Les problèmes du trafic de transit transnational

Rapporteur:
Luigi PEDRAZZINI, Suisse,
Chambre des Régions
Groupe politique : NI

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EXPOSE DES MOTIFS

1. Analyse du problème

1.1 Situation actuelle – des mesures politiques nécessaires

La politique européenne des transports est aujourd’hui à la croisée des chemins. Face à l’importance fondamentale, pour les sociétés et les économies modernes, de disposer d’infrastructures de transport performantes, les craintes grandissantes et justifiées suscitées par la congestion croissante du trafic et ses incidences sur l’environnement ne reçoivent pas l’attention qu’elles méritent, et les responsables politiques tardent à développer des stratégies préventives adéquates.

Il apparaît de plus en plus clairement que le cadre défini par les politiques des transports actuelles n’offre pas des conditions permettant un développement du trafic viable à long terme. Si l’on ne modifie pas ce cadre, les retards, les coûts et les dommages environnementaux ne pourront que s’accroître. En outre, toute attente supplémentaire de la part des décisionnaires contribue à déstabiliser, à terme, le système des transports.

Dans les secteurs les plus sensibles du réseau routier européen, le trafic a d’ores et déjà atteint un débit supérieur à la capacité d’absorption des infrastructures. Sur les principaux axes transalpins, la circulation des poids lourds a dû faire l’objet de restrictions pour maintenir la sécurité routière et limiter l’émission de gaz polluants. Dans les longs tunnels routiers du Gothard (Suisse) et sur les axes franco-italiens (Fréjus et Mont Blanc), la circulation des camions a été soumise à restriction après de graves accidents survenus dans les tunnels, afin de limiter les dangers. Le long du couloir du Brenner (Tyrol, Autriche), la pollution au dioxyde d’azote (NO2) a dépassé les seuils d’alerte établis par l’UE pour les pics de pollution, mais aussi pour la moyenne annuelle.

Le trafic de transit à travers les Alpes ne doit pas être considéré comme le problème des régions touchées par le corridor de passage (Saint-Gothard, Mont-blanc, Brenner, etc…), mais comme un élément de la politique européenne: pour toute l’Europe, il est indispensable de traverser les Alpes et le problème nécessite donc une réponse coordonnée à l’échelle d’une grande partie du continent.

La gestion du trafic de transit à travers les Alpes ne doit pas non plus être source de conflit entre les différentes régions concernées. Bien au contraire, celles-ci doivent proposer une gestion du trafic dans sa totalité, par la route et par le rail.

1.2 Développement du trafic

Le volume des marchandises transportées croît à un rythme annuel supérieur à la croissance économique. Ce phénomène est essentiellement lié au faible coût du transport routier. Economiquement, il vaut donc mieux supporter les coûts du transport et exploiter le différentiel des coûts de production entre les différents pays au niveau européen, voire mondial, que de concentrer toute la production sur un territoire plus restreint. En outre, la combinaison des faibles coûts du transport et du mode de production «just in time», entraîne une augmentation des transports sur des distances excessives.

Le cadre général établi par les politiques des transports induisent depuis de longues années une croissance inégale des différents modes de transport. A l’échelle de l’Union européenne, le transport de fret routier a plus que triplé au cours des 30 dernières années (soit une augmentation annuelle moyenne de 4,1 %), tandis que le transport ferroviaire a diminué (de 0,5 % par an en moyenne). En termes relatifs, la part du rail dans le transport de marchandises terrestre (route et rail) a diminué, durant cette même période, de 40 % à 15 %.

Dans le transport de marchandises transalpin en revanche, le recul du rail par rapport à la route n’a été que très faible au cours des vingt dernières années. La part du rail y était encore de 40 % en 2000. En Suisse et au Brenner (Autriche), le transport ferroviaire a même considérablement augmenté en chiffres absolus. C’est dans le couloir du Brenner que l’on a enregistré la plus forte croissance du transport de marchandises ferroviaire, plus de 4 % par an en moyenne de 1980 à 2001, et c’est en Suisse que la part du rail dans les transports est la plus élevée : 67 %. La Suisse et l’Autriche ont déployé d’énormes efforts pour encourager l’utilisation du rail. Le transport routier transalpin a néanmoins augmenté d’environ 5 % par an en moyenne.

Le développement du trafic sur chacun des grands axes routiers transalpins dépend essentiellement des conditions particulières en vigueur sur l’axe en question. Les frais de péage sont l’un des éléments qui déterminent le choix d’un itinéraire. Toute contrainte appliquée à l’un des axes a des incidences sur la charge de trafic des autres axes. Les frais de péage pour les poids lourds sont très variables d’un axe à l’autre et augmentent fortement d’est en ouest. Pour un trajet d’une longueur comparable (300 – 350 Km), un poids lourd de quarante tonnes doit payer 217 € pour traverser les Alpes en empruntant le tunnel du Fréjus ou celui du Mont Blanc, 140 € en passant par le Gothard et 111 € en prenant la route du Brenner. Au cours des prochaines années, les tarifs suisses seront augmentés en application de l’accord UE-Suisse sur les transports terrestres et atteindront un niveau équivalent à ceux en vigueur sur les axes Fréjus et Mont Blanc. L’écart par rapport au couloir du Brenner va ainsi augmenter : pour des trajets de longueur équivalente, les frais de péage de la Suisse, du Fréjus et du Mont Blanc seront environ deux fois plus élevés que ceux du Brenner. Cela aura sans aucun doute des incidences sur le choix de l’itinéraire, et en conséquence sur la fréquentation des axes en question.

Le transport de marchandises transalpin se caractérise par une proportion particulièrement élevée de transports sur de longues distances : le trajet parcouru par les poids lourds qui passent le Brenner, par exemple, est de 1 000 Km en moyenne. Les données confirment que parmi les poids lourds qui traversent le Saint-Gothard, ceux qui effectuent des transports transeuropéens sont de plus en plus nombreux: en 1980, 42 % des poids lourds en transit étaient immatriculés hors de la Suisse; en 2000, le chiffre a atteint 71 %, et en 2001, 76 %.

La grande affluence du trafic à travers le Saint-Gothard – en particulier l’énorme flot des poids lourds - a mis à dure épreuve les capacités d’écoulement de l’axe autoroutier. La durée des files d’attente enregistrée en un an pour l’accès au tunnel du Saint-Gothard a énormément augmenté. On retrouve la même situation à Chiasso à la frontière italo-suisse. Certaines données illustrent encore mieux cet état des choses: si en 1990, 550 heures d’embouteillage ont été enregistrées en un an, en 2000 ces heures ont dépassé 1100 (à noter naturellement que ces embouteillages sont provoqués en partie par le trafic privé).

Selon les prévisions de l’UE, les tendances que l’on peut observer actuellement dans le trafic nord-sud se maintiendront dans les années à venir : le transport de marchandises augmente environ deux fois plus vite que le transport de voyageurs, et le transport interrégional augmente plus vite que le transport local. Le taux de croissance du transport de marchandises transalpin, supérieur à la moyenne, s’explique aussi par la part importante du trafic interrégional dans le trafic transalpin. L’élargissement de l’UE entraînera en outre une augmentation du trafic provenant de régions plus éloignées.

Les raisons de ce déséquilibre dans le développement des infrastructures de transport de l’UE sont multiples :

Ø absence de prise en compte des coûts externes dans le prix des transports ;
Ø lacunes dans l’application et le contrôle de certaines réglementations sociales et de sécurité, notamment dans le domaine de la circulation routière,
Ø préférence donnée durant de longues années, dans le cadre du développement des infrastructures de transport, au développement du réseau routier ;
Ø négligence, de la part de nombreux Etats européens, de l’importance des interconnexions et des installations de triage, maillons essentiels entre les marchés et le transport ferroviaire ;
Ø libéralisation tardive du trafic ferroviaire ;
Ø ouverture rapide du marché dans le secteur des transports routiers, réduction des contingents, etc.