La sûreté nucléaire et la démocratie locale et régionale1 - CG (5) 10 Partie II

Rapporteurs:
Josef LEINEN (Allemagne) et Anders KNAPE (Suède)

EXPOSE DES MOTIFS

I. Introduction

C’est dans les années 1940 qu’a été mise au point la technologie nucléaire reposant sur la libération de grandes quantités d’énergie à partir de la fission des atomes de certains éléments.

Mais ce n’est que dans les années 1950 que l’on s’est intéressé à l’exploitation de la fission nucléaire à des fins pacifiques, notamment pour produire de l’électricité. Les premières centrales nucléaires industrielles ont commencé à fonctionner dans les années 1950. On compte aujourd’hui, répartis dans 32 pays, 441 réacteurs nucléaires de type industriel qui produisent 17% de l’électricité mondiale. Vingt neuf autres sont en cours de construction.

A l’heure actuelle, le monde produit plus d’électricité à partir de l’énergie nucléaire qu’il n’en produisait en 1958 toutes sources confondues. Dans quelque dix-sept pays, au moins un quart de la production d’électricité est d’origine nucléaire. Par conséquent, la production nucléaire d’électricité continuera encore longtemps à être une réalité, malgré de nombreuses tentatives pour freiner son développement.

La modernisation des réacteurs vieillissants est nécessaire pour rendre ce type de production d’énergie viable dans de meilleures conditions de sécurité. Il est également possible de mettre en place des systèmes intégrés de production d’énergie (gaz naturel, énergie solaire, chauffage urbain, etc.) associés à des mesures d’économie d’énergie de toutes sortes.

En juin 1997, le CPLRE, en coopération avec le Comité des Régions de l’Union européenne, a organisé une conférence sur la sûreté nucléaire et la démocratie locale et régionale à Göteborg, en Suède. Des représentants des pouvoirs locaux et régionaux ainsi que des spécialistes de l’énergie nucléaire venus de 18 pays ont assisté à cette conférence.

Les participants ont reconnu la « gravité des craintes pour la santé publique » que suscitent non seulement les accidents nucléaires, mais également la production d’énergie nucléaire, le retraitement du combustible nucléaire et le stockage des déchets. La seule manière de parvenir à un véritable consensus sur ces questions est de s’appuyer sur trois principes: la transparence, la participation et un développement économique diversifié. Les délégués ont d’un commun accord préconisé le droit, pour les collectivités locales et régionales, d'être consultées, d'avoir accès à l’information et de pouvoir faire jouer la responsabilité de l’industrie nucléaire européenne.

L’absence de contrôle du Parlement européen sur les questions nucléaires au sein de l’Union européenne, l’absence de droits effectifs des citoyens à des informations relatives à l’environnement dans de nombreux pays et l’exclusion des collectivités locales de toute prise de décision concernant la sûreté nucléaire illustrent bien l’absence de transparence et de responsabilité et conduisent inévitablement à des rapports de méfiance entre les pouvoirs locaux et régionaux, les citoyens et l’industrie nucléaire.

Des commissions bilatérales entre pays pourraient gérer la sécurité transfrontière, à condition d'être associées à des comités locaux et régionaux chargés de veiller au respect des mesures de sécurité.

Les conclusions de la conférence lancent un message clair à l’industrie nucléaire et aux gouvernements nationaux: les pouvoirs locaux et régionaux sont déterminés à obtenir des droits exécutoires à l'information et à la consultation en ce qui concerne la sûreté de la gestion de cette industrie. Les participants appellent dans ces conclusions à la mise en place pour le contrôle de la sûreté de toutes les installations nucléaires, d'une procédure véritablement européenne propre à garantir une neutralité complète et une indépendance totale à l’égard des producteurs d’énergie.

II. Rayonnement ambiant : sources, santé publique et protection

Il ressort clairement que les rayonnements ionisants provenant de l'environnement présentent des risques et suscitent des craintes légitimes au niveau de la santé. Les priorités mentionnées ci-après requièrent toute l'attention voulue:

- retombées des accidents nucléaires
- rejets d'actinides provenant du stockage de déchets nucléaires et du traitement et du retraitement du combustible nucléaire
- radon dans l'environnement domestique
- nouveaux essais d'armes nucléaires dans l'atmosphère, s'ils venaient à se produire.

Le système actuel de protection du public est lié à la protection de sujets professionnellement exposés aux rayonnements. La limite du débit de dose moyen pour le public d'1 mSv par an ou de 70mSv pendant une vie à partir de toutes les expositions prévues, avec des doses annuelles maximales, a été accepté pendant plusieurs années. Cette limite est conforme au principe de variation de la radioactivité naturelle décrit ci-dessus. Toutefois, la limite de dose pour le public ne vaut que pour des irradiations prévues et n'inclut ni les irradiations accidentelles, ni les irradiations dues au radon, et elle n'englobe l'exposition aux actinides qu'en théorie;

L'irradiation présente un dommage pour la santé, qui n'a pas encore été mentionné, il s'agit du dommage psychologique. L'altération réelle de la santé s'accentue avec la seule perception que l'irradiation s'est produite et qu'elle peut être nocive pour la santé. Bien que la fréquence des cas de cancers de la thyroïde ait augmenté après Tchernobyl, l'effet psychosocial de cet accident constitue l'effet le plus important que l'accident ait entraîné sur la santé à ce jour.

L'irradiation est considérée par le public comme une catégorie " spéciale" de risque pour l'environnement, les limites de dose actuelle ne tenant pas compte de certaines voies d'exposition que le public juge les plus préoccupantes pour sa santé. Ces limites, à leur tour, se fondent dans certaines instances importantes, sur des évaluations très théoriques du risque et sont proposées par une organisation, la Commission internationale de protection radiologique (CIPR), dont la responsabilité première est de fixer le cadre et les limites de la radioexposition professionnelle.

Contrairement à l'opinion publique, les groupes professionnellement exposés sont en général bien informés des risques d'exposition aux rayonnements ionisants et de leur évaluation objective et ils acceptent d'ordinaire de plein gré tout risque auquel ils peuvent être exposés dans la vie courante. Le public est plus critique face à une exposition moindre. Son approche, plus intuitive est souvent considérée comme irrationnelle par les producteurs et les promoteurs de rayonnements qui donnent le nom de "radiophobie " à la résistance qu'a le public à être exposé.

Mais l'approche " rationnelle " qui repose sur les données disponibles sur les effets prévus d'une irradiation pour la santé ne tient pas compte de tous les problèmes. La radiocontamination de l'environnement est jugée par le public comme mauvaise en soi. Le terrain d'entente est donc trop mince pour qu'un " brassage d'idées" puisse avoir lieu et le respect du droit qu'a le public à évaluer à sa façon l'ampleur et le type de risque qu'il est prêt à tolérer est presque inexistant.

D'une manière générale, il n'est pas satisfaisant d'examiner séparément les risques d'un environnement radioactif pour la santé et les autres risques de l'environnement pour la santé . La radioactivité ne devrait pas être considérée comme un risque " séparé", le fait qu'il en soit ainsi est un accident de l'histoire. Logiquement, il conviendrait d'établir une distinction entre les risques pour la santé du public et les risques professionnels pour la santé, les premiers devant être examinés en même temps que les risques environnementaux. On pourrait ainsi tenir compte de la perception de ces risques et de leur importance pour le public dans des normes de protection, comme on le fait pour les risques provenant d'autres dangers pour l' environnement.

La question de la sûreté nucléaire, et donc des normes de radioprotection, se pose aux différents stades de l’utilisation de l’énergie nucléaire. Ces normes concernent la construction de la centrale, la période d’activité de la centrale mais aussi la gestion à court, moyen et long terme des déchets nucléaires.

On a pu constater que ces normes de radioprotection sont de plus en plus sévères. Ces limites quant à la prévisibilité et à l’incer-titude posent le problème du droit des générations futures. Il serait judicieux à l’avenir de disposer d’une codification du droit nucléaire, ce qui aurait entre autres mérites de soumettre le cycle du nucléaire dans son ensemble aux principes généraux du droit de l’environnement. Parmi ceux-ci figure le droit à la santé, ce qui implique que toutes les précautions soient prises dans la gestion du nucléaire.

Un des principes qui a trouvé une large application ces derniers temps, est le principe de participation. Il faut reconnaître que jusqu’à présent sont application en matière nucléaire s’est limitée à l’enquête publique obligatoire lors de la procédure d’étude d’impact. Or, pour lutter contre le phénomène NIMBY, il faudrait y apporter une plus grande attention.

Le principe pollueur-payeur est souvent proclamé mais rarement précisé. Il pose de très sérieux problèmes de mise en oeuvre dans le domaine des déchets nucléaires de longue période de vie. Parmi les questions posées par les déchets, il y a celle qui consiste à savoir quel doit être le montant de la charge financière et qui doit être reconnu comme débiteur.

La question qui nous semble être la plus importante est celle du long terme. Elle concerne l’incertitude et toutes les conséquences juridiques qui en découlent. C’est le principe de précaution qui doit guider l’action. En ce qui concerne le nucléaire, c’est principalement les déchets qui y seraient confrontés. Ce principe pouvait alors se traduire par l’obligation de performances minima comme, par exemple, l’application des règles fondamentales de sûreté.

Le principe de précaution met encore en lumière le problème de l’irréversibilité. Si le concept n’est pas nouveau, car appliqué notamment au droit de la responsabilité (préjudice irréparable) ou au droit du travail (incapacité permanente), en droit de l’environnement il revêt une dimension particulière car il concerne le moyen et le long terme et donc les générations futures. L’irréversibilité est par ailleurs intimement liée à la notion de développement durable ou soutenable. Il ne faut pas, par nos actions, prédéterminer de manière irréversible l’avenir des générations futures.

Il faut encore remarquer que nous entrons dans une nouvelle étape de l’ère nucléaire : le déclassement des premières centrales. Si l’AIEA a reconnu dès 1973 la nécessité d’inclure les aspects de déclassement dans ses programmes et de définir des principes généraux en la matière, il n’existe pas encore aujourd’hui de texte communautaire spécifique sur le sujet.

La convention sur la sûreté nucléaire de 1994 contient quelques articles qui s’y appliquent directement et le projet de convention sur la sûreté de la gestion des déchets radioactifs y fait une plus grande place. Il s’agit pourtant d’une question qui doit être traitée avec attention car elle pose des problèmes de sûreté et présente pour le public une grande visibilité; il faudra donc la régler de manière transparente.

L’avenir verra certainement s’accroître les contrôles et les exigences en matière de sûreté et cela dans la juste ligne d’une meilleure application du principe de précaution.

III. L'évacuation des déchets radioactifs et la sécurité de l'environnement

La radioactivité suscite au sein du public une inquiétude bien réelle et largement répandue. Cette inquiétude s'explique en partie par le fait que l'être humain ne puisse percevoir les rayonnements et par la nature des maladies qui y sont associées. Même la façon dont sont perçus les problèmes associés à la radioactivité peut avoir des effets imprévus. Dans certains segments de la population, l'inquiétude que provoque la radioactivité est accentuée par une certaine méfiance vis-à-vis de l'industrie nucléaire.

Dans la plupart des pays, l'évacuation en milieu géologique des déchets radioactifs à vie longue est un sujet relativement nouveau et sensible. De nombreuses questions liées à l'étude de propositions relatives à l'évacuation des déchets radioactifs sont complexes et limitées à ce domaine; autrement dit, elles sont peu connues et comprises du grand public. Mentionnons par exemple les notions de dose et de risque, l'acceptabilité de certaines doses et de certains risques, ou encore les dossiers de sécurité. Ces questions sont autant de défis pour l'autorité chargée de la réglementation, qui doit communiquer avec le public.

En matière d'évacuation des déchets radioactifs en milieu géologique, il est crucial - mais loin d'être facile - de maintenir la confiance du public. Il est essentiel que la fonction consistant à faire respecter la réglementation soit transparente et fasse l'objet d'une information véritable. Cela doit faire partie du dispositif réglementaire qui s'impose dès le début au maître d'ouvrage d'un dépôt en profondeur.

Grâce aux connaissances scientifiques actuelles, il est facile d'améliorer la situation par exemple en structurant et en simplifiant les choses. Il est souvent jugé important de séparer les risques dus aux rayonnements directs de ceux qui sont dus à l'absorption pour mieux comprendre la situation. Le véritable grand danger des matières radioactives serait présenté par les déchets dérivant de manière incontrôlée. En pareil cas, la priorité absolue doit consister à identifier, conditionner et stocker les déchets.

Il n'est pas besoin d'être spécialiste pour expliquer et comprendre que l'eau, le béton ou l'acier protègent les humains contre les rayonnements. Les problèmes des rayonnements directs sont aussi, dans une large mesure, liés au milieu de travail et ne devraient normalement pas inquiéter les tiers.

Les risques dus à l'absorption sont plus difficiles à comprendre. Pour quelqu'un d'extérieur ainsi que pour la plupart de ceux qui sont en cause, il est quasiment impossible de comprendre «ce qui est grand et ce qui est petit».

Une fois que le combustible irradié a été placé dans un dépôt, il faut savoir que les risques éventuels dépendent de la forme chimique des éléments radioactifs. Le césium qui se trouve dans le combustible irradié peut être dissous dans les eaux souterraines et en tant que tel a la possibilité d'atteindre la biosphère et l'homme. Par ailleurs, le césium et les autres produits de fission ont une vie relativement courte. Il est quasiment impossible de dissoudre dans les eaux souterraines les actinides à vie longue restants qui sont utilisés dans le combustible actuel et qui demeurent toxiques pendant des dizaines de milliers d'années. Toute libération éventuelle devrait être très faible.

IV. Les facteurs socio-culturels de l’acceptation par le public de l’énergie nucléaire et des risques qui y sont associés

S'il existe de nombreuses définitions de la démocratie, le mot, dans son acception la plus simple, signifie "le pouvoir du peuple". La démocratie décrit un régime où le peuple décide effectivement des circonstances de sa vie quotidienne et forge ainsi son destin historique.

Quelque idéaliste que soit cette définition, il faut reconnaître que les risques en général et les risques nucléaires en particulier peuvent déclencher une sorte d'exercice de démocratie. C'est sous la pression de l'opinion que le programme électronucléaire a été ralenti dans plusieurs pays du nord de l'Europe et aux Etats-Unis.

L'idée de "pouvoir du peuple" est essentielle à l'acceptation de l'énergie nucléaire aujourd'hui. A la question de savoir ce qui augmenterait leur confiance dans la gestion d'une centrale nucléaire, les personnes interrogées dans le cadre d'une enquête nationale aux Etats-Unis ont donné leur préférence à ce point:

"Un conseil consultatif de résidents et d'écologistes est créé pour contrôler la centrale, et habilité à la fermer si elle lui paraît dangereuse".

Tel était le premier des critères de confiance choisis par les personnes interrogées, après des points tels que: "Il existe des plans d'évacuation et aucun problème de sécurité n'a été signalé au cours de l'année écoulée; le personnel employé à la centrale est sélectionné et formé avec soin, etc."

Ce sondage révèle un goût très net du public pour un contrôle démocratique (du moins aux Etats-Unis; nous verrons que cette tendance peut changer d'un pays à l'autre). Faut-il en conclure que la démocratie doit être automatiquement exercée, sans limite, sur les choix et décisions concernant, entre autres, le risque nucléaire ? Ou le pouvoir de décision doit-il être réservé et guidé exclusivement par la compétence et l'évaluation techniques ? Quel est le meilleur équilibre entre ces deux extrêmes ? Quelles raisons invoquer en faveur de l'équilibre trouvé, qui conviennent à toutes les parties prenantes ?

Il s'agit là de questions délicates que bien des pays européens affrontent aujourd'hui, de manière très concrète; il suffit de citer les référendums scandinaves contre la production d'énergie nucléaire ou le stockage des déchets; le refus opposé à la demande de création d'un laboratoire d'élimination des déchets par les collectivités locales britanniques et le rejet d'un appel par le Secrétaire national à l'environnement; l'expérience faite en France de l'impuissance des procédures démocratiques d'implantation à empêcher la résistance des collectivités locales; le tollé soulevé par les accidents survenus en Espagne lors d'applications médicales des radiations et les obstacles à la gestion du nucléaire ainsi suscités; les milliers d'agents de police mobilisés en Allemagne pour frayer un lent passage à un train de déchets nucléaires à travers une foule composée de personnes de tous les âges et de tous les milieux sociaux.

Parmi les nombreuses technologies perçues par le public comme une source de risque, l'énergie nucléaire occupe une place unique et prépondérante. Notre époque semble marquée par un désenchantement généralisé à l'égard de l'énergie nucléaire. Ce phénomène est observé depuis longtemps aux Etats-Unis et dans l'Europe du nord, mais deux pays où l'énergie nucléaire paraissait assez bien acceptée, la France et le Japon, donnent aujourd'hui des signes de rejet.

Bien que le public ne soit pas prêt, de nos jours, à le reconnaître spontanément, l'énergie nucléaire, comme la conquête spatiale, est l'un des signes distinctifs du 20ème siècle. La puissance nucléaire peut alimenter la fierté nationale lorsque la politique visait l'indépendance en matière de défense et d'énergie. Elle peut être le symbole d'une haute capacité technologique et de la maîtrise de forces qui dépassent l'homme. Dans le domaine pratique, elle offre d'indéniables avantages à des sociétés qui exigent une énergie sûre, abondante et bon marché. Par rapport à l'exploitation du charbon ou du pétrole, elle a l'avantage de moins polluer.

L'énergie nucléaire s'est développée dans le cadre d'un contrat social tacite entre les personnes appelées à prendre les décisions politiques et techniques et le public. Autrement dit, "les accidents nucléaires ne sont pas censés se produire". De fait, les estimations des risques probables des technologies nucléaires indiquent des taux très faibles, comme pour corroborer la faible tolérance sociale de l'accident nucléaire.

La volonté apparente de voir les études de probabilité coïncider avec la tolérance sociale est présente dans la déclaration faite en 1985 par la Commission de la règlementation nucléaire des Etats-Unis: un accident du type TMI (Three Mile Island) ne risque de survenir qu'une fois sur 3300 années-réacteur et l'accident "le plus grave" qu'une fois sur un milliard d'années-réacteur. En fait, l'accident TMI est survenu un peu trop tôt dans la série pour être toléré par la majorité du public, soit à environ 400 années-réacteur aux Etats-Unis. Quant à l'ex-URSS, elle en était à un fonctionnement de 450 années-réacteur lorsque l'accident "le plus grave", dont le coefficient de risque était d'un sur un milliard, s'est produit à Tchernobyl.

Ces accidents nucléaires ont eu de vastes répercussions physiques qui ont retenti à leur manière sur la santé publique, l'environnement, les dépenses publiques et les contraintes de gestion. A un niveau moins visible, ils ont également marqué la rupture d'un contrat social très particulier qui avait la force des besoins et des souhaits convergents de toutes les parties en cause.

L'une des grandes caractéristiques de l'énergie nucléaire tient à sa concentration de puissance. Une seule centrale nucléaire a une production d'énergie qui nécessiterait plusieurs centrales thermiques, sans parler du nombre des moulins à eau ou à vent qu'il faudrait pour obtenir le même rendement.

Paradoxalement, un phénomène inverse semble se manifester dans le public: alors que la grande majorité des gens n'habitent pas dans le voisinage d'une centrale nucléaire et ont des chances de ne jamais en voir, certains phénomènes observables donnent à penser qu'ils vivent dans une proximité psychologique et sociale immédiate par rapport au site. Ainsi, les médias parviennent à toucher de près les personnes avec des informations relatives aux installations nucléaires du monde entier, même les plus reculées. Cette proximité particulière est intéressante lorsqu'on se penche, comme c'est le cas à la présente conférence, sur la démocratie locale et régionale et le risque nucléaire.

Analysons les effets de ce sentiment de proximité que créent dans le public les installations nucléaires. Il est de mise de noter la manière dont les déboires de certaines installations japonaises dans la gestion interne d'incidents de fonctionnement se répercutent dans les pays européens, tout comme les conclusions d'une étude épidémiologique conduite en France aux alentours de La Hague ou les traces des radiations de Tchernobyl récemment trouvées dans de la viande de sanglier contaminée dans le sud-est de la France. Voilà qui confirme ce que déclarait Hans Blix, ancien directeur de l'AIEA, en 1986: "Où qu'il se produise, un accident nucléaire a des conséquences partout".

Cet état de fait met en cause la situation qui prévalait auparavant, lorsque tous les pays qui développaient cette source d'énergie pouvaient, dans une large mesure, concevoir et organiser souverainement leur programme nucléaire. La technologie était gérée en fonction des principes et projets politiques, économiques et sociaux de chaque pays. C'est cette souveraineté que Tchernobyl est venu ébranler, en laissant les pays régler les suites de l'accident comme si ce dernier était survenu dans leur juridiction et non pas uniquement dans l'ex-URSS. La plupart des gouvernements européens ont été subitement placés dans une situation qui exigeait non seulement des mesures de santé publique mais aussi une réévaluation du coût de la puissance nucléaire et de l'exploitation éventuelle d'autres sources d'énergie. L'autonomie exercée par chaque pays en matière d'énergie nucléaire a été mise en question, ce qui a effectivement détruit l'équilibre politique et social propre à chacun d'entre eux.
Un autre type de proximité, peut-être plus évident au point où nous en sommes et compte tenu de l'expérience de Tchernobyl, est la proximité géographique et nationale. Les émanations toxiques de Tchernobyl ont été largement ressenties comme transnationales. Les nuages radioactifs ont couvert de larges zones, de part et d'autre de nombreuses frontières, sans tenir compte des particularités nationales et politiques. Le nuage a révélé la diversité des attitudes officielles des pays européens à l'égard de l'énergie nucléaire: à en juger par les recommandations et contremesures officielles, les niveaux de radiation étaient extrêmement variables, d'un côté ou de l'autre d'une frontière nationale.

En 1986, la Communauté européenne se préparait déjà résolument à abolir les frontières économiques et à ouvrir un vaste marché commun. Or, la levée soudaine imposée par l'accident de Tchernobyl, en établissant l'égalité universelle sous un nuage radioactif, a créé un choc. Le rôle protecteur des frontières - dont les limites officielles et juridiques, historiquement tracées par d'innombrables guerres et traités, marquaient le point où la proximité devient invasion - se trouvait tout à coup aboli. Un envahisseur commun et pénétrant créait une proximité subite. L'Europe n'était pas prête à répondre aux demandes imprévues d'une solidarité transnationale. Aujourd'hui encore, l'interdépendance de chacun est forcée à la conscience par Tchernobyl et l'état du parc nucléaire d'Europe orientale; les gouvernements occidentaux doivent mobiliser leurs propres ressources pour en réduire les dangers et les conséquences.

Une autre proximité, de nature plus sociale, est celle qu'induit l'abolition des distances depuis la révolution industrielle, sous la forme du partage du travail. La production d'énergie a toujours eu un coût humain et social. Ainsi, l'histoire inachevée de l'extraction minière est jalonnée d'accidents; l'histoire de certaines familles ou groupes sociaux a eu pour trame l'attrait économique de la mine, et les décès et infirmités qui en ont souvent été la rançon. Les groupes extérieurs, toutefois, n'étaient pas touchés. En revanche, tous les groupes sociaux, à tous les niveaux, risquent d'être atteints par un accident nucléaire.

Les groupes qui sont chargés de la production d'énergie ne sont plus les seuls à en assumer le coût humain. Ceux à qui une énergie abondante et bon marché assurait un niveau de vie élevé sont subitement et involontairement amenés à partager les risques liés à sa production. Cette abolition radicale des distances sociales ne peut se réaliser sans entraîner une prise de conscience forcée de la division du travail et des inégalités inhérentes au système. En bref, on peut voir dans la dimension psycho-sociale de l'énergie nucléaire une mise en question du statu quo d'une démocratie donnée: la perspective ou la survenue réelle d'un accident nucléaire pousse la société à devenir plus égalitaire en ce qui concerne la répartition des risques entre les groupes sociaux.

Avoir à affronter une situation dans laquelle des radiations toxiques ont été ou peuvent être émises met en présence d'une menace invisible qui ne peut être ni perçue ni écartée. Non seulement les frontières nationales et les distances sociales sont franchies, mais une dernière limite est balayée: celle de la distance privée entre l'intérieur et l'extérieur.

La notion de stigmatisation peut décrire un autre aspect de la "contamination". Des personnes, des lieux et des produits portent, dans l'esprit des autres, les caractéristiques indésirables de la pollution nucléaire. La stigmatisation est à l'origine de nombreuses manifestations locales contre les installations de gestion des déchets nucléaires, par exemple: on craint de lourdes pertes économiques si la région et ses spécialités portent l'étiquette "radioactives".

Un scénario inhabituel peut nous aider à aller plus loin pour régler le problème particulier des autorités locales - qui se trouvent soumises à une double pression, ayant à la fois à créer les conditions nécessaires à la réalisation du programme nucléaire national et à représenter des citoyens capables de manifester une grande peur et un rejet de toute installation nucléaire.

Ce scénario peut sembler insolite mais c'est pourtant un scénario que l'on est appelé à rencontrer de plus en plus souvent et qui a déjà commencé à être envisagé par des chefs d'entreprise et des chercheurs: la fermeture de centrales nucléaires. En dehors des nombreux problèmes techniques et administratifs à gérer, les effets d'une telle décision sur l'environnement local sont manifestes: la cessation des activités d'une centrale entraîne des pertes à bien des niveaux. Le climat économique et commercial se ressent de la perte de rentrées fiscales et le départ, parfois, de centaines de salariés et de leur famille qui faisaient marcher le commerce local. Il arrive que l'on assiste à une récession économique locale.

Les pertes se font également sentir sur le plan des ressources humaines et sociales: en la personne des employés s'en vont des acteurs engagés de la vie politique et sociale locale, et dont les enfants garantissaient l'agrandissement et le maintien des écoles locales. La fermeture de la centrale brise des amitiés et beaucoup d'autres liens, ce qui aboutit à ce que l'on peut qualifier de récession humaine et sociale. Les autorités locales sont ainsi amenées à jouer un rôle inhabituel: elles doivent gérer la disparition d'une installation nucléaire amèrement regrettée.

Ce scénario nous incite à penser aux relations sociales que défendent les personnes et que les autorités locales ont pour mission de protéger. Dans bien des cas, les personnes qui s'opposent à l'implantation projetée d'une centrale nucléaire cherchent sans doute à protéger leur mode de vie, dont elles ne conçoivent pas qu'il puisse s'accommoder d'une centrale. Or, dans la situation que l'on risque de retrouver souvent, la fermeture d'une centrale menace de manière directe et déterminée le mode de vie et les nombreux avantages auxquels les gens se sont attachés.

Ceux-ci nous montrent que l'on n'a pas encore trouvé le moyen d'assurer la gestion parfaite des installations nucléaires dans la société - que celles-ci soient envisagées, en cours de fonctionnement ou en train de fermer. Il est clair néanmoins que, dans tous les cas, une bonne gestion exige une perspective multiple incluant la vision des objectifs nationaux en matière d'énergie et des conditions nationales (et internationales) requises pour protéger la santé et assurer la sécurité des citoyens, la vision des principales répercussions psycho-sociales, comme celles que nous avons évoquées dans le présent rapport, et la vision de la conjoncture locale exacte. Aujourd'hui, c'est au sein de commissions locales que les représentants de chaque perspective se rencontrent, échangent et décident s'il y a compréhension, ou s'il y a lieu de recueillir et d'analyser des renseignements complémentaires. La commission est un organe de médiation entre les diverses positions théoriques que suscitent en général les problèmes de risque.

En tant que telles, ces commissions locales sont censées représenter l'administration locale, les autres types de groupements sociaux (comme les associations de commerçants), les acteurs techniques, les autres associations particulièrement concernées (comme les associations de citoyens) et - bien que ce ne soit pas le cas des commissions que nous connaissons - les sociologues et les médecins. Le groupe de travail ainsi constitué présente au moins deux avantages. En principe, il est à même de repérer, analyser et donner conseil sur les problèmes liés à l'installation nucléaire lorsque les conditions sont normales. De plus, l'expérience acquise à travers ce groupe grâce à l'approche pluridisciplinaire des problèmes nucléaires et la coopération qui s'ensuit peuvent profiter à la société en cas de crise nucléaire.

Toutefois, la composition et l'activité des ces commissions nucléaires sont très variables. Dans bien des cas, la direction de la centrale tient une place prépondérante dans l'organisation du travail de la commission, sans doute en raison de ressources économiques et professionnelles supérieures. Dans certaines commissions, les délégués n'appartenant pas au secteur technique peuvent avoir l'impression de manquer de compétence pour participer aux débats ou ne savent pas comment donner assez de poids aux préoccupations apparemment insignifiantes du public. Quelques commissions ne se réunissent qu'une fois par an. Il arrive à certaines de se laisser dominer par un seul point de vue "pour" ou "contre": tout leur travail est ensuite consacré à la démonstration de ce point de vue ou entravé par l'opposition d'une minorité qui conteste l'opinion dominante. L'importance et la qualité des informations diffusées dans le grand public sont, elles aussi, très variables.

Voilà pourquoi il faudrait à toutes ces commissions locales des installations nucléaires une direction forte et impartiale. Bien que leur création et leur statut relèvent la plupart du temps d'un décret national, il serait bon, à notre avis, que les autorités locales prennent en main l'organisation du travail des commissions, veillent à ce que ce travail donne réellement lieu à une fructueuse confrontation de différents points de vue et fassent en sorte qu'il serve à la population locale. A l'heure actuelle, bien des élus locaux se laissent écarteler entre les coûts et avantages perçus, entre les partisans et les adversaires des installations nucléaires. Plutôt que de se rallier à un camp ou à l'autre en fonction des circonstances, les pouvoirs locaux feraient mieux de financer et de contrôler activement les travaux de la commission de médiation.

V. Droit et accès du citoyen à l'information sur la sûreté nucléaire

Il y a onze ans, lorsqu'un nuage radioactif provenant de la centrale de Tchernobyl s'est propagé au-dessus de l'Europe, la population des nombreux pays concernés a dû attendre des jours, voire des semaines, avant d'avoir accès à l'information sur les conséquences de la catastrophe. Dans toute l'Europe, des personnes ont de ce fait été exposées inutilement à des niveaux élevés de rayonnements.

Par suite, notamment, de l'expérience de Tchernobyl, il est aujourd'hui communément admis que:

- l'accès des citoyens à l'information est indispensable pour qu'ils puissent participer non seulement à des mesures efficaces d'intervention d'urgence visant à assurer leur propre protection, mais aussi, plus généralement, aux décisions portant sur les orientations nucléaires et la gestion des déchets radioactifs;
- la participation des citoyens à ce processus est nécessaire afin que ces décisions soient mieux fondées, qu'elles recueillent une plus large adhésion et que les risques pour la santé, la sécurité et l'environnement qui pourraient en résulter soient évalués ouvertement et mieux acceptés.

Le problème est que l'industrie, les gouvernements et les organismes chargés de la réglementation considèrent encore bien souvent la participation du public aux décisions dans le domaine nucléaire comme un obstacle au bon fonctionnement de ce secteur, une gêne qu'ils se voient de plus en plus forcés de tolérer, mais qu'ils sont loin d'appeler de leurs voeux. Aussi l'industrie a-t-elle généralement tendance, depuis Tchernobyl, à voir dans l'information un instrument de relations publiques lui servant à rassurer le public, plutôt qu'un véritable moyen de l'associer aux décisions. Dans certains pays, dont le Royaume-Uni, il faudra un changement considérable de
mentalité pour que l'on admette une participation significative du public au processus de décision en matière nucléaire.

La Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement (CNUED), plus connue sous le nom de "Sommet de la Terre" ou tout simplement de "Rio", s'est tenue à Rio de Janeiro en juin 1992; tous les Etats qui y ont participé, parmi lesquels le Royaume-Uni, ont adopté la Déclaration de Rio sur l'environnement et le développement ainsi que le document Action 21 (programme d'action en faveur du développement durable pour le XXIe siècle). Le Principe 10 de la Déclaration est formulé comme suit:

"La meilleure façon de traiter les questions d'environnement est d'assurer la participation de tous les citoyens concernés, au niveau qui convient. Au niveau national, chaque individu doit avoir dûment accès aux informations relatives à l'environnement que détiennent les autorités publiques, y compris aux informations relatives aux substances et activités dangereuses dans leurs collectivités, et avoir la possibilité de participer aux processus de prise de décision."

Au chapitre 8 d'Action 21, tous les gouvernements se sont engagés, dans le contexte de "l'intégration de l'environnement et du développement au processus de prise de décisions", à "mettre en place des mécanismes, ou renforcer ceux qui existent, pour faciliter la participation des particuliers, groupes et organismes intéressés au processus décisionnel à tous les niveaux". A cette fin, ils ont reconnu qu'il était nécessaire de "faire en sorte que le public ait accès aux informations pertinentes, puisse aisément faire connaître ses vues et participe activement", ainsi que de "définir des moyens d'associer les collectivités locales à l'élaboration de plans d'urgence en prévision d'accidents écologiques et industriels et [d']entretenir un courant d'information franche sur les risques à ce niveau."

Le paragraphe 7 du chapitre 39 du document Action 21 appelait à faire aboutir les négociations en cours au sujet d'une convention sur la sûreté nucléaire dans le cadre de l'Agence internationale de l'énergie atomique. Cette Convention est entrée en vigueur le 24 octobre 1996. Elle constitue le premier instrument juridique qui traite directement de la question de la sûreté des centrales nucléaires dans le monde entier. Néanmoins, elle a été sévèrement critiquée pour la timidité et la banalité de son contenu. En particulier, elle n'aborde absolument pas la quesiton du rôle des citoyens dans le processus de décision, bien qu'elle ait été négociée et adoptée à la suite de Rio. En outre, la Convention exige que les Etats concernés présentent périodiquement des rapports de sûreté afin qu'ils soient examinés lors de réunions d'examen par des confrères, mais l'article 27 maintient le droit des Etats à tenir ces rapports secrets et interdit expressément l'accès du public aux débats sur ces rapports.

Pour mettre en oeuvre certains éléments du chapitre 22 du programme Action 21, un "groupe d'experts juridiques et techniques à composition non limitée", réuni sous les auspices de l'AIEA, a élaboré une "convention incitative" sur la sûreté de la gestion des déchets radioactifs. Les points suivants ont donné lieu à controverse:

- La convention doit-elle s'appliquer à la gestion du combustible irradié (en particulier lorsque celui-ci a été retiré du site du réacteur soit pour être retraité, soit alors qu'aucune décision n'a été prise sur son utilisation ultérieure)?

- Comment la convention doit-elle aborder la question des déchets radioactifs résultant d'activités militaires?

- Sûreté des mouvements transfrontières de déchets radioactifs.

En 1997, la section relative au chapitre 22 du programme Action 21 du rapport établi pour le Sommet de la Terre + 5 (rédigée par l'AIEA) indiquait qu'un "projet de convention sur la sûreté de la gestion des déchets radioactifs [était] en cours d'élaboration, sous les auspices de l'AIEA et avec la participation du PNUE, de la Commission des Communautés européennes (CCE) et de l'Agence pour l'énergie nucléaire de l'Organisation de coopération et de développement économiques (AEN/OCDE). Ce projet tient compte des recommandations pertinentes énoncées dans Action 21".

Il était également déclaré dans ce rapport que "dans plusieurs pays, l'institution d'une législation sur les déchets nucléaires a été retardée en raison de l'opposition de l'opinion publique à la présence de sites de stockage définitif des déchets. Il est indispensable d'associer la population et les autorités locales à la prise de décisions, et de renforcer la confiance du public dans les principes qui régissent la sûreté des dépôts ainsi que dans les programmes de gestion des déchets...

Il faudrait redoubler d'efforts en vue d'achever, d'ici à la fin de 1997, l'élaboration de la Convention sur la sûreté de la gestion des déchets radioactifs, en harmonisant les dispositions de ce texte sur celles des autres instruments juridiques existants qui ont trait aux déchets dangereux et à des matières connexes."

VI. Engagements européens

Commission économique pour l'Europe de l'Organisation des Nations Unies (CEE/ONU)

La région de la CEE/ONU englobe la totalité de l'Europe. (Elle comprend en outre les républiques d'Asie centrale issues de l'ex-Union soviétique, les Etats-Unis d'Amérique, le Canada et Israël, soit 55 Etats membres au total).

Des négociations sur une nouvelle convention relative à l'accès à l'information sur l'environnement et à la participation du public à la prise de décisions en matière d'environnement ont commencé le 17 juin 1997 sous les auspices de la CEE/ONU. Les principaux négociateurs sont les gouvernements, mais les organisations non gouvernementales jouent également un rôle central. Le Bureau européen de l'environnement (BEE), qui fédère quelque 135 organisations européennes actives dans ce domaine, est le chef de file d'une large coalition d'organisations (comprenant par exemple Les Amis de la Terre, le Fonds mondial pour la nature et Ecojuris [Fédération de Russie]) militant en faveur de la participation du public. Ce groupe de travail des ONG sur l'environnement paneuropéen a été chargé d'assurer le suivi du processus "Un environnement pour l'Europe", dans le cadre duquel ont été élaborés des "Lignes directrices pour la participation du public à la prise de décisions en matière d'environnement, 1996" ainsi qu'un projet de convention. Celle-ci vise à garantir aux citoyens un droit fondamental d'accès à l'information relative à l'environnement, sauf si une dérogation est applicable. L'accès à l'information serait la règle et la confidentialité l'exception. Tout citoyen pourrait se prévaloir de ce droit sans avoir à expliquer pourquoi il souhaite disposer de telle ou telle information.

Si la convention avait été en vigueur et appliquée dans les pays de la CEE/ONU au moment de la catastrophe de Tchernobyl - sous la forme préconisée par les ONG -, les autorités auraient été tenues d'informer immédiatement le public de la contamination radioactive, de sorte que des mesures de précaution auraient pu être prises.

Les ONG espèrent obtenir que l'engagement d'intervenir dans un délai de dix jours dans la plupart des circonstances soit inscrit dans la convention. Celle-ci vise trois grands objectifs: garantir aux citoyens (i) l'accès à l'information, (ii) la participation aux décisions et (iii) l'accès à la justice. La notion de participation du public signifie que les autorités publiques devraient associer le public au processus de prise de décisions lorsque celles-ci concernent l'environnement. Les droits à l'information et à la participation ne peuvent être mis en oeuvre efficacement s'il n'existe pas de droits de recours; c'est pourquoi il est envisagé de mettre en place une voie peu coûteuse de recours administratif, assortie de la possibilité d'engager une procédure judiciaire de révision. En outre, l'accès à la justice ne devrait pas être limité aux cas de déni d'accès à l'information ou de participation, mais s'appliquer plus généralement chaque fois qu'il y a eu violation du droit de l'environnement.

Le groupe de travail de l'ECE a consulté le CPLRE sur le projet de Convention qui sera ouverte à la signature lors de la 4e réunion ministérielle "Un environnement pour l'Europe", qui aura lieu au Danemark en juin 1998.

Union européenne

Alors que l'adhésion à la convention de la CEE/ONU sera volontaire pour les Etats européens, les Etats membres de l'Union européenne sont liés par des règlements et des directives, qui peuvent garantir de nouveaux droits à chaque citoyen européen.

1. Directive 90/313/CEE du Conseil concernant la liberté d'accès à l'information en matière d'environnement

En principe, l'accès à l'information en matière d'environnement détenue par les organismes publics est garanti aux citoyens. Les points suivants donnent lieu à une controverse juridique:
- les nombreux cas de dérogation et la latitude d'interprétation autorisée par leur formulation;
- la définition des informations concernées;
- la définition des organismes publics concernés;
- les procédures de recours en cas de déni d'accès.

Ces imprécisions ont été habilement utilisées par le gouvernement, l'industrie et le secteur nucléaire pour éviter de divulguer des informations.

2. Directive 96/82/CE du Conseil concernant la maîtrise des dangers liés aux accidents majeurs impliquant des substances dangereuses: rapports de sécurité

Cette Directive concernant la maîtrise des dangers liés aux accidents majeurs impliquant des substances dangereuses doit être transposée dans les législations nationales d'ici à février 1999. Bien qu'elle ne s'applique pas aux installations nucléaires, elle pose pour principe que le rapport de sécurité, qui décrit notamment les risques engendrés par l'installation, doit être mis à la disposition du public (voir article 13.4). L'autorité de réglementation peut autoriser sa publication sous une forme modifiée de manière à préserver la confidentialité commerciale. A titre de comparaison, la Directive 80/836/Euratom actuellement en vigueur, qui fixe les normes de base relatives à la protection de la population et des travailleurs contre les rayonnements ionisants, n'instaure pas de droit d'accès aux études de sûreté des installations nucléaires. Cela n'est pas vraiment surprenant puisqu'elle a été adoptée avant Tchernobyl. Cependant, la Directive 96/29/Euratom qui la remplace n'accorde pas non plus aux citoyens le droit d'accès aux rapports de sûreté nucléaire.

3. Directive 85/337/CEE du Conseil concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement

Cette directive établit que, pour certains projets nucléaires, la déclaration du maître d'ouvrage relative aux incidences du projet sur l'environnement doit être mise à la disposition du public afin que celui-ci exprime son avis. Une évaluation de l'impact sur l'environnement doit être réalisée pour les centrales nucléaires et les installations destinées au stockage permanent ou à l'évacuation définitive de déchets radioactifs. Les autres projets nucléaires doivent être soumis à une évaluation s'ils sont susceptibles d'avoir des incidences importantes sur l'environnement, ce qui est normalement le cas:

- des forages profonds destinés au stockage de déchets nucléaires,
- des installations de production ou d'enrichissement de combustibles nucléaires;
- des installations de retraitement de combustibles nucléaires irradiés;
- des installations de collecte et de traitement de déchets radioactifs;
- des modifications de centrales nucléaires et d'installations de stockage permanent ou d'évacuation définitive.

La Directive 97/11/CE modifiant la Directive 85/337/CEE, applicable au plus tard le 14 mars 1997, rend obligatoire l'évaluation des incidences sur l'environnement pour le démantèlement ou le déclassement de centrales nucléaires, la création de sites de retraitement et d'élimination des déchets et d'autres projets qui n'y étaient pas soumis auparavant.

Par ailleurs, la nouvelle Directive clarifie et renforce les droits du public en matière de participation. Elle dispose également que la population d'un Etat susceptible d'être affecté par un projet réalisé sur le territoire d'un autre Etat doit être consultée.

4. Directive 80/836/Euratom fixant les normes fondamentales de protection contre les rayonnements ionisants

Cette Directive établit les principes fondamentaux de radioprotection. En particulier, elle dispose que toute activité impliquant une exposition aux rayonnements ionisants doit être justifiée par les avantages qu'elle procure (article 6 a). Par ailleurs, les expositions doivent être maintenues à un niveau aussi faible qu'il est raisonnablement possible (article 6 b). La Directive ne prévoit pas de droit d'accès des citoyens aux informations sur lesquelles se fondent la justification ou l'évaluation de ce qui est raisonnablement possible, de sorte que, ce droit n'étant pas reconnu par ailleurs, le public n'a pas la possibilité d'intervenir dans les décisions technocratiques concernant ces deux points. La Directive 96/29/Euratom, qui la remplace, n'accorde pas non plus aux citoyens de l'UE le droit de participer aux décisions sur ce qui est justifiable et raisonnablement possible. Ces lacunes traduisent le fait que les représentants des citoyens de l'Union européenne, à savoir les députés européens, n'ont pas de pouvoir législatif en matière de radioprotection, ce qui constitue une carence importante du point de vue de la démocratie.

5. Droit de participer à l'élaboration d'un plan d'urgence

La nouvelle Directive concernant la maîtrise des dangers liés aux accidents majeurs impliquant des substances dangereuses garantit aux citoyens des droits d'accès à l'information et de participation à l'élaboration des plans d'urgence externes pour la plupart des établissements dangereux (article 11.3). Or, rappelons-le une fois encore, ni la Directive fixant les normes fondamentales de radioprotection, ni la Directive qui l'a remplacée ne prévoient de droits équivalents pour les installations nucléaires. Cette discrimination contre les populations vivant à proximité d'installations nucléaires ne répond à aucune logique.

6. Directive 89/618/Euratom concernant l'information de la population sur les mesures de protection sanitaire applicables et sur le comportement à adopter en cas d'urgence radiologique

Cette Directive dispose (i) que la population "susceptible d'être affectée" en cas d'urgence radiologique doit être informée sur les mesures de protection sanitaire qui lui seraient applicables, ainsi que sur le comportement qu'elle aurait à adopter en cas d'urgence radiologique et (ii) que, dès la survenance d'un cas d'urgence radiologique, la population effectivement affectée doit être informée, sans délai, sur les données de la situation d'urgence, sur le comportement à adopter et sur les mesures de protection sanitaire qui lui sont applicables.

Toutefois, telle qu'elle est formulée, la Directive restreint le premier de ces droits aux zones où l'on peut prévoir qu'un accident exposerait des personnes du public à des doses dépassant les limites prescrites. Etant donné que les organismes de réglementation excluent la possibilité que des accidents aient de telles conséquences à une distance appréciable du site, cela revient à restreindre l'information aux environs immédiats de la centrale.

V. Conclusions

L'existence des centrales nucléaires et la gestion des déchets radioactifs qu'elles produisent ont été et restent des sujets de préoccupation et de débats. Trois grandes orientations se dégagent en Europe aujourd'hui, à savoir :

- décréter un moratoire sur la construction des installations nucléaires ;

- renforcer la recherche sur les équipements et les mesures de sûreté afin de sécuriser davantage l'exploitation des installations existantes et de rassurer le public;

- essayer de démontrer que les déchets nucléaires peuvent être gérés dans des conditions sûres en aménageant des dépôts dans des formations géologiques.

De très nombreux interlocuteurs - Union européenne, gouvernements, industriels, autorités compétentes en matière d'autorisation, municipalités - participent de près ou de loin au débat autour les déchets nucléaires.

Il fut un temps où les populations locales - les plus directement concernées par les projets - étaient totalement tenues à l'écart des débats et des décisions concernant l'implantation des installations nucléaires. En fait, la citoyens appelés à vivre près des sites nucléaires étaient rarement consultés.

Mais on s'est aperçu, notamment en ce qui concerne le choix des sites d'entreposage des déchets radioactifs, que la vieille méthode de décider ne fonctionnait plus, et que la seule solution pour parvenir à un consensus solide était de jouer la transparence et la participation.

Il faut que les points de vue des habitants soient dûment pris en compte dans le processus de décision et que les autorités locales soient partie prenante aux discussions si l'on veut que la volonté des principaux intéressés - les populations locales - soit respectée dans tous les pays européens.

Les besoins de l'Etat pour couvrir les demandes énergétiques ont impliqué à un certain moment l'élection d'un système de production d'électricité basé sur l'énergie nucléaire qui situait les centrales nucléaires selon des critères technocratiques et sans respecter les besoins ou les intérêts locaux. A ce moment, la bonne disposition de la société à l'égard de ce type d'énergie a empêché d'analyser en profondeur les effets socio-économiques de leur implantation. Aujourd'hui on constate que les installations sont un handicap important pour le développement économique pour les zones d'influence car aucun type d'industrie alternative n'a été prévu, au contraire de ce qui avait été dit au moment de leur implantation.

Si actuellement la question du besoin de construire des centrales nucléaires était posée, les Etats et les entreprises, de même qu'avec les résidus radioactifs, établiraient des systèmes qui permettaient un traitement démocratique du processus de recherche et d'élection des emplacement et l'on tiendrait compte des intérêts locaux spécialement des besoins socio-économiques des habitants.

Quelque soit le point de vue considéré les compensations ne sont en aucun cas des instruments qui permettent d'oublier les réalités existantes comme le risque nucléaire, mais plutôt des formules pour essayer de créer un consensus qui permette le développement démocratique de la société. La clé du succès de la société post-industrielle est la construction d'une véritable démocratie participante, puisque, à partir des débats ouverts, il ressort divers "intérêts généraux" susceptibles d'être assumés par les niveaux institutionnels impliqués et ceci est l'unique manière d'obtenir un accord minimum qui permette des actions coopérants.

L'interprétation des compensations pour les municipalités d'environnement nucléaire, à partir de ce qui a été supposé, nous amène à la conclusion que jamais le pouvoir local n'a prétendu utiliser ses compétences de contrôle comme contrepartie pour obtenir des compensations économiques d'aucun type et le contraire serait admettre l'existence d'une illégalité manifeste, car ceci signifierait l'omission d'actes nécessaires directement en relation avec la sécurité des citoyens, non seulement des territoires municipaux mais aussi de zones beaucoup plus étendues. Ceci signifie également que l'on ne peut les refuser aux territoires qui supportent une affectation socio-économique pour couvrir les besoins généraux d'un Etat, ce qui est offert, cependant, à d'autres collectivités afin d'adoucir les effets socio-économiques également négatifs d'autres types d'installations. En termes plus précis, on ne peut condamner les municipalités en environnement nucléaire à supporter des limitations pour leur croissance seulement parce que les centrales nucléaires se sont installées au moment où il n'existait pas d'inquiétude par rapport aux effets medioaenvironnementaux pour les installations industrielles et où l'énergie nucléaire était considérée comme un élément de progrès par les gouvernements et par la majorité des citoyens.

A aucun moment, il n'a été question de mettre le risque d'un côté de la balance et de l'autre les revenus économiques, cependant la société doit assumer les effets négatifs survenus dans les zones des centrales nucléaires et ceci devrait être tout particulièrement souligné au moment de parler de la fermeture de ces installations.

Au niveau international, il est important que les droits des citoyens à l'information et à la participation dans le domaine de l'environnement soient reconnus dans le droit international en général, et dans les instruments internationaux traitant des installations nucléaires en particulier.

Sur l'ensemble du continent européen, la mise au point définitive et l'application de la convention de la CEE/ONU permettront de progresser plus rapidement vers une reconnaissance des droits des citoyens à l'information et à la participation au processus de décision en matière nucléaire.

Dans le cadre de l'Union européenne, des progrès similaires ne seront réalisés que si la Directive concernant la liberté d'accès à l'information en matière d'environnement est modifiée de manière à limiter les possibilités de dérogation et les abus à cet égard, à étendre le champ d'application de la Directive à l'information sur la santé et sur la sécurité, et à définir plus clairement les organismes concernés afin de prendre en compte le secteur nucléaire public et privé. En second lieu, le droit d'une collectivité à accéder au rapport de sûreté d'une installation dangereuse et de participer à l'élaboration des plans d'urgence pour cette installation devrait être étendu aux installations nucléaires. Cette extension pourrait bien dépendre d'une démocratisation du processus décisionnel dans le domaine nucléaire au sein des institutions de l'Union européenne, et en particulier d'une réforme du Traité Euratom, donnant aux députés européens la possibilité d'exiger une révision de la Directive.

1 Cet exposé de motifs est fondé sur les documents de la Conférence européenne sur sur la sûreté nucléaire et la démocratie locale et régionale (24 -26 juin 1997) par M. Keith Baverstock, Mme Mary Sancy, M. Sten Bjurström, M. Allan Duncan, M. Marc Poumadère, M. Jamie Woolley, M. Philip Moding, and M. Mariano d'Abadal I Serra.