SESSION DE PRINTEMPS CPL(13)9PART2
La liberté d’expression et d’assemblée pour les lesbiennes, gays, bisexuels et transsexuels
Rapporteur: Veronica SHARKEY, Irlande
Chambre des pouvoirs locaux, groupe politique : GILD
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EXPOSE DES MOTIFS
Résumé du rapport :
Le Congrès est convaincu du rôle central que jouent les pouvoirs locaux dans le respect des droits de leurs citoyens en matière de liberté d’expression et d’assemblée. Par conséquent, il a pris bonne note d’une proposition de résolution sur la liberté d’expression et d’assemblée pour les lesbiennes, gays, bisexuels et transsexuels (LGBT) présentée lors de la 13e Session plénière du Congrès en mai 2006 et soulignant les événements récents au cours desquels les pouvoirs locaux d’un certain nombre d’Etats membres du Conseil de l’Europe ont interdit, ou tenté d’interdire, des rassemblements ou des manifestations pacifiques organisés par des LGBT et leurs alliés.
Le Congrès considère comme essentielle la protection des droits en matière de liberté d’expression et d’assemblée pour garantir la responsabilisation et la réactivité des instances dirigeantes et donc indispensable à la protection de tous les autres droits de l’homme fondamentaux. Ce rapport est donc une réponse à ces événements, il dresse un tableau de la manière dont sont respectés, au niveau local, les droits de la communauté LGBT dans les Etats membres et il contient une série de recommandations relatives à leur mise en oeuvre au niveau local.
Les recommandations du rapport comprennent l’adoption de mesures nécessaires pour lutter contre l’incitation à la haine sur la base des principes énoncés dans la Recommandation R(97)20 du Comité des Ministres, l’effort qui doit être fait pour veiller à ce que les procédures de notification soient aussi peu bureaucratiques que possible, et à ce que la restriction du droit de réunion pacifique ne puisse intervenir qu'en dernier recours (après avoir épuisé tous les autres moyens de parvenir à un accord sur la manifestation), la dispersion d'un rassemblement qu'en dernière limite, l’assurance que les policiers bénéficient de la formation nécessaire aux droits de l'homme et à la non-discrimination et l’application des normes internationales relatives au maintien de l'ordre, en particulier sur l’usage de la force. Il serait également nécessaire de développer les compétences pour régler les litiges par la médiation entre les groupes opposés, d’employer des observateurs indépendants et qualifiés pour rendre compte objectivement des manifestations LGBT, de surveiller les dispositifs de maintien de l'ordre en portant leur attention sur les contre-manifestants ou les lieux sensibles pour vérifier la conformité avec les clauses de tout accord négocié. Les autorités locales sont également encouragées à établir des contacts avec le BIDDH/OSCE afin d'élaborer et de gérer un programme de suivi en rapport avec les manifestations LGBT. Enfin, les gouvernements sont invités à prendre publiquement position contre la discrimination et à enquêter avec rigueur sur tous les cas d’incitation à la haine et à l’homophobie.
Article 11, Convention européenne des droits de l’homme
“1. Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d'association, y compris le droit de fonder avec d'autres des syndicats et de s'affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.
2. L'exercice de ces droits ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. Le présent article n'interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l'exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l'administration de l'Etat.”
Article 21, Pacte international relatif aux droits civils et politiques
Le droit de réunion pacifique est reconnu. L'exercice de ce droit ne peut faire l'objet que des seules restrictions imposées conformément à la loi et qui sont nécessaires dans une société démocratique, dans l'intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l'ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits et les libertés d'autrui.
Article 10, Convention européenne des droits de l’homme
“1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations.
2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire.”
Article 19(2) et (3), Pacte international relatif aux droits civils et politiques
“2. Toute personne a droit à la liberté d'expression; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix.
3. L'exercice des libertés prévues au paragraphe 2 du présent article comporte des devoirs spéciaux et des responsabilités spéciales. Il peut en conséquence être soumis à certaines restrictions qui doivent toutefois être expressément fixées par la loi et qui sont nécessaires :
a. Au respect des droits ou de la réputation d'autrui ;
b. A la sauvegarde de la sécurité nationale, de l'ordre public, de la santé ou de la moralité publiques.”
SOMMAIRE
A. Introduction
B. Vue d’ensemble du droit à la liberté de réunion et d’expression dans les États membres du Conseil de l'Europe
1. Interdiction des parades de la fierté homosexuelle et motifs invoqués par les autorités de régulation
2. Obligation positive des États de protéger le droit de réunion pacifique et incapacité de la police à assurer une protection efficace contre les groupes d’opposants
3. Restrictions imposées en raison du non-respect des exigences de notification et dispersion injustifiée des manifestations techniquement illégales
4. Obligation pour les organisateurs de mettre en place leur propres services de sécurité et de prendre en charge les frais de nettoyage après la manifestation
5. Arrêts des tribunaux liés à la liberté de réunion
6. Questions ayant trait à l’exigence de non-discrimination
7. Questions ayant trait spécifiquement à la liberté d’expression
8. Usage par des fonctionnaires d’un langage incendiaire, homophobe ou désobligeant
9. Bonnes pratiques
C. Conclusions et recommandations pour action au plan local
A. Introduction1
Les États membres du Conseil de l'Europe portent une attention grandissante à l’exercice des droits à la liberté d’expression et de réunion par les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transsexuelles (LGBT).2
Plusieurs manifestations ont ainsi été organisées dans ce contexte. Les événements, résolutions et publications suivantes en témoignent :
· Une manifestation (animée par ILGA-Europe) a eu lieu en marge de la réunion de mise en œuvre des dimensions humaines de l’OSCE en octobre 2004. Elle soulignait le problème des restrictions disproportionnées et du maintien de l’ordre inapproprié lors de parades de la fierté homosexuelle dans un certain nombre de pays européens.3 Un groupe d’experts de l’OSCE/BIDDH élabore actuellement un ensemble exhaustif de « lignes directrices sur la liberté de réunion ».
· Dans une résolution sur « Homophobie en Europe » (18 janvier 2006), le Parlement européen a appelé les États membres à veiller à ce que les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et « transgenres » soient protégées des propos haineux et des violences à caractère homophobe. La Résolution a relevé une série d’événements préoccupants, depuis l'interdiction de parades gays ou de marches pour l'égalité jusqu'à l'utilisation d'un langage incendiaire, menaçant ou haineux par des dirigeants politiques et chefs religieux, en passant par l'incapacité de la police à assurer une protection adéquate et dispersant des manifestations pacifiques, mais aussi des démonstrations de violence par des groupes homophobes ;4
· En février 2006, une motion a été déposée devant l’Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, proposant la compilation d’un rapport avec les recommandations sur le droit à la liberté de réunion et d’expression pour les personnes LGBT ;5
· En mars 2006, Giovanni di Stasi, Président du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe a écrit au maire de Moscou, lui demandant de réexaminer sa décision d’interdire la parade de la fierté homosexuelle dans sa ville ;6
· En juin 2006, ILGA-Europe a publié « Handbook on Observations of Pride Marches »;7 Le même mois, la Conférence Prides Against Prejudice (les Gay Prides contre les discriminations) lors de l’EuroPride 2006 à Londres a porté sur l’organisation de manifestations LGBT dans un environnement hostile ;8
· En juillet 2006, la Conférence internationale sur les droits humains des LGBT s’est tenue à Montréal. La Déclaration de Montréal énonce que « Dans un certain nombre de pays, des groupes LGBT de défense des droits, tout comme des individus, font face à un blocage systématique par les autorités publiques de leurs droits à la libre expression, d’assemblée et d’association. Les parades gaies sont interdites, les journalistes sont emprisonnés, les clubs sont fermées et des ONG ne sont pas reconnues. Sans le droit essentiel pour les organisations non-gourvernementales LGBT de faire sans restrictions et discrimination, il peut devenir impossible de faire campagne en faveur de la réforme des lois discriminatoires. Les militants LGBT ont le droit d’être protégés et appuyés, tout comme celui de s’exprimer sans peur et sans rétorsion, exactement comme tous les autres êtres humains ».’9
· Toujours en juillet 2006, Thomas Hammarberg, Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, a déclaré que « Les Gay Prides doivent être autorisées et protégées ».10
· ILGA-Europe a publié « Prides Against Prejudice Toolkit for Pride Organising in a Hostile Environment » en septembre 2006 ;11
Les mouvements visant à interdire les rassemblements publics des personnes LGBT deviennent courants dans les nouvelles démocraties d’Europe orientale. Cherchant à dénier à ces personnes le droit d’assurer leur visibilité et de se réunir pacifiquement, ils menacent non seulement les manifestations publiques, mais aussi les libertés démocratiques.’12 Ces restrictions ont une incidence directe sur la visibilité de la communauté LGBT (un facteur clé pour commencer à changer les attitudes) et, comme l’énonce la déclaration de Montréal, peut rendre impossible de faire campagne en faveur de la réforme des lois discriminatoires.
Dans beaucoup de pays, les campagnes LGBT ont été axées sur la dépénalisation des relations homosexuelles. Même si certaines de ces campagnes ont été couronnées de succès, l’hostilité envers les personnes LGBT persiste. Cet héritage de discrimination systématique jette à l’évidence un froid sur la liberté de réunion et d’expression. Ainsi, la peur que l’exercice du droit de se réunir en public mène à une escalade des tensions homophobes a parfois conduit des groupes LGBT à prendre leurs distances par rapport aux manifestations.13
La régulation du droit d’expression et de réunion est un baromètre permettant de juger du degré d’hostilité envers la communauté LGBT dans les États membres du Conseil de l'Europe. Dans certains cas, cette régulation reflète une approche systématiquement restrictive de l’expression publique de toutes les minorités et des opinions dissidentes. Dans d’autres circonstances, les restrictions visent plus particulièrement les groupes LGBT.
Souvent, ce n’est pas le texte de loi qui pose problème, mais sa mise en œuvre. La défense les droits à la liberté d’expression et de réunion impose des obligations positives aux autorités de régulation. Dans plusieurs villes, cependant, les autorités n’ont pas été capables de protéger ceux qui exercent pacifiquement leurs droits contre une opposition violente. Néanmoins, dans bien d’autres villes, les autorités locales ont accepté la célébration de l’identité LGBT, et ont même joué un rôle actif de soutien dans la promotion et la gestion des manifestations LGBT. Parfois, cet élan de libéralisation peut être mu par le processus d’adhésion à l’UE, et notamment par l’impératif de conformité aux critères politiques de Copenhague de 1993 pour l’adhésion à l’Union européenne,14 y compris « le respect et la protection des droits des minorités ».’15 Dans les pays en transition vers des formes plus démocratiques de gouvernance, la défense et la protection de la liberté de réunion et d’expression pour les personnes LGBT est un test décisif du niveau de progrès atteint.
La protection ou les droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique pour la communauté LGBT établissent un lien entre des thèmes qui ont été au cœur des travaux du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux (dont la cohésion sociale, la police locale, la promotion de la tolérance, l’approche intégrée de l’égalité et la protection des groupes vulnérables). Les autorités locales sont des acteurs clés du cadre de régulation – les autorités publiques doivent agir de manière progressive, en pleine cohérence avec les obligations qui sont les leurs en vertu des normes internationales et régionales en matière de droits de l’homme.
Ce rapport décrit ces normes dans la mesure où elles ont trait à la liberté de réunion et d’expression et détaille leur interprétation par les organes de suivi respectifs. Il livre également des exemples de pratique relatifs au rôle des autorités locales dans la régulation de l’exercice de ces droits.
B. Vue d’ensemble du droit à la liberté de réunion et d’expression dans les États membres du Conseil de l'Europe
Cette vue d’ensemble de l’exercice du droit d’expression et de réunion dans les États membres du Conseil de l'Europe repose largement sur des rapports d’information et la documentation juridique. Elle a pour but d’identifier les questions essentielles relatives à la régulation par les autorités locales de la liberté de réunion et d’expression concernant les personnes LGBT. Il ne s’agit pas d’un état des lieux exhaustif, mais plutôt d’une cartographie des principaux domaines thématiques de préoccupation. Compte tenu du fait que le droit à la liberté de réunion est logiquement indissociable de celui à la liberté d’expression,16 ce chapitre, dans son ensemble, traite de l’expression publique des identités LGBT.
Les principaux domaines thématiques de préoccupation peuvent être classés comme suit :
o Interdiction des parades de la fierté homosexuelle et motifs invoqués par les autorités de régulation
o Obligation positive des États de protéger le droit de réunion pacifique et incapacité de la police à assurer une protection efficace contre les groupes d’opposants
o Restrictions imposées en raison du non-respect des exigences de notification et dispersion injustifiée des manifestations techniquement illégales
o Obligation pour les organisateurs de mettre en place leurs propres services de sécurité et de prendre en charge les frais de nettoyage après la manifestation
o Arrêts des tribunaux liés à la liberté de réunion
o Questions ayant trait à l’exigence de non-discrimination
o Questions ayant trait spécifiquement à la liberté d’expression
o Usage par des fonctionnaires d’un langage incendiaire, homophobe ou désobligeant
Le reste de ce rapport est structuré autour de ces thèmes, les sections principales étant préfacées d’une vue d’ensemble de la jurisprudence pertinente. Cette démarche nous permettra de mettre en lumière les principes clés en jeu et livrera aux autorités locales et régionales une orientation spécifique pour la régulation de ces libertés fondamentales. La Partie 2 se termine par une section consacrée à quelques exemples de bonnes pratiques.
1. Interdiction des parades de la fierté homosexuelle et motifs invoqués par les autorités de régulation
La liberté de réunion pacifique ne couvre pas seulement les réunions statiques mais aussi les défilés publics.17 Par contre, elle ne protège pas un droit de passer et repasser dans des lieux publics ou de se rassembler à des fins purement sociales n’importe où.18
La Cour européenne des droits de l’homme a souvent statué que la liberté d’expression et de réunion pacifique vaut non seulement pour les informations ou idées accueillies avec faveur, considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent. « Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de société démocratique ».’19 Dans l’affaire Plattform « Ärzte für das Leben » c. Autriche (1988), la Cour a estimé que
« [a] il arrive à une manifestation donnée de heurter ou mécontenter des éléments hostiles aux idées ou revendications qu’elle veut promouvoir. »
La Cour a également jugé que « dans une démocratie, le droit de contre-manifester ne saurait aller jusqu’à paralyser l’exercice du droit de manifester. » Dans l’affaire Christians Against Racism and Fascism c. RU (1980), il a été estimé que « la possibilité de contre-manifestations violentes, ou celle que des extrémistes aux intentions violentes non membres de l’association organisatrice se joignent à la manifestation, ne peuvent, comme telles, supprimer ce droit. Même s’il existe un risque réel qu’un défilé public soit à l’origine de troubles par suite d’événements échappant au contrôle des organisateurs, ce défilé ne sort pas pour cette seule raison du champ de l’application de l’article 11.1. »
Plus récemment, dans l’affaire Ziliberberg c. Moldova (2004), la Cour note qu’un individu ne cesse pas de jouir du droit de réunion pacifique suite à des violences sporadiques ou d’autres actes répréhensibles commis par d’autres au cours d’une manifestation, si l’individu en question est resté pacifique dans ses intentions et son comportement. Ceci est en parfaite cohérence avec l’arrêt antérieur de la Cour dans l’affaire Ezelin c. France (1991) qui a estimé qu’une personne ne saurait être soumise à des restrictions si elle n’a pas elle-même agi de manière répréhensible.
Dans l’affaire Eugen Schmidberger, Internationale Transporte und Planzuge c. Autriche (2003), la Cour européenne de Justice a estimé que le fait d’autoriser une manifestation qui a bloqué pendant 30 heures l’autoroute du Brenner entre l’Allemagne et l’Italie n’était pas une restriction disproportionnée à la libre circulation des biens. Pour le moins, cette affaire renforce l’idée qu’une interruption du trafic est une conséquence normale et parfaitement prévisible de la protection du droit de réunion pacifique. Ainsi, de simples préoccupations quant à d’éventuelles interruptions de la circulation ne doivent pas être invoquées pour imposer des restrictions lourdes aux réunions pacifiques.
Outre l’Article 11 de la CEDH et l’Article 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, l’Article 15 de la Convention relative aux droits de l’enfant impose aux États parties de reconnaître le droit des enfants à la liberté de réunion pacifique. L’Article 7 de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales du Conseil de l'Europe garantit également « à toute personne appartenant à une minorité nationale le respect des droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d'association, à la liberté d'expression et à la liberté de pensée, de conscience et de religion. »
Étant donné que la liberté de réunion peut être aussi bien exercée par des individus que par des organes constitués,20 l’exercice des droits de réunion et d’expression ne doit pas être soumis à un enregistrement préalable d’une organisation ou d’une association. Une exigence aussi lourde s’apparente à une forme radicale de restriction préalable et ne doit pas être employée comme un mécanisme permettant d’exclure les enfants et les jeunes de toute participation à des manifestations LGBT.
L’Article 17 de la CEDH, l’Article 5 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,21 et l’Article 54, de la Charte des droits fondamentaux de l’UE stipulent que les activités ou les comportements visant à la destruction (ou à une limitation plus ample que celle prévues) de ces droits des autres ne sont pas protégés.
L’intérêt de la sécurité nationale et la prévention des troubles et de la criminalité
Dans les villes de Varsovie et de Poznan en Pologne, les parades de la fierté homosexuelle ont été interdites par les autorités locales par crainte d’éventuels troubles. A Varsovie en 2004 et 2005, le maire a interdit des manifestations LGBT. En 2004, le maire a invoqué l’éventualité de violences, la date de la marche (le lendemain de la Fête-Dieu), et le trajet prévu (qui était le même que celui de la plus importante procession de la Fête-Dieu).22 Le 3 juin 2005, le maire a déclaré avoir reçu plusieurs autres demandes d’autorisation de rassemblement pour le 11 juin 2005 de la part de groupes d’opposants à la Parade pour l’égalité 2005. Selon lui, autoriser le déroulement de cette dernière aurait pu conduire à une confrontation dangereuse entre les divers groupes.23 De même, le maire de la ville de Poznan a interdit la marche pour l’égalité de novembre 2005, invoquant des raisons de sécurité. Une année auparavant, un événement légal similaire avait donné lieu à des émeutes orchestrées par des activistes d’extrême droite.24
En Lettonie en 2006, le Conseil municipal de Riga a refusé l’autorisation de la Riga Pride, prévue le 22 juillet, déclarant avoir reçu des informations faisant état de menaces de violences à l'égard des participants si la manifestation était autorisée et l'incertitude de la police à pouvoir garantir l'ordre et la sécurité.25 Cette décision (contrairement à celle de 2005 qui reposait sur des motifs « moraux », voir ci-dessous) était fondée sur les craintes selon lesquelles la manifestation constituerait une menace sérieuse à la sécurité nationale.26 Les autorités lettones auraient indiqué que l’événement était « le plus grand risque pour la sécurité » depuis l’indépendance de la Lettonie vis à vis de l’URSS.27 Le ministre de l’Intérieur a déclaré que des organisations radicales pourraient utiliser l’événement pour se livrer à des provocations et que des troubles spontanés pourraient éclater dans la ville en raison des sentiments négatifs ressentis par la société.28 Les responsables de la ville et de la police ont également signalé la présence d’une centaine d’opposants à la marche, rassemblés devant les bâtiments du Conseil municipal le 20 juillet, ainsi que l’existence d’une pétition de près de 17.000 signatures contre la marche.29 En réponse, Amnesty International a souligné que les responsables du maintien de l'ordre en Lettonie ont été en mesure d'assurer la sécurité des participants à des événements de même ampleur, voir plus importants en termes de participation, comme la Coupe du monde des championnats de hockey sur glace en 2006.30
De même, les autorités municipales de Chisinau, en Moldova, ont refusé d’autoriser la parade de la fierté homosexuelle à Chisinau le 28 avril 2006, au motif que des groupes religieux avaient annoncé leur intention de protester et qu’elles avaient reçu des lettres de contestation de la part d’habitants de la ville.31 Une manifestation pacifique (prévue le 5 mai 2006) soutenant l’adoption d’une législation anti-discrimination pour les minorités sexuelles a également été interdite. Cette manifestation devait avoir lieu le 5 mai 2006 devant le Parlement moldave dans le cadre du cinquième festival LGBT moldave, organisé par le centre d’information GenderDoc-M. Dans la lettre de refus, le Maire par intérim de la ville motivait sa décision par la volonté d’éviter tout danger pour l’ordre public.
Les responsables de la ville de Moscou ont également exposé leurs craintes d’actes de violence pour justifier l’interdiction de la parade de la fierté homosexuelle de 2006 (ils ont affirmé ne pas être en mesure d’assurer la sécurité des participants). Ils ont par ailleurs avancé le fait que la parade bloquerait la circulation.32 De fortes pressions internationales ont été exercées pour faire revenir les autorités moscovites sur leur décision,33 mais l’interdiction a été maintenue (puis confirmée par un arrêt du tribunal de district de Tverskoi le 26 mai, voir ci-dessous). Les organisateurs de la manifestation ont proposé une solution de remplacement – un rassemblement sur la place Lubyanka – mais elle a également été refusée (au motif que les manifestants pourraient provoquer le mécontentement du public, compte tenu des nombreuses lettres demandant l’interdiction de l’événement émanant du gouvernement et des responsables parlementaires, des confessions religieuses et de citoyens individuels.)34
Il convient de noter que si l’objectif annoncé des contre-manifestants est d’empêcher la tenue de la manifestation d’origine, la destruction des droits (Article 17 de la CEDH et Article 5 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques) sera engagée. Si certaines juridictions peuvent légitimement adopter une approche du type « premier arrivé, premier servi » dans le cadre des notifications d’événements prévus à la même date et au même endroit,35 il devrait être interdit aux groupes d’opposants aux manifestations LGBT d’exploiter cette procédure si leur seul objectif est de faire obstacle à la jouissance des mêmes droits par d’autres.
Par ailleurs, compte tenu de l’hostilité envers les personnes LGBT dans certains pays, notamment ceux qui n’ont pas d’antécédents établis de marches de la fierté homosexuelle, les personnes LGBT sont parfois réticentes à participer ouvertement à des manifestations publiques. C’est pourquoi certains ont envisagé de garder l’anonymat en portant des masques. Lors de la première Gay Pride de Varsovie en 1998, par exemple, un petit nombre de personnes masquées s’est réuni. De même, les participants à une parade de la fierté homosexuelle prévue le 5 septembre 2005 dans la ville de Tyumen en Sibérie occidentale, auraient décidé de porter des masques pour éviter les éventuelles représailles.36 Compte tenu des possibilités suffisantes d’ingérence de la part de la police dans le déroulement des réunions, pour arrêter toute personne qui menacerait l’ordre public, aucune obligation ne devrait imposer aux participants armés d’intentions pacifiques de rester à visage découvert. Là encore, une décision du tribunal constitutionnel polonais offre une orientation précieuse sur cette question:37
L’interdiction de participer à des réunions faite aux personnes, « dont l’aspect extérieur empêche leur identification », constituerait une restriction de la liberté de participer à des réunions qui n’est pas nécessaire afin d’en garantir le déroulement pacifique. Ladite restriction ne concernerait pas que les personnes déguisées à dessein, dont le type vestimentaire pourrait signaler un comportement agressif et une éventuelle menace pour les valeurs constitutionnelles exprimées à l’article 31 al. 3. L’interdiction de participation concernerait également les personnes qu’il serait impossible d’identifier, soit en raison de circonstances naturelles, soit en raison d’un déguisement, certes volontaire, mais en tant que moyen d’expression d’une opinion définie eu égard à un problème, à une situation ou à un fait quelconque, ne signalant pas un comportement agressif et une éventuelle menace pour le caractère pacifique de la réunion. A l’égard de telles personnes, l’interdiction de participer à des réunions constituerait une ingérence excessive évidente dans le champ de la liberté constitutionnelle de participer à des réunions publiques. Étant donné également que la loi du 6 avril 1990 sur la Police offre des possibilités suffisantes d’ingérence de la part de la police dans le déroulement des réunions, en cas de menace pour leur caractère pacifique, dont la possibilité d’établir l’identité des personnes participant aux réunions, une restriction de la liberté de réunion consistant en une restriction de la possibilité d’y participer de façon anonyme n’est pas nécessaire.
La protection de la santé ou de la moralité
Dans Ezelin c. France (1991), la Commission européenne a jugé qu’« une condamnation disciplinaire fondée sur l’impression que pouvait faire naître le comportement du requérant ne cadre pas avec l’exigence stricte d’un « besoin social impérieux ». »38 Dans sa décision de 1994 dans l’affaire Toonen c. Australie, le Comité des droits de l’homme a déclaré qu’il ne pouvait « pas accepter l’idée que les questions de morale sont exclusivement du ressort interne ». Dans sa décision dans l’affaire Norris c. Irlande (1988), la Cour européenne des droits de l’homme a estimé que les mesures poursuivant le but de protéger la morale devaient objectivement « répondre à un besoin social impérieux et notamment respecter le principe de proportionnalité ».
Dans une décision hautement importante du Tribunal constitutionnel polonais (prise après l’interdiction par les autorités de la ville de la Parade pour l’Égalité 2005 à Varsovie)39 l’interprétation de la « moralité »en tant que motif pour imposer des restrictions à la liberté de réunion et d’expression a été clarifiée :
La conception qu’ont les détenteurs du pouvoir politique de la moralité n’est pas synonyme de « moralité publique » en tant que motif de limitation de la liberté de réunion... Les instances de l’autorité publique ont obligation d’assurer la protection des groupes qui organisent et participent à des manifestations, indépendamment du degré de controverse suscité par les idées et opinions exprimées publiquement, dans la mesure où les interdictions légales n’ont pas été transgressées.40
Alors que la décision du Conseil municipal de Riga de refuser l’autorisation, pour des « motifs moraux », de la première Riga Pride, en Lettonie (22 juillet 2005) a été annulée par le Tribunal administratif de la ville,41 certaines autorités locales continuent d’avancer de tels motifs pour imposer aux manifestations LGBT des restrictions fondées sur le contenu. A Moscou, par exemple, le maire a interdit aux militants gays d’organiser une parade dans le centre ville le 27 mai 2006, arguant qu’une telle manifestation était moralement « inadmissible » car les personnes ne pouvaient pas afficher en public leurs modes de vie et déviances sexuelles).42 La veille de l’événement, le tribunal de première instance a confirmé l’interdiction décrétée par les autorités, se référant à la clause de moralité de l’Article 11(2) de la CEDH.
Deux autres exemples de restrictions imposées à des événements sans rapport avec des parades de la fierté homosexuelle en raison de la participation de groupes ou de personnes LGBT sont étroitement liés à ces restrictions d’ordre moral. D’abord, en juillet 2001, les autorités moscovites ont interdit la « Love-Parade » parce que le maire était d’avis que de telles actions provoquaient l’indignation de la plupart des habitants de Moscou en promouvant la débauche et en tentant d’imposer des normes de comportement inacceptables, contraires aux valeurs morales traditionnelles de la majorité des Russes et aux canons des principales religions pratiquées à Moscou.43 Les organisateurs de la Love Parade moscovite ont souligné que cet événement n’était pas une marche de la fierté homosexuelle mais qu’il se voulait, en dépit de la participation d’un groupe LGBT distinct, un festival international de la jeunesse consacré à la musique électronique moderne (regroupant des participants tant hétérosexuels que LGBT).44 Deuxièmement, à Chisinau, Moldova, le 31 août 2006, une action de collecte de signatures organisée par Amnesty International Moldavie en partenariat avec d'autres ONG, dans le cadre de la campagne Halte à la violence contre les femmes, a été interrompue par des policiers qui tentaient d'empêcher l'organisation GenderDoc-M de déployer sa bannière. Les policiers ont déclaré que GenderDoc-M faisait de la propagande en faveur d'un style de vie homosexuel et que l'organisation n'avait pas été officiellement citée comme participant à l’événement.45
Il est important de noter que si les exemples ci-dessus ont trait à des restrictions imposées directement à la liberté de réunion pour des motifs prétendument moraux, les libertés de réunion et d’expression sont directement touchées lorsque les autorités de régulation refusent d’enregistrer une association ou une organisation. En Turquie, par exemple, l’interdiction des associations Lambdaistanbul et Bursa Rainbow était fondée sur les Articles 56 et 60 du Code civil turc qui interdisent la création d’une organisation contraire aux lois et aux règles morales. De la même manière, en Hongrie (bien qu’en 1994) la Haute Cour a rejeté la demande d’enregistrement de l’Union arc-en-ciel pour les droits des gays [Szivárvány Társulás a Melegek Jogaiért]. L’adhésion à cette association était ouverte aux jeunes de moins de 18 ans. La Cour Constitutionnelle a déclaré que l’Etat, en vertu de son devoir constitutionnel de prendre soin des jeunes citoyens, était en droit de prévenir leur adhésion à des organisations susceptibles de mettre en danger leur développement.46
2. Obligation positive des États de protéger le droit de réunion pacifique et incapacité de la police à assurer une protection efficace contre les groupes d’opposants
Dans l’affaire Plattform « Ärzte für das Leben » c. Autriche (1988), la Cour européenne des droits de l’homme a souligné l’obligation positive des États de prendre des mesures raisonnables et appropriées pour permettre le déroulement de manifestations légales sans que les participants aient à redouter des brutalités de la part de leurs adversaires. Dans l’éventualité de violences graves, l’Article 2 de la CEDH (doit à la vie) peut également être engagé.
Dans l’affaire Osman c. RU(1998), il a été estimé que l’Etat avait l’obligation positive de protéger le droit à la vie. Pour un requérant alléguant une violation de l’Article 2 de la CEDH, il suffit de montrer que les autorités n’ont pas fait tout ce que l’on pouvait raisonnablement attendre d’elles pour empêcher la matérialisation d’un risque certain et immédiat pour la vie.
Compte tenu de la décision de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Ziliberberg c. Moldova, qui a jugé que ni des violences sporadiques ni des actes violents commis par d’autres au cours d’une manifestation ne doivent servir à restreindre les droits de ceux qui se réunissent pacifiquement (voir ci-dessus), les membres des forces de l’ordre ne doivent pas traiter une foule comme une entité homogène. Cette approche peut être particulièrement pertinente pour l’arrestation/détention des manifestants ou la dispersion d’un rassemblement.
Le Code européen d’éthique de la police (2001) du Conseil de l'Europe définit les principes de meilleures pratiques pour les gouvernements des États membres dans la préparation de leur législation interne, de leurs pratiques et codes de conduite de la police. Le Code stipule que « dans l’accomplissement de sa mission, la police doit toujours garder à l’esprit les droits fondamentaux de chacun, tels que la liberté de pensée, de conscience, de religion, d’expression, de réunion pacifique, de circulation et le droit au respect de ses biens ». Par ailleurs, le commentaire qui accompagne le Code établit clairement que le rôle de la police va au-delà de la simple reconnaissance de ces droits et inclut leur protection positive - faute de quoi « la démocratie ne serait qu’une notion vide de tout contenu concret. »
Les Principes de base sur le recours à la force et l'utilisation des armes à feu par les responsables de l'application des lois, des Nations Unies, stipulent que « les responsables de l'application des lois doivent s'efforcer de disperser les rassemblements illégaux mais non violents sans recourir à la force et, lorsque cela n'est pas possible, limiter l'emploi de la force au minimum nécessaire ».47 Ils énoncent par ailleurs que « les responsables de l'application des lois ne peuvent utiliser des armes à feu pour disperser les rassemblements violents que s'il n'est pas possible d'avoir recours à des moyens moins dangereux, et seulement dans les limites du minimum nécessaire. Les responsables de l'application des lois ne doivent pas utiliser d'armes à feu en pareils cas, sauf dans les conditions stipulées dans le principe 9 ».48
Selon le Principe 9, « Les responsables de l'application des lois ne doivent pas faire usage d'armes à feu contre des personnes, sauf en cas de légitime défense ou pour défendre des tiers contre une menace imminente de mort ou de blessure grave, ou pour prévenir une infraction particulièrement grave mettant sérieusement en danger des vies humaines, ou pour procéder à l'arrestation d'une personne présentant un tel risque et résistant à leur autorité, ou l'empêcher de s'échapper, et seulement lorsque des mesures moins extrêmes sont insuffisantes pour atteindre ces objectifs. Quoi qu'il en soit, ils ne recourront intentionnellement à l'usage meurtrier d'armes à feu que si cela est absolument inévitable pour protéger des vies humaines ».
La marche de la fierté homosexuelle de Belgrade, Serbie le 30 juin 2001 a marqué un tournant décisif dans les manifestations LGBT en Europe orientale.49 Cette première Gay Pride organisée en Serbie a été violemment attaquée par des contre-manifestants. Plusieurs participants ont été sérieusement blessés et au final, la fête n’a pu avoir lieu. Près de trente contre-manifestants ont été arrêtés, mais aucun n’a été poursuivi en justice. Depuis lors, aucune manifestation LGBT ne s’est tenue à Belgrade. Bien que cette parade ait été enregistrée par la police conformément à la loi, les forces de l’ordre n’étaient pas équipées pour en protéger les participants :
La fête a été empêchée d’avoir lieu par une contre-manifestation de quelque 800 personnes (principalement des hommes) qui comprenait des groupes appartenant à des organisations nationalistes connues. En criant des menaces homophobes, cette foule a lancé une série d’agressions violentes sur les participants de la Gay Pride, et s’est aussi attaquée à des spectateurs, à des journalistes et à la police en se servant de ses poings, de bouteilles, de pierres et de matraques. Une conférence de presse programmée n’a pas pu avoir lieu à cause de plusieurs attaques et de nouvelles menaces à l’encontre de plusieurs gays et lesbiennes qui essayaient d’assister à la réunion. Quarante civils et huit agents de police auraient été blessés50
La première « Marche pour la tolérance » à Cracovie s’est déroulée en mai 2004. Des contre-manifestants ont bloqué l’itinéraire en divers endroits, obligeant la police à détourner la marche. Les rapports font état de tracts et d’affiches déclarant « Chassons les homosexuels de Cracovie ». Certains organisateurs ont reçu des lettres de menace indiquant « Montrez-vous dans la vieille ville et vous mourrez ». La situation se détériorant de plus en plus, la police et les organisateurs ont convenu qu’il valait mieux appeler les participants à se disperser. Néanmoins, de petits groupes de participants ont ensuite été pourchassés par des contre-manifestants vers la vieille ville et des violences ont éclaté dans le parc, obligeant la police à tirer en l’air pour tenter de ramener le calme.51 Suite à ces violences, la Marche pour l’égalité et la tolérance 2005 a été interdite.52 L’année suivante, en avril 2006, des contre-manifestants ont jeté des pierres et des œufs sur les participants à la Marche pour la tolérance de Cracovie.53
En dépit de l’interdiction de la Gay Pride de Moscou en mai 2006 (voir ci-dessous), les militants LGBT ont tenté d’organiser deux manifestations de protestation le 27 mai – l’une pour déposer des fleurs sur la tombe du soldat inconnu près de l’enceinte du Kremlin,54 et l’autre sous la forme d’un rassemblement devant les bureaux du maire pour réclamer la liberté de réunion et d’expression. Dans les deux cas, les manifestants anti-gays ont physiquement agressé les participants (dont un membre du Parlement allemand) scandant des slogans tels que « Les pédés, hors de Russie ! » et « Moscou n’est pas Sodome ! » 55
A chaque fois, la police a d’abord fait mine de laisser les skinheads et d’autres agresser les lesbiennes et gays. Quand elle est enfin intervenue, la police a rapproché davantage les deux groupes, aggravant encore les violences. Les forces de l’ordre se sont montrées totalement incapables de protéger les personnes qui tentaient d’exercer pacifiquement leurs droits.56
Les événements de cette journée sont repris dans un document d’information de Human Rights Watch intitulé « Pride and Violence ».57 Les défenseurs des droits des homosexuels ont également été victimes d’agressions devant le bureau du maire, auquel ils espéraient remettre une lettre de protestation contre l’interdiction de la marche de la fierté homosexuelle.58 Plusieurs dizaines de protestataires homophobes ont été arrêtés puis libérés.59
Le Réseau d’experts indépendants en matière de droits fondamentaux de l’UE a noté que le 19 novembre 2005 à Poznan, « la police n'a pas réagi aux slogans des manifestants anti-gay, qui ont crié des slogans tels que « Les gays dans les chambres à gaz! » et « Les gouines à Auschwitz ». ».60
A Riga, Lettonie, la police a dérouté la marche de la fierté homosexuelle 2005 (la première Gay Pride organisée dans la capitale lettone) lorsque les quelques dizaines de participants ont été rattrapés par des centaines d’opposants qui bloquaient les rues.61 En 2006, les participants à deux rassemblements (dans une église anglicane et un hôtel) organisés en remplacement de la parade interdite à Riga ont été bombardés d’excréments humains, d’œufs et d’aliments avariés alors qu’ils quittaient les lieux.62 La police a arrêté 14 personnes (dont 13 ont été interpellées pour des motifs relevant du droit administratif et une personne pour des motifs relevant du droit pénal).63 Il a été rapporté que la police avait refusé d’aider les personnes demandant sa protection en quittant l’église et que la présence policière était insuffisante pour garantir la sécurité des participants.64 Amnesty International et Human Rights Watch ont tous deux mis en avant l’incapacité de la police et des autorités lettones à protéger la sécurité physique, la liberté d’expression et la liberté de réunion de la communauté LGBT au cours de la « Riga Pride 2006 »65
A Tallinn, Estonie, en août 2006, des opposants ont attaqué les participants à la marche de la fierté homosexuelle, faisant plus d’une dizaine de blessés (l’un a dû être hospitalisé pour des blessures à la tête).66 Le Parquet a déclaré que des appels à la violence et à des agressions physiques, ainsi que des déclarations discriminatoires, ont été proférés à l’encontre des participants à la parade.67 Il s’agissait de la troisième parade et festival LGBT de Tallinn – les deux événements précédents n’ayant donné lieu à aucun trouble. Des rapports laissent entendre que si la police s’est montrée coopérative (et a correctement géré une fausse alerte à la bombe déclenchée préalablement à la marche),68 les autorités estoniennes avaient prévu un nombre insuffisant de policiers pour protéger les participants à la marche des fiertés et ceux qui étaient présents n'étaient pas assez identifiables pour avoir un effet dissuasif.69
La première manifestation LGBT en Turquie, « Homosexuals do have Associations » aurait dû avoir lieu à Bursa le 6 août 2006 pour protester contre l’interdiction des associations « Lambdaistanbul » et « Bursa Rainbow », ainsi que celle du magazine « Kaos GL ». La police a donné l’ordre aux manifestants de rester dans le bureau de l’association Gokkusagi (Arc-en-ciel) jusqu’à ce que les opposants (qui jetaient des pierres sur le bâtiment) aient été dispersés. Néanmoins, lorsque les opposants se sont aperçus du report pur et simple de l’événement, ils sont revenus sur place contraignant la police à empêcher la marche. Les organisateurs ont affirmé que la police n’avait pas pris les mesures adéquates pour assurer le bon déroulement de la marche face aux opposants.70
En 2005, à Bucarest, Roumanie, la police a affronté une douzaine de manifestants anti-gay qui se dirigeaient vers la première marche organisée en Roumanie.71 La seconde Gay Pride, qui s’est déroulée au cours de la semaine GayFest le 3 juin 2006, a également été marquée par des violences, faisant une dizaine de blessés et conduisant à plus de cinquante arrestations. La police a fait usage de gaz lacrymogènes pour empêcher les opposants de lancer des œufs, des bouteilles et autres projectiles sur les participants à la parade.72
3. Restrictions imposées en raison du non-respect des exigences de notification et dispersion injustifiée des manifestations techniquement illégales
L’absence de notification auprès des services de police de l'organisation d'une réunion ne devrait pas, en soi, entraîner de restrictions pour une réunion pacifique. Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a considéré que l'obligation d'avertir la police, tout en étant une restriction de facto de la liberté de réunion, peut néanmoins faire partie des restrictions tolérées par l'article 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. 73
De même, s’agissant des réunions sur la voie publique, la Commission européenne des droits de l’homme a déclaré dans l’affaire Rassemblement Jurassien (1979) que « le fait de les soumettre à une procédure d’autorisation ne porte pas atteinte en principe à l’essence du droit. Une telle procédure est conforme au prescrit de l’Article 11(1), ne fut-ce que pour le motif que les autorités doivent être mises en mesure de s’assurer du caractère pacifique d’une réunion, et ne constitue donc pas, en tant que telle, une ingérence dans l’exercice dudit droit ».74
Compte tenu notamment que l’objet de la notification est de permettre à l’Etat de planifier et d’allouer des ressources pour remplir son devoir positif de protéger une réunion pacifique, l’obligation d’avertir la police ainsi que la procédure utilisée ne doivent pas être onéreuses ou bureaucratiques au point de restreindre la jouissance de cette liberté. De plus, les réunions pacifiques – même illégales – doivent être facilitées par les autorités. L’illégalité d’un événement ne doit pas servir de motif pour mettre un terme ou disperser un événement pour le reste pacifique, et toutes les normes relatives au recours à la force par les officiers de police doivent être strictement respectées.
Il existe au moins trois exemples d’événements soumis à des restrictions en raison de prétendues erreurs dans la demande ou la notification faite aux autorités. Dans le premier, comme évoqué précédemment, le maire de Varsovie a interdit la Parade pour l’égalité 2005 dans sa ville. Il a par la suite interdit six rassemblements statiques destinés à remplacer la parade et ayant fait l’objet de notification. L’une des raisons invoquées pour justifier sa décision (mais réfutée par les organisateurs) était que la demande n’avait pas été correctement remplie - elle n’était pas accompagnée d’un plan de gestion de la circulation.75 Dans le deuxième exemple, le 23 août 2005, les autorités de la ville de Tyumen, en Sibérie occidentale, ont rejeté la demande déposée par les organisateurs d’une Gay Pride prévue le 5 septembre 2005 au motif que le document avait été déposé trop tôt avant la tenue de la manifestation.76 Dans le troisième exemple, à Klaipeda, en Lituanie, une parade de la fierté homosexuelle – prévue pour coïncider avec les célébrations du 754ème anniversaire de Klaipeda, le 1er août 2006, a été interdite. Le bureau du maire a déclaré que la demande n’apportait pas suffisamment de détails sur le tracé, les horaires, les motifs et le nombre de participants à la manifestation.77 Pour finir, en Slovaquie, où les Gay Prides n’ont jamais été interdites, les organisateurs de manifestations LGBT auraient été confrontés à des obstacles bureaucratiques.78
Dans de nombreuses villes, les parades ont eu lieu en dépit des interdictions prononcées par les autorités locales. A titre d’exemple, en novembre 2005 à Poznan, Pologne, malgré l’interdiction imposée par le maire, (voir précédemment) plusieurs centaines de militants LGBT ont organisé une manifestation au centre de la ville. La police aurait usé de la force pour disperser les manifestants – dont 68 ont été arrêtés et condamnés pour avoir participé à un rassemblement illégal.79 De même, lors des manifestations de Moscou le 27 mai 2006, six militants LGBT au moins ont été arrêtés et inculpés pour avoir participé à une manifestation non autorisée.80
4. Obligation pour les organisateurs de mettre en place leurs propres services de sécurité et de prendre en charge les frais de nettoyage après la manifestation
La question de savoir si l’organisateur d’une manifestation doit supporter l’intégralité des coûts afférents à la protection des participants ou au nettoyage des lieux après la manifestation est liée au devoir positif de l’Etat de protéger ceux qui souhaitent exercer leur droit de réunion pacifique.
En Estonie, la première manifestation LGBT a eu lieu en 2004, mais il a été demandé aux organisateurs de financer le service de sécurité de l’événement. Un porte-parole des organisateurs a déclaré qu’en vertu de la loi estonienne, ils étaient tenus de recourir à une société de sécurité. Ainsi, 15 personnes d’une entreprise privée ont protégé la marche, ainsi que quelques patrouilles de police et, selon les forces de l’ordre, quelques policiers en civil.81 A Zagreb, Croatie, en dépit d’améliorations notables dans le maintien de l’ordre lors de manifestations LGBT, les autorités continuent d’insister pour que les organisateurs financent une centaine de gardes du corps privés (pour un nombre de participants estimé à 200-250 ).
La Love Parade de Berlin, dont la première a eu lieu en juillet 1989,82 permet une comparaison intéressante. En vertu du droit allemand,83 c’est à l’Etat qu’il incombe de financer les mesures de sécurité au cours des rassemblements politiques ainsi que le nettoyage des lieux après les manifestations. Lorsqu’il s’agit d’événements commerciaux, ces frais sont cependant à la charge des organisateurs. En interdisant la Love Parade de 2001, la police berlinoise a estimé que la Love Parade ne pouvait être qualifiée de manifestation publique protégée dans la mesure où son objectif n’était pas le développement ou l’expression de points de vue.84 Cet argument a été soutenu par le Tribunal administratif régional au motif qu’un objectif ou une perspective commune,85 pas plus que la musique ou la danse ne constituaient en soi un développement et l’expression d’une opinion86
L’approche qui consiste à faire supporter les coûts en fonction du message d’un événement (qu’il soit politique ou autre) fait naître le danger évident de restrictions fondées sur le contenu. Par ailleurs, si la Love Parade est devenue une entreprise commerciale, il est important que le parrainage d’événements de type Gay Pride par des groupes LGBT ne soit pas pris comme excuse par les autorités pour imposer des coûts déraisonnables ou prohibitifs aux organisateurs ou pour refuser d’assurer la sécurité adéquate des participants.
5. Arrêts des tribunaux liés à la liberté de réunion
Un certain nombre de procédures engagées devant les tribunaux nationaux ont donné lieu à l’annulation des décisions négatives visant à interdire les rassemblements de groupes LGBT. Le premier festival GayFest de Bucarest s’est déroulé en 2005 après annulation de l’interdiction initialement prononcée.87 Dans la capitale lettone, un tribunal administratif a invalidé la décision prise en 2005 interdisant la Riga Pride la veille du jour prévu pour cette manifestation. Le Conseil municipal de Riga s’était opposé à cette manifestation, évoquant le respect de « valeurs morales », mais le tribunal a pour sa part jugé cette interdiction injustifiée et discriminatoire.88 En décembre 2005, le tribunal administratif de Poznan a déclaré illégale l’interdiction de la « Marche pour l’égalité » par le maire de la ville en vertu du droit polonais et international.89 Cet arrêt a été confirmé par le Tribunal administratif suprême de Pologne le 25 mai 200690 et a donné lieu à des manifestations pro-gays dans différentes villes de Pologne dont Gdansk (bien que le maire de la ville n’ait pas non plus autorisé ce rassemblement),91 Elblag, Rzeszow, Lodz, Torun, Wroclaw, Cracovie, et même Poznan.92
Malgré ces décisions positives, plusieurs interdictions ont été confirmées par des tribunaux nationaux. L’interdiction de la Riga Pride en 2006 par le conseil municipal de la ville a été confirmée par le tribunal administratif de Lettonie. Le tribunal et le conseil municipal ont indiqué que leurs décisions étaient fondées sur des plaintes selon lesquelles la parade constituait une menace sérieuse à l’ordre public et à la sécurité nationale.93 La décision de 2006 a été confirmée par le tribunal administratif de Lettonie. Les informations relatives à la décision ont été classées secret d’Etat et assorties d’un moratoire de cinq ans. Human Rights Watch a indiqué que cela constituait un manquement grave au principe de transparence et rendait totalement impossible aux militants LGBT toute contestation ou réponse aux excuses avancées pour justifier l’interdiction94
A Moscou, suite à un arrêt de la Cour d’appel qui confirmait la décision d’une juridiction inférieure reconnaissant le caractère légal de l’interdiction d’une manifestation LGBT en 2006, des avocats représentant les organisateurs ont fait part de leur intention d’introduire un recours devant la Cour européenne des droits de l’homme.95 S’agissant de l’interdiction de manifester sur la place Lubyanka, le tribunal de Taganski, à la demande des dirigeants du district administratif central de la ville, a renvoyé l’audience au 22 août 2006. Suite à quoi, le tribunal a confirmé la décision des autorités municipales. Un nouveau recours a été déposé devant le tribunal de la ville de Moscou et devrait être examiné cet automne.96
En juin 2005, la Cour d’appel de Moldova a annulé la décision du Maire de Chisinau d’interdire une manifestation LGBT en mai de cette année.97 Le bureau du Maire a fait appel de la décision devant la Court Suprême moldave qui a, à son tour, renvoyé l’affaire devant la Court d’appel. Compte tenu du délai nécessaire pour obtenir un jugement, GenderDoc-M a engagé une procédure devant la Cour européenne des droits de l’homme.98 L’interdiction de la « Parade pour l’égalité » en juin 2005 à Varsovie a fait l’objet d’un recours devant la Cour européenne des droits de l’homme.99 De même, le comité organisateur de la Riga Pride, Lettonie (Mozaika) a annoncé son intention de traduire la ville de Riga devant la Cour européenne des droits de l’homme pour avoir interdit la marche.100
6. Questions ayant trait à l’exigence de non-discrimination
L’Article 14 de la CEDH interdit toute discrimination lorsque les faits en question relèvent de l’un ou de plusieurs des droits énoncés par la Convention.101 L’Article 26 du PIDCP interdit également la discrimination, et si aucune disposition ne fait spécifiquement état de la discrimination fondée sur « l’orientation sexuelle », celle ci est couverte respectivement par les termes « toute discrimination » ou « toute autre situation ».102 Par ailleurs, dans l’affaire Nachova et Autres c. Bulgarie (2005), la Cour européenne des droits de l’homme a estimé que l’interdiction de la discrimination en vertu de l’Article 14 de la Convention (combiné avec l’article 2) est également un aspect des obligations procédurales, imposant aux autorités de l’Etat le devoir de rechercher s’il existe un lien entre une attitude discriminatoire et un acte de violence.103 Le Protocole 12 de la CEDH contient désormais une interdiction de discrimination indépendante.
L’Article 13 du Traité d’Amsterdam stipule que l’Union européenne « peut prendre les mesures nécessaires en vue de combattre toute discrimination fondée sur ...l’orientation sexuelle », et l’Article 21(1) de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne interdit « toute discrimination », pour quelque motif que ce soit, et notamment fondée sur l’orientation sexuelle.104
Plusieurs exemples d’interdiction de manifestations LGBT ont été relevés, alors que les autorités avaient autorisé des rassemblements orchestrés par d’autres organisations (y compris celles protestant contre les droits des personnes LGBT).105 La nature sélective de ces décisions soulève la question de la discrimination. S’agissant par exemple de la Parade pour l’égalité prévue à Varsovie en 2005, il a été avancé devant la Cour européenne des droits de l’homme que le Maire de Varsovie avait accordé l’autorisation de tenir d’autres manifestations sans imposer aux organisateurs le dépôt d’un Plan de gestion de la circulation.
A certaines occasions, on a tenté de justifier des attitudes discriminatoires à l’égard de personnes LGBT en se fondant sur le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. En août 2006, neuf pompiers de Glasgow ont refusé de distribuer des brochures de sécurité incendie lors d’une parade de la fierté organisée dans la ville, invoquant l’exercice de leurs droits prévus à l’Article 9.106 Cet exemple s’apparente à l’affaire Ahmad c. RU 1982 4 EHRR 126 dans laquelle un enseignant se plaignait d’avoir été contraint de démissionner de son poste car on lui avait refusé l’autorisation de suivre l’office à sa mosquée chaque vendredi matin, durant les heures de travail. La Commission européenne des droits de l’homme a estimé qu’il n’y avait pas violation de l’Article 9, et a examiné les clauses de son contrat d’embauche. La Cour a convenu que la question était plutôt de savoir si l’employeur, sous couvert du contrat de travail, n’avait pas arbitrairement enfreint le droit à la liberté de religion.
7. Questions ayant trait spécifiquement à la liberté d’expression
Le droit à la liberté d’expression comporte des devoirs et des responsabilités précisés à l’Article 10(2). Ce droit couvre la liberté de parole, mais englobe aussi d’autres conduites expressives telles que le droit de la personne d’exprimer ses idées par la façon dont elle s’habille107 Il convient de souligner que la liberté d’expression s’étend aussi aux idées qui heurtent, choquent ou inquiètent. Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de société démocratique108 Une censure de ces opinions aurait un impact nuisible sur la liberté d’expression de tous. Si, de ce fait, les autorités locales peuvent être tentées de décourager l’expression d’idées hostiles ou blessantes à l’égard de personnes LGBT109, l’expression d’idées qui ne prônent pas directement un « discours de haine » mérite protection.110
Cela étant, le droit à la liberté d’expression n’englobe pas l’incitation à la haine ou à la violence111 Les autorités locales ont pour responsabilité particulière de ne pas utiliser un langage susceptible de légitimer la discrimination ou la haine fondées sur l’intolérance.112
Le Principe 1 de la Recommandation No. R(97)20 du Comité des Ministres113 stipule qu’« une responsabilité particulière incombe aux gouvernements des Etats membres, aux autorités et institutions publiques aux niveaux national, régional et local, ainsi qu'aux fonctionnaires, qui devraient s'abstenir d'effectuer des déclarations, en particulier à travers les medias, pouvant raisonnablement être prises pour un discours de haine ou comme un discours pouvant faire l'effet d'accréditer, de propager ou de promouvoir la haine raciale, la xénophobie, l'antisémitisme ou d'autres formes de discrimination ou de haine fondées sur l'intolérance. Ces expressions doivent être prohibées et condamnées publiquement en toute occasion »
Le Principe 4 reconnaît que des expressions concrètes de discours de haine 114 « peuvent être tellement insultantes pour des individus ou des groupes qu'elles ne bénéficient pas du degré de protection que l'article 10 de la Convention européenne des Droits de l'Homme accorde aux autres formes d'expression. Tel est le cas lorsque le discours de haine vise à la destruction des autres droits et libertés protégés par la Convention, ou à des limitations plus amples que celles prévues dans cet instrument ».
Exemples de développements positifs
· L’abrogation (par la Loi de 2003 sur les autorités locales) de la clause 28 de la Loi de 1988 sur les autorités locales, qui interdisait aux autorités locales d’Angleterre et du Pays de Galles de promouvoir intentionnellement l’homosexualité, de publier des documents dans l’intention de promouvoir l’homosexualité, ou de promouvoir l'enseignement dans toutes les écoles publiques de la notion d'acceptabilité de l'homosexualité en tant que soi-disant relation familiale.
· Les législateurs lettons ont rejeté un projet de loi visant à interdire « la propagande homosexuelle » dans les médias. Le premier parti letton avait préparé un projet d’amendements aux lois sur les médias et la publicité qui auraient rendu illégale la publication d’articles ou d’interviews de gays et lesbiennes relatant leurs vies ou droits.115
· En Roumanie, en juin 2000, la chambre basse du Parlement, la Chambre des Députés, a abrogé l’Article 200 du Code Pénal roumain,116 maintenant toutefois l’article 201, interdisant la « perversion sexuelle ».117
· La Cour constitutionnelle hongroise a déclaré (en relation avec la liberté d’expression) que le droit fondamental à la liberté d’expression ne dépend pas du contenu des idées exprimées.118
Exemples de restrictions récentes à la liberté d’expression
· En février 2006, à l’Université Marie Curie-Sklodowska de Lublin, en Pologne orientale, le recteur de l’Université a interdit l’exposition de « T-shirts pour la liberté » programmée dans le cadre d’un festival annuel. Les T-shirts portaient entre autres slogans « Je suis gay » ou « je suis malade du SIDA ». Le recteur a évoqué comme motif que «les inscriptions sur les t-shirts peuvent blesser les sentiments et convictions de certaines personnes».119 D’éminents responsables politiques polonais ont également appelé à l’interdiction des personnes gays ou lesbiennes aux postes d’enseignants dans les écoles polonaises.120
· En juin 2006, le RTUK (Haut Conseil de l’audiovisuel) de Turquie121 a émis un avertissement concernant un programme diffusé sur la chaîne de télévision turque Haber au motif que l’invité, usant de la souplesse de la structure linguistique turque, avait fait des jeux de mots sur l’homosexualité, cherchant ainsi à présenter l’homosexualité comme un acte légitime. RTUK a déclaré que ce programme avait violé la loi à laquelle doivent se conformer les diffuseurs radiotélévisés dans le cadre d’un service public garant de la moralité générale de la société.
· Au cours de l’été 2006, la publication du numéro 28 du magazine turc Kaos GL a été interdite par la 12ème Cour de Justice d’Ankara. Le juge Tekman Savas Nemli a décidé la saisie de la publication au motif que son contenu était considéré comme « pornographique » et portait atteinte à la moralité générale.
8. Usage par des fonctionnaires d’un langage incendiaire, homophobe ou désobligeant
Les exemples suivants de commentaires homophobes prononcés par des personnes occupant une fonction publique ou autre poste à responsabilité mettent en lumière la mesure dans laquelle ces normes et principes fondamentaux ont parfois été enfreints.
· Suite au climat de violence lors de la première Gay Pride de Belgrade en 2001, Amnesty International a été préoccupée par des informations selon lesquelles on avait entendu des policiers demander pourquoi il fallait qu’ils protègent des lesbiennes et des gays, et en a appelé au Chef de la Police de Belgrade pour qu’il ouvre une enquête sur le fait que la police n’avait pas agi avec la diligence voulue pour empêcher les violences contre la fête de la Gay Pride.122· Avant d’interdire la parade de la fierté homosexuelle en mai 2006, le Maire de Moscou a déclaré que les déviances sexuelles d’une personne par rapport aux principes convenus ne devaient pas être exposées à la vue de tous. Il a également conseillé aux fonctionnaires de prendre des mesures concrètes pour éviter la tenue d’événements et de rassemblements publics d’homosexuels dans la capitale123. Il aurait par ailleurs déclaré que les parades de ce type peuvent être acceptables pour certains pays occidentaux, progressistes dans un sens, mais qu’elles étaient totalement inacceptables pour Moscou et la Russie en général.124 Le rapport de Human Rights Watch sur la Pride 2006 à Moscou fait état de propos similaires tenus par des fonctionnaires de haut rang et des responsables politiques.125 Le premier Vice-président de la Douma d’État aurait par exemple posé la question suivante « certains affirment que l’interdiction de la parade homosexuelle est contraire aux droits de l’homme. Plusieurs millions de personnes à Moscou ne souhaitent pas la tenue de cette manifestation. Qui est censé protéger leurs droits ? » (traduction non officielle) 126
· Un membre de l’Assemblée nationale française a été condamné pour injures homophobes après avoir déclaré que l'homosexualité est « inférieure à l'hétérosexualité » 127
· Le Maire de Varsovie a fait plusieurs déclarations préalablement à la Parade pour l’Egalité en 2005, affirmant qu’il interdirait la parade sans tenir compte de la demande faite aux autorités par les organisateurs. Dans une interview accordée au quotidien Gazeta Wyborcza (la Gazette électorale), le Maire a déclaré que les gays et les lesbiennes étaient en mesure de protester en leur qualité de citoyens, mais pas en tant qu’homosexuels !’128
· Le Premier ministre polonais a déclaré que si un homosexuel essaye « d'infecter » d'autres avec son homosexualité, alors l'Etat doit intervenir dans cette violation de la liberté ;129
· Avant la parade de 2005 à Riga, le Premier ministre letton s’était opposé à l’événement en affirmant que Riga ne devait pas promouvoir ce genre de choses et qu'il ne pourrait accepter une parade de minorités sexuelles en plein cœur de la capitale dans les environs immédiats de la principale cathédrale. 1309. Exemples de bonnes pratiques
La section précédente portait essentiellement sur les développements négatifs concernant la régulation de la liberté d’expression et de réunion des personnes LGBT. Un certain nombre d’exemples de bonnes pratiques 131 existent néanmoins, dont certains semblent indiquer l’émergence de la reconnaissance du droit de ces personnes à exprimer leur identité. Parmi ces exemples, nous pouvons citer :
· L’autorisation accordée aux marches à Zagreb (lieu où s’est déroulée la première « Pride internationale » régionale en 2006) 132 , à Tallinn (successivement entre 2004-2006), et (pour la première fois en trois ans) à Varsovie; · Plusieurs fonctionnaires dont notamment le Président letton 133 et le ministre de l’Intérieur croate 134 – ont soutenu le droit à la liberté d’expression et de réunion des personnes LGBT; · A Vienne, dans le mois précédent la marche de la fierté homosexuelle, les trams ont circulé dans la ville ornés de drapeaux arc-en-ciel (une campagne financée par des fonds privés);135 · Améliorations notables dans le maintien de l’ordre assuré lors de marches de la fierté homosexuelle. A titre d’exemple, si la première parade à Zagreb en 2002 a suscité des réactions violentes,136 un effectif plus important de policiers a depuis lors été affecté à la protection des participants. D’après les estimations, en 2003 et 2004, on comptait 1000 policiers pour approximativement 200 participants (voir aussi la section ci-avant sur les demandes faites aux organisateurs afin qu’ils assurent un service de sécurité privée) ;· Au Royaume-Uni, plusieurs instances des forces de l’ordre ont autorisé leurs membres à défiler en uniforme lors de manifestations LGBT ;137
· Il a également été fait recours à la médiation entre les organisateurs de la parade et ceux qui s’opposaient à la tenue de cet événement particulier pour parvenir à un arrangement au plan local. A Belfast, la parade de la fierté homosexuelle du 5 août 2006 s’est déroulée sans aucune restriction après la tenue d’une réunion entre les organisateurs, les opposants et la Commission des parades. Le Président de la Commission, Roger Poole, a déclaré :Nous respectons le point de vue de ceux qui s’opposent à la Gay Pride et nous réjouissons du dialogue établi dans le passé entre la Coalition Stop the Parade et les organisateurs de la manifestation. Selon nous, il va sans dire que la parade de Belfast contribue au caractère de la rue de Belfast. Nous avons décidé de n’imposer aucune restriction au déroulement de la manifestation ou aux protestations y afférentes138
Néanmoins, il convient de noter le déséquilibre probable dans les relations de pouvoir entre les organisateurs LGBT et les autorités de régulation (voir par exemple les pressions exercées sur les organisateurs de la parade à Poznan pour qu’ils annulent la marche, la remplacent par une manifestation statique ou raccourcissent le trajet initialement prévu)139 Les différentes négociations ou discussions médiatisées portant sur des manifestations LGBT ne devraient en aucun cas servir à imposer une issue prédéterminée. » (traduction non officielle)
· La Commission des parades d’Irlande du Nord a déployé des observateurs chargés d’assurer un contrôle indépendant des parades, des manifestations de protestations qui y sont associées et de la manière dont est assuré le maintien de l’ordre140 Ce contrôle peut notamment s’inscrire dans le cadre d’un accord conclu entre les parties adverses. Il est important que les observateurs soient clairement identifiables et qu’ils agissent d’une manière susceptible de préserver leur indépendance.
· Les organisateurs de manifestations LGBT ont obtenu l’assistance de la Commission nationale des droits de l’homme ou des Médiateurs pour l’égalité des droits/genres. Les organisateurs de la Marche pour l’Egalité de Poznan, en Pologne, ont par exemple bénéficié du soutien du Médiateur pour les droits des citoyens dans leur action en justice engagée contre la décision du Maire 141 De la même manière, l’action en justice menée dans le cadre de la Parade pour l’égalité 2005 de Varsovie a été initiée par le Commissaire pour les droits des citoyens.
C. Conclusions et recommandations pour action au plan local
La protection des droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique (tels qu’ils sont énoncés, entre autres, aux Articles 10 et 11 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales) est essentielle à l’épanouissement, à la dignité et à l’accomplissement des lesbiennes, gays, bisexuels et transsexuels (LGBT), à la promotion et à la protection de l’égalité et de la démocratie, ainsi qu’aux progrès de la société en tant que celle-ci est un tout cohérent142.
Il faut donc que toute mesure restreignant la liberté d’expression ou de réunion soit prescrite par la loi, poursuive un but légitime, ne soit pas plus restrictive qu’il n’est besoin pour atteindre ce but et n’ait aucun effet discriminatoire. La législation régissant la liberté d’expression et de réunion ne doit pas faire peser de lourdes charges bureaucratiques et financières sur ceux qui cherchent à exercer leurs droits, et les pouvoirs locaux ne doivent pas interpréter les motifs légitimes énumérés dans les instruments pertinents relatifs aux droits de l'homme d’une manière incompatible avec la jurisprudence existante143. Les collectivités locales doivent appliquer, après en avoir pris note, les Lignes directrices pour la rédaction de lois relatives à la liberté de réunion pacifique, que rédige actuellement le Groupe d’expert OSCE/BIDDH sur la liberté de réunion.
Il importe que les collectivités locales consultent les groupes LGBT lorsqu’elles réforment des mesures juridiques d’ordre civil, pénal ou administratif ayant pour effet de limiter la liberté d’expression ou de réunion. La législation et les procédures et pratiques se développant autour d’elle auront ainsi plus de chances d’être avantageuses pour toutes les parties concernées. Une telle consultation peut contribuer à favoriser un esprit de coopération plutôt que de confrontation. En outre, toute réforme législative ou toute évolution de la jurisprudence doit être soutenue par une formation appropriée et une sensibilisation au sein des collectivités locales144.
1. Réglementation des droits à la liberté de réunion pacifique et d’expression
Les employés des collectivités locales doivent s’acquitter de leurs devoirs d’une manière qui ne soit ni arbitraire, ni discriminatoire, et aucune restriction ne doit être imposée en fonction de la teneur du message exprimé. En ce qui concerne l’exercice du droit de réunion pacifique, bien que des procédures de notification se justifient pour permettre aux autorités de prendre les dispositions nécessaires dans l’intérêt de l’ordre public, de la sécurité publique et des droits d’autrui, la permission des pouvoirs locaux ne doit pas être exigible145. Il est nécessaire d’élaborer des procédures qui ne soient pas forcément bureaucratiques et qui offrent les plus grandes chances d’aboutir à un résultat pacifique et mutuellement acceptable. Les collectivités locales doivent donc chercher à accroître les moyens de médiation, soutenant ainsi les efforts destinés à trouver des accommodements mutuellement acceptables entre groupes opposés. Bien que la médiation encourage tout naturellement les parties à s’entendre, il faut prendre en compte l’existence potentielle d’un déséquilibre des forces en présence. Un tel processus peut servir à régler diverses questions : drapeaux, bannières, symboles, costumes, sensibilités par rapport à tel ou tel lieu, comportement général, surveillance, service d’ordre et police. Les collectivités locales pourraient apporter une aide à cet égard en se mettant en relation avec les associations de la société civile qui possèdent l’expérience de la médiation, ainsi qu’en augmentant le volant de tierces personnes formées comme médiateurs. Il ne doit être imposé de restrictions que si tous les autres moyens de parvenir à un accord ont été épuisés.
Les raisons invoquées pour restreindre le droit d’assemblée doivent être à la fois pertinentes et suffisantes et fondées sur « une appréciation acceptable des faits pertinents »146. Donc, si une collectivité locale s’inquiète d’une manifestation, les pouvoirs publics doivent évaluer, dans un esprit d’ouverture et de transparence, toutes les informations disponibles pour déterminer si, compte tenu de faits avérés, on peut supposer que les organisateurs conduiront cette manifestation de manière pacifique et s’il existe des données démontrables pouvant justifier des restrictions fondées sur un ou plusieurs motifs légitimes.
Un mécanisme permet de garantir que les décisions des collectivités locales soient bien informées : le recours à des observateurs qualifiés pour rendre compte objectivement d’une manifestation publique. Les observateurs peuvent, par exemple, accorder une attention particulière au dispositif policier prévu là où des contre-manifestants se sont rassemblés, au comportement de ceux de ces derniers qui se manifestent à des endroits sensibles et, si besoin est, au respect des termes de tout accord conclu par voie de médiation. Les observateurs peuvent faire un compte rendu aux pouvoirs locaux, qui ont ensuite la faculté de le diffuser auprès des parties concernées.
Les collectivités locales pourraient envisager de nouer des liens avec l’OSCE/BIDDH en vue d’élaborer et de piloter un programme d’observation relatif aux manifestations LGBT. L’Union européenne, elle aussi, a un rôle d’observation évident à jouer. Ainsi que l’a recommandé ILGA-Europe, « Le Centre d’observation de l’Union européenne (qui deviendra en 2007 l’Agence des Droits fondamentaux) et la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance peuvent contribuer à observer l’occurrence des propos haineux – notamment ceux tenus par des personnages publics – et à recommander que des mesures soient prises vis-à-vis de tels propos147.
La prohibition ou l’interdiction d’une réunion est une mesure à ne prendre qu’en dernier ressort. Lorsqu’il est nécessaire de restreindre une manifestation, l’autorité de contrôle doit imposer les conditions les moins restrictives possibles en matière d’heure, de lieu ou de déroulement pour atteindre le but légitime qu’elle poursuit. Dans le processus de décision, il faudrait garder à l’esprit les considérations suivantes :
· « Si un individu reste pacifique dans ses intentions et son comportement, il ne cesse pas de jouir du droit de réunion pacifique du fait des violences sporadiques et autres actes répréhensibles commis par des tiers au cours d’une manifestation »148.
· Les restrictions préalables imposées parce que des violences mineures pourraient se produire risquent d’être disproportionnées. Toute flambée isolée de violence est à traiter plutôt par voie d’arrestations et de poursuites ultérieures149.
· La perception d’un risque de désordre public ne suffit pas à justifier la restriction de manifestations publiques. En outre, une opposition organisée (orale ou exprimée sous forme de pétition) ne constitue pas, en soi, un motif d’imposer des restrictions préalables aux manifestations LGBT.
· La présence d’un public hostile ne constitue pas un motif légitime d’interdire l’exercice du droit à la liberté de réunion pacifique. « Dans une démocratie, le droit de contre-manifester ne peut justifier que soit inhibé l’exercice du droit de manifester »150.
· La Convention européenne des Droits de l'Homme est un instrument vivant qu’il faut interpréter à la lumière des conditions du moment151. Les normes de droits de l'homme ne doivent pas être subordonnées aux principes de telle ou telle conviction politique ou religieuse, et pas plus que la « morale publique », les opinions morales des détenteurs du pouvoir politique ne doivent être perçus comme pouvant motiver une limitation de la liberté de réunion.
· Étant donné que la police peut toujours intervenir pour arrêter tel ou tel participant dont le comportement nuit à l’ordre public, il ne saurait être exigé des participants dont les intentions sont entièrement pacifiques de manifester sans un déguisement qui les masque152.
2. Devoir qu’a l’État d’assurer une protection suffisante à ceux qui exercent leurs droits
La protection accordée aux libertés d’expression et de réunion doit être « pratique et effective », non pas « théorique et illusoire ». Les collectivités locales ont le devoir de prendre des mesures raisonnables et appropriées pour permettre à des manifestations légales de se dérouler pacifiquement (bien que les pouvoirs publics disposent d’une certaine latitude quant aux moyens à employer). Cela signifie qu’un dispositif policier suffisant doit être mis en place pour veiller à ce que les dispositions adéquates soient prises – notamment lorsque ont été annoncées des contre-manifestations contre les LGBT – afin que les participants n’aient pas à craindre d’être victimes de violences physiques. L’Article 2 de la CEDH (qui impose aux pouvoirs publics l’obligation de protéger le droit à la vie)153 et l’Article 3 (qui stipule que nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants) pourraient éventuellement être invoqués.
Le renforcement et l’extension des relations entre la police et la collectivité auront un rôle important à jouer dans l’application de la législation régissant la liberté d’assemblée, ainsi que dans la réduction des risques d’escalade inhérents aux manifestations publiques. En outre, la police locale doit adhérer aux normes policières internationales, qui fournissent entre autres une orientation spécifique et détaillée concernant l’usage de la force destiné à disperser des rassemblements. Les fonctionnaires de police doivent agir immédiatement et effectivement (dans le respect des normes ordinaires en matière d’ordre public) pour retirer d’une manifestation toute personne manifestant l’intention de la perturber. En cas de violence, l’interdiction de toute discrimination découlant de l’Article 14 de la CEDH s’accompagne d’un élément procédural qui impose aux pouvoirs publics d’enquêter sur le point de savoir si la discrimination peut avoir joué un rôle dans la perpétration d’un délit154. Les policiers doivent être clairement identifiables pour pouvoir agir comme agents de dissuasion vis-à-vis d’agresseurs potentiels, et chaque policier doit porter bien en vue un numéro matricule afin de pouvoir être identifié et tenu pour responsable de ses actions, le cas échéant.
La réglementation ne doit pas altérer fondamentalement le caractère d’une manifestation (l’usage superflu des barrières anti-émeutes ou la présence excessive des forces de l’ordre, par exemple, peut inhiber sérieusement le caractère carnavalesque de certaines manifestations). En outre, il convient de faciliter les réunions qui sont techniquement illégales au seul motif que leur notification aux pouvoirs publics présente des lacunes. L’illégalité d’une manifestation ne doit pas être considérée comme un feu vert pour interrompre ou disperser celle-ci lorsqu’elle se déroule pacifiquement par ailleurs.
La dispersion des rassemblements ne doit d’ailleurs jamais se faire qu’en dernier ressort. Ainsi, les Principes de base sur le recours à la force et l'utilisation des armes à feu par les responsables de l'application des lois disposent que : « les responsables de l'application des lois doivent s'efforcer de disperser les rassemblements illégaux mais non violents sans recourir à la force et, lorsque cela n'est pas possible, limiter l'emploi de la force au minimum nécessaire »155. Ils stipulent également que « les responsables de l'application des lois ne peuvent utiliser des armes à feu pour disperser les rassemblements violents que s'il n'est pas possible d'avoir recours à des moyens moins dangereux, et seulement dans les limites du minimum nécessaire. Les responsables de l'application des lois ne doivent pas utiliser d'armes à feu en pareils cas, sauf dans les conditions stipulées dans le principe 9 »156.
Bien qu’il soit raisonnable d’exiger des organisateurs d’une manifestation publique d’en assurer le service d’ordre157, la présence d’un service d’ordre ne doit jamais être perçue comme pouvant se substituer à des mesures de sécurité suffisantes de la part des pouvoirs publics. Les organisateurs d’une manifestation ne doivent pas être tenus de supporter le coût de son encadrement policier (car cela constitue en soi une forme de restriction préalable et affaiblit l’obligation qu’a l’État de protéger l’exercice de ces droits). La police locale doit travailler en partenariat avec les membres du service d’ordre, chacune des deux parties connaissant parfaitement son rôle dans le déroulement de la manifestation. Les collectivités locales pourraient aussi aider les organisateurs de la manifestation à assurer la sécurité publique en supportant le coût de gilets ou de vestes de sécurité pour les membres du service d’ordre et en offrant une formation à ces derniers. Le coût du nettoyage des rues ne doit pas être imputé à l’organisateur de la manifestation si celle-ci n’avait pas de but lucratif.
3. Existence d’une assistance judiciaire et révision indépendante par un tribunal
L’organisateur d’une manifestation doit avoir la faculté de réagir au préalable à toute préoccupation émise par l’autorité responsable. Ce faisant, ou en rédigeant son recours au tribunal, il doit être en mesure d’obtenir l’assistance d’un service de médiation ou de la Commission nationale des droits de l'homme, lorsque de tels mécanismes existent. Il doit aussi avoir le droit de s’adresser à un tribunal indépendant pour pouvoir contester toute restriction qui lui serait imposée. Cela signifie que les motifs invoqués afin de justifier une restriction doivent être publiés suffisamment à l’avance de la date notifiée pour la manifestation de telle sorte que l’organisateur puisse contester la légalité ou le caractère raisonnable de ladite restriction avant la date en question.
4. Autres obligations des pouvoirs locaux
Les collectivités locales et leurs employés doivent montrer l’exemple de la tolérance. Ils sont particulièrement astreints à ne pas tenir des propos qui auraient pour effet de légitimer une quelconque discrimination (y compris fondée sur l’orientation sexuelle) ou une haine reposant sur l’intolérance158. Les collectivités locales doivent aussi prendre des mesures appropriées pour combattre les discours de haine sur la base des principes fixés dans la Recommandation n° R(97)20 du Comité des Ministres159.
Les employés des collectivités locales ne doivent pas refuser leurs services aux membres de la communauté LGBT pour des motifs de conscience ou de religion (Article 9, CEDH), lorsque ces services sont clairement spécifiés dans leur contrat de recrutement et que les intéressés avaient connaissance, en prenant leurs fonctions, de l’obligation qui leur était faite de fournir lesdits services160.
En outre, les collectivités locales doivent être prêtes à aider les organisateurs de manifestations LGBT ou à faciliter la publicité de ces dernières (à ceci près que le soutien financier ou autre qu’elles octroient aux organisateurs de telles manifestations doit être accessible également à tous les groupes analogues)161.
Enfin, les collectivités locales doivent faire en sorte que le public ait accès à des informations fiables sur les manifestations à venir, ainsi que – au besoin – sur la discrimination et l’intolérance, en assurant la collecte et la diffusion de ces informations162.