Strasbourg, le 22 octobre 2020
Systèmes judiciaires européens – Rapport d’évaluation de la CEPEJ
Cycle d’évaluation 2020 (données 2018)
Présentation du Rapport
La Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ) a été établie en septembre 2002 par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe et est aujourd’hui un organe unique composé d’experts qualifiés des 47 Etats membres du Conseil de l’Europe. Elle développe des outils et propose des mesures concrètes pour améliorer l’efficacité et la qualité du service public de la justice au bénéfice de ses usagers en :
- promouvant la mise en œuvre effective des instruments du Conseil de l’Europe en vigueur en matière d’organisation de la justice;
- veillant à ce que les politiques publiques en matière judiciaire tiennent compte des usagers de la justice;
- offrant aux Etats des solutions effectives en amont des recours devant la Cour européenne des droits de l’homme, en prévenant les violations de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et ainsi contribuer à désengorger la Cour.
Afin d’accomplir ces tâches, la CEPEJ a notamment entrepris depuis 2004 un processus régulier d’évaluation biennal des systèmes judiciaires des Etats membres du Conseil de l’Europe et de certains Etats observateurs.
Le Rapport d’évaluation 2020 de la CEPEJ sur les « Systèmes judiciaires européens » se base sur les données de 2018. 45 Etats membres du Conseil de l’Europe ainsi que trois Etats observateurs auprès de la CEPEJ, Israël, le Maroc et, pour la première fois, le Kazakhstan ont participé à ce huitième cycle biennal d’évaluation.
Cette édition reste fidèle au processus d’évaluation développé par la CEPEJ et à la méthodologie de collecte et de contrôle de qualité des données.
Toutefois, pour la première fois, le Rapport se compose de trois parties différentes et complémentaires :
- Une 1ère partie « tableaux, graphiques, analyses » qui présente, à partir des tableaux/graphiques statistiques, des analyses des tendances européennes sur une série de données et de thèmes choisis en fonction de leur importance pour les systèmes judiciaires (budgets, professionnels, organisation des tribunaux, usagers, TIC, efficacité et qualité).
o Cette partie présente à la fois un état des lieux des systèmes judiciaires tout en identifiant les tendances qui se dessinent en Europe. Afin d’en permettre une lecture plus interactive, chaque chapitre est construit autour de questions auxquelles les analyses présentées tentent de répondre. La tendance générale européenne est identifiée et les cas particuliers qui s’en éloignent sont soulignés.
o Afin de mieux répondre à l’actualité, le Rapport traite également de questions comme celle de l’impact de la justice électronique dans le cadre de la crise du Covid-19.
Cette 1ère partie met également en valeur certaines des bonnes pratiques développées dans les Etats membres afin que le Rapport soit aussi un vecteur d’échanges entre les Etats membres quant au fonctionnement des systèmes judiciaires.
- Une 2ème partie « Fiches pays » qui contient les données principales et indicateurs développés par la CEPEJ présentés de façon synthétique par pays.
o La CEPEJ répond ici à une forte attente des pays en matière de statistiques judiciaires. Ces fiches pays permettent aux utilisateurs de situer un pays dans une perspective européenne grâce aux données clés présentées par rapport à la médiane européenne.
o Outre des informations sur les ressources (humaines, financières), des informations concernant les salaires ou le recrutement et la promotion des juges et procureurs sont présentées. L’efficacité des différentes juridictions (civiles, pénales, administratives à tous les niveaux d’instance (1ère, 2ème, cour suprême) est analysée au travers des indicateurs de performance développés par la CEPEJ, le clearance rate (CR) (taux de variation de stock d’affaires pendantes) et le disposition time (DT) (mesure, en jours, de la durée d’écoulement du stock d’affaires pendantes). L’activité des Ministères publics est également mesurée.
o Afin de répondre aux questionnements actuels sur l’impact du développement des nouvelles technologies et l’utilisation qui pourrait en être faite dans les tribunaux, un indicateur du développement des TIC dans chaque système judiciaire, notamment au travers du taux de déploiement en fonction du type d’affaires (civiles, administratives, pénales) est également présenté dans ces fiches.
- Une 3ème partie « CEPEJ-STAT », la base de données dynamique de la CEPEJ qui contient l’ensemble des données qualitatives et quantitatives collectées par la CEPEJ depuis 2010 ainsi que les commentaires accompagnant chaque donnée.
o La base de données sera enrichie de l’ensemble des données 2018 collectées à partir du questionnaire d’évaluation de la CEPEJ, les données présentées dans la partie 1 et les autres données.
o Elle contient également différents tableaux de bord (synthèse des données, budget des systèmes judiciaires, nouvelles technologies, parité dans les tribunaux). Pour ce cycle, la CEPEJ a développé un nouveau tableau de bord concernant l’efficacité.
Tendances européennes
Budget
- Les pays dont le PIB par habitant est le plus élevé investissent plus par habitant dans les systèmes judiciaires, les pays moins riches allouent plus de budget en pourcentage du PIB, ce qui montre un effort budgétaire plus important en faveur de leurs systèmes judiciaires.
- Entre 2010 et 2018, les Etats membres et les entités ont légèrement augmenté le budget moyen alloué au système judiciaire. En 2018, tous les États et entités ont augmenté le budget alloué à leurs systèmes judiciaires (+ 8 %). L’augmentation la plus significative (entre 2016 et 2018), égale à 13 % en moyenne, a été enregistrée pour le budget des tribunaux et concerne en particulier les investissements dans les nouveaux bâtiments et l’informatisation.
- Les pays moins riches investissent proportionnellement plus dans les services des procureurs (32 % en moyenne), tandis que les États et les entités dont le PIB est plus élevé dépensent relativement plus pour l'aide judiciaire (19 % en moyenne).
- Le budget alloué aux tribunaux semble être lié non seulement à la richesse du pays, mais aussi au nombre de tribunaux. Ce qui peut apparaitre comme logique quand l’on sait que 65 % du budget des tribunaux est consacré aux salaires.
- Pour rationaliser les ressources budgétaires des tribunaux tout en renforçant la spécialisation et l’expertise, une tendance croissante à l’externalisation de certains services se confirme.
- D’une manière générale, tous les pays ont mis en place un système d’aide judiciaire en matière pénale et non pénale (représentation par un avocat ou conseils juridiques), conformément aux exigences de la Convention européenne des droits de l’Homme et à la jurisprudence de la Cour européenne qui préconise un régime approprié d’aide judiciaire pour garantir l’accès à la justice pour tous.
- Certains pays ont tendance à avoir une faible dépense en aide judiciaire par affaire et un nombre élevé d’affaires dans lesquelles une aide judiciaire est octroyée, tandis que d’autres choisissent de fournir un montant plus élevé pour un plus petit nombre d’affaires.
- Le nombre de juges professionnels reste globalement stable, 21 juges pour 100 000 habitants en moyenne mais des écarts importants sont constatés entre les Etats (de 3.1 pour l’Angleterre et Pays de Galles à 101,8 pour 100 000 habitants pour Monaco). Ces écarts s’expliquent en partie par la diversité des organisations juridictionnelles, le recours à des juges non-professionnels ou à des juges professionnels siégeant à titre occasionnel. L’évolution, d’année en année, ne s’est pas traduite par une harmonisation.
- Le nombre de procureurs a tendance à augmenter, en moyenne 12 procureurs pour 100 000 habitants (en 2018, le nombre varie de 2.2 en Irlande à 25.1 en Ukraine).
- 31 Etats membres sur 47 déclarent que les procureurs sont statutairement indépendants.
- Alors que le nombre de procureurs augmente, leur charge de travail diminue depuis 2010 de 4.2 à 3.1 affaires par 100 habitants.
- La tendance à la féminisation des juges et procureurs se confirme mais le plafond de verre reste une réalité : en 2018, il y avait, toutes instances confondues, 46 % d’hommes et 54 % de femmes juges mais 66 % d’hommes présidents de tribunaux contre 34 % de femmes présidentes; pour les procureurs: 48 % d’hommes et 52 % de femmes mais 64 % d’hommes contre 36 % de femmes chefs de ministères publics. De plus en plus d’Etats et d’entités semblent mettre l’accent sur des dispositions spécifiques en faveur de la parité femmes-hommes dans les procédures de recrutement et de promotion des juges et procureurs. Il convient d’encourager les mesures de promotion de la parité au sein des plus hautes fonctions judiciaires.
- En 2018, le ratio moyen du personnel non-juge par rapport aux juges professionnels est de 4 environ, ce chiffre est assez stable d’année en année, avec un minimum de 1 au Luxembourg et un maximum de 10 en Irlande du Nord (Royaume Uni). 16 Etats européens ont mis en place des Rechtspfleger.
- Les salaires des juges varient considérablement selon les Etats et les entités, mais aussi selon les instances. L’évolution des salaires au cours des dernières années n’a pas été uniforme et n’a donc pas conduit à une harmonisation dans le domaine. Le ratio entre les salaires des juges et le salaire moyen au niveau national montre d’importances disparités en Europe: de 0.9/1.6 en Allemagne (au début de la carrière/à la fin de la carrière) à 4.8/31.5 en Ukraine (au début de la carrière/à la fin de la carrière)
- D’importantes disparités persistent également concernant les salaires des procureurs. Le ratio entre les salaires des procureurs et le salaire moyen au niveau national montre d’importances disparités en Europe : de 0.8 en Irlande et 4.0 en Roumanie (au début de la carrière); 1.6 en Allemagne et 6.4 en Italie (à la fin de la carrière).
- Les salaires des procureurs sont en moyenne inférieurs à ceux des juges.
- Le nombre d’avocat continue également d’augmenter en Europe, 164 avocats pour 100 000 habitants en moyenne avec des écarts importants entre les Etats (en 2018, de 16 pour 100 000 habitants en Azerbaïdjan à 488 pour 100 000 habitants au Luxembourg). Cette augmentation constante entre 2010 et 2018 (27 %) s’explique notamment par la croissance économique.
- L’évolution récente de la situation donne à penser que la question de la parité femmes-hommes chez les avocats est prise en compte par un nombre d’Etats et d’entités de plus en plus important. La profession d’avocat reste toutefois majoritairement masculine à l’heure actuelle.
- Entre 2010 et 2018 on constate une réduction du nombre de tribunaux en Europe, qu’il s’agisse d’entités juridiques (-19 % en moyenne pour les tribunaux de première instance de droit commun) ou d’implantations géographiques (-10 % en moyenne).
- On constate également sur cette période une hausse de la spécialisation des juridictions (la part moyenne des juridictions spécialisées est passée de 21 % à 26,7 % de 210 à 2018).
- Les petites créances n’ont que très peu été affectées par les évolutions exposées ci-dessus. Seul a augmenté le montant moyen de ce qui constitue une petite créance (de 4 029 € en 2016 à 4 836 € en 2018).
Usagers
- De plus en plus d’États membres fournissent des informations spécifiques aux usagers, tant sur le système judiciaire en général que sur les procédures individuelles.
- Les États proposent de plus en plus d’informations et d’aménagements spécifiques aux catégories d’usagers vulnérables (possibilité de déposer des plaintes concernant le fonctionnement de la justice dans 43 Etats, mise en place des systèmes d’indemnisation (le montant moyen des indemnisations est de 6 353 € en 2018), enquêtes de satisfaction auprès des usagers, création de mécanismes de suivi pour les violations de la Convention européenne des droits de l’homme).
- Afin d’améliorer la responsabilité sociale et la confiance dans le système judiciaire, des ressources et du personnel supplémentaires devraient être affectés à une meilleure communication avec les usagers de la justice.
- L’analyse et l’utilisation des données, recueillies grâce à des recherches quantitatives et qualitatives sur la satisfaction des usagers, accroissent la légitimité des systèmes judiciaires et aident les chefs de juridiction et les administrations à assurer un meilleur service de justice, plus efficace.
Technologies de l’information et de la communication (TIC)
- L’informatique est devenue un élément constitutif de la prestation de services de justice. Les Etats ont concentré leurs efforts de façon prioritaire sur les outils de gestion des tribunaux et des affaires, plus que sur les outils de communication et d’aide à la décision. L’index global des TIC (gestion des tribunaux et des affaires, aide à la décision et communication avec les tribunaux) varie de 1.52 à Chypre à 9.79 en Lettonie.
- Les procédures des systèmes judiciaires européens passent de plus en plus du support papier au numérique. Ceci est vrai tant pour les activités menées en interne dans les tribunaux, que pour les communications entre les tribunaux et toutes les parties impliquées.
- Le cout économique de cette innovation doit être appréhendé avec précaution car le budget alloué aux TIC peut varier considérablement au cours des phases de développement, de déploiement et de maintenance.
- Les systèmes judiciaires disposant de ressources relativement plus importantes ont généralement tendance à investir un pourcentage plus élevé du budget des tribunaux dans les TIC.
- Les TIC font partie intégrante des systèmes judiciaires, cela se reflète dans les choix de réglementation et d’administration opérés par les États membres.
- Les États membres et entités ont développé des approches variées du leadership de l’administration des TIC: la plupart d’entre eux tendent à reconnaître une égale pertinence aux composantes technique et judiciaire, avec une légère prédominance de la composante judiciaire.
- A l’heure où, dans l’ensemble, les technologies de base sont pleinement déployées dans les États membres et entités, cette analyse s’est concentrée sur les outils de gestion des tribunaux et des affaires, les outils d’aide à la décision et les outils de communication entre les tribunaux, les professionnels et/ou les utilisateurs des tribunaux, révélant des niveaux de déploiement très élevés.
- Dans les domaines de l’aide à la décision, de la communication électronique et des procédures à distance notamment, il devient impératif de surveiller l’impact des outils utilisés sur les principes d’équité, d’impartialité et d’indépendance de la justice.
La justice dans le cadre de la crise du Covid-19
- Les TIC se sont révélées être des outils précieux voire indispensables à la poursuite du travail des systèmes judiciaires pendant la crise du COVID-19 en Europe.
- Dans de nombreux cas, leur utilisation a nécessité des modifications de la législation mais aussi des améliorations techniques, comme on a pu le constater dans les Etats membres et entités.
- Des inquiétudes se sont exprimées concernant l’utilisation de certains outils TIC dans les procédures judiciaires, mais il est encore trop tôt pour en évaluer l’impact réel sur les droits des parties.
- La CEPEJ, sur ces questions, a adopté le 10 juin 2020 une Déclaration sur les leçons et défis pour le système judiciaire pendant et après la pandémie du COVID-19.
- Les clearance rate donnent un bilan généralement positif (stable et proche de 100 %) et les conclusions peuvent être plus utilement tirées de l’analyse des disposition time. La justice pénale est la plus efficace aux trois niveaux d’instances (DT en 1ère instance: 122 jours; 2ème instance: 104 jours; 3ème instance: 114 jours) et les tribunaux de 2ème instance semblent être les plus efficaces dans tous les domaines (DT des affaires civiles et commerciales: 141 jours; affaires administratives: 209 jours; affaires pénales: 104 jours). Il convient de noter que bien que les résultats soient incontestablement positifs, ils se sont détériorés au fil du temps dans plusieurs Etats et entités analysés.
- En revanche, c’est en 1ère instance et dans le domaine du droit administratif que les tribunaux se sont montrés les moins efficaces. Les affaires administratives ont tendance à enregistrer les DT les plus élevés (241 jours en1ère instance, 209 jours en 2ème instance, 228 jours en 3ème instance) avec toutefois de grandes disparités entre les Etats et entités.
- Les affaires relatives aux demandeurs d’asile et au droit d’entrée et de séjour des étrangers ont toujours un fort impact sur les juridictions européennes. Un nombre élevé d’Etats et entités a signalé des problèmes de productivité liés à ces catégories d’affaires. En 2018, les Etats ont reçu 291 443 affaires relatives à des demandeurs d’asile, soit 8 % de moins qu’en 2016. 183 920 nouvelles affaires relatives au droit d’entrée et de séjour des étrangers représentent une augmentation de 84 %. Le nombre le plus élevé de nouvelles affaires relatives aux demandeurs d’asile est enregistré en Allemagne, soit 149 593 affaires. La France se classe au second rang en termes de flux d’affaires le plus important : elle a en effet été saisie de 58 671 affaires concernant des demandeurs d’asile et 79 807 affaires relatives au droit d’entrée et de séjour des étrangers. L’Italie ensuite, a reçu 48 891 affaires concernant les demandeurs d’asile et 2 224 affaires relatives au droit d’entrée et de séjour des étrangers.
- La proportion d’affaires ayant plus de deux ans d’ancienneté n’est disponible que dans un nombre limité d’Etats et d’entités. Dans ces derniers, la proportion d’affaires ayant plus de deux ans d’ancienneté ne change pas au fil du temps.
- Plusieurs Etats et entités ont entrepris ou sont en train d’entreprendre des réformes du secteur de la justice, qui ont eu une influence sur la performance de leurs systèmes. Les résultats enregistrés par ces Etats et entités doivent faire l’objet d’un suivi attentif et être replacés dans leur contexte.