Les effets de la mondialisation sur les régions- CPR (8) 4 Partie II

 

Rapporteur
Bernard SUAUD (France)

 

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EXPOSE DES MOTIFS

I. Introduction

La mondialisation se traduit par une concurrence accrue entre les nations, les régions, les entreprises, entre les salariés et provoque une mobilité incessante des facteurs de production. Les manifestations contre les effets dramatiques sont visibles partout dans le monde, en Asie, en Europe, lors de conférences internationales des institutions financières et commerciales mondiales.

Le Congrès des Pouvoirs Locaux et Régionaux a abordé la question de la mondialisation principalement dans le cadre de ses Forums Economiques organisés depuis 1994. Ses effets ont été en particulier examiné à Bucarest en 1999. La conférence des Présidents de Régions à pouvoirs législatifs a également examiné cette question, sous l’angle des régions à pouvoirs législatifs. La mondialisation est un phénomène incontournable, inéluctable, qui affecte d’une manière directe les régions. Les effets de la mondialisation ont souvent été décriés, et se traduisent par des manifestations spectaculaires de la société civile ou des employés victimes de délocalisation. Depuis que les mouvements des citoyens ont bloqué, voire ont fait échouer la conférence de l'Organisation Mondiale du Commerce à Seattle, il est devenu évident que les initiatives pour mondialiser les politiques économiques et sociales sont confrontées à des adversaires qui ne veulent pas accepter les modèles suivis par les grandes conférences organisées au plan mondial. Il est cependant convenu que l'échange de biens, d'idées et de services contribue à une augmentation de la prospérité et du niveau de la vie. L'objectif des négociations entreprises dans le cadre de l’Organisation Mondiale du Commerce est précisément de réduire, voire d’abolir, les obstacles et les frontières entre les marchés. Traditionnellement, ces négociations se sont faites aux plans bi- et trilatéral entre les gouvernements et les Etats.

La Commission de la Cohésion Sociale a souhaité identifier les effets positifs et négatifs de la mondialisation sur les régions, et formuler des propositions pour renforcer la position des régions, en tant qu’acteur du développement économique et social au niveau régional, dans un contexte économique mondial caractérisé par des marchés ouverts, et une compétitivité accrue.

II. Les effets contradictoires de la mondialisation

Les conséquences de la mondialisation de l’économie pour les régions ont des répercussions dans le domaine économique, où les régions sont confrontées aux deux aspects suivants: elles sont davantage ouvertes à une compétition économique très forte, notamment en ce qui concerne les investissements et la localisation des activités industrielles. D'autre part, la mondialisation ouvre aux régions de nouvelles perspectives pour ses propres politiques de développement régional et l'accès aux marchés financiers. Il est important, par conséquent, que les autorités compétentes des régions essaient de tirer le plus grand profit des avantages de cette ouverture et de réduire les inconvénients résultant de l'accroissement de la concurrence ayant notamment des effets sur le plan des investissements et de l'emploi.

La mondialisation, par les contraintes qu’elle impose, affecte de manière asymétrique les régions en Europe. La mondialisation ne peut être considérée comme une activité économique qui créerait des inégalités, elle ne fait davantage que « révéler ou accentuer des réalités déjà présentes »1. De nombreuses régions sont aujourd’hui confrontées à la reconversion d’un tissu industriel obsolète, inadapté aux besoins de l’économie mondiale. Ces régions s’avèrent d’autant plus fragilisées qu’elles sont confrontées à des problèmes multiples : émigration et fuite des cerveaux, marginalisation géographique, absence d’investissements nationaux ou étrangers, etc. La mondialisation rend ainsi les régions plus vulnérables aux chocs externes et aux restructurations économiques.

Les régions de l’Europe centrale et orientale subissent, dans ce contexte, un double défi : elles doivent d’une part s’adapter à la transition vers une économie de marché libre au plan européen, et subir d’autre part les pressions de la nouvelle économie et l’ouverture des marchés au niveau mondial.

Dans la construction d'un système économique mondial, la doctrine de libre-échange devrait être complétée par des conceptions visant à équilibrer les effets négatifs résultant de la concurrence territoriale régionale. Dans le contexte mondial, il faut assurer les moyens permettant de positionner l'Europe avec ses conceptions pour l'aménagement du territoire global, dans une position de force, tout en préservant ses spécificités et ses diversités. Ainsi, il est important que le modèle européen dans les négociations mondiales tienne compte de la diversité culturelle régionale de l'Europe, représentant un de ses atouts et incluant une dimension humaine et sociale qui risque de se perdre dans les argumentations purement économiques et libérales.

C'est pour cette raison que l'Europe des communes et des régions est une donnée incontournable pour une approche européenne de la compétitivité et de l’économie mondiale.

III. Promouvoir la capacité innovante des régions dans le cadre de la mondialisation

Rappel : Développement économique régional, décentralisation et compétitivité mondiale

Les régions de l'Europe qui se trouvent confrontées à des stratégies économiques globales des firmes multinationales doivent, dans cette compétition mondiale, renforcer leurs atouts socio-économiques, environnemental et culturel. C'est notamment dans la définition des stratégies de développement économique régional durable que les régions peuvent mettre en valeur les facteurs qui renforcent leurs avantages comparatifs et les rendent ainsi plus compétitives dans la course aux investissements et à la création d'emplois. La politique de la décentralisation est un élément dans cette stratégie, qui permet de créer des potentialités socio-économiques nouvelles. Le développement endogène des régions en est un autre. La politique d'aménagement du territoire devrait tenir compte de ces nouveaux paramètres et devenir un outil pour renforcer la place des régions dans la compétition internationale. Comme il est déjà stipulé dans la Charte européenne de l'aménagement du territoire, c'est le niveau régional qui est le plus approprié pour mettre en oeuvre les politiques d'aménagement du territoire. Il est important, au plan national comme dans le cadre du marché commun que, dans le développement régional, les régions qui gagnent ne dominent pas les régions qui perdent, vu les différences de l'état de leurs équipements de transport, de communication ou de leurs atouts commerciaux et industriels. Ainsi, il y a lieu de veiller à développer des politiques spécifiques pour les régions souffrant de certains désavantages géographiques ou structurels telles que les régions en reconversion, les régions périphériques ou les régions de montagne.

Avec l'intensification de la mondialisation au plan économique, il est important que le renforcement de la régionalisation aille de paire avec l'autogestion des ressources économiques, sociales, écologiques et notamment culturelles. Les Etats disposant de structures décentralisées, régionalisées voire fédéralisées ont un certain avantage dans cette constellation, étant donné que la prise de décision est plus proche des acteurs économiques et politiques qui disposent ainsi de moyens opérationnels directs et plus rapides. On peut ainsi conclure que la mondialisation va provoquer de nouvelles réflexions et initiatives sur la nécessité de décentraliser, voire régionaliser les structures des Etats. La mondialisation ne devrait pas aboutir à une homogénéisation culturelle et sociale du monde. C'est aussi le rôle de l'Europe et, notamment du Conseil de l'Europe, d'y apporter ses spécificités et d'y réserver ses différences notamment au niveau régional.

Prendre en compte et valoriser la dimension culturelle des régions

La région assure aux citoyens la dimension de proximité, de l'identité et d'enracinement social et culturel. Ces dimensions deviennent de plus en plus importantes dans un monde où la communication et l'information accélèrent les stratégies globales aux plans économique et financier. Le libéralisme économique, qui est la philosophie de base de toute politique actuelle de mondialisation, ne tient pas compte, dans son argumentation, de l'importance de la culture régionale qui ne peut être considérée comme un produit économique à commercialiser comme les autres. En effet, la culture avec ses spécificités régionales et humaines doit être protégée. Ce sont notamment les négociations sur les industries audiovisuelles où des confrontations de conception ont été mises en évidence lors des discussions entre les représentants du modèle américain et du modèle européen. Ainsi, il est important que le modèle européen, dans les négociations mondiales, tienne compte de la diversité culturelle régionale de l'Europe. Le Comité des Ministres, dans sa Déclaration sur la diversité culturelle du 7 décembre 2000, a d’ailleurs invité les Etats membres du Conseil de l’Europe à « examiner les moyens à mettre en œuvre pour préserver et promouvoir la diversité culturelle et linguistique dans le nouveau contexte de la mondialisation, à tous les niveaux».

Développer la capacité innovante des régions en matière d’emploi

De nouvelles initiatives doivent être prises au niveau interrégional dans le domaine de l’emploi, en vue de développer les tissus des petites et moyennes entreprises particulièrement faibles dans la plupart des pays d’Europe centrale et orientale. Ces orientations représentent un facteur important dans la lutte contre le chômage, fléau qui frappe l’ensemble des pays européens. Les autorités locales et régionales en subissent les conséquences et sont confrontées à la nécessité de développer des initiatives contre la nouvelle pauvreté et l’exclusion sociale.

Par ailleurs, un effort doit être consenti en matière de formation, que ce soit au niveau des jeunes diplomés ou en matière de formation continue des adultes, pour permettre au marché de l’emploi d’être en adéquation avec les exigences du marché international. L’accent doit en particulier être mis sur la maîtrise des outils informatiques, la maîtrise des langues, la connaissance des nouvelles technologies de l’information notamment.

Contribuer à la réduction des disparités régionales

Une attention particulière doit être accordée aux régions souffrant de certains désavantages géographiques ou structurels telles que les régions périphériques et les régions de montagne. Ces régions exigent de développer des politiques spécifiques, qui tiennent compte de leurs besoins spécifiques pour leur permettre de s’adapter à la concurrence mondiale.

Dans le cadre du Marché Commun,  l’abolition des frontières et l’instauration d’un marché unique ont été accompagnés de mesures visant à atténuer les effets de la concurrence et à réduire les disparités régionales. En instaurant un « Fonds Européen de Développement Régional » (FEDER) en 1975, l’Union européenne entendait atteindre cet objectif. Cinq objectifs sont définis pour « assurer le développement harmonieux en réduisant l’écart entre les différentes régions et le retard des moins favorisés » (Préambule du Traité). En 1987 est institué le « Fonds de Cohésion » visant à soutenir les pays possédant un PIB inférieur à 90. Cette mesure permet d’apporter un correctif aux situations économiques fragilisées des Etats les moins avancés, accentuées par la libre circulation des capitaux, des biens, des services et des personnes.

La capacité de la région de s’insérer dans les nouveaux schémas économiques dépend de sa volonté de devenir une « région apprenante ». Les désavantages apparents d’une région peuvent être dépassés par une volonté clairement affichée des décideurs régionaux. Pour exemple :

La Thuringe a su opérer une transformation importante : la ville de Iena a su transformer son paysage industriel, disposant d’un complexe industriel Carl Zeiss qui comptaient, avant la chute du mur de Berlin, 68 000 salariés, en un pôle high tech, drainant 200 entreprises, notamment dans les biotechnologies. Le Land de Thuringe a accompagné ce mouvement d’une réforme de son système d’enseignement.

La région de Poitiers a développé une stratégie de développement reposant sur les techniques de communication, le multimédia (à l’image de son Futuroscope) et une main-d’œuvre hautement qualifiée. Le Parc du Futuroscope a ainsi créé 1200 emplois directs, et 12 000 emplois indirects.

La région scandinave d’Oresund, centre industriel traditionnel, a réalisé une forte concentration d’installations de recherche, d’établissement d’enseignement supérieur et de savoir-faire technologique. Ces efforts ont abouti à la réalisation d’un pont et d’un tunnel de 16 kilomètres de long joignant le Danemark et la Suède.

La région dispose de la proximité géographique avec les fournisseurs, les consommateurs et les concurrents – elle joue de ce fait un rôle primordial dans l’apprentissage et l’innovation.

Ces exemples permettent démontrent la capacité des régions à surmonter leurs handicaps et à développer des politiques novatrices. Il convient toutefois de noter qu’au niveau mondial, il n’existe pas de mécanismes de soutien et de protection des régions faibles. Un rôle particulier incombe dès lors au Conseil de l’Europe et en particulier à la CEMAT qui devrait, dans le cadre de la définition des politiques d’aménagement du territoire de la grande Europe, développer les politiques appropriées pour réagir à la mondialisation et contribuer à la réduction des nouvelles disparités régionales.

IV. Tirer profit de la mondialisation

Si la mondialisation secrète de nombreux effets négatifs, elle ouvre dans le même temps aux régions de nouvelles perspectives pour ses propres politiques de développement régional et l'accès aux marchés financiers. Il est important par conséquent, que les autorités compétentes des régions essaient de tirer le plus grand profit des avantages de cette ouverture et de réduire les inconvénients résultant de l'accroissement de la concurrence ayant notamment des effets sur le plan des investissements et de l'emploi.

Les régions sont donc appelées à concilier le caractère spécifique de leur culture avec le caractère universel du marché économique mondial. Les régions peuvent encourager, par les moyens appropriés, le partenariat économique interrégional en tant que démarche moderne qui vise à améliorer la compétitivité d’une région avec – et pas contre – les autres régions voisines nationales et transfrontalières.

Les régions de l'Europe qui se trouvent confrontées à des stratégies économiques globales des firmes multinationales doivent, dans cette compétition mondiale, renforcer leurs atouts socio-économique, environnemental et culturel. C'est notamment dans la définition des stratégies de développement économique régional durable que les régions peuvent mettre en valeur les facteurs qui renforcent leurs avantages comparatifs et les rendent ainsi plus compétitives dans la course aux investissements et à la création d'emplois. A cet effet, les régions, tout comme les entreprises, doivent remplir le « carré de la productivité »2, à savoir l’innovation, la qualité du produit, la productivité, et la vitesse d’adaptation à l’environnement.

Un développement durable implique une gestion des ressources naturelles compatible avec les impératifs à long terme de la protection de l’environnement. L’économie de marché suppose aussi des progrès parallèles en matière de démocratie, de respect des identités culturelles nationales et régionales et de mise en œuvre de mesures d’équité sociale. Le non respect de ces valeurs démocratiques culturelles et sociales risque de conduire à la crise du néo-libéralisme comme cela s’est produit récemment dans certains pays d’Asie.

Conclusions

Les régions doivent aujourd’hui s’insérer dans une économie mondiale tout en gérant des problèmes de proximité, et cette situation peut être résumée dans le slogan "Penser globalement, agir localement".

La mondialisation exige que les régions deviennent les acteurs de leur développement économique et de leur cohésion sociale. Quelques idées force peuvent ici être identifiées :

Toutes les instances du Conseil de l’Europe sont invitées à réagir aux nouveaux défis et à développer des politiques appropriées pour promouvoir une grande Europe plus humaine et plus sociale.

Bibliographie

Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe, Recommandation 1461 (2000) sur le Rôle du Conseil de l'Europe en matière d'aménagement du territoire et Recommandation et Recommandation 1308 (1996) relative à l'Organisation mondiale du commerce et aux droits sociaux ;

Congrès des Pouvoirs Locaux et Régionaux de l’Europe, « Le défi de la mondialisation pour les régions dotées de pouvoirs législatifs », Document de la Conférence de Barcelone Conf/Barc (2000)5 ; « Les régions face à la mondialisation », Document CPR/GT/LEG (7) 4

Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, Déclaration sur la diversité culturelle, adoptée le 7 décembre 2000 lors de la 733e réunion des Délégués des Ministres.

Comité des Régions, Avis 157/2000 sur "La structure et les objectifs de la politique régionale européenne dans le contexte de l'élargissement et de la mondialisation : ouverture du débat" et Avis « la compétitivité des entreprises européennes face à la mondialisation : comment l’encourager (COM (1998) 718) »

DE JOUVENEL, Hughes (1999), Mondialisation et gouvernance, Futuribles, décembre 1999

LARSEN, Kurt (1999) « Villes apprenantes », la nouvelle recette du développement régional, L‘Observateur de l’OCDE, 1 octobre 1999

PAULET Jean-Paul (1998) Les régions à l’heure de la mondialisation (Armand Colin, France)

« La mondialisation génère un creusement des inégalités entre les pays et au sein de chaque pays », interview of Pierre-Noel Giraud, Le Monde, 13-14 January 2000

1 Zaki Laidi
2 Jean-Paul Paulet