La gestion des ressources hydriques transfrontières en Europe : le renforcement de la capacité des autorités territoriales à assurer une gestion intégrée coopérative et durable - CPR (8) 3 Partie II

 

Rapporteur
Carolina W. JACOBS (Pays-Bas)

 

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EXPOSE DES MOTIFS


C'est en Europe qu'est né le concept de souveraineté nationale et ce continent est devenu avec les siècles une mosaïque de nations et de peuples, débordant en plus d'une circonstance les frontières étatiques tracées par la culture, la religion et l'histoire et maintes fois redéfinies par les conquêtes militaires. En outre, l'Europe est une région bien arrosée aux milliers de cours d'eau de surface et souterrains, dont beaucoup traversent ou constituent des frontières nationales. L'Europe est donc un laboratoire idéal pour étudier la relation formée par la souveraineté nationale et les cours d'eau transfrontières.1

Les différents Etats européens possèdent tous des systèmes complexes de gouvernement. Qu'elle soit démocratique, monarchique ou sortie d'un système communiste centralisateur, la structure politique de tous ces pays comprend plusieurs niveaux, depuis la municipalité jusqu'au gouvernement national ou fédéral. Comme l'eau, le gouvernement affecte la vie des gens depuis les problèmes quotidiens jusqu'aux questions impliquant la sécurité de l'Etat et les initiatives régionales. Tout comme les nations d'Europe centrale et orientale, dont les économies centralisées sont actuellement en transition, de nombreuses nations européennes commencent à ressentir le besoin d'un changement similaire de modèle et de s'éloigner d'une gestion de l'eau centralisée du point de vue national vers une approche plus globale et partagée qui tienne les bassins eux-mêmes pour les unités logiques d'opération. S'agissant des cours d'eau transfrontières2, qu'ils aient la taille du Rhin ou du Danube ou soient de petites rivières traversant les frontières, cette nouvelle approche imposera une coopération inter-étatique et inter-communautés approfondie et par là-même accentuera l'importance des autorités locales et régionales par opposition aux organes purement nationaux .

Pour qu'une gestion de bassin intégrée soit efficace, il faut en informer les membres de toutes les sections de la société et de toutes les parties du bassin, leur apprendre quelles seront pour eux les conséquences des décisions prises et comment ils peuvent peser sur celles-ci. Augmenter la prise de conscience est la première tâche des autorités régionales. Au-delà, la population de tout le bassin devra être informée des activités d'autrui dans la région. Le partage d'informations est donc le premier défi des autorités régionales, qu'elles concernent des régions mononationales ou plurinationales. Le public doit cesser de considérer l'eau comme une denrée gérée par le gouvernement et sur laquelle il n'a pas prise mais bien y voir une ressource naturelle partagée sur laquelle tout le monde a son mot à dire et un rôle à jouer. Il est également essentiel que les gens envisagent l'environnement naturel à la fois comme un utilisateur et un fournisseur d'eau, qu'ils relient l'eau sortant de leurs robinets à celles qu'ils évacuent et à la qualité de tout l'environnement terrestre et aquatique où ils vivent et qui doit être préservé pour l'avenir.
A tous ces égards, les autorités locales et régionales ont une mission essentielle pour promouvoir un partage juste et durable des cours d'eau transfrontières européens.

Le 29 mars 2001, la Commission du développement durable de la Chambre des régions a adopté un projet de recommandation et un projet de résolution sur la gestion des ressources hydriques transfrontières en Europe – Le renforcement de la capacité des autorités territoriales à assurer une gestion intégrée coopérative et durable. Les deux textes ont été adoptés à l’unanimité par la Commission. Il convient de remercier tout particulièrement M. Bertrand Charrier et Mme Fiona Curtin, experts de Green Cross International, dont la contribution a été fondamentale pour l’élaboration de la recommandation, de la résolution et de l’exposé des motifs.

1. La souveraineté sur l’eau

L'eau est si omniprésente et essentielle à nos existences, à la nature et au développement des sociétés qu'il paraît impossible d'énoncer une définition de la souveraineté qui puisse tenir compte de tous les éléments où elle intervient. Il s'agit d'une ressource fondamentale dont la possession confère le pouvoir et c'est une substance qui suscite bien des images et des significations différentes chez les divers peuples. Bien qu'elle ait été un enjeu politique et militaire en Europe depuis l'antiquité, c'est seulement depuis le dernier siècle que nous disposons des moyens d'altérer radicalement, de stocker, de dévier le cours naturel des fleuves ou d'accéder aux nappes souterraines et vitales d'eau profonde. Ce pouvoir est majoritairement détenu par les autorités nationales pour lesquelles l'exploitation de l'eau constitue désormais une composante cruciale du développement économique. L'aptitude à contrôler les cours d'eau a suscité des questions inédites quant à la propriété sur l'eau. Aujourd'hui que les Etats ont la capacité de capter ou dévier d'énormes volumes d'eau d'un cours d'eau transfrontalier, la question se pose de savoir quels droits ils ont sur les eaux qui coulent à travers leur territoire et quelles obligations à l'égard de leurs voisins vivant sur les bords du même cours d'eau et en aval. Cette question a constitué le noeud du conflit Gabcikovo-Nagymaros entre la Slovaquie et la Hongrie et l'enjeu de l'enquête ultérieure de la Cour de Justice internationale.

En revanche, lorsque le riverain de l'aval a été le premier à utiliser les eaux de la rivière, dans quelle mesure cela lui confère-t-il des droits de propriété antérieurs devant être respectés par les Etats de l'amont ? Un Etat a-t-il un droit sur la quantité d'eau qu'il "fournit" à un cours d'eau en précipitations dans les limites de son territoire ? Si oui, qu'en est-il d'Etats comme la Roumanie et les Pays-Bas qui dépendent d'une eau venue d'en-dehors de leur frontières pour l'essentiel de leur ressources nationales ? Toutes ces questions sont liées à la souveraineté nationale et le fait que la "Convention de 1997 des Nations Unies sur les utilisations distinctes de la navigation des cours d'eaux internationaux" ne soit pas encore appliquée peut largement s'expliquer par le peu d'empressement de nombreux Etats à renoncer à leur souveraineté sur l'eau de leur territoire. Seuls très peu d'Etats en Europe et fort peu dans le reste du monde ont ratifié cette convention très modérée.

Développer un système de partage, de coopération et d'interdépendance, par opposition à la compétition et la ségrégation nationales, dans la gestion des cours d'eau transfrontières est un processus de longue haleine. Il implique la tâche complexe d'analyser les différents besoins des utilisateurs d'eau dans chacun des Etats riverains et la manière dont on peut les satisfaire, la tâche aussi de faire accepter à des Etats réticents la nécessité d'une gestion associée de ces eaux. Pour commencer ce processus, il faut considérer l'eau comme une ressource naturellement partagée. L'espace laissé par l'abandon théorique et de mieux en mieux accepté de la souveraineté absolue sera ultérieurement occupé par les institutions régionales appropriées ( autorités de bassin, par exemple ) ou gouvernementales voire non gouvernementales locales, institutions dont le poids, la capacité et la stabilité seront vitales pour la réussite de tout programme de gestion.
Une théorie émerge qui est déjà adoptée par de nombreux juristes et avocats internationaux, celle du principe de propriété commune des cours d'eau internationaux. L'eau est par essence mobile ou fluide ; l'eau qui s'écoule est ici aujourd'hui et partie demain, caractère essentiel reflété par le principe de propriété commune. L'idée que l'eau coulant entre deux Etats leur appartient en commun repose sur et présuppose une coopération entière à son sujet.

La souveraineté d'Etat peut se décomposer en "souveraineté intérieure" domestique, c'est-à-dire la relation entre les représentants d'un Etat et sa population, et "souveraineté extérieure", la relation de l'Etat lui-même avec d'autres Etats. L'eau est essentielle pour alimenter et développer la région, l'Etat, la communauté, l'individu et l'environnement, aussi doit-on considérer l'exercice de la souveraineté sur l'eau à tous ces niveaux. Une mutation semble s'opérer chez de nombreuses personnes qui remplacent leur allégeance à tel gouvernement ou territoire comme élément constitutif de leur identité par de nouvelles affinités socio-politiques fondées par exemple sur l'occupation professionnelle ou sur l'idéologie. Les Etats devenant plus hétérogènes, les gouvernements étant de plus en plus représentatifs et responsables, cette mutation aura forcément une incidence sur la gestion future des ressources naturelles. Le pouvoir accru de l'opinion publique et des médias contrebalance la force de l'Etat et la gestion de l'eau pourrait devenir une composante importante du processus démocratique dans de nombreux pays, par exemple en Europe de l'Est et en Amérique du Sud. La participation de la communauté dans les décisions et les projets concernant l'eau est si importante pour la création et la préservation d'une société stable et saine qu'on peut y voir un nouveau droit de l'homme, dont le respect ne pourra que renforcer la force et le crédit d'un gouvernement. En revanche, les interruptions de fournitures d'eau ou sa distribution inégalitaire peuvent facilement engendrer des troubles qui reflètent notre extrême dépendance vis-à-vis de l'eau. Cette réalité implique du même coup un droit de regard, un droit légitime à donner son avis dans la protection de ces ressources communes.

Ainsi, tant la dimension extérieure qu'intérieure de la souveraineté doivent être analysées s'agissant de cours d'eau transfrontières puisque c'est à la fois de l'intérieur et de l'extérieur que l'idée de souveraineté de l'Etat est remise en question et qu'à ces deux niveaux la notion de "propriété" de l'eau est pertinente. La souveraineté est un concept sensible, chargé en émotivité, et l'on ne peut ignorer le rôle de la souveraineté étatique comme principe organisateur et pierre angulaire des relations internationales. On ne doit pas davantage l'imposer artificiellement ou de force. La coopération régionale, de "bassin" pour les ressources internationales en eau, pourrait aider, paradoxalement, à protéger la souveraineté de l'Etat des pressions intérieures et extérieures et maintenir ainsi sa stabilité. En fortifiant les liens régionaux, un Etat peut s'associer à ses voisins pour garder le contrôle de ses affaires. C'est ainsi que les Etats peuvent coopérer afin de préserver leur indépendance et leur patrimoine culturel. De même, en collaborant avec ses pairs riverains, en encourageant une collaboration plus approfondie entre les parties intéressées et la participation active du public, un Etat peut s'assurer d'une fourniture en eau plus constante et convenable comme d'un moyen plus démocratique et populaire de la gérer. On ne peut dire de l'Etat qu'il possède l'eau située sur son territoire, mais par ces méthodes, il peut plus efficacement et durablement l'administrer et la protéger, accroissant ainsi sa sécurité. On fait donc erreur quand on oppose la souveraineté étatique et la coopération inter-étatique. L'un des traits les plus importants d'un Etat indépendant, c'est l'aptitude à nouer des relations internationales ; la gestion des bassins internationaux est un domaine de choix où la coopération entre nations et peuples est essentielle, collaboration qui renforce plus qu'elle n'amoindrit la souveraineté dans chaque Etat.

L'identification du siège de la souveraineté sur l'eau améliorerait probablement la stabilité et encouragerait le développement mais c'est une question qui doit refléter les nombreuses formes que prend l'eau elle-même. L'eau transfrontière a de multiples fonctions tout autour du globe, qui vont de la production d'énergie pour des populations entières, des industries et l'agriculture jusqu'à la fourniture simple et essentielle d'eau de boisson ; de même sa souveraineté doit être considérée à tous les niveaux, depuis l'Etat jusqu'à l'individu en passant par la communauté. Le concept de "souveraineté nationale" est la fusion des principes, parfois complémentaires et parfois contradictoires, de souveraineté étatique et populaire. Il importe donc de faire le distinguo ; ce qui est fort intéressant, c'est que la même conclusion s'applique aux situations inter- et intra-étatiques : l'eau doit être partagée et gérée par un spectre aussi large que possible des personnes intéressées, tant à l'intérieur des frontières qu'au-delà.

L'eau est indivisible tant dans le temps que l'espace et constitue en tant que telle le patrimoine commun des peuples et des nations. Sa gestion rationnelle impliquant la participation la plus large possible est une composante essentielle tant pour la démocratie que pour le développement durable. L'eau transcende le temps et ne devrait jamais, en conséquence, appartenir entièrement à l'Etat ou au secteur privé, mais être gérée en coopération par des représentants de tous les utilisateurs d'eau. Dans cette discussion, le gouvernement et le peuple doivent être envisagés séparément. Le premier est éphémère, temporaire, le second est un élément de la région aussi permanent que l'eau qui coule à travers. De même que les activités au sein d'un Etat peuvent affecter l'eau disponible dans un autre, de même la politique d'un gouvernement peut affecter la population d'un Etat et même toute la région des générations après qu'il a quitté ses fonctions. Les caractéristiques d'une infrastructure hydro-électrique survivent longtemps aux autorités l'ayant construite, de même que les aquifères vidés et les niveaux accrus de pollution. Il nous faut donc distinguer deux souverainetés nationales, du peuple et du gouvernement, et comprendre que le système traditionnel d'une hégémonie quasi totale et centralisée du gouvernement sur la politique de l'eau ne reflète pas la nature permanente et limitée de l'eau.

Une souveraineté plus fonctionnelle, participative et intégrée sur l'eau, avec plus de pouvoir délégué au niveau local, est nécessaire pour que les décisions engageant l'avenir de leur eau soient prises par ceux qui seront affectés, avec tout le respect dû aux générations qui leur succéderont. Les institutions correspondantes, non seulement au niveau gouvernemental mais aussi sous la forme d'associations indépendantes d'utilisateurs d'eau, de savants et d'écologistes, devraient être parties prenantes, non seulement pour la consultation mais pour l'exécution pratique, le contrôle et l'évaluation des politiques liées à l'eau et jouer un rôle-clé dans le processus de prise de décision. La politique de l'eau, traditionnellement, est l'apanage du gouvernement, mais pour une véritable réalisation de la souveraineté nationale sur l'eau, il faut qu'il y ait une plus large implication et une participation effective de chaque secteur de la société, y compris ceux trop souvent exclus, comme les minorités ethniques et les femmes.

La réconciliation des deux concepts - souveraineté nationale et  cours d'eaux internationaux - est une étape indispensable. La souveraineté est un concept séculaire que les Etats tiennent à préserver à juste titre. Détenir une souveraineté sur quelque chose, cela implique détenir des droits absolus dessus à l'exclusion de toute autre partie. Si une surface terrestre se trouve à l'intérieur des frontières d'un Etat on peut dire à juste titre qu'il jouit de souveraineté à son égard sans la partager aucunement avec les pays voisins. Que les cours d'eau internationaux aient été soumis à la même philosophie du "nôtre" et du "leur" responsable de violents conflits tout au long de l'histoire européenne jusqu'aujourd'hui, c'est une erreur terrible car contraire à leur nature propre. Placer les cours d'eau internationaux sous le parapluie de la souveraineté d'Etat, c'est ignorer la réalité du cycle de l'eau. La question de savoir si un Etat détient la "souveraineté" sur l'eau qui coule à travers et fait partie d'un cours d'eau transfrontière a été débattue à l'infini et quasi vainement car c'est une mauvaise question posée pour de mauvaises raisons. Cette formulation du problème encourage des attitudes protectionnistes et nationalistes envers l'eau qui causent la plupart des conflits au lieu d'insister sur le fait que la nature fluide et renouvelable de l'eau doit inciter à la partager plus qu'à la diviser.

Les questions de propriété sur l'eau rendent contradictoires la gestion coopérative des bassins internationaux et la souveraineté nationale ;    il faut faire des sacrifices dans le domaine hautement protégé de la souveraineté si l'on veut progresser. C'est une interprétation très statique du problème et, comme on l'a souvent constaté, une approche inefficace. La relation la plus importante entre la souveraineté nationale et la gestion de cours d'eau internationaux, c'est qu'elles peuvent se renforcer mutuellement. C'est un aspect quasi ignoré des analyses et débats politiques antérieurs. Une meilleure gestion des cours d'eau internationaux peut renforcer la souveraineté nationale en garantissant un accès plus sûr à une eau de meilleure qualité, en détournant la guerre civile que peuvent provoquer la pénurie d'eau ou les interruptions de services et en instaurant des Etats plus sains et sûrs. Il faut considérer la souveraineté nationale comme un édifice social fournissant un cadre géographique et institutionnel très important pour la gestion de bassin en réduisant la possibilité de tensions dues à l'eau.

L'eau comme la souveraineté sont des problèmes à aborder en lien avec d'autres facteurs et sous plusieurs angles. L'eau est indispensable pour nourrir et développer la région, l'Etat, la communauté, l'individu et l'environnement ; ainsi, l'exercice de la souveraineté sur l'eau doit être examiné à tous ces niveaux. La souveraineté est un terme chargé d'émotivité qu'on peut décomposer en "souveraineté intérieure" ou domestique, la relation entre les représentants de l'Etat et sa population, et la "souveraineté extérieure", la relation de l'Etat avec les autres Etats. S'agissant des cours d'eau transfrontières, les deux types de souveraineté sont concernés. Pour des millions d'Européens, la source d'eau locale se trouve être également une voie d'eau internationale. Ces communautés doivent donc avoir un accès garanti sur cette eau, être partie prenante dans sa gestion, cela grâce aux autorités de leur propre Etat. En même temps, ces autorités d'Etat ont la responsabilité de maintenir un niveau acceptable de la qualité et de la quantité d'eau pour ceux qui se trouvent en aval et ne pas se développer de telle manière que les Etats situés en amont ne puissent suivre leur futurs plans de gestion de l'eau. La souveraineté nationale renvoie idéalement à l'union complémentaire de la souveraineté de l'Etat et celle du peuple, dont l'exercice tient compte des besoins de toutes les parties impliquées, y compris l'environnement. Dans le cas de bassins internationaux, "toutes les parties impliquées" comprennent les peuples et les écosystèmes dans d'autres Etats et par extension l'exercice de la souveraineté sur ces cours d'eau doit également en tenir compte. Cela exige un haut niveau de compréhension régionale et de coopération tant entre les Etats qu'en leur sein.

C'est à tort qu'on croit la souveraineté d'Etat incompatible avec la coopération interétatique. L'une des caractéristiques les plus importantes de l'Etat indépendant, c'est l'aptitude à nouer des relations internationales ; la gestion de bassins internationaux est un domaine de choix pour la coopération entre les Etats et les peuples, collaboration qui renforce plus qu'elle ne diminue la souveraineté de chaque Etat.

La souveraineté nationale sur l'eau internationalement partagée se traduit idéalement par la coopération et l'interdépendance effective entre les Etats, les peuples et les différents groupes d'intérêts. Pour mieux comprendre comment y parvenir et qui doit le faire, il importe de placer l'eau dans les paramètres spatio-temporels appropriés. L'eau est une ressource finie et la même quantité en est disponible depuis l'origine des temps. Son existence sous une forme particulière

dans une région particulière doit être respectée comme étant une caractéristique permanente du paysage, en même temps que le peuple et l'environnement naturel ; c'est donc aux besoins de la population et de la nature qu'il faut donner la préséance et dont il faut garantir l'inviolabilité.

C'est aussi la seule façon de préserver les intérêts et les droits des générations tant présentes que futures. La surexploitation de l'eau superficielle et la diminution consécutive du niveau hydrostatique dans de nombreuses régions annonce en particulier la perte irremplaçable de l'eau pour les futurs habitants de ces régions.

La valeur assignée à l'eau selon les peuples dépend beaucoup de facteurs culturels et géographiques. Le partage de l'eau fut l'un des premiers éléments du progrès vers la vie en communauté et les rivières ont toujours eu une grande importance culturelle et spirituelle. Cela explique aussi que les partager soit une entreprise aussi sensible, susceptible d'enflammer les nationalismes. La valeur historique des systèmes d'eau tranfrontières comme faisant partie du patrimoine culturel d'un peuple ou d'une région ne saurait être ignorée lorsqu'on envisage leur exploitation ou leur partage. L'eau est essentielle pour donner le "droit à un niveau de vie suffisant pour assurer la santé, le bien-être de l'homme et ceux de sa famille " ( Déclaration universelle des Droits de l'homme, Article 25 ) elle doit être fournie à tous indépendamment du statut économique. Il importe de trouver un équilibre entre le droit de chacun à une quantité d'eau raisonnable pour que son environnement soit vivable, le besoin d'une utilisation efficace de l'eau et l'emploi de l'eau dans l'entreprise, notamment pour la production d'énergie et l'agriculture. Cet équilibre doit être atteint dans le contexte des cultures locales sans perdre de vue les valeurs non-économiques inhérentes à l'eau.


2. Coopération de bassin intégrée


En Europe, le principe d'une coopération de bassin reste à être pleinement exploré s'agissant d'intégrer tous les aspects de l'utilisation de l'eau, mais on assiste à une prise de conscience croissante de l'importance de l'environnement - rendue évidente par les rappels physiques constants des conséquences du manque de prévoyance passé. Les efforts récents pour administrer conjointement les fleuves du Rhin et du Danube ont massivement réussi à réduire la pollution, à répartir plus équitablement l'eau, mais une administration efficace sur le long terme réclame une approche plus flexible, intégrée et coopérative dans le cadre d'une gestion fondée sur les besoins et les engagements de différents groupes d'intérêts et le respect de l'intégrité des écosystèmes du bassin. Dans le bassin du Rhin, on admet, comme le traduit la récente Convention pour la protection du Rhin, signée en avril 1999, que la coopération entre les Etats est la seule solution, mais l'accomplissement d'une telle collaboration a été difficile à atteindre et bien des accords conclus entre les Etats du bassin n'ont pas été observés. La coopération relative à l’assainissement du Rhin fortement pollué a également entraîné un coût financier énorme, hors de portée d’Etats moins riches que la Suisse, l’Allemagne, la France ou les Pays-Bas.

Autorités de bassin régional

Il n'existe pas de modèle universel préétabli pour les autorités de bassin régional. Si l'on considère celles qui fonctionnent déjà, on voit qu'elles prennent maintes formes, depuis des organismes internationalement reconnus jusqu'à des comités d'experts et qu'elles sont aussi variées dans leurs objectifs et leurs activités que les bassins eux-mêmes. Leurs priorités aussi changent avec le temps, une mutation récente et bienvenue étant de s'éloigner des comités formés dans des buts précis, d'ordinaire centrés sur de vastes projets techniques, pour se rapprocher d'autorités aux visées plus diverses et générales.

Plutôt que de parler d'une structure uniforme recommandée pour les autorités de bassin, il vaut mieux considérer les fonctions qu'elles doivent remplir. Le point de départ pour la création de nombreuses autorités de ce type, à certains égards leur fonction la plus fondamentale, c'est le contrôle des données et le partage d'informations.  Les systèmes de collecte et d'échange de données, y compris les informations sur la disponibilité des ressources en eau, les utilisateurs d'eau, les systèmes hydrauliques et la gestion des terres sont des composantes essentielles de tout système coopératif. En réalité, une telle information est rarement réunie et peu disponible. Si les données sont réunies sur les aspects hydrologiques et météorologiques des systèmes hydrauliques, elles manquent sur la qualité de l'eau, les écosystèmes, les pratiques agricoles et les utilisateurs d'eau. La priorité de tout lancement d'une gestion de bassin intégré devrait être la standardisation des méthodes de collectes de données et l'augmentation des échanges d'informations, une transparence accrue entre les pays, les différents domaines d'utilisateurs d'eau et les experts.

La deuxième initiative à prendre en termes d'urgence, c'est la création d'un forum de discussion ouverte aux idées et problèmes entre les Etats et les utilisateurs.  Ce genre de forum naît au niveau des techniciens, mais il devrait s'étendre graduellement aux associations d'utilisateurs, aux autorités locales, aux représentants officiels de l'Etat près le bassin. Cela soulève la question de la représentativité. Il est toujours difficile de choisir des gens vraiment représentatifs des communautés ou des groupes d'intérêts, mais c'est plus facile dans les pays démocratiques. Grâce à la création de ce forum, l'information et la formation peuvent être mises à la portée de différentes catégories d'utilisateurs, ce qui leur permettra de participer plus activement aux débats ultérieurs. La formation est particulièrement urgente. Il n'existe pas, actuellement, de cours formant à la gestion des rivières et, dans de nombreuses régions, les seules personnes informées sur l'eau sont les ingénieurs. Il est nécessaire de développer différents programmes de formation et de prise de conscience dans ce domaine destinés aux personnels officiels, aux ingénieurs et surtout à toutes les catégories d'utilisateurs.

Une fois collectées l'information et les données des groupes d'utilisateurs, le rôle de l'autorité de bassin devrait être de concevoir un Schéma directeur de bassin. Il s'agit  nécessairement d'un projet à long terme, opérant sur une durée d'environ une génération ( 25 ans ) ce qui impose l'évaluation de la situation, l'identification des objectifs, le développement des moyens destinés à l'application de solutions durables. Le financement est une considération essentielle ; en se concentrant sur des projets et des plans articulés sur des programmes d'investissements prioritaires à plus court terme, sans perdre de vue les buts à long terme, on stimulera l'intérêt et l'on garantira des résultats. Il est aussi important d'organiser le financement sur la base du principe  pollueur/payeur dans la mesure où les budgets publics réussissent rarement à trouver des fonds pour l'exécution de projets de gestion intégrée de cours d'eau.
L'un des attributs essentiels des autorités de bassin est de pouvoir trouver des financements sans lesquels rien ne peut être entrepris. Même dans les bassins où n'existent pas de conflits ou problèmes spécifiques, il est très compliqué et onéreux de développer les systèmes d'informations nécessaires à l'échange de données. L'exécution de projets à long terme et de programmes de formation destinés à toucher de larges sections de la population exige une expertise technique, des financements et par dessus tout le désir de réussir chez les personnes et autorités concernées.


Les autorités de bassin actuellement constituées en Europe ont toutes vu le jour au bout de plusieurs décennies. La situation idéale, c'est d'avoir une Autorité de bassin régional établie sur un accord solide et représentatif, impliquant la coopération volontaire des gouvernements des Etats, des autorités locales et des représentants d'utilisateurs d'eau. Il est en général plus efficace de partir des échanges et discussions pratiques et techniques concernant le bassin considéré, puis de passer graduellement à des activités de plus en plus représentatives. Grâce à une prise de concience et une coopération accrues, il devient de plus en plus clair que les problèmes d'un bassin partagé doivent être envisagés comme des problèmes collectifs plus que comme une collection de problèmes. Reconnaître qu'il y a des problèmes et discuter de solutions possibles à n'importe quel niveau, ce sont les préliminaires de la coopération de bassin.


3. Coopération de bassin : le Danube


L'histoire de la coopération autour du Danube remonte au moins à la création de la Commission européenne du Danube en 1846. La Déclaration de Bucarest de 1985 s'attardait sur la coopération régionale dans le domaine de la prévention de la pollution et en 1992 le Programme environnemental pour le Danube ( DREP ) convint d'établir une base opérationnelle et régionale pour la gestion environnementale stratégique et intégrée du bassin, mais l'initiative récente la plus importante a été la signature de la Convention sur la coopération pour la protection et l'utilisation durable du Danube ( DRPC ) de 1994 qui cherche à relier toutes les utilisations du fleuve, de même qu'à établir un cadre pour la protection de l'écosystème.

Le Danube a été divisé par le Rideau de fer pendant plus de quarante ans et la plus grande partie du fleuve coulait à travers des Etats centralisés, autocratiques, dont les politiques se souciaient peu de l'environnement, ce qui causa de lourdes pollutions et surexploitations. Aujourd'hui encore, l'évolution politique et les disparités économiques des dix-sept pays du bassin (Allemagne, Autriche, Slovaquie, Hongrie, Croatie, République fédérale de Yougoslavie, Roumanie, Bulgarie, Ukraine, Moldavie, Pologne, Italie, Suisse, Albanie, Slovénie, Bosnie-Herégovine et  République Tchèque ) rendent difficile l'accord sur les normes, les buts, les engagements financiers pour réaliser des mesures et des projets de réduction efficace de la pollution et d'utilisation équitable. Heureusement, l'une des nombreuses ambitions de bien de ces pays centraux et orientaux est de rejoindre ou au moins de s'associer à l'Union Européenne, ce qui implique l'adoption de critères européens pour la protection de l'environnement en général et la gestion de l'eau en particulier. La Commission européenne et le PNUD/GEF fournissent également une assistance technique et financière pour aider les Etats à atteindre ces normes, renforcer la coopération régionale et réduire les effets transfrontières de la pollution du Danube et de la zone plus vaste de la Mer Noire.

La DRPC est utile en ce qu'elle a établi les mécanismes administratifs et juridiques essentiels à la coopération inter-régionale et la définition de buts et de mesures communes pour l'utilisation durable du Danube. Elle a le double but de parvenir à un développement durable et une gestion de l'eau équitable dans le bassin ; c'est un vrai défi si l'on songe que 17 pays, 5 grandes rivières et 165 millions de gens déversent de la pollution dans le fleuve. Le Danube coule aussi au milieu de dix villes de plus de cent mille habitants et ses rives hébergent d'innombrables industries lourdes, des raffineries, des usines chimiques et des systèmes d'irrigation. Avec une telle activité humaine, il importe de ne pas oublier que le bassin abrite des milliers d'espèces, renferme certaines des zones humides les plus importantes d'Europe, ainsi que le delta lui-même qui est malheureusement la première victime de l'accumulation de pollution et d'alluvions. Les différences de priorités et de ressources économiques entre les Etats de l'amont et de l'aval du

Danube constituent également un obstacle. Avant qu'ils puissent parvenir à un système vraiment intégré et équitable, adhérer aux principes approuvés dans la DRPC, les riverains devront accroître leur coopération économique pour aider les Etats en transition comme la Roumanie et la Bulgarie à acquérir les moyens de participer pleinement à la protection du Danube.  L'admission des Etats d'Europe de l'est dans l'Union européenne y contribuera grandement. La gestion d'une ressource transfrontière dont dépendent tant d'êtres et de choses nécessite une coopération, une intégration et une participation maximales.

Pour l'instant, la coopération sur le Danube se limite pour l'essentiel au contrôle de la qualité de l'eau et à celui de la pollution. Les conflits dans les Balkans au cours des années 90,qui ont interrompu la navigation et accru la pollution, ainsi que le deversement de cyanure à Baia Mare en 2000 qui a fortement et rapidement contaminé le cours inférieur,ont démontré que cela ne suffit pas à assurer une vraie protection du fleuve. La Yougoslavie, aujourd'hui République fédérale de Yougoslavie, a été exclue des accords depuis 1991, ce qui a grandement nuit au contrôle de la qualité comme à l'accès aux informations dans cette partie centrale et importante du fleuve. L'abîme s'est creusé entre les Etats plus riches du haut Danube et la Roumanie et la Bulgarie car ce sont ces dernières qui sont le plus affectées par les problèmes de communication et de pollution dus au conflit des Balkans. Les conflits et les pollutions catastrophiques ont également révélé l’absence de procédures d’urgence pour faire face, par exemple, aux risques humanitaires et environnementaux de la pollution de l’eau entraînés par le bombardement de sites industriels ou d’importantes fuites industrielles.

Malgré la diversité d'intérêts, de préoccupations et de problèmes dans le bassin danubien, les pays riverains partagent de nombreuses valeurs et principes relatifs à l'environnement et à la protection des ressources. Ces idées communes constituent le cadre du Plan d'action stratégique pour la restauration et la protection du bassin du Danube. Ce plan est le résultat de la première phase triennale du DREP et il soutient désormais les buts de la DRPC. Les six principes contraignants en sont : le principe de précaution ; le recours aux meilleures techniques disponibles/à la meilleure pratique environnementale ; le contrôle de la pollution à la source ; le principe du pollueur-payeur ; la coopération régionale ; le partage d'informations. Il existe aussi un accord concernant les secteurs et les acteurs responsables.

Tout cela doit se dérouler dans une région en pleine transition politique, économique et sociale, dont on sait que les tensions ethniques et religieuses inspirent des sentiments nationalistes pouvant s'opposer à l'esprit de la coopération régionale. On ne doit pas sous-estimer la réussite qu'est la co-existence ; c'est une étape qui permettra de considérer l'eau et la terre du bassin danubien comme une unité administrative écologique dont le développement et la protection efficaces et durables amélioreront l'existence de tous ses habitants. Le Danube est l'artère reliant l'Europe de l'ouest à celle de l'est. C'est une source d'eau de boisson, de transport, de communication, de tourisme de même qu'il fournit la ressource principale en eau pour l'agriculture, l'industrie et la sustentation de l'environnement naturel de toute la région. Le contrôle de la qualité de l'eau, celui de la pollution sont des éléments essentiels à la protection du Danube, mais dans un bassin aussi complexe et lourdement peuplé, un programme de plus grande ampleur s'impose avec urgence.

Le conflit du barrage Gabcikovo-Nagymaros

La période de transition et les nouvelles priorités du début des années 1990 ont cependant provoqué un conflit sérieux, entre la Tchécoslovaquie ( aujourd'hui Slovaquie ) et la Hongrie au sujet du barrage Gabcikovo-Nagymaros. L'histoire de ce litige s'étend sur vingt ans, depuis la signature d'un traité entre les deux pays convenant d'édifier deux barrages coordonnés en 1977 jusqu'au jugement de 1997 de la Cour de Justice internationale sur le conflit résultant du retrait de la Hongrie et de la décision de la Tchécoslovaquie de poursuivre le projet unilatéralement. Le jugement a d'importantes conséquences sur le droit des cours d'eau internationaux et sur le nouveau droit international de l'environnement. Dans cette affaire, la Cour a estimé qu'il existait un principe de "nécessité écologique" selon lequel un Etat peut être absous de sa responsabilité dans une action par ailleurs illégale, en l'occurrence la rupture d'un traité, en invoquant la loi de la Responsabilité d'Etat au motif que la dégradation environnementale menace un "intérêt essentiel" de l'Etat. Cependant, la portée du jugement est amoindrie par le fait que la Cour a jugé que la "nécessité écologique" ne peut être invoquée qu'en cas de péril réel, grave et imminent au moment où on la brandit, réfutant par là que les préoccupations à plus long terme de la Hongrie pour ses zones humides et la biodiversité constituaient un intérêt essentiel.

S'agissant de la diversion unilatérale de la Tchécoslovaquie ( devenue la Slovaquie en 1992 ) et son contrôle d'une partie du Danube, ressource dont on convient qu'elle est partagée, la décision de la Cour a reflété et fortifié les principes édictés par la Convention de 1997 sur "les utilisations distinctes de la navigation des cours d'eau internationaux" en décrétant que la Tchécoslovaquie avait privé la Hongrie de son droit à une partie raisonnable et équitable des ressources naturelles du Danube. Elle a réaffirmé le principe de la "communauté d'intérêt" dans le partage des cours d'eau. Par cette décision, la Cour a également révélé un fait inquiétant, à savoir que les Etats ont un droit sur l'utilisation équitable de l'eau, mais pas les peuples ni l'environnement. Or ce fut le peuple de Hongrie qui pressa les autorités d'interrompre les travaux de son côté, par crainte pour ses ressources en eau et les dégâts potentiels sur l'environnement ; un bel exemple de réassertion de sa souveraineté sur l'eau pour une population longtemps méprisée. Cela devrait attirer l'attention sur le danger qu'il y a à laisser prendre des décisions concernant des ressources aussi essentielles par les seuls gouvernements, surtout lorsqu'ils ne représentent pas démocratiquement la population. Un système de gestion et de prise de décision plus participatif devrait réduire la probabilité de voir signer des traités ignorant la population ou l'environnement et menaçant dès lors la paix de la région.

4. L’eau et la sécurité

L'eau joue un rôle dans la sécurité à plusieurs titres. Traditionnellement, elle est considérée comme un élément crucial de la sécurité nationale et pour cette raison elle est souvent étroitement surveillée comme élément de la relation de pouvoir entre les Etats. Cependant, on assiste à un déplacement d'intérêt des préoccupations de sécurité nationale vers celle de l'humain et de l'environnement, reflet de la conviction croissante que la sécurité personnelle réelle de l'individu et de la communauté réduite est aussi importante, sinon plus, que la sécurité, souvent symbolique, de l'Etat. Cette inflexion est particulièrement vraie dans les zones confrontées à des problèmes de qualité d'eau, ce qui est le cas de la plus grande partie du continent. On a aussi de plus en plus conscience, les Balkans y ont contribué, que la stabilité sociale et intérieure peut être plus décisive pour le maintien de la paix et de la stabilité régionales que les bonnes relations interétatiques. Source d'alimentation, d'hygiène et des possibilités de développement, l'eau est une composante essentielle pour la réalisation d'une telle sécurité sociale. Dire d'un Etat qu'il est exposé à un "risque hydropolitique" c'est plus souvent renvoyer à sa situation sociale intérieure qu'au potentiel de conflits inter-étatiques. Des politiques de l'eau impopulaires ou insuffisantes peuvent déclencher des conflits civils et des émeutes, surtout dans les zones économiquement affaiblies et exposées à des troubles ethniques. Les conflits intérieurs ont tendance à traverser les frontières, à causer l'instabilité et même à s'étendre dans les pays voisins, surtout lorsque l'effet du conflit y est directement ressenti, comme il arrive avec les afflux de réfugiés. Les litiges intérieurs apparaissent souvent transfrontières lorsqu'ils surviennent dans le cadre d'un Etat fédéral. L'urbanisation croissante a infligé une pression énorme sur les ressources en eau de l'Europe, notamment sur les grandes ressources transfrontières où sont situées bien des grandes villes. On a déjà assisté à des manifestations et des émeutes à la suite de l'interruption de l'approvisionnement en eau ou du fait d'une qualité insuffisante de celle-ci dans des villes comme Budapest et Bucarest, événements promis à se multiplier si le problème n'est pas réglé au niveau du bassin et avec l'implication des populations locales.

L'eau peut être une source de conflit, mais aussi la cible du conflit, comme on l'a vu dans les guerres européennes, de l'Irlande du Nord au Kosovo. A ce jour, il n'existe aucun cadre juridique convenable pour la protection des cours d'eau transfrontières en temps de guerre. Les bombardements de 1999 dans les Balkans ont mis en péril la santé du Danube et de ses affluents, menaçant des millions de gens dans toute l'Europe centrale et orientale et l'isolation persistante de la République Fédérale de Yougoslavie empêche qu'on prenne des mesures de protection, de partage et de contrôle. L'interruption des services vitaux de communication et de transport sur le Danube du fait du conflit a causé des pertes incalculables à la région. De même qu'on a toujours tenu pour un crime de guerre d'empoisonner l'eau de source de l'ennemi, on devrait étendre la "sanctuarisation" des cours d'eau pour les protéger des horreurs de la guerre moderne, surtout s'agissant de cours d'eau internationaux. Au nombre des séquelles de la guerre, dont la Guerre Froide, figure la terrible pollution, à long terme, des cours d'eau, souvent transfrontières.

Les populations et les autorités d'un bassin doivent élaborer des pratiques durables encourageant la perception de l'eau comme une ressource partagée et unificatrice, en promouvant  des solutions mutuellement bénéfiques à tous les problèmes dûs à l'eau avant qu'ils ne deviennent incontrôlables. L'eau est une ressource cardinale de la stabilité et de la prospérité, il faut s'en servir comme d'une force d'intégration régionale, non de division. Le partage de l'eau a constitué la première étape vers l'émergence de la civilisation et jusqu'à ce jour c'est un aspect important dans la création et l'unification des communautés. En revanche, le fait de priver une population d'une eau de bonne qualité, voire celui de croire que ses compatriotes ont un droit supérieur sur les cours d'eau transfrontières, doivent être considérés comme des manifestations radicales de nationalisme, qu'il soit intra ou inter-étatique. A mesure que s'intensifie la compétition pour les ressources naturelles, les préoccupations environnementales seront de plus en plus reliées aux problèmes de sécurité nationale et internationale aussi faut-il développer les mécanismes d'évitement de conflits, dont les pratiques diplomatiques et juridiques. Les accords sur le partage des ressources transfrontières comme l'eau seront essentiels pour le maintien de la stabilité dans le monde entier.


5. La participation publique et les autorités locales


Là où les gens ont recours à des autorités locales représentatives, où les parlementaires et les dirigeants locaux sont informés et soucieux de l'eau de leur circonscription, les tensions sont beaucoup moins probables. La participation du public dans les décisions liées à la gestion de l'eau est si cruciale qu'on commence à y voir un droit de l'homme. Cependant, une telle participation reste rare. Tant au sein des Etats qu'entre eux, l'implication et la participation des parties intéressées sont essentielles pour parvenir à une utilisation efficace et juste des cours d'eau internationaux. Comme entre les Etats, l'utilisation de l'eau entre les secteurs est souvent envisagée comme une relation à somme nulle ; si telle quantité d'eau est utilisée pour l'agriculture, elle est donc inutilisable pour l'utilisation municipale etc... En fait, avec une coopération et une coordination accrue, les ressources en eau pourraient être grandement augmentées. L'eau usée municipale, partiellement retraitée, peut servir à certains types d'agriculture, l'eau de pluie être récoltée dans les villes et l'encouragement d'une approche par la gestion de la demande peut réduire l'inefficacité et le gaspillage dans tous les domaines. L'intégration de tous les secteurs d'utilisateurs d'eau au niveau du bassin national et international est fondamentale pour atténuer les problèmes de qualité et de rareté de l'eau, réalité de mieux en mieux comprise par les gouvernements et les organisations internationales. Cela réclame de la communication et un partage d'informations entre les parties de tous genres, et surtout un désir de participer et coopérer activement afin d'améliorer la situation générale en matière d'eau. Comprendre et évaluer les besoins des autres secteurs est donc essentiel pour saisir comment les bienfaits de ressources en eau bien gérées peuvent être partagés plus équitablement.

Les parties intéressées à l'eau englobent tout le monde, depuis l'individu jusqu'au niveau du gouvernement en passant par les sociétés. Créer les moyens de communiquer et d'éveiller l'attention dans un groupe aussi divers est un défi pour l'éducation, les médias et les services d'information de n'importe quelle région. S'agissant des bassins internationaux, il faut compter en outre avec la dimension nationale. Pour lancer un système intégré et opérationnel, toutes les parties doivent être certaines que les autres jouent le jeu. Aucun Etat ni secteur ne doit supporter une partie disproportionnée du fardeau ou du fruit des efforts de protection de l'eau.

Il est très important de rapprocher les détenteurs du pouvoir et de l'argent et ceux qui veulent et ont besoin que des changements soient faits en ayant l'expérience locale et la connaissance essentielles à la conclusion d'accords viables. Le problème qui se pose est celui d'une représentation et d'une participation adéquate de la population du bassin dans la rédaction, l'exécution et le contrôle des accords et des programmes pour la gestion internationale de l'eau. L'attention internationale se porte de plus en plus sur cette question. Plusieurs conférences internationales ont été récemment consacrées à analyser le rôle de la participation publique dans la gestion de l'eau et la manière de l'encourager. Un groupe d'experts de la Commission économique pour l’Europe des Nations Unies à la Convention d'Arhus de 1998 sur l'Accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement a proposé de tenir compte des prescriptions sur la participation du public à la gestion de l'eau pour améliorer la qualité et l'exécution des décisions, accroître la transparence et la prise de conscience du public et contribuer tant au développement de la démocratie qu'à la protection de l'environnement. Si tous les accords récents de bassin font référence à la participation et à la prise de conscience de la société civile, d'autres efforts actifs s'imposent pour fournir les occasions d'appliquer ce principe. La participation de toutes les parties intéressées favorisera également la coopération et l'intégration des différents secteurs et groupes d'utilisateurs d'eau et la création d'un climat de confiance et d'engagement essentiel au partage amiable et à la conservation de l'eau.

Le cadre universel fourni par la Convention des Nations Unies orientée dans un sens étatique est une étape importante et comme tous les accords, il fournit l'atout supplémentaire d'une plus grande stabilité et prévisibilité ; il ne saurait toutefois assurer une gestion intégrée de tous les bassins internationaux. Cet instrument international souffre de l'absence de toute référence aux autres parties intéressées - sinon les Etats eux-mêmes - comme les communautés locales, les ONG et même les individus ( bien qu'il existe une clause assurant aux individus l'accès aux procédures judiciaires dans l'éventualité d'un dommage transfrontière). Il faut trouver le moyen d'intégrer le large public dans la gestion des cours d'eau internationaux et de garantir un vaste accès à l'information. Cela augmenterait la prise de conscience et le soutien des efforts d'amélioration de la politique de l'eau. En outre, les institutions occupées du droit international humanitaire devrait décider s'il existe un droit à l'eau pure, droit qui imposerait des paramètres gouvernementaux significatifs pour garantir que les cours d'eau internationaux sont gérés dans l'intérêt de tous.

Tous les instruments relatifs à l'eau, les conventions régionales etc. devraient s'inscrire dans un cadre juridique cohérent traitant des cours d'eau internationaux. L'état de droit ne saurait être un phénomène statique, mais, comme l'a conclu la Cour de Justice internationale dans l'affaire Gabcikovo-Nagymaros, les traités doivent accueillir les nouvelles normes du droit international, dont celles touchant l'environnement. Le développement d'une perspective écosystémique en serait encouragée, centrée sur la dynamique et les liens existant dans les systèmes d'eau de source, marine et atmosphérique. Par ailleurs, le droit et la gestion des cours d'eau internationaux doivent être replacés dans leur contexte, vus dans le contexte des nouvelles normes de protection environnementale, de droit humanitaire, de mondialisation accrue et d'unité régionale, des paramètres changeants du paradigme de la souveraineté d'Etat. La coopération reste à développer vers la cogestion efficace des cours d'eau transfrontières. Les éléments essentiels associeraient toute l'eau et la terre faisant partie du système de drainage ; la création d'un cadre institutionnel fournissant un échange régulier d'informations pour permettre aux riverains de gérer le cours d’eau de la meilleure façon pour tous ; l'implication enfin de toutes les parties dans un projet reposant sur la perspective écosystémique, dans les limites du développement économique.

De bonnes pratiques sur l'eau au niveau national peuvent inspirer et influencer celles du niveau international ou celui du bassin. Les mauvaises pratiques intérieures sont une source de dégradation sociale, économique et environnementale dont les effets ne seront pas nécessairement confinés dans les frontières de l'Etat. Peu d'Etats ont une législation bien établie pour l'organisation de l'eau au niveau du bassin fluvial ; la France et l'Espagne sont des exceptions, chacune dotée de lois de bassin avancées. A cet égard, cependant, l'Europe a peut-être pris du retard sur l'Amérique centrale et du sud où l'on tend à administrer l'eau autour de l'unité de bassin. Le Brésil, le Chili et le Mexique sont tous occupés à développer des systèmes fédéraux très compliqués de gestion de l'eau afin de décentraliser le pouvoir sur l'eau et d'éviter une crise imminente. La croissance d'immenses villes et l'industrialisation rapide de ces Etats a rendu cette initiative indispensable dans la mesure où une croissance démographique également accélérée fait de l'approvisionnement d'eau une affaire de stabilité et de sécurité intérieures. La nouvelle législation donne à l'eau un rôle important dans le processus plus général de démocratisation et son succès dépendra massivement de la volonté populaire. Le succès dans la gestion associée de bassins de rivières très exploités dans de vastes Etats complexes et jeunes de ce type devrait à la fois accroître leur stabilité et servir d'exemple à d'autres Etats. La représentation accrue d'autorités plus locales - et les populations elles-mêmes - à l'égard des bassins nationaux devraient aussi encourager plus d'implication dans la naissance des mécanismes permettant de partager les cours d'eau transfrontières. Avant que les problèmes de qualité d'eau n'empirent, bien des nations européennes devront revoir leurs lois actuelles sur l'eau en posant le bassin comme unité d'administration et de protection et le désir d'une participation plus locale et publique. La décentralisation de la politique de l'eau devrait être encouragée afin d'accroître le rôle des autorités locales et d'impliquer autant de gens concernés que possible.

6. Privatisation des services de l’eau

Dans le monde entier, la dérégulation et la privatisation des services publics deviennent une stratégie courante pour accroître l’efficacité et attirer les investissements dans les services. Les services de l’eau et des eaux usées, notamment dans les grandes centres urbains, ne font pas exception. La privatisation des services de l’eau est une question hautement sensible et, partant, souvent controversée. Ses partisans prétendent que lorsqu’elle est bien faite, la privatisation améliore les services, encourage la conservation et dégage des ressources publiques pour répondre aux besoins des pauvres et de ceux qui ne sont pas desservis. Les détracteurs font valoir que l’eau « à but lucratif » encourage la corruption, diminue la qualité du service, majore les prix et isole les clients qui n’ont pas les moyens de payer. Il ne fait aucun doute qu’un changement de politique ou de gestion qui améliore l’accès des populations à l’eau potable et à des conditions d’hygiène permettra de sauver et de transformer des vies. Toutefois, des changements effectués sans tenir compte des préoccupations locales, des conséquences sociales ou des répercussions écologiques pour l’ensemble du bassin hydrographique, risquent d’aboutir à un conflit et à l’échec des tentatives de privatisation les mieux intentionnées. Ces conflits peuvent se dérouler devant les tribunaux, dans les médias ou dans la rue. Ils peuvent opposer le public à la compagnie privée concernée ou les usagers du bassin hydrographique qui bénéficient du système de privatisation et ceux qui sont oubliés ou même qui sont lésés par ce dernier. Ils peuvent même découler d’un changement de gouvernement et partant d’idéologie concernant les services publics. Dans quelques villes du monde, la privatisation a tenu ses promesses d’un service amélioré pour davantage de personnes avec moins de répercussions écologiques. Plusieurs grandes villes du bassin du Danube, notamment Sofia, s’acheminant actuellement vers la privatisation, il est crucial que tant les décideurs que le public mesurent pleinement les différentes options et conséquences et que les prestataires du secteur privé soient sensibles aux facteurs sociaux et environnementaux locaux. En l’absence de cette compréhension et de cette prise de conscience, la privatisation pourrait devenir une nouvelle source de conflit entre les utilisateurs de l’eau.

La privatisation des services de l’eau dans un bassin tel que celui du Danube soulève nécessairement des problèmes transfrontières, étant donné que la façon dont une ville traite ses eaux usées est d’une importance primordiale pour celles qui se trouvent en aval et que les compagnies privées sont souvent internationales. Régulation, transparence et dissémination de l’information sont indispensables pour une gestion de l’eau efficace, qu’elle soit menée par le secteur public ou privé. Les autorités locales et régionales doivent elles-mêmes être bien informées de la question de la privatisation et joueront un rôle clé en veillant à ce que le public de toute zone envisageant cette option soit au courant des décisions et soit en mesure d’y participer. Des autorités locales mal informées sont vulnérables à la pression et à la persuasion des grandes compagnies privées recherchant avidemment les possibilités commerciales. Le processus étant mené dans différentes communes, il faudra que chacun soit en mesure de tirer des enseignements des bonnes et des mauvaises expériences en matière de privatisation de l’eau et de mise au point d’une législation appropriée.

7. Nécessité d’une hydrosolidarité européenne

La France a récemment révélé son intention de réformer son droit de l'eau en 2001 pour l'aligner sur la directive cadre sur l'eau de l'Union européenne (publiée en 2000). Ces plans prévoient la création de nouveaux impôts sur l'eau pour renforcer le principe du pollueur-payeur et une réforme de la tarification de l'eau. On se propose aussi de créer un "fonds national pour la solidarité sur l'eau" pour financer des initiatives communes tant au sein qu'en dehors des principaux bassins. On voit dans l'instauration de la directive cadre sur l'eau de l'Union le premier vrai test pour vérifier que l'Europe envisage sérieusement les problèmes et les responsabilités environnementales. Avec des rivières en si piteux état, ce que traduisent la
disparition des pêcheries,  du saumon et le fait que le continent n'a plus qu'un seul système fluvial naturel épargné par les barrages (le Tornealvan partagé par la Suède et la Finlande) l'Union européenne doit relever un vrai défi pour arriver à des résultats concrets. Tout dépendra de la coopération régionale, inter-étatique et du soutien local. Avec la Directive-cadre, l’UE s’est engagée à améliorer la gesion de l’eau et a créé une norme que les candidats à l’adhésion à l’UE doivent appliquer. Il faut également y voir un engagement parallèle à aider les Etats de l’UE à atteindre ces normes très élevées.

Dans la Communauté économique européenne, les problèmes sont très différents et  la gestion de l'eau doit devenir partie intégrante du processus de démocratisation. Si les citoyens de pays en transition ont le droit de se plaindre et d'adresser des pétitions à leurs autorités locales sur les questions d'environnement ou de qualité d'eau, la réponse qui leur est faite dépend du fonctionnaire en poste. Dans de nombreux pays de la Communauté, une méfiance perceptible à l'égard de l'autorité gouvernementale empêche la participation du public dans la prise de décision. Les études de cas ont révélé que les rôles des municipalités, des autorités locales et nationales manquent de clarté, qu'il y a un manque d'information sur les problèmes et les risques environnementaux et une administration généralement insuffisante au niveau local. La délégation de pouvoir aux autorités locales n'est pas encore une réalité dans le gros de la région, élément pourtant crucial dans l'amélioration de la gestion de l'eau. L'eau pourra aider à ce processus de décentralisation si les gens se mettent à exiger d'être impliqués. On l'a récemment constaté en Pologne, où l'opposition du public et des ONG a fait interrompre, au moins temporairement, la construction d'un barrage sur la Vistule inférieure. Les initiatives régionales comme le Plan d'action environnemental pour l'Europe centrale et orientale visent à développer la prise de conscience et à informer les gens sur la manière dont participer aux décisions de leur municipalité ou effectuer nos évaluations environnementales locales.

Il reste de nombreux cours d'eau transfrontières en Europe dépourvus de tout accord reconnu pour leur gestion et protection communes. Bien que les accords juridiques ne soient pas essentiels ni infaillibles, la coopération a peu de chance de se développer ou de prospérer sans eux. La coopération entre les communautés situées immédiatement de part et d'autre d'une frontière nationale attire de plus en plus l'attention ; essentiellement du fait de l'habitude des nations d'installer leurs usines polluantes le long ou non loin des frontières. Le long de la frontière entre le Montenegro et l'Albanie, la Buna ou le Lac Shkroda sont sévèrement pollués par des mines et des rejets d'eaux pollués qui nuisent à l'eau de boisson des communautés locales. Dans la zone frontière entre la Lettonie, la Lithuanie et la Biélorussie, plusieurs rivières tranfrontières sont polluées par des activités minières et industrielles. Faute de communication transfrontière, les tensions sont inévitables et, dans les cas d’urgence tels que la catastrophe de Baia Mare sur la Tisza, l’absence de voies de communication peut empêcher d’agir rapidement afin de réduire les dommages et d’informer les gens des risques.

Les autorités locales des municipalités situées de part et d'autre d'une frontière et partageant la ressource d'eau pourraient devenir des canaux de communication et donc de coopération et de compréhension. Ces petites initiatives pourraient représenter les prémices essentiels des systèmes interétatiques, participatifs, de coopération et de cordination qui se sont développés en Europe de l'ouest en ce siècle, par exemple sur la Meuse et le Rhin et le  Lac Léman. Des ressources en eau insuffisantes peuvent gravement empêcher le développement, nuire à la santé et empêcher confiance et sécurité dans un pays. L'Ouest doit étendre sa solidarité autour de l'eau vers l'Est, sous forme d'échange d'expertise, d'assistance dans le financement, de contrôle de projets vers une vraie coopération pour l'eau d'Europe dont chacun est partie prenante. En étendant cette aide à leurs voisins du cours inférieur du Danube, les Etats et provinces du bassin du Rhin et ceux du bassin du cours supérieur du Danube offriraient un excellent exemple de solidarité paneuropéenne. Le fait qu’une gesion de l’eau internationale efficace soit considérée comme un bien public régional, c’est-à-dire quelque chose qui profite à tous dans la région, devrait inciter l’Europe occidentale à réaliser qu’améliorer la gestion de l’eau du bassin du Danube est un investissement utile pour l’avenir du continent tout entier.

Les cours d'eau sont un problème mondial, mais la "mondialisation" ne constitue pas la réponse. Les principes universels incarnés dans la Convention des Nations Unies doivent être respectés mais l'eau est une préoccupation hautement sensible, régionalement et culturellement, et c'est à ce niveau qu'il faut la gérer. A cet égard, le point important de la Convention des Nations-Unies c'est d'avoir établi que l'eau est une ressource partagée. La manière dont ce partage a lieu doit être envisagée aux niveaux locaux. Autre importance potentielle de la Convention, elle pourrait être utilisée pour la défense et la protection des petits Etats qui tendent à être surdominés dans les dispositions régionales. Cette tendance est une autre raison pour renforcer et créer davantage d'autorités de bassins de rivières, comme celles dont on a parlé pour les cours d'eau internationaux. Tranférer la gestion générale des ressources en eau transfrontière de l'agenda des gouvernements étatiques aux autorités de bassins internationaux qui coordonneront ultérieurement les autorités locales appropriées et les groupes d'utilisateurs, c'est rattacher le niveau de prise de décision au bassin plus qu'à l'Etat, ce qui induira une gestion plus écologique, démocratique et efficace. Il importe que ces Autorités de bassins fluviaux soient non seulement équitables, représentatives et puissantes, mais qu'elles travaillent conjointement avec les autorités locales et le peuple pour une gestion vraiment intégrée et durable de l'eau pour tous.
1 La Convention de la Commission Economique pour l'Europe de 1992 sur la Protection et l'Utilisation des cours d'eau transfrontières et des lacs internationaux désigne par "eaux transfrontières" toutes les eaux superficielles et souterraines qui marquent les frontières entre deux Etats ou plus, les traversent ou sont situées sur ces frontières (Ière Partie Article 2)
2 Le règlement de Helsinki sur l¹Utilisation des Eaux de Fleuves internationaux, 1966, décrit le "bassin de drainage international" comme "la zone géographique s'étendant sur deux Etats ou plus, déterminée par les limites de partage des eaux du système hydrographique, y compris les eaux souterraines, s'écoulant vers un terminus commun". (Article II )