La société de l'information locale et régionale - CG (6) 3 Partie II

Rapporteur: M. Risto KOIVISTO (Finlande)

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EXPOSÉ DES MOTIFS

1.Introduction

Plus de six cents représentants et experts locaux et régionaux originaires de vingt-quatre pays d’Europe ont pris part aux trois séminaires du CPLRE sur « La société de l’information aux niveaux local et régional ». Ces séminaires se sont tenus à Helsinki, Finlande (du 21 au 23 janvier 1998), à Miercurea Ciuc, Roumanie (les 8 et 9 octobre 1998) et à Hradec Kralove, République Tchèque (les 15 et 16 mars 1999). Ces séminaires constituaient une partie importante du programme de travail adopté par le Groupe de travail du CPLRE sur la société de l’information aux niveaux local et régional. Aux termes de ce programme, les principaux objectifs des activités de ce groupe étaient ainsi définis :

Pour atteindre ces objectifs, le séminaire d’Helsinki a été organisé conjointement avec le projet LOCREGIS, un programme lancé et financé par la DG XVI de la Commission Européenne dans le but de réaliser les tâches suivantes :

· Dresser un inventaire des projets relatifs à la société de l’information aux niveaux local et régional dans les nouveaux Etats membre de l’Union Européenne ;
· Recenser et développer les caractéristiques des meilleures pratiques contenues dans les projets ;
· Favoriser la coopération entre les projets relatifs à la société de l’information au niveau local et régional.

L’objet de ces séminaires était de faciliter les contacts et les échanges d’expérience entre les municipalités et régions ayant déjà mené des projets dans le domaine de la société de l’information et celles qui envisagent de le faire. Ces séminaires ont été une excellente occasion de mieux comprendre, premièrement, le rôle de la politique des pouvoirs publics dans la promotion des applications de la société de l’information, et deuxièmement, grâce aux visites de sites et à l’exposition, de mieux saisir la réalité concrète de la société de l’information pour les entreprises, l’administration publique et les citoyens.

2. La société de l'information locale et régionale

L'expression «société de l'information» ─ au sens large ─ rend compte de l'évolution profonde actuelle de l'ensemble de la société. Cette évolution a modifié et continuera de modifier les formes d'activités traditionnelles, qu'il s'agisse du travail, des études, des modes de vie, des loisirs, de la mobilité ou de la manière dont s'exercent les influences des individus. Elle affectera également les structures actuelles et les perspectives futures des régions, des centres urbains et des districts ruraux. Notre époque, qui se caractérise en Europe par des taux de chômage élevés et une grande incertitude concernant l'avenir, est le fruit de cette évolution en cours à laquelle on ne peut apporter aucune réponse rapide ni durable. Au contraire, nous devons nous préparer à un travail de longue haleine.

Jusqu'à présent, la promotion de la «société de l'information» a surtout attiré l'attention sur les actions internationales visant à créer un cadre et des conditions de fonctionnement adéquates pour une utilisation mondiale des services télématiques. Cette évolution a été totalement inévitable mais aussi très compréhensible. Toutefois, c'est à l'échelon local que la dimension quotidienne de la «société de l'information» apparaît dans le cadre des entreprises, des organisations, des collectivités locales et dans les régions. En fin de compte, c'est l'individu -vous et moi - qui est l'acteur pratique et profite des occasions offertes par la société de l'information. C'est pourquoi il faut absolument étudier de façon beaucoup plus approfondie les problèmes liés aux régions, aux municipalités et aux individus dans la construction de la société de l'information. Après tout, c'est au niveau local que se détermine la manière dont nous vivons le changement, collectivement ou individuellement.

Nous avons concentré nos discussions sur les points suivants:

De nombreuses autres raisons justifient aussi le besoin d'une participation active des pouvoirs locaux et régionaux. Par exemple, le contenu nuisible et dangereux d'Internet a fait récemment l'objet d'un débat. Malgré certains progrès techniques permettant surtout aux parents d'utiliser certaines fonctions pour censurer ce que voient leurs enfants, il a été dit, à juste titre, que la meilleure façon de répondre à ces problèmes consiste à produire suffisamment de contenu utile et moralement correct pour les réseaux. A l'heure actuelle, les pouvoirs locaux et régionaux de l'Europe doivent agir rapidement s'ils ne veulent pas se laisser concurrencer par l'industrie internationale du divertissement. Maintenant, il est encore possible d'intéresser nos enfants à ce qui concerne aussi leur environnement régional immédiat.

L'objectif principal du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l'Europe est d'aider la construction de la démocratie au niveau local, notamment dans les nouveaux Etats membres du Conseil de l'Europe. La «société de l'information» offre des possibilités directes et indirectes totalement nouvelles pour la construction de la démocratie locale. De nombreuses expériences l'ont confirmé. Dans ce domaine, malheureusement, les niveaux de départ varient énormément selon les pays.

En Finlande, par exemple, quelques 40 % des communes offrent déjà via Internet des services que l'on peut considérer comme utiles du point de vue de la démocratie locale. Les services des administrations régionales et locales sont accessibles par des réseaux de données à environ 80 % des Finlandais. Ces services sont largement utilisés: la Finlande compte actuellement soixante-dix ordinateurs reliés à Internet pour mille habitants, ce qui la place au premier rang mondial. De nombreux autres pays d'Europe présentent des exemples comparables en matière d'utilisation des services de la «société de l'information».

La situation est très différente pour les pays d'Europe centrale et orientale qui ne comptent qu'un à trois ordinateurs reliés à Internet pour mille habitants. De plus, on peut s'attendre à ce que les écarts continuent de s'accroître dans les prochaines années. La forte demande créera une nouvelle offre qui à son tour accroîtra la demande. L'impact de cette tendance sur le processus de démocratisation risque aussi d'avoir des effets destructeurs.

Il est évident que, même dans les pays très avancés en matière d'équipement télématique, les écarts continueront de croître entre les individus selon les possibilités dont ils disposent et leurs compétences pour utiliser ces nouveaux services. C'est pourquoi, il convient de poursuivre les efforts visant à réduire les risques entraînés par ces écarts, qu'ils concernent les citoyens, les communes, les régions ou les Etats. Voici maintenant quelques réflexions sur ce que le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l'Europe pourrait faire à cet égard.

Nous avons besoin de soutenir toutes les possibilités de coopération internationale entre les collectivités locales et régionales pour améliorer les services télématiques - notamment les services de la «société de l'information» qui démarrent et se développent en Europe centrale et orientale. Outre des ressources financières, cette démarche nécessitera une coopération dans divers domaines culturels, de savoir-faire et de formation.

Il faut absolument que tout ce qui touche la «société de l'information» soit rattaché plus étroitement qu'auparavant à toute planification stratégique des activités, que ce soit au niveau européen, national, régional ou local ou même à un niveau inférieur. Cela est particulièrement important lorsque la planification concerne directement un organisme public proche de la population et des PME ou a un lien fondamental avec un tel organisme.

Il est important que le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l'Europe s'intéresse de plus près aux incidences de la «société d'information» sur l'administration locale et régionale. Alors que nous avons été surpris par la rapidité des bouleversements de ces dernières décennies, ce n'est que maintenant que nous sommes confrontés à des changements sociaux rapides lourds de conséquences.

Dans la plupart des pays européens, on constate une forte diminution des transferts financiers de l'administration centrale vers les administrations régionales et locales, ainsi qu'une plus grande exigence de discipline budgétaire de la part du secteur public. Parallèlement, la qualité des services fournis doit être maintenue, de même que les services à destination des consommateurs et l'accès des citoyens à l'information doivent être améliorés. Les applications de la société de l'information fournissent une solution efficace à ces exigences contradictoires, car elles facilitent la mise en œuvre d'innovations radicales dans la prestation des services publics..

Les coûts et les difficultés qui engendrent la prestation des services publics dans les régions moins favorisées (exemple: zone rurale ou à faible densité de population) sont encore plus importants. La taille réduite du marché du travail et le peu d'attrait qu'il présente rendent difficile le maintien d'activités économiques de la part du secteur privé. L'émigration de la population active, qui réduit d'autant le potentiel économique, reflète un mécontentement général à l'égard de la qualité de vie.

Comme nombre des exposés présentés lors des séminaires l'ont montré, les applications de la société de l'information peuvent fournir une solution à ces problèmes grâce: à une prestation intégrée des services publics; au recours au télé-enseignement et à d'autres services à distance (exemple: diagnostics médicaux ou services juridiques); à la prestation à distance de services culturels et autres services personnels et de loisirs; et au télétravail qui permet de compenser l'étroitesse du marché du travail..

Les responsables politiques locaux et régionaux de toute l'Europe réalisent maintenant l'impact que la société de l'information aura sur les citoyens. Le futur bien-être économique et social dépendra de la façon dont les autorités optimiseront l'utilisation des nouvelles technologies de l'information et contribueront à un développement régional mieux équilibré en permettant aux régions les moins favorisées d'Europe d'accéder à une vie sociale, culturelle et économique au niveau local, régional, national et international..

Bien que les applications concrètes de la société de l'information ne nécessitent pas un financement public très important, les autorités centrales et régionales se doivent de créer les conditions permettant leur développement. Si les besoins en matière d'infrastructure devraient, de façon générale, être satisfaits par les opérateurs de télécommunications, il se pourrait qu'une aide soit nécessaire pour veiller à ce que les régions les plus reculées puissent pleinement accéder aux systèmes des technologies modernes de l'information..

Les principaux obstacles à l'introduction d'applications de la société de l'information sont souvent d'ordre culturel et sociétal. Les participants ont convenu que les technologies disponibles actuellement présentaient un potentiel important, mais si elles ne servent qu'à établir des modes de vie et de travail, une part importante de ce potentiel pourrait être perdue. Le principal défi est de repenser les attitudes et méthodes de travail dépassées, tant dans les organismes publics que privés, et d'aider les citoyens à découvrir de nouveaux moyens d'améliorer la qualité de leurs vies privée et professionnelle..

Il sera de plus en plus nécessaire d'investir dans des systèmes d'éducation et d'information qui renforcent les capacités humaines et favorisent des attitudes culturelles et sociales positives à l'égard des technologies de l'information..Sur le plan thématique, la priorité est surtout accordée actuellement aux applications dans les domaines de l'éducation et des réseaux d'information entre les administrations locales et régionales et celui de la santé et du télétravail..

La plupart des applications concrètes présentées au cours des séminaires résulte d'une série d'initiatives locales autonomes prises à la base. Il en résulte que si le rôle des autorités centrales et régionales consiste principalement à mettre en place les conditions nécessaires au développement de la société de l'information, les projets concrets ne nécessitent pas un financement public important. Il requiert surtout un financement initial modeste au stade de la conception et du démarrage, avant que la crédibilité des projets ne soit suffisante pour leur permettre d'accéder à un financement normal par le marché..

Toutefois, les responsables politiques régionaux doivent prendre une part active dans la conception de mécanismes spécialement étudiés pour favoriser des actions multisectorielles complexes. A cet égard, la politique régionale doit reconsidérer ses instruments de financement pour les rendre plus efficaces. Ceci implique un renforcement du volet de la politique régionale visant à encourager la transmission de l'expérience et du savoir et à développer une capacité de conseil et d'encouragement concret quant aux moyens de relever le défi du changement..

Dans le cadre de la société de l’information également, l’action à l’échelle locale revêt une importance croissante. Plusieurs processus transnationaux et supranationaux sont en cours, qui sont censés aboutir à la réduction des pouvoirs de souveraineté et de l’importance des gouvernements nationaux ; c’est pourquoi le développement et la promotion des technologies de l’information à l’échelle régionale et locale revêt une importance capitale. Les autorités régionales et locales sont depuis toujours, et aujourd’hui plus que jamais, les représentants de l’Etat les plus proches des citoyens, et elles influencent leur vie depuis le berceau jusqu’à la tombe.

En matière d’administration locale, le concept de société de l’information au niveau local recouvre généralement deux aspects importants. Le premier concerne une préoccupation constante - celle du bon fonctionnement et de l’efficacité des services publics, ainsi que de la qualité de leurs prestations. Les administrés, que dans ce contexte l’on pourrait appeler des clients, ne désirent pas payer plus cher des prestations inférieures.

Le second aspect est le suivant : on entend souvent dire que le développement de la société de l’information favorise des valeurs telles que l’ouverture, la transparence et la responsabilité de l’administration publique. En effet, de nombreux spécialistes estiment que les nouvelles technologies ont relancé les efforts visant à dynamiser la gestion démocratique des affaires publiques et à renforcer sa légitimité.

Nous savons aujourd’hui que les institutions de l’Etat ne représentent pas toujours et nécessairement le public dans leurs relations avec l’extérieur. Ce hiatus a été particulièrement prononcé lors des régimes autoritaires tristement célèbres qu’a connus notre siècle. A l’opposé, les institutions démocratiques impliquent et favorisent la participation et l’engagement de la communauté, ce qui exige une capacité d’ouverture élevée. La gestion démocratique des affaires publiques n’est pas un don du ciel, ni éternelle. Elle demande à être continuellement soutenue et confortée par plusieurs mécanismes institutionnels et technologiques. Je pense que ceci est particulièrement vrai lorsqu’il s’agit de la nouvelle situation des autorités locales, qui jouissent d’une responsabilité accrue par suite de la tendance à la décentralisation qui prévaut en Europe. Ces nouvelles compétences des autorités locales, nous pouvons et nous devons les soutenir et les conforter en nous appuyant sur plusieurs mécanismes institutionnels et technologiques.

L’initiative et la coopération locales constituent une alternative à la coordination centrale (selon l’approche, on pourrait également dire que la coordination centrale est une alternative à l’initiative et la coopération locales). Or, les initiatives locales présentent deux avantages importants. Premièrement, elles connaissent mieux leurs besoins particuliers, leurs ressources et la situation sur place. Deuxièmement, les populations locales ne réservent généralement pas un très bon accueil aux idées émises par le pouvoir central - un blocage qui s’explique probablement par des raisons historiques. C’est pourquoi les chances de pérennité des projets sont plus grandes quand ceux-ci reposent sur une initiative locale, c’est-à-dire, en définitive, sur les efforts personnels des intéressés.

Bien entendu, ces principes s’appliquent également aux projets en matière de technologie de l’information. La coordination - tâche difficile s’il en est - et la coopération ont une grande importance, car même la communication interlocale demande un certain niveau de standardisation des solutions. De plus, la coordination encourage ce partage d’expériences qui permet de diffuser les meilleures pratiques et d’éviter les erreurs que d’autres ont déjà commises. L’action individuelle, si elle ne s’accompagne de rien d’autre, est un gaspillage de ressources et conduit à une tour de Babel de la société de l’information ; personne n’ignore ce qu’il est advenu de la tour de Babel après que Dieu eut introduit la diversité des langues dans le monde entier.

Les trois principaux avantages d’une coordination et d’une mise en œuvre centralisées: (à plus long terme, ceci pourrait mener à une solution institutionnalisée pour cibler les efforts)

3. La société de l'information et la participation des citoyens à la politique

Dans de nombreux systèmes dominants de conduite des affaires publiques, les possibilités de participation des citoyens se réduisent à des élections espacées de plusieurs années. Eloignés des électeurs, les acteurs politiques, que l’incompétence et la corruption n’épargnent pas toujours, prennent des décisions capitales à huis clos. Dans certains pays, l’introduction de droits des citoyens - droit d’initiative parlementaire, droit de proposer un référendum et droit d’être consulté sur des décisions (locales et mineures essentiellement) –compense partiellement ces déficits en démocratie «représentative.»

L’idéal serait que tous les membres d’une communauté ou «polis» («cité», en grec) soient en mesure de participer ensemble à des prises de décision ; on a souvent avancé que cela ne serait pas praticable, notamment en présence de populations importantes, mais aussi pour d’autres raisons. Ainsi, il est difficile d’imaginer une «réunion des habitants» d’une ville comme Moscou ou New York. Avec les techniques modernes, il serait théoriquement possible que tous les citoyens puissent s’informer sur les questions qui les concernent et donner leurs suffrages correspondants par voie électronique. Ce rêve, que l’on caresse depuis la naissance des télécommunications, a fait l’objet de propositions détaillées. Pour les citoyens, les nouvelles technologies de l'information et de la communication, ou Tic, et plus particulièrement les réseaux informatiques tels qu’Internet, ont suscité une puissante augmentation de la vitesse et du volume de communication, ainsi que facilité l’accès à l’information. Le World Wide Web et les forums de discussion sur Internet et Usenet contiennent des informations et des analyses politiques approfondies. La perspective d’améliorer, voire de révolutionner la participation des citoyens à la vie politique à l’aide des nouvelles technologies fait couler beaucoup d’encre.

J’estime que la description et l’évaluation de «la participation des citoyens et les nouveaux moyens de communication électroniques» doivent s’inscrire dans le cadre du débat général sur les systèmes démocratiques. Les controverses que soulève ce débat sont en grande partie anciennes, voire très anciennes, et certaines ont été remises à l’ordre du jour en raison de l’évolution des Tic. Parlons tout d’abord des différences entre la démocratie directe et la démocratie représentative (je préfère parler de «démocratie par délégation»: les délégués ou groupes élus représentent leurs électeurs plus ou moins fidèlement).

On entend souvent dire que lorsqu’une communauté dépasse la taille d’un village ou d’une petite ville, il devient peu pratique, inefficace, difficile voire impossible de concevoir et de faire fonctionner un système dans lequel toute personne possédant le droit de vote serait autorisé à participer aux décisions concernant l’ensemble du groupe, comme les orientations politiques, les lois et l’application des décisions. Ces arguments contre la démocratie directe paraissaient plus convaincants avant l’arrivée des Tic, notamment lorsqu’il s’agissait de très grandes unités telles que des villes ou des Etats. Sans vouloir approfondir la controverse entre démocratie directe et démocratie par délégation, je tiens à souligner les éléments de réflexion qui suivent. (Remarque: bien entendu, les arguments des uns et des autres peuvent cacher d’autres motifs. Ainsi, les acteurs politiques favorables aux innovations estiment peut-être que le vote électronique et la simplification de la communication avec les électeurs leur permettront de rassembler plus facilement une majorité favorable à leurs propres objectifs de campagne. Ceux qui s’opposent à l’innovation peuvent craindre de perdre une partie de leur pouvoir de décision, ou encore que leurs échecs ne soient révélés. Des groupes de pression, des politiciens démagogues et des mouvements politiques pensent peut-être que le public sera plus facile à convaincre que les députés ou les ministres lorsqu’il jouira de pouvoirs étendus dans le cadre d’une forme de démocratie directe).

La démocratie par délégation est de loin le modèle démocratique le plus répandu. Il semble que, dans de nombreux pays, les élites et le grand public soutiennent sans plus y réfléchir le système «représentatif» comme si c’était la seule forme de démocratie possible. Pourquoi? Les systèmes de conduite des affaires publiques par représentation sont souvent issus directement ou indirectement de régimes dans lesquels les pouvoirs n’étaient pas partagés, régimes imposés (il y a plusieurs siècles ou récemment) par violence, guerre et conquête, corruption, ruse, trahison ou hérédité (monarchies et aristocraties, juntes de tous types, comités directeurs de partis révolutionnaires). On peut trouver naturel qu’après avoir repoussé un régime apparenté à une dictature, et peut-être après s’être battu pour plus de justice et de liberté, on soutienne un «nouveau» système dans lequel les élections permettent à la population, de temps en temps, d’écarter les dirigeants politiques en place et de les remplacer par d’autres. Mais une grande partie des anciennes institutions et hiérarchies, et bien souvent aussi des structures patriarcales, ont été reprises et admises dans le nouveau système. D’un point de vue critique, on peut considérer le système démocratique actuellement dominant - caractérisé par la puissance des partis et la faiblesse des parlements -comme une forme de gestion des affaires publiques dans laquelle la population est autorisée à donner le pouvoir à la caste dirigeante de son choix, celle-ci ne comptant dans les faits que quelques douzaines, sinon moins, de personnes influentes; dans les pays dotés d’un système parlementaire fonctionnant correctement, ce cercle peut englober quelques centaines de décideurs. Une fois élu, le «régime» fait souvent l’objet de critiques en raison de sa grande réceptivité à l’égard de son «entourage» composé en ces temps modernes de groupes de pression financiers, industriels et parfois religieux; les électeurs constatent qu’on ne leur demande guère leur avis et qu’ils n’ont pas de contact réel avec le gouvernement, le parlement ou l’exécutif durant les périodes qui séparent les rares élections, périodes au cours desquelles sont prises toutes les décisions soi-disant collectives.

Dans le tableau que je viens de brosser, j’ai forcé le trait dans un objectif de clarté. Ainsi, j’ai omis d’évoquer les groupes de pression spécialisés (pour la protection de l’environnement ou pour les armes à feu par exemple), les éléments de démocratie directe tels que les référendums (nous y reviendrons) et les organisations qui, comme les syndicats, se voient confier les intérêts de certains secteurs de la communauté et jouent un rôle partial de médiation et de rééquilibrage. Au lecteur de juger si ce tableau correspond à son expérience.

4. Informatisation du gouvernement et de l’administration et conséquences pour les citoyens

La capacité du parlement à contrôler le gouvernement et le degré d’indépendance des députés vis-à-vis de la discipline des partis (imposée dans certains systèmes par les chefs de file) varient d’un pays à l’autre. Nous ne procéderons pas ici à une étude approfondie des questions liées aux réformes gouvernementales et parlementaires, ni des relations entre le législatif et l’exécutif. Contentons-nous de souligner que les Tic peuvent modifier profondément le mode de fonctionnement du gouvernement ainsi que les relations entre les élus et les administrations, comme le montre l’exemple d’une municipalité finlandaise. De même, l’«informatisation» du gouvernement et de l’administration peut avoir d’importantes conséquences pour les citoyens, qui sont les «usagers» et les «propriétaires» de ces institutions. On peut s’attendre à certaines améliorations au niveau de l’accès des citoyens aux élus, aux membres de l’administration et à certaines formes d’information du public.

En revanche, les problèmes augmenteront pour les «profanes» (la plupart des citoyens) en raison de la complexité croissante de l’information et des systèmes de Tic utilisés pour l’enregistrer et la gérer. Les allées du pouvoir, parfois kafkaïennes, qui déjà se dérobent aux regards de la majorité de la population, deviennent de plus en plus «virtuelles». En outre, l’informatisation du gouvernement et de l’administration publique (sans parler de l’accumulation d’informations par les particuliers et les entreprises) peut grandement faciliter le contrôle et la manipulation des citoyens et des populations par un pouvoir central. Tel est le danger qui menace l’«homme transparent» dans un système digne d’«Orwell à Athènes». Le titre éloquent de ce livre rappelle que les Tic sont source de bienfaits, mais aussi de dangers pour la liberté et la démocratie.

5. La démocratie directe et les retombées potentielles des Tic

Des éléments de démocratie directe sont déjà opérationnels. Nous ne pourrons qu’aborder brièvement ce sujet ici. Les droits des citoyens de proposer des lois dans les parlements, de lancer des référendums sur des questions d’ordre local ou national - et d’y participer -, enfin d’être consultés sur des sujets touchant, par exemple, l’organisation de la communauté, varient largement d’un pays à l’autre. Remarquons simplement que là où la pratique du référendum existe déjà, il serait relativement facile d’introduire le vote électronique et, ce qui me semble plus intéressant encore, d’enrichir, au cours de la période qui précède le référendum, le processus d’information, de discussion et de délibération sur la question visée.

Rappelons qu’il faut souvent surmonter d’importants obstacles avant de pouvoir organiser un référendum, quand l’initiative de ce référendum n’est pas réservée au groupe au pouvoir. Généralement, la consultation des électeurs ne peut se faire que sur de petites communautés (villages, villes, petits cantons par exemple) et à propos de sujets d’importance relativement limitée (les questions concernant les impôts ou les finances pouvant être exclues par exemple). Parfois encore, les résultats des référendums et autres votes n’ont que valeur consultative et non obligatoire pour les élus ou les administrations.

Il est intéressant de noter qu’en Bavière (Allemagne), un mouvement pour le droit d’initiative des citoyens en matière de référendums a organisé un référendum (déjà autorisé par la Constitution bavaroise) sur cette question au niveau fédéral. Il a réussi à faire adopter une loi autorisant les référendums à l’échelon des collectivités (petites et grandes villes, cantons), contre l’avis du parti au pouvoir. En revanche, malgré l’existence en Suisse d’éléments très proches d’une démocratie directe, le gouvernement de ce pays a récemment rejeté la proposition d’introduire la possibilité de voter par voie électronique lors des élections et référendums, faisant valoir qu’il ne semblait pas possible de garantir l’anonymat des électeurs.

De nombreux projets visant à améliorer les systèmes démocratiques, dont ceux évoqués dans le présent exposé, ne s’appliquent qu’à la démocratie représentative. On ne saurait critiquer les tentatives faites pour améliorer les systèmes existants; mais il semble que les Tic offrent aux citoyens la chance de commencer à exercer une responsabilité accrue dans le cadre de décisions collectives, réduisant ainsi les besoins de représentation indirecte et rendant les décisions, prises par les élus tant que par les personnes concernées, plus conformes aux souhaits des électeurs. On ne peut qu’émettre des conjectures sur les formes que prendront les nouveaux modèles de conduite des affaires publiques. Nous aurons l’occasion d’en ébaucher certaines possibilités lorsque, plus loin, je ferai une description critique des projets et modèles de participation des citoyens.

6. Quelques exemples d’application des Tic à la démocratie et à la politique

Ces applications peuvent remplir les fonctions suivantes:

Comme exemple pour la fonction a., transmission d’informations émises par les parlements, les gouvernements et les administrations publiques à l’intention des citoyens et des institutions publiques ou privées :

La ville de Tampere a mis en place un vaste service Internet dans le but de redéfinir fondamentalement les échanges entre les pouvoirs locaux et les citoyens, en s’affranchissant des contraintes matérielles que représentent les bureaux et les heures d’ouverture. Le principe de transparence étant profondément ancré dans l’administration publique finlandaise, il est naturel qu’à Tampere la plupart des documents municipaux soient disponibles en ligne. L’Internet et le courrier électronique sont des moyens de communication commodes pour l’envoi ainsi que la réception de formulaires de demande et autres entre les autorités et les habitants.

L’ouverture du premier site Web de la ville de Tampere remonte à 1994 et constitue le point de départ d’un vaste système d’information et de services, transféré sur le nouveau serveur municipal au printemps 1995. Le taux d’utilisation du système augmente de manière exponentielle. En juin 1995, le site enregistrait 914 visites. Un an plus tard, la fréquentation de l’ensemble des sites de la ville de Tampere dépassait le seuil de 50 000 connexions par mois; cet indice passait à 100 000 à la fin du mois de décembre 1996, et à 300 000 un an plus tard. Aujourd’hui, on compte tous les mois 500 000 visites sur l’ensemble des sites Web de la ville de Tampere. La page d’accueil de Tampere (http://www.tampere.fi) reçoit à elle seule 50 000 visiteurs par mois. La présence Internet de la ville de Tampere totalise quelques 10 000 pages Web.

La bibliothèque municipale et la possibilité de réserver des ouvrages à emprunter sont les services les plus appréciés par le public au sein du système Internet de la ville de Tampere. Il est aujourd’hui possible de vérifier si un certain livre ou document est disponible, et où il se trouve. On peut réserver, pour passer les prendre ultérieurement, les ouvrages actuellement non disponibles parce que prêtés, ou encore prolonger un emprunt.

Parmi les autres services Internet fréquemment utilisés, il faut citer: les horaires des autobus (http://www.tampere.fi/tkl/aikat), les plans de la ville (http://www.tampere.fi/kartat/), le guide des spectacles (http://www.tampere.fi/elke/mato/tapahtum.htm) et le guide des restaurants (http://www.tampere.fielke/mato/ravintre.htm). Pour ceux qui n’habitent pas Tampere intra muros, une caméra Web livre en temps réel des images de la rivière Tammerkoski et du parc dans le centre de la ville (http://www.tampere.fi/elke/mato/english/netcam.htm). Tampere a été la première ville de Finlande à offrir des services de commerce électronique; elle utilise aujourd’hui ce système pour vendre, entre autres, des publications de la ville.

Conformément au principe de transparence, les ordres du jour des commissions municipales peuvent également être consultés sur l’Internet. Ils sont automatiquement placés sur le réseau par le système municipal de gestion des tâches. De fait, les membres du bureau municipal eux-mêmes doivent prendre connaissance de l’ordre du jour sur l’Internet avant les réunions (http://www.tampere.fi/poytakir.htm). Un forum de discussion permet de transmettre les réactions du public aux décideurs.

L’étude du comportement des utilisateurs des sites Internet de Tampere montre que la majorité d’entre eux utilisent ce service pour la recherche d’information. Certains utilisateurs, peu nombreux mais actifs, espèrent que l’Internet contribuera à influencer les processus décisionnels municipaux. Pour les écoliers et les étudiants, les services Internet de la ville sont un moyen d’exercer sa créativité. Tous les établissements scolaires de Tampere sont reliés au réseau. On compte actuellement quinze élèves pour un micro-ordinateur. Les écoliers ont leur propre adresse électronique et les familles utilisent à domicile, en se branchant par modem, les accès Internet des écoles, aux tarifs préférentiels. Les habitants qui ne disposent pas d’un ordinateur à domicile ni d’un accès à l’Internet peuvent accéder aux sites Web de la ville – et à tout l’univers de l’Internet – en utilisant les ordinateurs disponibles dans les bibliothèques municipales et dans les «cafés Internet». Malheureusement, trente postes seulement sont ainsi mis à la disposition du public, ce qui est tout à fait insuffisant; il va sans dire que cette situation crée des inégalités au sein de la population.

Les exemples d’applications remplissant la fonction b. semblent être très répandus, notamment aux Etats-Unis. De nombreux candidats à des fonctions publiques, tant au niveau national que fédéral, disposent d’un site de présentation sur Internet et d’une adresse électronique. Certains projets privés et des ONG offrent des services aux électeurs afin de les aider dans leur choix lors des élections. Le guide Internet des électeurs pour la Californie (California Online Voter Guide, CVF) a été créé aux alentours de 1993 dans l’objectif essentiel d’informer et, pour reprendre ses propres termes, d’«instruire» les citoyens sur les élections de l’Etat de Californie, sur les élections fédérales des Etats-Unis et sur les thèmes qui s’y rattachent. «En offrant ce service, écrit cette organisation, CVF a tenté d’améliorer le taux de participation aux élections de 1994 et ultérieures, et de donner aux électeurs l’assurance qu’ils sont en mesure de faire des choix informés». Parallèlement, CVF développe un prototype de guide de l’électeur en ligne, susceptible d’être utilisé dans d’autres pays, Etats et collectivités. Les auteurs ont conçu cet ouvrage de manière à ce qu’il convienne également, à un usage comme matériel pédagogique dans les écoles. On y explique des questions relativement simples mais importantes, telles que les procédures à suivre pour se faire enregistrer comme électeur ou pour voter. Le guide offre en outre des informations sur les candidats aux élections, sur le financement des campagnes, sur les enjeux publics (controverses) des élections aux niveaux des Etats et du gouvernement fédéral ainsi que des référendums au niveau des Etats, enfin sur les candidats à des fonctions publiques tels que les juges. On a, par exemple, demandé aux candidats de fournir une biographie agrémentée d’une liste de leurs qualifications pour la fonction concernée, de communiqués de presse, de références (déclarations de soutien émises par d’autres personnes ou groupes), de déclarations politiques, de discours et enfin de renseignements complémentaires sur les moyens de contacter le bureau de campagne pour obtenir de plus amples informations, ou encore sur la procédure à suivre pour devenir militant!

En Europe, le site World Wide Web belge Cybercrate offre les fonctions suivantes:

Dans nos exemples d’applications remplissant la fonction c., les Tic permettent à des citoyens «ordinaires» de lancer des initiatives politiques par leurs propres moyens.

En raison du faible engagement des citoyens dans les partis politiques, il est nécessaire d’introduire un dispositif complémentaire dans le système finlandais actuel de démocratie représentative. L’Internet peut ouvrir des perspectives à des formes innovantes de participation à l’échelon local. Il serait possible de développer un nouvel outil permettant de combiner le système de démocratie représentative traditionnel et un système de participation basé sur le réseau. Avec le courrier électronique par exemple, les citoyens peuvent s’adresser directement à leurs élus sans devoir passer par les partis politiques. Certains élus de la ville de Tampere ont d’ores et déjà manifesté leur intérêt pour cette idée.

Les outils nécessaires à la création de communautés virtuelles sont actuellement en phase de développement. Nous découvrirons bientôt comment ces communautés peuvent mener à la formation de nouvelles organisations venant enrichir la vie sociale de notre ville. Pour l’instant, nous réfléchissons aux moyens d’intégrer cette nouvelle technologie dans le processus démocratique de gestion des affaires locales.

La question de la transparence des processus de préparation des décisions joue un rôle clé dans ces réflexions. Des études réalisées en Finlande font apparaître que 5 % seulement des projets proposés par les fonctionnaires connaissent des modifications au cours du processus décisionnel. Autrement dit, la plupart des décisions sont prises avant que la question n'arrive au stade de la décision officielle. Ne pourrait-on pas imaginer, pour améliorer les possibilités d’intervenir dans ce processus, que la préparation des décisions importantes commence par une démarche ouverte, dans laquelle tous les intéressés peuvent, grâce à l’Internet, apporter des informations de base et participer à la formulation des différentes options ? La technologie capable de mettre tout citoyen en mesure d'agir en fournisseur d’information existe déjà.

La transparence, qui est l’un des principes de base de la gestion des affaires locales, a déjà plusieurs fois fait l’objet de vifs débats au forum de discussion Internet de la ville de Tampere. Actuellement, les échanges portent sur environ sept sujets, et des centaines de citoyens y participent activement. Il s’agit par exemple de la stratégie et du schéma directeur de la ville ; l’inconvénient de ce type de forum est que les opinions qui y sont exprimées ne sont pas toujours très sérieuses.

Le droit d’accès aux services municipaux et le droit de participation doivent être réservés aux citoyens de la ville. Cela nécessite de nouvelles solutions technologiques pour l’identification électronique des citoyens sur le Web. De telles technologies sont actuellement à l’essai en Finlande, et notamment à Tampere; l’an prochain, on disposera à grande échelle de cartes d’identification.

7. Vivre à Infoville – une stratégie intégrée

La stratégie Infoville est apparue comme un ensemble d’initiatives s’inscrivant dans le cadre du Plan stratégique pour la modernisation de l’administration de Valence (PEMAV), lancé par les autorités de Valence en février 1996.

Infoville a été mis au point dans le cadre du Plan directeur pour les télécommunications de la Generalitat de Valence (PLANTEL), qui lui-même fait partie du projet stratégique visant à favoriser la transition vers la société de l’information.

La première étape du projet Infoville a démarré au printemps 1996, époque où les infrastructures et les équipements nécessaires ont été mis à la disposition de la population et des entreprises de la commune de Villena. Il s’agissait de tester les effets et les avantages des nouvelles technologies, par la création et le développement d’un environnement favorable à l’épanouissement de la société de l’information.

Le lancement d’Infoville à Villena et sa rapide diffusion parmi les entreprises et la population locales ont poussé les autorités de Valence à élargir ce projet à d’autres communes, institutions et « environnements », de telle sorte que l’« effet Infoville » puisse facilement s’étendre à l’ensemble de la population.
Cette initiative n’aurait pu voir le jour sans certains efforts technologiques qui ont permis d’intégrer le Broadband Network de la Generalitat de Valence au Réseau de services sociaux, et ce au sein d’un nouveau centre, capable de gérer l’ensemble des systèmes d’information et de communication des services publics.

Cette intégration des ressources et des systèmes a ainsi débouché sur la création et la mise en service de l’InfoCentre en janvier 1998. L’InfoCentre est le plus grand centre intégré du pays pour la gestion de systèmes et les services et applications modernes en matière de communication. Il facilite un contrôle efficace de la qualité des services offerts par l’administration, apporte une plus-value grâce à l’effet de synergie et aux facteurs d’échelle, et constitue pour les usagers un point d’accès unique à l’information.

Deux ans après le lancement du programme Infoville, on constate que celui-ci a non seulement donné un élan à la modernisation de l’administration, mais a aussi généré une « culture du changement » au sein des entreprises et de la population.

A Villena, environ 1500 foyers (25% du total) bénéficient des possibilités apportées par Infoville. Les nouveaux « infocitoyens » participent à des groupes de discussion ayant des membres dans le monde entier, visitent sans sortir de chez eux les musées et les bibliothèques les mieux dotés, utilisent régulièrement le courrier électronique, consultent les informations internationales, exploitent les ressources offertes par les médias et font des téléachats.

Quelques chiffres prouvent le succès d’Infoville : les usagers de Villena ont à leur actif plus de 123 000 heures de connexion, avec plus de 40 millions de réponses par jour, et naviguent en moyenne 20 minutes par jour et par usager.

Le système Infoville a été étendu par la création d’« intranets urbains » dans les régions de Vall de Uxó (Castellón), de Catarroja (Valence) et de Torrevieja (Alicante), où plus de 1600 nouveaux terminaux ont été mis en service, soit 50% de l’équipement initialement prévu.

Trois nouvelles villes seront bientôt raccordées à Infoville, et un programme du même type est en cours d’élaboration dans la ville de Benidorm, avec la participation de Telefónica Cable.

Depuis la fin 1996, le système Infoville a été présenté à des experts d’administrations locales et régionales, ainsi qu’à la Commission européenne. Suite à cela, un groupe de travail interrégional a été créé, avec pour mission principale d’adapter le projet à d’autres régions de l’Union européenne.

Le projet européen « EuroInfoville » a été sélectionné par la Commission européenne pour bénéficier de l’« Initiative numérique », dans le cadre du programme d’applications télématiques, et s’est vu doter d’un budget total de 12 millions d’Euros. Ce projet permettra de définir une « norme Infoville » impliquant l’utilisation d’outils informatiques standards, de sorte à faciliter l’accès des citoyens européens aux services proposés par leurs administrations locales et régionales.

Infoville a également été étendu à d’autres secteurs socio-économiques de la Communauté de Valence.

Dans le domaine de l’éducation, l’Université Miguel Hernández travaille à la mise au point d’une « communauté numérique ». Ce système, baptisé InfoCampus, mettra à la disposition des étudiants, des enseignants et du personnel administratif les outils informatiques qui permettent d’accéder à des services particuliers. Dans sa première phase, ce projet s’adresse à environ 1500 usagers, répartis sur 206 communes appartenant à trois communautés autonomes (Valence pour 85%, Murcie pour 14% et Castille-La Manche pour 1%).

Le programme InfoCole, destiné aux établissements de l’enseignement secondaire, a débuté par l’installation de matériel informatique dans les 130 écoles retenues pour le projet. La première phase, qui s’adresse aux collégiens du premier cycle de l’enseignement secondaire (âgés de 12-13 ans), vise à leur transmettre les connaissances qui leur permettront d’exploiter les ressources de la société de l’information. InfoCole continuera progressivement à s’étendre à d’autres écoles de Valence.

Une série télévisée intitulée « Histoires d’Infoville » a été réalisée pour faciliter la pénétration de la stratégie Infoville dans le monde de l’éducation. Elle vise à offrir aux écoliers un outil complémentaire pour leurs études et à encourager le grand public à utiliser les technologies de l’information et de la communication.

InfoMarket est un projet en cours d’élaboration, avec la participation de la Chambre de commerce de la Communauté de Valence. L’objectif est de créer une plateforme intégrée de commerce électronique pour plus de 500 entreprises implantées dans la Communauté.

La modernisation ne doit pas oublier les personnes retraitées. Le programme InfoSenior s’appuiera sur l’expérience des aînés pour développer les infrastructures et les services que les centres sociaux de la Communauté proposent à cette catégorie de la population.

Infoville pourvoira également aux besoins particuliers des femmes qui vivent en zone rurale ou qui, pour d’autres raisons, ne peuvent pas comme les autres accéder aux ressources de l'information. Ainsi, le projet InfoDona vise à établir un réseau d’« agents pour l’égalité » qui assisteront les femmes en leur fournissant l’information, la formation et les conseils dont elles ont besoin. Le programme, qui dispose d’un budget de 133 millions de pesetas, créera dans un premier temps un réseau de 23 agents rattachés aux communes rurales et aux associations de femmes, et chargés de proposer leurs services à environ 5000 femmes.

Au courant de l’année 1998, le secteur santé de Valence a lui aussi été incorporé au système Infoville : InfoMed, le réseau de communication (voix, données et image) du système santé de Valence, utilise le réseau de guichets automatiques de la Generalitat de Valence. InfoMed développe également les applications en matière de santé et les outils informatiques permettant aux centres de santé et à leur personnel d’accéder aux informations traitées au sein de son environnement (service de téléradiologie, qui permettra de partager le diagnostic entre les hôpitaux, possibilité pour les patients de consulter par le biais de la vidéoconférence, etc.).
Pour pouvoir diffuser rapidement les informations sur le programme à l’ensemble des communes et des citoyens, la Generalitat de Valence, en collaboration avec Telefónica, TISSAT et la fondation OVSI, a créé un Centre de démonstration appelé « Mobile Infoville ».

Ce centre, doté d’une tonne et demie de matériel informatique et d’environ 2 km de fibres optiques, s’appuie sur les technologies les plus avancées, qui permettent à la population, aux institutions et aux entreprises de tester les programmes, services et applications mis au point.
Le système Infoville devrait être étendu à l’ensemble des secteurs socioéconomiques de la communauté. D’ici la fin du millénaire, le passage rapide au modèle de la société de l’information apparaîtra comme une source d’avantages concurrentiels pour tous les habitants de la Communauté de Valence.

8. Le rôle des réseaux locaux dans l’appropriation par les citoyens des nouvelles techniques de l’information et de la communication

L’expression «réseau local» – community network, en anglais – vient des Etats-Unis. Elle décrit un ensemble de services qui sont accessibles aux personnes vivant dans une même aire géographique et leur sont fournis par une organisation particulière – le réseau local. En Europe, la situation évolue autrement, car les différents éléments d’un même réseau peuvent y être fournis par plusieurs organisations. Plutôt que de parler de réseau local au sens d’organisation distincte, je préfère employer cette expression pour décrire les diverses manières dont une collectivité locale peut se servir des nouvelles techniques de l’information et de la communication afin de constituer un réseau. Je crois utile de mettre en avant quatre caractéristiques principales pour qualifier ces réseaux:

1. En premier lieu, les réseaux locaux créent un espace public dans le cyberespace. Au cours de la European Community Networking Conference qui a eu lieu l’an dernier à Milan, on a cité l’exemple de la Place du Dôme, au cœur de la ville. Le soir, cette place est pleine de gens, qui la sillonnent en tous sens et s’y rencontrent pour parler de toutes sortes de choses. Certains font des affaires, d’autres échangent des enseignements et des idées, d'autres encore élaborent des campagnes pour améliorer leur ville. Les propos sont sérieux ou enjoués, réfléchis ou superficiels. Personne ne vient dire aux autres ce qu’ils devraient faire ou ce dont ils devraient parler. Chacun vient quand il veut, parle avec qui il veut et de ce qu’il veut. Il faut que les gens puissent disposer d’un lieu public de ce type dans le cyberespace, un lieu qu’ils puissent utiliser à leur guise. Quelles que soient les autres fonctions remplies par les réseaux locaux, qu’il s’agisse de la diffusion d’informations sur les services publics, de prestations commerciales ou autres, il est essentiel qu’ils jouent ce rôle de place publique.

Un lieu public devant par nature être ouvert à tous, les réseaux locaux doivent régler le problème de l’accès. Dans un premier temps, cela suppose l’existence d’un grand nombre de points d’accès ouverts à tous, gratuitement ou à un coût qui ne soit dissuasif pour personne. A plus long terme, il convient toutefois de garantir que les utilisateurs puissent accéder au cyberespace depuis chez eux pour que ces services fassent vraiment partie de leur vie quotidienne, au même titre que le téléphone. Cela suppose aussi que les réseaux locaux fassent un gros effort de formation et d’assistance afin de garantir que chacun possède les capacités nécessaires pour tirer profit de cette technique.

2. Deuxièmement, les réseaux locaux reconnaissent que la communication est plus importante que la diffusion d’informations. Certes, il est important d’être informé, mais les gens préfèrent encore se parler. En fait, l’une des meilleures manières d’obtenir des informations utiles est de s’adresser à un expert du domaine concerné et de lui poser des questions. Il est révélateur qu’à Blacksburg – qui est la ville la plus «câblée» d’Amérique, avec plus de 50 % de la population connectée à l'Internet – les gens ne passent en moyenne que deux heures par semaine sur le réseau mondial, alors qu’ils en passent cinq à communiquer par courrier électronique. Il ne suffit donc pas de créer un site Internet pour diffuser des informations locales complètes. Afin de répondre vraiment aux besoins du public, les réseaux locaux doivent inclure le courrier électronique, des groupes de discussion et des listes de discussion par courrier électronique.

3. Les réseaux locaux doivent être ancrés localement. Il n’est pas question de nier ici l’avantage de relier entre elles des communautés d’intérêts par l’intermédiaire des techniques nouvelles. Je participe moi-même à plusieurs groupes de discussion nationaux et internationaux et en retire le plus grand profit. Ce qui fait la valeur de la dimension locale des réseaux, c’est que nous-mêmes fonctionnons sur le plan local. La plupart d’entre nous vivons, travaillons, faisons nos courses et passons notre temps libre dans une zone géométrique bien délimitée; il est donc important que les réseaux locaux reflètent cette réalité. De plus, les moyens de communication électroniques peuvent beaucoup plus facilement soutenir nos autres modes de communication et en améliorer l’efficacité s’ils sont organisés à un niveau local. Pour reprendre l’exemple de Blacksburg, beaucoup de personnes âgées n'ont fait connaissance que par l’intermédiaire du réseau local; mais, habitant à proximité les unes des autres, elles ont ensuite commencé à entreprendre de nombreuses activités en commun. Bien sûr, une fois des réseaux locaux établis dans l’ensemble du pays, des réseaux de communauté d’intérêts pourront aisément venir se greffer sur eux, pour le plus grand bénéfice des deux types de réseaux.

4. La dernière caractéristique des réseaux locaux est qu’ils fonctionnent mieux lorsqu’ils sont complets et couvrent tous les aspects de la vie. Un réseau local n’est pas complet s’il répond aux seuls besoins du secteur associatif. Les collectivités dans lesquelles nous vivons se composent d’organismes publics, d’entreprises, d’écoles, de groupes de bénévoles et d’associations. Nous sommes tous appelés à communiquer et à réaliser des transactions avec chacun des secteurs de notre collectivité. Or, un réseau local doit refléter cela. Pour établir un réseau local, le mieux est donc que tous les secteurs y collaborent afin de garantir que chacun y soit pleinement représenté. Cette collaboration peut prendre la forme d’un accord de partenariat pour l’exploitation de l’ensemble du réseau. On peut aussi parvenir au même résultat en amenant plusieurs organismes à fournir chacun des services donnés, à condition de s’entendre clairement sur le rôle des uns et des autres et d’entretenir les liens entre ces différents services.

En résumé, les réseaux locaux démythifient la technique et permettent au grand public de retirer un bénéfice immédiat et tangible de l’apprentissage de ces modes de communication. Ils donnent aux simples usagers l’occasion de se servir de l’Internet pour faire des choses qui les intéressent et intègrent l'emploi des techniques de l’information dans leur vie quotidienne, au même titre que le téléphone. En encourageant le développement des réseaux locaux, on forme les citoyens aux techniques de l’information; ils pourront alors les mettre à profit pour œuvrer ensemble à l’amélioration du cadre social dans lequel ils vivent, utiliser tous les services qui seront bientôt disponibles en ligne, trouver du travail et développer leurs entreprises.

Quels types de services peuvent faire partie d'un réseau local?

La liste des services qui semblent importants au sein de réseaux locaux ne cesse de s’allonger. On peut les classer en trois catégories: les «services de base», qui constituent la principale raison d'être du réseau local; les «services essentiels», qui ne font pas partie des fonctions premières du réseau, mais dont la présence permet quand même d’assurer sa bonne implantation, et les «services souhaitables», qui améliorent la qualité des services proposés dans le cadre d'un tel réseau:

Services de base:

Services essentiels:

Services souhaitables:

Il serait nécessaire que d’ici 2005, tous les habitants des pays européens aient facilement accès à un réseau local dans leur lieu de résidence; de cette manière, non seulement qu'ils aient accès à toutes les informations concernant leur environnement immédiat, mais aussi – ce qui est beaucoup plus important – qu’ils puissent se mettre en relation avec des personnes ayant les mêmes centres d’intérêt et que tous contribuent ensemble à faire de leur ville ou village un endroit où il soit plus agréable de vivre et de travailler. Plus il y aura de personnes qui se familiariseront avec les nouvelles techniques de l’information et de la communication pour se faciliter la vie et améliorer la vie locale, plus la population européenne aura conscience de l’utilité de ces techniques. Nous pourrions ainsi être amenés à jouer un rôle moteur dans le développement de la nouvelle industrie de l’information.

Pour parvenir à cet objectif, le mieux est que dans chaque ville ou village, les organisations publiques, privées, universitaires et associatives coopèrent afin de mettre leurs ressources au service d’une sorte de stratégie commune. Il est également essentiel que les réseaux locaux travaillent ensemble en échangeant leurs enseignements et en élaborant de nouveaux modes de collaboration.

Je crois aussi que les réseaux locaux sont à la pointe de l’évolution technique. L’esprit de coopération sur lequel ils s'appuient produira une somme considérable de compétences qui profiteront à l’industrie, au commerce et, en définitive, à tous les aspects de la vie. Qui, mieux que les réseaux locaux, peut amener la technique à prendre en compte les besoins de l’usager et à explorer les possibilités offertes par la vidéoconférence et l’audioconférence ?

Ce sont là de grandes ambitions, mais je les crois réalisables. Elles le sont parce que les avantages en seraient considérables et profiteraient à tout un chacun. Elles le sont aussi parce qu'à mon avis, elles n'exigent pas beaucoup de ressources supplémentaires. La réussite tient au partenariat et à la collaboration. Les économies colossales qui peuvent être réalisées si les secteurs public, privé et universitaire investissent de façon concertée et coopèrent dans le domaine des nouvelles techniques couvriraient en très grande partie les coûts de libre accès, de formation et d’assistance du grand public, ce qui permettrait de garantir que chacun soit de la partie.

9. Conclusions

L’évolution vécue dans nos pays membres, en Europe et dans le monde entier, suggère bien plus qu’une simple émergence de nouveaux et plus puissants moyens de communication : la société de l’information aura une influence globale sur nos vies, privées et publiques, y compris au travail, ainsi que sur nos activités sociales et dans nos loisirs.

Le développement de la société d’information implique que nous devons changer nos modes de penser et nos méthodes de travail. Cela entraînera non seulement la globalisation mais aussi une décentralisation, des initiatives seront prises à la base et des actions seront initiées à la base. Le rôle des autorités locales et régionales est fondamental dans ce processus et nous détenons une grande part de responsabilité pour créer les conditions permettant que la société de l’information se développe dans la bonne direction. Alors que nous affirmons l’importance de l’égalité, entre les individus et les différentes régions, nous devons reconnaître les dangers et les défis que comporte cette évolution : le risque réel de division de nos sociétés en deux catégories de citoyens - ceux de première et ceux de deuxième classe - en fonction de leurs moyens et de leurs aptitudes à utiliser les nouvelles technologies, risque qui doit être évité à tout prix.

Quels pronostics peut-on émettre sur la participation des citoyens à la gestion des affaires publiques?

Les technologies de l’information et de la communication peuvent avoir les effets suivants:

Au vu de la facilité d’emploi des moyens de communication et de l’accès à l’information, aujourd’hui et dans l’avenir proche, certains observateurs n’hésitent pas à prédire l’émergence d’une nouvelle tribune publique ou «agora», qui favorisera les prises de décision collectives. Nous pourrions, au cours des quelques décennies à venir, assister aux développements suivants:

Bien entendu, il n’est ni souhaitable, ni probable, que les systèmes établis de conduite des affaires publiques connaissent des mutations trop rapides. Cependant, de nombreux citoyens souhaitent vivement être associés plus étroitement aux décisions qui auront des répercussions considérables sur leur vie et leur avenir. Les technologies de l’information peuvent les aider dans ce sens, mais il ne faut pas oublier que de nombreux autres facteurs jouent également un rôle important.