Le développement territorial durable du continent européen. Mise en œuvre de la Recommandation (2002) 1 du Comité des Ministres par les régions - CPR (11) 4 Partie II

Rapporteur:
Suvi RIHTNIEMI, Finlande,
Chambre des régions
Groupe politique : PPE/DC

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EXPOSE DES MOTIFS

Introduction

La Commission du développement durable de la Chambre des Régions a récemment lancé la préparation d’un rapport sur la mise en oeuvre, par le régions, de la recommandation du Comité des Ministres sur les « Principes directeurs pour le développement territorial durable du continent européen ». Le Congrès a, en effet, contribué à la préparation des Principes Directeurs dans le cadre de son étroite coopération avec le Comité des Hauts Fonctionnaires de la Conférence des Ministres Responsables de l’aménagement du territoire ( CEMAT).

Certaines régions d’Europe ont, en effet, des responsabilité considérables concernant l’aménagement du territoire. Par conséquent, la Commission a estimé important de soutenir la diffusion de ces principes au niveau régional. Le but de la Commission a été d’assurer que les domaines touchés par les Principes directeurs soient connus par les autorités régionales et le public des régions européennes et que ces Principes ne se bornent pas seulement aux frontières des gouvernements nationaux et aux agences spécialisées.

Pour ce faire, le rapport donne une série d’exemples et des bonnes pratiques, basés sur une étude comparative, pour la mise en oeuvre des principes et suggère des mesures pour les différents types de régions d’Europe (en particulier côtières, insulaires, frontalières et de montagne) comme étant adaptés au contexte régional spécifique.

La Commission a discuté et amendé le projet de Résolution lors de la réunion du 1er avril 2004 à Strasbourg et a par la suite adopté, par procédure écrite, le texte amendé.

La Commission souhaite remercier François Saint Ouen et la Fondation pour l’Economie et le Développement Durable des Régions d’Europe (FEDRE) pour la précieuse expertise fournie pour la préparation de ce rapport.

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Principes directeurs pour le développement territorial durable : un rôle central prévu pour les régions.

Dans de nombreux pays à tradition unitaire, ce sont des impératifs d’aménagement du territoire qui, dans les années 1950 et 1960, ont suscité la création d’un échelon régional, relayant l’action traditionnelle de l’Etat. Ce mouvement, porté intellectuellement par des économistes ou des géographes, et qui allait aussi dans le sens d’une évolution plus politique et de plus long terme se situant dans le sillage de revendications régionalistes, a été déterminant par exemple dans un pays comme la France, pour délimiter au milieu des années 1950 des « régions de programme » qui sont devenues les régions que nous connaissons aujourd’hui.

En 1983, la Charte européenne de l’Aménagement du territoire adoptée à Torremolinos, s’inscrivant dans cette tradition, allait encore plus loin et faisait du « niveau régional » rien moins que « le cadre le mieux approprié pour la mise en œuvre d’une politique d’aménagement du territoire » en insistant sur « la coordination entre les instances régionales elles-mêmes, les instances locales, nationales et entre régions de pays voisins ».

Plus récemment, la Conférence Européenne des Ministres responsables de l’Aménagement du Territoire (CEMAT) adoptait les 7 et 8 septembre 2000 à Hanovre des « Principes directeurs pour le développement territorial durable du continent européen » qui mettaient la notion de développement durable au centre de la politique européenne en matière d’aménagement du territoire. Le 30 janvier 2002, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe recommandait aux Etats-membres la mise en application de ces Principes directeurs, qui reposent explicitement sur la Charte de Torremolinos, en tant que document de référence pour leurs mesures nationales d’aménagement et de développement du territoire [Recommandation (2002) 1 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe].

En vue de la réunion de la CEMAT à Ljubljana (Slovénie) les 16 et 17 septembre 2003, les divers Etats-Membres ont produit des « contributions nationales » destinées à faire notamment état de la capacité de leurs politiques d’aménagement du territoire respectives à mettre en œuvre les « Principes directeurs pour le développement territorial durable du continent européen ». Il en est résulté un texte (CEMAT CHF 82 (2004) 2 Actes vol II) qui a été porté à l’attention des Ministres.

La commission du développement durable de la Chambre des régions a souhaité examiner quelles sont, au niveau des régions, dans le cadre de leurs politiques d’aménagement spatial, les tendances dans la mise en pratique de ces « Principes ». Ceci a été réalisé par des réflexions d’ordre général et par l’examen plus en profondeur d’exemples concrets et de bonnes pratiques dans trois types de régions, identifiées par la CEMAT comme étant des territoires spécifiques : une région transfrontalière (le Canton de Genève), une région possédant d’importantes zones côtières et insulaires (la Toscane), une région possédant d’importantes zones de montagne (l’Andalousie).

Le rapport a été discuté lors de la réunion de la commission du développement durable de la Chambre des régions qui a eu lieu à Strasbourg le 1er avril 2004.

Rappel du contenu des Principes directeurs de la CEMAT

Le texte énumère dix Principes d’une politique d’aménagement en faveur d’un développement durable de l’Europe:

(1) Promotion de la cohésion territoriale par le biais d’un développement socio-économique équilibré et de l’amélioration de la compétitivité ;
(2) Promotion des impulsions de développement engendrées par les fonctions urbaines et amélioration des relations ville campagne ;
(3) Promotion de conditions d’accessibilité plus équilibrées ;
(4) Développement de l’accès à l’information et au savoir ;
(5) Réduction des atteintes à l’environnement ;
(6) Valorisation et protection des ressources et du patrimoine naturels ;
(7) Valorisation du patrimoine culturel en tant que facteur de développement ;
(8) Développement des ressources énergétiques dans le maintien de la sécurité ;
(9) Promotion d’un tourisme de qualité et durable ;
(10) Limitation préventive des catastrophes naturelles.

Il est aussi prévu des mesures plus ciblées pour toute une série de « territoires caractéristiques », à savoir les paysages, les zones urbaines, les zones rurales, les montagnes, les régions côtières et insulaires, les eurocorridors, les bassins fluviaux et les vallées alluviales, les zones de reconversion, les régions frontalières.

Les grandes tendances en Europe concernant les régions par rapport à ces Principes

Une première constatation s’impose : ce sont les pouvoirs substantiels qu’ont en général les régions à pouvoir législatif pour l’aménagement de leur propre territoire. Elles disposent aussi de moyens financiers et administratifs conséquents. Les politiques qu’elles conduisent sont en général en harmonie avec la plupart des Principes directeurs, même si ceux-ci ne sont souvent évoqués qu’indirectement, à travers la référence à des textes nationaux qui les prolongent dans le domaine de l’aménagement durable du territoire. La situation est toutefois un peu moins favorable en Europe orientale, par exemple en Russie où seulement une dizaine de sujets de la Fédération (sur 89) s’appuie sur une vision du développement territorial durable proche de celle qui ressort des Principes directeurs définis par la CEMAT au niveau européen.

Par ailleurs, dans un certain nombre d’Etats où les régions n’ont pas de compétences législatives, la loi leur reconnaît toutefois d’importantes responsabilités dans le domaine particulier de l’aménagement du territoire. Elles ont notamment pour tâche de planifier de développer et mettre en oeuvre une planification régionale et de mettre en œuvre les activités des autorités locales ou sub-régionales dans ce domaine. Cette responsabilité confiée à l’échelon régional en matière d’aménagement du territoire se retrouve par exemple en France, aux Pays-Bas, dans les pays de l’Europe du Nord et, de plus en plus, dans ceux de l’Europe centrale (à cause de l’UE et de sa politique structurelle).

Une autre question relativement importante est la différence parfois considérable de taille entre les régions européennes, au point qu’il est certainement difficile de distinguer une commune mesure. Ainsi, alors qu’un sujet de la Fédération de Russie couvre en moyenne 190.000 km2 (soit beaucoup plus que de nombreux pays européens), une région tchèque ou lituanienne ne représente environ que 6000 km2 (soit 30 fois moins !), alors que dans une position intermédiaire se situeraient les Communautés autonomes espagnoles (32.000 km2), les régions françaises (25.000 km2) et ukrainiennes (22.500 km2), ou les Länder allemands (21.000 km2).

Le débat sur les structures régionales « adéquates » a récemment été très fort dans les pays concernés par l’élargissement de l’Union Européenne (mentionnons par exemple le cas de la Roumanie, où il est toujours en cours). L’histoire montre que deux grands types d’évolution sont possibles :

Quand on évalue la capacité de mise en œuvre des Principes directeurs (et des objectifs qui les inspirent), on doit par ailleurs souligner le défi que représentent tout particulièrement les pays en transition. Ces Etats doivent en effet résorber toute une série d’atteintes spécifiques à l’environnement et au développement territorial qui sont des séquelles du système précédent, par exemple la reconversion d’industries lourdes ou de bassin miniers, ou encore dans certains cas la reconversion d’unités de production d’armement. De plus, les structures régionales ont souvent été l’objet récemment de transformations. Elles sont donc jeunes et n’ont qu’assez rarement la capacité humaine, technique et financière de faire face, du moins à court terme (et même avec l’aide de l’Union Européenne), à des problèmes aussi considérables. De plus, le poids des administrations de l’Etat central demeure en général très important en matière d’aménagement du territoire, et les Principes directeurs eux-mêmes sont plus connus à cet échelon que des autorités régionales elles-mêmes qui parfois même en ignorent l’existence.

De manière plus générale, il y a aussi beaucoup à faire pour que les thèmes développés par les Principes directeurs sortent de la sphère restreinte des organismes scientifiques spécialisés et touchent plus directement les autorités publiques régionales ainsi que l’opinion publique et les citoyens des diverses régions d’Europe. Un large programme de formation et d’information semble de ce point de vue nécessaire. Ce point est important si l’on veut véritablement qu’à terme, les politiques sectorielles (développement économique, emploi, logement, transports, énergie, culture et éducation, santé, etc…) qui sont développées au niveau régional tiennent véritablement compte d’objectifs cohérents d’aménagement du territoire orientés vers le développement durable. En effet, une politique de développement territorial durable est par nature « transversale » et concerne toutes les politiques sectorielles menées aux niveaux local, régional, national et européen. Ses principaux éléments et objectifs doivent être très bien connus des responsables des diverses politiques sectorielles, qui doivent en outre en partager les finalités et sans cesse veiller à les appliquer au niveau qui est le leur. Sans cela, le développement territorial s’exposerait à demeurer plus un catalogue d’intentions qu’un programme concerté d’actions et de réalisations allant toutes dans la même direction. De même, l’aménagement du territoire doit tenir en considération les besoins et les objectifs des politiques sectorielles. Il devrait y avoir interaction entre les politiques sectorielles et l’aménagement du territoire.

Un exemple de politique frontalière d’une région : le Canton de Genève

On dénombre en Europe environ 150 eurorégions. L’exemple de ce qui se passe dans la région de Genève, où la coopération transfrontalière à la fois correspond à une nécessité et constitue une longue tradition, montre certaines des difficultés spécifiques que l’on doit dans ce cas affronter, mais aussi le type de réalisations qu’il est possible de mener à bien dans de nombreux domaines.

Le Canton de Genève a plus de 100 kilomètres de frontières avec la France et seulement 4,5 avec le reste de la Suisse. Il constitue le principal pôle urbain d’une région qui déborde sur les territoires français et suisses (Canton de Vaud) voisins. Le phénomène transfrontalier y est une réalité bien ancrée depuis de nombreuses années. Ce type de relations est rendu encore plus nécessaire par l’exiguïté du territoire genevois (246 km2). On remarque ainsi une grande disparité de taille par rapport à son homologue français, la région Rhône-Alpes (43.698 km2), ce qui oblige à travailler également avec des entités plus petites, notamment les deux départements voisins de l’Ain (5762 km2) et de la Haute-Savoie (4388 km2) et même avec des échelons intercommunaux. C’est en 1973 que ces relations se sont véritablement institutionnalisées autour du phénomène des travailleurs résidant en France et exerçant leur activité professionnelle à Genève (travailleurs frontaliers). Depuis cette date, Genève reverse aux communes de résidence de ces travailleurs l’impôt que perçoit le Canton sur leur lieu de travail.

L’un des objectifs des Principes directeurs de la CEMAT est précisément d’organiser des bassins d’emploi transfrontalier. La région genevoise fait figure dans ce domaine à la fois de pionnier et d’exemple. Il y a aujourd’hui environ 38.000 travailleurs frontaliers à Genève. Ce marché de l’emploi, qui répond à un déficit d’offre de main d’œuvre suisse dans certains secteurs, est aujourd’hui très structuré. Les partenaires de cette coopération ne sont pas seulement les autorités politiques, mais englobent aussi des segments actifs de la société civile, notamment le Groupement transfrontalier européen, association française sans but lucratif dont l’objectif est d’informer, de représenter et de défendre les travailleurs frontaliers. Grâce à des financements du programme INTERREG III associant des partenaires français et suisses (dont le Canton de Genève), une « Maison transfrontalière européenne » a pu récemment voir le jour, dont l’objectif est de donner des informations transfrontalières sur l’emploi, la création d’entreprise, le logement, les assurances sociales, les transports, la vie culturelle. Par ailleurs, dans le cadre des accords bilatéraux entre l’Union Européenne et la Suisse, un Observatoire statistique transfrontalier des mouvements de population a vu le jour : les partenaires en sont l’Office cantonal genevois de la statistique, son homologue de la région Rhône-Alpes en France (INSEE) et son homologue du Canton de Vaud en Suisse (SCRIS).

Dans le domaine de la protection de l’environnement au niveau transfrontalier, l’action régionale s’est, durant la période récente, concentrée sur les cours d’eau et rivières. Ainsi, trois contrats de rivière ont été signés entre octobre 2003 et février 2004, avec pour objectifs de lutter contre la pollution et d’améliorer la qualité de l’eau. Les partenaires sont ici nombreux et représentent divers échelons de responsabilités politiques dans leurs compétences respectives : outre le Canton de Genève, il y a le Ministère français de l’Agriculture, l’Agence de l’eau de la région Rhône-Alpes, le département français de l’Ain (ainsi que sa Chambre d’Agriculture et sa Fédération pour la pêche et la protection du milieu aquatique), une Communauté française de communes recouvrant une partie du département de l’Ain.

Dans un autre registre, qui est celui du tourisme durable, un guide de découverte du patrimoine transfrontalier a été édité en 2002 sous l’égide du Comité régional franco-genevois. Il propose divers itinéraires de promenade, illustrés de photographies, de part et d’autre de la frontière. Par ailleurs, dans le domaine des transports, une action initiée il y a bien longtemps en faveur du rail est sur le point d’aboutir avec la remise en service d’une ligne ferroviaire reliant les deux gares de Genève et la gare française voisine d’Annemasse. Pour une opération de cette envergue, qui touche le réseau ferroviaire international franco-suisse, il a fallu l’accord de la Confédération suisse et de la Société suisse de chemins de fer. Toutefois, le Canton de Genève a pris en charge une partie substantielle du financement. De plus, il faut noter que les transports publics (autobus et tramways) fonctionnent en réseau des deux côtés de la frontière depuis plusieurs années déjà.

L’une des principales caractéristiques, et des principales difficultés de la coopération transfrontalière décentralisée, est de mettre en relation des entités qui appartiennent à des systèmes juridiques nationaux différents, et qui souvent n’ont pas les mêmes compétences, des moyens d’agir et des habitudes administratives parfois assez différents.

Ceci n’a pas que des inconvénients, comme nous le montre l’expérience genevoise. Pôle urbain de la zone transfrontalière, le Canton de Genève a pour autre principal atout d’être une région à pouvoir législatif, comme tous les autres Cantons de la Confédération suisse. Cela lui donne des compétences constitutionnelles pour agir dans certains secteurs de la coopération transfrontalière décentralisée, sans devoir passer par le pouvoir central. Cela lui donne aussi les moyens d’être un moteur de cette coopération. En est un bon exemple l’adoption en 2001, comme la Constitution l’y autorise, d’une Loi instaurant un Agenda 21 pour le Canton de Genève, mais qui prévoit aussi son extension à terme au plan régional et transfrontalier1. Ainsi des compétences législatives propres peuvent avoir un effet induit sur l’ensemble de la dynamique transfrontalière. Il ne s’agit que d’un exemple, qui toutefois ne peut avoir ce genre d’effets positifs que si l’on conserve un climat de dialogue et de respect mutuels entre partenaires, sans chercher à imposer quoi que ce soit. Dans le cas de Genève, la communauté de langue, de culture (sauf dans le domaine politique et administratif), et les complémentarités de toutes sortes qui rendent depuis des années nécessaire cette relation transfrontalière permettent qu’il en soit le plus souvent ainsi. Ajoutons-y l’entrée en vigueur des accords bilatéraux entre la Suisse et l’Union Européenne qui offrent un cadre de développement supplémentaire aux relations transfrontalières dans divers domaines.

En revanche, on se rend compte de la grande diversité d’acteurs qu’implique une telle coopération (nous avons mentionné l’Association des travailleurs frontaliers, les Chambres de Commerce ou d’Agriculture, etc…). En réalité, le Canton de Genève est souvent directement en contacts avec des échelons subrégionaux du côté français, que ce soient les deux département de l’Ain et de la Haute-Savoie ou des Communautés de communes recouvrant au sein de ces deux départements des aires géographiques limitrophes. Prenons comme exemple un projet (qui répond à l’un des objectifs des Principes directeurs) de constitution d’une agglomération transfrontalière : dans ce cadre, les services concernés du Canton de Genève traitent directement avec quatre Communautés de communes françaises. Un échelon régional a donc dans ce cas comme interlocuteur principal un échelon intercommunal. Par ailleurs, alors que du côté français, les Communautés de communes sont en principe représentées par des élus, le Canton de Genève est représenté lui surtout par des fonctionnaires.

Toutefois, des progrès considérables ont été réalisés pour associer plus étroitement le Canton de Genève et son homologue française de même niveau, la Région Rhône-Alpes. Une Convention de coopération entre les deux partenaires a été signée en 2001 avec un Programme de travail sur trois ans, entre 2003 et 2005, couvrant six axes : les transports, l’aménagement du territoire, la formation, les biotechnologies, les nouvelles technologies de l’information et de la communication, le tourisme. Sous chacun de ces points, on retrouve les priorités définies au niveau européen dans les Principes directeurs de la CEMAT. Cet effort de programmation interrégionale de la coopération transfrontalière est une étape décisive.

Un exemple de politique côtière d’une région : la Toscane

L’Europe a des dizaines de milliers de kilomètres de régions côtières et insulaires qui vont de l’extrême-nord à la Méditerranée et de l’extrême-ouest à la mer Noire. Aussi, c’est la très grande diversité de compétences de ces régions et le degré très variable d’inclusion des objectifs contenus dans les Principes directeurs dans leurs politiques de développement et d’aménagement qui sont ici la règle.

Schématiquement, on peut distinguer quatre grands groupes de régions côtières et insulaires, que l’on peut ranger par ordre croissant de compétences propres. Dans le premier groupe, qui comprend par exemple les régions ordinaires portugaises, les « périphéries » grecques et l’ensemble de la côte est de la mer Adriatique, ces compétences sont très peu développées. Dans le second groupe, qui comprendrait par exemple les régions suédoises ou françaises, des compétences propres existent, mais l’Etat central demeure un acteur essentiel dans la politique d’aménagement du littoral. Dans le troisième groupe, qui comprendrait les Communautés autonomes espagnoles et les régions italiennes (du moins celles d’entre elles qui se sont donné les objectifs stratégiques et les moyens pratiques d’une véritable politique d’aménagement régional), on se trouve dans une situation qui permet de répondre à un grand nombre de points soulevés par les Principes directeurs. Enfin, dans la dernière catégorie, qui comprend des régions à pouvoirs législatifs comme les Länder allemands, on se trouve en présence d’autorités politiques qui ont les moyens d’appliquer pour leur propre compte les Principes directeurs.

La Toscane (22.992 km2), dont la côte est très découpée, représente près d’un tiers du rivage italien de la Mer tyrrhénienne. C’est, parmi les régions à statut ordinaire de ce pays, l’une de celles qui ont développé des actions allant le plus dans le sens des Principes directeurs. Un Plan régional de développement 2003-2005 est actuellement en cours d’exécution qui est complété par divers plans sectoriels. Ce document est complété par un Plan régional d’action dans le domaine de l’environnement 2004-2006 mentionné ci-après par le sigle PRAA (pour Piano Regionale di Azione Ambientale). La recherche de ce qui est appelé l’ « éco-efficience », notion proche du développement durable, induit une série d’objectifs visant à une meilleure intégration des thématiques environnementales dans la politique économique et territoriale des autorités régionales.

L’idée est de faire de la Toscane une région d’avant-garde en Europe par ses actions concrètes destinées à améliorer la qualité de l’environnement, à aménager en conséquence le territoire et à prévenir les situations de risques écologiques. Cette planification d’envergure, qui rejoint les divers objectifs contenus dans les Principes directeurs de la CEMAT, associe divers types d’acteurs, du simple citoyen aux entreprises, ainsi que des autorités publiques de différents niveaux. Chaque domaine d’activité fait référence aux instruments normatifs de l’Union Européenne, aux lois et réglementation nationales existantes, ainsi qu’aux lois et décrets régionaux sur la question. Quatre grandes zones d’action prioritaire ont été retenues : les changements climatiques, la nature et la biodiversité, l’environnement et la santé, l’usage durable des ressources naturelles et la gestion des déchets.

Dans ces quatre zones d’action prioritaire, le PRAA identifie 15 macro-objectifs :

1. Changements climatiques (3 macro-objectifs)

2. Nature et biodiversité (5 macro-objectifs)

3. Environnement et santé (3 macro-objectifs)

4. Usage durable des ressources naturelles et gestion des déchets (4 macro-objectifs)

Par ailleurs, une carte de la région de Toscane a été réalisée qui identifie les « zones critiques » du point de vue de l’environnement et les actions à y réaliser. Le PRAA dégage en outre deux concepts que les Principes directeurs de la CEMAT jugent eux aussi importants : celui de « gouvernance », c’est-à-dire l’articulation de différents niveaux d’acteurs publics et privés ; celui d’ « intégration », c’est-à-dire les liens dynamiques et les objectifs communs qui doivent animer les diverses politiques sectorielles dans le domaine du développement territorial durable.

Le PRAA développe aussi une véritable « stratégie de la mer », qui concerne les zones côtières et les îles2. Plusieurs objectifs stratégiques sont formulés, qui passent par une revalorisation des provinces et des autres autorités côtières dans le processus de planification : il s’agit de réaliser une meilleure convergence de développement entre les zones côtières et celles de l’intérieur et de conférer à la Toscane l’identité d’une région maritime en mettant en avant les critères de valorisation et de durabilité, en promouvant le tourisme durable, en développant l’accessibilité de certaines zones, en valorisant la culture et le patrimoine des régions côtières et des îles, en menant des actions de formation et de requalification de la main d’œuvre, etc…

Les autorités régionales ont, du point de vue du développement durable de leurs zones côtières et de leurs îles, identifié six domaines particulièrement critiques, pour lesquels des axes d’action spécifiques sont déterminés :

Un exemple de politique de la montagne d’une région: l’Andalousie

Les zones de montagnes sont souvent transfrontalières. Dans ce cas, la problématique est celle de la coopération transfrontalière dont nous avons vu un exemple avec le Canton de Genève. Il y a notamment la difficulté d’articuler des systèmes politiques et juridiques, voire des niveaux de développement ou des langues et des cultures, différents. Le même type de question se pose aussi pour les montagnes situées à l’intérieur d’un pays, mais qui sont très souvent partagées entre plusieurs régions3, ce qui pose des problèmes d’harmonisation des plans d’aménagement. Dans certains cas, cela permet à l’Etat central de conserver un rôle important. Ainsi, en France, où la politique de la montagne se fait par massif, l’Etat conserve un rôle d’orientation très important par rapport aux régions dans les Alpes (partagées entre la région Rhône-Alpes au nord et Provence-Alpes-Côte d’Azur au sud) et dans les Pyrénées (réparties entre Aquitaine à l’ouest, Midi-Pyrénées au centre et Languedoc-Roussillon à l’est).

Situées au centre de l’Europe, les Alpes sont, en large partie, composées de régions à compétences fortes dans le domaine de l’aménagement du territoire et souvent dotées d’une conscience du développement durable élevée (Cantons suisses, Länder autrichiens et allemands, Régions autonomes italiennes notamment). Les Pyrénées offrent une situation asymétrique avec une plus grande présence des régions du côté espagnol et de l’Etat central du côté français. Dans les Carpates (sauf certaines exceptions) en Europe centrale et, plus généralement encore, dans le massif de la Stara Planina dans les Balkans, le rôle des régions dans l’aménagement de la montagne est faible4.

L’Andalousie possède, surtout dans ses montagnes, la plus grande superficie d’espaces naturels protégés d’Espagne, qui couvrent 17% de la superficie de la Communauté autonome. Le statut d’autonomie de l’Andalousie (1981) lui attribue, dans son article 13, une « compétence exclusive » dans une large série de domaines qui sont très pertinents par rapport aux objectifs définis dans les Principes directeurs de la CEMAT. A titre d’exemples, mentionnons la culture, le patrimoine historique, l’artisanat, l’aménagement du territoire, le tourisme, les sports et loisirs, la santé, les ressources en eau, l’énergie, etc…

L’instrument juridique de référence est la loi régionale d’aménagement du territoire datant de 1994, qui fixe comme objectif un développement équilibré et soutenable. Cette loi a été prolongée en 1995 par un Plan de développement. Après toute une procédure de consultation de milieux très divers, le gouvernement régional a édicté le 4 mai 1999 un décret approuvant les bases et stratégies du Plan d’Aménagement du Territoire de l’Andalousie pour le début du XXIe siècle. Ce document vise à coordonner les différentes politiques sectorielles dans la perspective d’un développement durable en répondant à deux types de préoccupations :

Le modèle de développement souhaité est basé sur l’amélioration de la compétitivité des différents secteurs économiques, la recherche d’une meilleure cohésion sociale, le renforcement de l’articulation physique du territoire régional, l’utilisation rationnelle des ressources et la valorisation du patrimoine naturel et culturel. Le document souligne que « l’aménagement du territoire, comme compétence relevant spécifiquement de la Communauté autonome, se doit d’établir les caractéristiques désirables du modèle territorial régional ». Par ailleurs, ce Plan d’aménagement a été récemment complété par un Plan environnemental 2004-2010 pour l’Andalousie, qui est basé sur l’articulation, défendue dans les Principes directeurs de la CEMAT, entre le développement durable et la société de l’information, de façon à ce que l’environnement ne se décline pas uniquement sur le mode du « traditionnel » ou du « rural », mais aussi de l’ « innovant » et de l’ « entreprenant ».

Le « traitement spécifique des zones de montagne » est une compétence exclusive de la Communauté autonome (Statut d’autonomie, art. 13). Aussi, un chapitre distinct des bases et stratégies du Plan d’aménagement est consacré aux importantes zones de montagne que comprend l’Andalousie (Sierra Aracena, Sierra Morena, Sierra del Castril, Sierra Nevada, Sierras de Cazorla, de Segura et de Las Villas, etc…). Il est constaté que les montagnes ont jusqu’ici peu participé à l’essor économique de l’Andalousie mais qu’elles contiennent en revanche une grande partie de son patrimoine et de ses ressources naturelles (eau, forêts, diversité biologique et paysagère). La crise de l’économie montagnarde traditionnelle est interprétée par les autorités de la Communauté autonome comme une série de potentialités à exploiter. L’effort de valorisation consiste à les promouvoir comme des espaces de potentiel touristique et de loisir, comme des réserves de productions artisanales de qualité, ainsi que comme des enclaves de préservation de la biodiversité et des ressources naturelles. On retrouve ici, sous des formes diverses, une partie significative des Principes directeurs de la CEMAT concernant les zones de montagne.

On peut prendre l’exemple de la Sierra Morena de Cordoue qui se trouve au Nord de l’Andalousie. Dans la perspective du développement durable, un thème central est la revalorisation de la dehesa en tant qu’éco-système bien intégré au contexte méditerranéen. La dehesa est un paysage unique de forêts de chênes, propre à l’Ouest et au Sud-Ouest de l’Espagne (c’est là que sont regroupées la moitié des forêts de chênes de la planète). Y vivent traditionnellement des petits propriétaires pratiquant l’élevage, les ganaderos. Des actions sont aussi engagées notamment pour réhabiliter l’habitat traditionnel et les chemins ruraux et pour développer le tourisme durable.

Dans cette opération de réhabilitation de la Sierra Morena, la Communauté autonome n’est pas seule. A côté de l’Etat espagnol, qui a les compétences de créer des parcs naturels (il y en a deux dans cette zone), l’Union Européenne est présente à travers deux programmes, LEADER + et PRODER. Le premier intervient dans la valorisation du patrimoine naturel et culturel et dans l’amélioration de la capacité des communautés qui vivent sur le territoire à générer leurs propres formes de développement. Le second concerne le développement endogène des zones rurales.

Par ailleurs, le Gouvernement de la Communauté autonome dispose de compétences propres qui s’étendent au tourisme (loi régionale du 15 décembre 1999) et au tourisme en milieu rural (décret régional du 29 février 2002). Ce dernier décret fixe « comme principal objectif le développement d’un système de tourisme durable et compétitif » basé, pour les populations concernées, sur la diversification d’activités hors de l’agriculture et de l’élevage et sur l’offre de services de qualité. En Sierra Morena, un Centre d’initiatives touristiques a été créé en 2000, avec notamment pour objectifs la défense de l’environnement, la réhabilitation de l’architecture traditionnelle, la promotion de nouvelles constructions intégrées au paysage, la diffusion de la culture locale. Dans un autre domaine, le décret régional du 6 novembre 2001 sur la création de labels de qualité certifiée pour les productions agro-alimentaires est important pour la région de la Sierra Morena où, à côté de produits traditionnels de très haute réputation comme le jambon5, on essaie de développer d’autres types de productions comme le miel, les champignons ou les fruits.

La Communauté autonome travaille bien entendu avec les autorités locales concernées aux stades de la définition et de la mise en œuvre de ses orientations. Elle travaille également avec des branches du secteur privé (comme les professionnels du tourisme) et divers milieux associatifs. C’est ainsi qu’en Sierra Morena, outre le Centre d’initiatives touristiques mentionné plus haut, une partie très significative de l’action de mise en valeur de la zone, dans une perspective de développement durable, passe par un Groupement de développement rural et une Association pour le Développement de la Sierra Morena de Cordoue, créée en 1998, qui gère le programme LEADER + et a des compétences dans le domaine de l’environnement, de l’emploi, de la formation, du tourisme et de la promotion des produits.

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En conclusion, nous pouvons souligner que l’aspect « pédagogique » développé dans le texte de Hanovre concernant les « territoires caractéristiques » de nature régionale (zones côtières et insulaires, régions de montagne, régions frontalières, etc) nous a donc semblé le plus pertinent par rapport au rôle des régions.

Nous espérons que les cas typiques que nous avons analysés puissent servir de base de réflexion pour toutes les régions de la Grande Europe et aider ces dernières à la mise en œuvre, en liaison avec les autorités nationales, des « Principes » indiqués par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe.

Pour l’avenir, il serait certainement très utile que le Congrès puisse, à travers une réflexion préliminaire de la Commission du développement durable de sa Chambre des Régions, reprendre les « Principes » adoptés à Hanovre pour les traduire en objectifs précis touchant plus spécifiquement les autorités politiques régionales. Il faudrait donc pour l’avenir diffuser et expliquer en quoi chacun des principes énumérés peut s’incarner dans une action précise menée au plan régional.

 

1 L’article 15-A de cette Loi fixe pour perspective à plus long terme (en 2006) « la mise en œuvre d’un Agenda régional et transfrontalier, en collaboration avec les autorités compétentes ».

2 Constitué en Parc naturel, l’archipel de la Toscane se compose de sept îles : Elba (rendue célèbre par Napoléon), Montecristo (popularisée par Alexandre Dumas), Giglio. Giannutri, Capraia, Gorgona et Pianosa. Montecrisco est inhabitée. Gorgona et Pianosa sont des colonies pénitentiaires (la nature n’y étant pas moins splendide).

3 C’est le cas du massif de la Sierra Morena, étudié dans ce texte, qui est partagé entre l’Andalousie, l’Extrémadure et la Castilla-La Mancha.

4 Cela ne signifie pas, bien entendu, que rien ne se fasse dans le domaine du développement durable et de la protection de l’environnement (comme en atteste le parc naturel de la Stara Planina occidentale entre la Bulgarie et la Serbie créé en 1996), mais les acteurs de ces initiatives sont les Etats centraux et les communes, beaucoup moins les régions.

5 Correspondant à l’éco-système de la dehesa (forêt de chênes), ce produit est très particulier : il s’agit d’un « jambon de bellota », le porc se nourrissant de glands (bellotas). Le plus réputé de la Sierra Morena est celui de la Vallée de Los Pedroches, au nord de Cordoue, qui jouit d’une appellation d’origine.