Rapporteur:
Luigi PEDRAZZINI, Suisse,
Chambre des Régions
Groupe politique : NI
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EXPOSE DES MOTIFS
1. Analyse du problème
1.1 Situation actuelle – des mesures politiques nécessaires
La politique européenne des transports est aujourd’hui à la croisée des chemins. Face à l’importance fondamentale, pour les sociétés et les économies modernes, de disposer d’infrastructures de transport performantes, les craintes grandissantes et justifiées suscitées par la congestion croissante du trafic et ses incidences sur l’environnement ne reçoivent pas l’attention qu’elles méritent, et les responsables politiques tardent à développer des stratégies préventives adéquates.
Il apparaît de plus en plus clairement que le cadre défini par les politiques des transports actuelles n’offre pas des conditions permettant un développement du trafic viable à long terme. Si l’on ne modifie pas ce cadre, les retards, les coûts et les dommages environnementaux ne pourront que s’accroître. En outre, toute attente supplémentaire de la part des décisionnaires contribue à déstabiliser, à terme, le système des transports.
Dans les secteurs les plus sensibles du réseau routier européen, le trafic a d’ores et déjà atteint un débit supérieur à la capacité d’absorption des infrastructures. Sur les principaux axes transalpins, la circulation des poids lourds a dû faire l’objet de restrictions pour maintenir la sécurité routière et limiter l’émission de gaz polluants. Dans les longs tunnels routiers du Gothard (Suisse) et sur les axes franco-italiens (Fréjus et Mont Blanc), la circulation des camions a été soumise à restriction après de graves accidents survenus dans les tunnels, afin de limiter les dangers. Le long du couloir du Brenner (Tyrol, Autriche), la pollution au dioxyde d’azote (NO2) a dépassé les seuils d’alerte établis par l’UE pour les pics de pollution, mais aussi pour la moyenne annuelle.
Le trafic de transit à travers les Alpes ne doit pas être considéré comme le problème des régions touchées par le corridor de passage (Saint-Gothard, Mont-blanc, Brenner, etc…), mais comme un élément de la politique européenne: pour toute l’Europe, il est indispensable de traverser les Alpes et le problème nécessite donc une réponse coordonnée à l’échelle d’une grande partie du continent.
La gestion du trafic de transit à travers les Alpes ne doit pas non plus être source de conflit entre les différentes régions concernées. Bien au contraire, celles-ci doivent proposer une gestion du trafic dans sa totalité, par la route et par le rail.
1.2 Développement du trafic
Le volume des marchandises transportées croît à un rythme annuel supérieur à la croissance économique. Ce phénomène est essentiellement lié au faible coût du transport routier. Economiquement, il vaut donc mieux supporter les coûts du transport et exploiter le différentiel des coûts de production entre les différents pays au niveau européen, voire mondial, que de concentrer toute la production sur un territoire plus restreint. En outre, la combinaison des faibles coûts du transport et du mode de production «just in time», entraîne une augmentation des transports sur des distances excessives.
Le cadre général établi par les politiques des transports induisent depuis de longues années une croissance inégale des différents modes de transport. A l’échelle de l’Union européenne, le transport de fret routier a plus que triplé au cours des 30 dernières années (soit une augmentation annuelle moyenne de 4,1 %), tandis que le transport ferroviaire a diminué (de 0,5 % par an en moyenne). En termes relatifs, la part du rail dans le transport de marchandises terrestre (route et rail) a diminué, durant cette même période, de 40 % à 15 %.
Dans le transport de marchandises transalpin en revanche, le recul du rail par rapport à la route n’a été que très faible au cours des vingt dernières années. La part du rail y était encore de 40 % en 2000. En Suisse et au Brenner (Autriche), le transport ferroviaire a même considérablement augmenté en chiffres absolus. C’est dans le couloir du Brenner que l’on a enregistré la plus forte croissance du transport de marchandises ferroviaire, plus de 4 % par an en moyenne de 1980 à 2001, et c’est en Suisse que la part du rail dans les transports est la plus élevée : 67 %. La Suisse et l’Autriche ont déployé d’énormes efforts pour encourager l’utilisation du rail. Le transport routier transalpin a néanmoins augmenté d’environ 5 % par an en moyenne.
Le développement du trafic sur chacun des grands axes routiers transalpins dépend essentiellement des conditions particulières en vigueur sur l’axe en question. Les frais de péage sont l’un des éléments qui déterminent le choix d’un itinéraire. Toute contrainte appliquée à l’un des axes a des incidences sur la charge de trafic des autres axes. Les frais de péage pour les poids lourds sont très variables d’un axe à l’autre et augmentent fortement d’est en ouest. Pour un trajet d’une longueur comparable (300 – 350 Km), un poids lourd de quarante tonnes doit payer 217 € pour traverser les Alpes en empruntant le tunnel du Fréjus ou celui du Mont Blanc, 140 € en passant par le Gothard et 111 € en prenant la route du Brenner. Au cours des prochaines années, les tarifs suisses seront augmentés en application de l’accord UE-Suisse sur les transports terrestres et atteindront un niveau équivalent à ceux en vigueur sur les axes Fréjus et Mont Blanc. L’écart par rapport au couloir du Brenner va ainsi augmenter : pour des trajets de longueur équivalente, les frais de péage de la Suisse, du Fréjus et du Mont Blanc seront environ deux fois plus élevés que ceux du Brenner. Cela aura sans aucun doute des incidences sur le choix de l’itinéraire, et en conséquence sur la fréquentation des axes en question.
Le transport de marchandises transalpin se caractérise par une proportion particulièrement élevée de transports sur de longues distances : le trajet parcouru par les poids lourds qui passent le Brenner, par exemple, est de 1 000 Km en moyenne. Les données confirment que parmi les poids lourds qui traversent le Saint-Gothard, ceux qui effectuent des transports transeuropéens sont de plus en plus nombreux: en 1980, 42 % des poids lourds en transit étaient immatriculés hors de la Suisse; en 2000, le chiffre a atteint 71 %, et en 2001, 76 %.
La grande affluence du trafic à travers le Saint-Gothard – en particulier l’énorme flot des poids lourds - a mis à dure épreuve les capacités d’écoulement de l’axe autoroutier. La durée des files d’attente enregistrée en un an pour l’accès au tunnel du Saint-Gothard a énormément augmenté. On retrouve la même situation à Chiasso à la frontière italo-suisse. Certaines données illustrent encore mieux cet état des choses: si en 1990, 550 heures d’embouteillage ont été enregistrées en un an, en 2000 ces heures ont dépassé 1100 (à noter naturellement que ces embouteillages sont provoqués en partie par le trafic privé).
Selon les prévisions de l’UE, les tendances que l’on peut observer actuellement dans le trafic nord-sud se maintiendront dans les années à venir : le transport de marchandises augmente environ deux fois plus vite que le transport de voyageurs, et le transport interrégional augmente plus vite que le transport local. Le taux de croissance du transport de marchandises transalpin, supérieur à la moyenne, s’explique aussi par la part importante du trafic interrégional dans le trafic transalpin. L’élargissement de l’UE entraînera en outre une augmentation du trafic provenant de régions plus éloignées.
Les raisons de ce déséquilibre dans le développement des infrastructures de transport de l’UE sont multiples :
Ø absence de prise en compte des coûts externes dans le prix des transports ;
Ø lacunes dans l’application et le contrôle de certaines réglementations sociales et de sécurité, notamment dans le domaine de la circulation routière,
Ø préférence donnée durant de longues années, dans le cadre du développement des infrastructures de transport, au développement du réseau routier ;
Ø négligence, de la part de nombreux Etats européens, de l’importance des interconnexions et des installations de triage, maillons essentiels entre les marchés et le transport ferroviaire ;
Ø libéralisation tardive du trafic ferroviaire ;
Ø ouverture rapide du marché dans le secteur des transports routiers, réduction des contingents, etc.
1.3 Situation spatiale dans les vallées de montagne
En raison de la topographie, les infrastructures de transport en région montagneuse longent les vallées. Dans les transports transalpins, les flux de trafic se concentrent sur un nombre d’axes très limité. Les zones à forte densité de population sont traversées par le réseau routier régional, mais aussi par des lignes de chemin de fer, des autoroutes et, plus récemment ou prochainement, par des lignes ferroviaires à grande vitesse. La densité de population des pays alpins est globalement faible mais les habitations se concentrent dans les vallées. Dans la province du Tyrol par exemple, on compte 53 habitants au Km², mais seuls 12 % du territoire sont durablement habitables. Dans les vallées principales, la densité de population atteint des niveaux très élevés : 80 % de la population du Tyrol vivent sur 4,3 % de son territoire. Ici se chevauchent des utilisations variées : agglomérations, PME et industries, transports, tourisme, loisirs, mais aussi les espaces naturels sensibles, qui remplissent une fonction de protection –particulièrement importante en région de montagne – contre les avalanches, les glissements de terrain, etc. De ces différentes revendications découlent nécessairement des conflits d’utilisation.
Les caractéristiques topographiques et météorologiques des vallées exercent une influence décisive sur la propagation des nuisances, pollution et bruit. Dans les vallées, l’inversion thermique et la faible puissance du vent empêchent l’aération et l’échange vertical des masses d’air. A niveau d’émission égal, la pollution mesurée dans les vallées est jusqu’à neuf fois plus élevée qu’en plaine. En conséquence, les seuils d’alerte sont dépassés beaucoup plus rapidement en région montagneuse qu’en pays de plaine ou de collines. Cet effet est plus marqué en hiver et pendant la nuit qu’en été et pendant le jour.
1.4 Trafic et pollution
En Europe, l’évolution de la consommation d’énergie et de l’émission de gaz polluants est étroitement liée à l’augmentation notable des distances parcourues, dans le transport de personnes mais aussi et surtout dans le transport de marchandises. C’est la raison pour laquelle, en dépit du progrès technologique, la consommation d’énergie continue d’augmenter à un rythme soutenu.
Le trafic en général, et le trafic des poids lourds en particulier, sont les grands responsables de la pollution atmosphérique et sonore. La morphologie des vallées alpines et le phénomène de l’inversion thermique sont des facteurs qui accroissent la stagnation des substances polluantes et la durée de leur effet nocif sur les populations locales et l’environnement.
Les émissions polluantes les plus nocives du point de vue de la médecine humaine, les particules et les oxydes d’azote NOx, augmentent elles aussi du fait de l’accroissement en volume du trafic, et en dépit des améliorations techniques apportées aux véhicules. La baisse enregistrée chez les voitures particulières est compensée par l’augmentation liée au trafic des poids lourds. Selon les études scientifiques les plus récentes (étude Artemis), qui s’appuient sur des mesures effectuées sur le terrain, la réduction des quantités de NOx émises par les poids lourds récents (normes Euro II et Euro III) est nettement inférieure aux prévisions établies sur la base de tests standardisés. C’est ainsi que, depuis les années 1995, on n’a pu observer aucune réduction des émissions de NOx et de particules liées à la circulation routière. Les niveaux de pollution atmosphérique mesurés le long des autoroutes confirment ce constat.
Selon l’inventaire des émissions polluantes du Tyrol du Sud (Italie), le trafic est, à raison de 80 %, la principale source d’émissions de CO, de NOx et de particules dans cette région. 50 % de toutes les émissions de particules proviennent du seul trafic sur l’autoroute A 22. Au Tyrol autrichien, le trafic est responsable d’environ 85 % des émissions de NOx dans la basse vallée de l’Inn, densément peuplée. Environ les deux tiers des émissions de NOx provenant du trafic sur l’autoroute A 12 sont à imputer aux poids lourds, dont la contribution à la pollution augmente régulièrement depuis des années (elle était d’environ 40 % en 1980). En raison de la lenteur avec laquelle la réglementation sur les gaz d’échappement des poids lourds prend effet, et de l’augmentation du nombre de camions mis en circulation, il ne faut pas s’attendre à une baisse du niveau de pollution par les NOx au cours des prochaines années. Jusqu’à 2007, la part des poids lourds dans les émissions de NOx atteindra presque 70 % pour une participation au trafic d’environ 15 %.
Dans le Tessin, le trafic a été responsable en 2000 de 77 % des émissions d’oxyde d’azote (Nox), de 39 % du dioxyde de carbone(CO2) et de 34 % des composés organiques volatiles. Les émissions d’oxyde d’azote et de composés organiques volatiles semblent être contrôlées et, pour lutter contre l’augmentation des émissions de dioxyde de carbone, la Suisse s’est dotée d’une loi spéciale qui prévoit la possibilité d’introduire une taxe sur le CO2.
L’impact de la pollution atmosphérique sur la santé a fait l’objet d’une étude tri nationale (France, Suisse et Autriche), selon laquelle la pollution provenant du trafic routier serait responsable de deux fois plus de « morts anticipées » que les accidents de la route.
Au Tyrol, le trafic routier porte également atteinte à l’économie locale à travers une série de restrictions environnementales strictes imposées aux entreprises en raison du niveau de pollution élevé.
L’ozone pose un autre problème. Au cours de l’été 2003, l’alerte à l’ozone a poussé le gouvernement du canton de Tessin à limiter à 80 Km/heure la vitesse sur les autoroutes pendant une période limitée.
La situation concernant la pollution sonore dans le Tessin est considérée, elle aussi, comme grave. S’agissant de l’autoroute, il est nécessaire de procéder à un assainissement phonique de 40 Km sur les 100 Km que compte au total la région; le coût global de la pose des abris phoniques est estimé à environ 230 millions de francs suisses (environ 160 millions d’euros).
En plus de la pollution, l’augmentation du trafic a un autre effet négatif : les accidents de la route. L’augmentation massive du trafic des poids lourds se heurte aux limites physiques de l’infrastructure routière. Ces limites sont particulièrement évidentes dans les vallées alpines et augmentent le risque potentiel d’accidents graves. Malheureusement, les grands tunnels alpins européens ont montré ces dernières années que ce risque potentiel pouvait devenir une réalité sinistre.
Après l’accident tragique d’octobre 2001 où 11 personnes ont péri et qui a entraîné la fermeture forcée du tunnel du Saint-Gothard, celui-ci a de nouveau frôlé la tragédie il y a quelques mois: ce n’est que grâce au courage et au sang-froid du chauffeur (qui a continué de conduire son véhicule en flammes jusqu’à l’extérieur du tunnel), qu’on a évité que tout un chargement de couches pour bébés brûle à l’intérieur du tunnel. Notons que ce camion de couches (marchandises non périssables) voyageait des Pays-Bas jusqu’en Italie. Spontanément, une question se pose: le chemin de fer est-il si peu avantageux?
La pollution et les accidents, hormis leurs conséquences directes sur la santé physique et psychologique des personnes touchées, entraînent des coûts extrêmement élevés qui pèsent surtout sur la collectivité.
2. Les politiques des transports : mesures et effets
Depuis de nombreuses années, dans le cadre de rapports, de Livres verts ou blancs, et des travaux du Conseil des Ministres ou du Conseil européen, les objectifs des politiques des transports ont été formulés et des mesures et des stratégies ont été arrêtées dans le but d’inverser la tendance au recul du rail dans le transport de marchandises européen. L’évolution de la situation sur le terrain montre que les prévisions concernant l’efficacité des mesures prises étaient erronées, ou que la mise en oeuvre de ces mesures a échoué.
Sur le continent européen, si l’on excepte le transit alpin, le chemin de fer a perdu des parts par rapport au transport routier. Les causes en sont connues depuis longtemps et on peut les résumer ainsi: absence de normalisation au niveau européen, absence de politique de développement coordonnée et prix non concurrentiels par rapport au transport routier.
L’actuelle proposition de modification de la directive « eurovignette » offre un bon exemple d’erreur d’appréciation. Cette directive a pour objectif de « [tenir] mieux compte des coûts externes (...) dans le prix des transports ». Or elle prévoit que le calcul des tarifs de péage ne doit prendre en compte, outre les coûts de construction, d’exploitation et de maintenance, que les coûts d’infrastructure visant à réduire les nuisances liées au bruit et les prestations directes liées aux dommages environnementaux et aux coûts non couverts des accidents.
Les mesures de protection contre le bruit incombent de toutes manières à l’exploitant de la route concernée et ne sauraient donc être considérées comme des facteurs de coûts externes. Les prestations directes mentionnées sont, en pratique, très rares. Cette mesure n’aura donc, tout au plus, qu’un impact marginal sur les tarifs de péage. La Commission européenne elle-même part du principe que les tarifs ne seront pas augmentés. Parallèlement, elle formule l’espoir que la directive aura un « effet correctif (...) sur les péages routiers » en faveur des dispositifs de ferroutage. Le projet de directive prévoit également la possibilité d’augmenter jusqu’à 25 % les tarifs de péage dans les zones sensibles, ce qui constitue un pas dans la bonne direction. Il faut rappeler cependant que l’effet d’une telle mesure sur le choix de l’itinéraire et du mode de transport ne peut être que très faible compte tenu des distances parcourues. Sur une distance totale de 1000 Km, la traversée d’une région sensible sur 100 Km avec majoration de 25 % représente un surcoût au péage de 2,5 % seulement.
A l’occasion de l’adhésion de l’Autriche à l’UE, la Communauté a déclaré en juin 1994 son intention d’instaurer, à l’échelle de l’Union tout entière, une réglementation générale destinée à résoudre les problèmes environnementaux causés par le trafic des poids lourds. Le système des écopoints a été maintenu à titre provisoire afin de réduire de 60 %, en 2003 au plus tard, les émissions de NOx provenant des poids lourds qui transitent par l’Autriche. L’objectif d’une réduction de 60 % de la pollution n’a, de loin, pas été atteint, et la réglementation générale en question n’a pas été mise en oeuvre à ce jour.
Une étude réalisée en 2001 par l’Agence européenne de l’Environnement (EEA) montre que les mesures technologiques ne permettront pas, à elles seules, de respecter les objectifs environnementaux et les limites de pollution dans les vallées longeant les principaux axes routiers transalpins. Les améliorations apportées aux véhicules sont en effet compensées par l’augmentation du trafic. Selon l’EEA, des mesures supplémentaires sont nécessaires pour limiter la croissance du trafic. Le transit des poids lourds dans les régions sensibles, notamment, devra être soumis à restriction. Les normes techniques appliquées dans le but de réduire les émissions polluantes du trafic routier n’ont pas eu les effets bénéfiques escomptés (résultats de l’étude Artemis). Sur la route, les poids lourds répondant aux normes Euro II et Euro III présentent un taux d’émission de NOx largement supérieur aux limites tolérées lors des tests standardisés. C’est la raison pour laquelle la concentration en NOx le long des autoroutes n’a pas diminué dans la même proportion que les taux d’émission autorisés par la réglementation.
En réaction à une concentration atmosphérique de NO2 supérieure aux valeurs autorisées ou tolérées (directive UE 1999/30/CE), la province du Tyrol (Autriche) a instauré en octobre 2002 une interdiction de circulation nocturne des poids lourds. D’autres mesures seront nécessaires pour atteindre les objectifs environnementaux. Un projet d’interdiction de circulation des poids lourds par secteurs est examiné actuellement par la Cour de justice européenne.
Certains problèmes que l’on décrit souvent comme étant liés au trafic sont dus avant tout au mode d’utilisation des ressources finies dans le secteur des transports. Ainsi, rien n’est fait actuellement pour empêcher que la majeure partie des coûts liés aux dommages environnementaux, aux accidents et aux encombrements soient externalisés, c’est-à-dire pris en charge non par ceux qui les ont occasionnés mais par d’autres personnes ou par la société en général. Dans le Livre vert intitulé « Vers une tarification équitable et efficace dans les transports », la Commission européenne a estimé les coûts externes du secteur des transports à au moins 250 milliards d’ecu, dont 90 % imputables au trafic routier, et constaté que ces frais ne sont pas couverts, et de loin, par les taxes prélevées auprès des usagers de la route.
La réorganisation de la tarification du transport et de l’utilisation des routes, telle que prévue par la directive « eurovignette », ne permettra pas de réduire l’insuffisance notoire de la couverture des coûts liés au trafic. C’est la raison pour laquelle, ainsi que cela a été évoqué lors du Conseil européen de Göteborg en juin 2001, il convient d’internaliser l’ensemble des coûts externes dans les transports.
Le coût du transport dans le prix du produit fini est un bon indice de l’impact qu’une augmentation des frais de transport peut avoir sur la compétitivité de l’économie : selon le Livre vert, en moyenne, le coût du transport ne représente que 2,8 % du prix du produit fini dans l’Union. Les industries utilisent de plus en plus de nouvelles méthodes de production du type « juste à temps » afin de réduire les coûts des stocks. Ces méthodes sont fortement tributaires de la fiabilité des opérations de transport et ont rendu l’industrie européenne vulnérable aux inefficacités des transports et aux encombrements. Aussi les principales revendications de l’industrie à l’égard du système des transports sont-elles la prévisibilité et la fiabilité.
Le prélèvement de taxes ne permettra pas de redresser l’ensemble des déséquilibres du marché des transports ni de résoudre l’ensemble des problèmes liés au trafic routier. En ce qui concerne le transport de marchandises transalpin, il est en outre nécessaire de créer un cadre pour la prise et la coordination de mesures complémentaires. Eu égard aux interactions étroites qui caractérisent les couloirs transalpins, il convient de mettre en place une palette d’outils harmonisés, fondée sur une approche conforme aux conditions du marché, pour gérer le transport de marchandises transalpin.
3. Résumé et recommandations
Il est nécessaire que la question du trafic de transit à travers les Alpes fasse l’objet d’une coopération politique de tous les pays concernés et de l’ensemble de l’Europe.
La part du rail dans le transport de marchandises européen est en recul et s’élève actuellement à 15 %. Or le rail représente par ailleurs 40 % du transport transalpin, ce qui indique que les politiques des transports visant à encourager le rail par rapport à la route ont été mises en oeuvre avec beaucoup plus de succès dans les régions alpines. Ce résultat témoigne de la volonté politique qui s’est concrétisée à travers les efforts déployés pour améliorer les conditions d’utilisation du rail. Il convient de rappeler que la Suisse a en chantier des travaux s’élevant à des milliards – les nouvelles transversales ferroviaires alpines à grande vitesse – qui représentent le plus grand ouvrage ferroviaire en passe d’être construit dans la chaîne alpine.
Les principaux axes de transit nord-sud à travers les Alpes mènent par des régions densément peuplées et particulièrement sensibles. Le chevauchement d’utilisations différentes telles que l’habitat, l’industrie, les transports, les loisirs, etc., sur des espaces très réduits et dans un environnement vulnérable, est une dangereuse source de conflits potentiels. En outre, l’environnement naturel remplit des fonctions particulières de protection contre les avalanches, les glissements de terrain, etc.
En raison des caractéristiques topographiques et météorologiques des vallées de montagne, les seuils d’alerte à la pollution y sont plus rapidement atteints qu’en région de plaine ou de collines. Dans les zones sensibles, le long des principaux axes transalpins, le trafic a d’ores et déjà atteint un débit supérieur à la capacité d’absorption du réseau routier en termes d’émission de polluants et de sécurité routière, et la circulation des poids lourds a dû faire l’objet de restrictions.
A la saturation des infrastructures de transport au centre de l’UE correspond, inversement, le risque d’isolement des régions périphériques. Eu égard à l’objectif de maintien de la cohésion territoriale de l’Europe, il convient de mieux relier ces régions aux marchés centraux. La fiabilité du fonctionnement des systèmes de transport revêt dans ce contexte une importance particulière.
La réalisation d’un marché unique autorisant la libre circulation des marchandises et des services entre les Etats membres joue un rôle central dans le droit et les politiques communautaires. La protection de la santé publique et de l’environnement est garantie par l’obligation faite aux Etats membres, en vertu du droit communautaire, de prendre des mesures adéquates en cas de dépassement des niveaux de pollution atmosphérique tolérés (directive cadre 96/62/CE et directive fille 1999/30/CE). De tels dépassements nuisent également à l’économie locale dans la mesure où ils donnent lieu à des restrictions dans le cadre des procédures d’autorisation d’implantation ou d’agrandissement d’installations industrielles.
Dans les régions sensibles, des priorités doivent être définies en ce qui concerne les aspects écologiques, les intérêts économiques locaux et les besoins du secteur des transports. Pour garantir la viabilité du système dans son ensemble (écologie, santé, compétitivité économique, desserte interrégionale), il est indispensable de tenir compte des impératifs locaux. Lors de la mise en balance des intérêts en jeu, la protection de la santé doit l’emporter sur la liberté de choisir un mode de transport.
Tous les citoyens européens doivent bénéficier d’un niveau égal de protection et de sécurité. La réalisation de cet objectif implique toutefois des mesures différentes selon les régions. L’élaboration de politiques des transports responsables, au niveau national et communautaire, doit tenir compte de ces disparités.
Les difficultés du chemin de fer et les avantages du trafic routier ont retardé encore plus la modernisation des infrastructures et des systèmes de transport ferroviaire. La faible rentabilité du rail a poussé de nombreux gouvernements à le mettre de fait au deuxième plan par rapport à la route. Aujourd’hui, la tentative d’offrir aux transporteurs une alternative valable à la route oblige les pays européens à procéder à d’énormes investissements en infrastructures ferroviaires. C’est ainsi que se pose ainsi le problème du financement des grands ouvrages ferroviaires.
La construction d’infrastructures de transport dans les Alpes est particulièrement coûteuse en raison des méthodes employées. Parallèlement, compte tenu de la proportion importante de transit interrégional dans le trafic transalpin, la rentabilité – c’est-à-dire la valeur ajoutée – de ces investissements à l’échelle locale est relativement faible. La possibilité d’assurer un financement transversal des modes de transport alternatifs, conformément au projet de modification de la directive 1999/62/CE, est d’une grande importance pour les régions sensibles. Cette directive, qui ouvre des moyens de financement nécessaires à la réalisation des infrastructures, doit être mise en oeuvre le plus rapidement possible. La part du financement transversal dans les tarifs de péage doit être établie de manière flexible en tenant compte de l’importance et de l’urgence du projet à l’échelle européenne, et ne peut dépasser 30 %.
Le financement des grands projets d’infrastructure de transport (tunnel sous le Brenner, Turin-Lyon, etc.) s’appuie sur des partenariats public-privé, c’est-à-dire sur la participation d’investisseurs privés. Face à des projets d’une telle dimension, il faut se demander si le cadre instauré par les politiques des transports permet de garantir à long terme l’exploitation des installations concernées, condition nécessaire pour justifier les investissements privés. Dans les circonstances actuelles, qui se caractérisent par le recul du rail en Europe, cela ne semble pas être le cas.
En admettant que l’on trouve les moyens financiers pour construire les infrastructures ferroviaires, il faudrait encore obtenir des transporteurs qu’ils les utilisent réellement. Ce ne sera pas le cas tant que le transport routier sera aussi peu cher qu’il l’est aujourd’hui. Le risque que les infrastructures ferroviaires soient peu utilisées est une source de préoccupation pour les gouvernements sur le plan financier, et réduit à néant la participation d’éventuelles financeurs privés, intéressés par la rentabilité de l’investissement
Pour financer les nouvelles transversales alpines, la Suisse a renoncé non seulement à un accord de financement avec d’autres pays mais aussi aux financements privés. L’investissement est financé par la redevance sur les poids lourds, les engagements directs de la Confédération et les taxes sur les carburants.
L’objectif déclaré de la politique des transports européenne est d’accroître la part du rail dans le transport de marchandises. Sur le terrain toutefois, la tendance inverse continue de prévaloir. Le Conseil européen a déclaré dans ses conclusions de Göteborg, en juin 2001, qu’une politique des transports viable à long terme doit favoriser, entre autres, la prise en compte de l’ensemble des coûts sociaux et environnementaux. Pour inverser la tendance actuelle dans la répartition des modes de transport en Europe, il est nécessaire d’internaliser l’ensemble des coûts externes.
A l’intérieur du transport de marchandises transalpin, la part du trafic de longue distance est particulièrement élevée : la distance parcourue par les poids lourds qui passent le Brenner, par exemple, est de 1 000 Km en moyenne. La possibilité de prélever des taxes plus élevées dans certaines régions sensibles ne permettra pas à elle seule d’atteindre les objectifs d’une politique des transports viable, compte tenu du faible poids des segments sensibles dans le choix du trajet général. Cette mesure ne modifiera pas la répartition des flux sur les grands axes mais entraînera une distorsion des conditions de concurrence. En conséquence, la proposition de modification de la directive « eurovignette » 1999/62/CE n’est pas de nature à atténuer dans une mesure suffisante les nuisances qui pèsent sur les régions sensibles des Alpes.
Le transfert d’une partie du trafic de marchandises au rail (surtout à longue distance) reste en tout état de cause l’unique solution réalisable, non seulement pour lutter contre les situations graves de pollution environnementale et phonique dans les vallées alpines (et ailleurs), mais aussi pour garantir une meilleure viabilité sur les principaux axes routiers européens. L’objectif est d’arriver à une division modale du trafic des marchandises qui débouche sur une utilisation optimale des infrastructures, ferroviaires et routières. Cela suppose que le chemin de fer regagne du terrain.
L’une des conditions nécessaires à la redistribution des flux de transport est, outre la vérité des coûts dans le trafic routier, l’amélioration de la compétitivité du rail. Le développement accru du réseau ferroviaire ne permettra pas à lui seul d’inverser la tendance au recul du rail. Il convient de poursuivre la libéralisation du trafic ferroviaire ainsi que l’ouverture afférente des réseaux. Il faut en outre prendre les mesures réglementaires nécessaires à l’harmonisation des aspects techniques et administratifs du trafic ferroviaire
L’objectif à poursuivre est une division modale différente pour le trafic des marchandises pouvant se traduire par une utilisation optimale des infrastructures de transport, ferroviaires et routières. Pour ce faire, le transfert d’une partie du trafic des marchandises de la route au rail doit devenir un postulat pour toute l’Europe et il faut donc prévoir tous les instruments nécessaires à sa réalisation. Ces instruments doivent se conformer au modèle du «push and pull», c’est-à-dire une poussée de la route au rail et l’attraction du rail par rapport à la route.
La principale mesure de type «push» peut être représentée par des instruments de taxation du transport routier de marchandises sur des bases flexibles qui peuvent être appliquées de manière différentiée selon les caractéristiques des régions concernées et selon le type de trafic. La taxe doit être fortement incitative pour le transfert au transport ferroviaire de marchandises qui parcourent de longues distances, sans être excessivement pénalisante pour le trafic interne pour lequel – à cause de contraintes spécifiques – il est souvent préférable de recourir au transport routier (il ne serait en effet ni économique ni efficace de proposer un transport ferroviaire de marchandises sur de courtes distances si celui-ci doit occuper un créneau horaire pouvant être mis à la disposition du passage d’un train de marchandises international).
Dans l’optique d’une application de la taxe incitative au transfert de la route au rail, une augmentation de 100 francs pour le passage du Saint-Gothard (trajet Chiasso-Bâle), a une efficacité beaucoup plus grande si le transport est purement interne à la Suisse, mais qui reste marginale si le camion vient du Danemark pour aller en Italie centrale. Pour les transports transeuropéens, le transit alpin n’est qu’une petite partie du trajet total parcouru.
Pour éviter d’induire des flux de contournement, le principe du trajet le plus court doit être mis en oeuvre au moyen d’une harmonisation du cadre tarifaire et de la politique des transports à l’égard du transport de marchandises transalpin. Etant donné que les itinéraires parallèles ne concernent que le transport interrégional, l’harmonisation des frais de péage doit tenir compte de l’ensemble des péages situés sur un axe transalpin donné (300-350 Km).
Une autre mesure de type «push» pourrait consister à créer un ensemble d’instruments de gestion du trafic routier à travers les Alpes – coordonnés au niveau européen –, selon le principe appliqué à la gestion des ressources rares. Ce système rendrait moins «libre» le transport routier et donc un peu moins attractif.
En ce qui concerne les vallées parcourues par les principaux axes de transit alpin, les améliorations techniques apportées aux véhicules ne suffiront pas à elles seules à atteindre les objectifs de protection de l’environnement ni à maintenir la pollution atmosphérique à des niveaux tolérables. Des stratégies complémentaires visant à atténuer la croissance du trafic sont nécessaires. Il faudra notamment restreindre la circulation des poids lourds dans les régions sensibles.
A cet égard, le Suisse a préconisé l’instauration d’un système de réservation pour les poids lourds qui ont l’intention de traverser le pays. Ces instruments, qui limiteront la liberté de mouvement du transport routier, serviront d’incitations indirectes au transfert du transport des marchandises au rail.
Une autre mesure qui peut constituer indirectement un «push» de la route au rail, pourrait être d’accroître les contrôles du trafic des poids lourds, afin de vérifier le respect des normes de circulation, en particulier en ce qui concerne les heures de repos et la consommation de boissons alcoolisées. Ces contrôles sont importants à deux points de vue: il s’agit avant tout de protéger la sécurité de tous les usagers de la route (un chauffeur fatigué ou ivre est un énorme facteur de risque d’accident; les enquêtes ont montré que le chauffeur du camion qui a provoqué l’accident du Saint-Gothard en 2001 avait absorbé de l’alcool); en deuxième lieu, un respect rigoureux des normes enlève au trafic routier la flexibilité négative (surtout en ce qui concerne le temps de conduite et de repos) qui contribue à rendre ce moyen de transport plus intéressant par rapport au chemin de fer.
A la suite de l’accident du tunnel du Saint-Gothard en 2001, on a introduit tout d’abord - après la réouverture du tunnel – le système de dosage des poids lourds et puis celui qualifié de compte-gouttes. La Confédération a demandé aux polices concernées d’intensifier les contrôles du trafic des poids lourds, afin de vérifier le respect des normes de sécurité. En 2002, la police cantonale tessinoise a effectué plus de 10 000 heures de contrôle et a constaté malheureusement d’assez nombreuses infractions.
Les mesures de type «pull», qui doivent donc servir d’incitations à l’utilisation du rail pour les marchandises qui sont aujourd’hui transportées par la route, sont multiples, et la première d’entre elles est la modernisation de l’infrastructure ferroviaire à travers toute la chaîne des Alpes. L’infrastructure actuelle n’est pas en mesure d’offrir les performances exigées par le transport moderne. Cette taxation du transport sur route doit être le vecteur de financement des investissements dans les infrastructures et l’offre ferroviaires.
Une deuxième mesure «pull» consiste à normaliser et à harmoniser les aspects techniques et administratifs du trafic ferroviaire afin de permettre une meilleure intégration et une meilleure ouverture des différents réseaux ferroviaires nationaux. Dans ce sens, il est important que les accès au Nord et au Sud des nouvelles transversales alpines suisses puissent se raccorder de manière efficace avec les réseaux italiens, allemands et français.
Le troisième instrument de type «pull» doit être un changement stratégique de la gestion du trafic ferroviaire des marchandises, qui doit reprendre le modèle du transport des passagers pour reproduire ce qu’offre le transport routier des marchandises. En bref, le transporteur doit pouvoir disposer d’horaires clairs de départ et d’arrivée des marchandises, afin que le «just in time» puisse être alimenté aussi par le transport ferroviaire.
Un quatrième facteur de type «pull», et peut-être l’un des principaux, est le facteur prix: les prix du rail doivent être concurrentiels par rapport à ceux de la route. Cette compétitivité peut être atteinte en partie grâce aux mesures «push» précitées qui augmenteraient le coût du transport sur route, mais il n’en reste pas moins que les prix (et le service correspondant) doivent être attractifs. A ce propos, on rejoint l’argument de la gestion du trafic et de la performance des infrastructures.
4. Conclusions
Le long des principaux axes de transit alpin, la circulation des poids lourds fait l’objet de différentes restrictions instaurées en raison d’impératifs locaux. Compte tenu des interdépendances étroites qui caractérisent la situation, toute politique des transports responsable doit se doter d’un ensemble d’outils harmonisés pour gérer les flux de trafic transalpin. Il convient de fonder cette politique autant que possible sur une approche conforme aux conditions du marché, en application du principe de la gestion des ressources finies (systèmes de réservation, d’échange de droits de transit ou d’émission de gaz polluants, etc.). Il incombe à la Commission européenne de mettre au point de tels dispositifs en concertation avec les pays concernés.
A cet égard – coût et prix des transports -, il est nécessaire de préciser certains points.
En premier lieu, la question de l’internalisation des coûts externes du trafic, qui se traduirait donc en impôts/coûts majorés ne doit pas être abordée de manière idéologique. Le principe est juste, mais son application est extrêmement difficile, et ce pour deux raisons:
Premièrement, le chemin de fer, tout comme la route, produit des coûts externes. L’internalisation appliquée à la route devrait aussi l’être au chemin de fer, ce qui entraînerait des difficultés pour ce dernier. En effet, le chemin de fer, dans la majorité des cas, ne couvre actuellement même pas les coûts internes (gestion et infrastructure) contrairement à la route qui y parvient au moyen des carburants et des vignettes;
Deuxièmement, le calcul scientifique des coûts externes est une entreprise extrêmement difficile. Il faut d’abord définir quels sont les coûts externes (coûts de santé, dommages causés aux immeubles par la pollution, dommages environnementaux?) et ensuite les calculer et les facturer aux différents moyens de transport. L’opération, même si elle est conceptuellement juste, risque d’échouer et de ne déboucher sur aucune application concrète.
Il vaut mieux alors appliquer le principal instrument de type «push», à savoir des taxes plus empiriques mais applicables tout de suite (l’exemple en est la redevance sur le trafic des poids lourds au prorata des prestations, introduite par la Suisse). Cette taxe doit être appliquée de manière progressive, avec des augmentations préalablement définies dans le temps (date d’augmentation) et en quantité (ampleur de l’augmentation et hauteur du niveau final). Ce n’est qu’ainsi que cette taxe pourra être internalisée par le marché dans ses stratégies de développement.
Une deuxième remarque de conclusion concernant les prix du rail concerne le financement des infrastructures à réaliser dans des conditions difficiles comme celles de la chaîne des Alpes. Il est inimaginable que le coût de ces infrastructures puisse être supporté par les compagnies de chemin de fer elles-mêmes, les coûts de construction étant trop élevés. Il en est naturellement autrement pour les lignes ferroviaires de plaine où les coûts de réalisation des infrastructures au kilomètre sont bien inférieurs. Dans le cas des chemins de fer alpins, il est donc nécessaire que l’organisme public assume à fonds perdus une partie des infrastructures. Il ne s’agit pas de gaspillage de l’argent public mais d’un investissement qui, s’il n’est pas directement rentable, aide à améliorer la compétitivité du rail, en favorisant le transfert des marchandises de la route au rail. A ce propos, il convient de rappeler qu’il y a quelques années, la Confédération helvétique, au moment de la privatisation des chemins de fer fédéraux, a annulé entièrement les 13 milliards de francs (presque 9 milliards d’euros) de dettes qu’ils avaient accumulés concernant les infrastructures.
Il faut entreprendre ces efforts en sachant que les engagements nécessaires seront amplement récompensés: en termes de qualité de vie des agglomérations des zones de trafic des Alpes, de sécurité routière pour tous et en termes de réduction des dommages environnementaux et de santé de la population résidente. Ce dernier point est d’une importance fondamentale: l’investissement en faveur de la santé et de l’environnement est un effort rentable. Or, il s’agit de trouver une entente sur la manière de procéder à cet investissement, en abandonnant le terrain des luttes idéologiques (environnementales contre économistes) pour entrer dans celui du développement durable et donc du bien commun.
Annexe : Déclaration finale
Parliamentary Assembly
Assemblée parlementaire
Congress of Local and Regional Authorities of Europe
Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l’Europe
Conférence « Développement durable de la montagne, politique européenne des transits et défi de la mondialisation »
Cavalese (Trento, Italie), 16-17 juin 2003
Déclaration finale
Les participants à la Conférence « Développement durable de la montagne, politique européenne des transits et défi de la mondialisation » représentant les communes, les régions, les parlements et les associations de la montagne, réunis à Cavalese (Trento), du 16 au 17 juin 2003,
Remercient :
- l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l’Europe d’avoir pris l’initiative d’organiser cette Conférence,
- la Provincia Autonoma di Trento pour s’être associée à cet événement,
- la Commune de Cavalese pour en avoir été l’hôte,
- et la Région Trentino Alto Adige Sud Tyrol
Se félicitent de l’action que le Conseil de l’Europe conduit depuis longtemps en faveur des régions de montagne, pour les mettre en condition de bénéficier d’un développement durable, qui assure à la fois leur développement socio-économique, et la préservation et la mise en valeur de leur patrimoine culturel, naturel et paysager ;
Soulignent notamment les travaux entrepris dès 1995 par le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux, et fermement soutenus par l’Assemblée parlementaire, relatifs à la préparation d’une Charte européenne des régions de montagne ayant valeur conventionnelle telle qu’elle a été adoptée par le Congrès (Recommandation 14 (1995) et approuvée par l’Assemblée parlementaire (Recommandation 1274 (1995)) ;
Regrettent qu’alors il n’a pas été estimé opportun de donner une suite favorable à cette proposition et se félicitent que le CPLRE ait saisi la nouvelle opportunité de l’Année internationale de la Montagne pour reprendre les principes de la Charte européenne des régions de montagne dans sa recommandation 130(2003) à soumettre à l’adoption du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, et à laquelle ils donnent leur plein appui ;
Réaffirment l’intérêt et la nécessité de tenir compte de la spécificité des régions de montagne et du rôle que celles-ci peuvent avoir dans un développement intégré et équilibré de l’espace européen, et de l’obligation de garantir aux populations de montagne des conditions socio-économiques de vie satisfaisantes.
De plus, ils soulignent également qu’une gestion durable des ressources forestières, notamment de montagne, est essentielle pour combattre les changements climatiques de notre continent ;
D’autre part, les opportunités de développement de la montagne sont fortement conditionnées par les changements climatiques, dus à des politiques énergétiques inappropriées, que le protocole de Kyoto se propose de réduire ;
Dans ce contexte, ils soulignent la nécessité de mettre les régions de montagne en condition de pouvoir répondre aux défis de la globalisation sans pour autant en subir les conséquences négatives et rappellent que l’originalité et la spécificité des régions de montagne leur offrent une chance de s’affirmer contre les tendances à l’uniformisation de la globalisation grâce à leur diversité biologique, culturelle et socio-économique. A cet effet, une importance particulière doit être accordée aux actions de sensibilisation, de formation et d’éducation aussi bien dans les systèmes d’éducation que dans les systèmes d’informations et des médias électroniques.
Sont conscients par ailleurs de l’importance primordiale à accorder aux politiques durables de transports, et plus particulièrement au problème du trafic de transit afin que celui-ci ne constitue pas une surcharge écologique difficilement acceptable pour les régions concernées. En cas de conflit entre la liberté de choix des moyens de transport et la santé des populations, c’est ce deuxième aspect qui doit prévaloir. Ils se prononcent à cet effet en faveur du développement de tunnels de base permettant le transfert du trafic des poids lourds sur rail en s’inspirant des choix politiques des autorités suisses ; par ailleurs il faudrait progressivement réaliser une harmonisation des conditions tarifaires et réglementaires des transports de transit à travers les massifs européens ;
Considèrent que toute politique relative aux régions de montagne, y compris celle des transports, doit s’inscrire dans le cadre général d’une politique paneuropéenne d’aménagement du territoire, mais doit – néanmoins - s’appuyer en priorité sur les collectivités territoriales et bénéficier d’une coopération transfrontalière ou interterritoriale en vertu du principe de subsidiarité ;
A ce propos, ils estiment notamment que les collectivités territoriales telles que les « comunità montane » italiennes constituent un modèle de gouvernance locale qui ne devrait pas être mis en cause mais au contraire devrait être encouragé et promu ;
Estiment que la montagne ne doit pas être seulement une zone naturelle protégée, une zone touristique et une zone dortoir pour les régions urbaines, mais doit être considérée comme un espace de vie capable d’offrir à ses habitants des emplois, des services d’intérêt général de qualité . La société européenne doit rémunérer les régions de montagne pour les ressources que celles-ci lui apportent comme en particulier l’eau, un environnement et des produits de qualité ainsi que des valeurs paysagères irremplaçables ;
A cet effet, il faut en particulier remercier les agriculteurs de montagne pour le service qu’ils rendent en matière de protection de l’environnement.
Sont convaincus de l’utilité que pourrait avoir une Charte de la montagne fixant les principes d’une politique européenne de la montagne qui permettrait de donner un cadre cohérent à l’action des pouvoirs publics européens, notamment, régionaux et locaux dans ces régions ainsi qu’à une coopération européenne telle que la «consultation européenne intergouvernementale sur le développement durable des montagnes» initiée en 1996 par les Nations-Unies dans le cadre du suivi de l’Agenda 21 qui mériterait d’être réactivée sous l’égide du Conseil de l’Europe ;
Compte tenu de ce qui précède, demandent :
- à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe :
§ de poursuivre ses efforts en faveur d’une véritable politique paneuropéenne de la montagne, en encourageant, notamment, la reprise de la consultation intergouvernementale ;
§ de répercuter au niveau des parlements nationaux et des autres assemblées parlementaires européennes les travaux et propositions du Conseil de l’Europe en matière de politique de la montagne ;
§ de soutenir auprès du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe le projet de « Charte européenne de la Montagne » élaboré par le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l’Europe ;
- au Congrès des Pouvoirs locaux et régionaux de l’Europe:
§ de se mobiliser pour que la Recommandation 130(2003) donne lieu de la part du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe à une recommandation à adresser aux pays membres ;
§ de continuer à apporter son action pour une meilleure prise en compte des problèmes de la montagne en Europe ;
- aux gouvernements des Etats membres du Conseil de l’Europe et à l’Union Européenne :
§ de reconnaître la spécificité et la contribution irremplaçable des régions de montagne et la nécessité de mettre en œuvre une véritable politique européenne de développement durable de la montagne fondée sur :
o . le nouvel objectif inscrit dans le projet de traité constitutionnel de l’Union à savoir la « cohésion territoriale » qui doit désormais compléter la cohésion économique et sociale en valorisant les produits de qualité de la montagne et en visant le maintien et le renforcement des services d’intérêt général des régions de montagne ;
o . les principes fondamentaux de la Charte européenne de la Montagne du Conseil de l’Europe ;
§ de reconnaître la nécessité, notamment dans les pays qui n’ont pas encore adhéré, de ratifier et appliquer pleinement le protocole de Kyoto ;
§ de considérer le rôle des institutions d’éducation aux différents niveaux et des communications et des médias électroniques (radios, TV, internet) pour la valorisation de la culture, l’identité et la cohésion sociale de la montagne européenne, notamment par :
o . une dotation infrastructurelle adéquate et non-discriminatoire ;
o . l’encouragement d’une communication en réseau sur les thèmes de la montagne ;
o . soutien aux formes d’utilisation innovatrices d’internet afin de développer la formation, l’économie de la connaissance, l’innovation en régions de montagne ;
§ de mettre en œuvre les principes des politiques européennes de transports en considérant les nécessités de politique globale (tarification) et intégrée (coûts complets) de la territorialité spécifique de la montagne, et en particulier d’appliquer le principe des coûts réels en taxant davantage les transports des marchandises sur route et les transports des personnes par air, afin d’éviter des phénomènes de dumping commercial dont bénéficient ces modes de transport alors qu’ils n’internalisent pas suffisamment les coûts de la dégradation de l’environnement qu’ils causent à la société.