Les conséquences sur l’environnement du conflit au Kosovo - CG (6) 21 Partie II

Rapporteurs : Sir John HARMAN (Royaume-Uni)
et M. Joseph BORG (Malte)

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EXPOSE DES MOTIFS

Selon la proposition de résolution CG(6)12 adoptée par le congrès lors de sa 6ème session plénière, le groupe de travail sur la protection de l'environnement et le développement durable a lancé une coopération avec les experts de la Croix Verte Internationale pour étudier les conséquences du conflit au Kosovo sur l’environnement.

La Croix Verte, une ONG environnementale basée à Genève, a contribué au rassemblement et à l’analyse de l'information sur la situation environnementale dans la région européenne du sud-est au nom de l’Equipe spéciale pour les Balkans PNUE/CNUEH et de l’opération humanitaire de FOCUS, organisée par la Suisse, la Russie, la Grèce et l'Autriche.

L’Equipe spéciale pour les Balkans, constituée conjointement par le PNUE/CNUEH (Habitat), a été créée au début du mois de mai 1999 en plein conflit du Kosovo. Aux préoccupations suscitées par la crise humanitaire se sont ajoutées les craintes concernant les conséquences du conflit sur l’environnement et les établissements humains.

Pour appréhender ces problèmes, l’Equipe spéciale pour les Balkans a mobilisé une équipe scientifique internationale et indépendante pour travailler au Kosovo et sur des sites industriels pris pour cible en Serbie. Des équipes similaires ont inspecté des sources de pollution le long du Danube ainsi que des impacts dans des parcs nationaux et d’autres zones protégées.

Le conflit du Kosovo et l'embargo qui en a résulté, posent la question de savoir si nous devons considérer les actions nécessaires pour éviter la dégradation environnementale irréversible comme faisant partie de l'aide humanitaire globale. Pour les experts environnementaux qui travaillent dans la région il n'y a aucun doute : ces actions doivent être immédiatement mises en application sous couvert de l'aide humanitaire.

FOCUS et l’Equipe spéciale pour les Balkans recommandent des programmes de nettoyage de secours aux quatre points chauds environnementaux : Pančevo, Kragujevac, Novi Sad et Bor, où la pollution est sérieuse et constitue une menace pour la santé humaine et l'environnement. Le rapport suivant présente des extraits des conclusions de l’Equipe spéciale pour les Balkans.

I - INTRODUCTION

Peut-être la ressource naturelle la plus menacée en temps de guerre est-elle la vérité. C’est ce qu’a mis en évidence le conflit du Kosovo. Après l’échec de l’accord de Rambouillet et le lancement, le 24 mars 1999, des frappes aériennes de l’OTAN sont apparus les premiers rapports alarmants sur les ravages causés à l’environnement par les bombardements. Les images des raffineries en feu à Pančevo et à Novi Sad, des produits chimiques toxiques se déversant dans le Danube, et des cratères provoqués par les bombes dans des zones protégées rivalisaient avec celles montrant des dizaines de milliers de réfugiés qui fuyaient leurs foyers au Kosovo.

Si les conséquences immédiates du conflit sur le plan humanitaire étaient patentes, en revanche l’opinion publique était plus divisée quant aux répercussions possibles sur l’environnement. D’un côté, on craignait des dégradations et des destructions écologiques de grande échelle en République fédérale de Yougoslavie et dans les pays voisins. D’un autre côté, l’OTAN faisait valoir que l’utilisation d’armes sophistiquées contre des cibles soigneusement choisies minimiserait les dommages à l’environnement et autres dégâts « collatéraux ». Tel est le dilemme devant lequel était placée, dès sa création au début du mois de mai 1999, l’Equipe spéciale pour les Balkans, constituée conjointement par le PNUE et le CNUEH (Habitat).
Le conflit du Kosovo a eu aussi de graves conséquences à l’échelle régionale : l’Albanie et l’ex-République yougoslave de Macédoine ont dû accueillir en très grand nombre des réfugiés du Kosovo alors qu’ils n’étaient pas préparés à une affluence de cette ampleur. D’autres pays voisins, notamment la Bulgarie et la Roumanie, en aval sur le Danube, craignaient les effets de la pollution transfrontière provenant des installations industrielles touchées. Les incendies dans les raffineries et les dépôts d’hydrocarbures duraient parfois plusieurs jours, créant des nuages de pollution au-dessus de vastes régions, en même temps que les médias internationaux faisaient largement état de fuites de produits chimiques dangereux pour l’air, la terre et l’eau.

Au Kosovo, les forces serbes ont systématiquement vidé et détruit bon nombre de villes et de villages. Les dégâts causés aux quartiers d’habitation, aux infrastructures, au réseau d’alimentation en eau potable et au système d’évacuation des eaux usées étaient flagrants. Lorsque les Albanais kosovars ont fui leurs foyers, une grande partie de la documentation établissant la propriété légale des terrains et des biens a été perdue ou prise par la force, compliquant du même coup le retour des réfugiés dans la zone de leur domicile.

D’autres organes des Nations Unies se sont beaucoup occupés des problèmes d’environnement ; néanmoins, les dégâts causés par le flot des réfugiés ont également posé un problème, les services sanitaires et les points d’alimentation en eau potable ayant été soumis à une pression énorme dans les camps surpeuplés.

1. Constitution d’équipes scientifiques internationales

Ayant soigneusement étudié les nouvelles et les informations sur les conséquences possibles du conflit sur l’environnement et les établissements humains, l’ESB a décidé de se concentrer sur cinq questions, à savoir :

1) Les conséquences écologiques des frappes aériennes sur les sites industriels – mission sur le terrain ;
2) Les conséquences écologiques du conflit sur le Danube – mission complémentaire sur le terrain ;
3) Les conséquences du conflit sur la biodiversité dans les zones protégées – mission sur le terrain ;
4) Les conséquences du conflit sur les établissements humains et l’environnement au Kosovo – évaluation sur le terrain et élaboration/mise en œuvre de projets ;
5) Utilisation possible d’armes à l’uranium appauvri au Kosovo – évaluation théorique.

Les missions étaient organisées de telle manière que, en plus du personnel du PNUE et du CNUEH, une équipe représentative et indépendante d'experts internationaux de différents pays avait été constituée. Ce rapport final de l’ESB représente donc la synthèse des constatations faites en cours de mission et des études approfondies des experts. Les sites exacts qui devaient être visités par les diverses missions ont été choisis après un examen systématique d’informations de sources diverses et après avoir effectué une évaluation préliminaire sur le terrain du 17 au 21 juin. Même si l’ESB considérait que ces sites avaient subi les plus graves conséquences écologiques du conflit, il convient de souligner qu’il n’était pas possible d’entreprendre sur le terrain une évaluation complète de chaque endroit gravement touché.

La première mission technique a visité les principaux sites suivants : Pančevo, Novi Sad, Kragujevac, Bor, Priština, Niš, Novi Beograd, Obrenovac, Kraljevo et Prahovo. La mission était composée de 16 experts et de deux laboratoires mobiles du Danemark et de l’Allemagne, spécialisés dans la contamination de l’environnement. Des échantillons ont été prélevés dans le sol, l’air et la nappe phréatique et analysés soit sur place grâce aux laboratoires mobiles, soit par des laboratoires au Danemark et en Allemagne où on les avait envoyés. Des recherches ont été faites sur les sites industriels bombardés et les zones adjacentes. Il a été accordé une attention particulière au risque de contamination des terres agricoles situées à proximité des installations touchées.

Neuf experts ont participé à la mission sur le terrain « Danube », qui a été organisée en étroite collaboration avec l’« International Commission for the Protection of the Danube River » (ICPDR). Les principaux sites visités étaient Novi Sad, Pančevo, le Réservoir des « Portes de fer » et les cours d’eau Lepenica et Morava, qui sont des affluents du Danube tout près de Kragujevac. Les travaux scientifiques ont consisté essentiellement à prélever des échantillons de l’eau des rivières, de leur fond, des sédiments de leurs rives, des mollusques et autres invertébrés. Un échantillonnage a été effectué en amont et en aval des zones industrielles aux fins de comparaison. Les analyses ont été faites dans un laboratoire spécialisé en Hongrie.

La mission de la biodiversité, constituée de cinq scientifiques, s’est rendue au Parc national de Fruška Gora, au Parc national de Kopaonik, à Zlatibor (Serbie) et au Lac Skadar (Monténégro).

Au cours de ses missions sur le terrain, l’ESB a organisé des réunions des parties prenantes à Belgrade, Pančevo, Novi Sad, et à Niš avec des représentants des ONG locales, des experts en environnement et des pouvoirs locaux (souvent en opposition politique à Belgrade).

L’équipe du CNUEH (Habitat) a commencé son travail au Kosovo en juillet. Elle se trouve actuellement dans une première phase pratique décisive tant en ce qui concerne l’administration municipale que la régularisation des droits en matière de logement et de propriété et l’élaboration d’un système d’information sur le cadastre. Son travail prévoyait également une analyse de la politique de l’environnement et du cadre institutionnel de la province du Kosovo.

2. L’immersion d’armes dans la mer Adriatique et la question de l’uranium appauvri

La campagne des frappes aériennes de l’OTAN a suscité des préoccupations écologiques liées directement à l’utilisation d’armes spécifiques. Tout d’abord, on a rapporté que des avions regagnant leurs bases en Italie avaient largué en vol pas moins d’une centaine de bombes en mer Adriatique, inspirant à de nombreux pays bordant l’Adriatique des craintes de pollution. Cependant, selon des informations recueillies par l’ESB en août 1999, l’OTAN avait localisé 93 bombes et les avait fait exploser. Il ne restait plus qu’un petit nombre de bombes en eaux profondes (à plus de 250 mètres).

Selon les médias et des ONG, des armes contenant de l’uranium appauvri ont été utilisées pendant la guerre du Kosovo. Malgré de multiples tentatives, l’ESB n’a pu en obtenir la confirmation officielle – ni recevoir une carte des zones éventuellement touchées par ce type d’arme -, que ce soit de la part de l’OTAN (et de ses Etats membres) ou des autorités yougoslaves.

Il a donc été décidé que cette partie de l’enquête ferait l’objet d’une étude théorique par un groupe d’experts composé de représentants de l’Organisation Mondiale de la Santé, de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA), de l’Institut suédois pour les radiations et du PNUE. Le groupe chargé de l’étude théorique a entrepris une mission d’enquête au Kosovo, où elle a mesuré la radioactivité sur un échantillon aléatoire de sites bombardés. Cela dit, le travail du groupe consistait pour l’essentiel à formuler des conclusions et des recommandations concernant les zones où l’on savait, ou suspectait, que de l’uranium appauvri avait été utilisé.

3. Points « écologiquement chauds » repérés dans quatre villes

L’Equipe spéciale pour les Balkans a relevé des points écologiquement chauds dans les quatre villes (Pančevo, Kragujevac, Novi Sad et Bor), où une intervention s’imposait d’urgence. Il est important d’assurer l’innocuité de l’environnement et d’assainir ces zones sans attendre, afin d’éviter des risques pour la santé et des dégradations écologiques durables. Il convient de prendre, entre autres, les mesures suivantes : assainir le canal d’accès au Danube à Pančevo, épurer le sol de Pančevo du mercure qui s’y est répandu, décontaminer les points chauds de Kragujevac où l’on trouve de la dioxine et des PCB, et prendre des dispositions pour assurer la potabilité de l’eau à Novi Sad et réduire les émissions de dioxyde de soufre par la mine de cuivre de Bor.

Outre ces points chauds, l’ESB a observé des faits alarmants concernant l’environnement. Cependant, certains problèmes ne seront résolus que par un processus échelonné sur plusieurs années ; une intervention nécessiterait un complément d’enquête. Ces problèmes n’ont pas été causés par la dernière guerre, mais sont la conséquence de plusieurs années de négligence en matière d’environnement. Pour ne citer que deux exemples, les sédiments sur le lit du Danube sont contaminés par des polluants toxiques depuis les années 60, 70 et 80, alors que la pollution du cours d’eau Timok (affluent du Danube) près de Bor a longtemps été une source de désaccord entre la Bulgarie et la République fédérale de Yougoslavie.

Au cours de ses investigations, l’ESB a eu parfois de la peine à faire la part entre certains problèmes d’environnement et de santé qui existaient avant le récent conflit et ceux qui lui étaient imputables. En pareil cas, l’ESB, plutôt que de tenter de façon hasardeuse d’établir les responsabilités, en appelle au bon sens, ses recommandations visant principalement à prévenir des problèmes de santé et d’environnement.

Evidemment, le conflit a causé des destructions physiques de grande échelle. Les efforts pour réédifier un cadre institutionnel et pour reconstruire devront prendre en compte des aspects écologiques. Le renforcement des institutions pour la protection de l’environnement engendrera des avantages pour l’économie et l’environnement à l’échelle régionale, nationale et locale. Lorsque les circonstances politiques le permettront, la pleine participation de la région aux conventions internationales devrait être une priorité élevée.

L’ESB n’a pas tenté, à travers son action et ses recommandations, de résoudre les problèmes d’hygiène environnementale découlant de la guerre ; cette tâche incombe à d’autres. Cependant, l’ESB souligne qu’il est urgent d’intervenir pour atténuer les effets des problèmes les plus graves.

4. « Premiers secours » environnemental en tant que composante de l’assistance humanitaire

Nous pensons que nos recommandations concernant la province du Kosovo et la République du Monténégro sont de nature à inciter les institutions des Nations Unies et la communauté des donneurs à apporter immédiatement leur soutien sur le plan local et régional. En République de Serbie, la situation politique limite toute assistance autre qu’humanitaire et fait obstacle aux investissements nécessaires à la reconstruction.

L’ESB propose que les Nations Unies et autres donneurs apportent, dans le cadre de l’aide humanitaire à la région, leur assistance aux autorités locales pour traiter les points écologiquement chauds, de manière à éviter un nouveau préjudice à la santé et à l’environnement en République Fédérale de Yougoslavie (RFY) et dans la région plus vaste des Balkans. Il est clair que dans les circonstances actuelles, même si les autorités serbes ont l’expertise et les moyens financiers pour s’attaquer à certaines priorités, d’autres problèmes requièrent l’assistance de la communauté internationale.

II - ETAT DE L’ENVIRONNEMENT ET DES ÉTABLISSEMENTS HUMAINS EN RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE DE YOUGOSLAVIE AVANT LE CONFLIT DU KOSOVO

De manière générale, la situation de l’environnement en République fédérale de Yougoslavie (RFY) est comparable à celle des autres pays d’Europe centrale et orientale, et est déterminée par des facteurs économiques et politiques. Le PNUE a observé que le « développement des pays à économie planifiée d’Europe centrale et orientale s’entendait essentiellement en termes de croissance de la production physique (notamment dans les secteurs de l’industrie et de l’énergie) d’où une surexploitation des ressources renouvelables et non renouvelables ».

Malheureusement, s’agissant de l’état de l’environnement, il n’y a pas en RFY de procédure d’information actualisée, systématique et comparable sur le plan international. Le présent chapitre se fonde sur des rapports officiels et informels publiés par le Ministère des sciences, du développement et de l’environnement de la RFY (rapport officiel de 1994, rapport informel de 1998), sur d’autres documents statistiques publiés par des organismes gouvernementaux de la RFY, sur des rapports d’organisations internationales (PNUD, PNUE, CEE/ONU, OMS, AEE et CRE) et sur des publications scientifiques. Les informations recueillies dans des publications ont été complétées par les conclusions des diverses missions accomplies par l’ESB sur le terrain. Tous les pays voisins (à l’exception de la Croatie) ont participé à un projet de coopération entre le programme Phare de l’UE, de l’AEE et du PNUE pour permettre à une large audience d’accéder à des informations sur l’état de l’environnement qui soient aisées à comprendre, actualisées et comparables avec d’autres données.

1. Rappel

Avant la seconde guerre mondiale, la Yougoslavie était un pays sous-développé, principalement agricole. Entre les années 50 et les années 70, le pays a connu un essor et une croissance économique spectaculaires, avec des rythmes d’industrialisation et d’urbanisation parmi les plus élevés du monde. Cette croissance était fondée principalement sur un modèle d’industrialisation traditionnel, où l’utilisation intensive d’énergie et de matière première grevait lourdement les ressources naturelles en même temps qu’elle soumettait l’environnement à des pressions considérables. Il en a résulté une réduction de la surface boisée, une dégradation de la qualité de l’eau des rivières et des lacs, et une aggravation de la pollution de l’air dans les zones urbaines et industrielles. Le développement urbain rapide et partiellement incontrôlé a aussi entraîné un certain nombre de problèmes écologiques. Pendant les années 80, la Yougoslavie a dû faire face à une stagnation économique qui a finalement conduit, en 1989, à des réformes institutionnelles radicales, suivies en 1991 et 1992, de l’accession à l’indépendance de plusieurs républiques yougoslaves. La désintégration du marché commun de l’ancienne République socialiste fédérative de Yougoslavie (RSFY) et les sanctions imposées par les Nations Unies pendant les années 90 ont entraîné un ralentissement spectaculaire de l’activité économique, qui n’a connu qu’une légère reprise à la faveur du programme de stabilisation en 1994. Le déclin économique et les sanctions des Nations Unies à l’encontre de la RFY ont induit, de manière générale, une réduction de la pollution de l’eau et de l’air. Cependant, on constate que l’environnement a souffert, notamment de l’utilisation accrue de carburants de mauvaise qualité et de la diminution des investissements de l’industrie dans la protection de l’environnement. La suspension de la coopération internationale a eu incontestablement un impact négatif sur la gestion de l’environnement et sur le développement industriel de la RFY.

2. Problèmes d’environnement

2.1 Air

La pollution atmosphérique en RFY est considérable, mais concentrée essentiellement dans les zones urbaines et industrielles. Les principales causes de cette pollution sont les centrales thermiques et électriques, le chauffage domestique, les véhicules à moteur et les procédés de transformation industrielle. L’utilisation inefficace de l’énergie, la gestion des réseaux par des personnes non qualifiées et le faible niveau de performance technique des équipements ne font qu’aggraver la situation. On mesure la qualité de l’air en contrôlant les émissions de dioxyde de soufre et les oxydes d’azote. Ces mesures sont régulièrement publiées pour l’ensemble du pays et pour les zones urbaines.

2.2 Eau

Les principales sources de pollution de l’eau sont les établissements humains, l’industrie et l’agriculture. Une partie importante de la pollution entre dans le pays par les cours d’eau ; la RFY a donc un intérêt tout particulier à coopérer avec les autres pays danubiens. La qualité des eaux de surface et des eaux souterraines est contrôlée par des instituts hydro-météorologiques (surveillance des propriétés hydrologiques, physique/chimiques, biologiques et bactériologiques de l’eau) et des instituts de santé publique (surveillance de l’innocuité sanitaire de l’eau potable). Au cours des 30 dernières années, la qualité de l’eau des rivières a considérablement baissé, la plupart d’entre elles ayant été rétrogradées d’une catégorie, voire de deux, dans le système de qualité des eaux qui en compte quatre, adopté en 1968. Plus récemment, on a enregistré une amélioration de la qualité de toutes les ressources en eau en RFY, probablement consécutive aux sanctions imposées par les Nations Unies, qui ont provoqué un ralentissement de l’activité économique.

2.3 Déchets

L’industrie yougoslave produit des quantités considérables de déchets, la plus grande part revenant à l’industrie chimique (37.6 %) et à la métallurgie de première fusion (29.1 %). De grandes quantités de déchets sont également produites dans le secteur minier (Etat de l’environnement 1998). On estime à 225 milliers de tonnes la masse de déchets dangereux produite annuellement. Outre les déchets industriels, on estime que la quantité de déchets domestiques produits par personne et par jour en RFY se situe entre 0.4 et 1.5 kg. Peu de décharges sont aux normes, et il existe un nombre assez élevé de décharges illégales. Il n’y a nulle part dans le pays de traitement approprié ou d’installations de stockage pour les déchets hautement toxiques, d’où une accumulation continue de déchets dangereux.

2.4 Sols, forêts, agriculture

La dégradation des sols et des terres en RFY est due principalement aux secteurs agricole et minier. Cependant, la pression qui s’exerce sur les terres agricoles a quelque peu diminué grâce à une réduction draconienne de l’utilisation des engrais dans les années 90. L’ensemble de la couverture forestière représente 28 % de la superficie totale du pays, ce qui est proche de la moyenne européenne. Depuis les années 60, la surface boisée a légèrement augmenté (4 % entre 1966 et 1993). D’après des statistiques officielles, les coupes illégales ont diminué dans les années 90.

2.5 Biodiversité

La RFY est, par sa diversité naturelle, l’une des régions géographiques les plus importantes d’Europe. Elle est l’habitat d’une vaste quantité d’espèces (plantes, poissons, oiseaux, mammifères), et peu de nations européennes peuvent rivaliser avec elle sur ce plan. La surface totale des espaces naturels protégés et particulièrement précieux couvre plus de 400.000 ha du territoire de la RFY. Le pays compte neuf parcs nationaux (Fruška Gora, Portes de fer - Djerdap, Kopaonik, Tara, Mt. Sara, Biogradska Gora, Durmitor, Lovcen et Lac Skadar), situés dans les trois macro-régions géographiques : pannonienne, montagneuse et côtière. La RFY partage l’un de ses centres de biodiversité avec la partie montagneuse de la Bulgarie. Alors que l’état général de l’environnement du Monténégro et du Kosovo est comparable à celui du reste de la RFY, il existe certaines spécificités régionales qu’il est intéressant de signaler ici :

République du Monténégro

Bien que situé sur la côte adriatique, le Monténégro doit faire face à des problèmes de pollution marine (causés principalement par l’industrie) et aux menaces que le tourisme fait peser sur la ligne côtière et les estuaires d’eau salée. A la conférence de Rio de 1992, le Monténégro s’est lui-même déclaré premier Etat environnemental du monde, s’engageant à vivre plus en harmonie avec la nature.

Province du Kosovo

L’exploitation à grande échelle des ressources minérales est particulièrement préoccupante en ce qui concerne le Kosovo. Au lendemain de la Seconde guerre mondiale, les activités minières ont connu un essor considérable, provoquant une croissance rapide des diverses activités industrielles connexes. L’essentiel de ce développement minier et industriel a eu lieu alors qu’aucun équipement approprié de protection de l’environnement n’avait été mis en place, ni aucun instrument pour assurer une implantation rationnelle des installations industrielles. Les conséquences furent d’importantes dégradations de l’environnement et des atteintes graves à la santé de la population locale. Les points écologiquement chauds au Kosovo sont Kosovska-Mitrovica (mines de plomb et de zinc, et l’industrie connexe), Obiliq (mines de lignite à ciel ouvert et industries énergétiques connexes), Glogovc (mines de ferro-nickel et métallurgie) et Elez Han (carrière de calcaire et fabrique de ciment).

3. Politique, législation et institutions de l’environnement

La protection de l’environnement en Yougoslavie a commencé sérieusement dans les années 70. La politique générale, le cadre juridique et institutionnel présentent d’importants points communs avec ceux des autres pays de la région. Par exemple, la République fédérale de Yougoslavie a adopté une déclaration de principe en matière d’environnement, a inscrit dans sa constitution le droit à un environnement sain et s’est dotée d’une législation-cadre en matière d’environnement (Serbie) et d’une législation pour l’évaluation des impacts sur l’environnement (Serbie). Des ministères de l’environnement existent, tant au niveau fédéral qu’en Serbie et au Monténégro. La RFY a mis en place une législation sectorielle sur le patrimoine en air, eau, sol et le patrimoine naturel/culturel, sur l’aménagement du territoire/habitat et sur les produits chimiques et leurs déchets ; cette législation comprend un grand nombre de lois (plus de 150) et d’autres réglementations (plus de 100) à tous les niveaux.

En revanche, on ne sait pas très bien dans quelle mesure ces moyens d’action sont effectivement mis en œuvre. On dit qu’avec la dépression économique et l’isolement politique de plus en plus accentué du pays, les conditions de travail des ministères et d’autres branches du service public se sont détériorées.

Il convient de considérer comme insuffisante l’implication du public dans les questions environnementales, même dans un contexte où les décisions sont prises à l’échelon local, tout comme sont menées à l’échelon local les procédures d’évaluation des impacts sur l’environnement. Il existe diverses ONG pour les questions d’environnement. Nombreuses sont celles qui ont une grande expérience et font office de sources d’information importantes et compétentes. Mais, nombreuses aussi sont celles qui rencontrent des difficultés d’ordre économique et voient le nombre de leurs membres diminuer.

Malgré une législation abondante et plutôt moderne, l’accès à l’information en matière d’environnement n’est pas aussi aisé. Au niveau national, les sources d’information officielles fournissent à l’évidence trop peu de moyens de consultation facilement utilisables en matière d’écologie. De même, au niveau local, les individus semblent avoir des difficultés à obtenir les informations dont ils ont besoin. La RFY n’a pas encore signé la Convention Aarhus, qui garantit l’accès à l’information, la participation du public à la prise de décisions et la possibilité d’ester en justice sur des questions d’environnement. Cependant, le gouvernement fédéral, qui semble avoir conscience de l’importance croissante de l’information en matière d’environnement et de la participation du public, a approuvé un projet visant à élaborer et à mettre en œuvre un « système intégré d’information sur l’environnement » de la République fédérale de Yougoslavie.

Le pays a ratifié un grand nombre de conventions et traités internationaux (52 au total) touchant à l’environnement. La coopération internationale dans le domaine de l’environnement a beaucoup souffert ces derniers temps des effets de l’embargo imposé par les Nations Unies, notamment dans le domaine de la coopération technique, tandis que d’autres pays de la CEE en ont tiré un énorme profit dans les années 90.

4. Etablissements humains

Au recensement de 1991, la Serbie avait une population totale d’environ 9.8 millions d’habitants, dont près de deux millions vivaient dans la province du Kosovo. Il y a des différences notables entre la Serbie et la province du Kosovo. Alors que le degré d’urbanisation au Kosovo était de 32.5 % avant le conflit, la Serbie comptait 48 % de citadins en 1991.
La même année, le parc de logements en Serbie représentait au total 1.65 millions d’unités, contre seulement 230.000 au Kosovo. Ces chiffres indiquent, entre autres, que les habitants du Kosovo n’avaient que la moitié de la surface habitable par personne dont disposaient leurs homologues serbes.

On observe une situation similaire sur le plan des infrastructures et des services. En moyenne, 88 % des habitants de la République de Serbie étaient raccordés à des services comme le tout-à-l’égout, l’eau et l’électricité. Le chiffre correspondant pour la province du Kosovo n’était que de 40 %.

Il ressort de ces chiffres que si la situation concernant les établissements humains en Serbie était satisfaisante, en revanche, les normes de logement et la qualité des infrastructures d’habitat étaient inférieures dans la province du Kosovo. Selon certaines indications, cette différence ainsi que la dégradation globale des conditions d’habitation se sont accentuées au cours de la décennie précédant le conflit, rendant la province du Kosovo plus vulnérable aux événements de mars-juin 1999.

III - CONCLUSIONS PRINCIPALES DES MISSIONS TECHNIQUES DE L’ESB ET DU GROUPE D’ÉVALUATION THÉORIQUE

L’Equipe Spéciale pour les Balkans (ESB), constituée conjointement par le PNUE/CNUEH (Habitat), a organisé cinq missions techniques en République fédérale de Yougoslavie. Ces missions ont été effectuées en coopération avec les pouvoirs locaux et avec l’assistance du Bureau de liaison des Nations Unies à Belgrade et de la Mission des Nations Unies au Kosovo (MINUK).

Chaque mission était composée d’une équipe internationale de spécialistes techniques indépendants, appuyés par l’ESB et par le personnel du PNUE/CNUEH (Habitat). Par ailleurs, un « Groupe d’évaluation théorique » indépendant a été chargé de s’occuper de la question de l’uranium appauvri en se fondant sur les travaux de la mission d’enquête préliminaire.

1. Principaux « points écologiquement chauds » visités par les missions

Contexte

Les missions « sites industriels » et « Danube » de l’ESB ont visité douze zones (en Serbie et au Kosovo) susceptibles d’être des « points écologiquement chauds » après les dommages subis pendant les frappes aériennes de l’OTAN. Dans certaines zones, elles ont visité plus d’une installation touchée.

Pour des raisons de temps et de ressources, les équipes de l’ESB n’ont jamais réussi à visiter chaque endroit pendant le conflit. L’ESB a opéré son choix définitif sur la base de l’ensemble des informations disponibles, y compris les communiqués de presse de l’OTAN et de la Yougoslavie, les reportages réalisés par des journalistes et la population locale, les sites web des ONG et les consultations auprès d’experts techniques à l ‘intérieur comme à l’extérieur de la RFY. Au cours des visites des sites, un grand nombre d’échantillons de sols, de sédiments, d’eau, d’air et de biotes ont été prélevés. Ils ont été analysés soit dans des laboratoires mobiles sur place, soit dans des laboratoires en Allemagne, au Danemark et en Hongrie. Les missions ont mené, dans la mesure du possible, des discussions avec les directeurs d’établissement, les autorités locales et les autres parties prenantes.

La présente section fournit une information sur les quatre villes que l’ESB, sur la base des visites effectuées sur le terrain et des résultats de laboratoire, a identifiées comme « points chauds » particulièrement préoccupants d’un point de vue écologique. Dans ces quatre villes (Pančevo, Kragujevac, Novi Sad and Bor), il était parfois difficile de s’assurer de manière précise dans quelle mesure la pollution et la contamination observées résultaient des frappes aériennes, puisque des éléments attestaient aussi des dégradations environnementales de longue date. Quoi qu’il en soit, on était en présence de problèmes écologiques graves exigeant des mesures immédiates. Les problèmes identifiés ont des répercussions importantes sur la santé et le bien-être et devraient donc être traités dans le cadre de l’assistance humanitaire prévue après le conflit. Le Président de l’ESB a déjà fait part aux autorités yougoslaves de ses constatations les plus alarmantes, notamment à Pančevo et Kragujevac.

1.1. Pančevo

1.1.1/ Principales préoccupations :
D’importantes fuites de 1,2-dichloroethane (EDC) et de mercure ; inflammation de chlorure de vinyle monomère (CVM), d’où la formation de dioxines ; inflammation de 80.000 tonnes de pétrole et produits pétroliers, avec dégagement de dioxyde de soufre et d’autres gaz dangereux ; fortes concentrations d’EDC relevées dans l’eau du canal d’accès au Danube ; concentrations élevées de mercure et de produits pétroliers dans les sédiments du canal.

1.1.2/ Information de base
Pančevo, ville d’environ 80.000 habitants, est située sur la rive gauche (orientale) du Danube, à environ 20 km au Nord-Est de Belgrade. A la périphérie sud de la ville se trouve un grand complexe industriel comprenant une usine pétrochimique, une fabrique d’engrais et une grande raffinerie de pétrole. Un canal artificiel de 1.8 km de long achemine directement dans le Danube les eaux usées et les écoulements des eaux de ruissellement du complexe.

La fabrique d’engrais n’est pourvue d’aucune installation de traitement des eaux usées industrielles ou des eaux pluviales. Les effluents de la fabrique se déversent directement dans un canal collecteur et de là, dans le canal ouvert.
Les effluents de l’usine pétrochimique et de la raffinerie de pétrole s’écoulent d’abord dans un canal d’égout, puis subissent un traitement dans un épurateur d’eaux usées avant de se déverser dans le canal.

La zone industrielle a été largement prise pour cible pendant le conflit ; en effet, le complexe pétrochimique « HIP Petrohemija Pančevo » et la fabrique d’engrais « HIP Azotara » ont fait l’objet de deux attaques aériennes à la mi-avril, et sept attaques ont été portées contre la raffinerie de pétrole de « NIS » entre le mois d’avril et le mois de juin. Une bonne partie de la population de la ville a déclaré avoir été temporairement évacuée à la suite des frappes des 17 et 18 avril.

Conséquence des frappes aériennes : diverses substances dangereuses ont été émises dans l’environnement, soit directement par les installations de stockage endommagées, soit par suite d’incendies, l’impact visuel le plus évident provenant des lourds nuages de fumée noire qui provenaient des installations en feu. Les comptes-rendus des médias yougoslaves après les frappes des 17 et 18 avril faisaient état d’un désastre environnemental en cours et d’une « catastrophe écologique ». Le sujet a été repris par la télévision, les journaux et les sites web (aussi bien en RFY que sur la scène internationale), qui ont souligné les risques pour la santé des résidents de Pančevo, notamment les risques d’inhalation de fumées toxiques, et se disaient préoccupés quant à l’innocuité de leurs ravitaillements en aliments et en eau. Conséquence de la fumée, une pluie noire s’est abattue sur la région de Pančevo, renforçant les craintes pour la santé humaine et les risques à long terme pour les récoltes, les sols et les eaux souterraines.

En juillet, le New York Times a cité les propos d’un porte-parole de l’OTAN, selon lesquels « l’OTAN avait deux types de cible : les cibles tactiques et les cibles stratégiques. La raffinerie de pétrole de Pančevo était considérée comme une cible stratégique. C’était une installation d’une importance capitale pour la fourniture d’hydrocarbures et d’autres éléments utiles à l’armée yougoslave. En coupant ces ravitaillements, nous avons privé les forces serbes d’éléments d’une importance vitale pour les combats au Kosovo. En choisissant cette cible, nous avons pris en compte tous les dégâts collatéraux, qu’ils soient d’ordre écologique ou humain, ou qu’ils touchent les infrastructures civiles. La raffinerie de Pančevo était considérée comme une cible stratégique de la plus grande importance, aussi importante que les cibles tactiques au Kosovo ».

Le Ministère fédéral des Affaires étrangères de Yougoslavie signale que l’attaque des 17 et 18 avril a eu « les conséquences écologiques les plus graves » en raison du dégagement de substances toxiques par l’inflammation des produits pétroliers de la raffinerie et du chlorure de vinyle monomère (CVM) à l’usine pétrochimique.

Un communiqué du Directeur Général de HIP Petrohemija en date du 21 avril fait état d’incendies, d’explosions et d’émissions de substances dangereuses dans l’atmosphère, dans le sol et dans le Danube, y compris de l’EDC, des PCB et de l’ammoniac. Ce communiqué indiquait également que des produits pétrochimiques continuaient à brûler le 21 avril.

Deux missions de l’ESB, à savoir la mission « sites industriels » et la mission « Danube » se sont rendues à Pančevo. La première a visité l’usine pétrochimique, la fabrique d’engrais et la raffinerie de pétrole entre le 20 et le 25 juillet. Des discussions ont été menées avec les directeurs d’établissements, d’autres parties prenantes locales (y compris le maire et des représentants d’ONG s’intéressant à l’environnement) et l’Institut de santé publique de Belgrade. Des échantillons d’air, de sol, de sédiments et d’eau ont été prélevés. La seconde mission a visité le complexe le 25 août pour faire des prélèvements d’eau, de sédiments et de biotes dans le canal et dans des sections adjacentes du Danube, en amont et en aval de l’embouchure du canal. Les experts de l’ESB qui participaient à cette mission ont également rencontré le directeur du centre d’épuration des eaux usées de HIP Petrohemija.

A la lumière des informations recueillies au cours de ces deux visites, l’ESB est parvenue, à propos des substances les plus préoccupantes, aux conclusions suivantes :

· A l’usine pétrochimique, 2 100 tonnes de dichlorure d’éthylène (EDC) se sont déversées dans le sol et dans le canal des eaux usées. L’EDC est toxique pour le vivant terrestre et aquatique.

· Toujours à l’usine pétrochimique, on déplore une fuite de 8 tonnes de mercure métallique, et on pense que 200 kg pourraient avoir atteint le canal. Les experts de l’ESB ont estimé entre 50 et 100 kg la quantité de mercure métallique répandu sur le sol en béton d’une usine. Une fois émis dans l’environnement, le mercure métallique peut prendre une forme organique, à savoir le mercure de méthyle, qui est toxique et s’insinue dans la chaîne alimentaire.

· 460 tonnes de chlorure de vinyle monomère (CVM) ont brûlé à l’usine pétrochimique, provoquant des dégagements dans l’atmosphère de dioxines, hautement toxiques, d’acide chlorhydrique, de monoxyde de carbone, de HAP et éventuellement de phosgène. Cependant, à l’exception d’un seul « point chaud » dans le voisinage immédiat du CVM en feu, l’équipe de l’ESB n’a enregistré que de faibles niveaux de dioxines à Pančevo.

· On estime que, suite aux frappes aériennes sur la raffinerie de pétrole, 80 000 tonnes d’hydrocarbures et de produits pétroliers ont brûlé, dégageant des substances nocives dans l’atmosphère, y compris du dioxyde de soufre, du dioxyde d’azote, du monoxyde de carbone, des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) et du plomb.

· A titre de mesure préventive, les directeurs de la fabrique d’engrais, craignant qu’une attaque aérienne sur les dépôts d’ammoniac ne provoque la mort d’une grande partie de la population, ont fait déverser environ 250 tonnes d’ammoniac liquide dans le canal ouvert. Ce déversement explique probablement les poissons morts retrouvés dans le Danube, jusqu’à 30 km en amont. La production d’engrais avait été intensifiée avant les frappes aériennes de manière à réduire les stocks d’ammoniac.

· Les concentrations de PCB sur le complexe étaient faibles et n’ont pas révélé de contamination provenant des dégâts causés pendant les frappes aériennes, ou de déversements accidentels antérieurs à ces frappes.

On considère que la contamination constatée représente un danger pour la santé des employés du complexe et pour le milieu terrestre et aquatique.

Lors de sa visite sur le site, l’équipe de l’ESB s’est bien rendu compte que les usines utilisaient des technologiques des années 60 et 70. Alors que l’on ne disposait d’aucune information sur les niveaux de contamination de la zone avant le conflit, une ONG locale a fourni une liste d’accidents survenus sur le complexe industriel au cours des 25 dernières années. Des conseillers locaux ont fait savoir que des ouvriers de l’usine étaient atteints de ce qu’il est convenu d’appeler le « cancer de Pančevo ». Les experts de l’ESB ont considéré que cette maladie était probablement l’angiosarcome du foie, dû à l’exposition à des niveaux élevés de CVM.

1.1.3./ Les échantillons prélevés par l’ESB et les résultats d’analyse
Selon les analyses préliminaires effectuées par les experts de l’ESB, la faune macro-invertébrée du Danube juste en amont de Pančevo était similaire à celle observée nettement en amont, sur les sites d’échantillonnage de Novi Sad. Vingt et un groupes taxinomiques ont été identifiés, la plupart étant des mollusques et des escargots. Le nombre de groupes taxinomiques a considérablement diminué en aval de Pančevo, où seuls huit ont été identifiées vivants. Le site d’échantillonnage présentant le plus faible nombre de taxa se trouvait à la sortie du canal. Seuls six groupes taxinomiques ont été recensés ; leurs populations étaient très peu nombreuses, ce qui indique une forte pollution du canal.

D’autres analyses ont montré que des échantillons d’eau et de sédiments prélevés dans le canal contenaient des niveaux très élevés d’EDC (par exemple, on a relevé un niveau de 5,960 mg/l dans un échantillon prélevé dans le canal). Les résultats indiquent aussi qu’il y a encore des dégagements d’EDC dans le Danube, en provenance du canal. Des échantillons d’eau de surface en aval du point de confluence du canal avec le fleuve attestent des concentrations d’EDC de 65 mg/l et 37 mg/l. Ces niveaux sont considérés comme très élevés ; par exemple, la limite fixée par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) pour l’EDC dans l’eau potable est de 10 mg/l.

Des niveaux très élevés de solvants chlorés, y compris de l’EDC, ont été constatés dans des échantillons d’eau souterraine à faible et à grande profondeur. La contamination en profondeur se serait produite antérieurement au conflit, et l’on soupçonne l’ensemble de la formation aquifère d’être touchée. Il est probable que la contamination par ces produits chimiques soit due à la production de PVC dans ce complexe. Alors que les échantillons prélevés au point de soutirage d’eau potable n’étaient pas contaminés, il est possible que le réseau d’alimentation en eau de la ville de Pančevo le devienne à l’avenir. Un complément d’étude serait nécessaire pour évaluer le risque.

L’analyse des carottes de sédiment prélevées dans le canal donne à penser que les hydrocarbures qui sont déversés sous l’effet des frappes aériennes ont ajouté une couche de contamination aiguë à une zone déjà touchée par une pollution pétrochimique chronique. De même, alors que les valeurs élevées de mercure dans les couches de surface de la carotte indiquent l’arrivée récente de mercure dans le canal, un second pic, trois fois plus élevé que dans la couche de surface, mais à une profondeur de 60-80 cm était, selon toutes probabilités, le résultat de décharges de mercure antérieures. La pollution chronique par le mercure et des produits pétroliers a été confirmée par les résultats de l’analyse des mollusques (anadonta anatina) recueillis dans le Danube, en amont et en aval du canal. Le mercure est passé de 0.15 à 0.22 mg/kg (poids sec) de tissu de mollusque, tandis que les HAP (Borneff-6) sont passés de 4.7 à 56.4 mg/kg (poids sec). Le seul Benzo(a)pyrène, est passé de 0.9 à 23.0 mg/kg (poids sec), ce dernier chiffre étant quatre fois supérieur à la norme de sécurité alimentaire établie par le FAO.

1.2. Kragujevac

1.2.1/ Principales préoccupations :
Usine Zastava : niveaux élevés de PCB et de dioxines sur le sol d’un atelier de peinture ; niveaux élevés de PCB autour de transformateurs de centrales électriques ; citernes d’eau contaminées ; stockage et traitement inadéquats des déchets toxiques ; PCB détectés dans la Lepenica (cours d’eau).

1.2.2/ Information de base
Kragujevac, ville industrielle de 150.000 habitants, située dans le centre de la Serbie, se trouve l’usine automobile « Zastava », autrefois l’une des plus importantes installations industrielles de la région des Balkans. Un pourcentage élevé de la population de Kragujevac dépend, directement ou indirectement, de l’usine pour vivre. Il fut une époque où Zastava comptait 36.000 employés à Kragujevac, produisant plus de 30.000 voitures par an. Plus récemment, la perte de marchés et de compétitivité ainsi que les effets de l’embargo économique ont entraîné une baisse de la production de plus de moitié. L’usine fournit un certain nombre de produits secondaires et de services, notamment le chauffage pour une partie importante de la ville. Elle est située sur les rives de la Lepenica, un petit affluent de la Velika Morava, laquelle débouche dans le Danube à 60 km en aval de Belgrade. La Zdralica se trouve aussi à proximité de l’usine.

Le complexe de Zastava a été pris pour cible par deux fois pendant le conflit, à savoir les 9 et 12 avril. De sérieux dommages ont été infligés à la centrale électrique, à la chaîne de montage automobile, à l’atelier de peinture, au centre informatique et à l’usine de camions. Certaines parties de l’usine ont été entièrement détruites, et la production a été stoppée.

On rapporte que les frappes aériennes ont provoqué une pollution environnementale de grande ampleur, touchant les sols, les eaux et l’atmosphère. Les principaux problèmes signalés ont été la fuite de plusieurs tonnes de PCB (contenu dans de l’huile isolante pour transformateur) dans la Morava ainsi que la contamination des eaux souterraines aux PCB et aux métaux lourds. D’après le personnel de la Zastava, pas moins de 2 500 kg d’huile contenant des PCB se seraient déversés dans l’environnement sous l’effet direct des frappes aériennes, et les citernes d’eau souterraine se trouvant en dessous de l’usine auraient été polluées par l’huile pour transformateur, qui contenait des PCB.

La mission « sites industriels » de l’ESB s’est rendue à l’usine Zastava le 22 juillet. Des discussions ont été menées avec les représentants de la direction de l’établissement, qui ont fourni un rapport écrit sur les dommages écologiques résultant des frappes aériennes de l’OTAN. Deux secteurs de l’usine ont fait l’objet d’une enquête approfondie, à savoir les transformateurs endommagés de la centrale électrique et l’atelier de peinture (où l’on a signalé des fuites d’huile isolante pour transformateur, contenant des PCB).

Les directeurs de l’établissement ont déclaré que le Groupe Zastava avait mis en œuvre, avant le conflit, un système très actif de gestion de l’environnement, homologué selon la norme de qualité de gestion de l’environnement ISO 14000. Les travaux de nettoyage ont commencé immédiatement après les frappes aériennes dans le but de reprendre la production au plus tôt. Un objectif avait été fixé, à savoir produire 5 000 voitures avant la fin de 1999.

A la centrale électrique, deux transformateurs ont été endommagés pendant les frappes aériennes. Lors de la visite de l’ESB, les deux transformateurs ont été démontés et placés dans un entrepôt en béton prévu pour les déchets dangereux.

D’après le personnel de l’usine, seul l’un des transformateurs contenait de l’huile à teneur en PCB, mais elle s’est répandue sur le sol en béton autour du transformateur et dans le système d’évacuation des eaux usées. Le béton autour du transformateur a certainement été nettoyé de manière efficace, car on ne voyait aucune trace d’huile. Il semblerait que les travailleurs qui ont effectué cette opération de nettoyage aient été équipés de vêtements protecteurs. Le sable utilisé pour absorber le déversement d’huile est stocké dans quatre barils de 200 litres chacun, entreposés dans une zone réservée aux déchets dangereux.

Les experts de l’ESB ont été informés que l’usine était en train de stocker 5-6 tonnes d’huile usée contenant des PCB ainsi que 3 000 tonnes de peinture usée. Ces déchets dangereux datant d’avant le conflit nécessitent aussi un traitement, mais il n’y a pas d’installations appropriées en République fédérale de Yougoslavie. Les opérations de nettoyage et de reconstruction augmenteront la quantité de déchets dangereux.

Les frappes aériennes ont gravement endommagé l’atelier de peinture, dont seuls subsistent les murs extérieurs et des poutres de charpente. La toiture et l’intérieur de l’atelier ont été détruits, et certaines parties montrent des traces d’incendie. Lors de la visite de l’ESB, le personnel de l’usine avait déjà commencé à déblayer les gravats et les débris en vue de la reconstruction. Deux transformateurs qui se trouvaient à l’intérieur de l’atelier ont perdu de l’huile, mais la zone directement touchée n’avait pas encore été nettoyée. Alors que les peintures et les solvants ont brûlé consécutivement aux frappes aériennes, le feu ne semble pas avoir atteint les transformateurs. Des experts de l’ESB ont prélevé des échantillons d’huile sur le sol en béton autour des transformateurs, mais des débris insalubres interdisaient l’accès à ces derniers.

Il y a cinq citernes d’eau en béton (d’une capacité totale estimée à 7 000 m3) à proximité de l’atelier de peinture, dont certaines contenaient de l’eau au moment des frappes aériennes, tandis que d’autres étaient vides et servaient de dépôt. L’une des citernes est située près de la zone où les transformateurs ont perdu de l’huile. D’après le personnel, des solvants, de la peinture et des PCB se sont répandus dans les réservoirs. Les citernes d’eau forment un système en vase clos, sans connexion extérieure directe. Les experts de l’ESB ont pris deux échantillons pour déterminer la présence de polluants dans l’eau et pour vérifier notamment s’ils contenaient des PCB provenant des fuites d’huile du transformateur. Une analyse réalisée par des experts yougoslaves a mis en évidence des concentrations d’huile de transformateur de l’ordre de 0.7 mg/l.

D’après le personnel de Zastava, 2 500 kg d’huile de transformateur ont été perdus pendant les frappes aériennes, soit évaporés, soit brûlés, soit encore déversés dans le sol et le système d’évacuation des eaux usées. On pense que les PCB et d’autres polluants se sont écoulés dans ledit système d’évacuation, et de là dans la Lepenica, suite aux dégâts subis par le centre de traitement des eaux usées. Selon les autorités locales, les deux cours d’eau passant à Kragujevac étaient relativement propres avant les frappes aériennes. Ils supposent que des PCB provenant de l’usine Zastava sont arrivés dans ces cours d’eau, notamment dans la Lepenica, bien que les analyses de l’eau potable effectuées depuis le conflit n’ont pas permis de déceler de telles substances.

1.2.3./ Les échantillons de l’ESB et les résultats d’analyse
A la centrale électrique, les échantillons prélevés dans le mur en béton autour des transformateurs et près d’un ravinement d’eaux usées ont révélé, dans les deux cas, des niveaux élevés de PCB (>1 g/kg), le matériau testé contenant jusqu’à 50 % d’huile à teneur en PCB. On peut en déduire qu’une certaine quantité de PCB est entrée dans le réseau d’évacuation des eaux usées. Il convient donc de considérer cette partie de l’usine comme un « point écologiquement chaud », susceptible de porter atteinte à la santé ainsi qu’à l’environnement plus large. Un échantillon de l’huile piégée dans le sable et stockée dans les barils contenait des traces de PCB. Les tests ont confirmé qu’un seul des deux transformateurs contenait de l’huile à teneur en PCB.

Les échantillons prélevés dans l’atelier de peinture (deux dans le sol autour des transformateurs et un à 10 m de là) contenaient des niveaux élevés de PCB et de dioxine. Le seuil d’intervention (selon les normes allemandes) appliqué aux sites industriels est dépassé d’un facteur de 10 dans le cas de la dioxine/furanne, et le seuil d’alarme pour le PCB est dépassé d’un facteur de 1 000. Ces résultats confirment que cette partie de l’usine est aussi un sérieux « point chaud » sur le plan écologique. Les experts de l’ESB ont estimé que la zone touchée couvre 400 à 500 m² du sol en béton de l’atelier de peinture. Du fait de l’évaporation de ses composés volatils, les résidus toxiques sont extrêmement visqueux, de sorte qu’il faudra casser et évacuer le sol en béton auquel ils adhèrent. D’après les « empreintes digitales » chimiques, les dioxines proviennent de la fuite d’huile du transformateur.

Les échantillons de la partie supérieure des citernes d’eau se trouvant sous l’atelier de peinture n’ont pas confirmé la présence de PCB. Cependant, des échantillons de l’air se trouvant juste au-dessus de l’eau ont révélé la présence de solvants pour peinture et mastic. Il est également possible que des parties de quelques citernes aient été contaminées par des PCB provenant de peinture et de mastic toxiques qui auraient été utilisés autrefois, ou par de l’huile de transformateur provenant de fuites anciennes. En tout cas, les experts de l’ESB concluent que les citernes étaient déjà polluées au moment des frappes aériennes.

Pour vérifier les allégations concernant une éventuelle contamination aux PCB du réseau fluvial de la Lepenica et de la Velika Morava, la mission « sites industriels » de l’ESB a prélevé des échantillons de sédiments dans la Lepenica, à 4 km en aval de l’usine Zastava. Une concentration relativement élevée de PCB a été constatée à cet endroit (2.4 mg/kg, alors que l’objectif de qualité selon les normes allemandes pour les cours d’eau est de 0.06 mg/kg), mais les empreintes chimiques ont fait apparaître un profil nettement différent par rapport aux PCB que contenaient les huiles de transformateur sur le complexe de Zastava. On a également trouvé du nickel et du chrome dans des concentrations supérieures aux objectifs de qualité (selon les normes allemandes) applicables aux cours d’eau. Les experts de l’ESB pensent que ces métaux et les PCB proviennent probablement de l’usine automobile.

La mission « Danube » de l’ESB a ensuite prélevé le 27 août des échantillons d’eau, de sédiments et de biotes sur plusieurs sites. Les experts yougoslaves ont signalé une importante inondation au mois de juin, indiquant que les eaux avaient atteint un niveau de 2 mètres près du point de confluence de la Lepenica avec la Velika Morava.

Trois sites d’échantillonnage de faune macro-invertébrée ont été choisis par la mission « Danube » de l’ESB :
a/ un site à l’embouchure de la Lepenica ;
b/ un site en amont du point de confluence Lepenica/Velika Morava ;
c/ un site en aval du point de confluence Lepenica/Velika Morava.

L’analyse préliminaire de la faune macro-invertébrée donne à penser que la Lepenica a été touchée par la pollution en provenance de Kragujevac, car le nombre de taxa est nettement inférieur à celui de la Velika Morava. Le nombre de taxa identifiés dans la Velika Morava était plus élevé en amont qu’en aval du point de confluence avec la Lepenica.

Les résultats d’analyse des échantillons d’eau et de sédiments ont révélé une pollution aux PCB à l’embouchure de la Lepenica et dans la Velika Morava, en aval de leur point de confluence. Les concentrations de PCB dans la Lepenica ont atteint 18.7 ng/l, soit 10 ng/1 de plus que dans la Morava. On n’a pas détecté de PCB (somme de sept co-génères) dans les sédiments de la Morava en amont du point de confluence avec la Lepenica, mais on a constaté un niveau de 22 mg/kg en aval de l’embouchure et 52 mg/kg dans l’embouchure de la Lepenica.

Des échantillons de sédiments prélevés dans le sable des rives de la Lepenica ont révélé des niveaux de mercure élevés mais comparables avec les résultats obtenus sur la Morava en amont du point de confluence avec la Lepenica. La concentration de PCB constatée dans les sédiments provenant des rives et de l’embouchure de la Lepenica indique que des PCB ont été récemment charriés par la Lepenica. L’analyse détaillée de ces échantillons concordait avec les conclusions de la mission « sites industriels », à savoir que la composition des PCB trouvés dans la Lepenica n’était pas la même que celle des PCB provenant de l’huile pour transformateur, mais que le complexe Zastava restait la source de contamination la plus probable.

1.3. Novi Sad

1.3.1/ Principales préoccupations :
Risque que des eaux souterraines polluées par des produits pétrochimiques provenant de la raffinerie de pétrole s’infiltrent dans les puits d’eau potable ; de manière générale, on estime préoccupant l’emplacement des puits à proximité de la raffinerie.

1.3.2/ Information de base :
Avec une population de 180 000 habitants, Novi Sad est la deuxième ville de la République fédérale de Yougoslavie. Elle est située sur les bords du Danube, à environ 70 km au Nord-Ouest de Belgrade, dans le district de Vojvodine. Novi Sad a été durement touchée pendant le conflit : nombre de ses ponts ferroviaires et routiers traversant le Danube ont été détruits (y compris les aqueducs soutenus par les ponts), et des installations industrielles et militaires ont été endommagées ou détruites. L’une des principales cibles était la raffinerie de pétrole.

La raffinerie se trouvait sur la rive gauche du fleuve, à 3 km au nord du centre ville et à exactement 2 km en amont des puits de filtrage des rives utilisés pour l’alimentation et déchargement des barges, longe la périphérie sud de la raffinerie pour se jeter directement dans le Danube. Un réseau de canaux collecteurs artificiels dans l’enceinte du complexe capte les ruissellements de surface pour les acheminer vers le Danube en passant par un centre de traitement des eaux usées, équipé de séparateurs d’huile.

Le niveau de l’eau souterraine se trouvant sous la raffinerie est à 1 ou 2 mètres en dessous de la surface, et il n’y a aucune barrière protectrice pour empêcher un éventuel écoulement des eaux contaminées dans les puits de filtrage des rives en cas de déversement d’hydrocarbures ou d’autres incidents polluants. Il semblerait qu’une telle barrière ait été prévue, mais jamais construite. Les experts de l’ESB qui ont visité Novi Sad les 23 et 24 juillet (mission « sites industriels ») et le 24 août (mission « Danube ») étaient préoccupés par le fait, d’une part, que des puits d’eau potable soient situés si près de la raffinerie et, d’autre part, qu’aucune protection particulière n’ait été mise en œuvre.

Le complexe de la raffinerie comprend des installations de production et des citernes de stockage pour le pétrole brut et les produits pétroliers (essentiellement de l’essence et du carburant diesel). Plus des deux tiers des 150 citernes ont été touchées directement ou sérieusement endommagées par des débris lors d’une bonne douzaine de frappes aériennes de l’OTAN (pendant la période du 5 avril au 9 juin), et bon nombre de ces citernes ont pris feu par la suite ou ont perdu des hydrocarbures et des produits pétroliers. Néanmoins, on dit que les techniciens auraient réussi à canaliser une partie des fuites de substances vers des citernes intactes, réduisant ainsi les écoulements dans le sol et dans les eaux souterraines. Le personnel de la raffinerie avait également retiré certains produits pétroliers avant les frappes aériennes, notamment de l’huile de transformateur à teneur en PCB qui, s’ils s’étaient déversés ou s’ils avaient brûlé, auraient pu porter atteinte à la santé humaine. Le rythme de production a été accéléré de manière à consommer autant de pétrole brut, de produits intermédiaires et d’additifs que possible, et les produits finis ont été transportés ailleurs. Le pétrole qui restait avait été mélangé à de l’essence, de manière à ce que les citernes prennent feu si elles étaient touchées, plutôt que de prendre le risque qu’elles se déversent dans le sol et dans les eaux souterraines.

La pollution atmosphérique fait l’objet d’une surveillance de routine par l’Institut de Santé publique de Novi Sad et, pendant le conflit, on continuait d’effectuer des mesures. Certaines données de surveillance ont été mises à la disposition des experts de l’ESB.
Lors des incendies provoqués par les frappes aériennes, des parties de Novi Sad et les districts environnants ont reçu des concentrations de dioxyde de soufre et des particules aéroportées de plusieurs centaines de mg/m3. Cependant, de telles concentrations n’ont probablement pas duré plus de quelques heures, car les incendies étaient généralement de courte durée et le sens du vent variable. Ponctuellement, les concentrations ont probablement dépassé les normes de qualité recommandées pour l’atmosphère. Pendant la durée du conflit, les autorités dans le domaine de la santé ont conseillé à la population de Novi Sad de laver soigneusement les aliments et de ne pas consommer ceux qui portaient des dépôts de suie.

Environ 73 000 tonnes de pétrole brut et de produits pétroliers auraient brûlé ou fui. Les experts locaux estiment que 90 % ont brûlé, le reste ayant fui dans les canalisations d’évacuation d’eaux usées ou dans le sol.

Il a été fait état d’une forte contamination du Danube juste après les frappes aériennes, due au déversement de pétrole brut et de produits pétroliers par le réseau d’évacuation des eaux usées de la raffinerie. L’ingénieur en chef de la raffinerie a déclaré aux experts de l’ESB qu’il était très difficile d’estimer la quantité réelle de pétrole et de produits pétroliers déversée dans le Danube, mais qu’environ 130 tonnes avaient été récupérés de la station de pompage des eaux de refroidissement, à la sortie de la canalisation des eaux usées. La pêche a été interdite dans tout le district de Vojvodine pendant toute la durée du conflit.

L’inspection sur le terrain pendant la mission effectuée par l’ESB en juillet a montré que les canalisations d’eaux usées de la raffinerie étaient remplies de pétrole brut et de produits pétroliers. Dans la zone de stockage, on pouvait voir du pétrole brut sur le sol, qui provenait des fuites des citernes endommagées, tandis que certaines dalles de béton se trouvant sous les citernes étaient fendues et cassées. On pouvait aussi voir du pétrole dans des cratères de bombes remplis d’eau souterraine, au centre du complexe. On a aussi inspecté de visu un petit étang peu profond dans une zone peu élevée à une trentaine de mètres en dehors de l’enceinte de la raffinerie, dans le sens des puits de filtrage des rives aménagés le long du Danube. Aucune pellicule huileuse n’apparaissait à la surface de l’étang, et la flore et la faune aquatiques semblaient intactes. De même, il n’y avait pas de contamination apparente des rives ou de la surface de l’eau du fleuve près des puits de filtrage des rives.

Un porte-parole du centre de gestion des eaux de la Ville a indiqué aux experts de l’ESB que depuis le conflit, les huit puits de filtrage des rives situés près de la raffinerie avaient fourni 60 % de l’eau potable de Novi Sad. Du fait de la coupure des aqueducs traversant le Danube, la rive droite a du être isolée des installations de traitement ; l’eau provenant des puits de ce côté du fleuve ne pouvait être traitée, et 50 000 citoyens ne recevaient plus d’eau du réseau d’alimentation. Tout de suite après le bombardement de la raffinerie, deux des puits situés à proximité ont été fermés par mesure de précaution. Des dispositions ont aussi été prises pour nettoyer 13 000 m² du sol autour des puits, et l’un des puits fermés a été rouvert par la suite. Pendant la mission effectuée par l’ESB en août, l’Institut de santé publique de la municipalité a signalé qu’un puits restait fermé en raison des niveaux « légèrement élevés » d’huile minérale.
Le 23 août, le BBC World Service a diffusé un rapport émanant de l’Agence de presse yougoslave, selon lequel la raffinerie de Novi Sad avait repris, de façon restreinte, sa production de kérosène et de diesel destinée aux écoles, aux hôpitaux et à l’agriculture.

1.3.3./ Les échantillons de l’ESB et les résultats d’analyse
Au cours de la mission « sites industriels » de l’ESB, des échantillons de gaz de sol et/ou d’eau souterraine ont été prélevés en huit endroits différents, à l’intérieur et à l’extérieur de l’enceinte de la raffinerie de pétrole. Les analyses ont montré que deux des échantillons d’eau souterraine et l’un des échantillons de gaz de sol prélevés dans l’enceinte de la raffinerie contenaient des niveaux élevés d’hydrocarbures volatils, indiquant la présence de pétrole en phase libre (probablement de l’essence) à la surface de l’eau souterraine. D’autres échantillons prélevés à l’intérieur et autour de l’enceinte ont révélé des niveaux minimes d’hydrocarbures volatils.

Des échantillons d’eau souterraine ont également été prélevés au point d’afflux dans la galerie d’infiltration le plus proche du centre de traitement des eaux usées de la raffinerie, et à la sortie du conduit d’évacuation qui capte l’eau des galeries d’infiltration à destination des stations hydrauliques municipales aux fins de traitement. Les analyses ont révélé une contamination faible ou très faible des eaux usées par les hydrocarbures volatils.

Au cours de sa mission du mois d’août, l’ESB a prélevé des échantillons sur cinq sites :
A/ sur la rive gauche du Danube, en amont de Novi Sad (prévu comme site de référence pour d’autres échantillons, car le conflit ne semble pas avoir provoqué de pollution importante entre la frontière hongroise et Novi Sad) ;
B/ sur la rive gauche du Danube, juste en amont du canal ;
C/ sur la rive gauche du Danube, en aval de Novi Sad ;
D/ dans le canal, tout près de son point de confluence avec le Danube ;
E/ dans l’enceinte de la raffinerie.

Il est intéressant de noter que l’on a relevé des concentrations relativement élevées de PCB et de HAP dans les sédiments du fond fleuve, en amont de Novi Sad. C’était inattendu dans la mesure où l’on avait rapporté que cette partie du Danube était relativement exempte de pollution et qu’elle n’avait pas été touchée par les frappes aériennes sur la raffinerie. Il semble probable que ce soit le résultat d’une pollution ancienne et chronique du fleuve. Il n’y avait pas de différence notable dans les niveaux de mercure trouvés dans les sédiments du Danube en amont et en aval de Novi Sad (niveau peu élevé dans les deux cas), mais on a enregistré une valeur nettement plus élevée dans les sédiments du canal. Les échantillons d’eau provenant du Danube en aval de Novi Sad et du canal ont montré des niveaux insignifiants de mercure ainsi que des hydrocarbures pétroliers totaux.

Selon les analyses préliminaires réalisées par les experts de l’ESB, la faune macro-invertébrée dont on a prélevé un échantillon en amont de Novi Sad était caractéristique du moyen et du bas Danube. Treize groupes taxinomiques ont été identifiés. En aval de la raffinerie, 17 groupes taxinomiques ont été identifiés, ce qui indique que la pollution provoquée par les frappes aériennes n’a eu aucun impact biologique notable (du moins à court terme). En fait, les experts de l’ESB se demandent même si la fermeture contrainte de la raffinerie ne serait pas à l’origine d’améliorations locales dans le milieu aquatique, qui s’expliqueraient par une éventuelle réduction de la pollution chronique.

Sur la base des observations sur le terrain et des résultats des analyses d’échantillons, l’ESB a conclu que rien ne prouvait que les frappes aériennes sur la raffinerie de Novi Sad avaient eu des impacts négatifs sur le milieu aquatique danubien. On pense que la majeure partie du pétrole et des produits pétroliers qui se sont répandus a brûlé et qu’il ne s’en est pas déversé une grande quantité dans le fleuve.

1.4. Bor

1.4.1/ Principales préoccupations :
Grave pollution atmosphérique due à des émissions de dioxyde de soufre ; éléments attestant une dégradation environnementale chronique liée à la mine de cuivre ; contamination aux PCB localisée au poste à transformateurs.

1.4.2/ Information de base :
La mission « sites industriels » de l’ESB a visité deux zones le 24 juillet, à savoir le complexe d’exploitation minière et de fusion du cuivre en dehors de Bor (ville de 40 000 habitants située dans l’Est de Serbie), et le dépôt d’hydrocarbures « Yougospetrol » situé à proximité. Ces installations ont été prises pour cible pendant les frappes aériennes de l’OTAN des 15 et17 mai.

L’industrie du cuivre à Bor comprend une vaste exploitation minière à ciel ouvert et, associé à cette dernière, un atelier de fusion. Pendant les frappes aériennes, le poste à transformateurs qui alimente le site en électricité a été endommagé. A l’origine, il abritait trois grands transformateurs et 160 condensateurs, mais l’un des transformateurs avait été vidé et retiré avant les frappes aériennes. Les deux autres transformateurs contenaient chacun 25 tonnes d’huile. Entre 80 et 100 condensateurs contenant chacun environ un litre d’huile ont été détruits. Selon des sources professionnelles, l’huile des transformateurs ne contenait pas de PCB, contrairement à l’huile des condensateurs. C’est ce qu’a confirmé par la suite une analyse effectuée par l’ESB. Au moment de la visite de l’ESB, certains condensateurs jonchaient encore sur le sol autour du poste à transformateurs, mais la plupart d’entre eux avaient été retirés et mis en décharge.

D’autres parties du complexe auraient échappé à de graves dommages, mais les frappes aériennes sur la centrale électrique ainsi que la réduction de l’alimentation en électricité qui s’ensuivit ont eu pour effet d’interrompre la production d’acide sulfurique, qui est un sous-produit de l’industrie du cuivre.
Il en a résulté des dégagements chroniques de gaz de dioxyde de soufre, normalement récupérés lors de la production d’acide sulfurique. L’ESB pouvait déjà sentir le dioxyde de soufre à plusieurs kilomètres de l’usine, et après être resté quinze minutes sur le site lui-même, tout le groupe a commencé à tousser. Sur la base des informations disponibles, l’Equipe a estimé que les émissions pourraient être de l’ordre de 100 000 tonnes de dioxyde de soufre par an. Cependant, une évaluation plus fiable requiert des données plus précises. Les représentants de l’Université de Belgrade ont confirmé que l’on avait déjà enregistré par le passé une pollution par les gaz de dioxyde de soufre et par les métaux lourds sur le site.

Les sédiments du rivage du Bor (cours d’eau) seraient, semble-t-il, « pavé en dur » du fait des dépôts de pyrites ferreux (FeS2), alors que le sol et l’eau de surface de la région seraient, à ce que l’on dit, contaminés aux métaux lourds après des décennies d’exploitation minière.

Bien que l’on ne dispose d’aucune information précise, les experts de l’ESB considèrent que les émissions chroniques de dioxyde de soufre en provenance de la mine de cuivre ont un impact redoutable sur l’environnement. Comme la ville de Bor se trouve près de la frontière bulgare, ces émissions ont pu avoir des effets transfrontières, selon la direction dans lequel le vent soufflait. Il convient de prendre des mesures d’urgence pour réduire ces émissions. Selon les rapports reçus par le site web de l’agence de presse bulgare, le Timok, qui est un fleuve traversant la frontière, a une histoire de pollution chronique et aiguë par la mine de cuivre. Un épisode de pollution majeure, datant de la fin du mois de juin 1999, était lié au déversement d’eaux usées en provenance de la mine.

Le dépôt d’hydrocarbures « Yougopetrol », qui servait essentiellement à l’industrie du cuivre de Bor, a été entièrement détruit pendant les frappes aériennes. Cependant, on dit que les huit citernes de stockage auraient été vidées peu avant qu’elles ne soient touchées. Comme le dépôt d’hydrocarbures était vide, il n’y a eu que des incendies isolés, sans déversement de pétrole. Néanmoins, quelques transformateurs se trouvant à la station électrique du dépôt ont été endommagés ou détruits.

1.4.3/ Les échantillons de l’ESB et les résultats d’analyse
Pour les tests visant à mettre en évidence des PCB à la centrale électrique de la mine de cuivre, les experts de l’ESB ont prélevé un échantillon de l’un des transformateurs endommagés, lequel n’a pas révélé la présence de PCB. Un deuxième échantillon, prélevé dans le sol sous l’un des condensateurs qui fuyaient, a permis de déceler des PCB contaminés aux dioxines et aux furannes.

Des échantillons de sol (à diverses profondeurs) ont été prélevés dans un camp à proximité du dépôt d’hydrocarbures, ainsi qu’un échantillon de sédiments dans un petit émissaire en contrebas du site. Un autre échantillon a été prélevé dans le sol à proximité d’un transformateur de la centrale électrique, qui était endommagé et présentait des fuites.
L’échantillon prélevé dans l’émissaire aux fins d’évaluation des niveaux de fond a révélé des concentrations extraordinairement élevées de métaux lourds, notamment de cuivre, mais aussi de cadmium, d’arsenic, de plomb et de zinc. Les experts de l’ESB ont conclu que ces concentrations n’avaient rien à voir avec les dégâts causés par le conflit, mais qu’elles étaient plutôt le résultat d’une pollution industrielle de longue date.

L’échantillon de sol provenant des environs immédiats du transformateur endommagé a révélé un niveau élevé de PCB (300 mg/kg) et de faibles niveaux de métaux lourds.

2. Impacts écologiques du conflit sur le Danube

Pendant le conflit du Kosovo et tout de suite après, les médias et les ONG ont évoqué plus particulièrement la possibilité que le Danube ait été pollué.

Comme les principales installations industrielles prises pour cible lors des frappes aériennes étaient situées sur les bords soit du Danube (par exemple Novi Sad, Pančevo), soit de ses principaux affluents tels que la Slava (par exemple, Barić), ou sur des affluents plus modestes comme la Lepenica et la Morava (par exemple, Kragujevac), on craignait que de grandes quantités de substances dangereuses ne se soient infiltrées dans le réseau danubien, ce qui comporterait des risques pour la population yougoslave et, en aval, pour les populations bulgare et roumaine, par le biais de l’eau potable contaminée ou des poissons comestibles contaminés. Le Danube est aussi l’un des couloirs européens les plus importants en matière de biodiversité ; en d’autres termes, tout effet nocif sur la santé aurait presque immanquablement des conséquences graves sur les plantes et les animaux, et sur les habitats dont ils dépendent.

Le bassin danubien couvre une superficie de 817 000 km² à cheval sur 17 pays d’Europe centrale, en sorte que le fleuve reçoit des apports chroniques et concentrés d’éléments nutritifs et de polluants provenant d’une multitude de sources industrielles, agricoles et municipales. L’inquiétude générale qu’inspirait l’état de l’environnement danubien a conduit à l’adoption de la Convention on Co-operation for the Protection and Sustainable Use of the Danube River (Convention sur la coopération pour la protection du Danube et l’utilisation durable de ses ressources), connue aussi sous le nom de Danube River Protection Convention – DRPC.
La DRPC est entrée en vigueur en octobre 1998 et, au moment de la rédaction de ces lignes, on comptait 11 parties contractantes. Elle constitue le fondement légal de la coopération internationale pour la gestion de l’environnement du bassin danubien.

La mise en œuvre de la DRPC est assurée par l’International Commission for the Protection of the Danube River – ICPDR (commission internationale pour la protection du Danube) et soutenue par le Environmental Programme for the Danube River Basin – EPDRB (programme de protection de l’environnement du bassin danubien). Ce programme a été lancé en 1991 par des pays danubiens, des organisations internationales, des institutions financières et des ONG. Parmi les initiatives prises dans le cadre de l’EPDRB et coordonnées par l’ICPDR, il convient de citer le Trans-National Monitoring Network – TNMN (réseau transnational de surveillance) qui établit les normes communes de surveillance des principaux paramètres de qualité et de quantité de l’eau dans tout le bassin danubien. Malheureusement, la République fédérale de Yougoslavie n’est pas partie à la DRPC, et bien qu’il y ait eu des contacts au niveau technique avec l’ICPDR, la RFY ne participe pas officiellement aux travaux de l’ICPRD ni du TNMN.

Nombre de conclusions de la mission complémentaire « Danube » organisée par l’ESB en étroite coopération avec l’ICPDR ont déjà été exposées auparavant dans le présent chapitre. Cependant, il est utile de souligner ici les conclusions générales de la mission :

· Aucun élément ne vient accréditer l’idée d’une catastrophe écologique du Danube consécutive aux frappes aériennes pendant le conflit du Kosovo.
· Il y a cependant quelques points chauds où la contamination par les émissions de substances dangereuses lors des frappes aériennes présente des risques pour la santé humaine et le milieu aquatique. Les recommandations ayant trait à ces points chauds devraient être mises en œuvre sans délai.
· Des éléments viennent corroborer une pollution chronique de longue date du Danube en République fédérale de Yougoslavie. Une partie de cette pollution provient d’autres pays danubiens, mais le fait qu’en RFY les déchets dangereux ne soient ni traités ni stockés de manière adéquate est aussi un important facteur de contamination.
· Il est urgent d’associer la RFY aux cadres internationaux concernant le contrôle de la qualité de l’eau, la lutte contre la pollution de l’eau et les interventions en cas d’urgence.

3. L’uranium appauvri : Conclusions de la mission d’enquête préliminaire et du Groupe d’évaluation théorique

3.1/ Rappel
L’uranium appauvri (UA) est un déchet provenant du procédé d’enrichissement du minerai d’uranium naturel destiné aux réacteurs et aux armes nucléaires. Par rapport à l’uranium naturel, dont la teneur isotopique en U-235 est de 0.7 %, cette teneur ne représente plus, dans l’uranium appauvri, qu’un tiers de la teneur initiale (0.2 %).

L’UA est extrêmement dense et s’utilise donc dans la pointe des balles destinées à transpercer les blindages. Il peut également s’utiliser dans les têtes d’ogive des missiles de croisière. En plus de sa densité, l’UA trouve aussi des applications militaires en raison de son prix relativement peu élevé (par rapport aux options au tungstène) et des disponibilités importantes. La nature pyrophorique du métal d’uranium et le point éclair aux températures extrêmes générées au point d’impact provoquent la formation de particules d’oxyde d’uranium. Des études ont montré qu’un pourcentage élevé de ces particules peuvent être de taille « respirable », c’est à dire qu’elles peuvent être inhalées dans les régions profondes des poumons. Les préoccupations pour la santé liées à l’exposition à l’UA se fondent sur les propriétés radiologiques et chimiques de ce métal.

Pendant et après le conflit du Kosovo, les médias ont régulièrement indiqué que de l’uranium appauvri avait été utilisé dans des opérations militaires menées par l’OTAN. En conséquence, les populations de Serbie et du Kosovo craignent que des problèmes sanitaires et écologiques n’apparaissent éventuellement après le conflit. Ces préoccupations sont suffisamment fondées pour que l’on évalue les risques encourus par le personnel sur le terrain envoyé par l’ONU et par d’autres institutions internationales.

Il semble qu’une feuille d’information du Département de la défense des Etats-Unis en date du 3 mai 1999 ait confirmé le fait que des armes à l’uranium appauvri ont été utilisées par les forces américaines dans les Balkans. On a signalé que des bombettes (« bomblets ») à l’UA avaient été tirées d’un avion A-10. Mais on ne sait pas si les forces américaines ont tiré des missiles de croisière contenant de l’UA. On ne sait pas non plus si d’autres forces de l’OTAN ont fait usage d’armes à l’UA dans les Balkans. Les informations actuellement disponibles sur l’utilisation d’UA au Kosovo et éventuellement en Serbie ne permettent pas de dire quelle quantité d’armes à l’UA a été utilisée, ni d’en connaître les points d’impact. Au moment de la rédaction de ces lignes, l’ESB n’a reçu aucun document officiel confirmant que de l’uranium appauvri a été utilisé pendant le conflit.

3.2/ Le Groupe d’évaluation théorique
Dans le cadre de son mandat, l’ESB a désigné un groupe international spécial d’experts, à savoir le Groupe d’évaluation théorique de l’uranium appauvri, pour aborder les questions soulevées, tout en connaissant qu’une évaluation des risques sanitaires serait plus complète si elle était réalisée par l’Organisation Mondial de la Santé.

Le Groupe a aussi reconnu que les preuves scientifiques étaient relativement minces dans certains domaines du débat autour de l’UA, mais a pris note que la communauté scientifique internationale était prête à poursuivre les investigations à cet égard.

Comme on ne dispose guère d’informations sur l’utilisation effective d’uranium appauvri pendant le conflit du Kosovo, le groupe d’experts a été contraint de se fier aux informations rendues publiques. Pendant une « mission d’enquête » organisée par l’ESB, on a mesuré à titre préliminaire les radiations sur des véhicules militaires détruits et dans les environs du bureau de police et du bureau de poste de Priština, gravement endommagés. Quoique l’on n’ait pas trouvé d’indices de contamination à l’uranium appauvri, il se peut néanmoins qu’il y ait au Kosovo des zones contaminées par ce métal.

En utilisant les informations disponibles, on a décrit un scénario hypothétique fondé sur un certain nombre de conditions et de suppositions. De cette manière, on a examiné toutes les formes d’exposition à l’uranium appauvri et formulé des conclusions quant à leur degré d’importance.

Comme les hypothèses n’ont pas été vérifiées, les résultats sont sujets à caution. Les conclusions et les recommandations sont donc formulées avec prudence.

3.3/ Conclusions
Sur la base des faits et des résultats de ses travaux, le Groupe d’évaluation théorique est parvenu aux conclusions suivantes :

L’absence d’information officielle de la part de l’OTAN pour confirmer si de l’UA a été utilisée ou non pendant le conflit du Kosovo a dénaturé les préalables aux travaux du groupe.

Compte tenu des conditions et des suppositions, les risques sérieux sont limités à une zone restreinte autour de la cible. Plus l’uranium appauvri se propage, et plus les risques liés à ce dernier sont réduits.

Si l’on retire de la zone touchée des véhicules contaminés, les accumulations apparentes de fragments et de poussière d’uranium, les éventuels risques d’exposition importante sont liés à quelques circonstances spécifiques que l’on pourrait éviter moyennant une information et des consignes appropriées.

L’éventuelle contamination des terres par l’uranium appauvri n’est pas un obstacle au retour dans les villages et régions touchés par les attaques au cours desquelles des munitions à l’UA ont peut-être été utilisées ; à la condition naturellement que certaines recommandations soient observées.

Il se peut que pendant et juste après chaque attaque où de l’uranium appauvri a été utilisé, certaines personnes vivant dans le voisinage immédiat en aient inhalé une grande quantité. Des examens médicaux spéciaux permettraient de vérifier l’ampleur de ce problème éventuel. Cela s’applique à des individus potentiellement affectés qui ne se trouvent plus dans cette zone.

Les résultats de ces analyses ont un caractère général et s’appliquent donc non seulement au Kosovo, mais aussi aux autres régions touchées pendant le conflit.

Un examen plus approfondi est requis pour déterminer les effets sanitaires d’une exposition de longue et moyenne durée à l’UA.

4. Conséquences du conflit sur la biodiversité

4.1/ Rappel
En Europe, les Balkans sont reconnus depuis longtemps comme une région d’un intérêt exceptionnel pour la conservation de la biodiversité biologique. La richesse de la flore et de la faune est due à la variété des facteurs, notamment l’emplacement de la région au point de jonction de plusieurs zones biogéographiques, sa variété climatique, sa géologie et sa topographie, ainsi que l’exploitation des terres selon une pratique traditionnelle encore très répandue, à savoir une culture peu intensive. Le territoire de la République fédérale de Yougoslavie est certainement une composante importante de la richesse globale de la biodiversité des Balkans. Plus d’un tiers de toutes les plantes à fleurs européennes, environ la totalité des espèces de poisson et deux tiers de la faune aviaire et mammifère ont été enregistrés en RFY. Environ 5 % de la Serbie et 8 % du Monténégro sont comprises dans des régions déclarées officiellement zones protégées telles que les parcs nationaux, les parcs naturels et les réserves naturelles.

Pendant et juste après le conflit, les comptes rendus des médias, les sites web des ONG et les déclarations officielles des autorités yougoslaves ont régulièrement fait état de graves dégâts infligés par les frappes aériennes aux zones protégées. Ainsi, selon un communiqué de presse yougoslave diffusé sur la BBC le 17 avril, le Ministère serbe pour la protection de l’environnement a déclaré que « des dégâts irréparables ont été infligés aux écosystèmes et aux habitats d’espèces menacées (dans le Parc national de Kopaonik) ». Une brochure intitulée « Patrimoine naturel sous les bombes », réalisée en août 1999 par l’Institut serbe pour la protection de la nature contient un texte et des photographies cataloguant les dommages causés aux zones protégées par les frappes aériennes. Alors que ces frappes étaient souvent caractérisées par les sources yougoslaves comme des actions visant directement le patrimoine naturel, l’OTAN a déclaré que seuls des sites militaires et stratégiques (en particulier les tours de télécommunications au sommet des collines) avaient été pris pour cibles à l’intérieur des zones protégées.

Compte tenu, d’une part, de l’importance de la région en termes de conservation sur le plan international et, d’autre part, des rapports alarmants, il a été décidé que l’Equipe spéciale pour les Balkans organiserait une mission technique pour évaluer l’impact du conflit sur la biodiversité, notamment dans les zones protégées. Les sites à visiter ont été déterminés par l’ESB sur la base des données provenant d’organismes internationaux de conservation (par exemple l’UICN), des discussions menées avec les autorités yougoslaves (par exemple, l’Institut serbe pour la protection de la nature), des comptes rendus des médias et de l’évaluation des conditions de sécurité au Kosovo. La KFOR a déconseillé la visite des zones protégées au Kosovo en raison de la présence de champs de mines non déminés et de munitions explosives non explosées. L’ESB a effectué une mission du 7 au 13 septembre, au cours de laquelle une équipe internationale composée d’experts en biodiversité a visité des sites en Serbie et au Monténégro.

4.2/ Conclusions générales

Effets directs des frappes aériennes
Les dégradations physiques dues aux frappes aériennes sont notables dans des zones limitées, mais elles n’ont qu’une importance relative par rapport à la taille globale des zones protégées et des écosystèmes qui environnent les sites touchés. Les départs de feu causés par des frappes aériennes ont été localisés, et rien n’a été observé qui ressemblât à un grand incendie de forêt. L’Equipe n’avait pas les moyens de mesurer des éventuels résidus chimiques à l’intérieur et autour des cratères. Les écosystèmes fragiles tels que les herbages alpins de Kopaonik mettront sans doute plus de temps à se rétablir que les écosystèmes forestiers, plus robustes.

Les munitions non explosées sont un problème de sécurité à régler de toute urgence (risque pour le personnel travaillant dans les zones protégées), qui pourrait hypothéquer longtemps le tourisme dans les temps à venir et faire peser une contrainte durable sur les zones protégées. Une moindre activité touristique se traduirait par une baisse des revenus affectés à la conservation et compromettrait les moyens de subsistance des populations locales participant aux récoltes et à l’exploitation des ressources naturelles.

Effets indirects

Les perturbations sociales, économiques et administratives risquent de soumettre les ressources naturelles à un surcroît de pression, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des zones protégées (par exemple, utilisation accrue du bois de cuisson et de chauffage, induite par l’interruption de l’alimentation en électricité). Le tourisme va reculer et les recettes qu’il génère vont diminuer, encore qu’il faille rappeler que le développement des stations de ski à Kopaonik avait été signalé en tant que problème pour la conservation. L’expérience tirée des activités de reconstruction dans les autres pays de la région des Balkans montre que la reconstruction future de la Yougoslavie exigera de grandes quantités de matières premières (gravier, pierre, produits dérivés du bois, eau, etc…). Les autorités fédérales responsables des équipements de télécommunication acquittaient officiellement un loyer aux zones protégées où elles avaient des installations (mais, semble-t-il, pas pour celles situées au Monténégro). L’avenir de ces contributions financières est incertain.

5. Conclusions générales concernant les effets des frappes aériennes sur la biodiversité
· Effets génétiques : A ce stade, il n’y a pas de preuves que la biodiversité des zones protégées visitées a été sérieusement touchée sur le plan génétique. Cependant, cette question n’a pas été spécifiquement abordée par la mission de l’ESB.
· Effets sur les espèces : A ce stade, il n’y a pas de preuves que la biodiversité des zones protégées visitées a été sérieusement touchée sur le plan des espèces. L’évaluation de l’état de plusieurs espèces végétales menacées sur les sites de haute altitude endommagés pendant les frappes aériennes devra peut-être s’échelonner sur plusieurs saisons.
· Effets sur les écosystèmes : A ce stade, il n’y a pas de preuves que la biodiversité des zones protégées visitées a été sérieusement touchée sur le plan des écosystèmes. L’Equipe n’a visité aucune des zones fluviales protégées, mais les missions « sites industriels » et « Danube » de l’ESB se sont intéressées aux effets de la pollution induite par le conflit sur les écosystèmes fluviaux.
· Effets sur le plan institutionnel : De manière générale, l’ESB conclut que la conservation de la diversité biologique en RFY a souffert des conséquences du conflit et de l’embargo économique. Le cadre institutionnel est faible et sous-doté, tandis que l’isolement croissant par rapport aux programmes et mécanismes internationaux a sérieusement limité la coopération transfrontières.

6. Considérations spéciales à propos du Kosovo et des établissements humains

6.1/ Rappel
Le conflit a eu de graves répercussions sur les établissements humains, tant en République de Serbie que dans la province du Kosovo. A un moindre degré, les habitations ont aussi été touchées en Albanie voisine et dans l’ex-République yougoslave de Macédoine, en raison essentiellement de la sur-utilisation et de la détérioration des infrastructures et des services, consécutives aux afflux de réfugiés du Kosovo. Alors que les effets les plus visibles du conflit ont été la destruction de logements, de bâtiments publics et d’infrastructure, il faut aussi mentionner les effets tout aussi dramatiques et peut-être plus durables sur les systèmes institutionnels d’administration des établissements humains et de l’environnement, notamment dans la province du Kosovo.

La destruction de logements et la perturbation complète des services publics tels que l’alimentation en eau et l’évacuation des eaux usées ont contribué à la détérioration rapide des conditions de vie dans la zone de conflit. Si l’on ne remédiait pas à cette situation avant l’arrivée de l’hiver, les conditions sanitaires et environnementales se dégraderaient davantage. Par ailleurs, du fait de l’exode des Serbes hors de la province, le Kosovo a perdu pratiquement tout le personnel expérimenté que comptaient les autorités locales et les services publics. La province est actuellement confrontée à la tâche immense de reconstruction d’un système minimal d’administration locale pour prendre les mesures d’urgence et faire avancer les choses dans le sens d'un développement écologiquement soutenable.

6.2/ Création de l’équipe du CNUEH (Habitat) au Kosovo
La Mission des Nations Unies au Kosovo (MINUK) est l’organisme créé par le Secrétaire général de l’ONU pour assurer l’administration intérimaire de la province du Kosovo. La MINUK a quatre piliers d’activité : les activités humanitaires (HCR), l’administration civile (ONU), l’édification d’un cadre institutionnel (OSCE), et la reconstruction (UE). Les activités du CNUEH (Habitat) se développent principalement sous l’égide du pilier « administration civile ».

Une première évaluation rapide a été effectuée par le CNUEH (Habitat) en juin-juillet 1999. La mission a centré son analyse sur les aspects suivants : les dommages aux logements et aux infrastructures des établissements, l’administration principale, les droits à la propriété et la régularisation et les registres de propriété/cadastre.

L’ESB a effectué une évaluation exhaustive du cadre administratif, juridique et institutionnel dans lequel s’inscrit l’action en faveur de l’environnement au Kosovo.

Au moment où l’ESB a effectué sa mission, l’UE, l’US-AID (OFDA), le HCR et le PNUD avaient déjà commencé leur travail d’évaluation des dommages subis par les logements et les infrastructures. Ces organisations prévoient également de lancer les activités de reconstruction les plus urgentes. A cet égard, il a été décidé que la mission du CNUEH (Habitat) ne devrait pas faire double emploi avec les organisations en ce qui concerne les travaux d’évaluation des dommages aux logements. Un mémorandum succinct sur la reconstruction des habitations urbaines a été soumis à l’UE pour examen. D’autres activités dans ce secteur relèveront de l’organisme de coordination au titre du pilier « reconstruction » de la MINUK, qui requiert l’appui du CNUEH (Habitat).

6.3/ Conclusions de l’équipe du CNUEH (Habitat) au Kosovo

D’après les évaluations effectuées au Kosovo, 120 000 maisons ont été endommagées dans les 29 municipalités de la province. Les unités de logement endommagées en Serbie sont estimées à environ 50 000. La plupart des dommages aux habitations et aux bâtiments au Kosovo ont été causés par le feu mais aussi par les tirs de canon et d’artillerie. Les niveaux de destruction varient beaucoup d’une zone à l’autre. On estime à plus de 40 000 les unités de logement non réparables qui doivent être remplacées.

En outre, les installations de services publics tels que l’éducation, les soins de santé, la gestion des déchets et l’alimentation électrique ont aussi subi des dégâts, quoique de moindre ampleur. Les routes n’ont pas subi beaucoup de dommages directs, mais faute de maintenance, elles se sont dégradées ces dernières années et pendant le conflit. Selon les estimations de l’IMG, les préjudices aux habitations s’élèveraient à 1.1 milliards d’euros. Le coût du dommage aux infrastructures de base (éducation, santé, énergie et eau) est estimé à 40 millions d’euros. Le gros de l’effort de reconstruction porte actuellement sur les réparations d’urgence pour garantir un minimum d’abri pendant l’hiver. La Mission des Nations Unies au Kosovo (MINUK) élabore actuellement, en collaboration avec d’autres organisations nationales et internationales, de vastes stratégies de remise en état des habitations et des infrastructures, à mettre en œuvre après la phase d’urgence.

Les problèmes de l’environnement et des établissements humains sont étroitement liés car certains aspects de la gestion de l’environnement (notamment le traitement des déchets, l’assainissement) requièrent pour l’essentiel une administration municipale efficace et un système opérant d’enregistrement des titres de propriété. Cela explique que l’effondrement des systèmes administratifs nécessaires au fonctionnement des services de protection de l’environnement ait eu d’aussi graves conséquences. L’évaluation de la situation au Kosovo montre bien que les problèmes rencontrés sur le plan de l’administration du secteur du logement, des opérations immobilières et de la propriété, des registres de propriété/cadastres, de l’aménagement du territoire et de l’administration municipale sont au cœur de la dégradation continuelle de la situation au Kosovo. Entre 1995 et juin 1999, l’administration publique de la province était contrôlée par du personnel serbe, les Albanophobes n’étant pas autorisés à y participer pleinement. Cela explique en partie la détérioration générale du cadre administratif et physique.

Selon l’ancien coordinateur du Centre du cadastre du Kosovo, 80 % des données cadastrales ont disparu de la province, soit avant, soit pendant le conflit. Cependant, l’évaluation initiale effectuée par le CNUEH (Habitat) couvrant plus de la moitié des 29 municipalités de la province atteste qu’il existe un vaste corps d’informations sur l’enregistrement des biens et les actes associés. Cette évaluation a montré que seules quelques municipalités ont un système cadastral numérique en état de fonctionner. Aucun plan cadastral numérique n’est disponible et l’on n’a trouvé que quelques copies de plans cadastraux imprimés. Il existe bien d’autres documents/actes ayant trait au cadastre, utilisables pour vérifier et corréler les informations relatives à la propriété et aux limites de propriété, mais ces documents sont dispersés en plusieurs endroits et doivent encore être classés et inventoriés.

A l’heure actuelle, la plupart des bureaux municipaux du cadastre ne sont pas opérationnels du fait de l’absence d’actes et du manque de personnel et d’équipements. Faute d’accéder à cette information, il n’est pas possible de réaliser normalement des opérations immobilières et, plus grave encore, de cibler l’assistance à la reconstruction de logements. Une action s’impose d’urgence pour commencer à organiser un système cadastral complet et moderne. Ce serait un instrument extrêmement précieux pour aider la MINUK à régler les litiges en matière de propriété, à rendre de nouveau opérationnel le marché de l’immobilier et à créer une base permettant une gestion saine de l’environnement.

S’agissant de l’occupation des biens et des opérations immobilières, l’évaluation a permis d’établir que la province n’avait pas, en matière de logement et de propriété, de cadre législatif et administratif conforme aux normes internationales établies. Dans ce domaine, les opérations irrégulières sont nombreuses du fait de l’application d’une législation discriminatoire. La situation est compliquée par la multiplication des cas d’occupation illégale de logements et de vente forcée des biens.

Malgré la gravité de ces problèmes, la population du Kosovo n’a aucun recours légal officiel pour régulariser les transactions et les titres en matière de logement et de propriété. Les secteurs du logement et de la propriété sont actuellement sous-réglementés, et il faut que cela change si l’on veut faire prévaloir la démocratie et le droit dans la province. Alors que les autorités judiciaires et municipales locales peuvent éventuellement apporter certaines des solutions requises, il ne semble pas qu’elles disposent de moyens suffisants, et l’on estime nécessaire de créer un mécanisme ad hoc pour traiter de ces questions.

En ce qui concerne les administrations municipales de la province, il ressort de l’évaluation que les mécanismes d’administration de la province ont besoin d’être revus de toute urgence. On ne discerne pas bien les responsabilités des municipalités, en raison notamment de nombreux chevauchements de fonctions au sein de leurs structures. Leur capacité à coordonner de manière efficace et à fixer des priorités est modeste, et leurs responsabilités vis à vis du public sont trop diffuses. Actuellement, sont proposées des structures verticales standards dans l’ensemble du Kosovo, indépendamment de la taille de la municipalité ou de la dotation en effectif réellement requise. Il n’y a pas, sur place, de mécanismes municipaux de génération de revenus. Le fait que rien ne soit actuellement prélevé pour les services publics risque, si cette situation perdurait, de créer une culture de non-paiement. Sans système opérationnel d’octroi de licences, les municipalités n’ont aucune base de revenu ni aucun moyen de lutte contre les pratiques illégales.

L’absence d’une administration locale efficace affecte aussi la gestion de l’environnement. Outre le fait qu’il n’y a pas d’expertise locale dans ce domaine, la MINUK doit encore créer une capacité opérationnelle reliée aux autres échelons et secteurs compétents de l’administration civile.

IV - RECOMMANDATIONS

Les recommandations suivantes visent à mettre en exergue les actions requises d’urgence pour arrêter ou atténuer la dégradation de l’environnement en RFY, et pour réduire les risques pour la santé.

La responsabilité en matière d’assainissement incombe principalement aux autorités de la RFY. Néanmoins, la communauté internationale doit être prête à prendre des mesures pour répondre aux besoins humanitaires urgents et promouvoir par tous les moyens le développement démocratique de la région.

Un environnement malsain et dangereusement pollué est de nature à hypothéquer le bien-être des populations humaines et n’est pas non plus propice aux affaires et au commerce. Cependant, la mise en œuvre des recommandations n’est pas seulement une affaire de crédits ; il faut aussi tenir compte des préoccupations politiques concernant l’embargo international de la Serbie. Dans le contexte actuel, l'assistance internationale à la reconstruction n’est prévue que pour la République du Monténégro et la province du Kosovo. Cela dit, les « points écologiquement chauds » et donc particulièrement préoccupants qui ont été repérés en Serbie exigent des mesures immédiates à visée humanitaire.

Les recommandations de l’ESB sont fondées sur les conclusions de ses missions techniques sur le terrain, du Groupe d’évaluation théorique et des discussions approfondies menées au sein d’un réseau international d’experts et d’organisations. Elles tiennent aussi compte des initiatives en cours telles que les projets mis en œuvre par FOCUS.

Les recommandations distinguent, d’une part, les mesures à court terme visant à un assainissement immédiat et, d’autre part, les mesures à long terme, qui s’inscrivent dans la perspective du renforcement des institutions, de la reconstruction et de la reprise des activités industrielles. Les activités économiques normales ont commencé à reprendre, notamment la production sur certains sites contaminés. Cela risque d’aggraver la situation, et l’ESB insiste sur la nécessité impérieuse d’assainir ces sites et d’y manutentionner avec prudence les matériaux contaminés.

1. Sites industriels

Mesures immédiates
Les quatre premiers paragraphes se réfèrent à tous les sites industriels fortement contaminés ; ci-après sont formulées des recommandations spécifiques concernant les principaux points chauds.

1. Il conviendrait de réaliser des études détaillées des eaux souterraines et de contrôler l’eau potable pour déterminer si les sources sont contaminées (cette recommandation devrait être mise en œuvre pour tous les points chauds – Pančevo, Kragujevac, Novi Sad et Bor – et d’autres sites éventuellement exposés).

2. Les sols superficiels contaminés à l’huile lourde, aux PCB, aux métaux lourds et à d’autres substances dangereuses devraient faire l’objet d’un traitement et, le cas échéant, être retirés de tous les sites industriels (Pančevo, Kragujevac, Bor, Novi Sad, Barić, Kraljevo, Niš, Novi Beograd, région d’Obrenovac, Prahovo et Priština), et stockés dans des conditions de sécurité.

3. Il faudrait élaborer et mettre en œuvre, pour chaque site et pour l’ensemble de la RFY, un plan détaillé d’évacuation des déchets. Il conviendrait également de prendre sans délai des mesures de stockage sûr des déchets dangereux (y compris les déchets médicaux), même si l’on ne dispose par encore d’installations pour leur traitement définitif et leur évacuation.

4. Il conviendrait de maintenir, voire de renforcer, la surveillance de l’air, de l’eau, du sol, des produits agricoles et de la santé humaine, et de continuer à communiquer les résultats de ces activités à la population vivant autour de tous les « points chauds » industriels.

5. Pančevo : il conviendrait de prendre de toute urgence des mesures palliatives dans le canal des eaux usées fortement contaminées à l’EDC et au mercure. Il faudrait également procéder au nettoyage des déversements de mercure à l’usine pétrochimique. Les recommandations détaillées visent à :

a) Considérer le canal des eaux usées comme un point écologiquement chaud, présentant un risque particulier pour le milieu aquatique du Danube, et à prendre au plus tôt les mesures suivantes :

· Isoler complètement les eaux du canal et les sédiments du Danube par la construction d’une barrière physique (et parallèlement, mettre en place d’autres installations des eaux usées) ;
· Eliminer les hydrocarbures qui se sont fixés sur les rives et sur la végétation le long du canal et autour de son point de confluence avec le Danube (à faire avant la prochaine crue du Danube);
· Etablir une cartographie détaillée de l’EDC et déterminer la distribution du mercure dans le canal ;
· Utiliser une drague aspirante pour retirer du fond les sédiments contaminés à l’EDC (sur la base de la distribution cartographique de l’EDC) ;
· Assurer l’évacuation des sédiments contaminés.

b) Eliminer et entreposer en lieu sûr le mercure métallique se trouvant sur le sol de l’usine pétrochimique ; récupérer par aspiration la plus grande partie possible du mercure déversé en utilisant des liants chimiques pour faciliter l’élimination des quantités résiduelles.

c) Mettre en œuvre des mesures correctives pour assainir les eaux souterraines fortement contaminées aux solvants chlorés.

d) Vidanger les canaux d’évacuation de la raffinerie de pétrole afin de prévenir un nouveau risque de contamination du Danube aux hydrocarbures et aux produits pétroliers.

6. Kragujevac: Des mesures devraient être prises à l’usine automobile de Zastava en vue d’améliorer les conditions de stockage des grandes quantités de déchets dangereux engendrées par les activités de l’usine et par les frappes aériennes. Il convient de prendre des mesures immédiates pour nettoyer la contamination aux PCB et à la dioxine. Les recommandations spécifiques visent à :

a) Informer les directeurs du site sur les zones contaminées et sur les risques associés, notamment en ce qui concerne la sécurité des travailleurs menant des opérations de nettoyage ;

b) Retirer avec le plus grand soin le sol en béton de l’atelier de peinture par extraction d’une couche d’au moins 5 cm ;

c) Placer les dépôts à teneur en PCB et en toxines ainsi que le béton cassé dans un entrepôt sûr et sec. Le mieux serait de transporter le matériau dans une installation de traitement des déchets dangereux ;
d) Vider les citernes d’eau avant d’entreprendre les grandes opérations de nettoyage et de reconstruire l’atelier de peinture. Effectuer une étude plus détaillée pour recueillir un complément d’informations sur les polluants se trouvant dans les différentes citernes. Ne pas décharger l’eau des citernes dans le réseau fluvial ni dans le réseau d’évacuation des eaux usées. Prendre des mesures d’urgence pour empêcher que les eaux de pluie ne viennent accroître le volume des citernes ou ne les fassent déborder;
e) Utiliser les techniques disponibles pour traiter l’eau polluée des citernes, notamment en procédant à un certain type de filtrage et en utilisant des matériaux absorbants (par exemple, le carbone actif ou une couche de tourbe).

7. Novi Sad: Il conviendrait de réaliser des études détaillées pour déterminer si la pollution par les hydrocarbures et les produits pétroliers a contaminé les eaux souterraines. Les recommandations spécifiques visent à :

a) poursuivre les investigations dans l’enceinte de la raffinerie. Il convient de retirer et d’évacuer, sous contrôle, le sol contaminé à l’huile lourde en utilisant, chaque fois que possible, des techniques de récupération. Les sols et les eaux souterraines contaminés par des produits pétroliers plus légers et plus volatils devraient être traités par des méthodes in situ ;

b) percer un puits d’observation pour vérifier si de l’essence en phase libre flotte à la surface de l’eau souterraine. Il faudrait éliminer toute essence flottant à la surface par des méthodes in situ et appliquer aux eaux souterraines contaminées un traitement in situ ;

c) continuer à faire des prélèvements dans le puits qui a été fermé (procéder périodiquement à des tests sur le puits et à un échantillonnage de la qualité de l’eau) de manière à retirer aussi les substances contaminées (hydrocarbures, etc…) et à réduire ainsi le risque de contamination des puits voisins (barrière hydrologique) ;

e) Effectuer des essais appropriés pour évaluer les dangers que l’emplacement de puits à proximité de la raffinerie de pétrole fait peser sur l’alimentation en eau potable de Novi Sad.

8. Bor: il convient de prendre sans délai des mesures pour empêcher de nouvelles émissions importantes de gaz de dioxyde de soufre dans l’atmosphère ; les transformateurs et condensateurs endommagés qui contenaient des huiles à teneur en PCB devraient être retirés et placés en lieu sûr. Les recommandations spécifiques visent à :

a) reprendre la production d’acide sulfurique de manière à fixer le dioxyde de soufre actuellement dans l’atmosphère;

b) traiter comme des déchets dangereux les condensateurs et transformateurs présentant des fuites ainsi que les sols contaminés, et prendre des dispositions en conséquence.

2. Impacts écologiques sur le Danube

Les résultats des analyses de laboratoire des échantillons prélevés dans les sédiments et les biotes du Danube ont révélé une pollution chronique, tant en amont qu’en aval des sites directement touchés par le conflit. Il est donc vivement recommandé ce qui suit :

9. Il conviendrait d’assurer un contrôle de suivi en étendant l’échantillonnage au point de confluence avec les principaux affluents, à savoir la Drava, la Sava, la Tisa et la Morava, ainsi qu’aux cours en amont (hongrois) et en aval (roumain et bulgare) du Danube.

10. Il conviendrait d’élaborer et de mettre en œuvre un programme approprié de surveillance qui soit fondé sur les programmes existants tout en étant pleinement compatible avec le Réseau transnational de surveillance de l’ICPDR pour le bassin fluvial du Danube.

11. Il faudrait faire de gros efforts à long terme pour réduire la pollution aiguë de source très localisée et la pollution chronique d’effluents industriels et urbains en investissant dans des procédés de production appropriés et des procédés efficaces de gestion des déchets.

3. Uranium appauvri

Action immédiate

12. Il faudrait obtenir de l’OTAN des informations précisant si, comment et où de l’uranium appauvri a été utilisé pendant le conflit. C’est un préalable pour vérifier les évaluations préliminaires des risques, effectuer les mesures nécessaires et prendre des dispositions à titre préventif.

13. Il conviendrait d’organiser au plus vite des opérations de prise de mesures pour déterminer les risques de contamination et vérifier les hypothèses. La priorité la plus élevée devrait être accordée à la recherche de fragments d’uranium appauvri et à la détection des surfaces fortement contaminées et des autres « points chauds ». Il conviendrait de prendre des mesures pour assurer le stockage hermétique de tout matériau contaminé qui serait récupéré.
14. Il conviendrait de procéder, sous l’égide de l’Organisation Mondiale de la Santé, à un examen approfondi des effets sur la santé de l’exposition de moyenne et de longue durée à l’uranium appauvri.

15. Dans les lieux où la contamination a été confirmée, il conviendrait de prendre des mesures pour en empêcher l’accès. Les autorités locales et la population concernée devraient être informées des risques possibles et des mesures préventives appropriées.

Surveillance
16. Des programmes d’examens médicaux devraient être mis en place dans les zones où l’utilisation d’uranium appauvri est confirmée.

4. Biodiversité

Action immédiate

17. Il faudrait enlever les matériaux explosifs non explosés qui subsistent dans les zones protégées (essentiellement des bombes à sous-munition) et mettre en œuvre des mesures pour lancer des avertissements et restreindre l’accès à certaines zones.

18. Il serait urgent de reconstruire les infrastructures de conservation de la nature et le système de gestion correspondant au Kosovo ; il conviendrait, dans un premier temps, de recueillir toutes les informations pertinentes sur la biodiversité dans la province.

Gestion et surveillance

19. Il conviendrait d’élaborer et de mettre en œuvre des plans de gestion pour chaque site endommagé. Le processus de planification devrait prendre en compte les risques écologiques liés aux activités de reconstruction. Il faudrait évaluer les menaces que le tourisme, l’évolution des pratiques traditionnelles, d’aménagement du territoire et d’autres activités économiques légales et illégales font peser sur les parcs nationaux.

20. Il serait judicieux d’accorder la priorité à l’aménagement du projet de parc national Prokletije en raison de sa biodiversité exceptionnelle et du rôle important qu’il pourrait jouer en tant que « parc de paix » transfrontière (Kosovo-Monténégro-Albanie). Les préparatifs et les études sur les secteurs du Kosovo et du Monténégro étaient déjà bien avancés avant le conflit.

21. Il conviendrait d’assurer la surveillance à long terme des impacts du conflit sur les zones protégées, y compris les effets des activités de reconstruction.

5. Mesures prioritaires en matière d’établissements humains au Kosovo

22. Il faudrait élaborer des stratégies à moyen terme de réhabilitation des logements en étroite consultation avec les parties prenantes locales. Etant donné les conditions propres au Kosovo, il conviendrait que ces stratégies permettent le rétablissement des capacités locales dans l’industrie de la construction, dans la production des matériaux de construction et dans le fonctionnement des systèmes financiers.

23. Il faudrait évaluer les ressources disponibles au Kosovo, y compris les revenus provenant des envois de fonds et des échanges commerciaux, susceptibles d’être affectées aux activités de remise en état. De telles évaluations sont un préalable indispensable à la mise en place d’une stratégie crédible de réhabilitation, tant pour assurer une utilisation maximale des capacités locales que pour axer ces programmes sur les secteurs les plus nécessiteux de la population.
24. Dans le cadre des activités permanentes d’appui à la MINUK déployées par l’ESB/CNUEH (Habitat), il conviendrait d’élaborer des programmes de soutien technique à moyen terme dans les domaines suivants :

· Elaboration de directives et de procédures pour l’administration municipale ;
· Régulation des droits au logement et à la propriété et création d’un mécanisme indépendant pour traiter de ces questions ;
· Mise en place d’un système d’information sur le cadastre et mise à jour des registres et des actes de propriété.

6. Renforcement institutionnel à long terme

25. Il conviendrait de doter de moyens plus importants l’administration de l’environnement de la RFY, de la République de Serbie, de la République du Monténégro et de la province du Kosovo, ainsi qu’à l’échelon municipal, en mettant en place des cadres économiques sains et en assurant des activités de formation ciblées.

26. Il faudrait revoir et renforcer le système de surveillance de l’environnement en RFY, aux échelons fédéraux et locaux, en mettant l’accent sur l’eau, l’air, la biodiversité et la santé et en accordant une attention particulière aux points écologiquement chauds. Il conviendrait de renforcer le réseau d’information sur l’environnement en établissant un système compatible sur le plan international (par exemple, AEE, PNUE, conventions internationales sur l’environnement).

27. Il y aurait lieu de reconnaître les avantages potentiels de la participation et de la pleine intégration de la RFY, lorsque les circonstances politiques le permettront, aux travaux des organisations internationales et aux processus écologiques régionaux (« Un environnement pour l’Europe », Convention du Danube, etc…).

28. Le secteur privé (commerce, industrie) devrait être plus étroitement associé à la planification en matière d’environnement et il faudrait prendre en compte des considérations écologiques lors de la reconstruction et de la reprise des activités industrielles.

29. Il conviendrait de renforcer le secteur non gouvernemental ; par exemple, en sensibilisant l’opinion publique aux questions d’environnement, en facilitant l’accès à l’information sur l’environnement et en favorisant une plus large participation à la prise de décisions en matière d’environnement sur le plan local, national et international. La société civile s’en trouverait renforcée et toute la région gagnerait en stabilité.

30. La Mission des Nations Unies au Kosovo (MINUK) devrait créer des moyens d’actions dans le domaine de l’environnement et intégrer des considérations d’ordre écologique aux autres composantes de ses activités.