La situation de la démocratie locale dans les pays membres - CPL (4) 3 Partie II

 

Rapporteur
M. Alain CHENARD (France)

 

INTRODUCTION

Lors de sa réunion du 25 novembre 1996 à Moscou, le Bureau de la Chambre des Pouvoirs locaux du Congrès a décidé de confier à un Groupe de travail la préparation d'un rapport sur les principaux problèmes que rencontrent la démocratie et l'autonomie locales dans les Etats membres. Ce rapport est soumis au Congrès lors de sa 4e Session plénière pour lui donner les moyens de mettre au point une action directe et approfondie dans les pays où des problèmes spécifiques se sont fait jour concernant le fonctionnement de l'autonomie locale. Dans cette perspective, le Groupe de travail propose également l'adoption d'une Résolution.

Le rapport est composé de deux parties, consistant en :

I. La mise en oeuvre des principes fondamentaux de l'autonomie locale: examen des problèmes communs rencontrés dans les Etats membres ;

II. Analyse de la situation de la démocratie locale dans un certain nombre d'Etats membres dans lesquels des problèmes majeurs ont été signalés.

En ce qui concerne la méthodologie de travail, avec l'assistance du Secrétariat, le Groupe de travail a adressé un questionnaire aux délégations nationales auprès du CPLRE et aux associations nationales des pouvoirs locaux d'un certain nombre des Etats membres, en vue d'obtenir des informations "fraîches" sur la situation de la démocratie locale dans leur pays.
Les questionnaires ont été adaptées en fonction des problèmes spécifiques existants dans le différents pays et dont le Congrès avait déjà eu connaissance.

Une réponse à été fournie au Groupe de travail par les délégations nationales et/ou aux associations nationales des pouvoirs locaux des Etats suivants : Autriche, Danemark, Finlande, France, Lettonie, Luxembourg, Malte, Pays Bas, Norvège, Pologne, Portugal, Espagne, Slovénie, Suisse, "l'ex-République yougoslave de Macédoine". Il n'a été pas possible d'établir un contact avec la Moldavie.

Par ailleurs, le Groupe de travail, toujours assisté par le Secrétariat, sur la base des rapports précédemment établis dans le cadre des activités du CPLRE, a pu rassembler d'autres informations concernant : la Belgique, la Bulgarie, Chypre, la Croatie, le Danemark, la France, la Grèce, la Lettonie, la Lituanie, la Moldavie, le Portugal, la République Slovaque, la Suisse,

"l'Ex-République yougoslave de Macédoine" et le Royaume-Uni.

Les informations concernant l'Ukraine ont été repérées dans l'étude "La situation de la démocratie locale en Ukraine à la fin de 1996" élaborée par le Dr. HOFFSCHULTE. Ces informationns ont été complétées et mises à jour lors de la visite officielle du Rapporteur à Kiev du 15 au 17 avril 1997. Lors de cette visite le Rapporteur, accompagné par M. HOFFSCHULTE et deux membres du Secrétariat, a rencontré les représentants de la Fondation présidentielle de l'autonomie locale, de la Commission ad hoc du Parlement chargé de l'élaboration de la loi sur l'autonomie locale, de l'Administration présidentielle, de l'Association des villes d'Ukraine et de la Municipalité de la ville de Kiev. Etant donné l'importance des informations mentionnées ci-dessus, la situation de la démocratie locale en Ukraine fait l'objet d'un chapitre particulier de ce rapport.

Sur la base des informations rassemblées, un document préliminaire a pu être élaboré par le Secrétariat en vue de son examen lors de la première réunion du Groupe de travail le 24 février 1997 à Strasbourg. Le Groupe s'est réuni une dernière fois à Paris le 28 avril 1997 en vue de l'adoption du projet de Résolution qui vous est proposé ainsi que du présent rapport.

A ce sujet, il est important d'observer que le Congrès a déjà préparé un rapport sur la situation de la démocratie locale en Roumanie en 1995 et qu'à l'occasion de cette Session il est prévu de discuter des rapports spécifiques sur la démocratie locale en Italie, dans la Fédération de Russie et en Turquie. Par ailleurs, un Groupe de travail ad hoc a été recemment chargé de préparer un rapport sur la démocratie locale en Albanie. Ayant cela à l'esprit, la situation de la démocratie locale dans les pays susmentionnés ne fait pas l'objet de ce rapport.

PREMIÈRE PARTIE: LA MISE EN OEUVRE DES PRINCIPES FONDAMENTAUX DE L'AUTONOMIE LOCALE : EXAMEN DES PROBLÈMES COMMUNS RENCONTRÉS DANS LES ETATS MEMBRES

I. Le temps d'un bilan: 1985/86 à 1996/97

En 1996, dix ans s'étaient écoulés depuis l'entrée en vigueur de la "Charte européenne de l'autonomie locale" du Conseil de l'Europe grâce à sa ratification par le quorum requis d'Etats membres. Il est donc d'autant plus étonnant que certaines des principales démocraties, qui étaient déjà membres du Conseil de l'Europe alors, n'aient toujours pas inscrit cette Charte dans leur droit national. Ainsi, par exemple, la France et la Belgique l'ont signée en 1985 mais ne l'ont toujours pas ratifiée, et le Royaume-Uni ne l'a même pas signée jusqu'à ce jour.
La Charte a cependant, à de multiples égards, une actualité et une importance insoupçonnées:

C'est le cas surtout compte tenu de la mise en place de structures démocratiques dans les pays d'Europe centrale et orientale. Dans leur majorité, ces pays se sont engagés, dans le cadre des négociations préalables à leur entrée au Conseil de l'Europe, non seulement à ratifier et à intégrer dans leur droit national, c'est-à-dire dans leurs Constitutions et leurs législations, la Convention des Droits de l'Homme, mais aussi à signer et à ratifier dans un délai convenable la "Charte européenne de l'autonomie locale". Ainsi ils se réfèrent, dans le processus de démocratisation de leurs nations, au principe de la Charte qui dit: "Les Etats membres du Conseil de l'Europe reconnaissent que les collectivités locales sont l'un des principaux fondements de tout régime démocratique" et "que c'est au niveau local que le droit des citoyens de participer à la gestion des affaires publiques peut être exercé le plus directement". C'est l'écrivain russe Soljénitsyne qui l'a exprimé de la façon la plus saisissante, au terme de son voyage de retour long de 45 jours à travers la terre russe, lorsqu'il a constaté que la Russie "sera démocratique seulement quand ses villes et ses communes seront administrées démocratiquement par les citoyens eux-mêmes."

L'inscription du principe de subsidiarité dans l'article 3b de l'amendement de Maastricht aux Traités de Rome et dans l'article B (dernier paragraphe) du même traité, où il est une fois encore explicitement souligné que les objectifs de l'Union européenne sont "réalisés... en tenant compte du principe de subsidiarité", a donné une plus grande acuité, dans l'ensemble de l'Europe, à la réflexion sur l'autonomie locale et régionale. Certes, pour l'instant, le traité de Maastricht ne concerne formellement que la relation entre l'Union européenne et les Etats membres. Toutefois, en même temps que ces derniers, ce sont également leurs structures internes et leurs traditions juridiques, définies et protégées dans leur diversité par l'article F du Traité de Maastricht, qui sont concernées et protégées.

C'est la raison pour laquelle le "Comité des collectivités locales et régionales" (appelé aussi plus brièvement "Comité des Régions") instaurée par l'article 198 A à C du traité de Maastricht n'a cessé depuis 1994 de souligner que le principe de subsidiarité devait aussi s'appliquer aux relations entre l'Union, d'une part, et les régions et collectivités locales d'autre part, étant donné que le droit de l'Union a des répercussions directes sur ces dernières et leur autonomie administrative. C'est cette même position que défendait déjà le "Conseil consultatif des collectivités locales et régionales" institué en 1988 auprès de la Commission Européenne, et qui est le précurseur du Comité des Régions. La Commission de l'Union européenne a également confirmé depuis 1992, sans toutefois vouloir s'ingérer dans les structures internes des Etats membres, que les communes sont elles aussi sous la protection du principe de subsidiarité.

On constate donc que la réflexion sur la protection de l'autonomie locale s'amplifie aussi en raison de la prise de conscience croissante de l'importance du principe de subsidiarité tel qu'il est déjà énoncé dans la Charte de 1985, dans l'article 4 paragraphe 3, selon lequel "l'exercice des responsabilités publiques doit, de façon générale, incomber, de préférence, aux autorités les plus proches des citoyens".

En outre, on observe dans l'ensemble de l'Europe un renforcement de la tendance à la décentralisation, qui soulève dans de nombreuses nations la question de savoir si les missions déléguées par les gouvernements centraux doivent être assumées (seulement) par des instances décentralisées de l'administration de l'Etat ou bien confiées, grâce à un renforcement des structures locales et régionales, à des collectivités autonomes, c'est-à-dire à des unités locales. On parle dans ce cas d'une communalisation qui, si elle veut respecter les principes de la "Charte européenne de l'autonomie locale", rend nécessaire le transfert ou le partage des structures administratives, financières et personnelles.

Ce fut un long chemin qui mena du Congrès (certes, alors seulement ouest-européen) du "Conseil des Communes d'Europe" fondé en 1951 (aujourd'hui Conseil des Communes et des Régions d'Europe), qui se tint en 1953 à Versailles et au cours duquel les délégués adoptèrent à l'unanimité une résolution intitulée "Charte européenne de la liberté locale", à la signature de la Convention du Conseil de l'Europe par onze Etats membres, le 15 octobre 1985 à Strasbourg. En 1953, ses détracteurs parlaient d'une "grandiose utopie" et d'une "déclaration purement théorique".

Aujourd'hui encore, on oppose souvent ces mêmes objections aux exigences de la Charte de 1985, en dépit des nombreuses réalisations. En 1985, onze de la bonne vingtaine d'Etats membres signèrent la Charte. Aujourd'hui, ce sont 31 des 40 membres qui l'ont signée, même si 23 seulement l'ont ratifiée; du point de vue de la Charte, il est inacceptable que 9 membres n'aient même pas encore signé.

Certes, c'est une tout autre question que d'établir dans quelle mesure, dans les 40 Etats membres, les principes de la Charte non seulement ont été intégrés au droit constitutionnel et à la législation, mais se traduisent aussi dans la pratique, au quotidien, dans l'action des collectivités locales et la vie de leurs citoyens. A notre époque d'internationalisation croissante des missions essentielles et des conditions globales, le besoin d'identification et de participation de nos concitoyens au niveau local et régional s'accroît visiblement. En effet, l'"interdépendance", comme l'appelait J.F. Kennedy, est aussi dépendance, et l'interpénétration croissante, la "globalisation" de nos économies, des marchés de l'emploi, des questions environnementales, des politiques structurelles, etc., si elle place les unités locales devant de nouveaux défis, fait aussi planer de nouvelles menaces sur leur autonomie administrative et structurelle.

Ces dernières années, la Charte européenne de l'autonomie locale a soulevé un intérêt croissant dans le monde entier. Sur les autres continents, la prise de conscience de l'importance de l'autonomie municipale et du rôle des villes et régions dans la mise en place des structures nationales et de la démocratie va en grandissant. C'est ainsi que, lors du congrès de l'International Union of Local Authorities (IULA) à Toronto en juin 1993, a été rédigée une "Déclaration mondiale sur l'autonomie locale" (IULA World Wide Declaration of Local Self-Government), qui a formulé les principes de l'autonomie locale en se référant à la Charte européenne de 1985.

A l'initiative de sa Section allemande (Fellbach, mars 1996), le Conseil des Villes et des Régions de l'Europe a adopté à l'unanimité, lors de son 20ème congrès européen à Thessalonique, une résolution constituant un appel à la Conférence Habitat II des Nations Unies (Juin 1996 à Istanbul), qui exigeait "la reconnaissance au niveau mondial du principe de subsidiarité et la garantie de l'autonomie locale en tant que fondement d'un développement démocratique et durable". Le but de cette initiative est l'adoption d'une convention des Nations Unies reprenant son contenu. La Conférence des villes de tous les continents, la WACLA, a rejoint cette initiative, en préalable à la Conférence HABITAT II, les 30/31 mai 1996 et a adressé à la Communauté internationale des Nations (International Community) cet appel à l'élaboration d'une Charte mondiale de l'autonomie locale. La conférence HABITAT II d'Istanbul a effectivement repris dans sa déclaration en 15 points du 14 juin 1996 la déclaration de base qui suit: "Recognizing local authorities as our closest and essential partners in the implementation of the Habitat Agenda, we must promote, within the legal framework of each country, decentralisation through domestic local authorities and work to strengthen their financial and institutional capacities in accordance with the conditions of countries, while ensuring transparency, accountability and responsiveness to the needs of people, which are key requirements for governments at all level." (Point 12 de la Déclaration)

Ainsi, la Charte du Conseil de l'Europe fait école dans le monde entier.

Il est d'autant plus temps de dresser un bilan intermédiaire du développement de l'autonomie locale dans les dorénavant 40 Etats membres du Conseil de l'Europe!

II. Les principales catégories de problèmes posés à l'autonomie locale

Le secrétariat du "Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l'Europe" a envoyé aux délégations nationales ainsi qu'aux associations nationales de communes de certains Etats membres des questionnaires, en vue de collecter dans chacun des Etats des informations actuelles. Certains pays n'ont pas été contactés dans le cadre de cette action, car un rapport spécifique les concernant était actuellement soit en cours d'élaboration avec l'aide de différents groupes de travail (Albanie, Italie, Fédération russe et Turquie), soit déjà rédigé (Roumanie). Certains pays n'ont pas répondu (Allemagne, Islande, Suède, République Tchèque et Hongrie). Aucun contact n'a pu être établi avec la Moldavie.

De la masse d'informations disponibles se dégagent certains problèmes spécifiques, qui apparaissent dans plusieurs nations, voire dans l'ensemble des pays, même si c'est avec une intensité et une accentuation variables. C'est de ces problèmes que nous allons traiter ci-après. Nous consacrerons également un chapitre aux difficultés que présente l'autonomie locale dans un certain nombre de pays membres.

A.

Selon l'article 3 de la Charte, une part importante des affaires publiques doit être concédée et transmise aux pouvoirs locaux. Or, dans beaucoup d'Etats membres, les communes se plaignent que bon nombre de missions qui pourraient être accomplies mieux et plus efficacement, mais surtout de manière plus proche des citoyens, dans les hôtels de ville (et les gouvernements régionaux), restent réservées par les gouvernements aux administrations centrales ou à leurs organes et services déconcentrés.

Cette tendance centraliste est aggravée, notamment dans les pays qui subissent un profond bouleversement économique avec les énormes incertitudes et problèmes financiers inhérents, par une réticence des communes à se charger de ces missions supplémentaires, parce qu'elles ne peuvent être certaines que l'Etat leur accordera aussi les moyens financiers nécessaires.

Dans certains pays, les gouvernements centraux, pour s'opposer à la communalisation, objectent plus ou moins ouvertement que le personnel des collectivités locales n'est pas (encore) suffisamment qualifié pour assurer ces missions. C'est là un manque de bonne volonté de l'Etat à transférer aux communes, en même temps qu'une mission, le personnel de l'Etat qui y travaillait jusqu'alors, ce qui, dans certaines nations, est une évidence liée à la décentralisation, mais qui ailleurs, en revanche, échoue du fait de l'absence ou de l'insuffisance des règles juridiques relatives au statut du personnel communal.

On invoque même comme argument contre la décentralisation et le renforcement de l'autonomie le risque supposé d'une corruption locale. Ceci est d'autant plus étonnant pour les nations au sein lesquelles la corruption à une large échelle constitue une menace et même une réalité. Car même celui qui plaidera qu'on ne peut l'éradiquer totalement doit reconnaître que la corruption au niveau central, dont les conséquences sont plus étendues, est autrement plus dangereuse que la corruption qui ne peut manquer d'apparaître occasionnellement au niveau local, dont les conséquences restent limitées localement.

La décentralisation est exposée à un autre danger qui provient des nouvelles technologies et des possibilités modernes de la télématique. Le gouvernement central et ses agents pouvant disposer en une seconde des données locales, la tendance à l'intervention directe des administrations et des représentations politiques telles que le Parlement s'accroît. L'argument de l'efficacité qu'apporte la proximité des lieux et des citoyens semble perdre de sa force. Mais les représentants des collectivités locales font valoir à juste titre qu'une prise de décision centrale compromet les possibilités locales de participation des citoyens et de recherche autonome de solutions, et qu'on n'obtient donc pas une efficacité équivalente.

B.

On constate dans beaucoup de pays que, si la décentralisation constitue effectivement un objectif, elle n'est pas mise à profit pour renforcer l'autonomie locale, et qu'au contraire la mise en place de services extérieurs de l'Etat au niveau local entrave encore plus la capacité d'action des communes. C'est notamment le cas dans certains pays de l'ancien bloc soviétique ayant entrepris des réformes, qui veulent faire croire à une réorientation, alors qu'en réalité les anciennes forces du centralisme se redéploient sous le masque de la décentralisation. Les structures de l'Etat renforcent ainsi l'étendue de leur mainmise. Cette problématique est importante notamment dans les pays qui, au lieu d'un deuxième niveau local (Kreise, counties, comtés), maintiennent ou instaurent des organes dépendant de l'Etat, voire suppriment un deuxième niveau local subsidiaire de nature à renforcer et compléter les villes et communes qu'il rassemble (Lettonie), ou affaiblissent ses compétences administratives (Royaume-Uni).

C.

Dans beaucoup de pays membres, l'augmentation constante de la "densité de réglementation" des directives nationales, qui se traduit par des lois et des prescriptions, apparaît comme un phénomène propre au centralisme et dont il ne parvient pas à se défaire.

Ce phénomène ne renferme pas seulement un risque de bureaucratisation, ce qui serait déjà en soi de moins en moins supportable pour les citoyens. Il affaiblit également la portée de l'autonomie locale, telle qu'elle est garantie par l'article 4 de la Charte. Au lieu de la recherche d'une issue à cette densité de réglementation, comme c'est le souhait général, on constate, même dans les Etats qui s'efforcent de débureaucratiser, une augmentation du flot de règlements, souvent avec des motifs légitimes (par exemple la protection de l'environnement), mais avec toutefois pour conséquence négative de restreindre les possibilités de planification et la liberté d'organisation des collectivités locales.
Tout ceci met gravement en danger l'autonomie locale. C'est pourquoi, dans beaucoup d'Etats membres, un "recul" du pouvoir de l'Etat est absolument nécessaire pour éviter que l'autonomie locale s'amenuise encore.

D.

On constate également des faux pas dans l'application de l'article 6 de la Charte, qui garantit aux collectivités locales le pouvoir de définir elles-mêmes les structures administratives adéquates dont elles entendent se doter. Les atteintes à ce principe viennent d'une part de la trop forte réglementation de l'Etat qui touche aussi ce domaine, et d'autre part de ce que l'attribution de missions, comme nous l'avons déjà mentionné, ne s'accompagne pas toujours de l'attribution des moyens administratifs, personnels et financiers adaptés, ou encore de ce que le transfert de ressources prévu par la Constitution et la législation reste dans la pratique en deçà des directives nationales.

Mais surtout, nous trouvons particulièrement inquiétante la tendance, observée dans certains Etats en voie de réforme, à flanquer les organes du pouvoir local d'administrations étatiques dont les chefs sont nommés et peuvent être révoqués par le gouvernement ou le président, et dont la double loyauté ne peut donc qu'osciller entre le Conseil élu par le peuple d'une part, et le chef d'Etat ou de gouvernement d'autre part. Une telle évolution (comme c'est le cas par exemple en Ukraine pour les régions et les arrondissements) est incompatible avec l'article 6 de la Charte.

Le transfert à une structure locale solide d'autres missions de l'Etat, ou tout au moins leur délégation, peut s'avérer très bénéfique au renforcement de l'autonomie locale (et régionale). Leur interaction avec les missions propres à la collectivité locale a toutes les chances d'être profitable à une rationalisation des services administratifs, à la transparence et à la participation et l'action des citoyens. Mais cette méthode ne doit pas avoir pour conséquence d'étrangler l'autonomie locale.

La tendance de certains pays à restreindre l'autonomie locale dans leur capitale n'est pas non plus acceptable. Les habitants de la capitale, généralement la ville la plus importante du pays, doivent aussi, surtout eux, bénéficier de l'autonomie locale avec tous les droits qui émanent de la Charte. Le fait que des affaires supplémentaires liées au gouvernement et à son infrastructure doivent être prises en compte et assumées par la capitale ne constitue pas une justification à de telles limitations. Il s'agit plutôt d'instaurer une coopération réciproque et de créer des instruments de planification et de financement spécifiques en raison de ces charges supplémentaires.

E.

Dans de nombreux pays, l'autonomie locale a pâti du déséquilibre entre les régions à forte concentration urbaine et les zones rurales.

L'urbanisation qui touche toujours de nombreux pays a non seulement affaibli la participation des citoyens et de leurs associations dans les métropoles urbaines, mais elle a également conduit à une détérioration de la situation des communes de l'espace rural qui, trop souvent, sont dans l'incapacité, du point de vue financier, administratif et personnel, de répondre aux souhaits de leurs habitants de manière satisfaisante et propre à endiguer la tendance à la migration vers les grands centres. L'Etat et ses organes cèdent trop rapidement à la tentation d'accorder une plus grande considération aux masses qu'à la multitude de petites villes et communes; aussi ces dernières échouent-elles trop souvent dans leur combat pour inverser cette tendance. En outre, l'existence d'un très grand nombre de communes de petite taille, et donc peu puissantes, semble plutôt aller dans le sens des traditions centralistes, suivant le principe "divide ut impera".

Tandis que, dans certains pays, l'espace rural a vu sa puissance d'action au niveau local renforcée systématiquement par une politique structurelle couronnée de succès, à travers des formes diverses de restructuration communale, qu'il s'agisse de la création d'unités plus importantes pouvant faire concurrence aux villes en matière de développement structurel, ou bien de différentes formes de coopération et d'associations communes de planification dans des pays où, pour des raisons historiques et politiques (de politique sociale), le maintien des communes les plus petites semblait souhaitable. Il est indéniable que, dans l'optique de la Charte, la préférence doit être donnée à l'encouragement d'une coopération volontaire plutôt qu'à des restructurations forcées; cependant la Charte tolère celles-ci lorsqu'elles servent les intérêts et, finalement, le renforcement de l'autonomie locale (et régionale), et que les parties concernées ont été consultées en temps utile (art. 5 de la Charte sur la protection des limites territoriales des collectivités locales).

F.

Ici et là se pose également pour l'autonomie locale le problème du cumul de mandats locaux avec des charges ou des fonctions dépendant de l'Etat. L'article 7 paragraphe 3 de la Charte stipule ainsi que les fonctions et activités incompatibles avec le mandat d'élu local ne peuvent être autorisées que (exceptionnellement) par une disposition juridique. Or on constate immanquablement des dérapages lorsque le cumul des mandats conduit à des collisions d'intérêts, que ce soit parce que le mandataire se retrouve dans la situation peu réjouissante de servir deux maîtres et que sa loyauté est ainsi régulièrement mise à trop rude épreuve, ou bien parce qu'il travaille à différents niveaux, lesquels comprennent par exemple des fonctions de contrôle.

G.

Des conflits surgissent aussi dans la pratique, dans certains pays, du fait des limites posées au contrôle administratif des collectivités locales (article 8 de la Charte). Ce contrôle outrepasse souvent ses limites légales et ses pouvoirs, en intervenant par exemple à travers des réglementations financières dans le contenu et l'opportunité des décisions locales. Ceci est contraire au principe énoncé dans l'art. 8 par. 2, selon lequel le contrôle doit normalement se limiter au respect de la légalité et des principes constitutionnels.

La relation avec la densité de réglementation dont nous avons déploré les aspects négatifs est évidente. C'est surtout là où le nombre des normes et directives juridiques est en constante augmentation que le contrôle de la légalité équivaut parfois à une perte du pouvoir de décision autonome. Beaucoup de mandataires locaux se plaignent qu'on exige de plus en plus de leur part une prise de décision concernant des questions pour lesquelles les "contraintes extérieures" sont si fortes que les décisions sont liées.

C'est la raison pour laquelle ce problème touche le coeur même de l'autonomie locale non seulement dans les pays à tradition centraliste, mais aussi dans des nations qui traditionnellement connaissent une forte autonomie locale, mais où, alors qu'une marge d'appréciation et d'examen est prévue formellement et de manière explicite pour les décisions essentielles, par exemple en matière de planification et de bâtiment, cette marge de manoeuvre est réduite à presque rien au cours des consultations et les discussions (anticipant le contrôle) avec les autorités de surveillance, ou laisse même la place dans la pratique à l'appréciation et à l'examen par les instances de contrôle de l'Etat.
Le principe de la proportionnalité de l'intervention de l'autorité de contrôle (art.8 par.3 de la Charte) reste trop souvent un voeu pieux de la Charte. Il apparaît souhaitable de rétablir dans ce domaine la liberté perdue, en accordant une plus grande considération aux principes énoncés dans l'article 8. C'est notamment nécessaire lorsque l'influence de l'Etat dans le domaine de l'aide financière se révèle, à côté du contrôle juridique, décisive dans l'adoption de certaines mesures.

H.

Dans tous les Etats membres, c'est évidemment la question des ressources financières des collectivités locales qui a une importance capitale concernant la marge de manoeuvre dont dispose l'autonomie locale. Dans son article 9, la Charte garantit aux collectivités locales, dans le cadre de la politique économique nationale, le droit "à des ressources propres suffisantes dont elles peuvent disposer librement dans l'exercice de leurs compétences".

Bien sûr, on ne peut que comprendre les doléances venant de nations que le bouleversement de leurs structures a placées dans une situation de détresse financière. Là, les unités locales ne font que partager la pauvreté et la pénurie qui touchent l'ensemble du pays. Il est toutefois préoccupant que, dans les Etats en voie de réforme, la question des ressources des collectivités locales soit fréquemment un prétexte à restreindre encore l'autonomie locale. L'une des raisons en est peut-être que ces ressources modestes ne sont pas attribuées globalement et laissées à la libre disposition des collectivités locales, mais octroyées à un usage spécifique, si bien que même dans ce cadre il est impossible de définir les priorités au niveau local. C'est aussi une façon de perpétuer le centralisme que de laisser l'établissement du budget local dépendre de décisions prises au niveau de l'Etat.

Par ailleurs, il arrive trop fréquemment que la Constitution et la loi confient aux unités locales des missions précédemment dévolues à l'Etat sans que les moyens financiers mis en oeuvre jusqu'alors par l'Etat pour leur exécution soient également mis à disposition. On a l'impression que la décentralisation ou le transfert de missions qu'on annonce est plutôt destiné à soulager un Etat en manque de moyens qu'à renforcer l'autonomie locale.

Mais ce phénomène n'est pas spécifique aux Etats en voie de réforme: Dans les Etats membres d'Europe de l'Ouest, on se plaint souvent aussi que l'Etat se décharge de ses missions sur le dos des collectivités locales sans leur assurer de compensation pour ce surcroît de travail. De même, le caractère annuel de la législation, c.-à-d. de la décision de l'Etat concernant les finances locales, est cause d'un souci croissant, étant donné que l'objectif annuel d'équilibrage du budget national tend à renforcer la tentation d'assainir les finances nationales au détriment des collectivités locales. Une sûreté à moyen terme permettant de planifier les subventions de l'Etat serait appropriée, tout au moins dans les Etats dont la législation nationale fait obligation aux collectivités locales de planifier leurs finances à moyen terme.

Dans les anciens Etats communistes, on constate partout un problème d'un genre spécial, qui concerne la réglementation relative à la question de la propriété des collectivités locales. Mis à part la question de la restitution de la propriété privée confisquée dans les Etats d'Europe centrale, l'incertitude demeure quant aux droits sur ce qu'on appelait la "propriété populaire" administrée jadis par l'Etat. Dans la plupart des pays, ces biens sont visiblement considérés provisoirement comme l'une des sources principales de revenus des collectivités locales, tant que les recettes provenant des impôts locaux, des taxes et redevances et de la participation aux recettes fiscales de l'Etat ne suffiront pas à couvrir les besoins financiers locaux. Etant donné la situation économique des Etats en voie de réforme, les revenus tirés de ces biens, que les collectivités locales souhaitent faire passer le plus largement possible du domaine de l'Etat à la propriété locale, suppléent tout naturellement le manque de recettes.

Il en résulte quantité de problèmes qui nous font douter que cette manière d'agir puisse contribuer durablement à assainir les finances locales dans l'esprit de la Charte du Conseil de l'Europe.

Aucun doute ne devrait subsister quant à la justesse et à la nécessité d'un transfert de la propriété nationale aux collectivités locales, dès lors que ces biens servent directement à l'exécution de tâches publiques, comme c'est le cas en particulier des biens-fonds tels que rues, installations et édifices publics etc. Cette "propriété fiscale", comme on l'appelle, doit évidemment être attribuée aux collectivités locales avec les missions correspondantes, même quand elle nécessite des dépenses importantes d'entretien ou de rénovation et de modernisation. Certes, étant donné l'état dans lequel se trouvent beaucoup de ces biens, les collectivités locales se trouvent ainsi plutôt grevées qu'"enrichies".

Il en va autrement des droits, souvent controversés, de disposition sur cette "propriété fiscale". A ce sujet, de nombreuses collectivités locales revendiquent l'attribution de biens dont elles espèrent utiliser les revenus pour s'acquitter d'autres missions. Pratiquement, la "propriété populaire" de l'Etat doit être "décentralisée", partagée entre les collectivités locales, mais elle doit rester de facto "propriété populaire". Or il s'agit en général de biens qui, d'habitude, dans les Etats pratiquant l'économie de marché, qu'elle soit libre ou sociale, sont voués à la privatisation, et qui de même, dans les Etats d'Europe centrale et orientale, dans le cadre des réformes, ne peuvent donc être source de recettes que très provisoirement ou une unique fois (lors de leur privatisation), si tant est qu'on veut rendre l'économie concurrentielle. Il en résulte donc un conflit d'intérêts qui ne permet pas d'escompter des revenus durables.

Les cas où l'Etat abandonne aux collectivités locales des entreprises et des sites industriels qui, à la suite du bouleversement des structures économiques, ne sont plus viables, sont particulièrement problématiques. Les collectivités locales, dont les moyens financiers sont déjà faibles, se trouvent placées dans la situation insoutenable pour une politique locale de devoir maintenir, pour des raisons sociales, des entreprises et des sites de production qu'il n'est plus possible de sauver. Cela ne peut être le devoir des collectivités locales et cela dépasse durablement leurs moyens. En tout cas, le passage à la propriété communale de ces installations contrevient au principe de la sécurité financière lorsque l'Etat ne met pas en même temps à disposition les moyens financiers nécessaires en ouvrant des sources de revenus supplémentaires. C'est entre les mains de l'Etat que ces entreprises ont périclité, et il n'a pas le droit de se décharger de ce lourd héritage sur le dos des collectivités locales.

Il serait opportun d'accorder une attention particulière à la question de la distinction entre la propriété fonctionnelle et la propriété fiscale des communes lors de la discussion avec les Etats d'Europe centrale et orientale, et ce à la lumière de la Charte européenne de l'autonomie locale.

I.

Un travail important attend beaucoup de pays en ce qui concerne le respect du droit d'association des collectivités locales énoncé par l'article 10 de la Charte. Le droit de former des associations et des groupements de pointe est un facteur important du développement de l'autonomie locale. L'indépendance de ces organisations vis-à-vis de l'ingérence de l'Etat renforce l'autonomie locale. L'adhésion à des associations internationales (art.10 paragraphe 2) favorise un échange d'expériences immédiat et ainsi, surtout dans les Etats en voie de réforme, la mise en place de structures démocratiques au niveau local et régional.

On constate dans certains pays que ces organisations ne se développent que faiblement et dépendent de partis nationaux, de personnalités isolées ou de la bienveillance gouvernementale. La dispersion qu'entraîne la création de trop nombreuses associations nuit à leur force d'action. Des associations de pointe puissantes, représentant un interlocuteur de poids face à l'Etat, accéléreraient et renforceraient considérablement le développement de l'autonomie locale.

Pour résumer, on peut dire que la "Charte européenne de l'autonomie locale" de 1985 a eu des répercussions beaucoup plus importantes qu'on ne l'espérait alors. Son rayonnement sur le processus de démocratisation en cours dans les nouvelles démocraties d'Europe centrale et orientale prouve la valeur de cette convention, plus encore que le comportement hésitant de certains membres anciens du Conseil de l'Europe à l'égard de son adoption et de sa ratification. De même, on ne peut que se réjouir de l'intensité croissante de son rayonnement dans le monde entier. L'énonciation par la Charte du principe de subsidiarité nous porte à croire que les Etats membres et leurs collectivités locales vont examiner avec un intérêt renouvelé les objectifs de la Charte.

D'un autre côté, il est vrai que dans beaucoup de pays, notamment dans les Etats en voie de réforme, l'ampleur des problèmes à régler et des changements en cours rend tout à fait compréhensible cette phrase qu'un représentant ukrainien a opposée avec inquiétude à ses interlocuteurs du Conseil de l'Europe: "Nous avons une telle quantité de problèmes à résoudre que l'objectif de l'autonomie locale ne constitue pas le souci majeur de nos concitoyens." Et il demanda explicitement notre "concours pour cette nécessaire évolution des esprits", conscient que, par rapport à la manière d'agir centraliste, le renforcement de l'autonomie et de la responsabilité locales augmente considérablement les chances de résoudre les nombreuses tâches qui se présentent.

Maintenant que la plupart des Etats membres - 31 sur 40 - ont signé la Charte, que la plupart des Etats en voie de réforme ont aussi garanti dans leurs Constitutions les principes essentiels de la Charte, il reste dans les années à venir à oeuvrer à cette évolution souhaitée des esprits, du centralisme vers l'autonomie locale et régionale, afin que la Charte puisse s'ancrer plus profondément dans la pratique des Etats signataires et renforcer ainsi la démocratisation "de bas en haut".

DEUXIEME PARTIE : ANALYSE DE LA SITUATION DE LA DÉMOCRATIE LOCALE DANS LES ETATS MEMBRES DANS LESQUELS DE PROBLÈMES MAJEURS ONT ÉTÉ SIGNALÉS.

I. La situation de la démocratie locale en Bulgarie

Comme il a été correctement observé dans le dernier rapport du CPLRE sur la démocratie locale en Bulgarie, établi en juillet 1996 par M. CUATRECASAS (Espagne), ce pays a déjà accompli de nombreux pas en vue de la mise en place d'un système d'autonomie locale de plein exercice. En particulier, la Bulgarie a ratifié la Charte européenne de l'autonomie locale le 10 mai 1995, sa Constitution contient des articles portant sur l'autonomie locale, une loi cadre sur l'administration locale a été approuvée en 1991 et elle a fait l'objet de quelques amendements au cours de 1996.

On peut donc affirmer qu'en Bulgarie le cadre législatif fondamental en matière d'autonomie locale est correct du point de vue théorique. Toutefois ce cadre est souvent mal appliqué et incomplet. Dans cette perspective, il est souhaitable que les autorités bulgares s'engagent dès à présent :

1) à éliminer la disproportion entre les attributions des collectivités locales et les ressources dont elles disposent en vue d'accomplir leur mandat. Les autorités centrales ont décidé l'extension des compétences des autorités locales sans prévoir les ressources financières nécessaires et ont provoqué ainsi un déséquilibre entre leurs attributions et leurs recettes.
Cette question représente un problème sérieux, étant donné qu'en Bulgarie les municipalités sont financées notamment par des subventions étatiques et que le système actuel pénalise les petites communes dans la mesure où elles dépendent très largement des subventions de l'Etat.
En vue d'améliorer la difficile situation financière des collectivités bulgares, il est donc indispensable que le Parlement adopte une loi sur leur ressources financières en privilégiant, en tant que source de financement, un système de ressources propres.
Ceci est d'autant plus nécessaire que ces collectivités ont de lourdes responsabilités telle que la gestion des bâtiments scolaires et des hôpitaux.

2) à mettre en application les nouvelles lois sur la propriété qui ont été adoptées en juillet 1995, et ce parallèlement aux procédures de redistribution des biens fonciers entre le pouvoir central et les pouvoirs locaux qui ont déjà été entamées. L'application de ces lois doit avoir pour but de donner aux pouvoirs locaux, une marge de manoeuvre élargie en vue de gérer leur patrimoine, ce qui pourrait, à son tour, leur donner d'importantes sources de revenus. La gestion de certains biens fonciers permettrait aux municipalités d'agrandir leur influence sur la vie quotidienne des citoyens qui, à leur tour, pourraient ainsi accorder une plus grande importance à la politique locale. Bien entendu, la tâche n'est pas simple puisqu'il faut identifier à qui seront attribués les différents biens, toutefois il faut considérer qu'elle est absolument nécessaire.
A ce sujet, déjà dans le rapport de M. CUATRECASAS, il avait été souligné l'importance de la publication par le gouvernement central d'un règlement d'exécution de lois sur la propriété.

Compte tenu de ce qui précède, il apparaît clairement que même si sur le plan législatif la situation de la démocratie locale en Bulgarie peut être considérée de façon positive, il reste des lacunes à combler. Cependant, la nécessité de réformes dans le domaine de l'autonomie locale ainsi que sa mise en application doivent être considérées dans le cadre du contexte politique et économique national du pays et force est de constater que les événements récents ne permettent pas, dans l'immédiat, de formuler l'espoir que les conditions actuelles sont à même de favoriser la conception et l'adoption de reformes importantes en matière d'autonomie locale.
Il faut espérer que le processus visant les réformes puisse reprendre malgré la situation de blocage provoqué par les derniers dramatiques événements politiques nationaux.

Le Congrès devrait suivre de près ces événements afin que, dès qu'à l'échelle nationale il sera rétabli un dialogue constructif entre les différents représentants institutionnels du pays, il sera possible de compléter et mettre en oeuvre la législation en matière d'autonomie locale.
Le Groupe de travail estime que ce suivi devrait prendre la forme d'un rapport approfondi en application des paragraphes 8 et 11 de la Résolution 31(1996) du Congrès.

II. La situation de la démocratie locale en Croatie

A maintes reprises, les organes du Conseil de l'Europe ont critiqué les autorités centrales croates, qui lors des premières élections locales, ont ignoré la volonté des électeurs en refusant de reconnaître le maire élu de Zagreb. A ce sujet, il faut considérer qu'une démocratie doit non seulement être en mesure d'organiser des élections libres et équitables, mais aussi de respecter ses résultats.

Par ailleurs, il faut observer que le rôle du gouverneur des comtés ("Zupan") soulève d'importantes questions, car celui-ci est à la fois le représentant de l'Etat et l'élu du conseil du comté et que la loi sur l'administration locale ne distingue pas de façon claire les compétences de ces gouverneurs agissant en tant qu'organes étatiques déconcentrés de celles qui sont exercées par ces organes en tant qu'élus.
De plus, l'élection des gouverneurs doit être également confirmée par le Président comme dans le cas du maire de Zagreb. Or, il est inacceptable que la loi en question n'énonce aucun critère pour l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire.

En raison de ces lacunes, le Bureau du Congrès, par la lettre du Président HAEGI du 9 janvier dernier, a manifesté aux autorités croates sa préoccupation de ne pas disposer d'informations concernant la révision de la loi sur l'administration publique locale, notamment quant aux dispositions habilitant le Président de la République à confirmer l'élection des gouverneurs des comtés et celle du maire de Zagreb.

A ce sujet, il faut observer que les autorités croates s'étaient engagées à consulter les experts du Conseil de l'Europe sur la modification de la loi en question. Sachant que les élections locales étaient prévues pour le mois d'avril de cette année, le Bureau a informé les autorités croates qu'il y a urgence à modifier la loi mentionnée ci-dessus afin de s'assurer que les gouverneurs des comtés et le maire de Zagreb nouvellement élus n'aient pas à craindre une non-confirmation.

Pour ces raisons, le Bureau du Congrès avait recommandé aux autorités croates d'apporter les modifications requises avant la tenue des élections (qui ont eu lieu le 13 avril dernier) et après consultation des experts du Conseil de l'Europe.

Les autorités croates ont répondu au Président du Congrès que le Parlement croate a adopté la loi sur la délimitation territoriale des communes, des comtés et des villes et que selon cette loi la ville de Zagreb sera désormais séparée des communes qui l'entourent -qui, dans le futur, formeront un comté- tandis que la ville de Zagreb aura un statut spécifique. Il est toutefois apparu que la double qualité d'élu et représentant du gouvernement du maire de Zagreb n'avait pas été modifiée par le droit discrétionnaire du Président de le confirmer ou non.

En ce qui concerne la révision de la loi sur l'administration publique locale, les autorités croates ont affirmé qu'en l'absence, pour l'heure, d'un projet de loi elles ne sont pas en mesure de consulter les experts du Conseil de l'Europe.

Par ailleurs, elles ont informé le Président HAEGI qu'au cours des prochains mois une commission gouvernementale fera des propositions en vue de la révision de toutes les lois qui ne seraient pas conformes aux conventions européennes que la Croatie a signé lors de son adhésion au Conseil de l'Europe ou qu'elle devrait signer suite aux engagements pris, y compris la loi sur l'administration publique locale.

A ce propos, il faut rappeler qu'aux termes du paragraphe 9.vi de l'Avis No.195 (1996) de l'Assemblée parlementaire sur la demande d'adhésion au Conseil de l'Europe de la Croatie il est précisé que la Croatie s'est engagée à signer et à ratifier la Charte européenne de l'autonomie locale dans l'année suivante son adhésion (6 novembre 1996). Compte tenu de ce qui précède, il est souhaitable que la commission gouvernementale mentionnée ci-dessus s'engage dès sa création dans la procédure de ratification de la Charte afin de respecter les délais convenus dans l'engagement susmentionné.

Votre rapporteur propose donc que dans le cadre de la Résolution dont ce rapport constitue un exposé des motifs, le Congrès réaffirme sa préoccupation sur le fait que, malgré ses recommandations, le Parlement croate n'a pas encore modifié la loi sur l'administration locale en vue de supprimer le pouvoir discrétionnaire donné par la loi au Président de la République de confirmer ou non les gouverneurs des comtés et le maire de Zagreb, et considère que pour cela il est indispensable alternativement :

i. soit de préciser les critères qui seuls peuvent conduire le Chef de l'Etat à méconnaître l'élection du maire de Zagreb ainsi que celle des gouverneurs des comtés (Zupan) ;

ii. soit de distinguer les fonctions du maire de Zagreb et des gouverneurs des comtés agissant en tant que représentants des collectivités territoriales des fonctions qui sont octroyées à ces organes en tant que représentants de l'Etat à Zagreb et à l'échelle du comté

Par ailleurs, suite à l'observation par le Congrès des élections locales et régionales qui ont eu lieu en Croatie le 13 avril 1997, y compris en Slavonie orientale, et pour lesquelles un rapport spécifique a été préparé, je souhaite remarquer ici qu'en général ces élections se sont déroulées de façon équitable, mais que plusieurs problèmes spécifiques ont été observé par la délégation du Congrès.

Ces problèmes concernent notamment le fait que les résultats des élections n'ont pas fait l'objet d'une publication par bureau de vote et que, par conséquent, les citoyens n'ont pas pu exercer leur droit de vérification voire de recours, que le nom du Chef de l'Etat figurait en tant que tête de liste dans plusieurs circonscriptions de vote et que ce fait n'est pas conforme au principe de la séparation du pouvoir et de l'autonomie politique des collectivités territoriales et qu'en Slavonie orientale, faute du matériel nécessaire, plusieurs citoyens n'ont pas eu la possibilité -malgré le prolongement du scrutin d'un jour- d'exercer leur droit de vote ce qui constitue une violation de la Constitution.

Sur la base de ces considérations et compte tenu du fait de l'importance des engagements pris par les autorités croates dans le domaine de la démocratie locale, le Groupe de travail estime qu'il est opportun d'établir un dialogue franc et constructif avec ces autorités par le biais de la préparation d'un rapport approfondi sur la situation de la démocratie locale et régionale en Croatie. Ce rapport doit être établi en application des paragraphes 8 et 11 de la Résolution 31 (1996) du Congrès.

III. La situation de la démocratie locale en Lettonie

De 1989 (date des premières élections locales) au deuxième semestre de 1992, on a assisté en Lettonie à un processus de démocratisation et de décentralisation du système d'autonomie locale et régionale. Ce processus a contribué à restaurer l'indépendance du pays et a permis de rapprocher son système social des normes européennes.

Les lois sur l'autonomie des communautés urbaines (villes), des pagasts et des rajons, votées en 1990, ont rompu avec l'organisation hiérarchique de l'autorité et répartissaient les pouvoirs de manière fonctionnelle.

Toutefois, par leur association représentative les collectivités locales lettones affirment que du milieu de l'année 1992 à la fin 1995, la tendance est revenue à la centralisation, et cette subordination des pouvoirs locaux à l'autorité centrale n'était atténuée que de temps à autre, par des lois renforçant la démocratie locale.

En particulier, elles affirment que depuis le milieu de l'année 1992 et à la suite du vote de la loi sur l'autonomie de la capitale (Riga), a débuté un processus de centralisation en Lettonie et que depuis le début de l'année 1996, le Gouvernement poursuit une politique ouvertement dirigée contre les pouvoirs locaux, et des changements antidémocratiques irréversibles se préparent dans le pays.

Un certain nombre d'éléments concrets fournis par l'Association lettone viennent étayer cette information :

Depuis 1992, le gouvernement central se renforce en permanence et le processus de centralisation du pouvoir a donné lieu à la loi «sur l'autonomie territoriale», votée en 1994. Cette loi définit des entités administratives comme des institutions soumises au gouvernement central en contradiction avec la législation en vigueur et constitue une tentative pour instaurer un système hiérarchique dans lequel les pouvoirs autonomes régionaux et locaux seraient subordonnés aux organes étatiques.

En matière financière, la part des ressources nationales prélevée au profit du pouvoir central augmente sans cesse tandis que le pourcentage du revenu national alloué aux collectivités territoriales diminue chaque année. Entre 1992 et 1995, il est passé de 25 % à 20 %. Dans le budget pour 1997, il semble que ce chiffre doive encore baisser et que la part des ressources du pays destinée aux pouvoirs locaux devrait être encore plus réduite, pour s'établir aux alentours de 16,7 %.

En privant les collectivités territoriales de la part de l'impôt sur le revenu des affaires et de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) qui leur revenait, l'Etat a rompu le rapport, bénéfique pour tous, qui liait le revenu des pouvoirs locaux à leur soutien à la vie économique locale. Le décret exemptant les revenus agricoles de l'impôt sur le revenu, a porté un coup fatal aux bases économiques de la plupart des collectivités territoriales lettones, les rendant dépendantes pour la mise en œuvre de leur politique, de l'allocation de crédits et de subventions.

En 1994, les négociations fiscales se sont achevées sur un échec pour les collectivités territoriales: l'ensemble des prélèvements est qualifié par la nouvelle loi «sur les impôts et taxes» de fiscalité d'Etat, les collectivités locales ne disposant plus du pouvoir de fixer les taux des impôts, même lorsque ces derniers constituent leur principale source de revenus. A la suite de cette loi, les collectivités territoriales ont également perdu le droit de définir la forme des impôts locaux.

En 1995 a été votée une loi «sur l'organisation budgétaire et financière» limitant l'accès des collectivités territoriales au marché des capitaux et le soumettant au contrôle gouvernemental.

Le processus de centralisation financière s'accélère également depuis le début de 1996. L'idée d'un budget «non déficitaire» a été avancée par le gouvernement. Mais cet objectif ne peut être atteint qu'au prix de sérieuses réductions des budgets des collectivités territoriales. En 1996 et 1997, les pouvoirs autonomes ont vu leurs ressources réduites de 100 millions de lats (à titre d'indication, le budget annuel total des collectivités locales s'élève à 250 millions de lats). Les sommes allouées à l'Etat vont augmentant, celles consacrées aux collectivités territoriales en diminuant.

Une nouvelle limitation du droit de collecter les impôts a été édictée. Elle porte sur la participation des autorités locales à la gestion des prélèvements opérés auprès des personnes privées. En 1996, quatre communautés urbaines (Riga, Ventspils, Rezekne et Daugavpils) disposaient de certains droits en cette matière. En 1997, seules Riga en Ventspils les avaient conservés.

De nouvelles tentatives ont encore été faites pour réduire la souveraineté financière. A compter de la mi-1996, a été mis en place un contrôle sur les prêts des collectivités territoriales exercé par une commission gouvernementale spéciale. Début 1997, les pouvoirs locaux n'ont plus accès au marché des capitaux privés. Les emprunts sont régis par la direction du Trésor du ministère des Finances.

De manière plus générale, depuis le début de l'année 1996, plusieurs réformes concernant les pouvoirs locaux et régionaux sont simultanément à l'étude.

Il a été décidé que les élections régionales seraient supprimés. Un nouveau projet (prévoyant que les rajons seraient administrées par l'Etat) a été préparé, créant une double subordination aux fonctionnaires de l'Etat ainsi qu'une coordination et un contrôle des collectivités locales. Des préfets, nommés par le gouvernement central, pourront donner des directives obligatoires, à la fois aux pouvoirs autonomes et à leurs fonctionnaires.

L'Association représentative des pouvoirs locaux considère ce texte comme une violation flagrante des dispositions de la Charte européenne concernant les droit des collectivités territoriales.

En septembre 1996, le projet de loi «sur l'administration des régions par l'Etat» et les amendements correspondant à la loi «sur l'autonomie territoriale» ont été adoptés par le Conseil des ministres et présentés devant le Parlement. Après discussion, les deux projets ont été rejetés. Mais la réforme était primordiale pour le gouvernement. En décembre 1996, le parlement a approuvé d'autres mesures permettant d'abolir l'autonomie régionale. Les élections territoriales du 9 mars 1997 n'ont concerné que les pagasts, les villes et les communautés urbaines. Les gouvernements régionaux ne resteront pas en fonction au-delà de la fin de l'année 1997.

Une nouvelle version du projet de loi «sur l'administration des régions par la loi» est actuellement préparée par le gouvernement. Ce projet prévoit que le directeur de l'administration disposera du pouvoir, tout à fait inhabituel en droit letton, de promulguer des règlements obligatoires pour toutes les personnes morales et physiques des rajons. Le chef de l'administration régionale contrôlera les finances des collectivités territoriales ainsi que l'ensemble de leurs actions.

L'Association représentative des pouvoirs locaux estime qu'il s'agit là d'une réforme extrêmement négative parce qu'elle contrevient gravement aux principes de la Charte européenne de l'autonomie locale.

Dans ce cadre, le 22 février 1996, le parlement letton a accepté, par une loi, d'adhérer à la Charte européenne de l'autonomie locale. La Lettonie a ratifié vingt-sept des trente articles que comporte ce texte à l'exception du paragraphe 2 de l'article 6 (conditions d'éducation et de travail), du paragraphe 2 de l'article 7 (rémunération du travail et protection sociale), ainsi que du paragraphe 8 de l'article 9 (ouverture du marché national des capitaux). La Charte est entré en vigueur en Lettonie à compter du 1er avril 1997.

Le Groupe de travail estime que l'importance et la gravité des informations transmises par l'Association des pouvoirs locaux lettones sur le processus de centralisation en Lettonie justifie une vérification approfondie, d'autant plus que le rapporteur a demandé au Gouvernement de réagir aux allégations de l'Association des pouvoirs locaux lettons mais il n'a jamais reçu de réponse. Cette vérification devrait prendre la forme d'un Rapport spécifique du Congrès en application des paragraphes 8 et 11 de la Résolution 31 (1996).

IV. La situation de la démocratie locale en Moldavie

Après avoir pris vision du rapport du Congrès établi en avril 1995 par M. CHEVROT (France) sur la situation de la démocratie locale en Moldavie, le Groupe de travail confirme que les dispositions de la Constitution moldave en matière d'autonomie locale sont quelque peu laconiques puisqu'elles ne font aucune mention aux compétences des autorités locales, au statut des élus locaux, à l'autonomie financière des collectivités locales, ainsi qu'aux relations institutionnelles existant entre les autorités centrales et les autorités locales. La Constitution fait une référence trop sommaire à l'organisation administrative territoriale et aux statuts spéciaux de certains territoires du pays. La distinction entre les organes de l'administration publique centrale et les organes des autorités locales n'est pas toujours claire.

Par ailleurs, comme il est précisé dans le rapport de M. CHEVROT, la loi sur l'organisation administrative territoriale prévoit que la formation et la dissolution des unités administratives territoriales et la modification de leurs frontières seront décidées par le Parlement sur la base des propositions du Gouvernement et des autorités de l'administration publique locale (art.12, par.1). Cette disposition est conforme à l'article 5 de la Charte européenne de l'autonomie locale mais il serait souhaitable qu'en vue d'une meilleure protection des limites territoriales des collectivités locales, soit faite mention expresse de la possibilité de consultation préalable de la population.

Au delà de ces premières constatations d'ordre général, la loi sur l'administration publique locale (n°310-XIII, 1994) comporte des lacunes par rapport aux principes établis par la Charte européenne de l'autonomie locale dans le domaine des relations entre les autorités centrales et les autorités locales.

En particulier, ces dispositions normatives ne sont pas conformes aux principes fondamentaux de l'autonomie locale contenus dans la Charte puisque les autorités centrales moldaves :

a) ont le droit de proposer (le Gouvernement) ou de nommer (le Président de la République) directement les organes exécutifs de l'administration locale et ce en contradiction avec le paragraphe 2 de l'article 3 de la Charte européenne de l'autonomie locale qui prévoit le droit des conseils ou des assemblées de disposer d'organes exécutifs responsables devant eux.

b) exercent un contrôle sur l'opportunité des actes des organes locaux et un contrôle direct sur ceux-ci, avec la possibilité de les destituer, révoquer ou suspendre même en dehors d'une sentence définitive de l'autorité judiciaire compétente et ce, en contradiction avec les paragraphes 2 et 3 de l'article 8 de la Charte. Les actes de destitution, révocation et de suspension des organes locaux prévus par cette loi portent certainement atteinte à l'autonomie des collectivités locales qui par définition ne doivent pas être soumises à un contrôle hiérarchique relatif à l'opportunité des actes qu'elles sont amenées à émettre. Ce principe est fondé sur le fait que les autorités locales sont des organes élus directement par la population et non pas nommés par l'autorité centrale.

En conclusion, le Groupe de travail espère qu'une loi visant la modification de la Loi 310-XIII sur l'administration publique locale soit adopté rapidement en vue d'une totale séparation des fonctions des organes centraux de l'Etat des fonctions des organes locaux ainsi que de la création d'un système de contrôle fondé sur la légalité des actes et non sur leur opportunité.

A ce sujet, il faut rappeler que aux termes de paragraphe 8.g de l'Avis 188 (1995) de l'Assemblée parlementaire sur la demande d'adhésion au Conseil de l'Europe de la Moldavie le Parlement Moldave s'est engagé à reformer sa législation et sa pratique en matière d'autonomie locale. Cette volonté réformatrice s'est concrétisée dans un certain nombre de projets de lois qui devraient amender la loi sur l'administration publique locale et la loi sur l'organisation administrative-territoriale (n°306-XIII, 1994).
D'autres projet de loi ont également vu le jour en ce qui concerne les élections locales et les ressources financières des collectivités locales.

Toutefois, force est de constater que, à l'heure actuelle, la Moldavie n'a toujours pas respecté ses engagements.

En ce qui concerne le processus électoral, le 6 novembre 1995, la Cour Constitutionnelle a déclaré non conformes à la Constitution certaines dispositions de la loi sur les élections locales. La Cour constitutionnelle a notamment déclaré l'inconstitutionnalité de la disposition de la loi qui donne au Président de la République le pouvoir de nommer les maires et les conseils municipaux dans les localités où le seuil du 50% de participation n'a pas été atteint lors des élections locales. Selon la Cour Constitutionnelle, le Parlement devait modifier la loi sur les élections locales en conformité avec cette décision dans un délai de quatre mois et devait "restaurer les conséquences juridiques des dispositions de la loi qui ont été déclarées inconstitutionnelles".

Le 23 mai 1996, le Parlement a adopté la loi sur la modification de la loi sur les élections locales qui prévoit le seuil de 50% de participation pour le premier tour des élections locales. Selon cette nouvelle loi, si ce seuil n'est pas atteint un deuxième tour a lieu pour lequel aucun seuil de participation n'est prévu. Alors que ces dispositions normatives sont en conformité avec les suggestions faites dans le Rapport de M. CHEVROT et la décision de la Cour Constitutionnelle, de nouvelles élections locales n'ont pas été pour le moment organisées dans les 97 localités susmentionnées, parmi lesquelles figure la capitale du pays. Les maires et les conseils municipaux, dans ces localités, restent toujours ceux nommés par le Président de la République. Il n'est pas acceptable qu'une loi adoptée depuis bientôt un an ne soit pas mise en application.

Sur la base de ces considérations et étant donné l'importance et l'urgence des réformes susmentionnées, le Groupe de travail propose qu'un rapport spécifique soit préparé afin de pouvoir suivre de façon directe les différentes étapes visant d'une part la révision de la législation en matière d'autonomie locale et, d'autre part, la procédure de ratification de la Charte européenne de l'autonomie locale. Ce rapport doit être établi en application des paragraphes 8 et 11 de la Résolution 31 (1996) du CPLRE.

La situation actuelle de la législation relative à "l'autonomie locale" se caractérise par deux développements intervenus en 1996 et 1997 :

primo, l'abolition de "l'Accord constitutionnel" (la Constitution provisoire du 8 juin 1995), qui avait succédé à la Constitution "brejnévienne" de l'ère communiste, et son remplacement le 28 juin 1996 par une "nouvelle Constitution de l'Ukraine";

secundo, les nombreuses présentations et discussions, au sein du Parlement, de nouveaux projets de "loi de l'Ukraine sur l'autonomie locale en Ukraine". Le 24 avril 1997, la loi avait finalement été adoptée en troisième lecture. Elle n'a pas été contresignée par le Président de l'Ukraine à cause de sérieuses dérogations aux principes de la Charte du Conseil de l'Europe que l'Ukraine s'est engagée à signer. Les dernières nouvelles nous venant de Kyiv nous annoncent l'adoption à la mi-mai d'une quatrième version de la loi par le Parlement, dont toutefois nous n'avons pas reçu le texte.

Dans cette situation, des représentants/experts du Conseil de l'Europe ont été conviés à trois réunions ou conférences en 1996 ainsi qu'à deux autres en 1997 sur l'évolution de la situation :

a. des représentants de la "Fondation pour l'autonomie locale en Ukraine", organisation nationale proche du gouvernement, ont lancé des invitations à une réunion les 18 et 19 juillet 1996 à Kiev pour discuter de ces projets présentés sous une forme encore incomplète;

b. auparavant, une "Conférence internationale sur la science et la pratique" s'était déroulée du 16 au 18 mai 1996 aux portes de la capitale ukrainienne (dans un établissement de santé de l'Etat) intitulée "la Charte européenne de l'autonomie locale et les problèmes de la réforme de l'autonomie locale ukrainienne";

c. le 3 décembre 1996, la "Commission parlementaire sur l'organisation de l'Etat, le rôle des conseils et l'autonomie locale", commission spéciale du Parlement ukrainien (Verkhovna Rada), a procédé à une audition dans le cadre de laquelle le soussigné a pu s'exprimer en tant qu'expert du Conseil de l'Europe;

d. le 25 mars 1997, une délégation du Conseil de l'Europe en visite à Kiev s'est essentiellement penchée sur les droits et l'autonomie de la capitale ukrainienne;

e. les 15 et 16 avril 1997, une délégation du Groupe de travail a repris le dialogue de décembre 1996 avec le Parlement de l'Ukraine et poursuivi la discussion avec les représentants de la ville de Kiev et du gouvernement;

f. en outre, en marge de la réunion du Groupe de travail, a été organisée le 24.2.1997 a Strasbourg une rencontre avec les dirigeants de "l'Institut pour la législation" du Parlement ukrainien (Verkhovna Rada/Conseil supérieur) portant sur la situation des projets législatifs à l'échelle locale; le maire de Lvov, ville du nord-ouest de l'Ukraine, a participé par ailleurs à la réunion du Groupe de travail du 28 avril 1997 à Paris.

1) L'autonomie locale dans la nouvelle Constitution de juin 1996

Dans la nouvelle Constitution du 28 juin 1996, le chapitre XI intitulé "autonomie locale" consacre à présent sept articles (140-146) aux pouvoirs des villages, agglomérations, communes, villes, districts (ou arrondissements :raion) et aux vingt-quatre régions (oblast).

Cette section est beaucoup plus courte que le chapitre VII (articles 46 à 59) de la Constitution provisoire du 8 juin 1995 qui présentait de nombreux détails et contenait quatorze articles à ce sujet. Un certain nombre de règles n'y figurent plus et feront désormais (seulement) l'objet d'une législation "ordinaire" (non constitutionnelle).
(Voir en référence mon rapport sur "la situation juridique de l'administration locale en Ukraine" du 31 juillet 1995 [doc. du Conseil de l'Europe (CPLRE) du 12 septembre 1995]).

La nouvelle Constitution porte l'empreinte des négociations prolongées et dures entre le Président Kouchma et le Parlement, qui n'a consenti à adopter le projet qu'à l'issue d'une séance marathon de vingt-quatre heures, les 27 et 28 juin 1996, sous la pression de l'annonce, par le Président, d'un référendum sur la Constitution. Des compromis ont ainsi été acceptés et formulés, qui ont également introduit des contradictions dans la Constitution en vigueur ou qui n'ont pu éliminer des contradictions contenues dans les projets.

L'article 7 indique clairement et brièvement que la Constitution "reconnaît et garantit l'autonomie locale en Ukraine" et l'article 140 réaffirme que le droit à l'autonomie locale est "le droit de régler les questions d'importance locale de manière autonome". La Constitution semble donc vouloir ainsi suivre le principe de la Charte du Conseil de l'Europe.

D'autre part, la portée de ce libellé est bien inférieure à celui de l'article 47 de la Constitution provisoire, selon laquelle "les collectivités territoriales règlent, en fonction de leur propre appréciation et dans le cadre de la Constitution et des lois ukrainiennes, toutes (!) les questions locales". Il s'agissait du moins du principe de "pleins pouvoirs", à l'exception de quelques domaines qui relèvent des compétences de l'Etat; cette formulation va dans le sens du progrès en suivant le principe de subsidiarité sans imposer une approche axée sur la décentralisation et la délégation.

La nouvelle Constitution présente toutefois un avantage, à savoir que l'ancienne énumération exhaustive des fonctions ou compétences locales (article 49 de la Constitution provisoire de 1995) n'a pas été supprimée, mais élargie par une "clause d'ouverture" : après avoir dressé la liste des principales compétences et fonctions des collectivités locales, l'article 143 paragraphe 1 indique qu'elles comprennent également la résolution "d'autres problèmes d'importance locale qui relèvent légalement de leur compétence". De plus, l'article 143 paragraphe 2 offre aux régions et aux arrondissements une possibilité analogue d'extension de leurs pouvoirs.

Toutefois, dans les deux cas, la Constitution n'autorise la répartition des fonctions et des compétences que si celle-ci est prévue par la loi. Cette réserve, très éloignée de la clause des pleins pouvoirs contenue dans la Constitution de 1995, est une mesure d'inspiration centraliste qui constitue un pas en arrière sur la voie de l'autonomie locale décrite dans la Charte de 1985 du Conseil de l'Europe, que l'Ukraine s'est engagée à observer lors de son adhésion. Par rapport à 1995, on est loin d'atteindre l'objectif selon lequel "une part substantielle des affaires publiques" relèverait de la responsabilité des pouvoirs locaux (article 3 de la Charte).

La Charte européenne garantit également que le droit des autorités locales à s'administrer elles-mêmes est exercé par des conseils démocratiquement élus qui disposent d'organes exécutifs, c'est-à-dire d'instances administratives adéquates responsables devant ces conseils (!). Or ce principe est violé par la présente Constitution. Les villages, agglomérations et villes peuvent certes utiliser "leurs (propres) organes exécutifs" (article 140 paragraphe 3). En vertu de l'article 140 paragraphe 6, l'organisation et la gestion des affaires relatives aux districts urbains relèvent de l'autorité des conseils municipaux.

La Constitution (ainsi que l'accord constitutionnel de 1995) qualifie les arrondissements (raion) et les régions (oblast) "d'instances de l'autonomie locale" (article 140 paragraphe 4) et les situe au même niveau que les organes (locaux) de l'administration décentralisée de l'Etat; néanmoins, arrondissements et régions doivent avoir recours aux services locaux de l'Etat (!) pour remplir leurs fonctions exécutives (article 118 : "le pouvoir exécutif dans les régions et les arrondissements (...) est exercé par les services administratifs locaux de l'Etat"). Cette disposition est censée s'appliquer à l'administration des villes de Kiev et de Sébastopol dont les "particularités sont régies par des lois spéciales" qui n'ont pas encore été présentées sous forme de projets (!).

Le personnel de ces "organes publics décentralisés" est formé et nommé par le directeur du service en question, lui-même "promu à ce poste et révoqué par le Président de l'Ukraine sur recommandation du Conseil des ministres" (article 118 paragraphes 3 et 4). L'article 106 (10) répète explicitement ce droit de nomination comme faisant partie des vingt-neuf fonctions attribuées au Président. De plus, il souligne que ce droit ne peut être transféré à des tiers ni délégué dans le cadre de l'administration de l'Etat (article 106 paragraphe 2).

En outre, le paragraphe 5 de l'article 118 met l'accent sur le fait que ces "chefs de l'administration locale, dans l'exercice de leurs fonctions, sont responsables devant le Président ukrainien et le Conseil des ministres de l'Ukraine car ils doivent rendre compte de leurs actions aux organes administratifs (immédiatement) supérieurs et sont placés sous le contrôle de ces derniers». Le paragraphe 6 dudit article apporte pour seule limitation que les services locaux de l'Etat sont responsables devant les conseils des arrondissements et des régions et relèvent de leur contrôle dans l'exercice des fonctions qui (leur) sont attribuées par ces conseils.

Des discussions menées avec des experts ukrainiens ont confirmé qu'il y aura et qu'il y a déjà des difficultés avec le personnel actuellement en place à l'échelle locale. Sa formation et son expérience sont influencées par l'Etat et ce personnel estime jouer le rôle d'agents exécutifs de l'Etat. Il règne une certaine méfiance envers les élus locaux, qui est d'autant plus grande que ce personnel ne dispose souvent pas d'une expérience suffisante et croit d'ailleurs que les fonctionnaires de l'Etat resteront en poste plus longtemps que les élus locaux. Il faut impérativement une loi sur le service public qui tienne également compte des intérêts spécifiques des municipalités. Cette loi doit être présentée dans le courant du deuxième trimestre 1997. Il restera à voir si elle réussit à mettre en relief les intérêts locaux. D'après les expériences faites jusqu'à présent, l'attitude du Parlement laisse plutôt présager un accent mis sur la "cause de l'Etat". Mais s'il s'agit de transférer ou de déléguer de plus en plus de fonctions aux pouvoirs locaux, il faut que les fonctionnaires de l'Etat chargés de ce travail puissent s'adapter aux services locaux sans perdre les avantages que leur confère leur statut; sans cela, on compliquerait inutilement la tâche des pouvoirs locaux qui tentent d'assumer ces fonctions.

Dans un contexte électoral, on différencie également les villages, les groupements administratifs de villages ou de communes, les agglomérations et les villes dans lesquels le président du conseil est en même temps chef de l'administration; ce dernier est élu au suffrage universel direct et secret pour une période de quatre ans (article 141 paragraphe 2). Par ailleurs, dans les arrondissements et les régions, le président du conseil qui, en vertu de l'article 118, n'est pas chef de l'exécutif mais président d'un comité administratif (comité central), est élu par le conseil des collectivités en question (article 141 paragraphe 4 de la Constitution).

Lorsque l'on tente de distinguer les fonctions locales et nationales, l'article 119 de la Constitution apporte encore davantage de confusion car, bien qu'il prévoie "une coopération avec les organes de l'autonomie locale" (alinéa 6), il garantit le respect, "sur les territoires appropriés (!) de l'administration locale", non seulement de la Constitution et des lois, mais aussi des “actes” du Président et du Conseil des ministres ainsi que de celles "des autres organes du pouvoir exécutif" (alinéa 1).

Enfin, il reste une profonde méfiance à l'égard des instances de l'autonomie locale démocratiquement élues et une administration généralement très centralisée de l'Etat. Abstraction faite des dépendances financières, cette dernière joue toujours un rôle dominant par rapport aux pouvoirs locaux dont les compétences sont décrites de manière très générale. Cela est d'autant plus vrai en des lieux tels que les arrondissements et les régions, où le personnel exécutif relève d'une autorité fortement étatique.

2) Projets successifs de loi ukrainienne sur l'autonomie locale

Après l'indépendance de l'Ukraine et jusqu'en 1996, les principales lois sur l'administration publique au niveau local et sur l'autonomie locale ont été les suivantes :

1. la loi du 26 mars 1992 sur les conseils locaux de représentants du peuple et l'autonomie locale et régionale;

2. la loi du 3 février 1994 sur la création d'organes administratifs locaux;

3. la loi du 4 février 1994 sur le statut des membres des conseils locaux de députés du peuple;

4. la loi sur l'élection des représentants du peuple aux conseils municipaux (droit de vote et conditions d'éligibilité).

Jusqu'ici, ces lois ont régi les amorces de changement de structure démocratique de l'autonomie locale, bien qu'il ait été difficile de les concilier avec la Constitution de 1978 ("la Constitution brejnévienne") qui était toujours en vigueur à l'époque; en ce sens, on ne s'est pas tenu à la valeur que le législateur attachait à ces lois. Outre les nouvelles structures de l'autonomie locale, il y avait et il y a toujours une hiérarchie de représentants de l'Etat à l'échelon local, appelés jadis "représentants du Président" à qui l'on avait confié la gestion des affaires publiques en tant qu’instances locales.

Cependant, la loi du 3 février 1994 sur "la création d'organes administratifs locaux" a aboli l'institut des représentants du Président avec effet du 26 juin 1994. On s'est alors logiquement engagé sur la voie d'un transfert des fonctions de l'Etat à des organes des collectivités locales. Mais on a conservé, en même temps, les "agences" du gouvernement central, c'est-à-dire les autorités de l'Etat ayant des services dans les régions, les districts administratifs et les villes. D'après la nouvelle Constitution de 1996, les responsables des services locaux de l'Etat (par exemple dans les arrondissements et les régions) seront à l'avenir aussi nommés par le Président (articles 106 et 118 paragraphes 3 et 4), ce qui rappelle les anciens "représentants du Président".

A vrai dire, les lois ci-dessus étaient déjà dépassées par "l'Accord constitutionnel" (la "Constitution provisoire") de juin 1995 qui fixait des objectifs beaucoup plus importants pour la démocratisation, la décentralisation et le renforcement de l'autonomie locale et régionale. Ainsi, on a tenté à plusieurs reprises de réviser un projet de décembre 1994 sur une "loi ukrainienne sur les soviets locaux de représentants du peuple" et sur une loi spéciale pour la capitale (Kiev) et sa région. Cette tâche était d'autant plus urgente que de nombreux fonctionnaires n'avaient pas encore été remplacés par des représentants élus démocratiquement. On abandonna par la suite le vocabulaire communiste des "soviets" et des "députés du peuple". Selon les paroles prononcées le 24.2.1997 par V.F.Oprishko, directeur de l'Institut pour la législation du "Conseil supérieur", "ce sont des représentants du Conseil de l'Europe qui nous ont incité à utiliser dorénavant le terme séculaire ukrainien de "rada" (apparenté au mot allemand "Rat") au lieu de "soviet", dans des expressions allant du "conseil municipal" au "Conseil supérieur" ".

En mars 1996, des experts de la "Fondation pour l'autonomie locale" ont préparé un premier projet après avoir évalué la Constitution de 1995 et tenu compte des attentes formulées à l'égard de la nouvelle Constitution de 1996.

Ce projet a été révisé par "l'Association des villes ukrainiennes" suite à l'adoption de la nouvelle Constitution du 28 juin 1996. Depuis juin 1996, ce projet a de nouveau été remanié par un groupe de travail du Ministère ukrainien de la justice présidé par le Ministre de la justice, M. Golovatyi, conformément à une résolution du Premier ministre ukrainien. La révision de cette nouvelle version a ensuite été confiée à un groupe de travail qui, suivant les instructions du chef du cabinet présidentiel datant du 13 août 1996, a coopéré avec un groupe d'experts de "l'Association des villes ukrainiennes" (susmentionnée).

Dès septembre 1996, ces textes ont servi de base de travail lors des délibérations du Parlement.

Comme prévu, le Parlement n'a pu ignorer les contradictions internes de la nouvelle Constitution (voir ci-dessus, section...) :

La coexistence entre, d'une part, des instances administratives (décentralisées) et des organes de l'Etat compétents à l'échelle locale et, d'autre part, des pouvoirs locaux autonomes entraînera également un manque de clarté dans la nouvelle loi.

Comme l'indique déjà le rapport de juillet 1995/12.09.1995, on mise par trop sur une simple décentralisation au sein des services de l'Etat. Les compétences et fonctions pertinentes ne sont en effet pas suffisamment adaptées aux pouvoirs locaux, c'est-à-dire que ces derniers ne se voient pas accorder l'autonomie nécessaire pour reprendre et exécuter ces tâches.

L'autonomie locale présuppose également une autorité sur le personnel exécutif. Par le biais des compétences et des fonctions, il faut faire en sorte que le personnel concerné s'adapte à la situation locale. Conformément à l'autorité des pouvoirs locaux, le conseil municipal ou les services administratifs qui en dépendent recrutent et dirigent les nouveaux membres du personnel.

Fin 1996, les conflits prévisibles dans la procédure législative ont été décrits comme suit : certains députés souhaitent que l'on accorde davantage de pouvoirs au personnel exécutif des autorités locales. D'autres, "au contraire", veulent que l'on attribue plus de pouvoirs aux représentants (conseils) élus par les citoyens. De surcroît, on retrouve précisément cette divergence d'opinions dans le conflit sur le rôle et la position du maire de la capitale. Après les élections de 1994, ce dernier a été, pendant un an (de juillet 1995 à juillet 1996), président du conseil municipal de la capitale et chef de l'administration, en sa qualité de président du conseil (central) d'administration. La nouvelle Constitution sépare les deux fonctions; dans ce processus, l'accord ou le désaccord politique avec le Président joue probablement un rôle (supplémentaire). Aujourd'hui, tout le monde espère une loi spéciale régissant l'autonomie de la capitale, prévue depuis longtemps dans la Constitution (article 140 paragraphe 2; mention précédente dans l'Accord constitutionnel de 1995).

Au cours de nos entretiens, nos partenaires ukrainiens ont maintes fois évoqué le problème de l'absence de pression politique en vue d'un réel changement. Ils ont affirmé que les idées démocratiques avaient été étouffées pendant plus de soixante-dix ans et que, depuis "l'occupation" par les troupes soviétiques en 1920 et jusqu'au tournant de 1990/1991, il avait été impossible d'engager un processus démocratique. D'après un membre éminent de la commission législative, "l'opinion publique et le personnel des pouvoirs locaux ont plutôt un avis négatif sur ce que l'on entend par autonomie locale".

Pour compliquer la situation à une époque de mutation économique et de crise structurelle, la décentralisation, voire la dévolution aux pouvoirs locaux de fonctions antérieurement assurées par l'Etat "central" (notamment dans le domaine social) sont rejetées car perçues comme une tentative de la part du pouvoir politique de se décharger des problèmes en les transférant à d'autres instances.

De nos jours, cette méfiance entraîne, notamment à l'échelle locale, un appel pressant en faveur d'une intervention et d'une action plus importante de l'Etat. Un représentant de la "Fondation pour l'autonomie locale" a observé qu' "il est aujourd'hui absolument indispensable de modifier l'attitude de la population. Nous devons accomplir un travail de missionnaire".

Cette absence de pression au niveau de la base apparaît clairement dans la relative lenteur de la procédure législative. Ceux qui préféreraient rétablir l'ancien système et qui considèrent que le personnel exécutif local relève plutôt de l'administration et de la responsabilité de l'Etat sont aujourd'hui en train de l'emporter; cela est d'autant plus vrai lorsque ce personnel doit travailler avec des conseils apparemment élus de façon démocratique et dont le champ d'activités effectif dépend, sur le plan de l'organisation, du financement et du personnel, d'organes administratifs nommés par l'Etat, obéissant à une hiérarchie et soumis au contrôle de l'Etat. (M. Kosakowski, maire de Kiev élu en 1994, fit le 3 décembre 1996 la remarque suivante : "Nous ne pouvons pas encore parler de démocratie dans le domaine de l'autonomie locale").

Il semble qu'il n'y ait pas de majorité très nette au sein de la commission spéciale mise en place par le Parlement et qui comprend au total vingt-trois membres. Cette commission est présidée par Victor Mursijaka (groupe des "centristes" indépendants) qui est l'un des vice-présidents du Parlement. Elle compte au moins six (anciens) communistes. Lors des huit scrutins qui ont eu lieu avant le 3 décembre 1996, aucune des différentes versions du projet de loi n'a recueilli de majorité, de sorte que, pendant longtemps, on ne sut pas quel texte allait finalement être présenté à l'assemblée plénière du Parlement.

Selon les membres de la commission spéciale, le Parlement a été saisi,jusqu'en décembre 1996, d'un total de 1800 propositions d'amendements. Cet élément peu prometteur laissa supposer, d'une part, que des forces isolées avaient sciemment compliqué la procédure et, d'autre part, qu'une opposition considérable s'était formée au sein du Parlement à l'égard des projets présentés par le Président, la Fondation présidentielle et les associations locales. Lors de discussions menées le 16 avril 1997, quelques parlementaires étaient d'avis que les arrondissements (raion) et les régions (oblast) ne devaient pas être considérés comme des "unités de l'autonomie locale" (ce que la Constitution stipule pourtant clairement) et qu'ils devaient continuer à relever de l'autorité du gouvernement (débat que l'on retrouve aussi couramment en Pologne).

Le 17 avril, la loi a été présentée au Parlement en troisième lecture après avoir été préparée par la commission spéciale. Elle a été adoptée le 24 avril 1997. Le Conseil de l'Europe ne dispose pas encore de la version définitive (traduite) du texte. Apparemment, certains conflits fondamentaux subsistent, notamment sur les questions jusqu'alors litigieuses. Toujours est-il qu'en décembre 1996, lors de la dernière lecture, il ne restait que dix sujets de discorde sur les 1800 amendements déposés initialement. Les problèmes relatifs aux biens propres des communes, à la répartition des compétences entre les municipalités et les administrations publiques locales et au rôle des arrondissements et des régions n'ont pas été réglés.

Le Président a estimé que ce projet n'était pas compatible sur plusieurs points avec la Charte européenne de l'autonomie locale que l'Ukraine s'est engagée à signer et ratifier. Il a donc demancé au Parlement de procéder à une quatrième lecture, ce qui a été fait à la mi-mai. Malheureusement, au moment de mettre la dernière main à ce rapport nous n'avions pas connaissance de cette dernière version de la loi.

Une décision définitive devra être prise lorsque la loi aura été définitivement adoptée. A ce moment-là, il faudra encore une fois vérifier si elle est conforme aux principes de la Charte européenne de l'autonomie locale du Conseil de l'Europe. L'Ukraine n'a certes pas encore ratifié cette Charte, mais elle est tenue de le faire au plus tard un an après avoir adhéré au Conseil de l'Europe (6.11.1996), c'est-à-dire d'ici novembre 1997. Lors des discussions du mois d'avril 1996, des représentants du gouvernement et du Parlement ont assuré que cette ratification interviendrait à temps, vraisemblablement au courant de l'été 1997.

3) Conclusions

La Constitution et la législation relative à l'administration locale doivent clairement établir la distinction entre les fonctions et les compétences des instances de l'Etat et des services locaux. Cela ne signifie pas que les compétences de l'Etat ne puissent pas être exercées davantage par des organes locaux, à condition que les responsabilités soient bien définies.

Conformément au principe de subsidiarité, la décentralisation doit faire en sorte que les fonctions, les compétences, les moyens nécessaires sur le plan de l'administration et de l'organisation ainsi que les ressources humaines soient adaptés aux réalités locales.

La liberté d'action des pouvoirs locaux, des arrondissements et des régions doit être renforcée par une séparation nette entre les budgets locaux et régionaux et les budgets de l'Etat (y compris les subventions).

Sur le plan constitutionnel et législatif, les arrondissements et les régions, définis par la Constitution comme des "organes de l'autonomie locale", doivent se voir attribuer leurs propres compétences, moyens financiers et ressources humaines en vertu des garanties offertes à de telles collectivités par la Charte européenne de l'autonomie locale du Conseil de l'Europe (1985).

Dans son rapport du 12 septembre 1996, le groupe de travail composé de représentants du Conseil des ministres (le ministre de la Justice), du cabinet du Président, de la "Fondation pour l'autonomie locale" et de "l'Association des villes ukrainiennes" cite d'autres objectifs tels que "la poursuite de la démocratisation de la société ukrainienne", "le renforcement de l'autonomie locale qui constitue l'un des éléments fondamentaux de la société ukrainienne", "le développement de la sensibilisation du public et une responsabilité accrue de la population en matière de gestion et d'économie locales et régionales".

Il n'est pas certain que la nouvelle loi sur l'autonomie locale puisse à elle seule remédier à la situation. Comme nous l'avons montré ci-dessus, il faudra également clarifier et réviser la Constitution du 28 juin 1996 si les quelques dispositions relatives aux pouvoirs locaux qui y figurent doivent permettre de garantir, suivant la nouvelle loi sur l'autonomie locale, des normes élevées telles qu'elles ont été établies dans l'Accord constitutionnel de 1995.

La ratification prochaine de la Charte du Conseil de l'Europe pourrait constituer un pas important dans cette direction. En effet, elle permettrait d'interpréter les imprécisions de la Constitution à la lumière des dispositions de cette Charte et de réviser la législation sur cette base. On peut escompter une ratification avant la fin de l'année 1997. Certains parlementaires ont même souligné qu'après la ratification de la Charte un remaniement de la législation la plus récente serait probablement inévitable; la révision de cette législation n'a pour l'instant joué qu'un rôle minime au coeur des débats parlementaires, alors que la Charte du Conseil de l'Europe avait servi de base au projet initial.

Après la loi fondamentale sur le rôle des collectivités locales, un grand nombre de lois spéciales sont encore en suspens. On prévoit d'élaborer entre autres :

* les lois spéciales déjà citées qui traiteraient le cas des villes de Kiev et de Sébastopol et, pour cette dernière, le problème particulier de la flotte russe en mer Noire et de la base militaire établie dans cette ville;

* une nouvelle loi électorale pour les pouvoirs locaux qui règlerait aussi les modalités relatives aux référendums et aux décisions des citoyens;

* une loi en matière de fiscalité, de taxation et de revenus des autorités locales;

* une loi sur les biens des municipalités;

* une loi relative au statut du personnel et des élus locaux.

Pour l'heure, il reste à déterminer si ces règles doivent faire l'objet de lois spéciales séparées ou s'il est possible de les regrouper. Des représentants de la Fondation pour l'autonomie locale ont indiqué qu'on pouvait envisager un regroupement ultérieur des lois communes régissant les pouvoirs locaux.

Le Congrès devrait poursuivre et consolider ses efforts d'accompagnement et de soutien visant à renforcer la démocratie locale en Ukraine par l'établissement d'un rapport approfondi conformément aux paragraphes 8 et 11 de sa Résolution 31 (1996); il faudra surtout veiller à coopérer avec les associations locales et les fondations ukrainiennes et à soutenir les efforts entrepris par les partenaires ukrainiens en vue de sensibiliser les citoyens à l'importance de la démocratie locale.