Les avantages et les inconvénients de l’élection directe de l’exécutif local sur la base des principes de la Charte européenne de l’autonomie locale - CPL (11) 2 Partie II

Rapporteurs:

Dr Ian MICALLEF, Malte,
Chambre des pouvoirs locaux
Groupe politique : PPE/DC
et
Dr Guido RHODIO, Italie,
Chambre des pouvoirs locaux
Groupe politique : PPE/DC

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EXPOSE DES MOTIFS

OBSERVATIONS PRELIMINAIRES

1. Comme il était dit dans le communiqué du Professeur Alain Delcamp du 5 juillet 2002 (CPLRE/vl), à la suite de la réunion du Congrès le 11 mars 2002, à Strasbourg, il a été convenu – entres autres décisions – d’élaborer des « rapports de seconde génération », en vue d’une analyse approfondie de certaines questions très précises liées à la Charte.

2. Ces propositions ont été approuvées par la Commission institutionnelle de la Chambre des Pouvoirs locaux lors de sa réunion du 15 avril 2002, et quatre thèmes ont été définis pour les futurs rapports. Le thème « Avantages et inconvénients de l’élection directe des exécutifs locaux » a été retenu par la Commission avec les autres sujets le 11 mars 2002 (CG/INST (8) PV 5).

3. Il convient de faire observer qu’un autre rapport en cours de préparation par la Commission avec assistance du Groupe d’experts indépendants sur la Charte porte sur la participation des citoyens aux élections et aux affaires locales et sera certainement complémentaire à ce rapport.

4. Le thème des « élections directes » (ou d’autres modes d’élection, à ce niveau) n’a que rarement été traité dans le cadre d’autres travaux ou résolutions ; lorsqu’il l’a été, c’était essentiellement dans le contexte des relations entre les citoyens, les assemblées et les exécutifs de la démocratie locale, et, généralement, par rapport à l’application de l’article 3.2 de la Charte. A cet égard, on pourra se référer notamment à la résolution 139 (2002) ; mais on dispose également, sur ce thème, d’un rapport plus élaboré de M. Anders Knape), présenté à la 9e session du Congrès, en juin 2002 (CPL (9) 2, Deuxième Partie), et qui s’inspire des travaux spécialisés d’autres experts, tels que les Professeurs Philippe De Bruycker , Alain Delcamp et Eivind Smith, ou encore le Dr Gerhard Engel.

5. Cependant, il semble qu’il n’y ait pas eu, à ce jour (1), d’effort concerté en vue d’aborder de manière frontale et systématique le thème des avantages et des inconvénients de l’élection directe des exécutifs locaux, ou (2) de tentative de bilan critique – sur la base d’avis compétents, fondés sur des expériences concrètes – du fonctionnement actuel et/ou de l’évolution de ces processus de choix ou d’élection dans les Etats membres (parmi lesquels, à ce jour, 40 ont signé la Charte et 37 l’ont ratifiée). Ce déficit est apparu de manière très claire lors du débat qui a eu lieu sur le projet de questionnaire, et qui avait été intitulé « Le Maire de qui ?… », au cours d’une réunion du Groupe, le 14 février 2003, à Aix-en-Provence, sous la direction du Professeur Delcamp.

6. Par conséquent, le présent rapport tient compte des réponses et suggestions issues du questionnaire, surtout en ce qui concerne deux aspects fondamentaux liés à l’article 3.2 de la Charte : premièrement, quelle est la situation exacte dans les Etats membres, aujourd’hui ?  Deuxièmement, quelles sont les tendances ou les directions actuelles en cas d’évolution de ces situations ?

7. Sur la base des données fournies par les personnes ou organismes ayant répondu au questionnaire concerné, et après une nouvelle consultation du Groupe d’Experts indépendants, il était possible de formuler quelques observations générales sur les situations existantes, en établissant éventuellement quelques catégories générales, puis de proposer d’éventuels recommandations ou avis à partir de ces réflexions, en vue de conseiller le Congrès et le Comité des Ministres.

8. Dans le cadre d’une telle étude, on doit également prendre en considération des problèmes de définition et de paramètres différents, et assortir l’analyse de quelques avertissements, à la fois conceptuels et axés sur des situations concrètes, du fait de particularismes locaux incontournables (liés à des pratiques ou des principes historiques, sociaux, politiques et constitutionnels). L’un de ces problèmes de définition concerne la notion même d’« exécutif » - c’est-à-dire la composition de l’exécutif local en question, son choix ou son élection, et ses pouvoirs (autant d’éléments qui peuvent considérablement varier d’un pays à l’autre, dans une gamme allant du « minimal » - c’est le cas de la Norvège, notamment – au « maximal » (cas du Portugal). La fonction de « maire » elle-même peut être très différente dans chaque Etat membre : dans quelques pays, par exemple, il existe plusieurs types de « maires » (c’est le cas en Bulgarie et en Ukraine) ; certaines capitales ont, à cet égard, un statut particulier (c’est le cas de Vienne et de Tirana) ; ou encore, on peut observer, dans certains cas, des systèmes locaux ou régionaux différents – en fonction de divers critères (notamment démographiques et géographiques) : c’est le cas de l’Espagne et de la République tchèque. Ces différences peuvent être observées soit à l’intérieur d’un même pays ou système, soit par comparaison avec d’autres pays – ce qui rend difficile toute corrélation systématique et générale entre les différents modes de désignation des maires et des exécutifs locaux. Certains peuvent même se demander si le principe d’élections directes au niveau local est tout à fait compatible avec la Charte (sous sa forme actuelle) – même si, après réflexion, et d’une manière générale, on a pu répondre par l’affirmative à cette question, à condition qu’il existe, dans les différents pays concernés, suffisamment de mécanismes de contrôle et d’équilibre entre les exécutifs, d’une part, et les instances délibératives, d’autre part. Dans l’ensemble, et de manière idéale, tous les systèmes visent à intégrer ce type de mécanismes d’équilibre – l’assemblée représentative contrôlant, à la base, la plupart des décisions majeures, et notamment les choix budgétaires ; mais chaque système peut accorder un poids différent à ces mécanismes, et faire pencher la balance dans tel ou tel sens, et certains systèmes peuvent être franchement déficients ou caractérisés par des dysfonctionnements, dans ce domaine.

9. Ces difficultés peuvent être liées non seulement à des structures peu satisfaisantes, mais aussi à des facteurs sociologiques et psychologiques eux-mêmes liés à la culture politique ou à la situation particulières, à un moment donné, de tel ou tel pays. Ainsi, dans différents pays ayant subi de longues périodes de dictature et ayant opté en principe (ou souhaitant opter) pour un système d’élections directes, le système en question a nécessairement, dans la pratique, un caractère transitoire, ou peut même être irréalisable à court terme. D’autre part, dans certains pays, le rôle administratif de l’exécutif local peut être défini plus clairement que son rôle politique (c’est le cas de l’Italie) - ce type de délimitation des pouvoirs pouvant constituer, d’ailleurs, un modèle à suivre ; en revanche, dans d’autres pays, il peut régner une sorte de « loi du plus fort » ou de « grand patron, au sommet de la hiérarchie », qui peut également s’accompagner d’une forme de corruption institutionnalisée.

10. Certes, il est évident que nous ne rendons pas compte, ici, de situations figées ou uniformes ; bien au contraire, l’un des objectifs du présent rapport est de montrer précisément que les réalités n’ont rien de tel, et dans quelle mesure les situations réelles n’ont rien de « statique ». Ainsi, lors de la réunion des Experts, le 22 septembre 2003, à Strasbourg, deux pays – la Lituanie et la Roumanie – ont fait état de tensions, actuellement, dans ce domaine : en ce qui concerne la Lituanie, il s’agit de conflits au niveau législatif - un dirigeant désigné par les autorités ayant des pouvoirs plus importants que ceux du maire élu ; et, en Roumanie, le problème se pose également au niveau des maires, mais il s’agit plutôt de blocages des décisions de l’exécutif par les assemblées locales, et ce n’est pas un tribunal ou un organe d’arbitrage qui tranche finalement, mais un préfet ou un fonctionnaire nommé par le gouvernement.

11. Il existe un pouvoir de décision collectif qui, même s’il est imparfait, est en tout cas très précisément défini par l’article 3.2 de la Charte, qui stipule que l’autonomie locale « est exercée par des conseils ou assemblées composés de membres élus au suffrage libre, secret, égalitaire, direct et universel ». Ces conseils ou assemblées « peuvent disposer d’organes exécutifs responsables devant eux ». En outre, toute autre forme de « participation directe du citoyen » qui n’est pas interdite par la loi – notamment les assemblées de citoyens et le référendum – n’est nullement exclue.

12. En conclusion des observations préliminaires du rapport explicatif susmentionné (CPL (9) 2/II ; parag. 30, f.7), le rapporteur, M. Knape, considère que le meilleur moyen d’interpréter l’article 3.2 de la Charte est de le faire en liaison avec la Résolution statutaire 2000 (1) du Congrès et l’article 263 du Traité des Communautés européennes. Une résolution plus récente est encore plus pertinente à cet égard : il s’agit de la Résolution No 139 (2002) de la 9e session du CPLRE (4-6 juin 2002), relative aux relations entre les citoyens, l’assemblée et l’exécutif locaux. Etant donné le caractère quelque peu imprécis d’une partie de l’article 3.2 de la Charte, le présent rapport pourra utilement et plus largement avoir recours à des passages appropriés des textes en question – lesquels pourraient y être annexés. D’une manière très générale, la norme acceptée de tous est l’idée que les pouvoirs locaux sont des institutions politiques dotées de fonctions administratives ; cependant, les modalités de la mise en œuvre effective de ce système de représentation démocratique et la nature des personnes ou organes devant exercer les fonctions en question peuvent être très différentes.

13. La présente étude ne peut ignorer un certain nombre de contradictions du système, et il convient donc de les évoquer avant toute chose. Ainsi, puisqu’on affirme que la démocratie locale est plus attrayante pour le citoyen, comment se fait-il que la participation aux élections locales accuse généralement une baisse (de 40% ou davantage dans 13 Etats membres, et de 50% ou davantage dans 6 autres Etats membres, d’après les dernières statistiques disponibles) ? De la même manière, on peut se demander pour quelle raison la participation aux élections législatives nationales est plus forte – souvent beaucoup plus élevée – qu’aux scrutins locaux. En outre, si, comme le dit l’article 3.2 de la Charte, les assemblées ou conseils locaux « peuvent disposer d’organes exécutifs responsables devant eux », se peut-il également qu’ils n’en disposent pas ? Dès lors, qui dirigerait le conseil ou l’assemblée en question, et avec quelle légitimité ou quelle autorité ? Est-ce qu’en l’occurrence, les conseillers élus prendraient seuls les décisions ? En d’autres termes, quel type d’entité – au sens où nous l’entendons aujourd’hui – peut être un « organe exécutif » responsable devant le conseil ou l’assemblée locale, ou qui fasse partie intégrante de ce conseil ou de cette assemblée ? Existe-t-il, à cet égard, des modèles identifiables, en dehors des deux grandes catégories institutionnelles (c’est-à-dire le « parlementaire » et le « présidentiel ») ? Est-ce que la tendance actuelle dans le sens d’élections plus directes des exécutifs locaux (c’est-à-dire, en général, les maires et/ou « leurs listes ») permet de faire remonter le taux de participation électorale, ou même, dans l’absolu, cette tendance peut-elle avoir ce type d’effet ? Si un maire est directement élu par les citoyens, quelles doivent être ses relations avec les autres élus de l’exécutif en question – y compris l’opposition ? Et, dans le cas contraire (c’est-à-dire une élection de type non direct), quelle influence, quelle légitimité et quelle autorité le maire en question peut-il véritablement avoir ? Si, en ce qui concerne la nature du mandat de maire, on ne retient aucun critère pouvant traduire une véritable représentation populaire, et que, dans un système d’élections indirectes, les préférences personnelles des électeurs sont considérées comme un critère non déterminant, quelle sorte de pouvoir peut être celui de l’élu ? Si les partis politiques en sont d’accord, pourrait-on étudier les moyens de « peser » les avantages d’une élection directe par rapport aux inconvénients d’une élection d’assise plus restreinte, et inversement ?

14. Au total, 35 experts de 33 Etats membres ont répondu à notre questionnaire sur les élections directes. Une liste complète de ceux qui ont répondu figure à l’annexe 1 du rapport.

15. Par conséquent, le présent rapport est essentiellement une synthèse plus ou moins globale des réponses au questionnaire (composé de 13 questions), élaboré sur la base de précédentes tentatives d’actualisation de la lecture de l’article 3 de la Charte, intitulé « Concept de l’autonomie locale » (et plus particulièrement de la dernière phrase du paragraphe 2 de cet article). En bref, les pouvoirs locaux librement élus ont le droit de « régler et de gérer une part importante des affaires publiques», de manière responsable et afin de répondre aux besoins des populations locales, et, éventuellement, par l’intermédiaire d’organes exécutifs responsables devant eux ; toutefois, ce droit et cette capacité des pouvoirs locaux « ne portent pas préjudice au recours aux assemblées de citoyens, au référendum ou à toute autre forme de participation directe des citoyens là où elle est permise par la loi ». Or, cette disposition a été formulée au milieu des années 1980, soit environ une décennie avant la fin de la « guerre froide » et la réunification très rapide d’une Europe largement démocratisée.

16. En abordant ce thème particulièrement délicat, nous devons être conscients de la nouveauté de ce débat – lequel ne fait certainement que commencer. Dans une note de bas de page de l’une des conclusions d’un rapport analytique très instructif et très pertinent sur le thème du cadre institutionnel de la démocratie locale (rapport datant de juin 2002 et essentiellement axé sur les questions juridiques et constitutionnelles), le Professeur Philippe De Bruycker qualifie la question des élections directes (et celle de l’équilibre des pouvoirs et des responsabilités) de « problématique nouvelle ». Le Professeur De Bruycker considère même qu’il serait très utile d’organiser une conférence européenne, dans le cadre de laquelle des élus et des experts de divers pays ayant récemment adopté le système des élections directes pourraient décrire leur expérience, avec un accent particulier sur les conséquences, tant en droit qu’en fait, de ce type de réforme, ainsi que sur les avantages et inconvénients de ce nouveau système par rapport à celui, plus traditionnel, de désignation de l’exécutif par l’assemblée locale [CPL (9) 2, II, note de bas de page 16, pp. 33-34).

17. Peut-être le présent rapport – et tout autre document complémentaire – pourrait-il contribuer, en temps opportun, à l’élaboration d’un programme dans le sens d’une « confrontation » et d’un débat à grande échelle entre des acteurs municipaux et des experts éminemment compétents, avec un accent tout particulier sur les Etats membres du Conseil de l’Europe qui s’orientent clairement vers un système d’élections directes – ou qui en ont déjà fait l’expérience – et s’éloignent, par conséquent, des modes d’élection plus traditionnels.

18. Un tel processus ferait certainement progresser l’esprit positif de la résolution 139 de 2002, présentée par M. Anders Knape (Suède – Rapporteur), et approuvée par la Chambre des Pouvoirs locaux, avant d’être finalement adoptée par la Commission permanente du CPLRE, les 5 et 6 juin 2002. En conformité avec deux autres recommandations – au moins (dont la Recommandation 2001/19 du Comité des Ministres) -, cette résolution souligne la nécessité de renforcer le lien entre les pouvoirs locaux, les élus et les citoyens, en vue de réduire l’abstentionnisme, par une transparence et une efficacité accrues. En particulier, l’article 5 – paragraphes (c), (d) et (e) – de la résolution 139 fait observer que l’élection directe des maires par la population est de plus en plus pratiquée dans les Etats membres du Conseil de l’Europe en vue du choix d’un exécutif local ; ce même article se félicite de cette évolution, actuellement observable dans les Etats membres sur le plan législatif et dans les faits : cette tendance indique (comme nous venons de le mentionner) que l’élection des exécutifs locaux est de plus en plus courante et est actuellement considérée comme « la procédure la plus appropriée ». Cependant, il est évident que de cette position a été quelque peu nuancée, du fait de l’obligation de responsabilité des exécutifs – qu’ils soient élus ou nommés – et de la nécessité de préserver le principe de contrôle par les assemblées représentatives (notamment en matière budgétaire et fiscale).

19. C’est, en tout cas, à la suite de ces travaux que les auteurs de la résolution présentée à la Commission institutionnelle de la Chambre des Pouvoirs locaux suggéraient à celle-ci – avec le concours du Groupe d’experts indépendants sur la Charte – l’étude d’un ensemble de questions connexes, dont la première est précisément l’objet du présent rapport : « Avantages et inconvénients de l’élection directe des exécutifs locaux » [CPL (9) 2, f.3].

1. LA SITUATION REGLEMENTAIRE DOMINANTE DANS LES ETATS MEMBRES EN MATIERE DE CHOIX DES MAIRES ET/OU DES EXECUTIFS LOCAUX

20. Sur la base des réponses reçues, les pays ayant adopté ou devant adopter prochainement le système de l’élection directe des maires et/ou des exécutifs locaux sont les suivants :

21. Dans douze pays, un système électoral plus ou moins direct est déjà en vigueur (en principe à l’échelle nationale), et ce sont également les citoyens qui élisent directement les maires et/ou les exécutifs locaux. Ces 12 pays sont l’Albanie, la Bulgarie, Chypre, la Grèce, la Hongrie, l’Italie, la Macédoine, le Portugal, la Roumanie, la Slovénie, la Turquie et l’Ukraine.

22. Il faut noter toutefois que, d’après les données les plus récentes, on compte au moins 5 autres pays qui pratiquent ce que l’on pourrait appeler un système « mixte » - c’est-à-dire l’élection directe dans certaines régions ou certaines conditions, et un système indirect dans d’autres cas (en fonction des choix ou de la taille des collectivités concernées). Selon ce concept assez large, les 5 pays en question sont l’Autriche, l’Allemagne, la Norvège, la Russie et le Royaume-Uni (et il faut y ajouter au moins trois autres pays qui ont un système encore différent, à savoir une élection de type plus « direct » exclusivement dans le cas du choix des « chefs » ou dirigeants de villages et de hameaux ayant une population comprise entre une centaine d’habitants et 3000 personnes au plus).

23. En outre, un certain nombre d’autres pays marquent de plus en plus clairement leur préférence pour un système d’élections directes. Ainsi, en Belgique, la Flandre semble s’orienter très nettement vers ce type de système ; c’est également le cas de la Finlande, où les élections indirectes vont être prochainement remplacées par le système électoral direct ; les Pays-Bas vont également dans la même direction.

24. Si ces données sont exactes, le nombre total de pays pratiquant les élections directes ou envisageant très sérieusement d’adopter ce système (totalement ou en partie) sera porté à 20 Etats membres.

25. Il faut également mentionner le système de la « tête de liste », en France, qui fait que, même si l’élection des maires reste indirecte, la pratique de fait est que le candidat qui conduit la liste de tel ou tel parti ou toute autre liste citoyenne a quasiment l’assurance d’être choisi par l’assemblée en tant que maire. Au Danemark également, le candidat ayant recueilli le plus de voix est souvent élu au poste de maire – même si le système reste celui du suffrage indirect. On a pu également noter que, dans d’autres pays encore, le système indirect peut être en fait inversé par un soutien majoritaire au candidat ayant obtenu le plus de voix ; cependant, rien ne garantit cette pratique : en effet, en fonction – dans une certaine mesure – du contexte politique et culturel, des accords « de coulisse » ou « secrets » sont envisageables, dans le cadre d’un système d’élections indirectes, lorsque des personnalités politiques décident – ou sont incitées à le faire – de ne pas tenir compte du suffrage populaire et de désigner secrètement, mais en toute légalité, un maire issu d’un groupe ayant remporté moins de voix.

26. Dans quelques cas assez rares – par exemple, en Islande, en Estonie et en République tchèque -, de petites collectivités, dont la population ne dépasse pas quelques centaines ou quelques milliers d’habitants, et où tous les candidats sont connus auprès de la population locale, il arrive que l’on désigne à la majorité relative, voire par simple consensus, celui que l’on appelle le « chef » ou « l’aîné » du village, et qui est une sorte de « mini-maire ». En Espagne, le maire n’est directement élu selon la règle majoritaire que dans les communes de petite taille. Il faut noter par ailleurs que, dans tous ces pays, le système national est un système d’élections indirectes, dans le cadre duquel le dirigeant de l’exécutif est élu, nommé, voire simplement « recruté » par le conseil ou l’assemblée concernés. Par conséquent, en dépit des quelques singularités que nous venons d’évoquer, nous classons les quatre pays précités dans la catégorie des Etats membres du Conseil de l’Europe pratiquant un système d’élections indirectes.

27. Ainsi, cette catégorie (élections indirectes) compte à ce jour 16 pays – parmi ceux qui ont répondu au questionnaire. Il s’agit de la Belgique, de la Croatie, de la République tchèque, du Danemark, de l’Estonie, de la Finlande, de la France, de l’Islande, de l’Irlande, de la Lettonie, de la Lituanie, du Luxembourg, de Malte, des Pays-Bas, de l’Espagne et de la Suède. Nous y incluons l’Irlande, car, malgré un projet d’adoption – assez avancé - du système de l’élection directe, les partis politiques se sont montrés plutôt « frileux », et le projet a dû être abandonné.

28. Au total, cela indique une tendance soutenue dans le sens de l’adoption du système d’élection directe et, en ce qui concerne les pays où les élections indirectes se font avec un degré d’intervention dans la procédure du gouvernement central ou compte tenu d’une prérogative royale (c’est le cas des Pays-Bas), on note une tendance à un assouplissement progressif du système. En même temps, les choix théoriques et les pratiques de chaque pays ne sont peut-être pas si simples, et ne permettent pas forcément de classer les pays de manière catégorique dans l’un des deux groupes (c’est-à-dire le système des élections directes d’un côté, et celui des élections indirectes de l’autre) : en effet, le premier système (que l’on pourrait qualifier de type « présidentiel ») suppose la reconnaissance, par les citoyens, des qualités de « dirigeant » de tel ou tel candidat, tandis que le second système (que l’on pourrait qualifier plutôt de « parlementaire ») repose essentiellement sur un accord consensuel.

2. LE FONCTIONNEMENT CONCRET DES SYSTEMES EXISTANTS

A. LES SYSTEMES D’ELECTION DIRECTE

29. Le principe sur lequel chacun s’accorde est celui de pouvoirs locaux qui sont – et doivent être – des institutions politiques ayant des fonctions à la fois exécutives et administratives ; et, en ce qui concerne l’instance exécutive (ou, tout au moins, ses missions fondamentales), elle doit être responsable devant une assemblée élue. Mais en même temps, on peut observer que, dans la pratique, l’exécutif peut avoir un rôle prédominant et que cela peut être un élément plutôt positif s’il jouit véritablement d’une légitimité populaire du fait de son élection directe. Toutefois, le Rapport Knape a proposé – en accord avec la réflexion qui s’est faite à ce sujet dans certains Etats membres – l’adoption de certaines modalités permettant de faire évoluer ce système dans le sens parlementaire, tout en relevant l’assemblée de certaines de ses activités et en déléguant celles-ci à l’exécutif. Mais il faut noter aussi qu’au paragraphe 25 de son introduction, ce rapport distingue quatre modes principaux de désignation de l’exécutif local – ce qui signifie concrètement que le fonctionnement du système en vigueur est intrinsèquement lié au mode de désignation adopté au départ. Ainsi, selon le rapport, l’exécutif peut être (1) élu ou nommé par l’assemblée ; (2) directement élu par le peuple ; (3) nommé par des autorités nationales ou régionales, ou encore par une instance nationale indépendante ; enfin (4) c’est l’assemblée qui exerce directement le pouvoir exécutif.

30. Il convient de tenir compte de ces éléments en prenant connaissance du tableau général que nous proposons ci-après, au sujet des systèmes existants et de leur fonctionnement (analyse fondée sur les données et exposés de chaque pays ayant répondu à notre questionnaire).

31. L’exemple le plus évident d’un pays pratiquant totalement le système de l’élection directe – peut-être même à l’excès – est certainement le Portugal, où l’exécutif et l’assemblée sont, en effet, directement élus (à noter, toutefois, que l’assemblée n’a pas véritablement le pouvoir de contrôler ou de révoquer l’exécutif en question). Le maire étant, depuis 1999, autorisé à nommer lui-même ses associés (c’est-à-dire, selon la dénomination officielle, ses adjoints), cela fait de lui le premier magistrat municipal, au-delà de ce que prévoient les textes stricto sensu (à savoir que la mairie est avant tout « l’instance au service de la commune »). Par conséquent, bien qu’elle soit généralement acceptée, la situation portugaise est une situation de démocratie directe in extremis – du moins en regard des dispositions de la Charte. La situation est comparable en Italie, où, aux termes de la législation adoptée en 1993 et révisée en 1999, le maire, directement élu, nomme lui-même les membres de son « collège exécutif » (ou Giunta), qui jouent un rôle assez proche de celui des adjoints au maire au Portugal ; toutefois, en Italie – à la différence du Portugal -, l’assemblée peut révoquer le maire (cela entraînant simultanément la dissolution de l’assemblée et de nouvelles élections). En d’autres termes, il est tout de même peu probable qu’une assemblée locale italienne décide de révoquer un maire par pure fantaisie. Les missions exécutives et administratives sont, par rapport au cadre politique général, clairement définies afin de réduire les risques d’ambiguïté.

32. A Chypre, bien que, depuis 1985, le maire, directement élu, ait des missions et prérogatives spécifiques, il (ou elle) est membre du conseil municipal – mais également son président ; cependant, le conseil municipal est investi de différents droits (dont celui de nommer le personnel municipal, ou encore de délivrer l’ensemble des autorisations municipales), si bien qu’il n’est pas dans l’intérêt du maire de « scier la branche » sur laquelle il est installé – même s’il jouit, de toute manière, de la légitimité d’une élection directe par le peuple. En outre, tel qu’il existe à Chypre, le système multipartite contribue à ne pas donner au maire élu – au sein du conseil municipal - de majorité absolue liée à son parti ; par conséquent, cela favorise plutôt le compromis et le consensus. Ainsi, à Chypre, les relations maire/conseil municipal sont moins « paralysées » qu’au Portugal ou en Italie par les oppositions politiciennes (alimentées par les différents partis ou coalitions politiques, y compris au cours des joutes électorales précédant l’élection du maire et la formation du conseil municipal). Cependant, il y a , de toute évidence, une nuance à apporter dans le cas de Chypre, du fait que cette île reste divisée et que seule la partie administrée par les Chypriotes grecs est reconnue par la communauté internationale ; par conséquent, la situation que nous venons de décrire en ce qui concerne les élections locales ne s’applique probablement pas à l’ensemble de l’île – du moins, à ce jour.

33. En Grèce et en Turquie, le système en vigueur est celui des élections directes. En Grèce, cette pratique de l’élection directe de l’exécutif est assez ancienne puisqu’elle remonte à 1912 – date de création des « communes » (tandis que l’institution des « préfets provinciaux » ne date que de 1994). Bien que le maire soit directement élu, en tête du parti ou de la coalition qu’il (ou elle) représente, il (ou elle) n’est pas autorisé(e) à voter au sein de l’assemblée qu’il (ou elle) préside ; et, même si les décisions prises au sein de cette assemblée ou l’examen des sujets d’actualité sur lesquels les élus sont appelés à trancher ne peuvent aboutir à la révocation du maire, cela peut néanmoins remettre en question le premier magistrat de la commune concernée. En Grèce, toute contestation de l’élection d’un maire par une personnalité ou un groupe indépendants était déjà très difficile – ou cela, en tout cas, n’était certainement pas facilité ; mais, désormais, toute candidature indépendante est carrément interdite, ce qui limite l’exercice du mandat de maire à une alternance sans surprise des partis dominants.

34. En Turquie, la norme pour l’élection des maires est le scrutin direct – de même que pour le chef de l’administration d’un village (le mukhtar) ; cependant, des situations d’exception sont prévues, avec intervention du ministre de l’Intérieur ou d’un gouverneur provincial nommé par le gouvernement central. De plus, toujours dans des cas d’exception, un maire peut être nommé si le Conseil des Ministres juge cette mesure nécessaire ou appropriée ; or, en dehors de cas réels de force majeure, une telle situation ne peut être satisfaisante en regard de la Charte européenne de l’autonomie locale. En effet, qui, dans de tels cas, décide de ce qui est « nécessaire » ou « approprié », et quelles sont les circonstances qui commandent une telle mesure ? Par ailleurs, le cumul des mandats – qui permet à un maire élu d’être également député au Parlement national ou membre d’un ou de plusieurs conseils généraux ou municipaux – est interdit en Turquie, et c’est ce qui explique en partie que les scrutins locaux et les élections législatives nationales aient lieu en même temps. Même si, depuis 1946, divers partis ont pu contester le résultat de telle ou telle élection, le contrôle exercé par le conseil municipal sur l’action du maire et de son équipe semble extrêmement limité en Turquie ; en outre, il existe certaines dispositions qui permettent l’intervention du gouverneur provincial nommé par le gouvernement en tant qu’intermédiaire ou médiateur, voire en tant qu’acteur direct, en cas de désaccord très marqué, ou même, exceptionnellement, dans d’autres cas. En cas de vacance soudaine du poste de maire, le gouverneur réunit le conseil municipal, qui choisit une personnalité parmi ses membres, à la majorité simple ; ou encore, les instances responsables désignent une personnalité qui aura le titre de « maire en exercice » si le maire normalement élu a été suspendu par le ministre de l’Intérieur pour motifs judiciaires ou autres. Par conséquent, la position du maire turc semble, globalement, plus forte que celle de son homologue grec ; toutefois, elle peut aussi être soumise à une intervention directe du pouvoir central en cas de problème ou de désaccord particulièrement graves.

35. En Slovénie et en Hongrie, on considère que le système d’élection directe du maire (instauré respectivement en 1993 et 1994 dans ces deux pays) fonctionne plutôt bien – même s’il peut y avoir occasionnellement de légers différends (jamais insurmontables) entre le maire et le conseil ou l’assemblée lorsque les uns et les autres représentent des formations politiques opposées. Dans le cas de ces deux pays, les principales spécificités sont les suivantes : en Slovénie, plus d’un tiers des maires sont aussi députés et ont donc, de manière régulière, des responsabilités parlementaires au niveau national ; et, en Hongrie, il existe, dans la hiérarchie locale, un poste d’ « administrateur en chef » - lequel constitue, avec ses collaborateurs, l’équipe permanente de la ville : c’est un système idéal dans lequel ces personnes sont des fonctionnaires impartiaux (à l’exception, toutefois, de l’administrateur en chef, qui, dans sa position de « directeur de cabinet » du maire, est responsable à la fois devant le maire et devant l’assemblée – position peu enviable, puisque l’administrateur en question peut être révoqué par l’assemblée).

36. En Ukraine, aux termes des amendements de 1997 à la législation sur l’autonomie locale, les conseils locaux et les maires sont directement élus à la majorité relative. Si le maire a un droit de veto dans certains domaines, il n’en reste pas moins que les personnalités qu’il propose pour l’assister au sein de l’exécutif (et qui ne peuvent en aucun cas être également conseillers municipaux) doivent être approuvées par le conseil municipal. Et, en règle générale, le maire et son exécutif doivent appliquer la politique élaborée par le conseil municipal (y compris la politique budgétaire). Le système administratif de l’Ukraine est composé de « comtés » et de « conseils provinciaux », et prévoit un statut particulier pour des villes telles que Kiev et Sébastopol (composées de plusieurs « districts »). Cependant, on considère que le système fonctionne mieux au niveau municipal/communal – avec un réel équilibre des pouvoirs entre le conseil, l’exécutif et le maire, et un contrôle également efficace – qu’à celui des comtés et des provinces ; mais, en fait, la véritable faille du système ukrainien – qui affecte très sérieusement l’ensemble de l’édifice – est le problème des ressources et de la viabilité financières.

37. En Bulgarie, comme dans plusieurs autres pays, il y a trois types de maires – en fonction de la dimension (géographique et démographique) de la commune en question : les grandes villes comptent un maire et plusieurs maires d’arrondissements (ou districts), tandis que les petits villages sont gérés par un conseil. Depuis 1995, seuls les maires des communes importantes sont directement élus par les citoyens ; en ce qui concerne les arrondissements (pour lesquels l’élection directe avait été instaurée en 1991) et les petits villages, les maires sont désormais choisis par le conseil concerné, tandis que, pour les élections concernant le conseil de district, c’est le maire de la principale municipalité du secteur qui propose des candidats. Le maire d’une commune a plutôt un rôle de coordinateur, qui s’efforce de faciliter les choses : il (ou elle) réunit le conseil municipal mais ne le préside pas (c’est le conseil qui élit un président autre que le maire) ; le maire assiste aux réunions du conseil et peut interpeller les membres du conseil sur tout sujet autorisé, mais n’a pas le droit de vote dans cette instance. En d’autres termes, le maire est contraint de suivre les décisions et directives politiques du conseil, tout en ayant le droit de les contester s’il les juge contraires aux intérêts de la collectivité.

38. En Albanie et dans l’ « Ex-République yougoslave de Macédoine », les pouvoirs locaux sont élus au suffrage universel (les maires étant directement élus), et ce, depuis une décennie environ (depuis 1992 en Albanie et 1995 en Macédoine) ; c’est également le cas d’autres pays de l’ex-bloc communiste. Dans ces pays, on n’a pas toujours clairement défini la séparation des pouvoirs entre l’exécutif, d’une part, et l’assemblée, de l’autre : en général, on a eu une conception plutôt passive du mandat de maire – celui-ci étant considéré comme un « homme à tout faire » ou un simple « animateur » au service des besoins de la commune ; en d’autres termes, il n’y avait pas, traditionnellement, de très forte opposition ou de « résistance critique » à la conduite des affaires publiques par le maire – même si les partis politiques étaient présents et pouvaient en principe participer. Puis, dans l’« ex-République yougoslave de Macédoine », une loi, adoptée en 2002, a défini la répartition des pouvoirs entre les deux pôles – même si, de fait, le maire reste le pôle le plus important (certains ont même qualifié ce système de « bonapartiste »). D’autre part, en Albanie, la capitale – Tirana – a un statut particulier : elle comporte plusieurs « districts », où l’exécutif est directement élu par les citoyens. En Roumanie, le maire (autorité exécutive) est sur un pied d’égalité avec le conseil (autorité délibérative) – tous deux étant directement élus ; le maire propose des projets au conseil, mais applique également les décisions de ce dernier, conformément à la loi de 1991, qui a défini la répartition des compétences, avec des passerelles dans les deux sens. Mais, comme nous l’évoquions plus haut, ce système peut provoquer des « blocages » - ce qui exigerait, en principe, que l’on trouve des modalités de compromis adaptées et compatibles avec les dispositions de la Charte européenne de l’autonomie locale.

39. Dans les pays qui ont connu pendant longtemps des structures « pyramidales » et une mentalité politique fonctionnant également du sommet vers la base, mais qui se sont aussi, plus récemment, engagés dans un audacieux projet de démocratisation, l’évolution des institutions locales représentatives va dans le sens d’un véritable rôle politique – à des degrés divers. Il est probable que ces institutions vont progressivement devenir de vrais acteurs politiques, au fur et à mesure que leur statut et leur mode de fonctionnement sont affinés, qu’elles adoptent un comportement de plus en plus actif, que des solutions sont trouvées aux problèmes qui se posent sur le terrain, et qu’elles auront l’espoir de voir leurs « caisses » alimentées, afin de répondre aux besoins, aux pressions et aux défis qui se présenteront localement. Comme le dit le proverbe bien connu, « l’argent est le nerf de la guerre » !

40. Un autre groupe de cinq pays européens fait prudemment l’expérience de l’ouverture, en développant la démocratie directe aux niveaux local et régional – tout en n’allant pas encore jusqu’au bout du processus à l’échelle nationale, ou en empruntant très timidement encore cette voie du suffrage direct. Quelle est donc la nature de ces systèmes que l’on pourrait qualifier de « mixtes » ou d’« évolutifs » ? Et jusqu’à quel point fonctionnent-ils exactement, à l’heure actuelle ?

B. LES SYSTEMES « MIXTES »

41. Dans ce groupe de pays pratiquant un système « mixte », le plus ancien exemple d’élection des maires au suffrage direct est celui de l’Allemagne du Sud, puisque ce système fut adopté dès les années 1920 en Bavière et au Wurtemberg, et ré-institué après la Seconde Guerre mondiale. Depuis 1990, le système de l’élection directe s’est pratiquement généralisé en Allemagne ; mais le statut du maire peut prendre différentes formes : ainsi, le maire allemand peut être soit président du conseil local et chef de l’exécutif, soit exercer ses fonctions sans être membre du conseil, ou encore être le président exécutif du conseil dans le cadre d’un système « collégial », où d’autres « dirigeants » sont élus par le conseil (et non pas choisis par le maire). A quelques exceptions près – comme c’est également le cas en Autriche -, ce système a été également adopté par les länder, c’est-à-dire les Etats fédérés allemands (composant les différentes régions du pays). En Autriche, où les premières municipalités autonomes remontent également à 1920, on a opté, depuis un certain temps, soit pour l’élection directe des maires, soit pour le suffrage indirect ; mais ce système « mixte » est plus particulièrement en vigueur depuis 1994, date à laquelle les länder autrichiens ont adopté l’élection directe des maires. La capitale du pays, Vienne, a un statut quelque peu différent ; en tout cas, sur huit länder, six ont choisi le système de l’élection directe du maire (mais il y a aussi, dans ces régions, des assemblées locales qui peuvent à leur tour élire des équipes locales). De même qu’en Grèce, tous les candidats (en principe élus à la majorité simple) doivent avoir le soutien d’un parti politique ; mais – comme en Russie – les pouvoirs locaux autrichiens jouissent d’un certain degré de liberté pour déterminer le type de structures et de procédures à instaurer. Toutefois, au total, c’est au niveau de l’élection des maires que l’on note le plus de différences entre les divers länder autrichiens.

42. En Russie, 1995 a marqué le début de la pratique des élections directes : aux termes de chartes locales, le dirigeant de la municipalité doit être élu soit par les citoyens résidant sur le territoire russe, soit par le pouvoir local autonome. Ainsi, on peut noter des variantes selon les régions : le chef de la municipalité, directement élu, préside l’assemblée locale, mais peut ou non en être membre ; il dirige également l’administration locale ; ou encore, il peut, dans certains cas, présider l’assemblée municipale ; enfin – mais c’est un cas plus rare -, le directeur de l’administration locale peut être engagé sous contrat par le conseil. Cependant, à l’heure actuelle, la Russie évolue vers une plus grande uniformité des normes et des procédures, à l’échelle nationale.

43. En Norvège, le système de l’élection directe est autorisé depuis 1999 ; mais, à ce jour, 37 municipalités seulement (sur 450 au total) l’ont choisi ; de plus, en termes strictement fonctionnels, la position du maire n’est pas très différente – qu’il soit directement élu ou non -, du fait que, dans les deux cas, ses pouvoirs officiels sont limités par les normes collégiales traditionnelles. Enfin, au Royaume-Uni, conformément à la Loi relative aux Pouvoirs locaux adoptée en 2000, les collectivités locales ont pu se prononcer, par référendum, pour ou contre l’élection directe du maire (exception faite du cas de Londres, qui constitue une autorité régionale, et où, par conséquent, le maire est, de toute manière, directement élu). Sur les 29 référendums ayant eu lieu à ce sujet en 2002, 11 communes seulement (aucune n’étant une grande ville, en l’occurrence) se sont prononcées pour l’élection directe du maire.

44. Ce système, que l’on pourrait baptiser « à la carte », est jugé satisfaisant par certains des pays où il est en vigueur – à savoir l’Allemagne, l’Autriche et la Norvège. En Russie, on envisage de le modifier. Enfin, au Royaume-Uni, même si le système n’a pas suscité un enthousiasme très marqué, à ce jour, il est peut-être encore trop tôt pour faire des observations définitives.

45. Toutefois, on doit souligner que la section B n’entre pas dans l’analyse détaillée des pays où le système « mixte » consiste d’une part dans des élections plus ouvertes ou directes dans les petits villages ou hameaux (sur des bases démographiques/géographiques), et, d’autre part, dans des scrutins indirects dans les communes plus importantes (c’est le cas, notamment, en République tchèque, où l’élection directe concerne les collectivités de moins de 3000 habitants, ou encore dans d’autres pays – déjà cités).

C. EVOLUTION EN COURS VERS LE MODELE DE L’ELECTION DIRECTE

46. Dans trois autres Etats membres, on note un projet assez avancé d’adoption de l’élection directe. En Belgique, bien qu’on ait été officiellement très attaché au système des élections indirectes – les maires étant alors nommés par le ministre de l’Intérieur sur avis des conseillers locaux -, la nouvelle administration flamande est convenue, en 1999, de légiférer en vue d’instaurer le système d’élection directe des maires, même si le débat sur le sujet se poursuivait. En Finlande, on examine actuellement des amendements à la législation municipale – textes visant à autoriser l’élection directe des maires ; toutefois, il est prévu, en principe, d’expérimenter le nouveau système dans quelques municipalités seulement. Aux Pays-Bas également, à la suite du changement de gouvernement survenu en mai 2002, il a été prévu de réviser la Constitution et d’instaurer le système de l’élection directe des maires – initiative qui fait encore l’objet d’un débat, mais qui, d’ores et déjà, a le soutien des Chrétiens Démocrates, des Libéraux et des Libéraux-Démocrates.

47. Pour un tour d’horizon plus « graphique » des situations existantes, prière de se référer au tableau figurant en fin de rapport (Annexe 2).

3. AVANTAGES DE L’ELECTION DIRECTE

48. Globalement, d’après les réponses au questionnaire, les pays pratiquant l’élection directe des maires sont plutôt favorables à ce système – même s’ils émettent certaines réserves ou qu’ils proposent d’éventuelles améliorations.

49. Bon nombre des avantages indiqués au sujet de ce système sont assez semblables ici et là, même s’ils sont formulés différemment. Le premier de ces avantages est celui de la légitimité démocratique et morale du suffrage populaire direct – par rapport au choix d’un maire dans le secret, par des conseillers en comité restreint. Un autre avantage fréquemment cité est celui du « plus » apporté en termes de démocratie participative, et d’engagement des citoyens – ce qui se reflète, d’ailleurs, dans le taux de participation électorale. Le fait qu’il y ait un véritable dirigeant au niveau communal est considéré comme un atout pour la prestation de services, la réduction de la bureaucratie, et la responsabilité directe du maire devant ses électeurs, qui le tiennent effectivement pour responsable de ce qui se fait ou ne se fait pas dans leur commune – en un mot, de la gestion des affaires publiques. Il y a ainsi un lien direct entre l’élu et les habitants de sa commune – qu’il représente et qu’il doit servir, voire incarner ; et ce lien est beaucoup plus fort que si le maire en question était le simple représentant d’un parti politique : dans le système de l’élection directe, le choix des électeurs devient littéralement un choix personnel. En outre, cela peut être aussi un facteur de stabilité pour toute la durée du mandat. La séparation des pouvoirs est plus nette si l’administration locale n’est pas une sorte de « grand corps aveugle », jouant à la fois les rôles exécutif et délibératif ; autrement dit, il y a forcément davantage de transparence dans le cadre du système des élections directes. Tous ces mérites et avantages étant le plus souvent formulés « en bloc », il est évident que les auteurs des réponses de chaque pays en font un tout indissociable – comme le montre la sélection de commentaires ci-après (le pays que représente l’expert/commentateur étant indiqué à la fin, entre parenthèses) :

50. « Cela renforce la démocratie locale… cela encourage un engagement plus important… ce système permet une participation accrue à la vie politique locale et aux élections mêmes… c’est un projecteur sur la direction de la commune… une manière de comprendre l’importance accrue de la fonction gouvernementale des pouvoirs locaux… cela renforce les pouvoirs locaux au niveau interne… il y a ainsi une direction plus efficace et une cohésion accrue… un maire directement élu est un excellent symbole – et tout à fait visible – des aspirations et de l’identité des habitants de la commune en question… » (Albanie)

51. « c’est de cette manière qu’on élit des personnes de grand prestige et dignes de respect, ce qui contribuerait à la meilleure exécution de leurs fonctions… ils sont directement responsables devant ses électeurs… ils tacheront de résoudre les problèmes de la commune d’une façon plus efficace… » (Bulgarie)

52. « Le maire en tire une légitimité renforcée » (Hongrie)

53. « absence de dysfonctionnement politique : le maire, le président du conseil communal et le préfet sont élus directement par la population… cette légitimité démocratique du pouvoir est continuelle, parce que le citoyen électeur… procède a une continuelle formation et légitimation du pouvoir… la décentralisation accroît la dimension gestionnaire de l’exécutif… le citoyen se sent plus concerné dans la gestion des affaires locales quand c’est lui qui choisit la personne la plus proche a ses problèmes… l’assemblée délibérante peut poser des questions au maire et à la commission municipale sur la réalisation de son programme… » (Grèce)

54. « l’avantage plus clair est sûrement la stabilité des exécutifs. En principe le système assure que le Maire… reste en charge pour l’entière durée du mandat… Le système augmente aussi la légitimation directe et la responsabilité politique du Maire envers les citoyens. On vote plutôt pour le Maire que pour son parti politique… des mauvais résultats d’un Maire et de son équipe souvent produisent un changement de majorité à l’élection suivante… l’affirmation d’un bipolarisme politique plus accentué. Bipolarisme qui ne veut pas dire bipartisme… des coalitions de divers partis… » (Italie)

55. « la célérité de la procédure administrative et de la décision… » (Portugal)

56. « Cela renforce globalement la légitimité du système… c’est, pour le citoyen, une possibilité de voter à la fois pour le représentant d’un parti, et, malgré tout, pour un homme indépendant… il y a davantage de possibilités de contrôle et d’équilibre dans ce système de l’élection directe, du fait de la séparation très nette des pouvoirs législatif et exécutif… il y a là plus de transparence et d’efficacité…cela renforce le sentiment d’appartenance des citoyens à leur collectivité, grâce à une identification avec la personne du maire, considérée comme une sorte de pater familias… les choses sont beaucoup plus évidentes lorsqu’il y a deux instances dirigeantes indépendantes l’une de l’autre, et que l’on sait à laquelle des deux on doit reprocher tel ou tel échec… Un dirigeant unique peut être plus efficace, car, dans les situations de direction collective, on doit toujours harmoniser les points de vue des uns et des autres… » (« Ex-République yougoslave de Macédoine »)

57. «… une séparation des compétences entre les deux structures et le contrôle du maire par le conseil local. » (Roumanie)

58. « … il y a une légitimité accrue… ainsi qu’une intégration et une identification accrues des habitants et de leur commune… » (Slovénie)

59. « … ce système permet au maire de tirer directement sa légitimité de la volonté du peuple (ou, du moins, de la majorité des électeurs). Le maire peut agir de manière relativement indépendante par rapport aux pressions partisanes des membres du conseil municipal, puisque ceux-ci appartiennent par définition à des partis politiques différents… l’élection directe du maire est simple, facile à organiser et moins coûteuse. » (Turquie)

60. « il y a une « incarnation » du pouvoir : en effet, au cours de la campagne électorale, les habitants de la commune en question examinent très sérieusement les qualités de chaque candidat, et, par conséquent, leur vote est plutôt empreint de raison » (Ukraine).

61. Quant aux pays où il existe un double système d’élections locales – c’est-à-dire ayant fait l’expérience à la fois du suffrage direct et du système indirect -, les avantages de l’élection directe ont été résumés (de manière assez semblable) comme suit :

62. « l’élection directe – et notamment celle du maire – vise à contrer le désenchantement général des populations vis-à-vis de la politique, et le divorce entre les hommes politiques et les citoyens « ordinaires »… les maires ainsi élus sont beaucoup plus représentatifs de leur commune et ont eux-mêmes davantage d’assurance dans leurs fonctions… la volonté des électeurs n’est pas trahie par des accords entre les partis politiques… Dans toutes les communes pratiquant l’élection directe de leur maire, ce nouveau système est apprécié de manière très positive… » (Autriche).
63. « légitimation politique améliorée, degré de connaissance augmenté dans la population… possibilités pour personnages forts, position renforcée du maire a l’intérieur de l’administration communale et du conseil… la démocratie améliorée, la position du maire au-dessus des partis… » (Allemagne)

64. « le système a, en principe, une légitimité accrue du fait que l’on ajoute un élément « personnel » très fort (c’est-à-dire une forte personnalité, choisie parmi d’autres candidats au poste de maire, à la personnalité tout aussi marquée) à un schéma électoral traditionnellement dominé par les listes de partis… » (Norvège)

65. « ce mode d’élection est le meilleur moyen de légitimer la fonction de maire. Ainsi élu, le maire est à même de prendre des décisions de manière plus indépendante, et notamment de faire passer des mesures moins attendues… » (Russie).

66. « Les médias s’intéressent davantage à ce type d’élection directe… il y a, dans l’ensemble, une plus grande transparence, voire une responsabilité accrue de l’élu – « on ne peut plus cacher grand-chose… le maire peut tirer un certain prestige du fait qu’il répond de manière beaucoup plus immédiate, et, semble-t-il, de manière plus efficace, aux préoccupations locales… » (Royaume-Uni).

67. Quant aux pays ayant répondu au questionnaire et n’ayant connu, à ce jour, que des élections indirectes au niveau local, ils sont peut-être un peu plus sceptiques (le Danemark, par exemple, ne décèle aucun avantage particulier – dans les circonstances actuelles – dans le système de l’élection directe) ; la Suède, de son côté, est plutôt hésitante, car, disent les experts suédois, « les partis politiques continuent à dominer la scène démocratique, aussi bien au niveau local que national » ; il faut noter toutefois que certains experts déclarent – à titre personnel – qu’ils préfèreraient une élection directe et qu’à leur avis, la population de leur pays préfèrerait également ce modèle. Voici quelques-unes des observations de ces experts :

68. « L’élection directe permet un équilibre des pouvoirs entre le conseil local, les partis, les conseillers et le maire… ce système permet aux partis de donner l’image d’un maire à la fois très populaire et très compétent » (Belgique)

69. « les décisions sont plus rapides, moins partisanes, et les responsabilités sont moins dispersées… » (Estonie)

70. « cela permet une direction politique plus ferme et plus responsable, davantage de transparence dans la définition des programmes, et un engagement plus direct de la population locale » (Finlande).

71. « Probablement une désignation directe par l’électorat de l’exécutif local améliorerait l’autonomie de l’assemblée par rapport a l’exécutif et par conséquent aussi la réalité de son contrôle…  L’élection directe de l’exécutif auquel des pouvoirs propres seraient reconnus, équilibrés par une assemblée élue de manière distincte serait un moyen d’avoir plus de contrôle réciproque et donc plus de démocratie.» (France)

72. « … l’élection directe des exécutifs locaux serait un atout pour le développement de la démocratie locale et le fonctionnement de pouvoirs locaux autonomes, d’une manière générale… les élections directes seraient une sorte de « correctif » à la suprématie des partis, dans la mesure où elles permettent un lien direct entre le mandat de l’élu local et la volonté populaire, et, par conséquent, une responsabilité accrue des dirigeants locaux devant leurs électeurs. Cela est particulièrement important dans les petites communes, où la population connaît de près les candidats… les élections directes influeraient également, de manière considérable, sur la qualité des services rendus par les élus locaux. Il est très important de tenir compte de l’opinion publique dans ces domaines… » (Croatie).

73. « L’élection directe peut permettre l’alliance du contrôle démocratique et d’une gestion efficace et professionnelle » (Islande).

74. « Ce type d’élection permet en principe de rehausser la fonction de l’élu local et de renforcer sa position vis-à-vis de l’électorat. Dès lors, cela peut faire renaître un certain intérêt pour la vie politique locale et développer la participation dans ce domaine… Dans l’ensemble, les pouvoirs locaux sont plutôt caractérisés par une grande faiblesse, en Irlande, et c’est un gestionnaire qui est le principal acteur de la politique locale. Le système en vigueur actuellement (c’est-à-dire les élections indirectes) privilégie ce type de situation » (Irlande).
75. « L’élection directe est synonyme de « démocratie directe », et de participation accrue des citoyens ; elle renforce en principe le rôle de l’exécutif et permet d’accroître l’efficacité des pouvoirs locaux » (Lettonie).

76. « plus de démocratie » (Luxembourg)

77. « … ce système est plus démocratique. Il permet aux populations de s’identifier et de s’intéresser davantage à la politique locale… cela peut donc contribuer à réduire le taux d’abstention aux élections locales… » (Pays-Bas).

78. « une seule légitimité démocratique… le maire représente toujours la majorité de la population…un système clair de responsabilité politique, visible sur la personne du maire… les risques de confrontation politique pouvant menacer la gestion… est minimale… moins cher d’un système duel d’élections…la garantie de stabilité… » (Espagne)

79. Si les avantages de l’élection directe semblent assez évidents – tout au moins en théorie – à la plupart des pays ayant répondu au questionnaire, on ne peut ignorer pour autant ce qui leur apparaît aussi comme des inconvénients, les doutes, les réserves des uns et des autres, avec une tendance à opter pour le statu quo, ou pour des solutions de compromis – qui font plutôt pencher la balance vers le suffrage indirect.

4. LES INCONVENIENTS DE L’ELECTION DIRECTE

80. Les pays (tels que l’Islande et le Danemark) habitués au suffrage indirect au niveau local (y compris en ce qui concerne le maire) pourraient faire leur, dans ce domaine, la célèbre expression « On ne change pas une équipe qui gagne ». En d’autres termes, si les pouvoirs locaux semblent fonctionner de manière satisfaisante dans le cadre d’un système « collégial », avec certains paramètres et une tendance générale au compromis et au consensus, et – c’est l’élément majeur – dans le respect le plus absolu du point de vue de la population (tel qu’il est perçu), pourquoi s’amuserait-on à modifier le système ? Cependant, au même titre que la démocratie directe, le principe de collégialité peut apparaître comme excellent en théorie et être, en réalité, un moyen de dissimuler le marchandage politique d’hommes ambitieux et démagogues, qui ont soif de pouvoir et dont l’ambition passe avant l’intérêt général.

81. En ce qui concerne les inconvénients (perçus comme tels) des élections directes, la préoccupation la plus partagée est celle d’une éventuelle « cohabitation » - situation où le maire et l’assemblée locale représentent des partis politiques différents, et qui peut aboutir aux pires impasses. Une autre crainte est de voir le maire détenir un pouvoir excessif – ce que l’on pourrait appeler la « dérive présidentielle ». Cette crainte – soulignent certains pays ayant répondu au questionnaire – n’est pas tant celle de l’électeur moyen qui a voté pour le maire en question que celle du député de la circonscription concernée ou d’un ministre : en effet, quelle que soit la nature des positions politiques prises par le maire en question (et son talent personnel), le député ou ministre pourrait se sentir menacé par cette personnalité locale trop forte, qui veut sa part de pouvoir, voire simplement gêné par un individu (le maire) plus indépendant, qui s’appuie sur sa légitimité électorale pour s’opposer aux intérêts, aux directives ou aux attentes de l’appareil du parti. Par ailleurs, si les stars de cinéma, les grands footballeurs ou les animateurs de télévision pouvaient faire de bons maires – en supposant qu’ils le souhaitent et qu’ils aient le soutien d’un parti politique ou tout autre appui -, cela se saurait ! De plus, que le maire soit directement élu ou non, on doit veiller à préserver un rôle important pour le conseil ou l’assemblée locaux, en tant qu’instances représentatives de la population. Enfin, on peut se demander si la présélection d’un certain nombre de candidats au poste de maire contribuerait vraiment à augmenter l’influence des partis et clans politiques au niveau local – plutôt que de la réduire.

82. La première préoccupation qui a été exprimée dans le cas français avec une dose de scepticisme, mais avec force de conviction est la suivante : « on est obsédé en France par la crainte d’une paralysie de l’administration locale en cas de conflit entre l’exécutif et l’assemblée et que l’exécutif ne dispose pas d’une majorité stable à l’assemblée pour soutenir sa politique. » L’observation suivante prend toute sa force si nous l’examinons dans le contexte de la remarque précédente qui se rapporte à la France, mais qui a une résonance plus générale : « Le système actuel (désignation par l’assemblée) devrait se traduire par un contrôle étroit de l’assemblée sur l’exécutif. C’est le contraire qui est constaté de façon générale : la majorité constituée au sein de l’assemblée délibérante soutient presque systématiquement l’exécutif qu’elle a désigné : celui-ci dispose donc d"un vaste pouvoir qui n’est pas vraiment contrôlé par l’assemblée. »

83. Ce deuxième type de préoccupation (la crainte d’un pouvoir excessif) peut expliquer en partie le rejet total, en Irlande (notamment), du projet d’élection directe des maires par l’ensemble de la population, pour une période de cinq ans à partir de 2004 (date des prochaines élections locales – même si ce nouveau système devait permettre d’avoir, dans la personne du maire, une sorte de « figure de proue », au-dessus du fonctionnaire non élu assurant la gestion quotidienne des affaires locales. « Ce projet a été fermement rejeté par les trois associations de pouvoirs locaux irlandais et certains membres du parti Fianna Fail au pouvoir, au motif qu’un tel système engendrerait des candidats avides de célébrité et s’appuyant sur seul thème, démagogique, et que cela porterait atteinte à la position des conseillers locaux ». Certains ont fait observer que des députés « craignaient qu’un maire directement élu ne devînt un rival très sérieux pour eux ». La réponse du ministre chargé des questions d’autonomie locale a consisté à proposer différents compromis – notamment le fait d’autoriser uniquement des conseillers ayant cinq ans d’expérience des affaires locales à se porter candidat à la mairie (système qui démarrerait en 2009…).

84. Un effort notable de comparaison des avantages et inconvénients des deux systèmes (suffrages direct et indirect) a été celui du « Livre blanc » élaboré à Malte, en 1999, en vue d’amendements mineurs à la Loi sur les Conseils locaux (concernant, par exemple, l’abandon du vote à bulletin secret pour l’élection d’un maire par les conseillers locaux et l’adoption du vote à main levée, ou encore, le fait de garantir un député-maire à chaque collectivité locale, indépendamment de son importance numérique). Préférant le principe de « collégialité » à celui de « direction unique », ce « Livre blanc » optait finalement en faveur du maintien des élections indirectes (système adopté en 1993), et du droit, pour des conseils locaux composés seulement de 5 ou 7 élus, appartenant à des partis ou des milieux politiques différents, d’élire un maire parmi leurs membres (très souvent à une majorité d’une voix), sans tenir compte du choix de l’électorat lors de l’élection des conseillers à la proportionnelle (système électoral fondé sur le vote unique transférable, et en vigueur depuis longtemps à Malte, en Irlande et dans certaines parties de l’Australie). Le principal argument du « Livre blanc » en faveur du maintien du système (ce document reconnaissant, dès ses premières lignes, que le mode d’élection des maires est probablement le sujet le plus controversé au sein des Conseils locaux) consistait à évoquer les risques de tension entre un maire directement élu et les autres conseillers, et le danger de voir ces derniers marginalisés. Le « Livre blanc » faisait également observer que la présélection (avant la consultation électorale) de candidats au poste de maire renforcerait, en réalité, le rôle des partis politiques au détriment des options éventuelles de l’électorat et des conseillers locaux. Indépendamment du fait que ce type de processus interdit tout vote en dehors du cadre imposé par les partis et exclue toute candidature indépendante (et même si ces deux éléments ne sont pas encore apparus comme des tendances notables à Malte), cela exigerait, de toute manière, un changement total de système électoral dans le sens des principes de Jefferson-d’Hondt. Par conséquent, le « Livre blanc » continuait à soutenir le « lien collégial », et affirmait qu’un maire ne disposant pas de majorité fonctionnelle ne parviendrait pas à diriger le conseil local ; il ajoutait que, dès lors, les maires seraient même tentés de rechercher une nouvelle majorité, et que le fait que le maire n’ait été que « sélectionné » par son parti, avant le processus de l’élection directe, ne réduirait nullement l’influence des partis : le nouveau processus contribuerait seulement à déplacer cette influence dans le temps.

85. Si, comme nous l’avons déjà noté plus haut, ce point de vue ne correspond pas tout à fait aux analyses proposées par plusieurs pays ayant répondu au questionnaire, il est évident que, selon l’organisation des partis politiques et les mentalités « de clan » dans chaque contexte spécifique, on sera porté à adopter, dans ce domaine, une approche mesurée - « à petits pas » -, plutôt qu’une méthode « brutale » imposée depuis le « sommet ». En vérité, en vue de trouver une solution, le « Livre blanc » fait une proposition à la fois simple et nuancée, qui mérite l’attention : « Si le système des listes de candidats est préférable au choix direct d’une personnalité dans la mesure où il offre un champ plus large et, en principe, plus ouvert, cela reste tout de même un système « fermé » puisqu’il réduit le choix à un seul parti - à moins que l’on ne soit prêt à accroître le nombre de conseillers élus en fonction du nombre de voix recueilli par la « tête de liste » de chaque parti…». Cependant, dans sa conclusion, le Livre blanc souligne que les problèmes qui se posent ne sont pas d’une ampleur telle qu’il faille procéder à cette réforme radicale du système électoral maltais – réforme qui, par définition, entraînerait le remplacement du système collégial, avec ses possibilités de contrôle et d’équilibre, par un système de direction forte, qui l’emporterait sur la volonté de compromis et de coopération… (4.1-4.30, pp. 46-53).

86. Ces considérations trouvent plus ou moins un écho dans les observations des différents pays (ayant répondu au questionnaire) au sujet des principaux inconvénients de l’élection directe. Nous avons sélectionné quelques-uns de ces commentaires ci-après : il s’agit d’abord des observations d’experts de pays pratiquant le suffrage indirect (dans la plupart des cas, les maires sont élus par les conseils locaux, ou - comme en Belgique, aux Pays-Bas et au Luxembourg – à la suite d’une intervention directe du pouvoir central), puis de commentaires d’autres pays :

87. « L’élection directe encourage le populisme » (Belgique).

88. « Il y a, dans ce système, un risque accru d’inefficacité et d’impasse si le maire et le conseil local représentent des tendances politiques différentes… très souvent, le maire sortant ou le principal candidat de l’opposition recueille un grand nombre de voix « personnelles » (étant donné que l’on peut voter soit pour un candidat individuellement, soit pour une liste de plusieurs personnalités) ; par conséquent, dans de nombreux cas, la confirmation du nouveau maire élu n’est plus qu’une formalité dénuée de sens… « les systèmes apparentés au régime présidentiel, dans lesquels un candidat est élu et détient ensuite un pouvoir important, ne sont, en fait, pas très populaires : la pratique du compromis et le partage du pouvoir entre plusieurs personnes sont probablement, chez nous, l’idéal politique… » (Danemark).

89. « un conflit entre l’exécutif et l’assemblée ne survient en pratique en France qu’en cas de conflit au sein de la majorité qui a gagné les élections. Il peut exister aussi des conflits entre exécutif et assemblée dans les communes de moins de 3 500 habitants ou dans les départements, où le scrutin majoritaire n’est pas appliqué. Mais ces cas sont rares. Presque toujours, la forte emprise de l’exécutif évite les conflits… un certain nombre de présidents de conseils régionaux ont été élus par des assemblées dépourvues de majorités stables… des dispositions particulières, garantissant le votes de budgets malgré l’absence d’une majorité claire, ont été adoptées… » (France)
90. « Il n’y a pas tellement d’inconvénients… le mandat de l’exécutif ne devrait pas se limiter à la durée de celui du conseil ; mais on peut opposer à cette thèse le fait qu’un nouveau conseil serait libre d’élire un autre maire… car, pour le conseil local, s’il s’agit de changer l’équipe dirigeante de la commune, il est préférable de ne pas être contraint à « licencier » l’exécutif » (Islande).

91. « Le système de l’élection directe peut attirer de « simples célébrités » (vedettes de la télévision, grands footballeurs, et autres), qui seraient en fait incapables d’assumer de manière responsable les fonctions de maire » (Irlande).

92. « Le conseil représentatif, directement élu, aurait probablement un rôle plus limité, et l’on assisterait parallèlement à une centralisation du pouvoir et une polarisation des décisions municipales entre les mains d’un seul homme ; le rôle des partis politiques pourrait également se voir réduit, et l’exécutif pourrait manquer des compétences nécessaires pour diriger la commune » (Finlande).

93. « L’élection directe pourrait porter atteinte au « socle » de l’équilibre des pouvoirs et aux relations indispensables entre le politique et l’administratif, avec un risque de voir se réduire les possibilités de coalition… » (Estonie)

94. « Le pouvoir serait trop concentré entre les mains du maire (un maire directement élu étant aussi, traditionnellement, président du conseil ou de l’assemblée de la commune en question, ainsi que chef des services administratifs) » (Lettonie).

95. « L’élection directe du maire conduirait inévitablement à une sorte de « rapport de forces » entre l’élu et le conseil local, et entraînerait également un problème d’allégeance des uns et des autres » (Lituanie).

96. « Le danger de l’élection directe des maires est que les compétences professionnelles de ces derniers n’auraient plus la même importance, et, dès lors, on pourrait craindre pour leur capacité à gérer leur commune » (Pays-Bas).

97. « la possible hypothèse qu’un bourgmestre élu directement par l’électeur pourrait se retrouver sans majorité opérationnelle au conseil communal. Ce risque est évité par le système en place qui assure une cohésion politique du fait que les membres de l’exécutif sont en fait sinon en droit proposés à l’autorité de nomination par la majorité du conseil communal…» (Luxembourg)

98. « un certain risque d´instabilité politique… dans le cas où un parti politique n´obtiendrait pas la majorité absolue, les pactes d´alliances électorales sont nécessaires, en vue d´organiser un exécutif qui puisse recevoir l´appui, au moins, de la moitié plus un des conseillers municipaux… Dans la plupart des communes le risque est minimisé par le fait qu´il n´y a que trois partis politiques à dimension nationale…il y a aussi le risque du « transfugisme » politique : à un moment donné et après les élections locales, un conseiller municipal élu sur la liste du parti A, pourrait bien décider d´entrer dans les rangs du parti B, pouvant défaire l´équilibre résultant des élections locales. Cette situation peut entraîner une nouvelle corrélation de majorités… dans les cas de majorités absolues très dominantes, … autres partis minoritaires n´ont pratiquement aucune chance de mettre à terme aucune initiative… la règle d´Hondt fait que beaucoup de vote soient « inutiles », s´ils sont adressés à des partis politiques qui n´obtiennent pas le seuil du 5% minimal dans la commune. » (Espagne).

99. « Ce nouveau processus serait probablement considéré comme une menace pour le système actuel de démocratie locale, fondé sur les partis politiques. La « crise » des partis – dont on ne cesse de parler – n’est, en fait, pas assez profonde pour réformer le système de manière aussi radicale et convaincre l’élite politique de la nécessité de cette réforme. En Suède, il y a, semble-t-il, trop d’acteurs majeurs qui ont investi dans le système actuel » (Suède).

100. Les observations qui suivent concernent les pays ayant adopté un système électoral « mixte » ; dans l’ensemble, l’élection directe gagne du terrain – mais cela ne se produit pas partout de la même manière, et assurément à des rythmes différents (cas de la Norvège et de la Grande-Bretagne).

101. « Il n’y a pas de problèmes inhérents à chaque système existant. Par conséquent, on peut dire qu’il n’y a pas d’inconvénients majeurs dans l’un ou l’autre de ces systèmes » (Autriche).

102. « Le conseil communal… est affaibli ; le rapport avec le conseil peut être conflictuel ; la qualification professionnelle du maire est moins garantie… » (Allemagne).

103. « … l’un des problèmes majeurs est, semble-t-il, la disparité entre, d’une part, les fonctions en principe importantes qui attendent un maire directement élu, et, de l’autre, dans le cas précis de la Norvège, le caractère relativement « anodin » du mandat du maire norvégien … si le pouvoir « personnel » du maire norvégien reste aussi limité qu’à l’heure actuelle, il (ou elle) risque d’avoir une position assez faible face à la majorité qui s’exprime au conseil … Et, en revanche, si la position officielle du maire était très renforcée dans le cadre d’un nouveau système, il y aurait des risques de conflit entre l’exécutif et le législatif… » (Norvège).

104. « Avec un maire (également à la tête de l’ensemble de l’administration locale) directement élu par la population, il est difficile d’être sûr de sa capacité à diriger… Un nouveau maire ainsi élu peut changer les équipes en place… Et l’on ne pourrait pas assurer la continuité administrative… » (Russie).

105. « 50% des maires élus étaient des candidats marginaux ou « rebelles »… ces maires se sont opposés de manière totalement négative aux conseils élus – notamment sur les questions de budget -, même si, aujourd’hui, on est parvenu à un nouveau consensus dans certains domaines… au niveau local, on a pu noter un certain ressentiment des partis politiques établis, qui ont estimé que le référendum et les autres processus électoraux avaient été « détournés »… » (Royaume-Uni).

106. Si certains des pays ayant répondu au questionnaire et pratiquant le suffrage indirect se sont parfois prononcés – avec vigueur, dans certains cas – en faveur de l’adoption de l’élection directe, en revanche, les experts des pays pratiquant l’élection directe ont généralement approuvé le système en vigueur et se sont donc montrés beaucoup moins critiques ; dans certains cas, ils ont même refusé de répondre à la question des « inconvénients éventuels » du système (d’autres, cependant, ont proposé des améliorations). En tout cas, aucun des pays pratiquant l’élection directe n’a considéré que le système électoral indirect pourrait être préférable (ce qui tranche avec certains pays pratiquant le système indirect et s’étant clairement prononcés en faveur de l’adoption du suffrage direct). Nous vous soumettons ci-après quelques commentaires, qui résument assez bien le sentiment général:

107. « la possibilité réelle et juridique d’apparition de contradictions entre les maires et les conseils municipaux… au cas où le maire est membre d’un parti politique, tandis que la majorité dans le conseil municipal appartient a un autre parti politique… » (Bulgarie)

108. « A ce jour, nous n’avons pas trouvé d’inconvénients au système de l’élection directe des exécutifs locaux… Nous n’y voyons que des avantages. En effet, ce type d’exécutif peut agir en toute indépendance par rapport au conseil local ; il n’a pas à céder aux pressions politiciennes les plus mesquines, et peut donc mieux servir la commune en question » (Chypre).

109. « On peut considérer comme un inconvénient le fait que le maire directement élu ne soit pas politiquement responsable devant l’assemblée locale… Même si le premier magistrat de la commune se voit confier un certain nombre de missions de gestion, il doit continuer à dépendre de l’opinion majoritaire de l’assemblée » (Hongrie).

110. « personnalisation du pouvoir et création des « réseaux de clientèle »… le maire est l’élu le plus populaire dont le citoyen attend tout… L’élection directe de l’exécutif le rend « personne politique » au sein d’un système politico – administratif… les maires des grandes villes utilisent leur popularité acquise pendant leur mandat pour avoir une place dans le gouvernement national ou vice-versa» (Grèce)

111. « la personnalisation de la figure du Maire soit la fragmentation du système des partis politiques… peut conduire à des conflits… avec l’assemblée, les partis politiques, surtout ceux de la coalition qui soutient le Maire, avec l’appareil administratif... encourage l’existence de partis très petits en terme de voix mais décisifs pour assurer la victoire d’une coalition…» (Italie)

112. « la concentration des pouvoirs du maire, la grande subalternité des autres membres de l'exécutif (élus directement comme le maire) et la réduction des formes de contrôle interne de la gestion municipale» (Portugal)

113. « Le Maire aura trop de pouvoir s’il n’y a pas, parallèlement, de système de contrôle et d’équilibre – en particulier dans les pays où la culture démocratique est encore très faible, où il n’y a pas de tradition de participation du citoyen à la vie politique, et où il n’y a pas non plus d’opinion publique qui se manifeste avec force… A défaut d’un système de contrôle des finances publiques…, le maire aurait toutes les possibilités de s’emparer des biens de la commune… » (République de Macédoine)

114. « personnalisation… présidentialisme… » (Roumanie)

115. « La cohabitation… Le problème a été en partie résolu (lorsque)… le conseil ne s’est plus réuni sous l’égide de son propre président… c’est désormais le maire qui préside les séances » (Slovénie).

116. « Si les partis politiques et leurs dirigeants ne s’attardent pas particulièrement sur les qualités professionnelles des candidats à l’exécutif, on verra simplement des personnalités acceptables ou « sympathiques » - plutôt que des hommes ou des femmes ayant les compétences techniques pour remplir le mandat de maire… » (Turquie).

117. « …le Maire est le « grand patron » de la ville, qui décide de tout… c’est un passage obligé pour toute information, entrante ou sortante… il représente à la fois le conseil local et le comité exécutif… il est toujours surchargé de travail… Les décisions du conseil ne peuvent être appliquées qu’avec la signature du Maire… or, pendant plusieurs mois, un maire a refusé d’avaliser une décision à laquelle il était hostile… il n’est responsable devant personne de ses décisions… c’est la porte ouverte à la corruption… » (Ukraine).

5. QUELQUES REFLEXIONS EN FORME DE CONCLUSION

118. A vrai dire, à partir des réponses de l’ensemble des pays, on est assez décontenancé pour prendre telle ou telle position : faut-il mener le combat de front, ou, au contraire, en demi-teintes… ou encore ne pas mener de combat du tout ?

119. Certains voient dans le système de l’élection directe un risque de personnalisation, de « présidentialisation », de populisme, de conflit entre le maire et le conseil local, voire la coalition dominante, de marginalisation des points de vue minoritaires… ou pire encore ! Et pourtant, on souligne également que ce type d’élection est plus démocratique, plus efficace, plus transparent, qu’il entraîne une participation et une motivation accrues des citoyens, ainsi qu’un sentiment d’appartenance à la collectivité – le maire directement élu en étant à la fois le dirigeant et le symbole. D’autre part, on se demande si ce type d’élection accroît ou, au contraire, réduit l’influence des partis politiques dans l’organisation des équipes municipales. On dit aussi que, la légitimité morale du maire étant plus grande s’il est directement élu, le premier magistrat de la commune en acquiert une stature renforcée face aux appareils politiques, et que le régime collégial est, par définition, plus timoré, plus lourd à manier et quelque peu « invisible ». En outre, en cas de litige, le régime de l’élection directe est censé apporter une certaine stabilité – à condition que l’on ait aussi trouvé, parallèlement, le bon « dosage » et les bons instruments de contrôle et d’équilibre. Par ailleurs, en se choisissant un candidat à la mairie, tout parti politique normalement constitué doit tenir compte, qu’il le veuille ou non, de la popularité personnelle du candidat (ou de la candidate) en question, avec ses qualités, ses compétences et les réalisations dont il a pu déjà s’enorgueillir. En termes simples, on peut dire que les électeurs préfèrent généralement un visage à une institution, un individu à un collectif – d’autant plus s’ils ont le sentiment d’avoir pu exprimer directement, et de manière efficace, leurs préférences.

120. Globalement, il semble que la balance penche assez résolument, et de manière croissante, du côté de l’élection directe. Mais, en même temps, tout dépend évidemment (a) des structures institutionnelles et des procédures permettant l’équilibre des compétences et des responsabilités de manière aussi claire que possible, afin d’éviter toute interprétation ou revendication ambiguës, et de réduire le risque d’affrontement ; et (b) des points de vue politiques, sociaux et culturels, de l’existence ou non de certaines normes et de la disponibilité de ressources humaines, ou encore de la garantie d’une viabilité financière et opérationnelle dans les différents contextes donnés – lesquels peuvent être encore (par rapport aux exigences de la Charte) dans une phase de transition.

121. L’essence même du principe démocratique dont dépend pratiquement tout le reste résumé de manière succincte par l’expert allemand est le suivant : « Il dépend beaucoup des modalités si la concentration du pouvoir dans la personne du maire est exagérée. » Cela dit, comme on a déjà pu le constater à partir des observations des uns et des autres, il s’agit d’une situation très complexe, pouvant susciter toutes sortes d’interrogations ; par exemple, quels points de vue peuvent être considérés comme excessifs, ou encore où se situent la raison ou la nécessité ? Et qui peut en décider, au final ?

122. De toute évidence, le maire ne doit pas être le « grand patron » de la ville, qui décide tout seul ; il (ou elle) ne doit pas non plus utiliser à loisir les biens municipaux, ou encore s’entourer d’acolytes totalement soumis, comme si la commune ne disposait pas de sa propre instance représentative ;  le maire ne doit pas être non plus « l’otage » d’un dirigeant de son parti politique, qui tirerait les ficelles dans la coulisse ; enfin, il ne doit pas être non plus dans une situation de déférence vis-à-vis de prérogatives ou privilèges « royaux ». Pour résoudre les problèmes de gestion de la commune, le maire doit pouvoir s’entourer d’une équipe qui le conseille et l’assiste, mais il serait très regrettable qu’en vertu du jeu politique, il ne prenne pas l’avis du conseil ou de l’assemblée élus au niveau local – qu’il en soit ou non membre ou président. Quant à la crainte de conflits et d’impasses – qui, en vérité, sont toujours possibles, dans quelque système que ce soit -, il faut (et on y a déjà réussi) trouver les moyens de réduire ce risque au maximum. Une autre question est de savoir si le maire est apprécié ou non. D’une manière générale, les maires semblent assurer correctement le fonctionnement du système, et même y apporter une certaine stabilité – en y ajoutant également une « touche » de popularité ; cependant, ce qui fonctionne bien à tel endroit peut faire frémir à tel autre, en fonction de divers paramètres. Nous réaffirmons ici que le « costume de maire » doit être fait sur mesure – ce qui ne veut pas dire pour autant qu’on ne puisse pas, sur la base de différentes expériences, établir un ensemble de critères et de modalités pouvant servir de lignes directrices et faciliter l’instauration du système de l’élection directe conformément aux normes fondamentales de la Charte. Il est évident que, sous sa forme actuelle, la Charte est beaucoup trop vague, et qu’il faut donc l’affiner et la nuancer à la lumière des réalités et des évolutions contemporaines. Au final, l’équilibre est toujours délicat à instaurer, et dépend dans une large mesure de l’intelligence (ou du manque d’intelligence) des acteurs, ainsi que de l’éveil (ou, au contraire, de la passivité) des électeurs.

123. Au départ, l’un des objectifs du présent rapport était d’établir, sur la base de données statistiques actualisées, un tableau des taux de participation électorale dans le cas de chaque système – élections directes ou indirectes - et de montrer éventuellement qu’il y avait une corrélation entre un taux important (ou, tout au moins, croissant de manière notable) et le suffrage direct – ce qui semble, en fait, ressortir de la plupart des observations des pays sondés. Malheureusement, les experts ayant répondu à notre questionnaire n’ont pas été assez nombreux à fournir des données récentes dans ce domaine; par conséquent, nous n’avons pas été en mesure de concrétiser de manière significative cet aspect de notre projet. Peut-être pourrait-on poursuivre cette recherche en temps opportun. Dans ce même esprit, il serait également utile d’effectuer une autre comparaison complémentaire, et visant à mettre en parallèle, dans chaque pays, le taux de participation électorale aux scrutins locaux, d’une part, et lors des grandes consultations nationales, d’autre part – dans la mesure où les chiffres ont pu varier, ne serait-ce qu’au cours de la décennie 1990-2000.

124. Exception faite des pays scandinaves, qui, avec leur système « collégial », semblent former une sorte de « bloc géopolitique » - la Norvège se singularisant peut-être par une évolution relativement marquée dans ce domaine -, on note partout ailleurs une tendance assez nette dans le sens du système de l’élection directe, en particulier (mais pas seulement) dans les pays soucieux de se dégager de l’influence de l’ancien régime dictatorial qu’ils ont pu subir. Cependant, on peut également observer que, dans certains cas, des facteurs particuliers et divers peuvent contrarier cette tendance générale (comme nous avons pu le noter, par exemple, de manière assez précise, au sujet de l’Espagne). L’évolution de chaque pays suppose en fait une certaine intelligence politique et une certaine maturité non seulement des populations, mais aussi et surtout des partis et milieux politiques – ces derniers devant être en mesure (notamment au niveau des ressources financières) de choisir et proposer des candidats en toute liberté, ainsi que de mobiliser l’opinion publique dans le sens de l’intégration citoyenne plutôt que de l’exclusion (et en dépit du sentiment général de divorce croissant entre les populations et la classe politique).

125. En ce qui concerne le contrôle de l’exécutif local par le conseil ou l’assemblée de la collectivité en question (ou, à l’inverse, le rapport entre l’exécutif et l’instance délibérative), on peut noter également tout un ensemble de situations différentes selon les pays. D’une manière générale, le contrôle de l’exécutif par l’assemblée locale est nettement moins marqué dans les communes pratiquant l’élection directe du maire, et l’on comprendra aisément que, dans ce type de situation, il est d’autant plus difficile de « révoquer » une personnalité élue. Par conséquent, il pourra être également utile d’analyser de manière approfondie ce type de modalités et d’organisation politiques, afin – éventuellement – d’en voir les aspects concrets et de les appliquer sur le terrain si l’on souhaite appuyer ou non la tendance dans le sens de l’élection directe des exécutifs locaux. On pourrait, par exemple, établir des organigrammes et indiquer les structures possibles sous forme de cercles concentriques – en précisant toujours les « spécificités nationales » -, et cela pourrait éclairer les gestionnaires des affaires publiques, pour peu qu’ils sachent également pratiquer la « science politique ».

126. Sur la base des réponses à notre enquête préliminaire – dont bon nombre nous ont véritablement informés (de manière très large, dans certains cas) au sujet de la situation de chaque pays -, on peut raisonnablement affirmer que, dans l’ensemble, l’article 3.2 de la Charte commence à être pris en considération de manière concrète.

127. Il y a certainement encore du travail à faire afin de préciser un certain nombre d’aspects de ce sujet essentiel. Ainsi, on pourrait procéder à une synthèse des différents rapports de suivi déjà effectués par pays, afin d’avoir une vision plus globale compte tenu des méthodes électorales utilisées, des compétences des collectivités locales et la participation des citoyens. L’objectif de ce rapport ne se voulait pas normatif; nous avons simplement souhaité exposer les principaux arguments en faveur de l’élection directe des exécutifs locaux ou, au contraire, hostiles à ce principe, sur la base des expériences et avis des experts/observateurs – y compris ceux de pays ayant déjà pratiqué le suffrage direct ; cet exposé d’ensemble concerne la plupart des Etats membres du Conseil de l’Europe, et nous avons également pris en considération certaines études précédentes afin d’affiner encore notre point de vue. Il est impossible de décréter rapidement, et sans nuances, que tel ou tel système est préférable ; de la même manière, il n’y a évidemment pas, dans ce domaine, de système monolithique, à appliquer « en bloc » ; il y a plutôt différentes variantes possibles à l’intérieur de chaque système. Pour l’instant, nous nous efforçons d’entamer le débat et l’analyse – notamment au sujet de l’interprétation de la Charte européenne de l’autonomie locale, qui date de 1985.

128. En conclusion, nous voudrions adresser nos remerciements les plus sincères à tous les experts et autres ayant répondu au questionnaire et participé à cet exercice, ainsi qu’à certains de nos collègues qui, en véritables « pionniers », ont élaboré les premiers rapports, mémorandums et résolutions portant plus ou moins directement sur ce sujet ; enfin, nous remercions tous ceux qui ont participé personnellement au débat dans le cadre de nos rencontres en groupe, au cours de l’année 2002 et dans la première partie de l’année 2003.

Annexe 1

Liste complète des experts du Groupe ayant répondu au questionnaire :

Mmes et MM. Peter PERNTHALER (Autriche), Genc RULI et Artan HOXHA (Albanie), Filip DE RYNCK (Belgique), Alexandre VODENITCHAROV (Bulgarie), Zvonimir LAUC (Croatie), Richard POMAHAC (République tchèque), Andreas PANDELIDES (Chypre), Hans Otto JORGENSEN (Danemark), Sulev MAELTSEMEES (Estonie), Olli MAENPAA (Finlande), Jean-Marie WOEHRLING (France), Dian SCHEFOLD (Allemagne), Spyridon FLOGAITIS (Grèce), Zoltan SZENTE (Hongrie), Unnar STEFANSSON (Islande), John LOUGHLIN (Irlande), Francesco MERLONI (Italie), Edvins VANAGS et Inga VILKA (Lettonie), Artashes GAZARYAN (Lituanie), Jean-Mathias GOERENS (Luxembourg), Ine VAN HAAREN-DRESENS (Pays-Bas), Eivind SMITH (Norvège), Antonio Rebordao MONTALVO (Portugal), Corneliu-Liviu POPESCU (Roumanie), Liudmila LAPTEVA (Russie), Franc GRAD (Slovénie), Angel-Manuel MORENO MOLINA (Espagne), Torsten BJERKEN (Suède), Gordana SILJANOVSKA DAVKOVA (République de Macédoine), Rusen KELES (Turquie), Vadym PROSHKO (Ukraine), Chris HIMSWORTH (Royaume-Uni) et Henry FRENDO (Malte).

Annexe 2

TABLEAU GENERAL DES SYSTEMES ACTUELS
DES ETATS MEMBRES DU CONSEIL DE L’EUROPE
EN MATIERE D’ELECTION DES MAIRES

(SUR LA BASE DES DONNEES REUNIES DANS LE PRESENT RAPPORT)

A

B

C

ELECTION DIRECTE, AU NIVEAU NATIONAL

SYSTEME ELECTORAL MIXTE

ELECTION INDIRECTE, AU NIVEAU NATIONAL

12 pays

5 pays

16 pays

Albanie

Autriche

Belgique*

Bulgarie

Allemagne

Croatie

Chypre

Norvège

République tchèque +

Grèce

Russie

Danemark

Hongrie

Royaume-Uni

Estonie +

Italie

 

Finlande *

Macédoine

 

France

Portugal

 

Islande +

Roumanie

 

Irlande, Lettonie

Slovénie

 

Lituanie

Turquie

 

Luxembourg

Ukraine

 

Malte

   

Pays-Bas *

   

Espagne +, Suède

* Evolue vers l’adoption partielle ou totale du suffrage direct.
+ Un système électoral plus « direct » est pratiqué dans les petites communes.