Rapporteur :
M. Llibert CUATRECASAS (Espagne, R), Past-President du Congrès
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EXPOSE DES MOTIFS
I. La reconnaissance d’un patrimoine, l’exercice d’une responsabilité
1. Le Congrès doit tout d’abord féliciter l’Assemblée parlementaire et sa Commission politique pour son initiative visant la mise en valeur des connaissances et de l’expérience du Conseil de l’Europe dans le domaine électoral par la constitution, au niveau européen, d’une instance de réflexion permanente et l’adoption d’un texte juridique de référence.
2. Cette initiative représente un pas important et nécessaire car elle permet la reconnaissance officielle du travail accompli par le Conseil de l’Europe aux cours de la dernière décennie dans l’un de ses domaines d’excellence1. L’initiative de l’Assemblée permet aussi l’exercice d’une responsabilité institutionnelle par l’Organisation, dans une Europe toujours à la recherche d’organismes reconnus et de références juridiques capables de répondre de façon efficace et rapide à ses évolutions incessantes.
3. Le travail accompli se réfère notamment aux efforts des innombrables délégations d’observateurs que l’Assemblée et le Congrès ont dépêché, dés le début des années 1990, dans les pays européens organisant pour la première fois des élections démocratiques ou organisant des élections dans un climat ne garantissant pas le respect des garanties minimales en ce qui concerne la légitimité du processus électoral.
4. La présence des observateurs de l’Assemblée et du Congrès, armés de bonne volonté, mais surtout d’humilité et d’esprit constructif, lors de referenda et d’élections présidentielles, législatives, régionales ou locales, a permis la communication de la confiance nécessaire aux électeurs et aux candidats concernés, et ce, dans un cadre de reconnaissance et de respect mutuels.
5. Ce travail s’est certes inspiré de valeurs communes émanant de notre Organisation ; toutefois, afin d’atteindre pleinement les objectifs recherchés, sur le terrain, il a dû se fonder notamment sur la bonne volonté et l’expérience propre à chaque observateur. De ce point de vue, l’Assemblée et le Congrès regrettent que ces valeurs et expériences n’aient jamais pu se baser sur des règles uniformes, clairement établies au niveau européen.
6. Malgré les difficultés dérivant de cette lacune, l’équilibre et la compétence des observateurs ont permis au Conseil de l’Europe de s’exprimer sur la validité des différents processus électoraux avec la nécessaire autorité. Cependant, au-delà de ces résultats positifs, il reste que les critères et les règles en matière électorale au niveau européen présentent un caractère fort fragmentaire. Il n’existe aucun texte formel réunissant les règles de base relatives à la conduite d’élections ni d’organe permanent européen de contrôle électoral.
7. L’initiative de l’Assemblée parlementaire représente également l’exercice d’un acte de responsabilité institutionnelle. Responsabilité vis-à-vis des citoyens d’une Europe élargie, confiants dans le progrès de la démocratie mais également soucieux de voir ces progrès traduits dans des textes juridiques équilibrés, respectés par tous et applicables à tous, en tenant compte des diversités qui composent les communautés locales, régionales et nationales de notre continent.
8. L’adoption par l’Assemblée de la Résolution 1264 (2001) sur le Code de bonne conduite en matière électorale2 a pleinement répondu à ces préoccupations. Sur la base des recommandations contenues dans cette résolution, en novembre dernier, un Conseil des élections démocratiques a finalement été mis en place au sein de la Commission de la démocratie par le droit (Commission de Venise). Ce conseil a permis d’officialiser la coopération déjà existante entre les organes du Conseil de l’Europe concernés par les questions électorales, en renforçant le caractère complémentaire de leurs initiatives spécifiques.
9. Réunissant des membres de la Commission de Venise, de l’Assemblée et du Congrès3, cette nouvelle instance européenne a débuté ses activités en mars 20024. En octobre de la même année, conformément aux souhaits de l’Assemblée, le Conseil des élections démocratiques a présenté un projet de Code de bonne conduite en matière électorale. Ce texte, qui figure en annexe de ce rapport, a finalement été adopté par la Commission de Venise5. Etant donné la complexité des questions traitées, cette dernière doit être félicitée pour avoir su répondre aux propositions de l’Assemblée de façon aussi rapide et efficace.
10. Les bases nécessaires à la constitution, au sein de notre Organisation, d’une instance de réflexion permanente et à l’adoption d’un texte juridique de référence dans le domaine des élections ont été jetées. L’on peut donc se féliciter du fait que l’arsenal institutionnel et juridique de notre Organisation dans l’un des domaines essentiels de la vie démocratique ait été finalement mis en chantier. Ce travail doit maintenant se poursuivre.
2. Le texte du Code de bonne conduite en matière électorale
11. Le Code de bonne conduite en matière électorale s’inspire des lignes directrices du rapport ayant servi de base à la Résolution de l’Assemblée6 ainsi que des travaux menés par la Commission de Venise dans le domaine électoral7. Son objet principal est d’harmoniser les normes en matière d’organisation et d’observation des élections. Il examine plus précisément les procédures et les conditions dans lesquelles le processus électoral doit être organisé.
12. L’objectif du Code est donc de donner des indications aux Etats membres du Conseil de l’Europe afin que les principes constitutionnels du droit électoral soient respectés par tous, selon des règles uniformes. Son approche est générale, laissant une certaine marge aux Etats pour que puissent être prises en considération leurs traditions et leurs situations particulières. Les modalités de déroulement des élections dépendent, en effet, en partie des traditions politiques et culturelles ainsi que du droit positif de chaque pays.
13. Dans l’élaboration du Code, le Conseil des élections démocratiques a tenu compte des activités en matière électorale d’un certain nombre d’organisations internationales [Union Européenne (Commission, Parlement), Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme (BIDDH ) de l’OSCE, Association des instances électorales officielles de l’Europe centrale et orientale (ACEEEO)].
14. Le Code est composé de lignes directrices, son noyau dur, et d’un rapport explicatif. Dans la première partie, les lignes directrices définissent les principes du patrimoine électoral européen, basés sur les principes constitutionnels du droit électoral. Le chapitre consacré au suffrage universel analyse les règles et les exceptions pouvant ou devant être prévues en la matière, il examine les conditions permettant à la fois l’établissement de listes électorales fiables et la présentation des candidatures sans obstacle indu.
15. Le chapitre relatif au suffrage égal précise que celui-ci doit comprendre l’égalité de décompte, l’égalité de la force électorale et l’égalité des chances et il contient des sous-chapitres sur les minorités nationales et l’égalité des sexes. Un troisième chapitre sur le suffrage libre examine plus précisément la libre formation et la libre expression de la volonté de l’électeur ainsi que la lutte contre la fraude électorale. Les chapitres suivants décrivent le suffrage secret, le suffrage direct et la périodicité des élections.
16. La seconde partie des lignes directrices examine les conditions-cadre d’un Etat, fondées sur la primauté du droit, devant être respectées en vue d’organiser des élections véritablement démocratiques. Ainsi, cette partie analyse successivement les conditions de la mise en œuvre de ces principes tels que le respect des droits fondamentaux, la stabilité du droit électoral, les garanties procédurales effectives, qui supposent l’organisation du scrutin par un organe impartial, des règles strictes en matière d’observation des élections et l’existence d’un système de recours efficace.
17. Le rapport explicatif développe les principes énoncés dans les lignes directrices. Il définit et précise ceux-ci, en intégrant des recommandations sur des points particuliers. Il comprend également deux parties, consacrées respectivement à la définition et aux conditions de mise en œuvre des principes du patrimoine électoral européen.
3. Un travail qui doit se poursuivre
18. Par sa Résolution 1264, l’Assemblée parlementaire a indiqué des activités complémentaires à celles déjà décrites dans les chapitres 1 et 2 de ce rapport. Ces activités consistent notamment en la mise en place, toujours au sein du Conseil de l’Europe, d’une base des données réunissant les principes du patrimoine électoral européen. Cette base devra intégrer la législation électorale des Etats membres. Des liens pourront être établis avec les documents de la Commission de Venise et les rapports relatifs à l’observation des élections élaborés par l’Assemblée et le Congrès ainsi que les autres bases de données existant en Europe dans ce domaine. La base des données devrait contenir également des références aux rapports établis par les organismes concernés du Conseil de l’Europe se référant à des problèmes spécifiques liés au processus électoral. A cet égard, le récent rapport du Congrès sur le droit de vote individuel des femmes: une exigence démocratique8 représente un exemple significatif.
19. De façon parallèle, compte tenu des souhaits exprimés par l’Assemblée, le Conseil pour les élections démocratiques pourrait être chargé d’élaborer un Questionnaire reprenant de façon appropriée les principes généraux du Code. Ce questionnaire, qui serait traité informatiquement, serait consacré à la fois au déroulement du scrutin mais également aux périodes précédentes et successives au scrutin. Il permettrait aux délégations d’observateurs d’avoir une meilleure appréciation d’ensemble du processus électoral. Toutes ces informations, finalement réunies dans le cadre de la base de données, pourraient faire l’objet d’échanges avec les autres organismes internationaux opérant dans ce secteur.
4. Conclusions
20. Au-delà de ces initiatives complémentaires, de concert avec l’Assemblée parlementaire, le Congrès devrait s’assurer que les résultats obtenus par la constitution du Conseil des élections démocratiques et l’adoption du Code de bonne conduite en matière électorale puissent être confirmés par des initiatives appropriées au niveau du Comité des Ministres, de l’Assemblée parlementaire, de la Commission de Venise et du Congrès.
21. Dans cette perspective, le Congrès devrait inviter la Commission de Venise à pérenniser les activités du Conseil des élections démocratiques. La composition tripartite de cet organisme (Commission de Venise, Assemblée parlementaire, Congrès des pouvoirs locaux et régionaux) devrait être maintenue. Concernant le Congrès, il serait important qu’il puisse continuer à être représenté dans ce conseil par un membre de la Chambre des pouvoirs locaux et un membre de la Chambre des régions.
22. Comme déjà mis en évidence, les compétences du Conseil devraient être élargies aux domaines suivants :
a) établissement de la base de données,
b) préparation d’un modèle de questionnaire, traité informatiquement, reprenant de façon appropriée les principes du Code de bonne conduite,
c) élaboration d’avis en matière électorale en coordination avec l’Assemblée et le Congrès.
23. En ce qui concerne le Code de bonne conduite en matière électorale, il est proposé de diffuser ce texte à tous les membres du Congrès par un courrier du président afin qu’il puisse d’ores et déjà servir de référence dans le cadre de la future tenue d’élections à l’échelon local et régional.
24. Le Comité des Ministres devrait être invité à adopter le code sous forme de convention européenne en tenant compte, le cas échéant, des initiatives d’autres organismes internationaux actifs dans ce domaine. Le groupe d’experts éventuellement chargé d’élaborer un premier projet de convention, devrait inclure, en tant qu’observateurs, des membres de l’Assemblée parlementaire, de la Commission de Venise et du Congrès.
Strasbourg, le 30 octobre 2002
CDL-AD (2002) 23 Or. fr.
Avis n° 190/2002
COMMISSION EUROPEENNE POUR LA DEMOCRATIE PAR LE DROIT
(COMMISSION DE VENISE)
CODE DE BONNE CONDUITE EN MATIERE ELECTORALE
LIGNES DIRECTRICES ET RAPPORT EXPLICATIF
adoptés par la Commission de Venise lors de ses 51e et 52e sessions
(Venise, 5-6 juillet et 18-19 octobre 2002)
Introduction
Le 8 novembre 2001, la Commission permanente de l’Assemblée parlementaire, agissant au nom de l’Assemblée, a adopté la résolution 1264 (2001), par laquelle elle a invité la Commission de Venise9 :
i. à créer en son sein un groupe de travail auquel participeraient des représentants de l’Assemblée parlementaire, du CPLRE et, éventuellement, d’autres organisations ayant une expérience en la matière, dans le but de réfléchir de façon régulière aux questions électorales ;
ii. à élaborer un code de bonne conduite en matière électorale, qui pourrait, entre autres, s’inspirer des lignes directrices qui se trouvent dans l’annexe à l’exposé des motifs du rapport ayant servi de base à la présente résolution (Doc. 9267), étant entendu qu’un tel code devrait comprendre des règles couvrant à la fois les périodes préélectorale et électorale, et la période qui suit immédiatement le vote ;
iii. à recenser, dans la mesure de ses moyens, les principes du patrimoine électoral européen en coordonnant, systématisant et développant les observations et les activités en cours et en projet. A moyen terme, les données collectées concernant les élections en Europe devraient être réunies dans une base de données, analysées et diffusées par une unité spécialisée.
Les lignes directrices qui suivent concrétisent les trois aspects de cette résolution. Elles ont été adoptées par le Conseil des élections démocratiques – groupe de travail conjoint prévu par la résolution de l’Assemblée parlementaire – lors de sa 2e réunion (3 juillet 2002), puis par la Commission de Venise lors de sa 51e session (5-6 juillet 2002) ; elles sont basées sur les principes du patrimoine électoral européen ; enfin et surtout, elles constituent le noyau du code de bonne conduite en matière électorale.
Le rapport explicatif développe les principes énoncés dans les lignes directrices. Il définit et précise ceux-ci, en intégrant au besoin des recommandations sur des points de détail. Il a été adopté par le Conseil des élections démocratiques lors de sa 3e réunion (16 octobre 2002), puis par la Commission de Venise lors de sa 52e session (18-19 octobre 2002).
Comme demandé dans la résolution de l’Assemblée parlementaire, le présent document s’inspire des lignes directrices qui se trouvent dans l’annexe à l’exposé des motifs du rapport ayant servi de base à la résolution de l’Assemblée (Doc. 9267). Il s’inspire aussi des travaux menés par la Commission de Venise dans le domaine électoral, tels que résumés dans le document CDL (2002) 7.
LIGNES DIRECTRICES
adoptées par la Commission lors de sa 51e session plénière
(Venise, 5-6 juillet 2002)
I. Les principes du patrimoine électoral européen
Les cinq principes du patrimoine électoral européen sont le suffrage universel, égal, libre, secret et direct. En outre, les élections doivent être périodiques.
1. Le suffrage universel
1.1. Règle et exceptions
Le suffrage universel implique en principe que tout être humain ait le droit de vote et soit éligible. Toutefois, un certain nombre de conditions peuvent ou doivent être prévues :
a. condition d’âge :
i. la capacité civique doit être soumise à un âge minimal ;
ii. le droit de vote doit être acquis au plus tard avec la majorité civile ;
iii. l’éligibilité devrait de préférence être acquise au même âge que le droit de vote, mais au plus tard à 25 ans, sous réserve de fonctions particulières (sénateur, chef de l’Etat).
b. condition de nationalité :
i. la condition de nationalité peut être prévue ;
ii. il est toutefois souhaitable que, après une certaine durée de résidence, les étrangers disposent du droit de vote sur le plan local.
c. condition de résidence :
i. une condition de résidence peut être imposée ;
ii. la résidence est comprise comme la résidence habituelle ;
iii. une condition de durée de résidence ne peut être imposée, pour les nationaux, que pour les élections locales ou régionales ;
iv. cette durée ne devrait pas dépasser six mois; une durée plus longue peut être prévue uniquement en vue d’assurer la protection des minorités nationales ;
v. le droit de vote et d’éligibilité peut être accordé aux citoyens résidant à l’étranger.
d. exclusion du droit de vote et de l’éligibilité :
i. une exclusion du droit de vote et de l’éligibilité peut être prévue, mais elle est soumise aux conditions cumulatives suivantes :
ii. elle doit être prévue par la loi ;
iii. elle doit respecter le principe de la proportionnalité ; l’exclusion de l’éligibilité peut être soumise à des conditions moins sévères que celle du droit de vote ;
iv. elle doit être motivée par une interdiction pour motifs liés à la santé mentale ou des condamnations pénales pour des délits graves ;
v. en outre, l’exclusion des droits politiques ou l’interdiction pour motifs liés à la santé mentale doivent être prononcées par un tribunal dans une décision spécifique.
1.2. Les listes électorales
Les conditions suivantes doivent impérativement être remplies pour que les listes électorales soient fiables :
i. il faut des listes électorales permanentes ;
ii. il faut des mises à jour régulières, qui doivent être au moins annuelles. L’inscription des électeurs, lorsqu’elle n’est pas automatique, doit être possible pendant un laps de temps relativement long ;
iii. les listes électorales doivent être publiées ;
iv. il doit exister une procédure administrative – sujette à contrôle judiciaire –, ou une procédure judiciaire, permettant à l’électeur non mentionné de se faire inscrire ; l’inscription ne doit pas avoir lieu au bureau de vote le jour de l’élection ;
v. une procédure analogue devrait permettre à l’électeur de faire corriger les inscriptions erronées ;
vi. une liste supplémentaire peut permettre aux personnes ayant changé de domicile ou ayant atteint l’âge légal du droit de vote depuis la publication définitive de la liste, de voter.
1.3. La présentation des candidatures
i. la présentation de candidatures individuelles ou de listes de candidats peut être soumise à l’obtention d’un certain nombre de signatures ;
ii. la loi ne devrait pas exiger la signature de plus de 1 % des électeurs de la circonscription ;
iii. la procédure de vérification des signatures doit obéir à des règles claires, notamment en ce qui concerne les délais ;
iv. la vérification doit porter en principe sur l’ensemble des signatures ; toutefois, lorsqu’il est certain qu’un nombre suffisant de signatures a été atteint, il peut être renoncé à la vérification des signatures restantes ;
v. la validation des candidatures doit être terminée au début de la campagne électorale ;
vi. si une caution est demandée, elle doit être remboursée si le candidat ou le parti dépasse un certain nombre de suffrages ; son montant et le nombre de suffrages requis pour le remboursement ne doivent pas être excessifs.
2. Le suffrage égal
Le suffrage égal comprend :
2.1. L’égalité de décompte : chaque électeur a normalement une voix ; dans le cas où le système électoral accorde aux électeurs plus d’une voix, chaque électeur a le même nombre de voix.
2.2. L’égalité de la force électorale : les sièges doivent être répartis de manière égale entre les circonscriptions ;
L’égalité de la force électorale :
i. doit s’appliquer en tout cas aux premières chambres, aux élections régionales et locales ;
ii. implique une répartition égale et claire des sièges selon l’un des critères de répartition suivants : population, nombre de résidents ressortissants (y compris les mineurs), nombre d’électeurs inscrits, éventuellement nombre de votants ; une combinaison appropriée de ces critères de répartition est envisageable.
iii. Le critère géographique et les délimitations administratives voire historiques peuvent être pris en considération.
iv. L’écart maximal admissible par rapport à la clé de répartition ne devrait pas dépasser 10 %, et en tout cas pas 15 %, sauf circonstance spéciale (protection d’une minorité concentrée, entité administrative à faible densité de population) ;
v. Afin d’assurer l’égalité de la force électorale, une nouvelle répartition des sièges doit avoir lieu au moins tous les dix ans et de préférence hors des périodes électorales.
vi. En présence de circonscriptions plurinominales, la nouvelle répartition se fera de préférence sans redécoupage des circonscriptions, et les circonscriptions correspondront si possible à des entités administratives.
vii. Lorsqu’un nouveau découpage est prévu – ce qui s’impose dans un système uninominal –, il doit :
- ne pas être partisan ;
- ne pas défavoriser les minorités nationales ;
- tenir compte d’un avis exprimé par une commission, comprenant en majorité des membres indépendants, et de préférence un géographe, un sociologue, une représentation équilibrée des partis et, le cas échéant, des représentants des minorités nationales.
2.3. L’égalité des chances
aa. L’égalité des chances doit être assurée entre les partis et les candidats. Elle implique la neutralité des autorités publiques, en particulier relativement :
i. à la campagne électorale ;
ii. à la couverture par les médias, notamment les médias publics ;
iii. au financement public des partis et campagnes.
bb. Selon les matières, l’égalité peut être stricte ou proportionnelle. Si elle est stricte, les partis politiques sont traités sans que leur importance actuelle au sein du parlement ou de l’électorat ne soit prise en compte. Si elle est proportionnelle, les partis politiques doivent être traités en fonction de leurs résultats électoraux. L’égalité des chances porte notamment sur le temps de parole à la radio et à la télévision, les subventions publiques et les autres formes de soutien.
cc. Dans le respect de la liberté d’expression, la loi devrait prévoir que les médias audiovisuels privés assurent un accès minimal aux différents participants aux élections, en matière de campagne électorale et de publicité.
dd. Le financement des partis, des candidats et des campagnes électorales doit être transparent.
ee. Le principe de l’égalité des chances peut, dans certains cas, conduire à limiter les dépenses des partis, notamment dans le domaine de la publicité.
2.4. Egalité et minorités nationales
aa. Les partis de minorités nationales doivent être autorisés.
bb. N’est pas contraire, en principe, à l’égalité du suffrage l’adoption de règles spécifiques garantissant aux minorités nationales des sièges réservés ou prévoyant une exception aux règles normales d’attribution des sièges (par exemple suppression du quorum) pour les partis de minorités nationales.
cc. Les candidats et les électeurs ne doivent pas être contraints d’indiquer leur appartenance à une minorité nationale.
2.5. Egalité et parité des sexes
Les règles juridiques imposant un pourcentage minimal de personnes de chaque sexe parmi les candidats ne devraient pas être considérées comme contraires à l’égalité du suffrage, si elles ont une base constitutionnelle.
3. Le suffrage libre
3.1. La libre formation de la volonté de l’électeur
a. Les autorités publiques ont un devoir de neutralité. Celui-ci porte notamment sur :
i. les médias ;
ii. l’affichage ;
iii. le droit de manifester sur la voie publique ;
iv. le financement des partis et des candidats.
b. Les autorités publiques ont des obligations positives et doivent notamment :
i. soumettre les candidatures déposées aux électeurs ;
ii. permettre à l’électeur de connaître les listes et les candidats qui se présentent aux élections, par exemple par un affichage adéquat.
iii. L’information mentionnée aux points précédents doit être accessible aussi dans les langues des minorités nationales.
c. Les violations du devoir de neutralité et de la libre formation de la volonté de l’électeur doivent être sanctionnées.
3.2. La libre expression de la volonté de l’électeur et la lutte contre la fraude électorale
i. la procédure de vote doit être simple ;
ii. dans tous les cas, le vote dans un bureau de vote doit être possible ; d’autres modalités de vote sont admissibles aux conditions suivantes :
iii. le vote par correspondance ne doit être admis que si le service postal est sûr et fiable ; il peut être limité aux personnes hospitalisées, aux détenus, aux personnes à mobilité réduite et aux électeurs résidant à l’étranger ; la fraude et l’intimidation ne doivent pas être possibles ;
iv. le vote électronique ne doit être admis que s’il est sûr et fiable ; en particulier, l’électeur doit pouvoir obtenir confirmation de son vote et le corriger, si nécessaire, dans le respect du secret du vote; la transparence du système doit être garantie ;
v. le vote par procuration ne peut être autorisé que s’il est soumis à des règles très strictes ; le nombre de procurations détenues par un électeur doit être limité ;
vi. le recours à l’urne mobile ne doit être admis qu’à des conditions strictes, permettant d’éviter la fraude ;
vii. deux paramètres au moins doivent être utilisés pour juger de la justesse du vote : le nombre d’électeurs qui ont participé au vote et le nombre de bulletins introduits dans l’urne ;
viii. les bulletins ne doivent pas être manipulés ou annotés par les membres du bureau de vote ;
ix. les bulletins non utilisés doivent rester en permanence dans le bureau de vote ;
x. le bureau de vote doit compter des membres représentant plusieurs partis et les observateurs désignés par les candidats doivent pouvoir assister aux élections ;
xi. les militaires doivent voter à leur lieu de résidence lorsque cela est possible ; sinon, il est souhaitable qu’ils soient inscrits dans les bureaux de vote proches de leur caserne ;
xii. le décompte devrait avoir lieu de préférence dans les bureaux de vote ;
xiii. le décompte doit être transparent ; la présence des observateurs, des représentants des candidats et des médias doit être admise ; les procès-verbaux doivent être accessibles à ces personnes ;
xiv. la transmission des résultats au niveau supérieur doit avoir lieu de manière transparente ;
xv. l’Etat doit punir toute fraude électorale.
4. Le suffrage secret
a. Le secret du vote est non seulement un droit, mais aussi une obligation pour l’électeur, qui doit être sanctionnée par la nullité des bulletins dont le contenu a été révélé.
b. Le vote doit être individuel. Le vote familial et toute autre forme de contrôle d’un électeur sur le vote d’un autre doivent être interdits.
c. La liste des votants ne devrait pas être rendue publique.
d. La violation du secret du vote doit être sanctionnée.
5. Le suffrage direct
Doivent être élus au suffrage direct :
i. au moins une Chambre du Parlement national ;
ii. les organes législatifs infra-nationaux ;
iii. les assemblées locales.
6. La périodicité des élections
Les élections doivent avoir un caractère périodique ; le mandat des assemblées législatives ne doit pas dépasser cinq ans.
II. Les conditions de la mise en œuvre des principes
1. Le respect des droits fondamentaux
a. Les élections démocratiques ne sont pas possibles sans respect des droits de l’homme, et notamment de la liberté d’expression et de la presse, de la liberté de circulation à l’intérieur du pays, ainsi que de la liberté de réunion et d’association à des fins politiques, y compris par la création de partis politiques.
b. Les restrictions à ces libertés doivent respecter les principes de la base légale, de l’intérêt public et de la proportionnalité.
2. Niveaux normatifs et stabilité du droit électoral
a. A l’exception des règles techniques et de détail – qui peuvent avoir un caractère réglementaire –, les règles du droit électoral doivent avoir au moins rang législatif.
b. Les éléments fondamentaux du droit électoral, et en particulier le système électoral proprement dit, la composition des commissions électorales et le découpage des circonscriptions ne devraient pas pouvoir être modifiés moins d’un an avant une élection, ou devraient être traités au niveau constitutionnel ou à un niveau supérieur à celui de la loi ordinaire.
3. Les garanties procédurales
3.1. L’organisation du scrutin par un organe impartial
a. Un organe impartial doit être compétent pour l’application du droit électoral.
b. En l’absence d’une longue tradition d’indépendance de l’administration face au pouvoir politique, des commissions électorales indépendantes et impartiales doivent être créées, du niveau national au niveau du bureau de vote.
c. La Commission électorale centrale doit être permanente.
d. La Commission électorale centrale devrait comprendre :
i. au moins un magistrat ;
ii. des délégués des partis déjà représentés au parlement ou ayant obtenu au moins un certain nombre de suffrages ; ces personnes doivent avoir des compétences en matière électorale.
Elle peut comprendre :
iii. un représentant du ministère de l’Intérieur ;
iv. des représentants des minorités nationales.
e. Les partis politiques doivent être représentés de manière égale dans les commissions électorales ou doivent pouvoir observer le travail de l’organe impartial. L’égalité peut se comprendre de manière stricte ou proportionnelle (voir point I.2.c.bb).
f. Les membres des commissions électorales ne doivent pas pouvoir être révoqués par les organes qui les ont nommés.
g. Une formation standardisée doit être assurée aux membres des commissions électorales.
h. Il est souhaitable que les décisions des commissions électorales se prennent à la majorité qualifiée ou par consensus.
3.2. L’observation des élections
a. La possibilité de participer à l’observation doit être la plus large possible, en ce qui concerne aussi bien les observateurs nationaux que les observateurs internationaux.
b. L’observation ne doit pas se limiter au jour de l’élection, mais comprendre la période d’enregistrement des candidats et, le cas échéant, des électeurs, ainsi que la campagne électorale. Elle doit permettre d’établir si des irrégularités se sont produites aussi bien avant l’élection que pendant celle-ci et après celle-ci. Elle doit en particulier être possible pendant le dépouillement.
c. La loi doit indiquer très clairement les lieux où les observateurs ne peuvent pas se rendre.
d. L’observation doit porter sur le respect par les autorités de leur obligation de neutralité.
3.3. L’existence d’un système de recours efficace
a. L’instance de recours en matière électorale doit être soit une commission électorale, soit un tribunal. Un recours devant le Parlement peut être prévu en première instance en ce qui concerne les élections du Parlement. Dans tous les cas, un recours devant un tribunal doit être possible en dernière instance.
b. La procédure doit être simple et dénuée de formalisme, en particulier en ce qui concerne la recevabilité des recours.
c. Les dispositions en matière de recours, et notamment de compétences et de responsabilités des diverses instances, doivent être clairement réglées par la loi, afin d’éviter tout conflit de compétences positif ou négatif. Ni les requérants, ni les autorités ne doivent pouvoir choisir l’instance de recours.
d. L’instance de recours doit être compétente notamment en ce qui concerne le droit de vote – y compris les listes électorales – et l’éligibilité, la validité des candidatures, le respect des règles de la campagne électorale et le résultat du scrutin.
e. L’instance de recours doit pouvoir annuler le scrutin si une irrégularité a pu influencer le résultat. L’annulation doit être possible aussi bien pour l’ensemble de l’élection qu’au niveau d’une circonscription ou au niveau d’un bureau de vote. En cas d’annulation, un nouveau scrutin a lieu sur le territoire où l’élection a été annulée.
f. Tout candidat et tout électeur de la circonscription ont qualité pour recourir. Un quorum raisonnable peut être imposé pour les recours des électeurs relatifs aux résultats des élections.
g. Les délais de recours et les délais pour prendre une décision sur recours doivent être courts (trois à cinq jours en première instance).
h. Le droit des requérants au contradictoire doit être sauvegardé.
i. Lorsque les commissions électorales supérieures sont instances de recours, elles doivent pouvoir rectifier ou annuler d’office les décisions des commissions inférieures.
4. Le système électoral
Le choix du système électoral est libre, sous réserve du respect des principes mentionnés ci-dessus.
adopté par la Commission lors de sa 52e session plénière (Venise, 18-19 octobre 2002)
Remarques générales
1. La démocratie est, avec les droits de l’homme et la primauté du droit, l’un des trois piliers du patrimoine constitutionnel européen, aussi bien que du Conseil de l’Europe. Elle ne se conçoit pas sans des élections respectant un certain nombre de principes permettant de les considérer comme démocratiques.
2. Ces principes constituent un aspect spécifique du patrimoine constitutionnel européen, qu’il est légitime de dénommer patrimoine électoral européen. Le patrimoine électoral européen comprend deux aspects. D’une part, il s’agit du noyau dur du patrimoine électoral européen, à savoir les principes constitutionnels du droit électoral, tels que le suffrage universel, égal, libre, secret et direct. D’autre part, des élections véritablement démocratiques ne peuvent se tenir sans que soit respecté un certain nombre de conditions-cadres d’un Etat démocratique fondé sur la primauté du droit, telles que les droits fondamentaux, la stabilité du droit électoral et des garanties procédurales effectives. Le texte qui suit – tout comme les lignes directrices qui précèdent – comprend dès lors deux parties, consacrées à la définition et aux implications concrètes des principes du patrimoine électoral européen, respectivement aux conditions de leur mise en œuvre.
I. Les principes du patrimoine électoral européen
Introduction : les principes et leur fondement juridique
3. Les élections conformes aux principes communs du patrimoine constitutionnel européen, qui sont le fondement d’une société véritablement démocratique, impliquent le respect des règles fondamentales suivantes : le suffrage doit être universel, égal, libre, secret et direct. En outre, les élections doivent être périodiques. L’ensemble de ces principes constitue le patrimoine électoral européen.
4. Bien que ces principes présentent un caractère classique, leur mise en œuvre pose bon nombre de questions qui imposent de les examiner attentivement. Il convient d’en identifier le noyau dur, dont les Etats européens ne devraient pas s’écarter.
5. Le noyau dur du patrimoine électoral européen est constitué avant tout de normes internationales. Au niveau universel, il s’agit de l’article 25 let. b du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui prévoit expressément l’ensemble des principes, sauf le suffrage direct qui en résulte implicitement10. Au niveau européen, la norme commune est l’article 3 du Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme, qui proclame expressément le droit à des élections périodiques au suffrage libre et secret11 ; les autres principes ont été reconnus comme en découlant par la jurisprudence12. Le droit aux élections directes a également été admis par la Cour de Strasbourg, du moins de manière implicite13 . Les principes constitutionnels communs au continent ne figurent cependant pas seulement dans les textes internationaux, mais sont au contraire souvent mentionnés de manière plus détaillée dans les Constitutions nationales14. L’existence de législations et pratiques nationales convergentes permet d’en déterminer plus précisément le contenu.
1. Le suffrage universel
1.1. Règle et exceptions
6. Le suffrage universel comprend à la fois la capacité civique active (droit de vote), et la capacité civique passive (éligibilité). Le droit de vote et l’éligibilité peuvent être soumis à un certain nombre de conditions qui sont énumérées ci-dessous de manière limitative. Les plus classiques sont les conditions d’âge et de nationalité.
a. Un âge minimal s’impose pour le droit de vote et l’éligibilité ; toutefois, l’obtention de la majorité civile, entraînant non seulement des droits, mais aussi des obligations dans le domaine civil, doit au moins conférer le droit de vote. Quant à l’éligibilité, il est concevable de prévoir un âge plus élevé ; sous réserve de fonctions particulières considérées comme liées à un certain âge (sénateur, chef de l’Etat), l’âge de 25 ans ne devrait pas être dépassé.
b. La plupart des législations prévoient la condition de nationalité. Toutefois, une certaine évolution se dessine en direction de l’octroi des droits politiques sur le plan local aux étrangers établis, conformément à la Convention du Conseil de l’Europe sur la participation des étrangers à la vie publique au niveau local15. C’est pourquoi, il est recommandé d’octroyer le droit de vote sur le plan local après une certaine durée de résidence. En outre, l’intégration européenne a conduit à l’octroi aux citoyens européens du droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales et au Parlement européen dans l’Etat membre où ils résident16. Le critère de la nationalité peut par ailleurs poser des problèmes dans le cas où un Etat refuse sa citoyenneté à des personnes établies depuis plusieurs générations, en se basant par exemple sur des considérations linguistiques. Par ailleurs, les doubles nationaux doivent, d’après la Convention européenne sur la nationalité17, disposer des mêmes droits électoraux que les autres nationaux18.
c. En troisième lieu, des conditions de résidence peuvent être imposées aussi bien en matière de droit de vote que d’éligibilité19 ; la résidence est comprise comme la résidence habituelle. Pour les élections locales et régionales, l’exigence d’une certaine durée de résidence n’apparaît pas incompatible avec le principe du suffrage universel, si elle ne dépasse pas quelques mois ; un délai plus long ne peut être admis que pour la protection des minorités nationales20. A l’inverse, un bon nombre d’Etats octroient le droit de vote, voire l’éligibilité, à leurs ressortissants résidant à l’étranger. Cette pratique peut s’avérer abusive dans certaines situations particulières, lorsque la nationalité est accordée sur une base ethnique par exemple. Il est envisageable de prévoir une inscription au lieu où l’électeur a une résidence secondaire, si celle-ci est régulière et apparaît, par exemple, par le paiement d’une contribution fiscale locale ; l’électeur ne doit alors bien évidemment pas être inscrit au lieu de sa résidence principale.
La liberté de circulation des citoyens à l’intérieur du pays et le droit d’y rentrer en tout temps sont des droits fondamentaux nécessaires à de véritables élections démocratiques21. Dans le cas exceptionnel où des personnes auraient été déplacées contre leur gré, il convient de leur laisser à titre transitoire la possibilité d’être considérées comme résidant à leur ancien lieu de résidence.
d. Enfin, certaines clauses d’exclusion des droits politiques peuvent être prévues. Elles doivent toutefois répondre aux conditions usuelles de restriction des droits fondamentaux, et plus précisément22 :
- être prévues par la loi ;
- respecter le principe de la proportionnalité ;
- être motivées par une interdiction pour motifs liés à la santé mentale ou des condamnations pénales pour des délits graves.
En outre, l’exclusion des droits politiques doit être prononcée par un tribunal dans une décision spécifique. En cas d’interdiction pour motifs liés à la santé mentale toutefois, une telle décision spécifique peut porter sur l’interdiction et entraîner ipso jure la privation des droits civiques.
L’exclusion de l’éligibilité peut être soumise à des conditions moins sévères que celle du droit de vote, car l’exercice d’une fonction publique est en cause et il peut être légitime d’en écarter les personnes dont l’activité dans cette charge contreviendrait à un intérêt public prépondérant.
1.2. Les listes électorales
7. La tenue correcte des listes électorales présente un caractère essentiel dans la garantie du suffrage universel. Il est toutefois admissible que l’électeur ne soit pas inscrit d’office, mais uniquement à sa demande. Dans la pratique, l’inexactitude des listes électorales est souvent constatée, ce qui entraîne des contestations. Le manque d’habitude de l’administration, les mouvements de populations, et le peu d’intérêt de la majorité des citoyens de vérifier les listes électorales lorsqu’elles sont mises à leur disposition rendent difficiles l’élaboration des listes. Un certain nombre de conditions doivent être remplies pour que les listes soient fiables :
i. Il faut des listes électorales permanentes.
ii. Il faut des mises à jour régulières, qui doivent être au moins annuelles, cela de façon à ce que l’administration municipale (locale) s’habitue tous les ans à la même époque à accomplir les différentes tâches liées à la mise à jour. L’inscription des électeurs, lorsqu’elle n’est pas automatique, doit être possible pendant un laps de temps relativement long.
iii. Les listes électorales doivent être publiées. La mise à jour définitive doit être transmise à une administration supérieure sous contrôle de l’organe impartial compétent pour l’application du droit électoral.
iv. Il doit exister une procédure administrative – sujette à contrôle judiciaire – ou une procédure judiciaire, permettant à l’électeur non mentionné de se faire inscrire. Dans certains pays, la date d’inscription sur la liste supplémentaire peut être, par exemple, de 15 jours avant l’élection ou le jour même de l’élection. Cette dernière possibilité dénote un esprit très libéral mais implique la décision d’un tribunal obligé de siéger le jour de l’élection et ne correspond pas aux nécessités d’organisation sur lesquelles reposent les démocraties. Il faut en tout cas exclure la possibilité laissée à chaque bureau de vote d’inscrire des électeurs le jour même des élections.
v. En outre, les inexactitudes dans les listes électorales consistent aussi bien en des inscriptions indues qu’en l’absence d’inscription de certains électeurs. Une procédure analogue à celle mentionnée à l’alinéa précédent devrait permettre aux électeurs de faire corriger les inscriptions erronées. La qualité pour demander une telle rectification peut être réservée aux électeurs de la même circonscription ou du même bureau de vote.
vi. Une liste supplémentaire peut permettre aux personnes ayant changé de domicile ou ayant atteint l’âge légal du vote depuis la publication définitive de la liste, de voter.
1.3. La présentation des candidatures
8. L’exigence de collecte d’un certain nombre de signatures, pour la présentation d’une candidature, n’est en principe pas contraire au principe du suffrage universel. Dans la pratique, il s’avère que tous les partis, autres que les formations fantômes, obtiennent assez facilement le nombre de signatures requises, quand les règlements pertinents ne sont pas utilisés pour empêcher des candidats de se présenter. Pour éviter de telles manipulations, il est préférable que la loi n’exige pas la signature de plus de 1 % des électeurs23. L a procédure de vérification des signatures doit obéir à des règles claires, notamment en ce qui concerne les autorités responsables, les délais, et porter sur l’ensemble des signatures plutôt que sur un échantillon24 ; toutefois, lorsque la vérification permet de considérer comme certain qu’un nombre suffisant de signatures a été atteint, il peut être renoncé à la vérification des signatures restantes. Dans tous les cas, il faut que la validation des candidatures soit terminée au début de la campagne électorale, car des validations tardives créent des inégalités entre partis et candidats quant aux possibilités de faire campagne.
9. Une autre procédure consiste à demander une caution qui est remboursée seulement si le candidat ou le parti dépasse un certain pourcentage des suffrages. Cette méthode paraît plus efficace que la collecte de signatures. Cependant, le montant de la caution et le nombre de suffrages requis pour le remboursement ne doivent pas être excessifs.
2. Le suffrage égal
10. L’égalité en matière électorale comprend divers aspects. Certains relèvent de l’égalité de suffrage, valeur commune au continent, d’autres vont plus loin et ne peuvent pas être considérés comme la traduction d’une norme générale. Les principes qui doivent être respectés dans tous les cas sont l’égalité de décompte, l’égalité de la force électorale et l’égalité des chances. Par contre, l’égalité des résultats, par la représentation proportionnelle des partis ou des sexes, par exemple, ne peut être imposée.
2.1. L’égalité de décompte
11. L’égalité de décompte implique que chaque électeur a normalement droit à une voix, et à une seule. Le vote multiple, qui est une irrégularité encore souvent constatée dans les nouvelles démocraties, est évidemment exclu – aussi bien s’il conduit à ce que l’électeur vote plusieurs fois au même endroit que s’il lui permet de voter simultanément à plusieurs endroits différents, par exemple le lieu de sa résidence et celui de son ancienne résidence.
12. Dans certains systèmes électoraux, l’électeur a toutefois plus d’une voix. Il peut s’agir par exemple, dans un système permettant le panachage, d’une voix par siège à pourvoir ; il peut aussi s’agir d’une voix à exercer dans une circonscription de taille limitée, et d’une autre voix à exercer dans une circonscription plus grande, comme cela est souvent prévu dans les systèmes combinant un système majoritaire uninominal et la représentation proportionnelle au niveau national ou régional25. Dans ce cas, l’égalité de décompte implique que chaque électeur ait le même nombre de voix.
2.2. L’égalité de la force électorale
13. L’égalité de la force électorale implique que, dès lors que l’élection ne se déroule pas dans une circonscription unitaire, le découpage du territoire doit être organisé de telle manière que les sièges des premières chambres, qui représentent le peuple, soient répartis de manière égale entre ces circonscriptions, selon un critère de répartition déterminé, qui peut être le nombre de résidents de la circonscription, le nombre de résidents ressortissants (y compris les mineurs), le nombre d’électeurs inscrits, éventuellement celui des votants. Une combinaison appropriée de ces critères de répartition est envisageable. Les mêmes règles s’appliquent aux élections régionales et locales. Lorsque ce principe n’est pas respecté, il est question de géométrie électorale. La géométrie électorale est active lorsque la répartition des sièges entraîne des inégalités de représentation dès sa première application ; elle est passive lorsque l’inégalité résulte du maintien pendant une longue période d’une répartition territoriale des sièges inchangée. En outre, un autre type de manipulation, appelé charcutage électoral (gerrymandering), peut avoir lieu dans les systèmes qui ne sont pas parfaitement proportionnels, notamment les systèmes de scrutin majoritaire ; il consiste à découper les circonscriptions électorales de façon artificielle, au profit d’un parti donné.
14. Le découpage des circonscriptions peut encore prendre en considération le critère géographique et les délimitations administratives voire historiques, qui sont souvent fonction de la géographie.
15. L’écart maximal admissible par rapport au critère de répartition dépend de chaque situation ; il ne devrait pas dépasser 10 %, et en tout cas pas 15 %, sauf circonstance spéciale (unité administrative faiblement peuplée mais de même niveau que d’autres qui sont représentées par au moins un député, présence d’une minorité nationale concentrée)26.
16. Afin d’éviter la géométrie électorale passive, une nouvelle répartition devrait avoir lieu au moins tous les dix ans, et de préférence hors des périodes électorales, ce qui limite les risques de manipulations politiques27.
17. En présence de circonscriptions plurinominales, la géométrie électorale peut être facilement évitée, par l’attribution régulière des sièges aux circonscriptions de manière conforme au critère de répartition. Les circonscriptions devraient alors correspondre à des entités administratives, et un redécoupage n’est pas souhaitable. Lorsqu’un système majoritaire uninominal est appliqué, chaque nouvelle répartition des sièges implique un redécoupage des circonscriptions. Les incidences politiques du découpage des circonscriptions sont très importantes et il est donc essentiel qu’il ne soit pas partisan et ne défavorise pas les minorités nationales. Les anciennes démocraties abordent ce problème de façons très différentes et travaillent sur des bases non moins différentes. Il convient que les nouvelles démocraties adoptent des critères simples et des procédures faciles à mettre en œuvre. La meilleure solution serait de soumettre d’abord la question à une commission, comprenant en majorité des membres indépendants, et de préférence un géographe, un sociologue, une représentation équilibrée des partis et, le cas échéant, des représentants des minorités nationales. Ensuite, le Parlement statuerait sur la base des propositions de la commission, avec une possibilité de recours unique.
2.3. L’égalité des chances
18. L’égalité des chances doit être assurée entre les partis et les candidats et conduire l’Etat à se montrer impartial envers ceux-ci et à leur appliquer la même loi de manière égale. En particulier, l’exigence de neutralité s’applique à la campagne électorale et à la couverture par les médias, notamment les médias publics, ainsi qu’au financement public des partis et des campagnes. L’égalité peut alors être comprise de deux manières : égalité «stricte» et égalité «proportionnelle». L’égalité «stricte» signifie que les partis politiques sont traités sans que leur importance actuelle au sein du parlement ou de l’électorat ne soit prise en compte. Elle doit s’appliquer à l’utilisation des infrastructures à des fins de propagande (par exemple à l’affichage, aux services postaux et analogues, aux manifestations sur la voie publique, à la mise à disposition de salles de réunion publiques). L’égalité «proportionnelle» implique que les partis politiques soient traités en fonction de leur nombre de voix. L’égalité des chances (stricte ou proportionnelle) porte notamment sur le temps de parole à la radio et à la télévision, les subventions publiques et les autres formes de soutien. Certaines mesures de soutien peuvent être pour partie soumises à une égalité stricte et pour partie à une égalité proportionnelle.
19. Le but essentiel est que les principales forces politiques puissent se faire entendre sur les grands médias du pays, et que toutes les forces politiques puissent organiser des réunions, y compris sur la voie publique, distribuer des documents, et disposer d’un droit d’affichage. Dans le respect de la liberté d’expression, tous ces droits doivent être clairement réglementés et leur non-respect, autant par les autorités que par les participants à la campagne, doit faire l’objet de sanctions appropriées. Des voies de recours rapides doivent permettre de remédier à ces violations avant les élections. Or, l’incapacité des médias à fournir des informations neutres sur la campagne électorale et les candidats est l’un des problèmes les plus fréquents lors d’élections. La question la plus importante est de faire pour chaque pays le bilan des médias, et de veiller à ce que les candidats ou partis bénéficient de temps de parole ou d’espaces publicitaires suffisamment équilibrés, y compris au sein des radios et télévisions d’Etat.
20. Dans le respect de la liberté d’expression, la loi devrait prévoir que les médias audiovisuels privés assurent un accès minimal aux différents participants aux élections, en matière de campagne électorale et de publicité.
21. La question du financement, et en particulier de la nécessité de sa transparence, sera reprise plus loin28. Quant aux dépenses des partis politiques, elles peuvent également être limitées, notamment dans le domaine de la publicité, afin de garantir l’égalité des chances.
2.4. Egalité et minorités nationales
22. Conformément aux principes reconnus en droit international, le droit électoral doit garantir l’égalité envers les personnes appartenant à des minorités nationales, ce qui implique notamment l’interdiction de toute discrimination à leur égard29. En particulier, les partis politiques des minorités nationales doivent être autorisés30. Le découpage des circonscriptions ou les règles sur le quorum ne doivent pas conduire à rendre plus difficile la présence de personnes appartenant à des minorités dans l’organe élu.
23. Certaines mesures prises de façon à assurer une représentation minimale des minorités, soit en leur garantissant des sièges réservés31, soit en prévoyant des exceptions aux règles normales d’attribution des sièges, par exemple en supprimant le quorum pour les partis de minorités nationales32, ne sont pas contraires au principe d’égalité. Il peut également être prévu que les personnes appartenant à des minorités nationales aient le droit de voter à la fois pour des listes générales et des listes de minorités nationales. Les candidats et les électeurs ne doivent toutefois pas être contraints d’indiquer leur appartenance à une minorité nationale33,34.
2.5. Egalité et parité des sexes
24. S’il existe une base constitutionnelle spécifique35, il est envisageable d’adopter des règles garantissant un certain équilibre des deux sexes dans les organes élus, voire une représentation paritaire. En l’absence d’une telle base constitutionnelle, ces dispositions pourraient être considérées comme contraires au principe d’égalité et à la liberté d’association.
25. La portée de ces règles dépend par ailleurs du système électoral. Dans un système de listes bloquées, la parité est imposée si le nombre d’hommes et de femmes en position éligible est le même. Par contre, si le vote de préférence ou le panachage sont possibles, il n’est pas certain que l’électeur fera le choix de candidats des deux sexes, et on peut au contraire se retrouver avec une composition déséquilibrée de l’organe élu, voulue par l’électeur.
3. Le suffrage libre
26. Le suffrage libre comporte deux aspects : la libre formation de la volonté de l’électeur ; la libre expression de cette volonté, soit le caractère libre de la procédure de vote et la réalité des résultats proclamés.
3.1. La libre formation de la volonté de l’électeur
a. La libre formation de la volonté de l'électeur se confond pour une part avec l’égalité des chances. Elle implique que l’Etat – et les autorités publiques en général – respectent leur devoir de neutralité, notamment en ce qui concerne l’usage des mass media, l’affichage, le droit de manifester sur la voie publique ou le financement des partis et des candidats.
b. Les autorités publiques ont également certaines obligations positives. Elles doivent soumettre les candidatures présentées régulièrement aux suffrages des citoyens. Le dépôt de certaines d’entre elles ne peut être interdit qu’exceptionnellement, si un intérêt public prépondérant l’exige. Les autorités publiques doivent aussi permettre à l’électeur de connaître les listes et les candidats qui se présentent aux élections, par exemple par un affichage adéquat. L’information en question doit être accessible aussi dans les langues des minorités nationales, du moins lorsqu’elles représentent un certain pourcentage de la population.
La libre formation de la volonté de l’électeur peut aussi être violée par l’action de particuliers, notamment par l’achat de voix, que l’Etat a l’obligation de prévenir ou de réprimer efficacement.
c. Afin d’assurer l’effectivité des règles relatives à la libre formation de la volonté de l’électeur, les violations des règles qui précèdent doivent être sanctionnées.
3.2. La libre expression de la volonté de l’électeur et la lutte contre la fraude électorale
3.2.1. En général
27. La libre expression de la volonté de l’électeur implique en premier lieu que la procédure de vote prévue par la loi soit respectée. L’électeur doit, en pratique, pouvoir émettre son vote pour les listes ou les candidats enregistrés, ce qui implique notamment qu’il dispose de bulletins portant leurs noms et que lesdits bulletins peuvent être déposés dans une urne. L’Etat doit mettre à disposition les locaux nécessaires pour les opérations électorales. L’électeur ne doit pas être soumis à des menaces ou des contraintes l’empêchant d’exercer son suffrage ou de l’exercer comme il l’entend, qu’elles émanent d’autorités ou de particuliers ; l’Etat a l’obligation de prévenir et de sanctionner de telles pratiques.
28. En outre, l’électeur a droit à la réalité des résultats proclamés ; l’Etat doit punir toute fraude éventuelle.
3.2.2. Les procédures de vote
29. Les procédures de vote jouent un rôle primordial dans l’ensemble du processus électoral car c’est lors du vote qu’une éventuelle fraude est la plus probable.
30. La mise en œuvre de pratiques démocratiques nécessite, dans certains Etats, un changement de mentalité radical. Il appartient aux autorités de promouvoir un tel changement et de prendre des mesures pour mettre un terme à certains réflexes ou habitudes qui ont une influence négative sur les élections. A l’instar du «vote familial»36, la plupart de ces irrégularités ont lieu lors de la procédure de vote.
31. Toutes ces observations amènent à la conclusion suivante : la procédure de vote doit être simple. Il est dès lors recommandé de se conformer aux critères définis dans les paragraphes suivants.
32. Si les différentes sensibilités politiques sont équitablement représentées au sein du bureau de vote, on peut admettre que la fraude matérielle est difficile ; dès lors, seuls deux paramètres principaux devraient être utilisés pour juger de la justesse du vote : le nombre d’électeurs qui ont participé au vote, comparé avec le nombre de bulletins introduits dans l’urne. Le premier paramètre peut être déterminé par le nombre de signatures portées sur le registre électoral. La nature humaine étant ce qu’elle est (et indépendamment de toute volonté de fraude), il est difficile de parvenir à une parfaite égalité entre ces deux paramètres ; un contrôle supplémentaire, comme celui des souches de bulletins numérotées ou encore une comparaison entre le total des bulletins retrouvés, des bulletins annulés et des bulletins non utilisés par rapport au nombre de bulletins à disposition du bureau de vote, peut avoir une valeur indicative, mais il ne faut pas se faire d’illusions sur la coïncidence parfaite des différents paramètres. Le risque est plutôt, en cas de multiplication de ceux-ci, que les différences de totaux, et finalement les véritables irrégularités, ne soient pas prises au sérieux. Mieux vaut un contrôle strict de deux paramètres qu’un contrôle lâche, et donc inefficace, d’un plus grand nombre de variables.
33. Les bulletins non utilisés doivent rester en permanence dans le bureau de vote et ne doivent pas être déposés ou conservés dans un autre local. Dès l’ouverture des bureaux de vote, tous les bulletins non encore utilisés doivent être placés en évidence, sur la table du Président par exemple. Aucun bulletin ne peut être stocké dans une armoire ou dans un autre local.
34. Les bulletins de vote ne doivent pas être signés ou tamponnés au moment où ils sont remis à l’électeur car la personne chargée de signer ou de tamponner les bulletins pourrait y mettre une marque permettant d’identifier l’électeur lors du décompte des suffrages, ce qui va à l’encontre du secret du vote.
35. A partir du moment où l’électeur prend son bulletin de vote, personne ne doit plus y toucher.
36. Il est important que le bureau de vote compte en son sein des membres représentant plusieurs partis et que des observateurs désignés par les candidats assistent aux élections.
37. Dans tous les cas, le vote dans un bureau de vote doit être possible ; d’autres modalités de vote sont cependant admissibles à certaines conditions, comme indiqué ci-dessous.
3.2.2.1. Le vote par correspondance ou par procuration dans certaines circonstances
38. Dans les pays occidentaux, il est souvent possible de voter par correspondance et par procuration, bien que les modalités diffèrent largement d’un pays à l’autre. Ainsi, le vote par correspondance peut être très répandu dans un pays et interdit dans un autre, en raison des risques de fraude. Il ne doit être admis que si le service postal est sûr – c’est-à-dire à l’abri des manipulations volontaires – et fiable, en ce sens qu’il fonctionne correctement. Le vote par procuration ne peut être autorisé que s’il est soumis à des règles très strictes, là aussi pour éviter la fraude ; le nombre de procurations détenues par un électeur doit être limité.
39. Ces pratiques ne doivent pas être encouragées si des problèmes d’organisation des services postaux s’ajoutent aux difficultés inhérentes à ce type de vote, notamment le risque accru de «vote familial». Le vote par correspondance peut toutefois être utilisé, avec certaines précautions, pour permettre de voter aux personnes hospitalisées, aux détenus, aux personnes à mobilité réduite et aux électeurs résidant à l’étranger, dans la mesure où les risques de fraude et d’intimidation sont éliminés. Cette solution éviterait d’avoir à transporter des urnes, avec les problèmes et les risques de fraude que cela comporte. Le vote par correspondance aurait lieu selon une procédure spéciale quelques jours avant les élections.
40. Le recours à l’urne mobile n’est en effet pas souhaitable, compte tenu des grands risques de fraude qu’il comporte. S’il est néanmoins retenu, il doit être soumis à des conditions strictes, permettant d’éviter la fraude, notamment par la présence auprès de l’urne mobile de plusieurs membres de la commission électorale du bureau de vote, représentant différentes tendances politiques.
3.2.2.2. Le vote des militaires
41. Lorsqu’ils n’ont pas la possibilité de rentrer à leur domicile le jour du vote, il est souhaitable que les militaires soient inscrits dans les bureaux de vote proches de leur caserne. Le commandement local communique l’identité des militaires présents aux autorités municipales, qui procèdent à leur inscription sur les listes électorales. Il peut être fait exception à cette règle lorsque la caserne est trop éloignée du bureau de vote le plus proche. Des commissions spéciales devraient être constituées au sein des unités militaires pour superviser la période pré-électorale, afin d’éviter que les supérieurs imposent ou ordonnent des choix politiques.
3.2.2.3. Le vote mécanique et électronique
42. Plusieurs pays utilisent déjà les techniques de vote mécanique et électronique ou sont sur le point de le faire. Ces techniques présentent un avantage manifeste lorsque plusieurs élections ont lieu simultanément, même si certaines précautions doivent être prises pour limiter les risques de fraude, ce qui peut notamment se faire en permettant à l’électeur de contrôler immédiatement l’enregistrement de son vote. Il est bien sûr important de s’assurer que les bulletins de votes sont conçus de manière à éviter toute confusion. Pour permettre vérifications et recomptages en cas de réclamation, on peut aussi prévoir que la machine imprime automatiquement un bulletin comprenant le vote exprimé et range automatiquement les bulletins dans une boite fermée, afin qu’ils soient soustraits aux regards. Tous les moyens utilisés doivent permettre d’assurer la confidentialité du vote.
43. Le vote électronique doit être sûr et fiable. Il est sûr si le système peut résister aux attaques délibérées ; il est fiable si, par lui-même, il fonctionne, quelles que soient les déficiences du matériel ou du logiciel. En outre, l’électeur doit pouvoir obtenir confirmation de son vote et le corriger, si nécessaire, dans le respect du secret du vote.
44. Par ailleurs, la transparence du système doit être garantie, en ce sens que son fonctionnement correct doit pouvoir être vérifié.
3.2.2.4. Le décompte
45. Il paraît préférable que les suffrages soient décomptés directement dans les bureaux de vote plutôt que dans des centres spéciaux. Les membres des bureaux de vote sont tout à fait capables de procéder au décompte et l’on évite ainsi d’avoir à transporter les urnes et les documents annexés, ce qui limite les risques de substitution.
46. Le décompte des suffrages doit être transparent. Il est admissible que les électeurs inscrits dans le bureau de vote puissent y assister ; la présence d’observateurs nationaux ou internationaux doit être autorisée. Les procès-verbaux doivent être dressés en un nombre d’exemplaires suffisant pour qu’une copie puisse en être remise à chacun d’entre eux ; un exemplaire doit être immédiatement affiché, un autre conservé au bureau de vote et un autre transmis à la commission ou à l’organe compétent supérieur.
47. Certaines précautions pratiques doivent figurer dans les règlements. Par exemple, les procès-verbaux doivent être rédigés au stylo à bille et non pas au crayon, car ce qui est inscrit au crayon peut être effacé.
48. En pratique, le temps nécessaire au décompte des suffrages dépend de l’efficacité du président du bureau de vote. Il peut varier considérablement d’un bureau à l’autre. C’est pourquoi, la législation ou le règlement figurant dans le livret de formation des membres des bureaux de vote doit prévoir une procédure simple et éprouvée.
49. Il faut éviter de déclarer un trop grand nombre de bulletins nuls ou invalides. En cas de doute, il faut s’efforcer de savoir quelle était l’intention de l’électeur.
3.2.2.5. Le transfert des résultats
50. Il y a deux sortes de résultats : les résultats provisoires et les résultats définitifs (avant épuisement de toutes les voies de recours existantes). Les médias, tout comme l’ensemble du pays, attendent avec impatience les premiers résultats provisoires. La vitesse à laquelle ces résultats provisoires sont rendus publics dépend du système de communication du pays concerné. Les résultats du bureau de vote peuvent, par exemple, être remis à la circonscription par le président du bureau de vote, accompagné de deux membres du bureau représentant les partis d’opposition, parfois sous la surveillance des forces de sécurité, qui portent les procès-verbaux, l’urne, etc.
51. Quelle que soit la rigueur avec laquelle se sont déroulées les opérations de vote et de décompte des suffrages, la transmission des résultats est d’une importance capitale, bien que souvent négligée. Elle doit donc avoir lieu de manière transparente. La transmission des résultats de la circonscription à la Commission électorale supérieure et à la Commission électorale centrale – ou aux autres organes supérieurs compétents - peut se faire par fax. Dans ce cas, le procès-verbal sera scanné et les résultats seront affichés à mesure qu’ils arrivent. Ils pourront être diffusés par la télévision mais, là encore, un excès de transparence peut être dangereux si l’opinion n’est pas habituée à recevoir des informations parcellaires. En effet, les premiers résultats proviennent habituellement des villes, dont le vote diffère généralement de celui des zones rurales. Le public doit donc être clairement informé que le résultat final peut être très différent des résultats provisoires et qu’un renversement total de tendance est même possible, sans qu’il n’y ait aucune manipulation.
4. Le suffrage secret
52. Le secret du vote est un aspect de la liberté de vote, qui vise à soustraire l’électeur à toutes les pressions qui pourraient résulter de la connaissance de son choix par des tiers. Il s’impose à toutes les étapes de la procédure, et spécialement lors du scrutin proprement dit et du dépouillement. Il s’agit non seulement d’un droit, mais aussi d’une obligation pour l’électeur, qui doit être sanctionnée par la nullité des bulletins dont le contenu a été révélé37.
53. Le vote doit être individuel. Le vote familial - qui permet à l’un des membres de la famille de contrôler le vote des autres - est contraire au secret du vote ; c’est une violation du droit électoral fréquemment constatée. Toute autre forme de contrôle d’un électeur sur le vote d’un autre doit également être interdit. Est réservé le vote par procuration, qui est soumis à des conditions strictes38.
54. En outre, comme l’abstention peut impliquer un choix politique, la liste des votants ne devrait pas être rendue publique.
55. Tout comme la violation des autres aspects de la liberté de vote, la violation du secret du vote doit être sanctionnée.
5. Le suffrage direct
56. L’élection populaire directe d’une des Chambres du Parlement national par le peuple est un élément du patrimoine constitutionnel commun à tout le continent. Sous réserve des règles spéciales applicables à l’éventuelle autre Chambre, l’élection directe devrait concerner les autres organes législatifs, auxquels s’applique l’article 3 du Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme, comme les Parlements des Etats fédérés39. L’autonomie locale, élément essentiel de la démocratie, ne se conçoit pas non plus sans organes élus au niveau local40. Les assemblées locales sont ici comprises comme incluant en principe l’ensemble des organes délibérants infra-nationaux41. Par contre, l’élection directe du Président de la République, bien que fréquente, relève du choix constitutionnel de chaque Etat.
6. La périodicité des élections
57. bien le Pacte international relatif aux droits civils et politiques42 que le Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme43 prévoient le caractère périodique des élections. Les élections législatives ont en général lieu à un intervalle de quatre ou cinq ans ; un mandat plus long peut être prévu pour les élections présidentielles, mais le septennat ne devrait pas être dépassé.
II. Les conditions de la mise en œuvre des principes
58. La garantie des principes du patrimoine électoral européen n’est possible que si certaines conditions-cadres sont remplies.
· La première condition, qui est d’ordre général, est le respect des droits fondamentaux de l’homme, et notamment des libertés d’expression, de réunion et d’association, sans lequel une véritable démocratie n’est pas concevable ;
· En deuxième lieu, le droit électoral doit bénéficier d’une certaine stabilité, afin de ne pas apparaître comme l’objet de manipulations partisanes ;
· Enfin et surtout, un certain nombre de garanties procédurales, relatives notamment à l’organisation du scrutin, doivent être remplies.
59. En outre, l’élection ne se déroule pas dans l’abstrait, mais dans un système électoral et un système de partis donnés. Cette deuxième partie se conclura par quelques réflexions à ce propos, et notamment sur les relations entre système électoral et système de partis.
1. Le respect des droits fondamentaux
60. La tenue d’élections démocratiques et donc l’existence même de la démocratie ne sont pas possibles sans respect des droits de l’homme, et tout particulièrement de la liberté d’expression et de la presse, ainsi que de la liberté de réunion et d’association à des fins politiques, y compris par la création de partis politiques. Le respect de ces libertés est notamment indispensable pendant les campagnes électorales. Les restrictions à ces droits fondamentaux doivent être conformes à la Convention européenne des droits de l’homme et, plus généralement, aux conditions de base légale, d’intérêt public et de proportionnalité.
61. Or, les législations nationales contiennent souvent des normes restreignant la liberté d’expression qui, interprétées de manière restrictive, pourraient être à la rigueur admissibles, mais qui risquent d’entraîner des abus dans des Etats dépourvus de tradition libérale et démocratique. Ces normes visent censément à prévenir les «abus» de la liberté d’expression et, par exemple, à protéger l’honneur des candidats et des autorités, voire l’ordre constitutionnel. En réalité, elles peuvent conduire à censurer le discours critique envers les autorités ou visant à modifier la Constitution, alors que cela constitue l’essence même du débat démocratique. Ainsi, une loi électorale n’est pas conforme aux standards européens, dans la mesure où elle interdit que les documents de campagne contiennent des termes insultants ou diffamatoires en rapport avec des personnalités officielles et d’autres candidats, permet de poursuivre la diffusion d’informations fausses diffamant un candidat et rend les candidats responsables de certaines violations de la loi commises par leurs partisans. L’obligation de soumettre le matériel destiné à la campagne électorale aux commissions électorales, en indiquant l’organisation qui en a demandé la production et celle qui l’a produit, le nombre d’exemplaires et la date de publication, est une forme de censure qui ne peut être admise, surtout si les commissions électorales devaient prendre des mesures contre les publications contraires à la loi ou fausses. Cela est d’autant plus vrai si les normes interdisant l’abus des mass media pendant la campagne électorale sont assez vagues.
62. Un autre droit fondamental très important dans une démocratie est la liberté de circulation à l’intérieur du pays, ainsi que le droit pour les nationaux de revenir dans leur pays en tout temps.
2. Niveaux normatifs et stabilité du droit électoral
63. La stabilité du droit est un élément important de la crédibilité du processus électoral, qui est elle-même essentielle à la consolidation de la démocratie44. En effet, si les règles changent souvent, l’électeur peut être désorienté et ne pas les comprendre, notamment si elles présentent un caractère complexe ; il peut surtout considérer, à tort ou à raison, que le droit électoral est un instrument que ceux qui exercent le pouvoir manipulent en leur faveur, et que le vote de l’électeur n’est dès lors pas l’élément qui décide du résultat du scrutin.
64. La nécessité de garantir la stabilité ne concerne pas, en pratique, tant les principes fondamentaux, dont la mise en cause formelle est difficilement envisageable, que certaines règles plus précises du droit électoral, en particulier le système électoral proprement dit, la composition des commissions électorales et le découpage des circonscriptions. Ces trois éléments apparaissent souvent – à tort ou à raison – comme déterminants pour le résultat du scrutin, et il convient d’éviter, non seulement les manipulations en faveur du parti au pouvoir, mais aussi les apparences mêmes de manipulations.
65. Ce qui est à éviter, ce n’est pas tant la modification du mode de scrutin, car celui-ci peut toujours être amélioré ; c’est sa révision répétée ou intervenant peu avant le scrutin (moins d’un an). Même en l’absence de volonté de manipulation, celle-ci apparaîtra alors comme liée à des intérêts partisans conjoncturels.
66. Un des moyens d’éviter les manipulations est de définir dans la Constitution ou dans un texte supérieur à la loi ordinaire les éléments les plus sensibles (système électoral proprement dit, composition des commissions électorales, circonscriptions ou règles sur le découpage des circonscriptions). Une autre solution, moins rigide, consiste à prévoir dans la Constitution que, en cas de changement de la loi électorale, l’ancien système reste applicable à la prochaine élection – du moins si elle a lieu dans l’année à venir –, et que le nouveau n’interviendra que pour les scrutins ultérieurs.
67. Pour le reste, le droit électoral devrait avoir en principe rang législatif. Les normes d’exécution, notamment les règles techniques et de détail, peuvent néanmoins être de nature réglementaire.
3. Les garanties procédurales
3.1. L’organisation du scrutin par un organe impartial
68. Seules la transparence, l’impartialité et l’indépendance à l’égard de toute manipulation politique assureront la bonne administration du processus électoral, de la période précédant les élections jusqu’à la fin du traitement des résultats.
69. Dans les Etats où existe une longue tradition d’indépendance de l’administration face au pouvoir politique, la fonction publique applique le droit électoral indépendamment des pressions du pouvoir politique. Il est dès lors d’usage, et admissible, que les opérations électorales soient organisées par l’administration, et notamment qu’elles soient supervisées par le ministère de l’Intérieur.
70. Par contre, là où l’expérience de l’organisation d’élections pluralistes est récente, le risque est trop grand que le pouvoir en place influence l’administration afin qu’elle agisse dans le sens qui lui convient. Cela vaut d’ailleurs non seulement pour le pouvoir central, mais aussi pour les pouvoirs locaux, y compris lorsqu’ils sont dirigés par l’opposition nationale.
71. Dès lors, la création de commissions électorales indépendantes et impartiales, du niveau national au niveau du bureau de vote, est indispensable pour garantir des élections régulières ou du moins pour que de lourds soupçons d’irrégularités ne pèsent pas sur le processus électoral.
72. Dans les rapports du Bureau de l’Assemblée sur l’observation d’élections, les insuffisances suivantes concernant les commissions électorales ont été relevées dans un certain nombre d’Etats membres : manque de transparence dans les activités de la commission électorale centrale, variations dans l’interprétation de la procédure de comptage; administration électorale politiquement polarisée ; controverses sur la désignation des membres de la commission électorale centrale; nomination de membres de cette dernière par une institution d’Etat ; position dominante du parti au pouvoir dans l’administration des élections.
73. Une commission électorale centrale doit être permanente en tant que structure administrative chargée de maintenir la liaison avec les autorités locales et les autres commissions inférieures, par exemple pour ce qui concerne l’établissement et la tenue à jour des listes électorales.
74. La composition d’une commission électorale centrale peut donner lieu à discussion et devenir l’enjeu politique essentiel dans l’élaboration d’une loi électorale. Le respect des lignes directrices suivantes devrait permettre d’assurer autant que possible l’impartialité et la compétence de la commission.
75. En règle générale, la commission devrait comprendre :
- un magistrat : dans le cas où un organe judiciaire est chargé d’administrer les élections, son indépendance doit être assurée par la transparence de la procédure; les magistrats désignés ne doivent pas dépendre des candidats qui se présentent ;
- des délégués des partis déjà représentés au parlement ou ayant obtenu au moins un certain pourcentage des suffrages. Les partis politiques doivent être représentés de manière égale dans la commission électorale centrale ; l’égalité peut être comprise de manière stricte ou proportionnelle, c’est-à-dire tenir compte ou non de l’importance électorale relative des partis45. En outre, les délégués des partis doivent avoir des compétences en matière électorale et il doit leur être interdit de faire campagne ;
76. En outre, la commission électorale centrale peut comprendre :
- des représentants des minorités nationales ; la présence de ceux-ci est souhaitable lorsque la minorité nationale a une certaine importance sur le territoire concerné ;
- un représentant du ministère de l’Intérieur. Toutefois, la présence d’un représentant du ministère de l’Intérieur au sein de la commission n’est pas toujours souhaitable pour des raisons propres à l’histoire du pays. Au cours de ses missions d’observation des élections, l’Assemblée s’est déclarée préoccupée, à plusieurs reprises, par le transfert des responsabilités précédemment attribuées à des commissions électorales multipartites et de plein droit à une institution qui relevait du pouvoir exécutif. Néanmoins, la coopération entre la commission électorale centrale et le ministère de l’Intérieur est possible, ne serait-ce que pour des raisons pratiques, telles que le transport et le stockage des bulletins de vote et autres matériels. Pour le reste, l’exécutif ne doit pas pouvoir influer sur la composition des commissions électorales46.
77. De manière générale, la révocation des membres des commissions électorales par les organes qui les ont nommés doit être évitée, car elle met en cause leur indépendance. Contrairement à la révocation discrétionnaire, une révocation pour faute disciplinaire voire pour incompétence est admissible, mais les motifs de révocation doivent alors être formulés clairement et restrictivement dans la loi (la référence vague à des «actions discréditant la commission» n’est par exemple pas admissible).
78. Dans les anciennes démocraties où il n’existe pas de commissions électorales, mais où un autre organe impartial est compétent en matière électorale, les partis politiques doivent pouvoir observer le travail de cet organe.
79. La composition de la commission électorale centrale a, certes, de l’importance, mais pas plus que son fonctionnement. Le règlement intérieur doit être précis car les présidents ont généralement tendance à laisser parler les membres et ceux-ci ne s’en privent pas. Le règlement intérieur devrait prévoir un ordre du jour et un temps de parole limité pour chaque membre, par exemple un quart d’heure ; autrement, des discussions interminables peuvent masquer les points essentiels.
80. La façon de prendre des décisions est multiple. Il est souhaitable que les décisions se prennent à la majorité qualifiée (par exemple, des 2/3) de façon à encourager le débat entre une majorité et au moins l’un ou l’autre parti de la minorité. Le recours au consensus est préférable.
81. Les réunions de la commission électorale centrale doivent être ouvertes à tous, y compris aux médias (c’est aussi pour cela que le temps de parole doit être limité). Les salles informatiques, liaisons téléphoniques, fax et scanners doivent pouvoir être visités.
82. Les autres commissions, régionales ou de circonscription, doivent avoir une composition analogue à celle de la commission électorale centrale. Dans le cas d’un scrutin majoritaire uninominal, les commissions de circonscription jouent un rôle important car elles déterminent le vainqueur lors des élections législatives. Les commissions de région jouent un rôle non moins important dans la transmission des résultats à la commission électorale centrale.
83. La tenue d’élections nécessite un personnel adéquat, doté de compétences spéciales47. Les membres de la commission électorale centrale devraient être des juristes, des politologues, des mathématiciens ou d’autres personnes connaissant bien les questions électorales.
84. Les membres des commissions électorales, à tous les niveaux de l’administration électorale, doivent recevoir une formation standardisée. Cette formation doit être ouverte aux membres des commissions désignés par les partis politiques. On a pu remarquer l’absence de personnel formé et qualifié dans plusieurs cas.
85. La loi électorale doit comprendre un article disposant qu’il incombe aux autorités (à tous les niveaux) de satisfaire aux demandes et aux besoins de la commission électorale. Des instructions peuvent être données à différents ministères, à d’autres organes de l’administration publique, aux maires et au personnel municipal pour qu’ils aident l’administration électorale en se chargeant des opérations administratives et logistiques de préparation et de tenue des élections. Ils peuvent assumer l’établissement et la distribution des registres électoraux, des bulletins de vote, des urnes, des tampons officiels et de tout autre matériel nécessaire, et prendre les dispositions requises en matière d’entreposage, de distribution et de sécurité.
3.2. L’observation des élections
86. L’observation des élections joue un rôle important et permet de constater si le processus électoral s’est déroulé ou non dans les règles.
87. Trois types d’observateurs peuvent être distingués : les observateurs nationaux partisans, les observateurs nationaux non partisans, les observateurs internationaux (non partisans). Dans la réalité, la distinction entre les deux premières catégories ne va pas toujours de soi. C’est pourquoi, il est préférable que l’observation soit ouverte le plus largement possible, à la fois sur le plan national et sur le plan international.
88. L’observation ne concerne pas seulement le jour même de l’élection, mais vise au contraire à déterminer si des irrégularités se sont produites aussi bien avant l’élection (par exemple par une tenue incorrecte des listes électorales, des entraves à l’enregistrement des candidats, des restrictions à la liberté d’expression, des violations des règles relatives à l’accès aux médias ou au financement public des campagnes électorales), pendant l’élection (par des pressions exercées sur les électeurs, le vote multiple, la violation du secret du vote, etc.) ou après celles-ci (en particulier lors du dépouillement et de la proclamation des résultats). L’observation doit notamment porter sur le respect par les autorités de leur devoir de neutralité.
89. L’observation internationale est nécessaire là où une tradition de contrôle impartial de la régularité des élections n’est pas établie.
90. De manière générale, possibilité doit être donnée à des observateurs nationaux aussi bien qu’internationaux d’interroger toutes les personnes présentes, de consigner leurs observations et de faire rapport à leur organisation ; ils doivent toutefois s’abstenir de tout commentaire.
91. La loi doit indiquer très clairement les lieux dans lesquels les observateurs ne sont pas autorisés à se rendre, afin que leur action ne soit pas excessivement entravée. Ainsi, une loi autorisant les observateurs à se rendre uniquement dans les lieux où se déroule l’élection (ou le vote) pourrait être interprétée par certains bureaux de vote de manière indûment restrictive48.
3.3. L’existence d’un système de recours efficace
92. Afin que les règles du droit électoral ne restent pas lettre morte, leur non-respect doit pouvoir être contesté devant un organe de recours. Cela vaut en particulier du résultat de l’élection, dont la contestation permet d’invoquer les irrégularités dans la procédure de vote ; cela vaut aussi d’actes pris avant l’élection, en particulier en ce qui concerne le droit de vote, les listes électorales et l’éligibilité, la validité des candidatures, le respect des règles de la campagne électorale et l’accès aux médias ou le financement des partis.
93. Deux solutions sont envisageables.
- Les recours sont traités par des tribunaux – ordinaires, spéciaux ou constitutionnels.
- Les instances compétences sont des commissions électorales. Ce système présente de réels avantages du fait que ces commissions sont très spécialisées et, donc, plus au fait des questions électorales que les tribunaux. Il est néanmoins souhaitable, à titre de précaution, de mettre en place une forme de contrôle juridictionnel. Dès lors, le premier degré de recours sera la commission électorale supérieure, et le deuxième le tribunal compétent.
94. Le recours devant le Parlement, comme juge de sa propre élection, est parfois prévu, mais risque d’entraîner des décisions politiques. Il est admissible en première instance là où il est connu de longue date, mais un recours judiciaire doit alors être possible.
95. La procédure de recours devrait être la plus brève possible, en tout cas en ce qui concerne les décisions à prendre avant l’élection. Sur ce point, il faut éviter deux écueils : d’une part, que la procédure de recours retarde le processus électoral ; d’autre part, que, faute d’effet suspensif, les décisions sur recours qui pouvaient être prises avant ne soient prises après les élections. En outre, les décisions relatives aux résultats de l’élection ne doivent pas tarder, surtout si le climat politique est tendu. Cela implique à la fois des délais de recours très courts et que l’instance de recours soit tenue de statuer aussitôt que possible. Les délais doivent cependant être assez longs pour permettre un recours, pour garantir l’exercice des droits de la défense et une décision réfléchie. Un délai de trois à cinq jours en première instance (aussi bien pour recourir que pour statuer) paraît raisonnable pour les décisions à prendre avant les élections. Il est toutefois admissible que les instances supérieures (Cours suprêmes, Cours constitutionnelles) se voient accorder un peu plus de temps pour statuer.
96. Par ailleurs, la procédure doit être simple. La mise à la disposition des électeurs désirant former un recours de formulaires spéciaux contribue à la simplification de la procédure49. Il est nécessaire d’écarter tout formalisme, afin d’éviter des décisions d’irrecevabilité, notamment dans les affaires politiquement délicates.
97. En outre, il faut absolument que les dispositions en matière de recours, et notamment de compétence et de responsabilités des diverses instances, soient clairement réglées par la loi, afin d’éviter tout conflit de compétences positif ou négatif. Ni les requérants, ni les autorités ne doivent pouvoir choisir l’instance de recours. Le risque de déni de justice est en effet accru s’il est possible de recourir alternativement auprès des tribunaux et des commissions électorales ou en l’absence de délimitation claire des compétences entre plusieurs tribunaux – par exemple les tribunaux ordinaires et la Cour constitutionnelle.
Exemple :
Commission électorale centrale → Cour suprême
↑
Commission régionale → Cour d’appel
↑
Commission électorale de circonscription
↑
Bureau de vote (le jour des élections)
98. Les litiges liés aux listes électorales, qui relèvent par exemple de la compétence de l’administration locale agissant sous contrôle des commissions électorales ou en collaboration avec elles, peuvent être traités par des tribunaux de première instance.
99. La qualité pour recourir doit être reconnue très largement. Le recours doit être ouvert à tout électeur de la circonscription et à tout candidat qui se présente dans celle-ci. Un quorum raisonnable peut toutefois être imposé pour les recours des électeurs relatifs aux résultats des élections.
100. La procédure doit avoir un caractère judiciaire, en ce sens que le droit des requérants au contradictoire doit être sauvegardé.
101. Les pouvoirs de l’instance de recours sont également importants. Il doit lui être possible d’annuler le scrutin si une irrégularité a pu influencer le résultat, c’est-à-dire modifier la répartition des sièges. Ce principe général doit être affiné, en ce sens que le contentieux de l’annulation ne doit pas forcément porter sur l’ensemble du territoire, voire l’ensemble de la circonscription ; au contraire, l’annulation doit être possible par bureau de vote. Cela permettra à la fois d’éviter deux situations extrêmes : l’annulation de la totalité d’un scrutin alors que les irrégularités sont limitées géographiquement ; le refus d’annuler le scrutin si l’étendue géographique des irrégularités est insuffisante. L’annulation du scrutin doit entraîner la répétition de l’élection sur le territoire où l’élection a été annulée.
102. Lorsque les commissions électorales supérieures sont instances de recours, elles doivent pouvoir rectifier ou annuler d’office les décisions des commissions électorales supérieures.
103. Quelques points méritent encore d’être développés.
3.4. L’organisation et l’activité des bureaux de vote
104. De l’organisation et de l’activité des bureaux de vote dépendent la qualité du système de vote et de dépouillement ainsi que le respect des procédures électorales. Les rapports du Bureau de l’Assemblée sur l’observation d’élections dans différents pays font apparaître un certain nombre d’irrégularités d’ordre logistique. Des différences importantes ont ainsi été mises en évidence entre les bureaux de vote de différentes régions d’un même Etat.
105. Les missions d’observation de l’Assemblée ont également relevé, dans plusieurs cas, des irrégularités techniques telles que des urnes mal tamponnées ou portant des indications erronées, la complexité de certains bulletins de vote, des urnes non scellées, l’inadéquation des bulletins de vote ou des urnes, la mauvaise utilisation des urnes, l’insuffisante identification des votants, ou l’absence d’observateurs locaux.
106. L’ensemble de ces irrégularités et insuffisances, auxquelles il faut ajouter la propagande politique dans l’enceinte des bureaux de vote ainsi que le harcèlement policier, peuvent entacher gravement la validité du processus électoral, voire en compromettre l’intégrité.
3.5. Le financement
107. La réglementation du financement des partis politiques et des campagnes électorales est également un élément important de la régularité du processus électoral.
108. En premier lieu, la transparence financière doit être garantie. Elle est nécessaire quel que soit le développement politique et économique d’un Etat.
109. La transparence se situe à deux niveaux. Le premier concerne les comptes des campagnes, qui doivent figurer dans une comptabilité spéciale et soigneusement tenue. Un dépassement substantiel des normes, ou un écart par rapport aux plafonds de dépenses figurant dans la loi, peuvent donner lieu à l’annulation d’une élection. Le deuxième niveau consiste à surveiller la situation financière de l’élu avant et après son mandat. Une commission pour la transparence financière prend acte des déclarations des élus. Celles-ci sont confidentielles, mais le dossier peut, le cas échéant, être transmis au Parquet.
110. Dans les Etats unitaires, les frais subis par les autorités locales et liés au déroulement d’une élection nationale, au paiement des membres des commissions électorales, à l’impression des bulletins, etc., doivent en principe être assumés par l’Etat central.
111. Rappelons que, dans le domaine du financement public des partis ou des campagnes, il convient de respecter le principe de l’égalité des chances (égalité «stricte» ou «proportionnelle»)50. En tout cas, le financement public doit viser tous les partis représentés au Parlement. Cependant, afin d’assurer l’égalité des chances des différentes forces politiques, le financement public pourrait être également étendu à des formations politiques représentant une partie significative du corps électoral et présentant des candidats aux élections. Le financement des partis par les fonds publics doit être conditionné par un contrôle de la comptabilité des partis politiques par les organismes publics spécifiques (par exemple, les Cours des Comptes). Les Etats devraient favoriser une politique de transparence financière des partis politiques bénéficiant d’un financement public51.
3.6. La sécurité
112. Toute loi électorale doit envisager l’intervention des forces de sécurité en cas d’incident. Le cas échéant, le président du bureau de vote (ou son représentant) doit avoir toute compétence pour appeler la police. Il est important que ce droit ne s’étende pas à l’ensemble des membres de la commission du bureau de vote, car ce type de situation nécessite une décision immédiate, sans aucune discussion.
113. Dans certains Etats, la présence de policiers dans les bureaux de vote est une tradition qui, d’après les rapports d’observation, n’entraîne pas nécessairement des troubles ni des pressions sur les électeurs. Notons que la présence de la police dans les bureaux de vote est prévue par les lois électorales de certains Etats occidentaux, même si le temps en a modifié la pratique.
Conclusion
114. Le respect des cinq principes du patrimoine électoral européen (suffrage universel, égal, libre, secret et direct) est essentiel à la démocratie. Dans ce cadre, la démocratie peut s’exprimer sous des formes diverses, mais dans certaines limites. Ces limites relèvent d’abord de l’interprétation donnée aux principes ; le présent texte indique les règles minimales qui doivent être suivies pour qu’ils soient respectés. En second lieu, il ne suffit pas que le droit électoral au sens strict contienne des règles conformes au patrimoine électoral européen, mais celles-ci doivent être placées dans leur contexte : la crédibilité du processus électoral doit être assurée. D’abord, les droits fondamentaux doivent être respectés. Ensuite, la stabilité des règles doit écarter les soupçons de manipulations. Enfin, le cadre procédural doit permettre que les règles proclamées soient effectivement appliquées.
1 Depuis sa création (1994), le Congrès a organisé plus de 50 missions d’observation d’élections (à l’échelon local ou régional).2 Résolution 1264 (2001) Code de bonne conduite en matière électorale. Texte adopté par la Commission permanente au nom de l’Assemblée le 8 novembre 2001 (voir document 9267, rapport de la commission des questions politiques, rapporteur M. Clerfayt.
3 Actuellement Dr Ian Micallef (Malte, L) et M. Owen Masters (Royaume-Uni, R)
4 Le Conseil pour les élections démocratiques s’est réuni les 7 mars, 3 juillet et 16 octobre 2002 à Venise.
5 Adoption définitive lors de la 52ème Session, les 18-19 octobre 2002
6 Doc.9267
7 Doc CDL (2002) 7
8 Texte établi par Mme Diane Bunyan (Royaume-Uni) Rapporteur, à l’occasion de la 9ème Session plénière du Congrès (Strasbourg, 4—6 juin 2002). Sur la base de ce rapport, le Congrès a adopté la Recommandation 111 (2002)
9 Point 6 ; voir Doc. 9267, rapport de la commission des questions politiques, rapporteur: M. Clerfayt.
10 Voir déjà l’art. 21 de la Déclaration universelle des droits de l’homme.
11 Art. 3 Droit à des élections libres: «Les Hautes Parties contractantes s’engagent à organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif.»
12 Pour l’universalité, voir par exemple Cour eur. DH, n° 9267/81, arrêt Mathieu-Mohin et Clerfayt c. Belgique du 2 mars 1997, série A n° 113, p. 23 ; arrêt Gitonas e.a. c. Grèce du 1er juillet 1997, n° 18747/91, 19376/92, 19379/92, 28208/95 et 27755/95, Recueil des arrêts et décisions 1997-IV, p. 1233 ; pour l’égalité, voir par exemple l’arrêt Mathieu-Mohin et Clerfayt précité, p. 23.
13 Cour eur. DH, N° 24833/94, arrêt Matthews c. Royaume-Uni du 18 février 1999, Recueil des arrêts et décisions 1999-I, point 64.
14 Voir par exemple l’art. 38.1 de la Constitution allemande ; les art. 68.1 et 69.2 de la Constitution espagnole ; l’art. 59.1 de la Constitution roumaine.
15 STE 144.
16 Art. 19 du traité instituant la Communauté européenne.
17 STE 166, art. 17.
18 La CEDH va moins loin : Com. eur. DH, n° 28858/95, déc. 25.11.96, Gantchev c. Bulgarie, D.R. 87 p. 130.
19 Voir, en dernier lieu, Cour eur. DH, N° 31981/96, déc. 7.9.99, Hilbe c. Liechtenstein.
20 Cf. Com. eur. DH, N° 23450/94, déc. 15.9.97, Polacco et Garofalo c. Italie (sur le Trentin-Haut-Adige).
21 Voir infra ch. II.1.
22 Cf. par exemple Cour eur. DH, n° 26772/95, arrêt Labita c. Italie du 6 avril 2002, points 201 ss.
23 CDL (99) 66, p. 9.
24 CDL-INF (2000) 17, pp. 4-5 ; CDL (99) 67, pp. 7-8.
25 Voir par exemple l’art. 64 de la Constitution albanaise, l’art. 1 de la loi fédérale électorale allemande.
26 Cf. CDL (98) 45, p. 3 ; CDL (99) 51, p. 8 ; CDL (2000) 2, p. 5; CDL-AD (2002) 9, par. 22.
27 CDL-AD (2002) 9, par. 23.
28 Voir infra ch. II.3.5.
29 Art. 4.1 de la convention-cadre pour la protection des minorités nationales (STE 157).
30 Sur l’interdiction des partis politiques et les mesures analogues, voir CDL-INF (2000) 1.
31 Comme prévu en Slovénie et en Croatie.
32 Comme prévu en Allemagne et en Pologne. Le droit roumain prévoit même la représentation des organisations de minorités qui ont recueilli un nombre de suffrages égal à 5 % du nombre moyen de suffrages valablement exprimés dans le pays entier pour l’élection d’un député.
33 Art. 3 de la convention-cadre pour la protection des minorités nationales.
34 Sur droit électoral et minorités nationales, voir CDL-INF (2000) 4.
35 Voir par exemple l’art. 3.2 de la Constitution française ; cf. l’arrêt du 18 novembre 1982, Recueil des décisions du Conseil constitutionnel, 1982, pp. 66 ss.
36 Voir infra ch. I.4.
37 CDL (2000) 2, p. 9.
38 Voir supra ch. I.3.2.2.1.
39 Cf. Cour eur. DH, n° 9267/81, arrêt Mathieu-Mohin et Clerfayt c. Belgique du 2 mars 1997, série A n° 113, p. 23 ; Com. eur. DH, N° 27311/95, 11.9.97, Timke c. Allemagne, D.R. 82, p. 15 ; N° 7008/75, 12.7.76, X. c. Autriche, D.R. 6, p. 120.
40 Art. 3 de la Charte européenne de l’autonomie locale (STE 122).
41 Art. 13 de la Charte européenne de l’autonomie locale.
42 Art. 25 b.
43 Art. 3.
44 Sur l’importance de la crédibilité du processus électoral, voir par exemple CDL (99) 67, p. 11 ; sur la nécessaire stabilité du droit, CDL (99) 41, p. 1.
45 Voir supra ch. I.2.3.
46 Cf. CDL-AD (2002) 7, par. 5, 7 ss, 54.
47 Voir par exemple CDL (98) 10, p. 5.
48 Sur l’observation des élections, voir le Manuel à l’usage des observateurs d’élections, Conseil de l’Europe 1996.
49 CDL (98) 45, p. 11.
50 Cf. supra ch. I.2.3.
51 Sur le financement des partis politiques, voir CDL-INF (2001) 8.