il le juge utile, arrêter sous le contrôle du juge. Il doit être entendu que cette disposition ne porte pas préjudice à la situation des personnels qui seraient engagés dans des liens de droit privé (par exemple un contrat de travail).

5. FINANCES REGIONALES

Article 14 - Principes

Cette importante disposition définit un certain nombre de principes destinés à assurer l’autonomie financière des régions.

De manière générale, il est prévu aux §§ 1 et 2 que les régions doivent bénéficier de moyens financiers proportionnés à leurs compétences de manière à leur permettre de mener une politique propre. Ces moyens financiers doivent suivre l’évolution des coûts ainsi que le développement général de l’économie (par exemple être liés à l’augmentation du produit intérieur brut).

Le paragraphe 3 pose comme principe que les régions doivent disposer pour la mise en œuvre de leurs compétences propres de ressources propres, c’est-à-dire de ressources qu’elles peuvent se procurer elles-mêmes. La libre disposition par les régions de leurs ressources financières évoquée à la fin de ce paragraphe est précisée au § 5 pour ce qui concerne les sommes transférées par d’autres niveaux de pouvoir aux régions et qui ne peuvent pas faire l’objet d’affectations imposées aux autorités régionales. Il est prévu au § 5 que les transferts vers les régions, ainsi que les éventuelles règles de partage des impôts entre les régions, doivent être établis sur des bases objectives.

Le paragraphe 4 exige, au nom de la solidarité, qu’une péréquation financière soit mise en œuvre entre les différentes régions dans le but de rapprocher le niveau de vie des citoyens dans l’Etat. Ce mécanisme doit prendre en compte tant la richesse potentielle des différentes régions que les charges spécifiques pouvant peser sur certaines d’entre elles.

Le paragraphe 5 reconnaît le droit des régions de recourir au marché des capitaux pour financer leurs dépenses d’investissement tout en posant diverses limites à cet égard de manière à éviter un endettement excessif de certaines régions. Il est notamment permis au pouvoir central de limiter les emprunts régionaux. Il est également précisé au paragraphe 6 que l’obligation de suivre certaines règles budgétaires ou comptables ne constitue pas une atteinte à l’autonomie régionale pour autant que celles-ci soient prévues par le législateur national.

Article 15 - Ressources propres

Cette disposition précise l’idée des ressources propres figurant à l’article précédent. Elle reconnaît aux régions le pouvoir de lever l’impôt tout en enserrant celui-ci dans des limites que peut fixer le pouvoir constituant ou le pouvoir législatif.

Il est expressément indiqué que les parts régionales d’impôts partagés levés par le pouvoir central sont prises en compte au titre de ressources propres pour autant que les régions soient, sans préjudice de l’article 10, à tout le moins consultées sur les règles présidant à la définition d ces impôts. Il est enfin précisé que la gestion des impôts régionaux peut ne pas dépendre de la région pour autant que cela n’ait pas d’incidence sur la disposition des fonds.
C. PROTECTION DE L'AUTONOMIE REGIONALE

Article 16 - Protection des limites territoriales des régions

Cette disposition renforce les exigences prévues par la Charte européenne de l'autonomie locale à cet égard. Celle-ci impose uniquement que les collectivités concernées soient préalablement consultées, alors que le § 1er du texte exige de recueillir l'assentiment préalable des régions concernées.

Il a cependant paru opportun au § 2 d’assouplir l’exigence du § 1er pour ce qui concerne le cas où un Etat envisagerait de redessiner l’ensemble des limites territoriales de ses régions afin d’éviter qu’un tel processus puisse être véritablement bloqué par l’opposition d’une seule région.

Article 17 - Droit des régions d'ester en justice

Cette disposition exige que les régions se voient reconnaître la possibilité de recourir aux juridictions qui sont compétentes dans leur Etat pour trancher les litiges que leur existence ou leur activité peut susciter, tout particulièrement pour ce qui concerne la protection de leur autonomie. On songe évidemment à la possibilité pour les régions de contester la mise en oeuvre des procédures de contrôle sur les normes qu'elles adoptent. On rappellera que la charte exige dans une disposition spécifique que les conflits de compétence soient réglés par la voie juridictionnelle. Il est à noter que la disposition en question suppose que les dispositions de la charte elle-même puissent être invoquées devant les juridictions compétentes des Etats qui l'ont ratifiée.

Article 18 - Conflits de compétences

Il importe de ne pas confondre conflit de normes et conflit de compétences. Les conflits de normes (cas où chaque niveau de gouvernement a pris, dans un de ses domaines de compétences, une ou des normes dont la teneur ou les effets se révèlent contradictoires avec une norme supérieure) sont régis par l'article suivant. Le cas visé dans la présente disposition concerne la situation où les compétences attribuées à différents niveaux de gouvernement (local, régional, national) se recoupent partiellement et où l’une de ces autorités conteste la compétence d’une autre. Cet article peut s'appliquer aussi bien lorsqu'un conflit de compétences existe entre le niveau régional et l'Etat, que lorsqu'un conflit de compétences existe entre le niveau régional et le niveau local.

L'exigence de l'existence d'une instance de type juridictionnel pour garantir l'autonomie régionale a été jugée fondamentale. Au regard de la diversité des formules mises en œuvre dans les Etats européens, cette disposition ne précise pas quel type de juridiction doit trancher pareil conflit de compétence, la garantie de l'intervention d'une juridiction ayant paraissant suffisante.

Paragraphe 2: Dans la première phrase, le principe est posé selon lequel c'est la Constitution ou les lois du pays qui permettent de trancher pareils conflits. En cas de silence ou d'ambiguïté de l'ordre juridique, l'instance juridictionnelle ne pourra pas rendre décision sans avoir examiné le principe de subsidiarité. Ceci signifie que, et c'est une importante nouveauté dans la prise en compte de ce principe, qu'il n'est plus uniquement exigé des organes législatif ou exécutif d'appliquer la subsidiarité dans le processus de partage des compétences, mais qu'il est également demandé aux tribunaux d'appliquer ce principe. Sans ajouter à la substance ou la valeur juridique d’un tel principe, pareille disposition lui donne une portée nouvelle.

Article 19 - Contrôle sur les actes régionaux

Il importe de relever d'emblée que cette disposition régissant le contrôle qui peut être exercé sur les actes adoptés par les régions (sans faire de distinction entre le fait que ceux-ci émanent de l'assemblée ou de l'organe exécutif) ne recouvre pas les conflits de compétences, c'est-à-dire les cas où le débat juridique porte sur la question de savoir si un pouvoir est ou non restée dans les limites de ses compétences. Ce dernier point fait en effet l'objet de l’article 19 qui institue dans ce but un mécanisme de nature juridictionnelle. La question de l'identité et la nature de l'organe de contrôle n'a pas été tranchée. La charte renvoie sur ce point au droit interne de chaque Etat signataire qui peut prévoir que cette mission incombe soit à un organe administratif, soit à un organe juridictionnel, soit organiser un système intermédiaire faisant intervenir des organes à la fois administratif et juridictionnel selon les différents stades de la procédure.

La question de l'étendue du contrôle a par contre été tranchée en faveur de la limitation de cette procédure à des questions de légalité (au sens large de cette expression, ce qui inclut notamment la constitutionnalité), sauf pour le cas de la compétence d’exécution des régions visée à l’article 4, §4 et l'exercice par les régions de compétences déléguées par d’autres niveaux de pouvoir. De même, le type de contrôle qui peut trouver à s’exercer sur les régions a été précisé de manière à exclure les contrôles a priori, c’est-à-dire toute forme de contrôle empêchant une région de procéder à l’exécution de la décision en cause avant qu’il soit exercé et qu’on désigne souvent par le terme d’approbation. Le texte admet cependant l’existence de contrôles à priori pour les cas où les régions sont appelées à définir elle-même leur statut organique.

PARTIE II

Article 20 - Engagements et réserves

Cet article permet de distinguer deux degrés d'engagements pour la mise en oeuvre du principe de l'autonomie régionale par les Etats membres du Conseil de l'Europe.

Paragraphe 1: Le principe est que les Etats acceptent la Charte dans son ensemble. Cette exigence correspond au souhait exprimé par le Groupe de Travail de concevoir un texte qui permette de prendre en compte la diversité des formes d'autonomie régionale dans les Etats membres du Conseil de l'Europe, sans pour autant affaiblir la portée des principes sur lesquels celle-ci se fonde.

Paragraphe 2: Pour un certain nombre de dispositions qui impliquent un stade avancé d'autonomie régionale, il est admis que des Etats au sein desquels le système n'a pas atteint ce degré d'évolution puissent formuler des réserves. Celles-ci feront alors l’objet d’une évaluation périodique, portant sur l’opportunité de les maintenir ; cette évaluation devra se faire conformément au principe énoncé à l’article 23 paragraphe 2. Cette procédure permet ainsi de tenir compte du caractère dynamique de l’autonomie régionale.

Paragraphe 5 : Si un Etat qui a formulé des réserves conformément au paragraphe 2 de cet article notifie au Secrétaire général du Conseil de l’Europe la levée d’une ou de plusieurs de ces réserves, cette notification prend effet conformément aux dispositions de l’article 28 paragraphe 3.

Article 21 - Interprétation de la Charte

Cette disposition, dont le libellé est inspiré de l’article 60 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des Libertés fondamentales (Série des traités européens, N° 5), trouve sa place dans le présent traité dans la mesure où, comme cela a été souligné, la diversité des situations institutionnelles nationales peut conduire à ce que certaines solutions prévues par le droit national offrent une garantie plus étendue que les dispositions de la Charte. Ainsi en est-il par exemple dans certains Etats de “ régions à statut spécial ” ; le texte de la présente Charte ne peut être interprété aux fins de réduire l’autonomie particulière dont jouissent ces régions en raison de leur statut. Cet article pose ainsi un principe général d’interprétation pour cette charte.

D’autre part, cette garantie additionnelle ne porte pas que sur l’autonomie régionale, mais concerne toute “ autonomie plus largement reconnue à des collectivités territoriales ”. Elle couvre donc également l’autonomie locale, au cas exceptionnel où une disposition de la présente Charte pourrait dans les faits restreindre l’autonomie de collectivités locales, crainte qui a souvent été exprimée par les représentants des collectivités locales.

Article 22 - Contrôle de l’application de la Charte

Cette disposition comble une lacune de la Charte européenne de l’autonomie locale en prévoyant un mécanisme de contrôle afin de veiller à ce que la présente Charte soit effectivement appliquée.

Cette tâche est confiée au Comité des Ministres, mais il est prévu que le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l’Europe et l’Assemblée Parlementaire interviennent par voie d’avis au cours de la procédure. Le mécanisme retenu est basé sur la rédaction de rapports périodiques portant sur l’application de la Charte dans les pays qui l’ont ratifiée.

Les Etats qui ont formulé des réserves doivent dans chaque rapport périodique consacrer une attention particulière aux situations visées par ces réserves.

Article 23 - Engagement des Etats dans un processus de régionalisation

Cette disposition propose une procédure novatrice, basée sur l'expérience accumulée en matière d'application de la Charte européenne de l'autonomie locale dans des processus de transition institutionnelle, comme en ont connu depuis 1989 les Etats d'Europe centrale et orientale.

Pour les Etats au sein desquels une véritable autonomie régionale n'existe pas encore, mais qui manifestent la volonté de s'engager dans un processus conduisant à l'existence de régions dotées d'une autonomie effective au sens de la présente Charte, il est prévu par cet article une forme particulière d'acceptation à être lié par le traité. Cette formule implique des obligations quelques peu différentes pour ce qui est des mécanismes de contrôle ; les spécificités de ces mécanismes sont précisées au paragraphe 2 de cet article.

Au terme d’un délai maximum de 10 ans, l’Etat qui a ratifié la Charte selon la procédure de l’article 23 doit notifier son engagement à respecter le traité aux conditions définies par le paragraphe 1 ou 2 de l’article 20. Les Etats qui acceptent par une obligation conventionnelle de respecter les principes de la présente Charte dans leur processus de régionalisation, doivent "en contrepartie" pouvoir bénéficier, via le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, d'une coopération privilégiée avec les Etats parties à la présente Charte, afin de profiter d'une expertise technique basée sur l'expérience pratique de l'autonomie régionale.

PARTIE III

Article 24 - Signature, ratification, entrée en vigueur

Il s'agit d'une disposition commune à tous les traités élaborés au sein du Conseil de l'Europe qui n'appelle aucun commentaire particulier.

Article 25 - Régions auxquelles s’applique la Charte

Cette disposition vise à permettre aux Etats parties de déterminer le champ d’application territorial de la présente Charte, en incluant ou en excluant explicitement certains types de régions. Les régions visées doivent être définies par le biais de catégories, de sorte que le champ d’application de la charte ne peut pas être délimité de manière arbitraire.

Les Etats qui ont fait -ou comptent faire avant l'entrée en vigueur de la présente Charte- usage de la possibilité offerte par l'article 13 de la Charte européenne de l'autonomie locale pour étendre le champ d'application de cette Charte à des collectivités régionales, veilleront, lors de la ratification de la présente Charte, à faire usage de l'article 25, afin d'éviter que les deux Chartes soient formellement applicables aux mêmes catégories de collectivités.

Le cas des villes-régions peut faire exception ; il est envisageable que les deux Chartes soient simultanément applicables dans ce cas particulier, pour tenir compte de la dualité de leurs statuts en droit interne.

Article 26 - Adhésion d'Etats non membres du Conseil de l'Europe

Certaines conventions élaborées au sein du Conseil de l'Europe sont ouvertes à la participation d'Etats non membres; d'autres ne le sont pas. Le Groupe de travail, se référant au rôle important qu'a joué la Charte européenne de l'autonomie locale dans le processus de transition des Etats d'Europe centrale et orientale après 1989, fréquemment avant même leur adhésion au Conseil de l'Europe, a souhaité que la présente Charte puisse être ouverte à la participation d'Etats qui ne sont pas membres du Conseil de l'Europe. De plus, la Conférence mondiale organisée sous l’égide des Nations Unies en juin 1996 à Istanbul, HABITAT II, a souligné la volonté de représentants originaires de plusieurs continents de pouvoir bénéficier de l’expérience accumulée en Europe en matière d’autonomie territoriale.

Article 27 - Dénonciation

Disposition traditionnellement incluse dans un traité international. En son absence, ce sont les règles de la Convention de Vienne sur le droit des traités (1969) qui s'appliqueraient. Les délais prévus au paragraphe premier sont identiques à ceux de la Charte européenne de l'autonomie locale.

Article 28 - Notifications

Disposition classique également. Seule originalité, le point g, qui prévoit que tous les rapports établis dans le cadre du mécanisme de contrôle de l'application de la Charte seront notifiés à tous les Etats membres du Conseil de l'Europe.