Rapporteur:
Peter TORKLER, Allemagne,
Chambre des pouvoirs locaux
Groupe politique : SOC
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EXPOSE DES MOTIFS
Préambule : L’eau, source de vie
L’eau potable est un produit naturel qui ne peut être ni fabriqué, ni remplacé par un autre. Comme l’air que nous respirons, elle est indispensable à la vie humaine. Personne ne peut s’en passer et personne ne doit en être privé. Seule une eau répondant à toutes les règles de l’hygiène garantit la santé et empêche la propagation des épidémies. Chaque être humain ayant droit à l’eau potable, indépendamment de sa situation sociale, les services publics d’intérêt général ont, depuis toujours, pour mission et devoir de veiller activement à l’approvisionnement. Pouvoir disposer d’une eau de bonne qualité et en quantité suffisante est une condition essentielle à la réalisation des droits de l’homme. Lors du sommet mondial pour le développement durable, à Johannesburg, en 2002, aucune majorité ne s'est dégagée pour faire de l'accès sans entrave à une eau propre et à des coûts raisonnables un droit fondamental. Est-il exagéré de supposer que les grands groupes mondiaux du secteur de l'énergie et de l'eau cherchent à se positionner par l'intermédiaire de l'OMC pour se partager le marché mondial de l'eau, très lucratif ?
1. La crise mondiale de l'eau
L'eau, une ressource qui se raréfie
L'eau, ressource indispensable à la vie, devient, à l'échelle mondiale, une denrée de plus en plus rare, à cause des bouleversements subis par l'environnement, de la pollution et de la consommation excessive. Le règlement de la crise mondiale de l'eau a été l'un des grands thèmes du sommet mondial sur le développement durable tenu en septembre 2002 à Johannesburg.
L'eau n'est absolument pas disponible en abondance. L'eau salée représente, et de loin, la plus grande partie des ressources en eau de la planète.
Il n'y a guère que 2,5 pour cent des ressources en eau qui soient constituées d'eau douce, dont seule une fraction est disponible sous forme d'eau potable. Par ailleurs, la demande augmente rapidement, plus de deux fois plus vite que la population. Le premier consommateur est l'agriculture, avec 70 pour cent, suivie de l'industrie, avec quelque 20 pour cent, et des particuliers. Selon les estimations, 1,1 milliard de personnes n'ont pas suffisamment d'eau potable, et 2,4 milliards sont totalement ou partiellement privées d'installations sanitaires, car la mise en place des infrastructures n'a pas suivi l'augmentation de la demande.
D'un point de vue géographique, les réserves en eau sont très inégalement réparties : alors que la majorité des pays industrialisés se situent dans des zones « riches en eau », de nombreux pays du sud sont « pauvres en eau ».
Cependant, des différences économiques et technologiques expliquent aussi que l'eau soit souvent très inégalement répartie. Ainsi, la consommation d'eau dépasse 3 000 litres par personne et par jour dans le sud de la Californie, elle est d'environ 300 litres en Europe centrale, et un habitant du Sahel ne dispose en moyenne que de 30 litres.
Les prévisions - celles qui ont été présentées au colloque sur l'eau de Stockholm, par exemple - donnent à réfléchir : en 2005, près d'un tiers des habitants de la planète, soit environ 2,7 milliards de personnes, vivront dans des régions connaissant une grave pénurie d'eau. Le risque de pénurie est particulièrement élevé pour des parties entières de l'Asie et de l'Afrique. Cela dit, même dans les pays industrialisés, et surtout aux Etats-Unis, les besoins en eau ne sont plus satisfaits que difficilement dans certaines régions.
La crise de l'eau est tant économique que politique, sociale et écologique.
Menaces sur l'approvisionnement en eau potable
La raréfaction et la répartition inéquitable de l'eau risquent d'entraîner des conflits entre les différentes catégories d'utilisateurs (les agriculteurs et les citadins, par exemple), mais aussi entre les pays.
Alors que les agronomes calculent que l'agriculture devra augmenter considérablement sa consommation d'eau pour pouvoir nourrir la population, les écologistes exigent que cette consommation soit réduite durablement.
La raréfaction ne menace pas seulement l'approvisionnement à long terme en eau propre, mais aussi le développement économique de secteurs et de pays, ainsi que l'environnement dans son ensemble, lorsque le cycle de l'eau et le régime hydrologique - dont dépendent la faune et la flore - sont irrémédiablement perturbés dans leur globalité, par exemple en cas d'assèchement de cours d'eau comme le fleuve Jaune en Chine, ou de marais ou de lacs comme la mer d'Aral.
Il existe une corrélation étroite entre l'approvisionnement en eau potable et l'évacuation des eaux usées ; on ne parvient pas à mettre en place et à entretenir les réseaux nécessaires pour suivre la croissance de la population et des grandes villes.
Ce sont les populations les plus pauvres qui ressentent le plus durement les conséquences de ces insuffisances.
Ainsi, des millions d'habitants des zones rurales manquent d'eau et vivent dans des conditions sanitaires inhumaines. Les eaux usées polluent les rivières et la nappe phréatique.
A la fin des années 80, on dénombrait 1,7 milliard de personnes totalement ou partiellement privées d'installations sanitaires ; aujourd'hui, selon les chiffres de l'OMS et de l'Unicef, elles sont environ 2,4 milliards, dont 2 milliards en zone rurale.
On estime à cinq millions le nombre de personnes qui meurent chaque année de maladies liées à la pollution de l'eau.
Le problème non résolu des eaux usées est indissociable d'un approvisionnement en eau suffisant.
2. La directive de l'Union européenne établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau
Evolution ayant conduit à la directive 2000/60/CE
Dès 1991, la déclaration de La Haye soulignait la nécessité d'agir afin d'éviter une dégradation à long terme de la qualité des eaux douces et une diminution des quantités disponibles, et appelait à lancer un programme d'action à réaliser avant 2000.
En novembre 1995, l'Agence européenne de l'environnement a présenté un nouveau rapport sur l'état de l'environnement dans l'Union européenne, qui confirmait la nécessité d'une action visant à protéger les eaux dans la Communauté, tant au point de vue qualitatif que quantitatif.
Nous ne pouvons plus nous permettre
- d'empoisonner les rivières, les lacs et les mers en y déversant les eaux usées produites par les ménages et l'industrie, sans les avoir débarrassées au préalable des substances toxiques qu'elles contiennent ;
- de polluer les précieuses eaux souterraines, ainsi que les eaux de surface, par les engrais et les pesticides répandus sur les cultures ;
- de gaspiller les réserves d'eau douce, qui ont tant de valeur, en les utilisant pour la production industrielle ;
- etc.
En octobre 2000, l'Union européenne a enfin adopté la Directive 2000/60/CE établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau. Cette directive a été complétée en novembre 2001 par la décision n° 2455/2001/CE, qui dresse une liste de substances toxiques prioritaires.
L'eau n'est pas un bien marchand comme les autres
Le préambule de la directive établissant un cadre pour une politique communautaire de l'eau (publiée au Journal officiel le 22/12/2000) comporte une constatation très pertinente : « L'eau n'est pas un bien marchand comme les autres mais un patrimoine qu'il faut protéger, défendre et traiter comme tel. »
L'approvisionnement en eau potable, denrée indispensable à la vie, est un service d'intérêt général. Le succès de cette directive de l'UE passe donc par une collaboration étroite et des mesures cohérentes aux niveaux communautaire, national et local. Cependant, il est tout aussi important d'informer, de consulter et de faire participer le public, y compris le consommateur.
La directive énonce des principes destinés à :
- coordonner les efforts des Etats membres visant à améliorer la protection des eaux de la Communauté en termes de qualité et de quantité,
- promouvoir l'utilisation écologiquement viable de l'eau,
- contribuer à la maîtrise des problèmes transfrontières concernant l'eau, et
- sauvegarder et développer les utilisations potentielles des eaux dans la Communauté.
Objectifs de la directive
L'objectif ultime de la directive consiste à assurer l'élimination de substances dangereuses prioritaires.
Il convient, à l'intérieur d'un bassin hydrographique où les utilisations de l'eau sont susceptibles d'avoir des incidences transfrontières, que les exigences relatives à la réalisation des objectifs environnementaux établies en vertu de la directive, et en particulier tous les programmes de mesures, soient coordonnées pour l'ensemble du district hydrographique.
Pour les bassins hydrographiques s'étendant au-delà des frontières de l'UE, les Etats membres doivent s'efforcer d'assurer une coordination appropriée avec les Etats tiers concernés.
La directive fixe les objectifs environnementaux suivants :
a) Il convient de protéger, d'améliorer et de restaurer toutes les masses d'eau de surface et souterraines. S'agissant des eaux souterraines, il importe aussi d'assurer un équilibre entre les captages et le renouvellement. Echéance : 2015.
b) Etablissement de zones protégées et respect des objectifs et des normes d'ici à 2015.
c) Surveillance régulière de l'état des eaux de surface, des eaux souterraines et des zones protégées.
d) Surveillance régulière des normes de qualité établies pour l'eau potable.
Les Etats membres de l'UE doivent intégrer dans leur droit interne les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour que la directive soit applicable à compter du 22 décembre 2003.
3. AGCS 2000
Négociations de l'OMC
Des négociations sur le développement de l'AGCS (Accord général sur le commerce des services) ont lieu depuis début 2000 au sein de l'OMC (Organisation mondiale du commerce), à Genève.
L'AGCS est un accord très large, qui englobe tous les services imaginables. Ses dispositions s'imposent à tous les niveaux de décision et de gouvernement.
Lors de la première phase, qui a commencé en février 2000, les négociations étaient axées sur l'élaboration d'une feuille de route et de lignes directrices concernant la suite des négociations, qui ont finalement été adoptées en mars 2001. Aucun accord n'a encore été trouvé sur des sujets brûlants comme la « réglementation intérieure » et les mécanismes de protection des pays en développement.
De plus, les négociations se trouvent désormais dans la « phase d'accès aux marchés », durant laquelle des Etats commencent à demander à d'autres Etats membres de libéraliser une plus grande partie de leurs services, conformément à l'AGCS. Alors que l'AGCS pourrait avoir des conséquences importantes, les négociations se poursuivent presque sans contrôle parlementaire national ou européen. Par ailleurs, lors du conseil européen de Nice (décembre 2000), la Commission européenne a été investie de compétences accrues, qui lui permettent de négocier dans presque tous les secteurs des services.
Effets possibles de l'AGCS sur la démocratie locale et régionale
En Europe et ailleurs, on craint de plus en plus que l'Accord général sur le commerce des services de l'OMC ne représente une menace pour les structures démocratiques. Des négociateurs de la Commission européenne proposent d'insérer dans l'AGCS des dispositions qui limiteraient considérablement le droit, pour les citoyens, de définir leurs propres priorités sociales et écologiques pour l'avenir. En outre, certaines propositions des négociateurs n'auraient pas seulement des effets sur le commerce des services en Europe, mais soumettraient aussi les pays en développement à de fortes pressions.
Si l'AGCS est un défi particulier pour la démocratie, c'est aussi parce qu'il ne laisse aux Etats guère de possiblilités de revenir sur leur décision, une fois qu'ils ont contracté des engagements en matière de libéralisation. En effet, un Etat qui, dans le cadre de l'AGCS, a pris l'engagement d'ouvrir un secteur précis à la concurrence, ne peut retirer cet engagement qu'après avoir attendu trois ans à compter de la date de son entrée en vigueur et après avoir proposé une compensation acceptable aux autres membres de l'OMC.
Compte tenu des dispositions de l'AGCS, il deviendra pratiquement impossible, pour les collectivités locales, de demander à être réinvesties de leur compétence en matière de prestation de services publics de base, une fois que ces services auront été libéralisés. Il ne sera plus possible non plus de corriger des conséquences néfastes de la libéralisation en prenant des mesures politiques, fondées sur des considérations sociales ou écologiques, si les prestataires de services jugent ces mesures « discriminatoires ».
L'AGCS et les services publics
Le pouvoir exécutif et les décideurs locaux devraient avoir la possibilité de faire en sorte que tous les citoyens aient accès, à un prix abordable, aux services publics d'intérêt général, car ceux-ci jouent un rôle essentiel dans l'intégration démocratique et sociale.
L'AGCS risque de restreindre sensiblement la marge de manœuvre des responsables politiques, ou de rendre la prestation de services publics plus difficile.
L'AGCS englobe tous les services, « à l'exception des services fournis dans l'exercice du pouvoir gouvernemental ». Ces derniers sont des services qui ne sont fournis « ni sur une base commerciale, ni en concurrence avec un ou plusieurs fournisseurs de services ».
La prestation de services publics constitue souvent le fondement nécessaire à un processus politique démocratique et ouvert. Cela est particulièrement évident dans des domaines comme l'éducation, la santé et l'approvisionnement en eau, car l'accès à ces services est généralement considéré comme un droit fondamental.
Cependant, la prestation d'autres services publics vise aussi à garantir la satisfaction de certains besoins élémentaires de l'ensemble de la population.
De ce point de vue, il convient de déterminer si des raisons sociales et écologiques, par exemple, ne s'opposent pas à ce que tous les services publics d'intérêt général soient essentiellement - voire exclusivement - régis par les règles du marché.
Ce qui importe pour le citoyen, ce sont, outre la prestation des services publics, leur qualité et leur prix, qui doit être raisonnable.
4. L'approvisionnement en eau potable, un service public
Dans la plupart des pays européens, l'approvisionnement en eau potable est un service public d'intérêt général, qui est généralement fourni aux habitants par les collectivités locales. Celles-ci sont responsables de la production et de la livraison.
Forme que prend ce service dans différents pays européens :
Dans de nombreux pays européens, l’offre d’eau potable est un service public d’intérêt général généralement assuré par les collectivités locales, à la fois pour ce qui est de la production et de la distribution. La gestion des eaux est organisée selon des modèles très variables d’un pays à l’autre, ce qui fait que les conséquences des réglementations qui font actuellement l’objet des négociations de l’AGCS ne peuvent être évaluées qu’en fonction des divers contextes nationaux.
ANGLETERRE
Le système anglais actuel est issu de la privatisation de dix régies publiques des eaux. Ces entreprises, désormais privées, ont le monopole de la gestion des eaux, dans le cadre de concessions de longue durée. Le marché n’est pas ouvert. Une autorité de contrôle, l’OFWAT (Office of Water Services), détermine pour chacune de ces entreprises la formule selon laquelle elle peut ou doit modifier ses prix. Cette formule est revue tous les cinq ans en fonction de la structure des coûts et des conditions du marché.
A la fin des années 90, le gouvernement travailliste a renoncé à renationaliser la gestion des eaux, préférant réformer la réglementation de manière à mieux protéger les intérêts des consommateurs et l’environnement. L’introduction d’une plus grande transparence est, comme en France, l'un des objectifs majeurs de cette réforme (Department of Trade and Industry, 1998). Les entreprises anglaises de distribution d’eau risquent aussi d’avoir quelques difficultés à s’adapter à ces nouvelles règles, tout au moins pour celles qui n’ont pas encore été absorbées par de grands opérateurs (Thames Water / RWE-Aqua). Le point le plus problématique réside cependant plutôt dans l’adaptation du système réglementaire par l’OFWAT. Il faudra peut-être explorer de nouvelles pistes pour protéger les intérêts des consommateurs et de l’environnement.
AUTRICHE
En Autriche, la production et la distribution d'eau potable relèvent traditionnellement des services d’intérêt général et sont assurées sous la forme de services publics. Dans la perspective de la libéralisation de la distribution d’eau potable, qui fait l’enjeu de négociations entre l’OMC et la Commission européenne, l'Association des Communes autrichiennes (conjointement avec l'Association des Villes et Communes allemandes) a fait part de ses exigences à l’UE :
« La concurrence ne doit pas être l’unique moteur de la politique européenne. L’accès aux services d'intérêt général de base doit resté acquis à l’ensemble des citoyens et la priorité doit continuer d’aller à l’égalité de l'accès à ces prestations, à la sécurité de l'approvisionnement, à la prise en compte de l'intérêt public et à la qualité de ces prestations. Lorsque des aides publiques sont nécessaires pour le respect de ces principes, le droit européen de la concurrence doit continuer à les autoriser.
Il ne faut pas que la tendance à la modification des structures organisationnelles amène les communes à abandonner leurs compétences en matière d'approvisionnement en eau potable, privant ainsi les citoyens de toute possibilité de contrôle de ces prestations d'intérêt public. Ces attributions doivent donc rester de la compétence des communes.
L’Association des Communes autrichiennes craint que la libéralisation des marchés ne conduise les prestataires privés à s'intéresser prioritairement aux grandes conurbations, qui concentrent de nombreux consommateurs sur un espace réduit. C’est en effet dans ces zones qu’il y a des bénéfices à faire et que l’exploitation est rentable ; les petites communes rurales et leurs habitants risquent dès lors d’être laissés pour compte. L’Association des Communes autrichiennes s’oppose résolument à un tel scénario. »
FRANCE
Le système français de distribution de l'eau potable repose sur la compétence des communes, fixée dès le 19ème siècle.
Cette compétence s'exerce, soit directement, par des régies communales ou intercommunales confiées à des syndicats de communes, soit indirectement, par les différentes formes de gestion déléguée confiées aux entreprises spécialisées dans la gestion des services aux collectivités locales.
Depuis 40 ans (loi du 16 décembre 1964), l'Etat a réaffirmé son rôle de protecteur de la ressource en eau, en prenant plusieurs dispositions importantes :
- gestion de la ressource par bassins hydrographique, à l'aide d'établissements publics, les Agences de l'Eau, et de Comités de bassin qui réunissent les différentes catégories d'usagers de l'eau.
- mise en place du principe pollueur-payeur, qui tend à surtaxer les catégories de consommateurs d'eau pollueurs de la ressource (redevances de pollution)
- développement du financement de programmes pluriannuels de traitement des eaux usées.
En outre, par une loi du 29 janvier 1993, relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, l'Etat a mis en place un régime juridique, plus transparent et mieux adapté, de la distribution de l'eau potable par les sociétés délégataires.
Désormais, les contrats passés entre les communes délégantes et les sociétés délégataires sont soumis aux règles de la délégation de service public :
- la durée des contrats est limitée, en fonction de la participation des entreprises délégataires au financement des investissements (durée longue pour les concessions, plus courte pour les affermages)
- la concurrence entre les entreprises est obligatoire et, sauf exception, les contrats sont remis en concurrence à leur échéance, sans possibilité de tacite reconduction.
Aujourd'hui, le système français, mixte, de distribution de l'eau comporte trois entreprises importantes qui développent à l'international "l'école française de l'eau" et d'importantes régies, principalement dans les grandes villes du pays (Nantes, Brest, Le Havre, Rouen par exemple). Il existe ainsi 15 000 services d'eau, dont 13000 gérés en direct par les communes, principalement rurales.
Le modèle français de gestion déléguée intéresse au plus haut point les partisans de la libéralisation en Allemagne. Toutefois ce système reste fermé à la concurrence pour les contrats antérieurs à 1993 dont certains étaient, à l'origine, trentenaires. La durée moyenne des contrats est aujourd'hui d'une quinzaine d'années.
Pour les consommateurs, qu'il s'agisse de cette forme de privatisation avec contractualisation localisée ou de gestion directe, la facturation de l'eau connaît des disparités sensibles souvent liées aux situations spécifiques locales, notamment en matière d'équipement et d'assainissement. Par ailleurs, comme pour la gestion directe, les communes doivent se doter, pour la gestion déléguée, d'une expertise nouvelle pour contrôler le respect des contrats conclus et analyser le rapport technique et financier annuel que doivent adresser ces entreprises à l'autorité délégante. Aussi les communes font-elles parfois appel à des audits externes et à l'association "Service Public 2000", mise en place par les maires eux-mêmes, pour assister les collectivités territoriales dans l'expertise des services publics, notamment dans les domaines de l'eau.
La loi sur l'Eau, adoptée en première lecture par le parlement en 2002, est suivie de l'élaboration en cours d'une "Réforme de la politique de l'eau". Dans le même temps, des initiatives sont prises pour renforcer la position des communes dans les négociations.
PAYS-BAS
En 1998, le parlement néerlandais a voté majoritairement contre la privatisation et la libéralisation de la distribution d’eau potable, mettant en avant les risques potentiels pour la sécurité de l'approvisionnement. Le gouvernement a donc décidé que la distribution de l'eau resterait du ressort de la puissance publique, interdisant ainsi toute privatisation. Les provinces ont ensuite entamé et soutenu un processus de fusion visant à regrouper les 200 sociétés de distribution qui existaient alors en 3 ou 4 grandes entreprises. Celles-ci, constituées en sociétés anonymes, sont détenues par les communes et les provinces. La plus importante est la société VITENS, dont le siège est à Zwolle. Elle affiche un chiffre d’affaires annuel d’environ 300 millions d’euros et compte 4 millions de clients. L’interdiction de privatisation édictée aux Pays-Bas ne pourra probablement pas être maintenue, car elle est contraire aux principes de l'AGCS. D'un autre côté, les Pays-Bas ont assaini leurs structures et il ne reste aujourd’hui plus que 3 ou 4 grands distributeurs d’eau. Aussi longtemps que les communes et les provinces conserveront leurs parts dans ces sociétés, celles-ci jouiront donc d'une position concurrentielle relativement solide, qu'il ne sera pas simple d'entamer.
ALLEMAGNE
En Allemagne, l’économie de marché se caractérise par la coexistence d’une multitude de petites et de grandes entreprises, privées et publiques, à but lucratif ou d’intérêt public. La pluralité de ces structures explique en bonne partie l’essor de la République fédérale après la deuxième guerre mondiale. Depuis, elle s’est affirmée comme un facteur essentiel du maintien de la stabilité économique et sociale. C'est la raison pour laquelle il convient d’empêcher, par tous les moyens existants, toute évolution qui ferait le jeu exclusif des grands opérateurs mondiaux au détriment des acteurs locaux.
Aux termes de la loi allemande sur l’approvisionnement en eau (Wasserhaushaltsgesetz – WHG), l’exploitation des eaux doit être conforme à la réglementation en vigueur, dans l’intérêt de la collectivité et des particuliers. Les droits d’exploitation des eaux sont soumis à des obligations et à des conditions strictes visant à protéger l’écosystème et les autres intérêts en présence dépendant de l’intégrité des ressources hydriques. La loi sur l’approvisionnement en eau ne prévoit pas la possibilité d’exploiter librement les éventuelles surcapacités, qui pourraient dès lors être commercialisées sur un marché libéralisé.
Les sociétés de distribution Stadtwerke Hannover, Harzwerke et OWW, qui sont les plus grosses entreprises de Basse-Saxe, dans le nord de l’Allemagne, alimentent chacune un peu moins d’un million de personnes en eau potable. La structure très atomisée de l’offre en Basse-Saxe, avec environ 350 entreprises, se retrouve dans toute l’Allemagne, où l’on dénombre au total environ 6.500 entreprises de distribution d’eau. Il est évident que ces structures n'ont aucune chance à l'échelle internationale. Qu'elles soient préjudiciables pour l’ensemble des habitants de ce pays, aucun argument ni aucune analyse ne l’a démontré jusqu'à présent. Au contraire, même comparée à l’ensemble du monde, la distribution d’eau en Allemagne est de grande qualité et ses prix raisonnables.
En Allemagne, la production et la distribution d’eau potable, considérée denrée vitale, relèvent traditionnellement des compétences des services publics. L’Allemagne se place dans les premiers rangs mondiaux pour ce qui est de la qualité de l’eau potable et de l’étendue du territoire couvert par les réseaux d’approvisionnement. Les projets de l’OMC se heurtent à une opposition croissante dans l’opinion allemande. Personne ne ressent la nécessité d'un changement.
Les prestations de services dans le secteur vital de l’approvisionnement en eau potable doivent rester décentralisées, proches des citoyens et soumises à un contrôle démocratique. Il est à craindre que l’autonomie garantie aux communes par la Constitution soit vidée de sa substance par les visées restrictives de l’AGCS. Le Bundestag s’est prononcé contre la libéralisation de la distribution d’eau potable. La durabilité, qui est l’élément central de la « philosophie d'approvisionnement » (protection des ressources grâce à la protection des cours d’eau et des nappes phréatiques, consommation modérée), ne doit pas être remise en cause.
SERBIE-MONTÉNÉGRO
La fourniture d'eau pour l'industrie et les particuliers dans la province autonome de Voïvodine est assurée essentiellement par des services publics, qui gèrent 14 usines de traitement de l'eau. Toutefois, les installations existantes ne garantissent pas la qualité de l'eau potable. 15 pour cent seulement des capacités totales de traitement offrent une qualité satisfaisante ; cette situation est imputable à la grave pollution de la nappe phréatique et des eaux de surface. Dans 38 communes sur 45 la qualité de l'eau potable n'est pas conforme aux normes en vigueur.
Cela fait maintenant une dizaine d'années que la situation des infrastructures d'approvisionnement en eau et d'évacuation des eaux usées est caractérisée par une maintenance médiocre et des investissements insuffisants ; c'est pourquoi de nombreux réseaux d'adduction d'eau, en Voïvodine, sont incapables de fonctionner avec régularité ; la qualité médiocre de l'eau est devenue une préoccupation majeure pour l'ensemble du pays. La situation est encore pire dans les zones rurales, où la fourniture de services de base en matière d'adduction d’eau et d'évacuation des eaux usées laisse énormément à désirer.
Il convient d'observer que sur les 463 zones de peuplement existant en Voïvodine 44 seulement disposent, sous une forme ou sous une autre, d'un système d'évacuation des eaux usées. Environ 30 % de la population est raccordé à un système d'assainissement, et seules 14 zones de peuplement ont des installations de traitement des eaux usées, dont une faible proportion fonctionne de manière satisfaisante.
En coopération avec plusieurs organisations humanitaires, une vingtaine de projets ont été élaborés, pour lesquels un financement international a été sollicité ; ils concernent notamment la construction ou la reconstruction de systèmes d'adduction d'eau et de réseaux d'assainissement, d'installations de préparation de l'eau potable, ainsi que la résolution des problèmes liés aux eaux usées. On songe aussi à acheminer de l'eau des Carpates, qualitativement irréprochable, vers certains districts de la province ; mais cela implique des investissements considérables.
Une étude de faisabilité sera nécessaire pour évaluer un certain nombre de projets qui ont récemment vu le jour dans la province ; il s'agit, par exemple, de la construction d'un réseau régional qui permettrait d'acheminer l'eau vers le sud et le centre du Banat, à partir de la zone de Kovin-Dubovac, à proximité immédiate, qu'on pourrait exploiter par le forage de puits artésiens. Cette zone de puits serait réalimentée en partie par le fleuve et en partie par le réseau de couches aquifères. On estime que les réserves annuelles renouvelables de la nappe phréatique dans cette zone dépassent la capacité actuelle de presque toutes les structures d'adduction d'eau de Voïvodine.
Si l'on veut résumer l'évolution actuelle de l'approvisionnement en eau et des schémas de consommation dans la province et dans le pays, on peut dégager plusieurs caractéristiques importantes :
- Un développement progressif, mais intensif, de la construction d'infrastructures d'adduction d'eau ;
- Un développement non maîtrisé de l'industrie en termes de consommation d'eau ;
- Le non-respect des normes en matière de qualité de l'eau ;
- Des systèmes d'adduction techniquement défectueux et de qualité inférieure (déperdition comprise entre 30 et 60 %)
- Une manière non écologique d'aborder la gestion des ressources en eau ;
- Des tarifs de l'eau qui portent la marque de préoccupations sociales, plutôt qu'économiques (des prix bas favorisent une consommation excessive)
- Le caractère non rentable des activités commerciales des entreprises de services publics..
RÉSUMÉ
Indépendamment des structures existantes, l’évolution actuelle dans ces six pays montre que l’Etat, quelle que soit la forme que prenne son intervention, ne peut ni ne doit renoncer à la responsabilité qui est la sienne pour garantir la distribution d'une eau potable de qualité. Même les pays dans lesquels la libéralisation était plus avancée font machine arrière, de manière à redonner un droit de regard aux pouvoirs publics. Cela a une importance particulière pour les pays qui se trouvent depuis plusieurs années dans le cercle vicieux de sous-investissements, de faibles tarifs et des services inférieurs et qui sont maintenant engagés sur la voie des réformes démocratiques de grande échelle.
5. La libéralisation du marché de l'eau potable et la directive cadre de l'Union européenne
Divergence d’objectifs
A la suite des négociations de l'AGCS, l'UE souhaite aussi libéraliser le marché de l'eau potable. Compte tenu de la manière dont se déroule la libéralisation du marché de l'énergie (électricité et gaz), il est à prévoir que, dans le secteur de l'eau, la privatisation conduira aussi à une situation de monopole, si l'ouverture du marché ne s'accompagne pas de mesures de réglementation. A cet égard, les instructions et responsabilités issues de la directive 2000/60/CE ne vont pas dans le même sens que les objectifs éventuels de la libéralisation du marché de l'eau potable.
Une éventuelle libéralisation (= privatisation = monopolisation ?) du marché de l’eau serait en contradiction flagrante non seulement avec les principes qui ont jusque-là fondé la politique de l’UE dans le domaine de l’eau, mais aussi avec les objectifs essentiels du droit primaire européen. Le traité instituant la communauté européenne ne mise nullement sur le marché et la concurrence : il énonce à égalité des objectifs de politique publique, comme la protection de l’environnement et une responsabilité particulière pour les services d’intérêt économique général (articles 16, 86 II du Traité CE).
Directive cadre de l’UE dans le domaine de l’eau
En affirmant dans le préambule de cette directive que « l'eau n'est pas un bien marchand comme les autres mais un patrimoine qu'il faut protéger, défendre et traiter comme tel », l’Union européenne impose un calendrier serré à ses Etats membres pour
- coordonner les efforts des États membres visant à améliorer la protection des eaux en termes de qualité et de quantité,
- promouvoir l'utilisation écologiquement viable (économe) de l'eau,
- contribuer à la maîtrise des problèmes transfrontières concernant l'eau et
- sauvegarder et développer les utilisations potentielles des eaux.
Au sein de l’UE, la responsabilité de l’approvisionnement en eau potable en qualité et quantité suffisantes reste donc du ressort de l’Etat, qui peut, selon le modèle institutionnel en vigueur, le déléguer aux communes. Il en est de même pour les coûts générés par la réalisation de ces missions très contraignantes.
Projet de libéralisation
Les réglementations de l’AGCS affecteront plus ou moins durement les structures économiques du marché de l’eau dans les différents pays européens. Les gagnants seront manifestement les groupes français, qui dominent déjà le marché mondial et se sont soigneusement partagés leur marché national. Dans ces circonstances, on comprend mieux que le groupe Vivendi ait pris politiquement position pour imposer une nouvelle réglementation mondiale dont l’objectif est de supprimer les frontières commerciales dans le secteur des services. C’est l’un des très rares groupes multinationaux à être représenté dans les deux puissants groupes de pression (« US Coalition of Service Industries » et « European Forum on Services ») qui tentent de peser directement sur les négociations de l’AGCS. Dans le même temps, les grands opérateurs mondiaux français doivent se rendre à l’évidence : les profits qu’ils peuvent réaliser dans les pays en développement ne sont pas à la hauteur de leurs espérances premières.
Et comme ils se sont déjà partagés leur marché national, ils tentent à nouveau de s’attaquer à leurs voisins européens et à l’Amérique du Nord, où des législations nationales divergentes entravent malheureusement le libre accès au « marché de l’eau ». La solution réside donc dans les négociations de l’AGCS.
Bien que Bruxelles ait expressément déclaré, dans sa directive cadre de 2000, que « l’eau n’est pas un bien marchand comme les autres », il est à craindre que l’eau, ressource indispensable pour l'alimentation et l'hygiène corporelle, ne soit, à l’issue des négociations de l’AGCS, livrée aux lois du marché comme n’importe quelle marchandise.
Si les groupes français parviennent à faire valoir devant toutes les instances judiciaires que la protection des eaux ne relève pas des obligations d'une entreprise de distribution, il pourrait s'avérer difficile, au vu des réglementations de l’AGCS, d’amener les entreprises opérant en Allemagne (y compris les groupes français) à appliquer une gestion prévoyante des ressources en eau et à en assurer la protection en vertu du « principe de minimisation » (dans un objectif de durabilité).
Les objectifs de l’AGCS ne posent pas problème uniquement au sein de l'Union européenne. Les pays européens ont aussi, à titre individuel et conjointement, une responsabilité à assumer dans le développement des pays du Sud et des pays émergents. Le droit souverain et la responsabilité de chaque pays pour le contrôle du bien commun que constituent les ressources en eau douce présentes sur son territoire ne doivent pas être remis en cause : il appartient à chaque pays de décider de la manière dont ces ressources doivent être gérées et distribuées et de la réglementation à adopter pour les protéger. Le risque essentiel des négociations de l’AGCS est que cette marge de manœuvre se réduise massivement au profit des intérêts de groupes mondiaux.
6. Conclusions pour les collectivités locales
La garantie pour tous de l'accès durable à une eau potable propre est un des grands problèmes qui se posent aujourd'hui aux collectivités territoriales du monde entier. Si la quantité totale d'eau de la planète est considérable, la qualité et la disponibilité de l'eau douce posent un problème croissant dans de nombreuses parties du monde. Cette situation a essentiellement pour origine deux sortes de pressions. Les pressions quantitatives proviennent de la demande excessive (supérieure à l'offre) de la part des collectivités locales et du captage de cette ressource vitale qui dépasse de loin le taux naturel de reconstitution des réserves d'eau. Les pressions qualitatives viennent de la pollution croissante due à l'agriculture, à l'industrie, aux eaux résiduaires domestiques non traitées et aux eaux pluviales, dont une partie résulte des perturbations climatiques.
L'accès à l'eau et à l'assainissement est reconnu comme un des principaux défis du développement durable au 21e siècle, comme en témoignent plusieurs décisions prises lors de récents forums mondiaux. On ne peut pas séparer les objectifs de protection des ressources en eau et des écosystèmes de la planète, de protection de l'environnement dans son ensemble et d'amélioration des moyens d'existence. Dans ces conditions, la recherche de solutions de gestion durable de l'eau passe par la mise en commun des efforts de toutes les parties prenantes au niveau mondial, national, régional et local. Il convient toutefois de noter que certaines décisions relatives à la libéralisation de la prestation de service, qui font actuellement l'objet de négociations à l'Organisation mondiale du commerce, pourraient avoir des conséquences très importantes pour les activités des collectivités territoriales dans ce domaine.
En ce qui concerne la coopération avec les organisations internationales, il est essentiel que les collectivités locales s'efforcent :
a) de renforcer les partenariats dans le domaine de l'approvisionnement en eau et des autres questions liées à l'Agenda 21 local et à l'action locale 21;
b) de soutenir les objectifs de développement liés à l'approvisionnement en eau et à l'assainissement fixés dans la Déclaration du Millénaire des Nations Unies et dans la Déclaration et le Plan d'action du Sommet mondial sur le Développement durable de Johannesburg.
c) de faire reconnaître les collectivités locales comme une sphère de gouvernance d'une importance fondamentale pour la réussite du développement durable;
d) d'organiser des discussions sur l'impact de la libéralisation sur les services publics locaux, en vue de s'assurer du maintien des services publics d'intérêt général, notamment de l'approvisionnement en eau potable pour tous, et de l'intégration des facteurs sociaux et environnementaux dans la prise de décision publique.
L'eau n'est pas un bien marchand comme les autres mais un patrimoine qu'il faut protéger, défendre et traiter comme tel et l'approvisionnement en eau potable est un service public d'intérêt général, généralement assuré par les collectivités locales dans un grand nombre de pays européens.
Dans ces conditions, il est essentiel:
a) que l'accès à l'eau, et particulièrement à l'eau potable, soit considéré comme un droit fondamental de l'être humain. A ce titre, il relève incontestablement de la responsabilité des gouvernements, au niveau national aussi bien que local, de veiller à ce que chacun ait accès à ses besoins élémentaires en eau;
b) que l'on sensibilise l'opinion à la valeur et à la vulnérabilité des ressources en eau;
c) que la gestion durable intégrée des ressources en eau soit appliquée comme étant la meilleure méthode de gestion des ressources en eau de manière globale, efficace et durable;
d) que l'on attribue les pouvoirs de gestion de l'eau au niveau le plus décentralisé possible – principe de subsidiarité;
e) que la prévention de la pollution, la protection de l'environnement et des ressources en eau fassent partie intégrante de la gestion intégrée;
f) que l'exploitation et la gestion de l'eau se fondent sur le principe de la participation des usagers, des planificateurs, des décideurs et de toutes les parties prenantes concernées, et ce à tous les niveaux ;
g) que les diversités nationales, sociales et culturelles soient dûment prises en compte;
L'utilisation efficace de l'eau est essentielle et souvent une importante ‘source en soi’. L'amélioration de la gestion de l'eau est donc un outil puissant qui peut être utilisé par les particuliers, les collectivités et les ménages pour la protection de leur santé. L'absence de gestion des ressources en eau conduit à la surexploitation des eaux de surface et souterraines dans de nombreuses régions, ce qui dérègle les écosystèmes aquatiques et autres, la qualité et la quantité des ressources en eau et le milieu naturel dans son ensemble;
La recherche de l'efficacité explique la tendance des économistes et des décideurs à confier la responsabilité de la distribution d'eau à des sociétés privées. Toutefois, l'efficacité seule ne suffit pas à justifier de confier une ressource telle que l'eau potable à une entreprise extérieure, à moins que les sociétés privées soient prêtes à:
a) souscrire à l'obligation de service universel pour garantir que tous les besoins élémentaires soient satisfaits, de façon transparente, responsable et permanente;
b) démontrer que leur activité peut être socialement et environnementalement responsable en ce qui concerne cette ressource naturelle essentielle;
c) s'engager à long terme;
Il est évident qu'aucun secteur de la société ne peut à lui seul satisfaire les besoins élémentaires de l'être humain en matière d'eau et d'assainissement. Si la satisfaction de ces besoins relève avant tout de la responsabilité des gouvernements, ceux-ci peuvent s'appuyer sur les ressources techniques, administratives et financières du secteur privé pour les aider. Les sociétés privées, qui travaillent dans un cadre convenablement réglementé, transparent et qui sont tenues de rendre des comptes publics, peuvent être en mesure d'obtenir de meilleurs résultats que les entreprises publiques dont les résultats sont généralement médiocres. Mais dans le cas de l'approvisionnement en eau et des réseaux d'assainissement, en particulier, il appartient aux gouvernements de veiller à ce que les risques soient limités à la fois pour les investisseurs et pour les collectivités. Cela montre qu'il faut un nouveau partenariat public-privé, beaucoup plus complexe que les solutions simplistes avancées jusqu'ici – principalement par des groupes d'intérêt.
Le recouvrement des coûts par la facturation à l'utilisateur peut faire la différence entre des services continus et développés et des services qui ne fonctionnent pas correctement. Dans la plupart des pays et des collectivités, les pauvres sont prêts à payer eux-mêmes une part significative des coûts. En fait, plusieurs millions de personnes appartenant à des collectivités aux faibles revenus paient déjà plus cher l'eau qu'elles achètent à des sociétés privées que les collectivités plus riches paient l'eau courante subventionnée par des fonds publics. Mais ‘le recouvrement des coûts’ n'est pas la solution universelle. Il y aura toujours des personnes trop pauvres pour payer. Dans ce cas, il faudra des aides directes ou indirectes ciblées. Une politique des prix justes est souvent la clé du libre accès à l'eau propre à un coût raisonnable pour tous les utilisateurs. Le mode de facturation doit être adapté aux conditions culturelles et économiques locales, en particulier en ce qui concerne les groupes à faibles revenus;
Les politiques publiques relatives à l'eau sont plus efficaces lorsqu'elles ne cherchent pas à se charger de l'exécution mais à stimuler et à appuyer des initiatives à l'échelon de la collectivité. Les services d'eau et d'assainissement dont les populations se sentent responsables et dont elles profitent, ont plus de chances d'être bien utilisés et bien gérés. Dans ce contexte, les collectivités locales ont un rôle important à jouer dans le domaine de:
a) la promotion de capacités accrues en matière de services d'eau dans les ménages privés, les édifices publics et les industries;
b) la prévention de la pollution en évitant l'utilisation de substances dangereuses;
c) la protection des ressources en eaux de surface et souterraines et des bassins versants;
Les collectivités locales sont la plate-forme de lancement des efforts d'approvisionnement durable en eau. Mais elles ne peuvent pas tout faire. Les collectivités locales doivent se charger de fixer les prix et de collecter les recettes, de négocier avec les entreprises et de les réglementer, d'assurer l'élimination des eaux usées, de protéger les ressources en eaux souterraines, de collaborer avec les associations communautaires et les ONG, et de concilier les demandes contradictoires afin d'éviter la pollution des ressources en eau.
La réussite des solutions de gestion durable de l'eau repose sur une grande variété d'autres facteurs, dont l'existence d'une législation appropriée, de structures financières, d'équipement technique et d'expertise opérationnelle. La possibilité de recourir à des programmes de financement nationaux et internationaux et la participation d'organisations non gouvernementales et du secteur privé peuvent jouer un rôle important dans l'amélioration de la gestion de l'eau.
En Europe, les collectivités locales ont des responsabilités communes en matière d'approvisionnement en eau, d'élimination des eaux usées et de protection des eaux de surface et des eaux souterraines. Dans l'Union européenne, cette responsabilité commune prend de plus en plus d'importance avec la directive de l'Union européenne établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau.
Il importe à cet égard de souligner que :
a) le rôle du gouvernement devient encore plus important, en particulier en ce qui concerne l'élaboration et la mise en œuvre d'un cadre juridique solide qui protège convenablement les intérêts publics, en tenant compte de l'ouverture et de la transparence;
b) la décentralisation et la délégation des pouvoirs doivent intervenir dans un cadre législatif définissant clairement les rôles et les responsabilités des collectivités locales en matière d'approvisionnement en eau;
c) les gouvernements nationaux devraient s'employer avec les collectivités locales à renforcer les capacités, les compétences et les ressources des collectivités territoriales pour répondre au défi que pose l'accès à l'eau potable pour tous.
Il est essentiel de faire participer toutes les parties prenantes afin de s'assurer que les ressources en eau sont exploitées et gérées de manière efficace et durable. Le renforcement des capacités, l'éducation et le développement des compétences sont des éléments déterminants pour atteindre ces objectifs. Mais pour être couronnées de succès, les solutions modernes en matière de gestion doivent aussi faire appel à la participation qui ouvre la voie à un large soutien du public. Les efforts de sensibilisation et l'instauration d'un dialogue permanent avec toutes les parties prenantes seront très utiles.