Les enjeux de la régionalisation en Europe du Sud-Est - CPR (11) 6 Partie II

Rapporteur :
Carlo ANDREOTTI, Italie,
Chambre des régions
Groupe politique : PPE/DC

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EXPOSE DES MOTIFS

1. INTRODUCTION1

Les possibilités de développement de structures régionales concrètes et efficaces dans les pays d’Europe du Sud-Est (ESE) ne peuvent être examinées qu’en tenant compte de la situation historique, politique, socio-économique et de la situation en matière de sécurité dans cette partie de l’Europe car l’ensemble de ces facteurs agissent sur les décisions dans ce domaine. Néanmoins, il est évident qu’une évolution positive du processus de régionalisation créerait une situation propice au développement et au renforcement de la démocratie et de la stabilité dans les pays concernés, et dans l’ensemble de la région, en établissant ainsi des bases favorables à la participation de cette partie de l’Europe aux processus d’intégration, en particulier dans le cadre de l’Union européenne.

Cette analyse vise à donner une vue d’ensemble de l’état actuel de la régionalisation dans les pays d’Europe du Sud-Est, met en évidence les facteurs qui s’opposent à son renforcement et formule quelques recommandations susceptibles d’améliorer la situation en ce domaine.

La régionalisation dans les pays d’Europe du Sud-Est est une question très complexe, qui présente de multiples facettes et doit être envisagée de manière globale en tenant compte, comme indiqué plus haut, de tout un ensemble de facteurs interdépendants au niveau de chaque Etat et de l’ensemble de la région. Du fait de la composition démographique de la région, la question de la régionalisation est étroitement liée dans de nombreux pays à l’état des relations interethniques et inter-religieuses et au statut des divers groupes ethniques dans la structure politique et administrative d’un pays.

Les questions de la régionalisation et de l’autonomie territoriale sont fréquemment à l’ordre du jour politique dans les pays d’Europe du Sud-Est et certaines réformes territoriales ont formellement été introduites. Toutefois, un coup d’œil rapide sur l’organisation territoriale actuelle des pays d’Europe du Sud-Est suffit à montrer la nécessité d’une poursuite des réformes.

La Slovénie est ici incluse dans l’examen du processus de régionalisation en ESE, bien que ce pays ne soit pas généralement considéré comme appartenant au groupe des pays d’Europe du Sud-Est et afin de bien montrer la nécessité de remodeler aussi les bases de l’organisation territoriale de ce pays qui se trouve actuellement déjà admis à l’Union européenne. La Slovénie demeure, en effet, un Etat fortement centralisé où n’existe pas de second niveau territorial autonome. Ce pays constitue l’une des frontières sud de l’UE à l’égard de l’ESE et, en tant que tel, devra servir de tête de pont pour le transfert direct de l’expérience de l’UE vers la région d’Europe du Sud-Est, notamment en matière de régionalisation.

Le second niveau de l’autonomie locale est aussi absent dans la Republika Srpska (Bosnie-Herzégovine), en Serbie (à l’exception du statut spécial de la province de Voïvodine) et au Monténégro et dans « l’ex-République yougoslave de Macédoine ». D’autres pays (Albanie, Bulgarie, Croatie, Moldova, Roumanie) et la Fédération de Bosnie-Herzégovine disposent de certaines formes d’unité territoriale de niveau intermédiaire entre l’Etat central et les municipalités.

Malgré l’existence de certaines formes d’unité territoriale de niveau intermédiaire dans les pays énumérés ci-dessus, il serait difficile de nier que les différentes structures concernées du pouvoir gouvernemental se montrent, de manière générale, peu déterminées à agir en faveur d’une régionalisation concrète et effective. Les gouvernements centraux manifestent au contraire très souvent une certaine résistance à l’attribution de l’autonomie territoriale définie selon les critères élaborés par les structures du Conseil de l’Europe.

La création de régions administratives, plutôt que de régions basées sur la participation démocratique des citoyens aux processus décisionnels, est souvent utilisée comme un moyen de débattre politiquement les revendications d’autonomie exprimées par certaines communautés ethniques ou de détourner les demandes de mouvements politiques en faveur de la restauration, dans les régions mixtes d’un point de vue ethnique, des formes d’autonomie territoriale régionale qui ont été supprimées lors du processus de centralisation du pays (par exemple l’autonomie de la province de Voïvodine en Serbie-Monténégro).

La création d’unités administratives régionales est parfois aussi utilisée comme un moyen de diviser une communauté ethnique et son territoire et d’interférer ainsi avec le processus de développement d’une identité et d’aspirations politiques communes (voir le cas du Sandjak divisé entre les deux composantes de l’Etat de Serbie-Monténégro). Le Kosovo représente dans cette perspective une zone politique, géographique et administrative d’une certaine complexité pour laquelle aucun modèle définitif a été arrêté. Le Conseil de l’Europe s’est fortement engagé à contribuer à la création des structures démocratiques de l’autonomie locale pour stabiliser l’évolution socio-politique de ce territoire. L’idée d’une « cantonisation » du Kosovo a été lancée récemment par le Premier Ministre de Serbie, M. V. Kostunica, comme élément d’une solution définitive au Kosovo, notamment en ce qui concerne le statut de la minorité serbe et d’autres minorités. Les opposants à cette proposition l’ont interprétée comme une tentative de créer une situation pouvant favoriser ultérieurement la partition du Kosovo sur une base ethnique.

L’analyse montre que les pays d’Europe du Sud-Est sont aujourd’hui généralement encore loin de reconnaître que l’échelon régional doit constituer le cadre essentiel pour appliquer les décisions du centre en matière de développement et que les régions doivent bénéficier de compétences importantes, afin d’assurer une organisation et une administration territoriale fonctionnelle, démocratique et efficace du pays. On a l’impression qu’ils ne comprennent pas que cette organisation territoriale est indispensable pour qu’un pays puisse acquérir avec cette décentralisation les moyens d’un développement réussi et harmonieux à la fois des différentes parties qui le composent et de l’ensemble du pays. En outre, les pays d’Europe du Sud-Est ne sont guère prêts à autoriser les régions à devenir des plates-formes autonomes pour des relations transfrontalières au niveau micro-territorial, sur la base d’un élargissement de leurs compétences de gestion dans les domaines d’intérêt commun. Un tel cadre, qui est devenu la norme au sein de l’UE et qui est considéré comme la base du progrès de l’intégration territoriale en Europe, est encore trop souvent perçu dans la région d’Europe du Sud-Est comme un danger pour la souveraineté nationale.

Une évaluation générale de la situation en Europe du Sud-Est oblige à reconnaître que l’ensemble des pays considérés sont encore essentiellement des Etats centralisateurs ; les différences formelles qui existent entre eux ne permettent pas de remettre en cause ce jugement. Ce qui existe d’autonomie régionale dans les pays de l’ESE a été introduit principalement en réponse aux recommandations des institutions et organes internationaux et non comme une tentative réelle de décentralisation des compétences sur la base de ressources financières adéquates lancée par des besoins nationaux. Par conséquent, les structures qui existent au niveau régional manquent généralement d’autonomie de décision, ne disposent pas des compétences nécessaires pour exécuter certaines tâches essentielles dévolues ailleurs aux échelons régionaux et enfin, dernier aspect mais non des moindres, les régions ne disposent pas de sources propres de financement adéquates et suffisantes.

Les régions d’Europe du Sud-Est ne disposent donc pas des instruments et mécanismes nécessaires pour remplir le rôle d’unité territoriale-administrative autonome capable d’exécuter les tâches essentielles à la régulation de la vie économique et sociale dans chacune des aires géographiques concernées.

2. EVALUATION

L’analyse de la situation dans chacun des pays d’Europe du Sud-Est permet d’affirmer que, d’une manière générale, le processus de régionalisation territoriale et de décentralisation administrative sont en ESE clairement en retard par rapport aux développements comparables dans d’autres régions d’Europe centrale. Au cours de la dernière décennie, ces pays ont sans aucun doute modifié leur attitude sur les questions d’organisation territoriale décentralisée et annoncé leur intention d’envisager des réformes administratives et d’introduire une véritable autonomie territoriale. Cependant, la mise en œuvre de ces intentions reste généralement inadéquate, insuffisante et trop étalée dans le temps. Du fait de la lenteur des réformes administratives et territoriales, les pays d’Europe du Sud-Est sont certainement en train de perdre un temps précieux dans le processus dit de « rattrapage » en Europe, qui vise à assurer dans un avenir proche une plus grande cohésion sociale et économique entre les parties « orientale » et « occidentale » de l’Europe.

Le facteur le plus important s’opposant à la réussite de la régionalisation est le manque général d’expériences, d’informations détaillées et de préparation des structures politiques à accomplir les réformes et la réorganisation nécessaires. Ces activités constituent dans la plupart des cas un élément essentiel de la modernisation du système politique et administratif et de la structure de l’Etat dans son ensemble, qui est indispensable pour créer des bases favorables au développement socio-économique, à la stabilité et, à la longue, à la future intégration au sein de la structure de la communauté européenne.

En raison du poids de leur héritage historique récent et des difficultés liées à la période de transition, les pays d’Europe du Sud-Est sont encore profondément soumis à certaines structures politiques et sociales rigides qui sont parvenues à se maintenir et sont assez peu inclines à une réforme approfondie du mode de gestion de l’Etat. Cette situation se manifeste par la résistance à l’introduction de réformes de fond susceptibles de réduire le pouvoir et les compétences d’une petite élite politique qui monopolise le pouvoir dans ces pays. La régionalisation et la décentralisation du pouvoir sont trop souvent perçues, nous le soulignons une nouvelle fois, comme un danger pour l’unité et la souveraineté de l’Etat-nation unitaire qui demeure le modèle dominant d’organisation de l’Etat en Europe du Sud-Est.

Le niveau central, cependant, n’est pas le seul à s’opposer au processus de régionalisation. Les échelons local et municipal résistent aussi à la dévolution de certaines compétences aux régions. Cette opposition, bien entendu, n’est pas le seul facteur qui empêche le passage à la régionalisation dans tel ou tel pays. La création d’un grand nombre de municipalités de petite taille, faibles et dépourvues de réels pouvoirs, est parfois un moyen dont se servent les élites politiques au pouvoir pour maintenir les compétences du gouvernement central car celles-ci ne peuvent être remises en cause par de petites unités locales privées de pouvoir. Il y a lieu de mentionner ici que tous les pays d’Europe du Sud-Est, à l’exception de la Serbie-Monténégro, ont déjà ratifié la Charte européenne de l’autonomie locale. L’opposition à une régionalisation efficace dans les pays où les deux niveaux de la décentralisation (régional et local) ont déjà une existence formelle résulte aussi parfois de l’insuffisance des dispositions légales, qui ne définissent pas de manière précise la répartition des compétences et des ressources financières entre les deux niveaux de la démocratie locale : celui des régions et celui des unités locales.

Les structures gouvernementales des pays d’Europe du Sud-Est n’ont pour la plupart pas encore accepté l’idée générale du fonctionnement de l’Etat moderne que l’on peut résumer dans la formule « travailler pour les citoyens, le plus près possible des citoyens ». Cette idée s’incarne dans le principe de subsidiarité en tant que base principale de l’organisation territoriale en Europe, aujourd’hui définie par la Charte européenne de l’autonomie locale. Les gouvernements des pays d’Europe du Sud-Est sont réticents à transférer les compétences au plus près des citoyens car ils perçoivent toujours la régionalisation comme un danger pour l’intégrité de l’Etat et comme pouvant ouvrir la voie au séparatisme de certaines communautés ethniques formant un groupe démographique important dans telle ou telle région. La régionalisation, d’ailleurs, est souvent utilisée, comme on l’a déjà indiqué, comme un moyen de s’opposer à de telles velléités, notamment en divisant et en répartissant de manière délibérée un groupe ethnique vivant dans une région particulière entre plusieurs unités administratives régionales. Le manque de confiance aux élus du niveau régional représente une forte réticence pour déléguer notamment les moyens budgétaires, vu les différents aspects liés au phénomène de la corruption économique, administrative et politique qui est toujours présent.

Les raisons générales du désintérêt persistant des structures politiques à l’égard de la réorganisation territoriale apparaissent clairement dans le fait que les pays d’Europe du Sud-Est, à l’exception de la Slovénie et, dans une certaine mesure également, de la Bulgarie et de la Roumanie, ne sont pas inclus dans la première et la deuxième phase du processus d’intégration européenne et sont encore à l’écart des processus de régionalisation et de réorganisation du territoire liés aux programmes conjoints d’intégration européenne.

3. CONCLUSIONS ET PROPOSITIONS

On trouvera ci-dessous quelques propositions et recommandations en vue des futures politiques européennes cherchant à améliorer la situation dans le domaine étudié et, en particulier, des politiques du Conseil de l’Europe et du Congrès :

La promotion d’une authentique démocratie régionale constitue sans aucun doute l’un des éléments déterminants du processus de stabilisation et de développement de la région d’Europe du Sud-Est. Il est essentiel de parvenir à développer des mécanismes permettant de diffuser également dans cette partie de l’Europe des modèles de régionalisation tels qu’ils existent dans d’autres pays européens. Pour débattre des moyens efficaces de construire des régions, il est utile de définir trois niveaux de relations susceptibles d’affecter le fonctionnement du niveau régional :

Les trois conditions fondamentales d’une politique efficace à l’égard de l’Europe du Sud-Est sont :

La promotion de l’autonomie, afin d’améliorer les relations interethniques et inter-religieuses dans la région, est dans ce contexte de la plus haute importance. Le découpage territorial peut avoir pour effet de favoriser la coexistence entre groupes ethniques différents à l’intérieur d’une région et d’un pays mais il peut aussi devenir une source constante de désaccords et de tensions interethniques. Malheureusement, aucun principe général n’est le plus souvent en mesure de satisfaire les demandes de toutes les parties en cause et la solution doit passer par un difficile processus de négociation politique.

L’élaboration d’une Convention européenne de l’autonomie régionale par le Conseil de l’Europe acquiert dans ce contexte une importance toute particulière. Il est donc nécessaire de poursuivre les efforts pour l’adoption de la Charte et de ses recommandations. Le renforcement de véritables structures de démocratie régionale ne deviendra possible qu’à partir du développement de la législation internationale et d’une volonté politique de son application dans chacun des pays concernés. Ce processus servira ensuite de base pour la mise en œuvre des objectifs définis par l’UE, le Conseil de l’Europe et d’autres organisations internationales à l’égard de la région.

Il serait souhaitable de chercher à susciter, à l’aide de méthodes adéquates, le développement d’un consensus social dans les pays de l’ESE sur la nécessité d’une décentralisation de l’organisation politique. Les pays d’Europe du Sud-Est doivent comprendre que la régionalisation du territoire est un processus ayant pour effet de renforcer un pays plutôt que de l’affaiblir.

L’expérience des pays de l’UE en matière de régionalisation fournit naturellement l’un des modèles les plus importants pour les développements à venir en Europe du Sud-Est. Dans le transfert d’expérience, une attention particulière doit être accordée à l’impact des politiques de l’UE en ce domaine. L’ensemble des pays d’Europe du Sud-Est ont annoncé leur désir de devenir membre de l’UE et mènent – plus ou moins selon les pays – des efforts pour remplir les critères d’accession définis par l’UE.

L’expérience européenne en ce domaine est de la plus haute importance comme moyen de stimuler le développement de processus comparables dans la région d’Europe du Sud-Est. Compte tenu de la situation particulière des pays de la région, il serait fortement souhaitable d’élaborer des moyens et méthodes spécifiques pour assurer un transfert plus efficace des informations et de l’expérience des pays de l’UE en matière de régionalisation.

Les aspects contextuels les plus importants du processus de régionalisation en Europe devraient être portés à l’attention des pays d’Europe du Sud-Est afin de définir une plate-forme rationnelle en vue de la régionalisation dans ces pays. Comme on le sait, l’accent mis au sein de l’UE sur le modèle régional d’organisation du territoire vise à empêcher que la libéralisation du marché et des échanges ne contribue à accroître les écarts de développement entre différentes parties de l’Europe. D’une manière générale, la promotion de l’autonomie régionale (et locale) au sein de l’UE semble répondre à trois motivations qui sont aussi certainement pertinentes du point de vue des pays d’Europe du Sud-Est.

Premièrement, la constitution de plates-formes régionales offre l’assise la mieux adaptée à la répartition des ressources financières (point de vue du sommet vers la base). Pour atteindre des objectifs préalablement définis, une approche géographique est préférable aux politiques sectorielles qui, à l’échelle de l’énorme territoire européen, risquent facilement de perdre leur raison d’être pour cause de surdimension.

Deuxièmement, l’expérience de la dernière décennie montre que l’approche régionale de la promotion du développement est beaucoup plus efficace que l’approche nationale ou supranationale (point de vue de la base vers le sommet). Les régions constituent un cadre mieux approprié pour intégrer les diverses interventions spécifiques nécessaires à la mise en œuvre d’un projet de développement car elles sont plus proches des citoyens et des caractéristiques de telle ou telle partie du territoire et elles permettent donc de comprendre plus facilement quels sont les enjeux du moment.

Troisièmement, du point de vue des exigences en matière de développement durable, les régions sont mieux placées pour coordonner et gérer les activités nécessaires au niveau horizontal avec les structures homologues d’autres régions ou même de l’autre côté de la frontière.

La régionalisation est devenue dans ce contexte l’outil le plus important pour répondre aux défis du développement en Europe. Parallèlement à l’intégration politique en Europe et à la décentralisation des tendances en matière de développement, les processus décisionnels se déplacent vers l’échelon régional et local, afin de rapprocher les instruments de régulation des citoyens et de l’environnement où se tiennent les activités. Le niveau régional constitue donc un cadre important de la vie démocratique dans chaque pays où le citoyen peut exercer sa responsabilité pour organiser son cadre de vie socio-politique. Il est nécessaire qu’il bénéficie de compétences suffisantes pour pouvoir exécuter les tâches qui lui sont confiées. Par contre, en Europe du Sud-Est, la régionalisation, comme indiqué plus haut est encore fréquemment perçue comme un danger pour l’intégrité territoriale et non comme une condition indispensable à la réussite du développement. L’expérience des pays de l’UE à cet égard montre clairement quel est le type d’organisation territoriale et administrative capable de répondre aux exigences d’efficacité territoriale et de flexibilité imposées par les tendances actuelles du développement.

La seule prise en compte de l’expérience positive de l’UE ne saurait cependant suffire. Il est nécessaire aussi d’assurer la mise en œuvre efficace des objectifs actuels de la politique de « stabilisation et d’association » de l’UE et de travailler à son amélioration. Prenons l’exemple du programme CARDS (Assistance communautaire pour la reconstruction, le développement et la stabilisation). Le cadre stratégique régional du programme CARDS identifie quatre domaines principaux d’aide à la coopération régionale : la gestion intégrée des frontières, le renforcement des capacités institutionnelles, le soutien à la stabilisation démocratique, l’assistance à la planification des capacités infrastructurelles et au développement de leur liaison aux réseaux européens. Le plan d’action du programme CARDS présuppose donc l’existence d’un système territorial régional efficace en état de fonctionnement. Ceci constitue, à notre avis, le principal défaut des programmes officiels de l’UE en direction de l’ESE. La région d’Europe du Sud-Est a besoin avant tout d’interventions à la base pour mener à bien les réformes territoriales nécessaires, développer les capacités institutionnelles et assurer la mise en place de directions adaptées au niveau régional. Avec ses programmes en direction de l’Europe du Sud-Est, l’UE peut jouer un rôle essentiel de soutien des processus de réorganisation territoriale et administrative de la région. Dans ses documents, l’UE met fortement l’accent sur la promotion de la coopération régionale en tant que facteur déterminant de la stabilité et de la croissance nationales et régionales. Elle souligne le fait qu’une telle coopération est dans l’intérêt de tous les pays concernés.

La promotion de la coopération interrégionale, d’une part, et la promotion de la coopération transfrontalière, d’autre part, devraient aussi constituer respectivement l’une des exigences fondamentales et l’un des objectifs essentiels de la politique européenne. La coopération transfrontalière représente sans aucun doute un outil important de stabilisation et de développement de la région d’Europe du Sud-Est. La coopération à travers les frontières nationales est un moyen de renforcer le sentiment de liaison et d’interdépendance entre les populations qui vivent de part et d’autre de ces frontières ; c’est pourquoi la communauté internationale a fait de cette coopération l’un des objectifs prioritaires pour la région.

Dans ce contexte, il convient de rappeler une initiative très importante et avancée contenue dans la Recommandation 112 (2002) du Congrès sur les Forums des villes et régions de l’Europe du Sud-Est. Dans ce texte, le Congrès a recommandé au Comité des Ministres, sur la base des Déclarations d’Istanbul et de Novi Sad, adoptées à l’unanimité respectivement le 3 novembre 2001 et le 20 avril 2002, de charger le Comité d’experts sur la coopération transfrontalière (LR-CT) de participer aux travaux futurs du Congrès, en vue de préparer un accord multilatéral entre les gouvernements des pays de l’Europe du Sud-Est, habilitant juridiquement la coopération transfrontalière entre les collectivités territoriales, sur la base des exemples existants dans d’autres parties de l’Europe.

La Déclaration politique de Chişinău sur la coopération transfrontalière et interterritoriale entre Etats dans l’Europe du Sud-Est, adoptée par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe lors de sa 113ème Session en novembre 2003, a été également le fruit de travail mené sur la base de cette recommandation.

La Déclaration de Chişinău confirme « l’intérêt des Etats d’Europe du Sud-Est et d’Etats voisins pour le développement du cadre juridique de leur coopération transfrontalière, en vue d’élaborer et de conclure les accords interétatiques appropriés ». Ils est souligné que le Conseil de l’Europe pourrait être la structure facilitant la conclusion de ces accords en lui servant de plate-forme.

D’autre part, il est très important de soutenir et d’encourager « l’intention des Etats d’Europe du Sud-Est de prendre des engagements internationaux et de suivre des politiques nationales en matière de coopération transfrontalière et interterritoriale, compatibles avec les instruments juridiques du Conseil de l’Europe et les engagements déjà pris, ainsi qu’avec d’autres accords internationaux et avec la politique sur les relations avec l’Union européenne ».

De nombreux programmes ont été lancés pour promouvoir la coopération transfrontalière en Europe du Sud-Est et, dans leur foulée, de nombreuses initiatives de coopération ont vu le jour dans la région au cours des dernières années. Ces activités ont inclus certaines tentatives de création de formes structurées de coopération transfrontalière telles que les Eurorégions.

Il convient de noter, cependant, que la plupart de ces projets manquent encore de vigueur et que les structures correspondantes, notamment en raison de pouvoirs insuffisants, n’ont pu exercer une influence soutenue, réelle et durable sur la vie dans les régions frontalières concernées.

Les obstacles rencontrés par la coopération transfrontalière en Europe du Sud-Est sont, encore une fois, nombreux et complexes. Ils peuvent être définis, en général, comme étant soit de type interne, soit de type externe.

Parmi les obstacles internes, il faut mentionner en particulier l’obstruction exercée par les structures centrales à l’égard de la coopération transfrontalière, l’insuffisance des compétences dévolues au niveau régional (ou local), le caractère inadéquat et inefficace des structures de l’autonomie régionale (ou locale), l’absence de structures régionales (ou locales) adéquates pour promouvoir et mener à bien les activités de coopération transfrontalière. Les facteurs externes qui constituent un obstacle au renforcement de la coopération transfrontalière doivent être examinés à la lumière des événements spécifiques intervenus en Europe du Sud-Est, dans un passé récent, qui sont à l’origine de profondes divisions entre les pays de cette région. Les blessures laissées par les régimes autoritaires du passé et, en particulier, par l’éclatement violent de l’ex-Yougoslavie ne pourront être surmontées qu’à l’issue d’un processus graduel de rétablissement de la confiance. Les effets du passé se font encore sentir aujourd’hui dans les régimes frontaliers très stricts en vigueur en Europe du Sud-Est. Dans la région d’ESE, la conception des frontières et de leurs fonctions reste très différente de l’idée moderne de frontière qui prévaut dans le contexte ouest-européen, où la frontière est considérée comme un pont entre les peuples.

Toutefois, pour que l’idée de frontière évolue en Europe du Sud-Est dans le sens d’un espace perméable de coopération et de libre circulation des personnes, des biens et des idées, l’UE devra faire tout son possible pour éviter que les nouvelles frontières continentales (avec la Croatie, la Serbie-Monténégro et aussi « l’ex-République yougoslave de Macédoine ») et maritimes (avec la Croatie, la Bosnie-Herzégovine et la Serbie-Monténégro) imposées par les accords de Schengen ne deviennent au contraire des lignes de démarcation totalement imperméables.

La promotion des associations et réseaux de représentants régionaux (et locaux) des pays d’Europe du Sud-Est, afin de renforcer la coopération et les échanges d’expérience, constitue aussi une tâche pouvant contribuer à la diffusion et à la mise en œuvre de l’idée de régionalisation telle qu’elle existe aujourd’hui dans d’autres parties de l’espace européen, et ceci, grâce au soutien des organisations internationales et, en premier lieu, celui du Conseil de l’Europe et de son Congrès des pouvoirs locaux et régionaux.

Les politiques européennes et, en particulier, les activités du Conseil de l’Europe et du Congrès doivent continuer à promouvoir et à soutenir la participation des organisations et institutions de la société civile au processus de décentralisation des pouvoirs et de régionalisation, afin d’assurer le développement de sociétés et de structures institutionnelles ouvertes et démocratiques donnant aux citoyens la possibilité de prendre part aux décisions qui les concernent directement et de mettre en place des mécanismes et des procédures permettant le contrôle public de l’application des politiques publiques à tous les niveaux.

Des efforts en formation sur le fonctionnement des mécanismes démocratiques et politiques doivent être renforcés. Le Congrès, de son côté, s’est déjà engagé sur ce plan depuis des années en créant des Agences de la Démocratie Locale comme structures de coopération européenne pour contribuer à la création d’une société civile démocratique dans différents pays d’ESE. Le Congrès soutient aussi directement les activités d’ENTO (Réseau européen des instituts de formation pour les collectivités territoriales). En plus, il existe dans le cadre du programme intergouvernemental du Conseil de l’Europe une série d’initiatives pour assister les Etats à créer des structures et programmes de formation politique, administrative et civique des cadres de leurs administrations nationales.

Tous ces efforts ont comme but principal de stabiliser la démocratie dans les Etats de l’Europe du Sud-Est qui représentent une partie géographique importante de notre grande Europe commune et de notre patrimoine social, culturel et historique.

1 Le présent rapport est basé sur une étude plus détaillée élaborée par Prof. Dr. Silvo Devetak, Professeur à l’Université de Maribor (Slovénie).