Les nouvelles perspectives de la politique de l'aménagement du territoire de la Grande Europe - CG (5) 9 Partie II

Rapporteurs :
Leon KIERES (Pologne)
Robert SAVY (France)

EXPOSE DES MOTIFS

I. Introduction

1. L'aménagement du territoire représente aujourd'hui, comme par le passé, un domaine politique de premier plan, tant pour les autorités nationales que pour celles des niveaux local et régional.

2. La conception de l'Aménagement du territoire et son contenu sont en constante évolution. Dans un premier temps, le souci était l'instauration d'une coopération entre les Etats et leurs régions. Aujourd'hui, on peut constater que la dimension européenne dans l'aménagement du territoire a fait son chemin. Il existe en effet une dimension continentale dans les débats sur l'évolution territoriale de nos pays membres, qui se renforce encore dans une partie de l'Europe, à savoir dans les 15 pays de l'Union européenne dont les membres discutent actuellement d'un projet officiel de Schéma de Développement de l'Espace Communautaire (SDEC). Les rapporteurs soutiennent d'ores et déjà la nécessité d'étendre le Schéma aux pays de l'Europe centrale et orientale;

3. Les collectivités locales et régionales, après l'élaboration de la Charte européenne de l'aménagement du territoire, ont soutenu activement les travaux d'élaboration d'un Schéma européen d'aménagement du territoire. Ce texte, qui a été élaboré par la délégation luxembourgeoise au sein de la CEMAT, représente en fait un document de référence important qui réunit et présente d'une manière systématique, les réflexions menées à bien au sein de l'Assemblée Parlementaire, de la CEMAT et de notre Congrès. Le Schéma représente en fait la deuxième étape dans l'élaboration des conceptions directrices communes au plan européen. La particularité du Schéma est qu'il est, au plan européen, le seul document qui représente, pour les différents secteurs politiques et les différents types de régions, les conclusions sur lesquelles on est arrivé à se mettre d'accord. Il s'agit par conséquent d'un recueil important de normes et conceptions communes élaborées au sein du Conseil de l'Europe. Ce document de 1998 limité aux pays de l'Europe de l'Ouest, devrait être repris par la CEMAT en vue d'y intégrer l'ensemble des nouveaux pays membres du Conseil de l'Europe.

4. La proposition d'étendre ce texte a été avancée, entre autres par le Congrès qui, dans le cadre de la Recommandation 7 (1994), a proposé non seulement de réviser la Charte européenne de l'Aménagement du territoire mais a également recommandé à la CEMAT d'actualiser le Schéma européen d'aménagement du territoire et de l'étendre aux nouveaux Etats membres du Conseil de l'Europe.

5. Par ailleurs, la Charte européenne de l'Aménagement du territoire reconnait l'importance du principe de subsidiarité et la nécessité de déléguer les compétences appropriées au niveau régional: "...l'aménagement du territoire organise la coordination et la coopération entre les divers niveaux de décision et la péréquation des moyens financiers. Il convient de faire en sorte que les diverses autorités concernées par la politique de l'aménagement du territoire soient dotées de compétences de décision et d'exécution ainsi que de moyens budgétaires suffisants. Le niveau régional reste le mieux approprié pour la mise en oeuvre d'une politique d'aménagement du territoire: il assure la coordination entre les instances régionales elles-même, les instances locales, nationales et entre régions des pays voisins." En outre, dans certains pays comme la Belgique, la Suisse, l'Autriche, l'Allemagne, l'Espagne, la politique d'aménagement du territoire ressort déjà de la compétence exclusivement régionale. Dans d'autres pays, les régions en sont les acteurs principaux.

6. Tous les textes susmentionnés soulignent le fait que les pouvoirs locaux et régionaux restent étroitement attachés à une participation directe à la définition des politiques de l'aménagement du territoire, étant donné qu'il s'agit de décisions touchant directement le cadre de vie et de travail des citoyens. Les deux éléments-clé à retenir sont donc l'application du principe de subsidiarité et la mise en oeuvre d'une politique de décentralisation.

7. Décentralisation, régionalisation et aménagement du territoire sont par conséquent étroitement liés, raison pour laquelle le Congrès a suivi les travaux en la matière avec un intérêt permanent tout en y introduisant ses considérations visant la régionalisation, à savoir: la création au niveau régional, de structures opérationnelles dotées de compétences propres.

8. A ce sujet, la Charte européenne de l'Autonomie locale et le projet de Charte européenne de l'Autonomie régionale récemment élaborés par le Congrès sont destinés à avoir des répercussions au plan des politiques d'aménagement du territoire.

9. Tenant compte des textes adoptés dans un passé récent et avec un regard attentif sur le présent et les perspectives futures, le Groupe de travail du Congrès "Perspectives de l'aménagement du territoire dans la Grande Europe" a décidé de soumettre au Congrès pour adoption un projet de Recommandation et un projet de Résolution.

Constat des données actuelles

10. Nous avons pris comme point de départ de notre rapport, la vérification des objectifs qui avaient été établis par la Charte européenne de l’aménagement du territoire à savoir: un développement socio-économique équilibré, l’amélioration de la qualité de vie, une gestion responsable de l’environnement et l'utilisation rationnelle des sols. La "Charte" avait également indiqué des éléments essentiels tels que le droit du citoyen à participer à la planification régionale, la protection de l’environnement, le développement durable et avait souligné l'importance que représente l'aménagement du territoire pour les régions, étant donné que "la région demeure le cadre le mieux approprié pour l’élaboration de la politique d’aménagement du territoire". Pour la réalisation de ces objectifs et depuis l'adoption de la "Charte", les régions ont dû essayer de respecter leur droit/devoir de participation à la conception et à la réalisation des politiques d'aménagement du territoire, tant au plan national qu'au plan européen.

11. L'aménagement du territoire doit aujourd'hui répondre aux grands défis socio-économiques auxquels sont confrontées nos sociétés. La restructuration industrielle, tant dans les régions de l'Ouest que de l'Est, représente un élément important dans ces considérations. Les acteurs de l'aménagement du territoire ne peuvent pas négliger le fléau du chômage et la réduction du tissu industriel avec toutes les conséquences aux plans urbain, social et culturel.

12. Des efforts importants ont été faits pour moderniser le tissu économique et industriel des régions afin de l'adapter aux nouvelles exigences de la globalisation de l'économie et de la compétition économique internationale; mais un certain nombre de problèmes subsistent et il n'y a pas toujours de solution facile.

13. Les investissements restent principalement concentrés dans les villes "plaques tournantes" et dans les capitales, ce qui provoque un nouveau processus de concentration territoriale des emplois, des revenus et des richesses qui peut entraîner un effet de marginalisation des régions désavantagées, en particulier celles éloignées des grandes agglomérations ou situées dans des zones peu accessibles (montagnes, îles etc.). De plus, bien que des grands ensembles de logements aient été construits, ces zones n'ont jamais été intégrées dans les communautés traditionnelles, provoquant ainsi des sources de tensions et de troubles potentiels.

14. La plupart des villes petites et moyennes dans lesquelles des usines-succursales ont été localisées sont devenues les premières victimes du déclin industriel. Ces usines remplissent dans ces villes une fonction sociale et leur fermeture signifie non seulement une perte d'emplois mais également une perte de services, équipement sociaux et en définitive une perte de richesse pour toute la zone concernée. Ceci entraîne des phénomènes de migration forcée socialement douloureux pour les travailleurs, entraînant de ce fait des difficultés pour les communautés d'accueil.

15. Encore plus de problèmes subsistent dans les régions de l'Europe centrale et orientale qui doivent non seulement procéder à une transformation et une modernisation économique et industrielle profonde mais qui, en plus, doivent maîtriser la transition politico-administrative de leurs structures étatiques. Les investisseurs potentiels préfèrent souvent rechercher une localisation située près du centre de l'Europe afin de réduire les coûts de transport. En effet, dans ces pays l'infrastructure des transports est généralement de faible qualité: une bonne partie des réseaux ferroviaires est à voie unique et uniquement opérationnelle à faible vitesse et seulement une petite partie du réseau routier se compose d'autoroutes et de voies expresses. Ceci confirme l'idée que le renforcement des axes de transport vers l'est est désormais indispensable.

Certes, dans les pays de l'Europe centrale et orientale le coût relativement réduit de la main d'oeuvre peut attirer les investisseurs, mais l'évolution économique moderne réclame de plus en plus une main d'oeuvre hautement qualifiée et organisée sur une base flexible qui n'est souvent pas disponible dans les pays de l'Europe centrale et orientale. De plus, ce type de main d'oeuvre est exigeant en ce qui concerne son cadre de vie et son environnement.

16. Les inégalités entre les différents territoires au sein de la grande Europe restent très importantes. A titre d'exemple, les écarts en terme de PNB par habitant peuvent varier de 700$ pour l'ex-République Yougoslave de Macédoine à 33 000$ pour la Suisse. Du point de vue de la localisation, le secteur privé et souvent le secteur public également, se concentrent sur les territoires les plus développés. Une insuffisance d'activité, d'évaluation, de contrôle et éventuellement de régulation des activités publiques et privées est ressentie.

17. Les phénomènes de la mondialisation et de la libéralisation de l'économie touchent également directement les régions et les municipalités. Le libéralisme et la mondialisation, dont les éléments-clé sont la concurrence à outrance et la flexibilité, peuvent engendrer des effets négatifs tels que la réduction des protections sociales, la baisse de la rémunération du travail, un certain individualisme, un relâchement de l'effort de solidarité entre individus, entre collectivités territoriales ou entre Etats. De plus, un laisser-faire non contrôlé entraîne l'accroissement des inégalités entre les hommes, entre les groupes sociaux et entre les différents territoires. En outre, la mondialisation de l'économie engendre des phénomènes de concurrence entre territoires et de dumping social, monétaire et environnemental.

18. Afin de réduire les inégalités existantes entre différents Etats et régions, il est souhaitable d'effectuer une meilleure distribution des activités humaines et des bénéfices qui en découlent au moyen, par exemple, de systèmes de péréquation des ressources. Les rapports récents sur la cohésion économique et sociale montrent que les disparités intercommunautaires n'ont pas disparues mais se sont au contraire parfois aggravées (comme par exemple dans certaines parties de l'Espagne et du Portugal).

19. Un dernier problème à évoquer également est celui de l'efficacité des services publics qui représente un élément essentiel pour la compétitivité d’un territoire donné et est indispensable aux entreprises publiques et privées aussi bien qu'aux simples citoyens. La tendance actuelle à la réduction des coûts et à la rentabilité immédiate risque de mettre en danger l'activité d'analyse des besoins des citoyens et l'offre de services publics adéquats.

20. Les politiques d'aménagement du territoire devraient tenir compte de ces problèmes et les considérer comme prioritaires. D'importantes initiatives politiques ont été lancées dans certaines régions et il serait souhaitable de pouvoir réunir, dans le cadre d'un système d'échange d'expériences, toutes les régions qui sont confrontées à des problèmes similaires afin de leur faire connaître ces exemples. Le Congrès a oeuvré dans ce sens pendant ces deux dernières années, par le biais des forums économiques des régions.

Nouvelles perspectives

21. Dans le cadre de ses activités, le Congrès a organisé en collaboration avec l'Association des villes polonaises et la ville de Poznan, du 3 au 5 avril 1997 à Poznan (Pologne), une Conférence sur le rôle des régions dans l'aménagement du territoire européen. La déclaration finale de cette Conférence représente la base des projets de Recommandation et de Résolution soumis au Congrès. La Conférence, qui a réuni pour la première fois des représentants locaux et régionaux des nouveaux pays membres de l'Europe centrale et orientale a montré que, pour une Europe toujours plus grande, un effort accru de cohésion économique et sociale est nécessaire. Il a été par ailleurs mis en évidence qu'une politique d'aménagement du territoire voulant contribuer au développement équilibré et durable des pays membres du Conseil de l'Europe, doit être fondée sur une coopération aux niveaux local, régional, national et européen et une promotion accrue de la décentralisation dans le respect du principe de subsidiarité.

22. Désormais, pour approfondir les problèmes liés aux territoires, les Etats ne peuvent plus renoncer à la contribution des régions et des municipalités. Dans la pratique, l'analyse des données nécessaires à l'activité de planification devrait aller au delà des "moyennes communautaires" et tenir compte de chiffres plus précis et plus représentatifs des réalités locales et régionales. Le Congrès a d'ailleurs récemment proposé d'envisager des études d’impact et d'évaluation des différentes politiques à la lumière d'une approche globale pour l’aménagement du territoire. Compte tenu du nombre élevé de politiques sectorielles, la proposition de vérifier l'impact global du cumul de ces politiques a été avancée. A ce sujet, l'impact sur l'environnement mérite une attention particulière. Il est également important de vérifier l'impact des politiques économiques et sociales sur tous les territoires et pas seulement sur les espaces ruraux. Par ailleurs, les politiques européennes ont elles aussi des conséquences sur les territoires locaux et régionaux et il est donc important de vérifier leur impact. De plus, les exigences d'une planification qui soit en même temps cohérente et à grande échelle exige une coordination, voire l’unification des travaux des organes européens représentatifs des autorités locales et surtout régionales et des organes gouvernementaux compétents en matière d'aménagement du territoire.

23. Un élément-clé pouvant contribuer à la solution de ces problèmes est sans doute la réalisation d'une décentralisation fondée sur la création et/ou le renforcement des pouvoirs locaux et régionaux qui sont les premiers à être concernés par les problèmes susmentionnés. Auparavant en effet, la stratégie était conçue et les règles définies au niveau central. Aujourd'hui, il est nécessaire de renforcer l’autonomie des élus locaux et régionaux en leur octroyant davantage de compétences, afin d'obtenir une régulation politique fondée sur la connaissance directe des problèmes et par là même efficace.

24. L'absence d'entités administratives décentralisées, dotées de pouvoirs décisionnels, affecte considérablement la création de synergies parmi les acteurs locaux et régionaux du secteur public et privé et empêche la valorisation de ressources endogènes des territoires. En matière d’aménagement du territoire, les régions en tant qu'observatrices privilégiées et grâce à leur savoir-faire, devraient pouvoir instaurer un dialogue permanent avec les instances étatiques, concerter les décisions et produire le meilleur résultat possible au bénéfice du citoyen. Cependant, la décentralisation ne peut jouer son rôle que conjointement à un système de péréquation efficace sans lequel les disparités seraient au contraire renforcées du fait du manque de ressources de la part de certaines régions. Quant à l'activité de planification, elle doit engager les différents niveaux et mettre en oeuvre une coordination efficace entre ceux-ci. Ainsi, pour mener une politique d'aménagement du territoire efficace, les Etats et les collectivités régionales devraient disposer des moyens et ressources adéquats.

25. L'activité de planification régionale, lorsqu’elle existe, a pris des formes diverses en fonction des différences historiques, culturelles, structurelles existant dans les Etats de la grande Europe. Cette activité devrait en tout cas essayer de se conformer à un déroulement en étapes distinctes auxquelles les autorités locales et surtout régionales devraient participer activement:

- une phase "ex ante" agissant par un examen avant toute décision des conséquences sur le territoire. Ainsi, si cela se révèle nécessaire, des mesures compensatoires pourront être prévues. Il s’agit là d’une étude d’impact territoriale;

- une phase "ex-post" fondée sur un examen des effets après la mise en oeuvre de la décision.

26. Les études d'impact territorial préalables à la mise en oeuvre des grandes politiques européennes et nationales et les activités d'évaluation de ces politiques par rapport à l'objectif général de cohésion sociale et territoriale sont le chemin conseillé.

27. Les régions quant à elles, devraient multiplier leurs efforts d'identification des atouts et vocations de leurs territoires et définir des stratégies appropriées de développement. Dans certains cas, une période d'apprentissage des techniques de prospectives territoriales, de la planification régionale et de développement durable intégré est nécessaire.

28. Dans certains pays d'Europe centrale et orientale, les politiques d'aménagement du territoire sont encore en phase de démarrage et il est urgent d'organiser des stages de formation et des échanges de spécialistes pour améliorer la formation des aménageurs et des décideurs. L'activité au niveau européen dans le domaine de l'aménagement du territoire devrait tenir compte d'une part de la nécessité d'une meilleure maîtrise des problèmes posés par une concentration d'activités et de populations dans les régions occidentales et, d'autre part, de la nécessité de valoriser les potentialités des régions orientales.

29. Récemment, des changements non négligeables sont intervenus sur le territoire européen: la notion territoriale de frontière a évolué et la définition quasi-unanimement acceptée de région frontalière inclut désormais un espace économique et social qui ne correspond pas forcément aux frontières géographiques officielles des Etats. La mise en oeuvre récente de l'Accord de "Schengen" a rendu encore plus évidente la nécessité de mieux maîtriser les problèmes de dislocation des populations sur le territoire en s'adaptant, le cas échéant, aux flux migratoires désormais libres et souvent imprévisibles qui se produisent en Europe.

30. Pour faire face à ces nouveaux défis, un premier moyen d'action est représenté par la coopération transfrontalière et interrégionale. La présence de groupes ethniques similaires des deux côtés des frontières représente une opportunité pour développer les échanges commerciaux, les économies d'échelle et pour participer efficacement à l'économie globale. Concrètement, la Convention-cadre sur la coopération transfrontalière, ses protocoles additionnels et le programme d’assistance technique sont des outils qui pourraient se montrer très efficaces s'ils étaient davantage exploités. La création de Commissions transfrontalières mixtes (gouvernements et régions) sur le thème de l’aménagement du territoire pourrait être une solution à ces problèmes. Il est utile de rappeler que la coopération transfrontalière a été définie en tant que domaine prioritaire pour les travaux du Conseil de l'Europe; les problèmes spécifiques des régions frontalières dans l'aménagement du territoire ont été depuis longtemps traités avec une attention particulière par le CPLRE. Il s'agit en premier lieu de coordonner les plans de développement régional dans ces zones et d'organiser une coopération entre les administrations compétentes. Pour les pays de l'Europe centrale et orientale, la coopération transfrontalière représente un nouveau défi dans toute considération de l'aménagement du territoire. Il serait souhaitable d'établir, dans ces pays, des structures appropriées aux niveaux administratifs locaux et régionaux pour assurer dans le domaine de l'aménagement du territoire transfrontalier, la mise en oeuvre d'une coopération permanente et cohérente. Ceci pourrait se faire par la promotion et l'élaboration d'orientations directrices communes pour la mise en place de plans communs de développement dans des régions frontalières. Il s'agit là d'une contribution concrète à l'élaboration -le long des frontières européennes- des plans d'aménagement communs pour améliorer le cadre de vie des citoyens et pour faciliter les activités économiques et commerciales transfrontalières.

31. Un autre instrument-clé de lutte contre les problèmes de migration est fourni par une diffusion accrue et répandue des nouvelles technologies de l'information. Actuellement, l'Europe de l'Ouest est couverte par un réseau de liaisons répondant aux besoins croissants de l'économie et des administrations aux plans régional, national et européen. Cependant, on constate des disparités importantes dans la densité de l'utilisation des moyens informatiques en Europe. Il est important de développer, dans le cadre de la politique d'aménagement du territoire, des conceptions pour assurer un développement équilibré. Les moyens informatiques et télématiques peuvent permettre aux populations "éloignées" de bénéficier d'informations et de services à distance, contribuant ainsi à l'accroissement du potentiel économique de ces régions. De plus, dans certaines activités, notamment dans le domaine des services, ces moyens pourraient réaliser le pari de transférer certaines activités là où la main d'oeuvre est largement disponible, plutôt que de contraindre les populations à migrer vers les centres demandeurs de main d'oeuvre. Ceci pourrait en définitive, contribuer à réduire les migrations vers les grands centres urbains et industriels. Cette politique devrait être coordonnée avec des conceptions pour le développement des régions rurales qui, à travers ces moyens, peuvent trouver de nouveaux essors pour leur développement économique. L'informatisation de la société peut partiellement éviter que de nouvelles concentrations qui accentuent les déséquilibres territoriaux actuels se développent.

32. Nous savons que, actuellement, deux aspects de l'aménagement du territoire subsistent: tout d'abord la nécessité d'équiper les territoires avec les services publics indispensables, mais également la répartition de façon plus équilibrée des richesses des territoires. Il demeure difficile d'appliquer ces deux notions à la Grande Europe. La notion de cohésion territoriale peut inclure les deux aspects susmentionnés. Cette notion est, pour ainsi dire, l'antithèse de la destruction territoriale à laquelle nous sommes souvent confrontés aujourd'hui. Les territoires sont aujourd'hui obligés de se réorganiser en raison du phénomène de mondialisation, et la cohésion territoriale représente une politique permettant aux territoires de s'adapter aux évolutions. Ceci va tout à fait dans le sens de la nécessité de concilier le libre marché et la planification territoriale. Il est par ailleurs important de réaliser également une protection des Droits de l'Homme dans le sens du maintien de la liberté de l'individu de vivre sur son propre territoire, en cohérence avec les principes du Conseil de l'Europe. Lors des travaux du Groupe de travail, plusieurs membres ont tenu justement à souligner que de nos jours il ne s'agit plus seulement de problèmes du territoire, mais qu'il s'agit également d'affronter les politiques économiques et surtout les politiques sociales, les analyses techniques devant désormais être orientées en priorité à la solution du problème du chômage.

33. Un autre élément d'actualité est celui de la nécessité d'investir en infrastructures et en formes de soutien pour les petites et moyennes entreprises. Pour cette raison, la proposition de Résolution présentée au Congrès, lance l'initiative de l'organisation d'une conférence sur la situation des transports. La quasi-totalité des secteurs économiques sont tributaires de réseaux de transports efficaces. En effet toute forme d'activité et notamment les activités commerciales devraient pouvoir bénéficier d'un réseau de transports permettant d'exercer aisément les activités de production et de distribution. Les politiques de transports et la définition des grands axes de communication représentent les bases pour tout développement régional. Le CPLRE a réalisé dans ce domaine d'importants travaux contenant des propositions concrètes élaborées sur la base de consultations des élus locaux et régionaux. Ces travaux mériteraient d'être repris et approfondis dans le cadre géographique de la nouvelle Europe. Il va de soi qu'il s'agit d'un domaine où les critères du développement durable devraient être directement appliqués par la politique d'aménagement du territoire.

34. Finalement, un problème d'actualité mis en évidence a été celui de la nécessité de consultation et de participation active des citoyens, des associations intéressées et des experts en la matière, avant toute définition des politiques d'aménagement du territoire. Pour ce faire, les niveaux local et régional étant les plus proches du citoyen représentent non seulement les niveaux les mieux appropriés pour promouvoir une politique démocratique d'aménagement du territoire mais également les niveaux où l'on peut réaliser au mieux la mise en cohérence d'un développement territorial tenant compte des exigences réelles des populations concernées. Ce qui devrait être présent dans chaque Etat lorsqu'il s’agit de planification, c’est la consultation effective de la population et des autorités locales et régionales.

Relations inter-institutionnelles et coordination

35. Lors de la 10e CEMAT à Oslo en 1994, l'Assemblée Parlementaire avait proposé d'étudier les travaux portant sur le Schéma européen global d'aménagement du territoire. Devant l'insistance des élus, les Ministres de la CEMAT avaient chargé leur Comité des Hauts Fonctionnaires d'examiner et de présenter un rapport sur la proposition de l'Assemblée Parlementaire concernant un schéma européen global d'aménagement du territoire et d'améliorer le dialogue avec le Congrès des Pouvoirs Locaux et Régionaux de l'Europe et l'Assemblée Parlementaire. Les nombreuses initiatives, les activités et les opinions récentes exprimées par le Congrès auraient dû naturellement être intégrées dans les travaux de la 11e Session de la Conférence Européenne des Ministres responsables de l'Aménagement du Territoire (CEMAT) et de son Comité des Hauts Fonctionnaires qui se sont réunis respectivement à Limassol (Chypre) les 15-17 octobre 1997 et à Strasbourg les 24-25 novembre 1997. Lors de la 11e Session précitée, les élus ont dû constater qu'aucune suite n'avait été donnée à ces instructions ministérielles. En ce qui concerne plus particulièrement l'Assemblée Parlementaire, le Comité n'avait pas respecté l'obligation de présenter un rapport sur la proposition de Schéma global d'aménagement du territoire.

36. Comme les réunions susmentionnées l'ont démontré, le débat en matière d'aménagement du territoire a été souvent très technique et complexe. Pour cette raison, l'échange d'informations entre les instances précitées revêt une importance particulière. Or, les relations entre le Comité des Hauts Fonctionnaires de la CEMAT et le Congrès se sont récemment avérées difficiles. Le manque de dialogue entre ces instances a risqué de compromettre le bon déroulement des travaux.

37. Cette question est d'une importance majeure si nous considérons que le fait de négliger les contributions apportées par les élus du Congrès et de l'Assemblée Parlementaire aux travaux en matière d'aménagement du territoire ont risqué de diminuer considérablement la valeur des textes adoptés. Il serait dommageable de diminuer la portée des actions mises en oeuvre et ce en raison d'une situation conflictuelle, les experts gouvernementaux ayant des difficultés à admettre l'importance du rôle du Congrès et de l'Assemblée Parlementaire dans ce domaine.

38. Actuellement, le dialogue entre les instances gouvernementales nationales et régionales a été relancé lors de la "réunion tripartite" organisée par le Secrétaire général adjoint du Conseil de l'Europe qui a eu lieu à Strasbourg le 27 janvier 1998. Les représentants de la CEMAT, du Congrès et de l'Assemblée parlementaire ont clarifié leurs positions et ont trouvé un accord sur un certain nombre de points. Les représentants de la CEMAT ont pris l'engagement de garder les contacts avec les instances électives et il a été convenu que le CPLRE participera concrètement à la préparation de la 12e CEMAT et notamment à la préparation du document final. Une initiative d'intérêt particulier a été celle de prévoir l'organisation en 1999 d'une réunion tripartite élargie avec une contribution spécifique de l'APCE et du CPLRE en matière d'aménagement du territoire des pays de l'Europe centrale et orientale. La possibilité d'organiser des réunions tripartites restreintes de façon ponctuelle confirme la volonté d'améliorer les relations entre instances gouvernementales nationales et régionales. Ceci est de bon augure pour le déroulement de leurs relations futures.

39. Le dialogue entre ces instances est actuellement d'autant plus indispensable vu l'avancement des travaux visant l'élaboration d'un Schéma paneuropéen de l'aménagement du territoire et/ou l'élaboration des principes directeurs d'aménagement durable et global de la Grande Europe tenant compte des nécessités des régions des nouveaux pays membres du Conseil de l'Europe.

40. La tenue de conférences dans les pays d'Europe centrale et orientale, évoquée dans la proposition de Résolution présentée au Congrès, pourra permettre aux collectivités locales et régionales de la Grande Europe, y compris celles de sa périphérie, de faire le point sur leurs propositions dans le domaine de l'aménagement du territoire et permettra au Congrès d'acquérir une expérience supplémentaire en la matière. La même remarque peut s'appliquer aux résultats des échanges de savoir-faire et d'expériences réalisés par le biais d'actions de partenariat entre villes et régions au profit des pays d'Europe centrale et orientale et par le biais des forums économiques des régions organisés périodiquement par le Congrès.

41. Toutefois, au niveau des pays de l'Europe centrale et orientale, un problème qui reste à résoudre est celui de la création de structures régionales démocratiques dotées des pouvoirs nécessaires en matière de développement et d'aménagement du territoire, mais des progrès sont en cours en Europe centrale (Pologne, République Tchèque, Slovaquie, Slovénie, Roumanie). Là aussi les autorités gouvernementales et notamment la CEMAT devraient faire appel à la contribution du Congrès.

42. Un autre point sensible est celui de la coordination des activités de l'Union européenne et celles du Conseil de l'Europe en général. Il est important d'insister sur la nécessité de développer la coopération bilatérale entre les deux instances.

43. Les décisions récentes concernant l'élargissement de l'Union européenne rendent encore plus urgentes les nécessités de lancement d'un programme d'assistance aux pays d'Europe centrale et orientale afin de permettre un transfert de savoir-faire en matière d'aménagement du territoire qui puisse également profiter aux autorités régionales et locales. Par ailleurs, l'Union européenne a récemment pris des décisions formelles qui vont dans le sens de son élargissement vers les pays de l'Europe centrale et orientale; or le Congrès dispose déjà d'instruments techniques et d'une expérience non négligeable, acquise sur le territoire des pays candidats, qui peut aider les régions de ces pays à participer à la définition d'une approche globale en matière de développement spatial.

Un premier pas dans ce sens a été fait les 27-28 avril 1998 à l'occasion de la Conférence sur la "Stratégie politique du continent européen" organisée conjointement par la Commission européenne, le Conseil de l'Europe et la République Fédérale d'Allemagne, à laquelle le Congrès a participé activement.

44. L'élaboration d'un Schéma européen global d'aménagement du territoire s'étendant à l'ensemble des pays membres du Conseil de l'Europe devient donc désormais indispensable et l'expérience acquise par le Congrès sur le territoire des pays de l'Est européen pourrait notamment être utile à l'adaptation du Programme communautaire INTERREG de la Commission Européenne. Dans cette perspective, les Institutions de l'Union européenne et notamment la Commission, le Parlement Européen et le Comité des Régions devraient également être amenées à coopérer davantage avec les organes du Conseil de l'Europe.

45. De plus, le Congrès se fait l'initiateur d'idées importantes en matière d'aménagement du territoire, à savoir: la proposition de création d'un centre européen de formation sur l'aménagement du territoire en tant que laboratoire de recherche et de formation des élus et des personnels et la création d'un "Observatoire de la cohésion territoriale en Europe". Il est important de souligner que cette proposition, évoquée dans le texte de la Résolution, ne porte aucunement atteinte à l'indépendance des Etats. L'idée d'un tel observatoire découle notamment de la nécessité de réaliser une évaluation des progrès ou des reculs, de la cohésion territoriale. En effet, à titre d'exemple, la réalisation d'une grande infrastructure, la privatisation d'un service public ou la modification d'une règle peuvent avoir des conséquences positives pour certaines régions mais négatives pour d'autres. Une bonne connaissance de l'évolution des territoires est indispensable aux autorités politiques, pour leur permettre de la maîtriser.

Dans ce sens, l'activité de l'Observatoire paneuropéen de la cohésion territoriale pourrait intervenir et se concrétiser de la façon suivante:

L'Observatoire pourrait procéder, avant la prise de décisions, à une analyse des conséquences territoriales des décisions mêmes. L'examen préalable des avantages et des inconvénients territoriaux pourrait aboutir soit à changer la décision envisagée, soit à l'accompagner par des mesures compensatoires dans le cas où des territoires seraient menacés. Il s'agirait d'étendre à l'aménagement du territoire, la technique de l'étude d'impact, en vigueur dans de nombreux Etats, en matière d'environnement et de paysage, tout en développant les études d'impact territorial. Il s'agirait ensuite d'observer les résultats des politiques publiques et du comportement des agents économiques privés au regard des objectifs de cohésion territoriale (qu'il s'agisse de la concentration des activités et des hommes dans les espaces les plus développés ou de la réduction des disparités régionales).

Le Conseil de l'Europe, qui a déjà manifesté son intérêt pour une académie européenne des territoires, pourrait prendre l'initiative de créer un observatoire indépendant chargé d'étudier les différents aspects des développements de la cohésion territoriale, voire même de la cohésion considérée dans son ensemble. Les Délégués régionaux du Congrès, par le biais de l'Observatoire, pourraient contribuer à définir des mécanismes de développement de la dynamique territoriale et des orientations stratégiques. Ceci permettrait aux régions de participer activement à la définition des politiques d'aménagement du territoire dans un contexte international qui prenne en compte les interactions entre Etats et également entre régions, en mettant surtout en relief les interactions entre territoires frontaliers. Par ailleurs, il serait également possible d'envisager une activité d'analyse de l'impact des politiques européennes sur les différents territoires.

Ces initiatives devraient également faire l'objet d'une discussion approfondie entre le Congrès et la CEMAT.

46. Finalement, le Congrès, comme cela est mentionné dans le projet de Résolution présenté au Congrès, a l'intention de réunir les responsables politiques régionaux de l'aménagement du territoire qui constituent les vrais interlocuteurs des Ministres membres de la CEMAT.

* * *

47. En conclusion, nous essayons de tracer dans ce rapport, un cadre des problèmes d'actualité et de donner des propositions de lignes d'actions pour les années à venir:

48. Il est nécessaire d'élaborer un Schéma européen global d'aménagement du territoire s'étendant à l'ensemble des pays membres du Conseil de l'Europe et traçant les lignes directrices pour la cohésion territoriale du continent. Les composantes d'un tel schéma ne devraient pas porter uniquement sur des éléments environnementaux, mais également sur des structures concrètes comme les réseaux de transport et les réseaux transfrontaliers. D'autre part, les difficultés actuelles des sociétés européennes touchées profondément par le fléau du chômage, suggèrent un approfondissement des aspects à connotation sociale des politiques de l'aménagement du territoire.

49. Le processus de régionalisation, fondé sur une reconnaissance de la dimension politique locale et régionale et sur le respect du principe de subsidiarité est un élément indispensable à la gestion des politiques d'aménagement du territoire; le renforcement et le développement des outils "coopération interrégionale et transfrontalière" qui évitent les fractures entre territoires et facilitent la cohésion territoriale, sont également d'importance capitale.

50. Les problèmes sociaux sont aujourd'hui prioritaires à l'intérieur des politiques de l'aménagement du territoire. Il est nécessaire de poursuivre sur la voie des politiques permettant, d'une part, de résoudre de façon durable le problème du chômage et garantissant d'autre part aux citoyens européens la possibilité de vivre dans leur pays d'origine dans un cadre de vie acceptable.

51. Le dialogue entre instances gouvernementales nationales, régionales et européennes est un élément indispensable à la réalisation cohérente des objectifs de la politique de l'aménagement du territoire.