CPL (10) 3 – Partie II - La propriété municipale à la lumière des principes de la Charte européenne de l’autonomie locale (10/04/03)

Rapporteurs : M. Tomas JIRSA (République Tchèque) et M. Wilbert L. F. VAN HERWIJNEN (Pays-Bas)

EXPOSE DES MOTIFS

I. INTRODUCTION

1. Lors de sa réunion du 11 mars 2002, le Groupe d'experts indépendants sur la Charte européenne de l'autonomie locale a décidé de proposer à la Commission Institutionnelle de la Chambre des Pouvoirs Locaux (ci après : la Charte) de préparer un rapport sur la propriété municipale à la lumière des principes de la Charte. La proposition a été retenue par la Commission Institutionnelle, lors de sa réunion du 15 avril 2002, qui a chargé le Groupe de commencer la préparation du rapport "Les formes de propriété municipale", en désignant M. Corneliu-Liviu POPESCU, expert indépendant au titre de la Roumanie, Vice-Président du Groupe, comme responsable de la préparation du rapport de synthèse. Les rapporteurs souhaitent exprimer leurs remerciements à M. POPESCU pour un travail de synthèse de grande qualité et son aide précieuse dans la préparation du projet de Rapport et de Recommandation.

Le 6 septembre 2002, le projet de questionnaire préparé par M. Corneliu-Liviu POPESCU a été envoyé au Secrétariat de la Commission Institutionnelle et a fait l'objet d'un débat lors de la réunion du 27 septembre 2002 du Groupe d'experts indépendants.

Le questionnaire, modifié et complété selon les propositions des membres du Groupe, a été approuvé, sous le nom de "Propriété municipale", par la Commission Institutionnelle de la Chambre des Pouvoirs Locaux, lors de sa réunion du 13 novembre 2002, puis envoyé à tous les membres du Groupe.

2. 27 experts membres du Groupe ont envoyé les réponses au questionnaire, concernant leurs États. Il s'agit des Mmes et MM. Artan HOXHA (Albanie), Peter PERNTHALER (Autriche), Alexandre VODENITCHAROV (Bulgarie), Zvonimir LAUC (Croatie), Andreas PANDELIDES (Chypre), Hans Otto JØRGENSEN (Danemark), Angel Manuel MORENO (Espagne), Sulev MÄELTSEMEES (Estonie), Olli MÄENPÄÄ (Finlande), Jean-Marie WOEHRLING (France), Spyridon FLOGAITIS (Grèce), Zoltán SZENTE (Hongrie), Unnar STEFÀNSSON (Islande), Francesco MERLONI (Italie), Edvins VANAGS et Inga VILKA (Lettonie), Artashes GAZARYAN (Lituanie), Jean-Mathias GOERENS (Luxembourg), Eivind SMITH (Norvège), Ine van HAAREN-DRESENS (Pays-Bas), António Rebordão MONTALVO (Portugal), Richard POMAHAC (République tchèque), Corneliu-Liviu POPESCU (Roumanie), Chris HIMSWORTH (Royaume-Uni), Franc GRAD (Slovénie), Torsten BJERKÉN (Suède), Rusen KELES (Turquie) et Vadym PROSHKO (Ukraine).

3. La première version de l'avant-projet de rapport sur la "Propriété municipale à la lumière de la Charte européenne de l'autonomie locale" a été rédigée par M. Corneliu-Liviu POPESCU sur la base de ces réponses. Elle a représenté l'analyse des réponses concernant 27 États parmi les 41 qui disposent du droit à un membre désigné à leur titre dans le Groupe d'experts indépendants sur la Charte européenne de l'autonomie locale.

L'avant-projet du rapport a été envoyé au Secrétariat le 20 janvier 2003, pour analyse lors de la réunion du Groupe du 14 février 2003.

4. L'avant-projet du rapport a été discuté et approuvé par le Groupe d'experts indépendants lors de la réunion du 14 février 2003 d'Aix-en-Provence en présence de M. VAN HERWIJNEN, co-rapporteur, et M. NEWBURY, Président de la Commission Institutionnelle de la Chambre des pouvoirs locaux.

5. L'avant-projet du rapport a été modifié par M. POPESCU selon les débats et les propositions des experts nationaux, faites durant la réunion du 14 février 2003 ou après celle-ci.

En outre, il a été complété par les réponses au questionnaire des experts suivants: Mmes et MM. Dian SCHEFOLD (Allemagne), Gordana SILJANOVSKA DAVKOVA et Ilija TODOROVSKI (ex-République yougoslave de Macédoine), Michal KULESZA (Pologne) et Liudmila LAPTEVA (Russie).

6. Par conséquent, la version finale du projet de rapport prend en compte les réponses des experts nationaux pour 31 États sur les 41 États qui disposent du droit à un membre désigné à leur titre dans le Groupe d'experts indépendants sur la Charte européenne de l'autonomie locale.

L'analyse contenue dans le projet du rapport se réfère exclusivement aux réponses des 31 experts nationaux. Par conséquent, si un expert n'a pas donné une réponse à un problème ponctuel, les conclusions ne prennent pas en compte la situation de cet État. La situation est bien évidement similaire pour les États pour lesquels il n'existe pas de réponses.

Les rapporteurs et M. POPESCU tiennent à remercier chaleureusement les experts nationaux pour leurs réponses, pour leurs interventions lors de la réunion du Groupe du 14 février 2003, pour les suggestions et les corrections faites après la réunion et, bien évidemment, pour la qualité de leur travail scientifique.

II. CONSIDÉRATIONS PRELIMINAIRES

7. "La propriété municipale à la lumière des principes de la Charte européenne de l'autonomie locale" est le premier rapport appartenant à la catégorie des rapports de "deuxième génération", en tant que rapports à caractère politique et transversal concernant le contrôle de l'application de la Charte européenne de l'autonomie locale.

Les rapports de la deuxième génération sont des rapports d'approfondissement. Ceci étant, le thème abordé n'est pas vaste, mais ponctuelle. Cependant, cela ne veut pas dire qu'il faut entrer dans les moindres détails, parce que l'ensemble doit garder une perspective.

8. L'expression "propriété municipale" utilisée dans ce rapport couvre la propriété des collectivités territoriales de base. Le rapport ne concerne pas les collectivités territoriales de niveau(x) intermédiaire(s), ni les entités fédérées d'un État fédéral. Par contre, quand on analyse les rapports entre la propriété municipale et la propriété étatique, pour la propriété étatique sont concernés à la fois l'État fédéral et les structures fédérées.

La liaison du rapport avec la Charte européenne de l'autonomie locale est principalement assurée - comme nous allons le démontrer tout de suite - par l'art. 3 ("Concept de l'autonomie locale") paras. 1er et 2, interprété à la lumière du préambule, ainsi que par l'art. 9 ("Les ressources financières des collectivités locales") paras. 1er et 3 de la Charte. D'autres articles qui entrent en jeux sont: l'art. 4 ("Portée de l'autonomie locale") paras. 2, 4 et 6, l'art. 8 ("Contrôle administratif des actes des collectivités locales") paras. 2 et 3, l'art. 10 ("Le droit d'association des collectivités locales") para. 1er et l'art. 11 ("Protection légale de l'autonomie locale").

De plus, la Charte européenne de l'autonomie locale (selon le modèle affirmé par la Cour européenne des Droits de l'Homme quant à la Convention européenne des droits de l'homme) doit être conçue comme un instrument vivant, qui doit s'interpréter à la lumière des conditions de vie d'aujourd'hui, tâche accomplie principalement par le Congrès des Pouvoirs Locaux et Régionaux de l'Europe.

9. Du point de vue de sa structure, le rapport contient (dans sa partie substantielle) six chapitres:

- le régime juridique général et l'objet de la propriété municipale;
- l'acquisition, l'utilisation et l'aliénation de la propriété municipale;
- l'expropriation, la réquisition et le droit de préemption concernant les collectivités territoriales locales;
- les rapports entre la propriété municipale et l'exercice de l'autonomie locale, le contrôle administratif des actes des collectivités territoriales locales, les règles démocratiques et la protection légale de l'autonomie locale;
- la propriété municipale et les ressources propres des collectivités territoriales locales, la taxation et les transferts des compétences;
- les problèmes spécifiques concernant la propriété municipale et les évolutions démocratiques dans les PECO.

Chaque chapitre est divisé en plusieurs sections.

Dans le cadre de chaque section, on commence par indiquer et interpréter les dispositions correspondantes de la Charte européenne de l'autonomie locale, puis on présente une situation comparée dans les États parties ou signataires, et à la fin on indique la conclusion quant à la conformité des situations nationales aux dispositions de la Charte et on présente, le cas échéant, des propositions.

Le rapport contient à la fin des conclusions générales et des recommandations pour l'interprétation de la Charte.

III. LE RÉGIME JURIDIQUE GÉNÉRAL ET L'OBJET DE LA PROPRIÉTÉ MUNICIPALE

III.1. La capacité juridique des collectivités territoriales locales d'être titulaires du droit de propriété

10. A première vue, la Charte européenne de l'autonomie locale ne contient aucune disposition sur le patrimoine, sur la propriété ou sur les biens des collectivités territoriales locales. Cependant, la propriété municipale est préservée en filigrane dans la Charte.

L'art. 3 ("Concept de l'autonomie locale") de la Charte définit l'autonomie locale comme le droit et la capacité effective pour les collectivités locales de régler et de gérer, dans le cadre de la loi, sous leur propre responsabilité et au profit de leurs populations, une part importante des affaires publiques.

Le rapport explicatif à la Charte indique, quant à ce texte, que la notion de "capacité effective" contient l'idée que le droit formel de régler et de gérer certaines affaires doit s'accompagner des moyens de l'exercer effectivement.

En même temps, l'art. 3 para. 1er doit s'interpréter à la lumière du para. 9 du préambule de la Charte, selon lequel l'autonomie locale suppose, inter alia, que les collectivités locales bénéficient d'une large autonomie quant aux moyens nécessaires à l'accomplissement de leur mission.

Il n'existe, dans l'interprétation contenue dans le rapport explicatif et dans le texte du préambule, aucune limitation pour les moyens dont la collectivité territoriale locale doit disposer pour que l'autonomie locale existe réellement. Il en résulte (ubi lex non distinguit nec nos distinguere debemus) qu'il s'agit de tout type de moyens, à savoir financiers, matériels et de personnel. Par conséquent, la capacité juridique des collectivités territoriales locales de disposer des ressources matérielles (des biens, de propriété, d'un patrimoine) est un élément inhérent à l'autonomie locale, inscrit dans la Charte.

Compte tenu du rôle fondamental de l'art. 3 dans la partie Ière de la Charte, tous les autres articles, qui portent sur des aspects particuliers de l'autonomie locale, doivent s'interpréter en conformité avec ses dispositions. Concrètement, par rapport à l'objet de ce rapport, les dispositions de l'art. 9 ("Les ressources financières des collectivités locales") doivent être mis en corrélation avec l'art. 3.

Il est vrai que l'intitulé de l'art. 9 fait mention des "ressources financières", mais il n'est pas sans intérêt à souligner que celles-ci ne se réduisent pas aux ressources de nature fiscale (taxes et impôts), mais elles incluent également les ressources non-fiscales. De plus, le para. 1er de cet article parle des "ressources propres suffisantes" des collectivités locales, sans distinction, tandis que le para. 3 concerne, inter alia, les "redevances" (qui sont - entre autres - le prix du contrat de concession des biens).

Une interprétation systématique des articles 3 et 9, du préambule de la Charte et de son rapport explicatif doit aboutir à la conclusion que l'autonomie locale, au sens voulu par ce traité international, concerne forcément la capacité des collectivités territoriales locales de disposer non seulement des ressources financières, mais également des ressources matérielles. Donc, la propriété municipale est conçue comme un élément inhérent à l'autonomie locale.

11. Concrètement, dans tous les États analysés, les collectivités territoriales locales de base jouissent de la capacité juridique d'être titulaires du droit de propriété, qu'on appelle "propriété municipale".

Il faut faire une réserve quant à la situation particulière de l'Ukraine: la législation nationale consacre le droit des collectivités locales d'être titulaires du droit de propriété municipale, mais il n'existe pas encore une loi pour délimiter la propriété de l'État de la propriété municipale, donc la capacité légale reste purement théorique.

12. On constate donc le respect des dispositions de la Charte quant à la possibilité des collectivités territoriales locales d'être titulaires des biens propriété municipale, sous réserve du cas spécial de l'Ukraine.

On recommande la reconnaissance, par la législation nationale, de la capacité des collectivités territoriales locales d'être titulaires du droit de propriété municipale, comme élément inhérent à l'autonomie locale, pour la réalisation des tâches d'intérêt public local.

III.2. Les formes de propriété municipale

13. Rien dans la Charte n'impose une certaine (ou plusieurs) forme(s) juridique(s) de la propriété municipale. Bien évidemment, les solutions nationales en la matière ne peuvent vider de sens la nécessité de l'existence d'un patrimoine municipal, ni son affectation pour l'exercice des attributions propres des collectivités locales.

14. Une analyse comparée mène au constat qu'il existe deux grands systèmes juridiques concernant les formes de la propriété municipale: les États où il n'existe qu'une seule forme de propriété municipale et les États qui connaissent deux formes de propriété municipale, la propriété publique et la propriété privée.

La proportion entre les deux systèmes est presque égale, avec un avantage pour la première solution. Il s'agit de 17 États qui connaissent une seule forme de propriété municipale (Allemagne, Autriche, Croatie, Chypre, Danemark, Finlande, Hongrie, Islande, Lettonie, Lituanie, Norvège, Pays Bas, Pologne, République Tchèque, Royaume Uni, Slovénie, Suède) et de 12 États avec deux formes de propriété municipale (Albanie, Bulgarie, Espagne, Estonie, l’ex-République yougoslave de Macédoine, France, Grèce, Italie, Luxembourg, Portugal, Roumanie, Turquie).

Il faut souligner que l'appartenance de l'Allemagne au premier groupe d'États (où il existe une forme unique de propriété municipale) prend en compte la situation majoritaire, car l'expert national souligne l'existence de l'exception du "droit de Hambourg", qui a introduit un modèle de propriété publique (donc, deux formes de propriété municipale).

Dans le cas de la Russie, l'expert national n'apporte pas de précisions sur ce sujet.

15. Pour la première catégorie des États, il existe une seule forme de propriété, pour toutes les personnes juridiques, physiques comme morales, y compris les collectivités territoriales locales et l'État. Si on utilise (avec les réserves imposées par la transposition d'une institution juridique dans un autre système de droit) les catégories valables pour le deuxième groupe d'États, il s'agit de la propriété "privée". La seule exception est représentée par la Lituanie, car la propriété municipale (de type unique) est une propriété publique, comme pour l'État, mais à la différence des personnes privées.

Cependant, la dualité qui caractérise l'autre système n'est pas sans influences sur quelques situations nationales de ce premier cas. Ainsi, en Allemagne, si la propriété privée sert à un but public, surtout à l'utilisation par le public (rues, routes, eaux, etc.), il peut y avoir une affectation, donc des éléments de droit public. En Autriche, bien qu'il s'agisse exclusivement de propriété privée, on fait distinction entre les biens publics (biens destinés à l'usage public de tous le monde: routes publiques, rues, marchés, fontaines, cours d'eau, lacs), les biens locaux (destinés à l'usage commun d'un nombre limité de bénéficiaires: les terres agricoles) et les actifs locaux (les entreprises municipales). De même, la Croatie et les Pays Bas présentent la particularité que, dans la catégorie unique des biens municipaux, certains d'entre eux ont une fonction publique (pour l'usage public ou pour les institutions publiques). En Hongrie, les biens municipaux sont les biens fondamentaux (destinés pour les tâches obligatoires de la collectivité) et les autres biens. Enfin, en Pologne, indépendamment des règles juridiques, les biens municipaux sont classifiés par la doctrine en biens utilisés pour des buts publics et biens utilisés pour les affaires de commerce.

L'expert au titre de l'Allemagne considère que la question importante est celle de l'affectation de la propriété municipale à un but public, et ce n'est que secondairement qu'il faut se demander s'il y a une distinction quant au régime juridique applicable, donc entre le domaine public et le domaine privé.

16. Pour la deuxième situation, le domaine municipal est constitué de deux éléments composants: le domaine public et le domaine privé, donc il existe deux types de propriété municipale (de biens municipaux): la propriété publique (les biens publics) et la propriété privée (les biens privés).

Par exemple, en France, le domaine public inclut les biens immeubles et (plus rarement) meubles, affectés à l'usage du public ou à un service public et aménagés spécialement à cet effet - affectation directe (routes, places, cimetières) ou à un service public (casernes de pompiers, prisons, bibliothèques, stades); aménagement spécial (salles de réunion, plages touristiques) -, et le domaine privé est constitué des biens qui n'ont pas fait l'objet d'une affectation au public ou à un service public et qui ne comportent pas un aménagement spécial à cet effet (immeubles de rapport, logements sociaux, terrains agricoles, forêts, véhicules ordinaires etc.). En Espagne, le domaine public est destiné à l'usage public ou à un service public, tandis que le domaine privé est le domaine patrimonial. Pour la Grèce, entrent dans le domaine public les biens d'usage commun et les biens destinés à servir les buts des collectivités territoriales locales, et dans le domaine privé tous les autres éléments du patrimoine. Enfin, quant au Luxembourg, le domaine public représente les biens affectés au fonctionnement de la collectivité et à l'usage public et le domaine privé inclut les biens destinés à une affectation et exploitation patrimoniale.

On souligne le cas particulier de l'Italie, État où la propriété municipale est en réalité structurée sous trois formes: le domaine public, le patrimoine indisponible et le patrimoine disponible. Cependant, vu le régime juridique applicable et dans le but d'une analyse structurée, on peut intégrer les deux premières formes prévues par la législation nationale (le domaine public et le patrimoine indisponible) dans la catégorie théorique de propriété publique, tout en assimilant le patrimoine disponible à la propriété privée.

17. Pour les systèmes qui connaissent deux formes de propriété municipale, il existe le problème du classement et du déclassement (tout en soulignant que l'expert allemand, dans un système d'une forme unique de propriété, parle également d'affectation, pour les biens destinés à un but public), et il faut savoir qui a la compétence pour inclure un bien dans le domaine public ou dans le domaine privé de la collectivité territoriale locale: la collectivité même ou l'État.

Une solution très simple consiste à reconnaître cette compétence soit à la collectivité (Estonie, ex-République yougoslave de Macédoine), soit à l'État (Grèce, Turquie).

Plus compliquées et plus nombreuses sont les situations dans lesquelles il y a un partage de compétences entre la collectivité territoriale locale et l'État. En Bulgarie, la loi établit le critère de l'affectation, puis la détermination concrète est faite par la collectivité. En Espagne, c'est la loi qui décide (en utilisant un critère générique et puis une indication expresse, avec une règle résiduelle, qui veut qu'en cas de doute, il faille présumer que le bien est privé, et non public), et la collectivité adopte après une décision concrète. En France, pour l'affectation du bien au public ou à un service public et les aménagements correspondants, c'est la collectivité qui fait le choix d'une telle affectation, mais les conséquences échappent à la collectivité, le bien entre, en vertu de la loi, dans le domaine public, et un classement formel contraire est sans effet. En Italie il y a un partage entre la loi et l'acte administratif de destination de la collectivité. Au Luxembourg, l'affectation est décidée par la collectivité, sous l'approbation du ministre de l'intérieur. Au Portugal, la décision revient, sur la base de la loi, à la collectivité concernée. Enfin, en Roumanie, il est possible soit une énumération expresse dans la loi, soit une décision de la collectivité locale.

18. Dans tous les cas (soit qu'il existe une seule forme de propriété municipale, soit qu'il s'agit des deux formes, publique et privée), la situation des formes de propriété municipale est la même que pour la propriété de l'État.

On peut conclure donc que, de ce point de vue, l'État et les collectivités territoriales locales de base sont soumis au même régime juridique.

19. On constate le fait que, quoiqu'il s'agisse d'une seule forme de propriété municipale ou de deux formes (publique et privée), les collectivités territoriales locales titulaires peuvent disposer des biens, selon le principe de l'autonomie locale. De plus, l'égalité de traitement juridique entre l'État et les collectivités locales, quant aux formes de propriété, est un élément positif, qui doit être retenu, même si la Charte n'impose aucunement une quelconque solution.

III.3. Le régime juridique de la propriété municipale

20. La Charte ne contient aucune disposition imposant un certain régime juridique applicable à la propriété municipale. Comme pour les formes de la propriété municipale, les solutions nationales en matière du régime juridique applicable ne peuvent vider de sens la nécessité de l'existence d'un patrimoine municipal, ni son affectation pour l'exercice des attributions propres des collectivités locales.

21. Dans les États qui ne connaissent qu'une seule forme de propriété municipale, le droit de propriété des collectivités territoriales locales est généralement soumis au droit commun (civil) en matière de propriété, applicable de la même manière aux particuliers, aux collectivités territoriales locales et à l'État.

Tout d'abord, on retrouve une situation d'applicabilité exclusive du droit privé, comme pour toute autre personne juridique (Chypre, Danemark, Finlande).

Puis, il existe des cas d'applicabilité en principe du droit privé, comme pour toute autre personne juridique, avec quelques règles dérogatoires (Allemagne, Islande, Norvège, Royaume Uni, Slovénie, Suède) ou bien avec certains exceptions concernant le respect des droits de l'homme et l'intérêt public (Autriche) ou bien avec des règles dérogatoires de droit public, en général (Lituanie) ou seulement pour les biens qui sont destinés à l'intérêt public (Croatie, Pays Bas, Pologne).

Une troisième possibilité consiste dans une application conjointe du droit public et du droit privé (Hongrie, République Tchèque).

Enfin, il existe la possibilité de l'application exclusive du droit public (Lettonie).

22. La situation du droit applicable est différenciée aussi dans les États avec deux formes de propriété municipale.

Une situation très simple est celle de l'applicabilité du droit public pour la propriété publique et du droit privé pour la propriété privée (Albanie, Portugal).

Une deuxième solution simple est d'appliquer le droit public et le droit privé ensemble, pour les deux formes (ex-République yougoslave de Macédoine, Turquie).

Enfin, il existe les cas plus compliqués d'application simultanée du droit public et du droit privé, dans divers rapports.

Dans une hypothèse (Luxembourg), en règle générale on fait appel au droit privé pour les deux formes de propriété municipale, avec des règles dérogatoires seulement pour le domaine public.

Il est possible que le droit public soit destiné à la propriété publique, comme régime unique, tandis que pour la propriété privée c'est en principe le droit privé qui s'applique, avec des règles spéciales, exorbitantes (Bulgarie, Grèce) ou (toujours pour le domaine privé) on utilise le droit public et, en l'absence des règles particulières de droit public, les règles générales de droit privé (France).

En Italie, pour le domaine public et le patrimoine indisponible on applique le droit public dérogatoire et pour le reste droit privé, tandis qu'au patrimoine disponible on applique entièrement et exclusivement le droit privé.

En Espagne on utilise, pour la propriété publique, principalement le droit public, et résiduellement le droit privé, et pour la propriété privée les règles exorbitantes de droit public, puis le droit privé commun, tandis qu'en Roumanie, si le régime est le même pour le domaine public, pour le domaine privé on applique en principe le droit privé, avec des exceptions de droit public dérogatoire.

Pour l'Estonie, l'expert national indique qu'il n'y a pas une distinction claire entre le droit public et le droit privé.

23. Sans considération de la nature des règles juridiques applicables (publiques et/ou privées), le même type des règles est applicable à la fois pour la propriété de l'État et pour la propriété municipale, dans la plupart des États.

La situation dans la République Tchèque fait exception, car pour la propriété de l'État on fait appel au droit public, et pour la propriété municipale à la fois au droit public et au droit privé.

24. On constate que l'application d'un seul régime juridique ou de deux régimes juridiques (public et/ou privé) ne porte aucunement atteinte à l'existence de la propriété municipale ou à son utilisation pour accomplir les tâches propres des collectivités territoriales locales, donc la Charte est respectée. De même, il faut souligner qu'à une seule exception, le(s) régime(s) juridique(s) applicable(s) à la propriété municipale est (sont) le(s) même(s) que pour la propriété de l'État, expression de l'égalité de traitement sous cet aspect, aspect positif à relever, même si la Charte n'impose aucunement une quelconque solution.

III.4. L'objet de la propriété municipale et sa délimitation par rapport à la propriété de l'État

25. Il résulte clairement des dispositions de l'art. 3 ("Concept de l'autonomie locale") para. 1er de la Charte, interprété à la lumière du préambule et du rapport explicatif, que les ressources (donc, y compris matérielles) des collectivités territoriales locales doivent être suffisantes pour l'accomplissement de leur rôle dans le cadre de l'autonomie locale. Par conséquent, le type et la quantité des biens propriété municipale doivent assurer le respect de cette règle.

26. Dans la plupart des États, les collectivités territoriales locales peuvent en principe être titulaires du droit de propriété sur tout type de biens, corporels - meubles et immeubles - et incorporels (parts des sociétés, droits intellectuels etc.).

Il existe des situations dans lesquels certains biens se trouvent exclusivement dans la propriété de l'État, à l'exclusion de toute autre personne, y compris les collectivités territoriales locales (par exemple, Albanie, Bulgarie, Roumanie, Russie).

On retrouve très peu d'exceptions à cette capacité générale des collectivités territoriales locales d'avoir tout type des biens: pour les actions aux sociétés commerciales (Danemark) ou pour les parties sociales aux sociétés commerciales privées à responsabilité limitée (Russie). Dans le passé, l'interdiction a existé en Lituanie pour les terrains.

27. En général, les biens qu'on retrouve le plus fréquemment dans le patrimoine des collectivités territoriales locales sont: les routes publiques, les rues, les places, les marchés; les bâtiments administratifs (hôtel de ville) et des services ou institutions publiques locales (théâtres, écoles, crèches, hôpitaux, maisons pour les personnes âgées, etc.); les stades, les terrains de sport, les piscines; les cimetières; les véhicules; le mobilier de bureau; les biens meubles nécessaires pour les activités administratives.

28. La délimitation de la propriété de l'État et de la propriété municipale diffère par rapport au critère juridique utilisé dans chaque État.

Une première solution est représentée par la détermination ou l'énumération expresse par la loi des biens municipaux (Espagne, Hongrie).

D'autres États (Albanie, Portugal, Russie) utilisent le critère fonctionnel: la délimitation de la propriété de l'État et de la propriété municipale est faite selon les compétences des deux types de personnes publiques.

L'importance des biens - locale ou nationale - constitue une autre possibilité (Bulgarie).

Il existe aussi le critère de subsidiarité, tous les biens qui n'appartient pas à l'État faisant partie de la propriété municipale (Lettonie, Roumanie - dans ce dernier cas seulement pour le domaine public; toujours pour ce dernier État, le principe de subsidiarité joue non seulement entre la propriété de l'État et la propriété des collectivités territoriales, mais aussi dans les rapports entre la propriété des collectivités territoriales de niveau intermédiaire et la propriété municipale) ou, au contraire, la solution selon laquelle tous les biens publics qui n'appartient pas aux collectivités territoriales locales appartiennent à l'État (Grèce).

Enfin, on peut recourir à plusieurs critères: la loi, le critère de la compétence (l'attribution de la compétence s'accompagne de l'attribution des biens) et le critère historique (Italie).

29. Aucun expert national n'a soulevé des problèmes concernant l'insuffisance qualitative ou quantitative de la propriété municipale ou la délimitation de celle-ci par rapport à la propriété de l'État.

IV. L'ACQUISITION, L'UTILISATION ET L'ALIÉNATION DE LA PROPRIÉTÉ MUNICIPALE

Dès le début on souligne que, dans ce chapitre, l'analyse ne concerne pas les problèmes liés aux prérogatives exorbitantes de puissance publique - expropriation, réquisition, droit de préemption -, pour lesquels on réserve le chapitre suivant.

IV.1. L'acquisition de la propriété municipale

30. Les dispositions de l'art. 3 ("Concept de l'autonomie locale") para. 1er de la Charte, interprété à la lumière du préambule et du rapport explicatif, selon lesquelles les ressources (donc, y compris matérielles) des collectivités territoriales locales doivent être suffisantes pour l'accomplissement de leur rôle dans le cadre de l'autonomie locale, doivent évidemment être interprétées dans le sens de l'existence du droit de ces collectivités de posséder et d'acquérir des biens pour devenir propriété municipale.

Il n'existe aucune exigence quant à des modalités particulières d'acquisition des biens municipaux, sous réserve que les modalités reconnues soient en conformité avec l'impératif de la possibilité d'acquérir les biens nécessaires aux collectivités territoriales locales.

31. Dans les systèmes où il existe une seule forme de propriété (la propriété "privée"), en principe il s'agit des mêmes modalités d'acquisition des biens que pour toute autre personne juridique.

Comme exception, en Autriche on fait en principe appel aux même modalités d'acquisition des biens que pour toute autre personne juridique, mais avec des règles spéciales concernant le respect des critères d'économie et d'efficacité. En Pologne l'acquisition des biens municipaux peut être faite selon le droit privé, mais aussi selon le droit public.

Par contre, dans deux États baltes (Lettonie, Lituanie), l'acquisition est faite selon le droit public.

32. La situation est diversifiée également dans les États qui connaissent deux formes de propriété municipale.

En général, il s'agit en principe des modes ordinaires d'acquisition du droit privé: achat, échange, donation, legs, prescription (Bulgarie, Estonie, ex-République yougoslave de Macédoine, France, Italie, Luxembourg, Turquie), éventuellement avec la nécessité des enchères pour les achats (Grèce, Roumanie).

Il y a des situations dans lesquelles on retrouve des différences par rapport au type de propriété, en utilisant pour l'acquisition les moyens de droit civil pour la propriété privée et des modalités spécifiques pour la propriété publique: la déclaration de la loi (Espagne) ou l'acte administratif (Portugal).

En Albanie, à coté des modalités habituelles, on peut se trouver en présence d'une acquisition spéciale en cas d'évasion fiscale.

33. Aucun expert national n'a soulevé des problèmes concernant la possibilité et les modalités d'acquisition des biens municipaux.

IV.2. La mise en valeur de la propriété municipale

34. Les dispositions de l'art. 3 ("Concept de l'autonomie locale") para. 1er de la Charte, interprété à la lumière du préambule et du rapport explicatif, selon lesquelles les ressources (donc, y compris matérielles) des collectivités territoriales locales doivent être suffisantes pour l'accomplissement de leur rôle dans le cadre de l'autonomie locale, doivent être interprétées également dans le sens de l'existence du droit de ces collectivités d'utiliser et de mettre en valeur la propriété municipale afin de réaliser leurs compétences autonomes.

Il n'existe dans la Charte aucune exigence quant à des modalités particulières d'utilisation, d'exploitation et de mise en valeur des biens municipaux, sous réserve que les modalités reconnues soient en conformité avec l'impératif de la possibilité d'utiliser les biens pour répondre aux besoins des collectivités territoriales locales.

35. Tout d'abord, il faut indiquer que, comme pour la propriété de l'État et, en principe, contrairement à la situation des biens appartenant aux personnes privées, on peut être, pour certains biens municipaux, en présence d'une utilisation directe (voies publiques, parcs, ouvrages d'une bibliothèque publique, etc.).

L'utilisation directe peut être gratuite ou payante. L'expert national au titre de la France souligne que, dans le cas de son État, le principe de gratuité est de plus en plus limité par la faculté reconnue aux collectivités territoriales locales d'instituer des péages ou de redevances dans certains cas.

36. Dans les États où il existe une seule forme de propriété municipale, la mise en valeur de celle-ci est faite, en principe, selon le droit privé applicable à toutes les personnes juridiques (Croatie, Chypre, Danemark, Finlande, Islande, Norvège, Pays Bas, Royaume Uni, Suède), éventuellement avec certains exceptions (Allemagne, Autriche, Hongrie, Pologne).

En Slovénie on utilise les modalités privées et la concession, tandis qu'en Lettonie il s'agit de concession et de bail.

37. Pour les États qui connaissent deux formes de propriété municipale, il est en général question des modalités de mise en valeur de la propriété distinctes par rapport à l'utilisation des biens privés.

Les modalités les plus fréquentes sont la concession (Turquie) ou la concession et le bail (Bulgarie, Portugal), éventuellement avec une distinction entre les deux (concession pour le domaine public et pour le patrimoine indisponible, bail pour le patrimoine disponible - Italie), ou seulement le bail (pour les terrains cultivables - Grèce).

Il existe des situations dans lesquelles la concession et le bail s'ajoutent aux modalités habituelles (Albanie, ex-République yougoslave de Macédoine), ainsi qu'à d'autres modalités spécifiques (administration, concession et bail pour le domaine public, modalités ordinaires, concession, bail, usage gratuit personnalisé pour le domaine privé - Roumanie).

En France, pour le domaine public on retient l'occupation par convention ou par autorisation unilatérale et les conventions (avec le principe de la précarité), tandis que pour le domaine privé il s'agit de la gestion basée sur le droit privé, mais avec des contraintes administratives exorbitantes.

En Espagne, il y a utilisation directe, autorisation et concession pour la propriété publique et les modalités de droit civil pour la propriété privée.

L'Estonie ne connaît que les modalités ordinaires pour la mise en valeur de la propriété municipale.

On retrouve des situations dans lesquelles la mise en valeur de la propriété municipale publique aboutit à la constitution d'un droit réel: les baux emphytéotiques, qui constituent un droit réel en faveur du preneur (France); l'octroie du droit d'administration en faveur d'une institution publique ou d'une régie autonome (Roumanie).

38. Aucun expert national n'a soulevé des problèmes concernant la possibilité et les modalités d'utilisation, d'exploitation et de mise en valeur des biens municipaux.

IV.3. L'utilisation de la propriété municipale par les associations et les sociétés commerciales constituées par les collectivités territoriales locales

39. L'art. 10 ("Le droit d'association des collectivités locales") para. 1 de la Charte reconnaît aux collectivités territoriales locales le droit, dans l'exercice de leurs compétences, de coopérer et, dans le cadre de la loi, de s'associer avec d'autres collectivités territoriales locales pour la réalisation de tâches d'intérêt commun.

Comme nous l'avons démontré, la propriété municipale constitue un élément de l'autonomie locale. Par conséquent, les associations des collectivités territoriales locales, dans la réalisation des tâches d'intérêt commun, ont le droit de disposer ou tout au moins d'utiliser les biens propriété des collectivités territoriales locales associées.

40. En principe, les collectivités territoriales locales ont le droit de s'associer librement avec d'autres collectivités, avec l'État et/ou avec des personnes privées, ainsi que de constituer des sociétés à but lucratif, tout en mettant à la disposition de l'association ou de la société des biens municipaux (Albanie, Allemagne, Croatie, Espagne, Estonie, ex-République yougoslave de Macédoine, Grèce, Hongrie, Islande, Lettonie, Luxembourg, Norvège, Pays Bas, République Tchèque, Roumanie, Royaume-Uni, Slovénie, Turquie, Ukraine), éventuellement avec quelques exceptions (Danemark, Pologne, Russie). L'expert national au titre de la Finlande indique que les cas de constitution des associations entre les collectivités territoriales locales et l'État sont rares.

Il existe également quelques situations particulières.

Ces possibilités sont limitées à la mise à la disposition seulement des biens privés pour l'association ou de la société (Bulgarie) ou de la société (Portugal). En Italie, pour les biens appartenant au domaine public ou au patrimoine indisponible, leur mise à la disposition peut être réalisée sans les soustraire à leur utilisation d'intérêt public.

En France, pour le domaine privé, il existe la possibilité libre de constituer des associations et des sociétés (dans ce dernier cas, seulement pour exploiter les activités d'intérêt général), tandis que pour le domaine public il est question seulement d'un transfert de gestion.

En Suède et en Finlande, joue une interdiction de création des sociétés commerciales pour obtenir du profit pour la collectivité, elle étant permise seulement pour un but d'utilité publique.

En Russie, les collectivités territoriales locales ne peuvent pas participer à des sociétés commerciales privées à responsabilité limitée.

Pour Chypre, le droit de constituer des sociétés commerciales existe seulement pour les municipalités, et non pas pour les communes.

41. La possibilité des collectivités territoriales locales de s'associer avec d'autres collectivités territoriales locales, pour réaliser des tâches d'intérêt commun, et de doter les associations avec des (certains) biens municipaux ou de les transférer la gestion de (certains) biens municipaux assure le respect des exigences de la Convention dans ce domaine.

IV.4. L'aliénation de la propriété municipale

42. Aucune disposition de la Charte ne concerne l'aliénation de la propriété municipale. Toutefois, une impossibilité absolue d'aliéner les biens qui ne sont plus nécessaires à la collectivité territoriale locale et qui, par conséquent, représenterait une charge exorbitante, disproportionnée et injustifiée, peut constituer un manquement aux exigences du respect de l'autonomie locale, inscrites dans la Charte.

43. Dans les États où existe une seule forme de propriété municipale, l'aliénation des biens municipaux se fait, en principe, selon le droit privé applicable à toutes les personnes juridiques (Croatie, Danemark, Finlande, Islande, Lettonie, Lituanie, Norvège, Pays-Bas, République Tchèque, Royaume Uni, Suède).

Il existe certains exceptions (Hongrie, Pologne, Slovénie), par exemple la nécessite des approbations des autorités de l'État (Chypre), l'interdiction de vendre les biens indispensables à la collectivité (Autriche) ou le fait que l'aliénation ne puisse pas porter atteinte à l'affectation à un but d'utilité publique des biens municipaux (Allemagne).

44. Quant aux États avec deux formes de propriété municipale, la règle est l'inaliénabilité du domaine public et l'aliénabilité du domaine privé (Bulgarie, Portugal, Turquie), respectivement de l'inaliénabilité du domaine public et du patrimoine indisponible et de l'aliénabilité du patrimoine disponible (Italie).

Tout en respectant cette règle, il y a des particularités concernant l'aliénation du domaine privé: selon le droit privé, mais avec quelques dérogations exorbitantes de droit public (France, Luxembourg, Roumanie); par la procédure des enchères (Espagne); par la procédure des enchères et seulement pour le bénéfice manifeste de la collectivité (Grèce).

Comme des cas spéciaux, en Estonie et dans l'ex-République yougoslave de Macédoine peuvent être aliénés à la fois les biens privés et les biens publics.

IV.5. La constitution des garanties réelles et l'exécution forcée de la propriété municipale

45. La Charte ne contient aucune règle sur la constitution des garanties réelles sur ou l'exécution forcée de la propriété municipale. Cependant, les solutions nationales doivent respecter la possibilité des collectivités territoriales locales d'être titulaires du droit de propriété municipale.

46. Il existe une grande variété de solutions sur ce sujet. On remarque que, dans la matière, la distinction entre les systèmes avec une seule forme de propriété municipale et les systèmes avec deux formes de propriété municipale n'a pas de signification.

Une solution extrême se rencontre dans les États où il n'est pas possible de constituer des garanties réelles sur les biens municipaux, ni de passer à l'exécution forcée sur ces biens, y compris, le cas échéant, les biens privés (Espagne, Estonie, Royaume-Uni, Suède).

Par contre, l'autre extrême est représentée par les situations dans lesquelles ces possibilités existent (Croatie, Chypre, Danemark, ex-République yougoslave de Macédoine, Finlande, Lettonie, Lituanie, Norvège, Pays-Bas, Pologne, Russie, Slovénie). Pour le cas de Chypre, l'expert national indique que cette hypothèse est rare, tandis que pour le Danemark l'expert national souligne que la possibilité est théorique, car les collectivités territoriales locales peuvent payer leurs obligations par les impôts ou par emprunts. Le même caractère purement théorique de cette possibilité est indiqué par l'expert néerlandais.

Entre les deux positions se situent en général les États avec deux formes de propriété municipale, où le domaine public ne peut constituer l'objet des garanties réelles, ni d'exécution forcée, mais pour le domaine privé la réponse est affirmative (Bulgarie, France, Grèce, Luxembourg, Roumanie, Turquie; pour l'Italie, non pour le domaine public et le patrimoine indisponible, oui pour le patrimoine disponible).

Il y a aussi d'autres situations intermédiaires.

En Allemagne, les biens municipaux peuvent constituer l'objet des garanties réelles et, en principe, ils ne sont pas spécialement protégés contre les poursuites, mais s'il existe une affectation à un but d'utilité public, celui-ci ne peut pas être touché.

En Autriche, la propriété municipale peut constituer, en principe, l'objet des garanties réelles et de l'exécution forcée des créditeurs, comme pour les biens des autres personnes juridiques, avec certaines exceptions (si le droit d'exécution n'est pas fondé sur un contrat, seulement pour les biens qui ne mettent pas en péril l'intérêt public et qui ne sont pas indispensables).

En Islande, la réponse est en principe affirmative, sauf pour les biens immeubles nécessaires pour l'accomplissement des tâches obligatoires, qui ne peuvent pas constituer l'objet des garanties réelles.

Par contre, en Albanie la solution est négative, mais il existe la possibilité d'exécution sur les actions détenues aux sociétés commerciales.

En Slovénie la solution est négative pour les biens fondamentaux, et affirmative pour les autres biens.

On remarque le fait qu'en Autriche les collectivités territoriales locales puissent être déclarées en faillite.

47. Par rapport aux situations très diverses présentées par les experts nationaux, il est difficile de conclure, sur cet aspect, si les dispositions de la Charte sont respectées ou elles ne le sont pas.

L'auteur du rapport a des difficultés a croire que la possibilité de déclarer en faillite une collectivité territoriale locale se concilie avec l'existence de l'autonomie locale, selon la Charte, mais une réponse très nette à ce problème ne peut être donnée qu'après l'analyse approfondie des règles juridiques sur les conséquences d'une telle mesure sur la capacité de la collectivité territoriale locale en cause.

V. L'EXPROPRIATION, LA RÉQUISITION ET LE DROIT DE PRÉEMPTION CONCERNANT LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES LOCALES

V.1. L'expropriation, la réquisition et le droit de préemption en faveur des collectivités territoriales locales

48. Aucune disposition de la Charte ne porte, tout au moins directement, sur l'expropriation, la réquisition ou le droit de préemption, ni en faveur des collectivités territoriales locales, ni à leur encontre.

Cependant, les législations nationales peuvent envisager, pour cause d'utilité publique et, le cas échéant, en situations exceptionnelles, la possibilité de recourir, en faveur de la collectivité territoriale locale intéressée, à des modalités, exorbitantes et forcées, d'acquisition, de priorité ou au moins d'utilisation de certains biens.

Selon l'art. 4 ("Portée de l'autonomie locale") paras. 2 et 6, la collectivité locale a, dans le cadre de la loi, toute latitude pour exercer son initiative pour toute question qui n'est pas exclue de sa compétence ou attribuée à une autre autorité, et elle doit être consultée, autant qu'il est possible, en temps utile et de façon appropriée, au cours des processus de planification et de décision, pour toutes les questions qui les concernent directement.

A notre avis, une interprétation systématique des articles 3 ("Concept de l'autonomie locale") et 4 de la Charte, à la lumière du préambule et du rapport explicatif, mène à la conclusion qu'une certaine possibilité doit normalement être prévue pour faire bénéficier les collectivités territoriales locales, dans leur qualité de titulaires de prérogatives nécessaires pour régler et gérer des affaires publiques, des possibilités d'obtenir la propriété ou une priorité ou l'usage des biens indispensables à l'accomplissement de leurs tâches, d'une manière extraordinaire et forcée si besoin.

Cette possibilité peut être reconnue à la collectivité même (soit à elle seule, soit conjointement avec des autorités des collectivités territoriales de niveau supérieur, des autorités de l'État ou des juridictions), à une autre autorité publique ou à une juridiction, mais, dans ces derniers cas, avec la consultation de la collectivité territoriale locale concernée.

49. Il semble, de l'analyse des réponses des experts nationaux, que la possibilité d'expropriation des biens en faveur des collectivités territoriales locales existe dans tous les États, à l'exception de la Lituanie.

50. Quant à l'organe compétent à décider l'expropriation des biens en faveur de la collectivité territoriale locale, on constate une très grande variété des solutions.

La première possibilité est celle de la décision qui appartient à la collectivité même (Bulgarie, Danemark, Espagne, Grèce, Hongrie, Italie, Lettonie, Portugal, Ukraine). En Turquie, la décision prise par un organe de la collectivité territoriale locale à caractère mixte, composé d'élus locaux et de membres nommés.

Au contraire, il existe des situations dans lesquelles la décision revient exclusivement à une autre (à d'autres) autorité(s): le gouvernement (Albanie, Finlande); le gouvernement et le juge (Slovénie); une autre autorité étatique (ex-République yougoslave de Macédoine); en Estonie.
Entre les deux extrêmes, la décision revient conjointement à la collectivité et à une autre (à d'autres) autorité(s) dans plusieurs hypothèses: décision de la collectivité, avec une autorisation législative (Autriche); sur proposition de la collectivité, par le gouvernement (Chypre); sur proposition de la collectivité, par l'État fédéré (Allemagne); initiative de la collectivité et décision de l'État et du juge (France); décision conjointe de la collectivité territoriale locale et de l'État, soumise à un recours devant le juge (Russie); décision de la collectivité, l'utilité publique étant déclarée par l'État (Luxembourg); décision de la collectivité, avec l'accord du ministre concerné (Islande, Royaume Uni); déclaration d'utilité publique faite par la collectivité et décision du juge (Pays Bas, Roumanie); décision prise par la collectivité, avec l'approbation de l'État et du juge (Suède).

51. Peuvent être expropriés en faveur des collectivités territoriales locales: soit tous les biens (Albanie, Autriche, Espagne, Finlande, Norvège, Russie), soit exclusivement les biens immeubles (Croatie, Danemark, Lettonie, Portugal, Roumanie, Suède, Turquie), soit exclusivement des terrains (ex-République yougoslave de Macédoine, Ukraine). Les experts au titre de l'Espagne et de la Finlande indiquent que, bien qu'en principe tout bien puisse faire l'objet de l'expropriation, en pratique la mesure concerne seulement les immeubles. Selon l'expert au titre de l'Islande, en principe l'expropriation ne vise que les immeubles et elle est faite pour aménagement du territoire. Pour l'Allemagne, l'expert national souligne qu'en pratique l'expropriation est utilisée surtout pour les terrains.

52. Dans les États qui connaissent les deux formes de propriété municipale, les biens expropriés en faveur de la collectivité locale peuvent intégrer: le domaine public (Bulgarie, ex-République yougoslave de Macédoine, Roumanie, Turquie), respectivement le domaine public ou le patrimoine indisponible (Italie); soit le domaine public, soit le domaine privé (France); le domaine privé, étant affectés après (Espagne).

53. Quant à la réquisition des biens en faveur des collectivités territoriales locales, cette possibilité existe en Albanie, en Allemagne, en Autriche, à Chypre, au Danemark, dans l'ex-République yougoslave de Macédoine, en Finlande, en France, en Grèce, en Italie, en Lettonie, en Lituanie, au Luxembourg, en Norvège et en Roumanie. Par contre, elle n'est pas reconnue en Espagne, aux Pays-Bas, au Portugal, au Royaume Uni, en Slovénie, en Suède et en Turquie.

54. La décision sur la réquisition est prise soit par la collectivité territoriale locale (Danemark, Grèce, Italie, Lettonie), soit par l'État (ex-République yougoslave de Macédoine, Finlande, Roumanie), soit par l'État sur proposition de la collectivité (Albanie, Chypre). En Allemagne, la compétence revient à l'administration communale (au maire), mais en tant qu'instrument d'administration déléguée de l'État. Au Luxembourg, la décision appartient à l'État et seulement exceptionnellement et provisoirement à la collectivité territoriale locale.

L'expert au titre de la France indique qu'en principe les réquisitions sont décidées par l'État et seulement dans des hypothèses marginales par les collectivités territoriales locales, tandis que l'expert au titre de la Grèce relève que les réquisitions pour l'intérêt de plusieurs collectivités territoriales locales sont faites par l'État.

55. Enfin, la situation du droit de préemption en faveur des collectivités territoriales locales ne vise que des cas assez restreints.

Un droit spécial de préemption peut exister: dans des cas spéciaux (Islande, Norvège); si la loi le prévoit expressément (Autriche); pour les biens immeubles nécessaires à la collectivité (Lettonie); pour les terrains destinés au développement municipal, à la recréation ou à la protection de la nature (Finlande); pour les biens immobiliers, dans le cadre de la politique d'aménagement - urbanisme, habitat, réalisation d'équipements collectifs -, pour les terrains en vue de contenter la spéculation foncière (France); pour l'achat d'une société (Grèce); pour les terrains (Pays-Bas); pour certains terrains importants pour l'aménagement du territoire et l'urbanisme (Allemagne); pour les biens immeubles, dans le cadre du développement urbain (Suède); pour les biens culturels et pour les terrains pour constructions (Slovénie); pour les programmes de développement urbain (Portugal); en cas de plans d'aménagement du territoire (Bulgarie); pour les logements (Russie); pour les logements sociaux (Danemark); pour les biens utilisés par les institutions d'enseignement, de santé, de culture et pour la protection de l'enfant (Estonie); pour les bâtiments culturels ou de santé (Ukraine); pour certains biens (ex-République yougoslave de Macédoine).

Il est intéressant de mentionner le fait qu'en Bulgarie et en Croatie le droit de préemption existe avant la procédure d'expropriation.

L'expert au titre de l'Autriche souligne que les cas dans lesquelles les collectivités territoriales locales disposent d'un droit spécial de préemption sont rares. L'expert au titre de la France indique qu'en principe, le droit spécial de préemption n'existe que pour l'affectation ultérieure du bien à un usage d'intérêt public.

Par contre, aucun droit de préemption de la collectivité territoriale locale n'existe en Chypre, en Italie, en Lituanie, au Luxembourg, au Royaume-Uni et en Turquie.

En Roumanie, il n'existe aucun droit spécial de préemption de la collectivité territoriale locale, mais celle-ci dispose seulement d'un droit de préemption comme toute autre personne (par exemple, le droit général de préemption des copropriétaires et des voisins pour les terrains).

56. En guise de conclusion, on peut recommander, sur la base de l'art. 3 para. 1 de la Charte, interprété à la lumière du préambule et du rapport explicatif, l'inclusion dans les législations nationales de la possibilité de recourir, en faveur de la collectivité territoriale locale intéressée, pour cause d'utilité publique et, le cas échéant, en situations exceptionnelles, à des modalités, exorbitantes et forcées, d'acquisition, de priorité ou au moins d'utilisation de certains biens.

De plus, dans ces cas, la décision doit être prise par la collectivité territoriale locale concernée ou en collaboration avec elle ou tout au moins en la consultant, autant que possible, selon les dispositions de l'art. 4 para. 6 de la Charte.

Pour respecter les exigences démocratiques et tenant du respect des droits de l'homme, ces mesures d'ingérence dans le droit de propriété doivent être proportionnelles aux buts légitimes poursuivis, à savoir en principe moyennant une indemnisation juste et équitable et prévoir une possibilité pour les particuliers de contester cette décision devant un tribunal compétent.

V.2. L'expropriation et la réquisition de la propriété municipale

57. Dans une perspective opposée à celle de l'expropriation ou de la réquisition en faveur de la collectivité territoriale locale, nous croyons qu'il n'existe dans la Charte aucune interdiction d'exproprier ou de réquisitionner les biens municipaux. Cependant, à notre avis, cette possibilité ne peut pas être illimitée, car, dans cette hypothèse, elle porterait gravement atteinte à l'existence et à l'utilisation de la propriété municipale, donc à l'accomplissement des tâches des collectivités locales et, par conséquent, à l'autonomie locale même.

En même temps, l'art. 4 ("Portée de l'autonomie locale") para. 6 de la Charte est applicable également dans cette hypothèse, et les collectivités territoriales locales doivent être consultées, autant qu'il est possible, en temps utile et de façon appropriée, au cours du processus de planification et de décision pour toutes les questions qui les concernent directement.

Comme nous l'avons démontré supra, l'existence de la propriété municipale est, selon les articles 3 et 9, du préambule et du rapport explicatif de la Charte européenne de l'autonomie locale, un élément indispensable de l'autonomie locale. De plus, selon les paras. 2, 4, 5, 8 et 9 du préambule de la Charte, il existe une liaison étroite entre l'autonomie locale et la démocratie, donc l'autonomie locale est conçue par la Charte seulement dans le cadre d'un régime politique démocratique. Il ne faut pas oublier que, selon le Statut du Conseil de l'Europe, la démocratie représente l'une des valeurs fondamentales de l'organisation.

Il en résulte que la privation forcée des collectivités territoriales locales de leurs biens doit respecter les règles reconnues dans une société démocratique. Cela veut dire qu'en principe une privation forcée de propriété municipale doit être faite selon la loi, pour un but d'utilité publique et généralement moyennant une juste indemnisation.

Cette solution est renforcée par d'autres sources du droit international élaborées dans le cadre du Conseil de l'Europe. Ainsi, vu l'interdépendance des sources du droit international, particulièrement de ceux élaborées dans le cadre du Conseil de l'Europe, nous sommes d'avis que, sur ce point, la Charte européenne de l'autonomie locale peut et doit être interprétée en s'inspirant de l'art. 1er ("Protection de la propriété") du Protocole no 1 à la Convention européenne des droits de l'homme, interprété à la lumière de la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'Homme. Par conséquent, une expropriation ou une réquisition des biens des collectivités territoriales locales est possible seulement selon la loi (qui doit être accessible et prévisible et doit offrir des garanties contre les abus), pour cause d'utilité publique et en respectant la nécessité dans une société démocratique, à savoir le besoin social impérieux, la proportionnalité entre les intérêts en présence (ce qui signifie en général une indemnisation, en principe à la valeur réelle du bien ou de son utilisation) et une justification convaincante de cette mesure par les autorités nationales.

L'auteur du rapport est conscient du fait que cette méthode d'interprétation et la conclusion à laquelle il a abouti en l'utilisant ne sont pas exemptes de toute critique. Toutefois, l'autonomie locale (domaine de la Charte européenne sur l'autonomie locale et du Congrès des Pouvoirs Locaux et Régionaux de l'Europe) et le respect des droits de l'homme (domaine de la Convention européenne des droits de l'homme et de la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'Homme) ne sont pas sans liaison, tous les deux étant intimement liés aux valeurs démocratiques. Par conséquent, on peut "emprunter", mutatis mutandis, les solutions du Droit européen des droits de l'homme dans le Droit européen de l'autonomie locale, d'autant plus que le premier est beaucoup plus développé que le second. Il est vrai qu'un processus long et dure a été nécessaire pour que la Cour européenne des Droits de l'Homme arrive à la solution de la nécessité d'une indemnisation en cas de privation de propriété, mais cette solution est déjà un "droit acquis", et on voit mal pourquoi cette protection des droits de l'homme ne pourrait étendue à la protection des collectivités territoriales locales autonomes.

Bien évidemment, comme dans le cas du Droit européen des droits de l'homme, des situations dans lesquelles l'indemnisation manque sont concevables. Par exemple, on peut considérer que la proportionnalité est préservée dans le cas où le transfert forcé d'un bien municipal vers le domaine de l'État serait le résultat d'un transfert du service public correspondant, donc la collectivité territoriale locale n'a plus besoin de ce bien, car elle n'a plus la tâche à laquelle le bien était affecté, tout en réservant une possibilité d’un dédommagement pour les investissements faites auparavant par la collectivité territoriale locale.

58. La possibilité d'expropriation des biens municipaux existe: pour tous les biens (Allemagne, Autriche - dans certains Länder -, Croatie, Chypre, Danemark, ex-République yougoslave de Macédoine, Finlande, Hongrie, Italie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Norvège, Pays Bas, Pologne, Portugal, Royaume-Uni, Russie, Slovénie, Suède); seulement pour les biens privés (Bulgarie, Espagne, France, Grèce, Roumanie, Turquie); seulement pour les terrains (Ukraine).

En Estonie l'expropriation des biens municipaux est possible seulement avec l'accord de la collectivité territoriale locale intéressée, ce qui change la nature juridique de transfert forcé de propriété de l'expropriation.

En Italie, les biens du domaine public et du patrimoine indisponible des collectivités territoriales locales peuvent être expropriés. Pour Chypre, l'expert indique que l'expropriation des biens municipaux vise en général les immeubles.

Il n'est pas possible d'exproprier des biens municipaux en République Tchèque.

En France, le domaine public municipal, qui ne peut pas être exproprié, peut faire l'objet d'un transfert de gestion. En Roumanie non plus le domaine public municipal ne peut pas être exproprié, mais des biens publics peuvent être transférés dans le domaine public de l'État sur décision de la collectivité locale, avec ou sans indemnisation (la loi ne prévoit rien, c'est donc à la collectivité de décider au cas par cas).

L'expert allemand indique que l'expropriation des biens municipaux par l'État (fédéral ou fédéré) doit respecter les droits individuels de certains usagers.

59. L'expropriation des biens appartenant à la collectivité territoriale locale suppose une indemnisation dans la quasi-totalité des États, selon les informations présentées par les experts nationaux (Allemagne, Autriche, Bulgarie, Croatie, Chypre, Danemark, Espagne, ex-République yougoslave de Macédoine, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Lettonie, Luxembourg, Norvège, Pays Bas, Portugal, Roumanie, Royaume-Uni, Russie, Slovénie, Suède, Turquie).

Aucun expert national n'a indiqué expressément le fait que l'expropriation des biens municipaux soit, selon la loi, sans aucune indemnisation. Il faut cependant réserver le cas où le transfert des biens municipaux vers l'État n'est que la conséquence d'un transfert des compétences et quant il n'existe pas automatiquement une obligation d'indemnisation de la collectivité territoriale locale. Par exemple, l'expert au titre de l'Allemagne indique que la propriété municipale qui est soumise à l'expropriation doit en principe être indemnisée, mais, selon les circonstances (par exemple, un transfert de compétences vers l'État, s'accompagnant d'un transfert des biens correspondants), cette indemnisation peut se réduire à zéro.

Cependant, l'expert au titre de la Lituanie souligne que l'expropriation des biens municipaux requiert, selon la Constitution, une indemnisation, mais qu'il soit possible une interprétation dans le sens qu'aucune indemnisation n'est nécessaire; en tout cas, il n'existe pas beaucoup de pratique en la matière.

60. Pour la réquisition des biens municipaux, elle est permise soit pour tous les biens (Autriche - dans certains Länder -, Croatie, Chypre, ex-République yougoslave de Macédoine, Finlande, Lettonie, Lituanie, Norvège, Portugal, Roumanie, Russie), soit exclusivement pour les biens du domaine privé (Espagne, France)

Comme pour le cas de l'expropriation, en Estonie la réquisition des biens municipaux est possible seulement avec l'accord de la collectivité territoriale locale intéressée, ce qui change la nature juridique de transfert forcé de l'utilisation d'un bien de la réquisition.

En France, le domaine public municipal, qui n'est pas soumis à la réquisition, peut faire l'objet d'un transfert de gestion.

Par contre, la réquisition des biens municipaux est interdite en République Tchèque.

61. La nécessité d'une indemnisation en cas de réquisition des biens municipaux est indiquée expressément par les experts au titre de l'Autriche, de la Croatie, de l'ex-République yougoslave de Macédoine, de la Finlande, de la Lettonie, de la Norvège et de la Roumanie.

L'expert au titre de la Lituanie souligne, comme pour l'expropriation des biens municipaux, que leur réquisition requiert, selon la Constitution, une indemnisation, mais qu'il soit possible une interprétation dans le sens qu'aucune indemnisation n'est nécessaire; en tout cas, il n'existe pas beaucoup de pratique en la matière.

62. Pour conclure, à notre avis il est possible et souhaitable de recommander, sur la base de l'art. 3 para. 1 de la Charte, interprété à la lumière du préambule et du rapport explicatif, ainsi que des sources internationales en matière des droits de l'homme, que l'expropriation ou la réquisition des biens municipaux, en tant qu'ingérence dans le droit de propriété municipale, doit être justifiée par un motif d'utilité publique, doit être proportionnelle au but légitime poursuivi - à savoir en principe moyennant une indemnisation équitable - et doit être justifiée d'une manière convaincante par l'autorité concernée.

De plus, ces mesures doivent être prises suite à la consultation, autant que possible, de la collectivité territoriale locale concernée, selon les dispositions de l'art. 4 para. 6 de la Charte.

VI. LES RAPPORTS ENTRE LA PROPRIÉTÉ MUNICIPALE ET L'EXERCICE DE L'AUTONOMIE LOCALE, LE CONTRÔLE ADMINISTRATIF DES ACTES DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES LOCALES, LES RÉGLES DÉMOCRATIQUES ET LA PROTECTION LÉGALE DE L'AUTONOMIE LOCALE

VI.1. La capacité des collectivités territoriales locales d'exercer leur droit de propriété municipale

63. L'art. 4 ("Portée de l'autonomie locale") para. 4 de la Charte dispose que les compétences confiées aux collectivités locales doivent être normalement pleines et entières, elles ne pouvant être mise en cause ou limitées par une autre autorité, centrale ou régionale, que dans le cadre de la loi.

Il résulte de la corrélation entre ce texte et l'art. 3 ("Concept de l'autonomie locale") para. 1er que les prérogatives des collectivités territoriales locales quant à leur propriété municipale, pour l'accomplissement de leurs tâches dans le cadre de l'autonomie locale, doivent normalement appartenir pleinement à la collectivité territoriale locale. Les limites éventuelles prévues par la loi nationale doivent poursuivre un but légitime et respecter la nécessité dans une société démocratique, principalement la proportionnalité entre l'ingérence et le but recherché.

64. Dans la plupart des cas, les collectivités territoriales locales titulaires exercent pleinement leur droit de propriété municipale, sans aucune instruction, avis, autorisation, approbation ou tutelle de la part des autorités de l'État ou des collectivités territoriales de niveau supérieur (Croatie, Danemark, ex-République yougoslave de Macédoine, Finlande, Grèce, Hongrie, Italie, Islande, Lettonie, Lituanie, Norvège, Pologne, Portugal, République Tchèque, Roumanie, Slovénie, Suède).

Cependant, il existe des exceptions, à savoir des situations quand le plein exercice par la collectivité territoriale locale représente la règle, doublée de certaines exceptions, assez limitées: l'accord de l'autorité de tutelle pour certaines aliénations ou désaffectations de biens (Allemagne); l'existence des intérêts majeurs qui dépassent le niveau local (Autriche); l'acquisition, le bail ou la cession d'un bien dépassant une certaine valeur - l'administration fiscale de l'État -, la désaffectation et le déclassement des biens affectés au service public scolaire - le préfet -, l'autorisation préalable pour les biens ayant une valeur historique, culturelle ou naturelle - les services spécialisés, comme pour tout particulier (France); la privatisation des biens ayant une valeur historique ou sociale (Russie); les acquisitions, les ventes, la participation aux sociétés privées en dépassant une certaine limite - le ministre de l'intérieur ou un décret du Grand Duc (Luxembourg); la vente sous le meilleur prix - autorisation ministérielle (Royaume-Uni); les décisions concernant la participation aux sociétés et l'association - un contrôle a priori - et certains décisions concernant l'achat, la vente et la location - un contrôle a posteriori, avec pouvoirs d'annulation -, exercés par la province (Pays-Bas); l'aliénation d'une propriété privée d'une valeur dépassant une certaine limite - approbation par la région (Espagne); les biens immeubles, les contrats pour une longue durée - le Gouvernement, le ministre de l'intérieur ou le préfet (Chypre); le changement de la destination des terrains agricoles ou forestiers (Bulgarie); la privatisation des biens historiques - le Gouvernement (Estonie).

Il existe des situations dans lesquelles des dérogations aux interdictions ou limitations prévues par la loi sont données par les autorités de l'État: le bénéfice des locations en certains cas - par le ministre de l'intérieur (Danemark); en matière des immeubles - par le Gouvernement (Albanie).

En Turquie, les décisions pour l'acquisition et l'aliénation des biens municipaux sont prises par la collectivité territoriale locale, mais par un organe mixte, composé d'élus locaux et des membres nommés, avec l'autorisation du Gouvernement ou de ses agents territoriaux.

L'expert au titre de l'Ukraine indique qu'en l'absence d'une loi en la matière, le droit de propriété municipale est exercé pleinement par la collectivité territoriale locale titulaire.

65. Nous croyons qu'il est souhaitable de recommander que l'exercice plein par la collectivité territoriale locale titulaire de son droit de propriété municipale constitue la règle, tandis que des ingérences (avis, autorisations, approbations etc.) des autres autorités publiques ne doivent représenter que des exceptions, et qu'elles doivent être prévues par la loi, poursuivre un but légitime et être proportionnelles au but légitime poursuivi.

VI.2. Les organes des collectivités territoriales locales qui exercent le droit de propriété municipale

66. Selon l'art. 3 ("Concept de l'autonomie locale") para. 2 de la Charte, l'autonomie locale est exercée principalement par des conseils ou assemblées composées de membres élus au suffrage direct et universel et pouvant disposer d'organes exécutifs responsables devant eux, ce qui ne porte pas préjudice au recours aux formes de participation directe des citoyens.

Bien évidemment, le para. 2 de l'art. 3 doit s'interpréter en corrélation avec le para. 1er du même article. Nous avons démontré que ce texte englobe le droit à une propriété municipale. Il en résulte que l'exercice de l'autonomie locale, y compris pour la propriété municipale, revient à l'organe représentatif élu ou à l'organe exécutif, qui doit être responsable, pour ces questions, devant l'assemblée, ou bien aux citoyens par les moyens de la démocratie directe.

67. Concrètement, il existe des situations de partage des compétences entre l'organe représentatif (en formation plénière et/ou par ses commissions) et l'organe exécutif (Allemagne, Autriche - situation différente dans chaque Länder -, Chypre, Danemark, Italie, Russie), en général les décisions importantes - décisions normatives, actes de disposition, valeurs élevées etc. - étant réservées à l'assemblée, tandis que l'administration courante, la gestion, la souscription des contrats approuvés par l'assemblée etc. reviennent à l'exécutif (Bulgarie, Espagne, Finlande, France, Hongrie, Luxembourg, Pays Bas, Roumanie, Ukraine). L'expert au titre de la Finlande souligne le fait que le partage entre l'assemblée et l'exécutif soit sans règles expresses et qu'il résulte de la pratique.

Il existe des cas dans lesquels la compétence revient à l'assemblée, d'une manière absolue (Croatie, Lettonie, Lituanie, République Tchèque) ou en principe (Estonie), sans possibilité de délégation (Albanie) ou avec possibilité de délégation vers l'exécutif (Norvège, Slovénie).

La compétence appartient aux comités élus par l'organe représentatif en Islande.

Comme une autre solution, la compétence de principe pour la propriété municipale revient à l'exécutif: en tant que règle générale (ex-République yougoslave de Macédoine); ou en tant que règle générale avec seulement certains compétences - les plus importantes - réservées à l'organe délibératif (Pologne); ou qui a besoin d'une autorisation de la part de l'assemblée pour certains actes de valeur supérieure (Portugal); ou l'organe représentatif ne décide que pour l'aliénation des immeubles ou des biens de valeur élevée, mais il peut déléguer son pouvoir à l'exécutif (Suède).

L'exécutif peut recevoir une délégation de compétence de la part de l'organe représentatif pour certains aspects concernant la propriété municipale (France, Italie, Norvège, Suède). Une délégation de compétences peut être octroyée à un comité ou à des fonctionnaires (Royaume Uni).

Beaucoup d'experts nationaux ont indiqué le fait que, dans l'exercice des compétences en matière de propriété municipale, l'organe exécutif soit responsable devant l'assemblée. En Russie, il existe une obligation de présenter à l'organe délibératif, généralement tous les 4 mois, un rapport sur la propriété municipale.

68. En général, les experts n'ont pas mentionné des conditions spéciales de procédure pour l'adoption des décisions en matière de propriété municipale par l'organe délibératif, donc on peut conclure qu'en général il s'agit de la procédure ordinaire.

Cependant, il y a des exceptions pour l'adoption des décisions concernant la propriété municipale: majorité absolue des membres du conseil pour acquisition, mise en valeur et aliénation des biens municipaux (Grèce); majorité absolue pour toute les décisions (Bulgarie); majorité qualifiée de 2/3 pour les biens immeubles (Chypre); majorité qualifiée de 2/3 pour toutes les décisions (Roumanie); majorité qualifiée de 3/5 pour les aliénations (Albanie); majorité qualifiée dans certains cas d'exception (Allemagne).

69. Quant au recours à la démocratie directe en matière de propriété municipale, comme des cas particuliers, il existe la consultation des citoyens pour les questions concernant la propriété publique en Albanie, ainsi que la possibilité générale d'un référendum en Hongrie.

70. Comme conclusion, on peut recommander que l'exercice du droit de propriété municipale soit fait par l'organe représentatif élu de la collectivité municipale ou par l'exécutif, qui doit être responsable (aussi) pour les actes dans ce domaine devant l'assemblée, sans préjudice des possibilités de démocratie locale directe.

VI.3. Le contrôle administratif des actes des collectivités territoriales locales concernant la propriété municipale

71. L'art. 8 ("Contrôle administratif des actes des collectivités locales") paras. 1er et 2 de la Charte permet un contrôle administratif sur les collectivités locales, exercé dans les conditions prévues par la législation nationale et, en principe, de pure légalité, exceptionnellement d'opportunité. Le principe de la proportionnalité est requis par l’article 8 par. 3 de la Charte.

La corrélation de ce texte avec les dispositions de l'art. 3 ("Concept de l'autonomie locale") para. 1er mène à la conclusion que ce contrôle administratif, avec ces réserves, peut s'exercer aussi sur l'existence et l'utilisation de la propriété municipale

72. Les réponses des experts nationaux indiquent en premier lieu le fait que la propriété municipale soit soumise, en général, aux contrôles administratifs ordinaires.

Néanmoins, certaines formes de contrôle spécifiques pour la propriété municipale existent: la Cour des comptes (Albanie, Roumanie, Slovénie); la Commission ou le Bureau d'Audit général ou de l'État (Chypre, Estonie, ex-République yougoslave de Macédoine, Hongrie, Lettonie); les chambres régionales des comptes (France, Pologne); un contrôleur d'État (Lituanie); les commissaires aux comptes (Espagne); le Ministère des finances (Croatie, ex-République yougoslave de Macédoine); les services déconcentrés du Ministère des finances publiques (Roumanie); des sociétés privées d'audit (Lettonie); un auditeur indépendant et professionnel (Danemark); un auditeur nommé par l'assemblée (Suède); un auditeur externe (Hongrie, Russie); le Ministère Public (Ukraine).

L'expert au titre de l'Espagne relève l'existence d'un contrôle d'opportunité de la part de la région, pour l'aliénation des biens du domaine privé qui dépassent une certaine valeur.

73. Comme recommandation, on peut indiquer l'exercice du contrôle administratif sur la propriété municipale sur la base de la législation et, en principe, un contrôle de pure légalité, et seulement par exception aussi un contrôle d'opportunité, tout en respectant le principe de proportionnalité.

VI.4. La transparence dans l'exercice du droit de propriété municipale

74. Les paras. 2, 4, 5, 8 et 9 du préambule de la Charte insistent sur la liaison étroite entre l'autonomie locale et la démocratie. Or, tout régime démocratique suppose la liberté d'information, donc la transparence et la publicité dans les questions d'intérêt public.

Comme nous l'avons démontré, l'art. 3 ("Concept de l'autonomie locale") para. 1er vise aussi la propriété municipale, dimension de l'autonomie locale. La corrélation entre ce texte et le préambule impose la conclusion que la transparence et la publicité doivent être assurées également pour la propriété municipale.

75. Beaucoup d'experts nationaux indiquent les enchères comme procédure apte à assurer la transparence en matière de propriété municipale.

L'expert au titre du Luxembourg fait aussi mention de l'utilisation des rapports d'expertise, et l'expert au titre de la Grèce des enquêtes publiques pour les décisions importantes concernant le domaine public.

76. Quant à la publicité, mis à part les règles habituelles en matière de délibérations des assemblées et de décisions des autorités locales, on retrouve des cas particuliers de publicité dans le domaine de la propriété municipale: pour les registres et inventaires de la propriété municipale (Espagne); pour les enchères (Estonie, Espagne, Lettonie, Portugal, Grèce, Roumanie); pour les acquisitions publiques (Autriche, Lituanie); pour la vente des immeubles (Danemark); pour les opérations immobilières (France); pour les déclassements (Italie); pour l'expropriation (Roumanie, Royaume-Uni); pour les concessions et les privatisations, dans le Journal Officiel (Bulgarie); pour les constats des Cours des comptes (France, Roumanie); pour l'audit financier (République Tchèque).

L'expert au titre de la Suède souligne avec beaucoup de pertinence les difficultés pratiques pour assurer l'information des citoyens, à cause du caractère prolifique et complexe de l'information concernant la propriété municipale.

L'expert au titre de l'Ukraine relève l'absence de tout règle concernant la transparence en matière de propriété municipale.

77. Comme conclusion, on peut recommander la réalisation d'une transparence et publicité réelles en matière de propriété municipale.

VI.5. Les juridictions compétentes en matière de propriété municipale

78. L'art. 11 ("Protection légale de l'autonomie locale") prévoit le droit des collectivités locales à un recours juridictionnel afin d'assurer le libre exercice de leurs compétences et le respect des principes d'autonomie locale consacrés dans la législation. Évidemment, le recours doit être accessible et utile. La Charte ne contient aucune disposition quant à la nature de la juridiction (judiciaire civile, administrative ou autre).

Par corrélation de ce texte avec l'art. 3 ("Concept de l'autonomie locale") para. 1er, on conclut que ce recors doit être disponible aux collectivités territoriales locales pour protéger leur propriété municipale.

79. Dans la majorité des États (presque tous les États qui connaissent une seule forme de propriété municipale et la moitié - 6 sur 12 - des États avec deux formes de propriété municipale), les litiges concernant la propriété municipale attirent la compétence des tribunaux judiciaires civils ordinaires (Albanie, Autriche, Bulgarie, Croatie, Chypre, Danemark, Estonie, ex-République yougoslave de Macédoine, Finlande, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Norvège, Pays Bas, Pologne, Portugal, République Tchèque, Royaume Uni, Russie, Slovénie, Suède, Ukraine).

Par contre, pour l'autre moitié (6 sur 12) d'États où il existe deux formes de propriété municipale, deux types de tribunaux sont compétents: les tribunaux administratifs pour le domaine public et les tribunaux civils pour le domaine privé (Espagne, Grèce, Roumanie, Turquie), la situation étant similaire pour le cas particulier de l'Italie (le juge administratif pour domaine public et pour le patrimoine indisponible et le juge civil pour le patrimoine disponible). Pour la France, les tribunaux administratifs sont compétents également pour certains litiges concernant le domaine privé.

En Allemagne, même s'il y a une seule forme de propriété municipale, la compétence de droit commun revient aux tribunaux civils, mais il existe de cas d'exception (les situations d'affectation) quand la compétence revient aux juridictions administratives.

Dans tous les cas, le même type de juridictions est compétent pour les litiges concernant la propriété municipale et la propriété de l'État.

Pour l'Islande, l'expert national fait mention de l'existence, dans la pratique, des accords amiables entre l'État et les collectivités territoriales locales en cas de litiges.

80. Comme conclusion, on constate l'existence majoritaire (plus de trois quarts des États analysés) du système dans lequel tous les litiges sur la propriété municipale sont réglés par les tribunaux civils ordinaires, mais aussi la présence d'un dualisme juridictionnel, d'un partage de compétences entre les tribunaux administratifs et les tribunaux civils de droit commun.

Il faut remarquer aussi le fait positif de l'égalité de traitement entre la propriété municipale et la propriété de l'État, quant aux juridictions compétentes à statuer dans ces litiges.

On peut recommander l'existence d'un droit pour les collectivités territoriales locales de recours juridictionnel effectif (accessible et utile), devant un tribunal indépendant, impartial et établi par la loi, pour la protection de leur propriété municipale.

VII. LA PROPRIÉTÉ MUNICIPALE ET LES RESSOURCES PROPRES DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES LOCALES, LA TAXATION ET LES TRANSFERTS DES COMPÉTENCES

VII.1. La propriété municipale et les ressources propres des collectivités territoriales locales

81. Selon l'art. 9 ("Les ressources financières des collectivités locales") para. 3 de la Charte, une partie au moins des ressources financières des collectivités locales doit provenir de redevances et d'impôts locaux.

82. Dans tous les États analysés, les redevances et les autres produits des biens propriété municipale constituent des ressources propres des collectivités territoriales locales.

La nature de ce type de ressources est soit fiscale (Chypre, Pays Bas, République Tchèque, Slovénie), soit non-fiscale (ex-République yougoslave de Macédoine, Grèce, Italie, Luxembourg, Portugal, Turquie). En Espagne les revenus du domaine public ont un caractère fiscal, ainsi que les revenus provenant des autorisations en Albanie.

Il existe aussi des États où on retrouve à la fois des ressources de type fiscal et de type non-fiscal: en Allemagne, les redevances pour les concessions de droit public sont des revenues fiscales, les autres ressources sont de type non-fiscal; en Autriche, les redevances sont des ressources non-fiscales et les taxes pour l'usage des biens municipaux ont un caractère fiscal; en Bulgarie, non-fiscales en général et les taxes pour usage ont un caractère fiscal; en France, les redevances sont des impôts indirects et les produits du domaine privé sont des ressources non-fiscales; en Norvège, ces ressources sont non-fiscales en général et quasi-fiscales pour certaines services; en Pologne, le caractère fiscal ou non-fiscal des revenues dépend de la forme de gestion des biens; en Roumanie, les ressources sont de type non-fiscal, sauf les taxes pour l'occupation du domaine public.

Les experts au titre de la Finlande et de la Lituanie soulignent le fait que les redevances dues pour la propriété municipale constituent une partie faible des ressources des collectivités locales, et relativement faible selon l'expert au titre des Pays-Bas.

Par contre, l'expert au titre de l'Espagne indique que ces redevances représentent un niveau significatif dans le total des revenus des collectivités territoriales locales.

83. La conclusion est le respect des dispositions de la Charte par le fait que les revenus des biens propriété municipale (redevances et autres) sont des ressources propres des collectivités territoriales locales.

On recommande qu'en principe toutes les redevances des biens municipaux constituent des ressources des collectivités territoriales locales.

VII.2. La taxation des biens municipaux

84. Dans un nombre important d'États, les collectivités territoriales locales ne sont pas sujet de taxation pour les biens municipaux (Chypre, ex-République yougoslave de Macédoine, Finlande, France, Islande, Lituanie, Norvège, Portugal, Slovénie, Roumanie, Turquie).

Tout en préservant l'absence de taxation pour les biens des collectivités territoriales locales, certains États ont des impôts ou des taxes pour les entreprises des collectivités territoriales locales (Autriche, Pologne), à des buts commerciaux (Danemark) ou à des fins dexploitation commerciale des biens municipaux (Hongrie). En Allemagne, la propriété municipale affectée à un but public n'est pas sujet de taxation, tandis que les biens municipaux destinés à des buts privés et les capitaux peuvent être imposés.

Par contre, des impôts ou des taxes sont dues par les collectivités territoriales locales, pour leurs biens, en Grèce, Lettonie, Luxembourg, Royaume Uni et Russie.

En Suède, la réponse est en principe affirmatif, à l'exception des immeubles d'intérêt public.

85. En conclusion, on peut recommander que la taxation des biens municipaux, là elle existe, ne soit pas excessive et assure le respect de l’existence réelle de la propriété municipale et de l’autonomie locale.

VII.3. Le rapport entre la propriété municipale et les nouvelles compétences attribuées aux collectivités territoriales locales

86. L'interprétation systématique des articles 3 ("Concept de l'autonomie locale"), 4 ("Portée de l'autonomie locale") et 9 ("Les ressources financières des collectivités locales") de la Charte, y compris à la lumière du préambule et du rapport explicatif, conduit à la conclusion que le transfert de nouvelles compétences vers les collectivités territoriales locales doit s'accompagner d'un transfert de ressources appropriées, aussi bien financières, que - dans la mesure du possible - matérielles (donc, des biens qui deviennent propriété municipale).

87. Selon les réponses des experts nationaux, on peut retenir les situations suivantes: selon la loi, le transfert des compétences s'accompagne d'un transfert des biens, soit de la propriété, soit de la gestion, et se fait par loi spéciale (France); obligation constitutionnelle de transférer aussi les "ressources" nécessaires - cela signifie aussi des biens -, ce qui se respecte de plus en plus en pratique (Grèce); existence de l'obligation légale de transfert, disputes concernant l'application pratique (Hongrie); existence de l'obligation légale de transfert, mais elle n’est pas respectée dans certains cas en pratique (Estonie); en principe, les textes prévoient cette obligation, mais en réalité elle n'est pas respectée (Turquie); existence de l'obligation légale, mais pas de cas pratiques jusqu'à présent (ex-République yougoslave de Macédoine); absence d'obligation légale, mais transfert assuré en général dans la pratique (Bulgarie); il existe en pratique un transfert des biens, à titre gratuit (Danemark); obligation légale de transfert des ressources financières et existence de la possibilité légale de transfert des biens (Pays Bas); transfert des biens (Albanie, Portugal, Ukraine); en principe, la solution est affirmative, en général il n'y a pas de problèmes en pratique (Slovénie); la solution de principe est affirmative, mais en pratique l'application est insuffisante (Croatie, Suède); le transfert des ressources financières est obligatoire et le transfert des propriétés est possible s'il est raisonnable, mais il n'est pas obligatoire (Lituanie); en principe, le transfert des compétences doit s'accompagner d'un transfert des biens, mais conditionné de la nature des compétences transférées (Pologne); le transfert des biens dépend du caractère des tâches transférées (Allemagne); selon la loi, il existe l'obligation expresse de transférer les ressources financières, mais selon le but de la réglementation, il faut transférer aussi des biens, tandis qu'en pratique c'est un sujet de controverses (Roumanie); on transfère des ressources financières pour que la collectivité locale achète des biens (Autriche); en principe, il n'existe aucun transfert des biens, même s'il n'existe aucune interdiction (Finlande); le transfert n'est pas toujours assuré (Lettonie, Russie).

En Chypre, il existe de rares exemples de nouvelles compétences, et dans ces cas, en pratique, des discussions pour le transfert des biens ont lieu entre les collectivités territoriales locales et l'État. Au Royaume-Uni, le transfert des compétences n'est pas une procédure standard. En Espagne, normalement ce n'est pas le cas. En Islande, en principe le problème ne se pose pas, mais quand il y a des cas, il y a une solution convenable à l'État et aux collectivités territoriales locales. En République Tchèque, le problème est complexe et le processus est en cours. Au Luxembourg, la législation en la matière est en cours de débat. En Norvège, selon l'expert national, le problème est traité au cas par cas.

88. En guise de conclusion, le rapporteur suggère qu’une obligation soit faite d’assurer un transfert des biens (donc des ressources matérielles) si l’exercice des nouvelles compétences requiert l’utilisation de ses biens par les collectivités territoriales locales. En tout état de cause, il faut éviter les situations lorsque l’Etat central transfère aux collectivités locales des biens qui représenteraient plus des charges que des ressources utiles et nécessaires à l’exercice des compétences des collectivités locales et grèveraient inutilement leurs budgets.

VIII. LES PROBLÈMES SPÉCIFIQUES CONCERNANT LA PROPRIÉTÉ MUNICIPALE ET LES ÉVOLUTIONS DÉMOCRATIQUES DANS LES PECO

Les rapporteurs rappellent que l'analyse sur les problèmes spécifiques des PECO (les ex-États communistes) concerne 15 États: Albanie, Bulgarie, Hongrie, Pologne et Roumanie; Allemagne (pour l'ex-RDA); République Tchèque (pour l'ex-Tchécoslovaquie); Croatie, ex-République yougoslave de Macédoine et Slovénie (pour l'ex-RF de Yougoslavie); Estonie, Lettonie, Lituanie, Russie et Ukraine (pour l'ex-URSS).

VIII.1. La capacité des collectivités locales d'être titulaires de la propriété municipale durant le régime communiste

89. La plupart des experts (ceux à titre de l'Albanie, la Bulgarie, l'Estonie, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, la Russie et l'Ukraine) affirment qu'avant la chute du régime communiste les structures locales étaient seulement des parties de l'organisation de l'État, des éléments de celui-ci, qui ne faisait qu'administrer la propriété de l'État, donc elles n'étaient pas titulaires d'un droit de propriété municipale.

Dans le même sens, l'expert au titre de la République Tchèque montre que les organes locaux étaient, en même temps des structures de l'État et des structures locales, qui avaient seulement le droit d'administrer la propriété nationale.

Selon l'expert au titre de l'Allemagne, en ex-RDA les collectivités locales ont gardé leur personnalité juridique sous le gouvernement communiste, malgré l'absence de l'autonomie locale réelle.

Plus nuancé, les experts au titre de la Croatie et de la Slovénie relèvent que les structures locales étaient titulaires d'un droit de propriété, mais attirent l'attention sur le fait qu'il s'agissait d'une propriété "sociale", spécifique au système socialiste de la Yougoslavie.

Enfin, la situation est similaire pour l'expert au titre de la Roumanie, qui affirme que, durant le régime communiste, les communes, les villes et les municipalités (ainsi que les départements) étaient des personnes morales et, théoriquement, elles disposaient des biens dans leur propriété; cependant, selon la Constitution, il n'existait pas d'autonomie locale, et les communes, les villes et les municipalités (et les départements aussi) n'étaient pas des collectivités territoriales autonomes, distinctes par rapport à l'État, mais seulement des éléments constitutifs de l'État; leurs biens appartenaient à la "propriété socialiste", qui était, en conformité avec la Loi fondamentale, la "propriété socialiste de l'État", ayant comme titulaire "le peuple entier"; donc, pour la réalité, il faut tenir compte de cette particularité du régime de la propriété; l'expert conclut dans le sens qu'on ne peut pas parler d'une véritable qualité de propriétaire pour les communes, les villes et les municipalités.

Par contre, l'expert au titre de l'ex-République yougoslave de Macédoine affirme que les collectivités locales disposaient d'un grand volume de biens, dans de divers domaines.

90. Comme conclusion générale, l'absence de l'autonomie locale et la propriété socialiste ont empêché toute idée de propriété municipale réelle durant le régime communiste dans les PECO.

VIII.2. L'évolution de la propriété municipale après le début de l'évolution vers la démocratie

91. Selon les réponses des experts nationaux, la situation se présente comme suit:

- Albanie: transferts des biens de l'État vers les collectivités locales, selon la loi, qui a accompagné le transfert des compétences; le procès a débuté en 1998-1999 et il est en cours;
- Allemagne: pour l'ex-RDA, en 1989, création de la propriété municipale; après la réunification, privatisation massive des entreprises locaux (disposant de personnalité morale distincte); pas de transferts des biens de l'État fédéral ou des États fédérés vers les collectivités territoriales locales; par contre, certains transferts des biens municipaux vers l'État;
- Bulgarie: dès 1991, transferts gratuits des biens de l'État vers les collectivités territoriales locales et restitutions des biens;
- Croatie: après l'indépendance, une phase de centralisation, accompagnée par une diminution de la propriété municipale; à présent, le processus va dans le sens contraire et la propriété municipale est à la hausse;
- Estonie: augmentation considérable de la propriété municipale après 1989, au niveau de l'année 1940; à présent, seulement des transferts des biens en cas spéciaux; de même, il y a une tendance vers la transformation des biens publics en biens privés;
- ex-République yougoslave de Macédoine: en 1991, presque tous les biens municipaux deviennent propriété de l'État; en 2001-2002, des changements législatifs portant sur la décentralisation ont permis aux collectivités territoriales locales d'acquérir plus de biens;
- Hongrie: constitution du droit de propriété sur les biens en possession des collectivités territoriales locales; transferts des biens de l'État vers les collectivités territoriales locales, mais aussi privatisation par l'État des services municipaux, avec dédommagements (selon la jurisprudence), ayant pour résultat une diminution considérable de la propriété municipale;
- Lettonie: augmentation de la propriété municipale;
- Lituanie: augmentation de la propriété municipale à partir de zéro; après le transfert initial des biens de l'État vers les collectivités territoriales locales, aucune évolution significative;
- Pologne: création et augmentation considérable de la propriété municipale, conformément aux compétences considérables des collectivités territoriales locales; privatisation et vente de certains types de biens (logements, terrains, fonds de commerce); dans des cas exceptionnels, transferts des compétences vers l'État, accompagnés d'un transfert des biens municipaux dans le patrimoine de l'État;
- République Tchèque: en 1991, restauration de la propriété municipale et certains transferts des biens de l'État vers les collectivités territoriales locales; l'opinion de l'expert dans le sens d'absence de toute relation de causalité entre l'évolution vers la démocratie et la propriété municipale;
- Roumanie: consécration de la propriété municipale et sa délimitation de la propriété de l'État; augmentation de la propriété municipale par rapport à l'État; diminution de la propriété municipale suite aux privatisations;
- Russie: en 1990, naissance de la propriété municipale; augmentation ultérieure considérable de la propriété municipale, par les biais des transferts des biens de l'État;
- Slovénie: après la constitution des nouvelles collectivités territoriales locales, celles-ci sont devenues les propriétaires des biens des anciennes collectivités, sauf pour les biens correspondants aux tâches de l'État; la propriété actuelle est inférieure à celle des anciennes collectivités locales;
- Ukraine: absence de l'adoption de la loi sur la délimitation de la propriété entre l'État et les collectivités locales; centralisation de certains services publics; privatisation des entreprises locales

92. La diversité de situations ne permet qu'une seule conclusion générale, dans le sens de la reconstitution de la propriété municipale dans le processus de l'évolution vers un régime démocratique, suite à la consécration de l'autonomie locale et de la reconnaissance des structures locales en tant que collectivités territoriales locales, distinctes par rapport à l'État, et disposant de capacité juridique. Il faut réserver le cas d'exception de l'ex-République yougoslave de Macédoine, où les biens municipaux ont été transférés dans la propriété de l'État.

De plus, il faut souligner le cas particulier de l'ex-RDA, qui n'a pas connu une évolution vers la démocratie en tant qu'État indépendant, mais dans le cadre de l'Allemagne, État membre du Conseil de l'Europe et des Communautés (et de l'Union) Européenne(s) depuis longtemps.

VIII.3. La restitution des biens municipaux pris durant le régime communiste vers les anciens (véritables) propriétaires

93. La restitution des biens pris par l'État communiste vers leurs véritables propriétaires concerne en même temps l'État et les collectivités territoriales locales (Allemagne - pour l'ex-RDA -, Bulgarie, Croatie, Estonie, ex-République yougoslave de Macédoine, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne, Roumanie, Slovénie) ou exclusivement l'État, et non pas les collectivités territoriales locales (Albanie). En Russie, la restitution ne concerne pas les personnes physiques, mais - en pratique - les organisations religieuses. En Ukraine (État pour lequel l'expert national indique que le communisme a duré beaucoup plus que dans d'autres États), le processus est très compliqué et très limité.

La restitution des biens municipaux est consacrée par loi et mise en application par les collectivités territoriales locales mêmes (Bulgarie, Croatie, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Roumanie, Slovénie) ou par l'État (ex-République yougoslave de Macédoine). En Russie, l'organe délibératif local est compétent pour décider une restitution. En Allemagne, la restitution est décidée par un accord entre les intéressés, et en cas de litige par la justice. En Pologne, ce sont les tribunaux qui décident.

La restitution des biens municipaux est faite sans aucune indemnisation pour la collectivité territoriale locale de la part de l'État (Allemagne, Croatie, Estonie, Lettonie, Lituanie, Pologne, Roumanie, Russie, Slovénie, Ukraine) ou avec une compensation (ex-République yougoslave de Macédoine, Hongrie).

L'expert au titre de la République Tchèque indique qu'en général, il n'y a pas de problèmes entre l'État et les collectivités territoriales locales, car la propriété municipale est représentée par la propriété historique de 1949, et en cas de litige, c'est la justice qui décide.

94. La conclusion qu'on peut présenter est que la restitution des biens pris par le régime communiste concerne en principe à la fois les biens détenus par l'État et ceux détenus par les collectivités territoriales locales, que ce processus est prévu par la loi et qu'il se déroule en général sans indemnisation pour les collectivités territoriales locales.

Nous considérons juste ce dernier aspect, car il ne s'agit pas des biens acquis et gardés légalement et moralement par la collectivité territoriale locale (ou par son auteur, l'État), donc on ne peut pas parler en réalité d'une véritable "propriété municipale", et la restitution sans indemnisation n'est qu'un acte de réparation vers les véritables propriétaires.

VIII.4. La privatisation de la propriété municipale

95. Selon les réponses des experts nationaux, on peut identifier beaucoup de situation : l'existence d'un processus massif de privatisation (Hongrie); l'existence d'une évolution visible de la privatisation (Pologne, Russie); l'existence d'un processus de privatisation (Slovénie); la privatisation de presque toutes les entreprises commerciales des collectivités territoriales locales (Lettonie); la privatisation significative des logements et des entreprises (Lituanie); la privatisation des entreprises locales et de certains services publics - eau (Ukraine); la privatisation des biens et des services publics (Roumanie); la privatisation possible selon la loi (Bulgarie); pas d'évolutions concernant la privatisation, à l'exception des logements (République Tchèque); pas encore d'évolutions concernant la privatisation, car c'est le transfert des biens de l'État vers les collectivités territoriales locales qui est en cours (Albanie); l'absence d'une évolution concernant la privatisation, mais la préparation de certaines initiatives dans ce domaine (ex-République yougoslave de Macédoine); l'expert affirme n'avoir aucune information (Croatie).

96. La différence significative des situations concrètes peut permettre, pour les PECO, une seule conclusion: le processus de privatisation, suite à l'évolution démocratique de ces États, concerne en premier lieu l'ancienne "propriété socialiste", qui ne peut plus avoir comme propriétaire une personne publique (principalement l'État ou les collectivités territoriales locales), et non pas d'une manière significative générale les biens municipaux "normaux", "classiques", ni les services publics qui les utilisent.

IX. CONCLUSIONS

IX.1. Conclusions générales

97. Par rapport à la situation existante dans les 31 États analysés, selon les réponses données par les experts nationaux les rapporteurs sont amené à faire les constats suivants:

a. dans tous les États (à une seule exception), les collectivités territoriales locales jouissent de la capacité juridique d'être titulaires du droit de propriété municipale;

b. en général, il existe deux systèmes concernant la propriété municipale: les États qui connaissent une seule forme de propriété municipale et les États dans lesquels la propriété municipale est divisée en propriété publique (domaine public) et propriété privée (domaine privé); les États sont partagés, selon ces critères, en deux groupes, presque égaux, avec un avantage numérique pour le système avec une seule forme de propriété municipale;

c. dans tous les États, les formes de la propriété municipale sont les mêmes que les formes de la propriété de l'État, donc il existe une égalité de traitement juridique entre l'État et les collectivités territoriales locales de ce point de vue;

d. les biens municipaux sont soumis soit à un régime juridique unique, soit à un régime juridique mixte (droit public - droit privé)

e. la nature du droit applicable est, à une seule exception, la même pour la propriété des collectivités territoriales locales et pour la propriété de l'État;

f. en général, les collectivités territoriales locales peuvent disposer (du point de vue quantitatif et qualitatif) des biens;

g. les modalités d'acquisition et de mise en valeur des biens municipaux sont diversifiées;

h. en général, les collectivités territoriales locales peuvent constituer des sociétés commerciales et peuvent s'associer avec d'autres collectivités territoriales locales ou d'autres personnes, tout en transférant aux sociétés ou aux associations la propriété ou la gestion de certains biens municipaux;

i. dans certains États, les biens municipaux (ou une partie des biens municipaux) peuvent constituer des garanties réelles, peuvent être soumis à l'exécution forcée et/ou peuvent être aliénés;

j. dans tous les États, les collectivités territoriales locales disposent, le cas échéant, du droit de bénéficier d'expropriation, de réquisition ou/et d'un droit de préemption en leur faveur, pour des buts d'intérêt public, ce droit étant exercé soir par la collectivité territoriale locale concernée (seule ou en collaboration avec une autre personne), soit par un autre sujet de droit;

k. dans certains États, la propriété municipale peut être expropriée et/ou réquisitionnée par l'État, pour des buts d'utilité publique, en général moyennant une indemnisation;

l. en général, les collectivités territoriales locales titulaires exercent pleinement leur droit de propriété municipale ou cette situation représente la règle, accompagnée de certaines exceptions;

m. les organes des collectivités territoriales locales qui exercent les prérogatives du titulaire du droit de propriété municipale sont l’organe représentatif et/ou l'exécutif, le dernier agissant sous la responsabilité de l'organe représentatif;

n. les contrôles sur la propriété municipale prennent une forme de contrôle ordinaire sur les collectivités territoriales locales, ou des formes spéciales de contrôle;

o. la publicité et la transparence en matière de propriété municipale existent soit selon des règles ordinaires concernant l'activité des autorités locales, soit selon des normes spécifiques;

p. dans la majorité des États, les juridictions compétentes en matière de propriété municipale sont les tribunaux civils (ordinaires), mais il existe un certain nombre d'États où un dualisme juridictionnel a lieu, impliquant les tribunaux administratifs et civils;

q. les redevances des biens municipaux constituent des ressources propres des collectivités territoriales locales, soit à caractère fiscal, soit à caractère non-fiscal;

r. il existe une multitude de situations nationales concernant la taxation des biens municipaux;

s. dans certains États, le transfert des compétences de l'État vers les collectivités territoriales locales s'accompagne d'un transfert des biens;

t. dans les anciens États communistes (les PECO), l'évolution vers la démocratie s'est accompagnée, en général, de la naissance, à coté de l'autonomie locale, d'une véritable propriété municipale, soumise, dans la plupart des cas, à un procès ultérieur de privatisation.

IX.2. Recommandations pour l'interprétation de la Charte européenne sur l'autonomie locale

98. Selon l'art. 3 paras. 1er et 2, l'art. 4 paras. 2, 4 et 6, l'art. 8 paras. 2 et 3, l'art. 9 paras. 1er et 3, l'art. 10 para. 1er et l'art. 11 de la Charte européenne de l'autonomie locale, interprétés à la lumière du préambule et du rapport explicatif:

a. l'autonomie locale comporte le droit de collectivités territoriales locales d'être titulaires du droit de propriété municipale, dans le cadre de la loi, pour la réalisation des tâches d'intérêt public local; la capacité juridique des collectivités territoriales locales d'être titulaires du droit de propriété municipale doit être reconnue par la Constitution et/ou la législation nationale;

b. l'existence d'une seule forme ou de deux (voir plusieurs) formes de propriété municipale (publique - privée), l'applicabilité d'un régime juridique unique ou mixte (droit public - droit privé) et la similitude ou la différence par rapport à la situation de la propriété de l'État sont des questions de tradition juridique nationale et la Charte n'impose aucun système particulier;

c. la nature et la quantité des biens municipaux doivent permettre aux collectivités territoriales locales d'accomplir leurs tâches d'intérêt public local, selon la loi;

d. les collectivités territoriales locales doivent disposer des possibilités d'acquisition et de mise en valeur des biens municipaux, selon la loi;

e. les collectivités territoriales ont le droit, dans le cadre de la loi, dans l'exercice de leurs compétences, de s'associer avec d'autres collectivités territoriales locales, pour la réalisation des tâches d'intérêt commun, et de transférer aux associations ainsi constituées la propriété ou la gestion d'une partie des biens municipaux sous contrôle démocratique;

f. les possibilités d'aliénation, de constitution des garanties réelles et d'exécution forcée sur les biens municipaux, là où elles sont reconnues par la loi, ne doivent pas porter atteinte à l'existence générale de la propriété municipale et de l'autonomie locale;

g. les collectivités territoriales locales peuvent disposer, dans le cadre de la loi, des possibilités d'acquisition, de préférence ou d'utiliser des biens des tiers, d'une manière forcée (expropriation, réquisition, préemption, etc.), pour des buts d'utilité publique et dans le respect des principes démocratiques; la décision doit normalement être prise par la collectivité territoriale locale concernée ou en consultation avec celle-ci;

h. l'expropriation des biens municipaux, si elle est permise par la loi, doit être faite pour des buts d'utilité publique et en respectant les principes démocratiques, à savoir, entre autres, moyennant en principe une indemnisation juste et équitable;

i. normalement, les collectivités territoriales locales titulaires du droit de propriété municipale doivent exercer pleinement ce droit, selon la loi, et les exceptions, si elles existent, doivent être prévues par la loi, poursuivre un but légitime, être nécessaires dans une société démocratique (y compris quant à leur proportionnalité) et être en conformité avec le respect du principe de l'autonomie locale, tout en sachant qu'elles sont de stricte interprétation;

j. les prérogatives du titulaire du droit de propriété municipales peuvent être exercées, selon la loi, par l'organe représentatif et/ou par l'organe exécutif, sans préjudice du droit de faire appel à des formes de démocratie directe; l'exécutif doit agir sous la responsabilité de l'assemblée ou du conseil;

k. le contrôle administratif exercé sur la propriété municipale, selon la loi, ne doit en principe concerner que la légalité, et exceptionnellement l'opportunité, en respectant le critère de proportionnalité;

l. dans le respect des règles démocratiques et selon la loi, il faut assurer une transparence de gestion et une publicité réelles en matière de propriété municipale;

m. les collectivités territoriales locales doivent disposer, selon la loi, du droit à un recours juridictionnel, accessible et utile, afin d'assurer la protection de la propriété municipale; les États sont libres à reconnaître la compétence en la matière aux tribunaux civils, administratifs et/ou autres, sous réserve que le tribunal soit indépendant, impartial et établi par la loi;

n. en principe, selon la loi, les collectivités territoriales locales doivent disposer de toutes les redevances des biens municipaux en tant que ressources propres;

o. la taxation des biens municipaux, là où elle existe, ne doit pas être excessive et doit assurer le respect de l'existence réelle de la propriété municipale et de l'autonomie locale, selon la loi;

p. le transfert des nouvelles compétences de l'État vers les collectivités territoriales locales doit s'accompagner, outre le transfert des ressources financières, dans la mesure du possible et selon la loi, d'un transfert des biens, au moins de certains biens affectés aux services publics transférés et nécessaires pour l’exercice des nouvelles compétences.