La démocratie locale nord-sud: la charte européenne de l'autonomie locale en action - CPL (3) 8 Partie II

Rapporteur: M. H. Frendo (Malte)

EXPOSÉ DES MOTIFS

I. LA CHARTE EUROPÉENNE DE L'AUTONOMIE LOCALE

I.a. Les débuts

La notion de code international énonçant le principe d'autonomie locale a connu une longue histoire depuis qu'elle a été avancée par les fondateurs du Conseil des communes européennes (CCE) lors de leur première Assemblée générale, tenue à Versailles en 1953. Le Comité des Ministres s'est opposé aux premières tentatives de la Conférence européenne des pouvoirs locaux du Conseil de l'Europe (précurseur du CPLRE) visant à adopter une «déclaration de principes sur l'autonomie locale», fondée sur le modèle du CCE. Il a donc fallu que le développement démocratique de l'Europe se poursuive pendant plusieurs années avant qu'un accord puisse être trouvé au début des années 80 sur la proposition de rédiger ce qui est devenu maintenant la Charte européenne.

En outre, même au sein de la conférence, ils étaient nombreux à l'époque qui pensaient que ce ne serait rien de plus qu'un exercice «académique», aboutissant à une nouvelle déclaration intéressante et même excellente qui n'aurait pas beaucoup d'impact sur la vie réelle.

I.b. Les progrès

Dans les années qui ont suivi immédiatement son adoption par le Comité des Ministres, la Charte a progressé discrètement mais régulièrement, avec la signature et la ratification de la plupart des Etats membres (mais pas tous). Toutefois, ces dernières années, son succès a été phénoménal. Autrefois considérée comme une vision idéaliste, elle a maintenant sa place parmi les structures fondamentales d'un système de gouvernement démocratique et constitue la philosophie essentielle, l'élément de référence, la pierre de touche du travail et de l'approche du CPLRE pour la promotion de la démocratie locale.

Le décollage a correspondu évidemment à son application aux nouvelles démocraties d'Europe centrale et orientale, désireuses de fonder leurs réformes sur un ensemble de normes internationalement reconnues. La Charte a donc servi de référence pour la réforme des collectivités locales dans nombre de ces pays et a souvent été reproduite mot pour mot dans les nouvelles constitutions nationales.

Mais le progrès des signatures et des ratifications ne s'est pas limité aux nouveaux pays. Avec le développement de la décentralisation résultant d'une meilleure compréhension des avantages qu'elle représente, le renforcement des organismes internationaux comme le CPLRE et la création de nouvelles institutions comme le Comité des régions, on a assisté à une accélération des signatures et des ratifications par certains des anciens Etats membres, si bien que maintenant 21 des 39 Etats membres ont signé et ratifié la Charte, avec 7 l'ayant signé. 11 pays ne l'ont ni signé ni ratifié.

I.c. La surveillance du respect des engagements

Actuellement une grande partie des préoccupations et des débats au sein du CPLRE portent sur la recherche de mécanismes assurant le respect des obligations de la Charte par les pays qui l'ont ratifiée, grâce à un dispositif apparenté à celui en vigueur pour les droits de l'homme. S'il est peu probable qu'un tribunal soit chargé de faire respecter la Charte comme la Cour européenne des Droits de l'Homme le fait pour la Convention Européenne des Droits de l'Homme, le CPLRE avec l'accord du Comité des Ministres, par l'intermédiaire d'un groupe de travail spécialisé, étudie activement la question du respect de l'application de la Charte dans les Etats membres.

La Charte constitue également un point de référence pour évaluer la mesure dans laquelle les Etats Ä anciens ou nouveaux Ä respectent les principes de la démocratie locale, fait l'objet d'une série de monographies nationales établies par le CPLRE au cours des dix-huit derniers mois.

II. LA CHARTE AU-DELÀ DES FRONTIÈRES EUROPÉENNES

L'idée que la Charte soit étendue ou son application élargie aux pays non européens est donc parfaitement logique.

Cette idée n'a rien de nouveau. Peu de temps après que le Conseil de l'Europe ait adopté la Charte à titre de convention, les principes directeurs de celle-ci ont été repris par l'Union internationale des villes et pouvoirs locaux (UIV), qui en a fait le fondement de sa Déclaration mondiale de l'autonomie locale. Cette déclaration, qui reproduit dans l'ensemble la structure de la Charte européenne mais prévoit une application plus flexible dans des circonstances plus diverses, a été rendue publique lors du 27e Congrès mondial de l'UIV, qui s'est tenu en 1985 à Rio de Janeiro. L'UIV a ensuite tenté, en s'inspirant du précédent européen, d'obtenir du Conseil économique et social de l'ONU qu'il entérine et publie la déclaration, mais en dépit de certains gestes encourageants cette tentative a échoué faute d'avoir, à ce moment-là, le soutien politique nécessaire.

A la suite des bouleversements politiques de la fin des années 80 et du début des années 90, l'UIV a décidé qu'il était opportun de relancer ce sujet, et a repris la déclaration à son 31e Congrès mondial, tenu en juin 1993 à Toronto, en lui joignant un préambule évoquant le succès de la Charte européenne et proclamant que la nouvelle déclaration constituait une norme vers laquelle toutes les nations devaient tendre pour faire progresser la démocratie et améliorer de la sorte le bien-être économique et social de leurs populations.

Un certain nombre d'associations et de réseaux internationaux de pouvoirs locaux ont entériné la Déclaration de l'UIV ou publié des déclarations similaires liées à leur domaine d'activité particulier. On admet désormais beaucoup plus fréquemment, au niveau international qu'il est intéressant d'étendre les compétences des pouvoirs locaux et de les considérer comme de véritables partenaires dans les programmes de développement social et économique.

Cette reconnaissance du rôle des pouvoirs locaux est bien apparue au Sommet de la Terre à Rio qui a mis en évidence le fait que de nombreux problèmes mondiaux ont leur origine dans des activités locales et doivent être traités à l'échelon local. Depuis le sommet, on s'est davantage intéressé à l'idée d'une Convention mondiale sur l'autonomie locale inspirée par les Nations Unies Ä qui a été au centre des préoccupations de l'Assemblée mondiale des villes et des pouvoirs locaux (WACLA) tenue à Istanbul à la veille de la Conférence des Nations Unies Habitat II. Le fait même qu'un certain nombre d'associations internationales de collectivités locales se soient rassemblées comme elles l'ont fait au sein du Groupe G4 pour ajouter une dimension «municipale» à la conférence constitue un pas en avant vers une Charte mondiale, de même que l'attention accordée par l'Organisation des Nations Unies à l'idée d'avoir une représentation des pouvoirs locaux au sein de ses structures internationales.

II.a. Contexte de la Conférence de Malte

Tel est le contexte de la décision du CPLRE, sur la recommandation de son Groupe de travail Nord-Sud, d'étudier la faisabilité d'une extension de l'application de la Charte aux pays non européens. Cette décision a été prise à la lumière de l'élargissement du Conseil de l'Europe et des liens informels établis par le CPLRE avec des organisations de pouvoirs locaux d'Amérique du Nord, du Japon, d'Amérique latine et d'ailleurs, et dans le contexte du dialogue avec les pays en développement poursuivi par le Groupe de travail Nord-Sud. La Conférence de Malte constitue donc la première étape d'une démarche qui devrait donner au CPLRE un rôle clé dans la promotion des principes de la démocratie locale et régionale à l'échelon mondial.

III. LA CONFÉRENCE DE MALTE

III.a. Historique

L'idée d'organiser une conférence est née au sein du Groupe de travail Nord-Sud lors de sa réunion à Lisbonne en 1995 et a été précisée au cours des réunions suivantes.

Le groupe a décidé que la Conférence de Malte devait tout d'abord étudier la voie à suivre et les obstacles concernant l'application de la Charte à l'Europe centrale et orientale, en recueillant le témoignage des personnes et des institutions concernées. Deuxièmement, il a décidé de délimiter la zone géographique à considérer pour une application éventuelle de la Charte. Il a retenu: a. le Bassin méditerranéen qui comprend plusieurs jeunes démocraties à côté de régimes démocratiques plus anciens et b. l'Afrique, car il existe depuis longtemps des partenariats ou des tandems entre des pays européens et africains pour la mise en place d'institutions démocratiques et l'aide aux collectivités locales.

Tel fut le point de départ de la Conférence de Malte.

III.b. La conférence proprement dite

La conférence a réuni quelque 120 participants venus de vingt-huit pays d'Europe et d'ailleurs représentant diverses professions concernées par le sujet, à savoir des représentants élus des collectivités locales et régionales, des fonctionnaires d'administrations publiques à différents niveaux, des universitaires et des membres d'autres établissements d'enseignement supérieur ou de recherche, des représentants d'associations nationales et internationales de collectivités locales, et des représentants d'institutions et d'ONG spécialisées.

Cette conférence, organisée conjointement par le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l'Europe et par l'Association des collectivités locales de Malte, s'inscrivait dans le cadre du programme de travail du CPLRE, mais se voulait également une contribution à la célébration du 10e anniversaire de la Charte.

La conférence était organisée autour des thèmes suivants:

Ä application au Sud de l'expérience de la Charte européenne dans les pays d'Europe centrale et orientale;

Ä la Charte européenne et le Bassin méditerranéen;

Ä la coopération Europe-Afrique dans le domaine du développement de la démocratie locale.

Dans le cadre de ce dernier thème, la conférence a examiné plus particulièrement les partenariats existant entre le Royaume-Uni et l'Ouganda, l'Allemagne et la Namibie, les Pays-Bas et l'Afrique du Sud.

Ces thèmes étaient illustrés par des rapports et des études de cas intéressant un vaste éventail de pays et de situations politiques.

Le CPLRE a reconnu que Malte, compte tenu de ses traditions historiques et culturelles, de sa situation géographique et de la récente consolidation de son administration locale, occupait une position idéale pour accueillir une telle conférence.

IV. LES OPINIONS DES PARTICIPANTS

IV.a. Concernant la Charte européenne de l'autonomie locale

Les participants ont tout d'abord souligné certaines caractéristiques de la Charte européenne de l'autonomie locale et expliqué les raisons de son importance. Premier instrument internationale contraignant consacré à l'autonomie locale, la Charte demeure la référence universelle la plus complète en la matière. Elle constitue un instrument idéal d'ancrage de la démocratie locale, et ce pour diverses raisons: elle est appliquée avec succès en Europe centrale et orientale; elle fut le premier instrument international contraignant à faire explicitement référence au principe de subsidiarité; ses dispositions sont suffisamment larges pour pouvoir être adaptées à un vaste éventail de situations particulières; elle fournit un cadre juridique solide pour l'inclusion, dans les constitutions nationales, de dispositions garantissant la démocratie locale; elle n'est pas simplement une déclaration de principe, mais aussi un instrument concret pour la pratique quotidienne de l'administration locale; elle incarne un ensemble de valeurs communes de portée universelle.

IV.b. Concernant la Charte européenne et les pays d'Europe centrale et orientale

Tout en reconnaissant que la Charte a joué un rôle essentiel dans le processus de réforme démocratique des pays d'Europe centrale et orientale, les participants ont souligné un certain nombre de points à améliorer: il importe que la légitimité politique donnée aux élus locaux soit assortie de pouvoirs, de responsabilités et de moyens suffisants pour leur permettre de répondre aux attentes de leurs concitoyens; les parlements nationaux sont encouragés à adopter les textes législatifs supplémentaires qui permettront d'assurer une protection légale de l'autonomie locale, ainsi que le prévoit l'article 11 de la Charte; il est indispensable de prendre la Charte en compte dans les procédures législatives, mais aussi de créer des mécanismes qui permettent d'assurer le respect de ses principes dans la pratique quotidienne de l'administration locale; il importe de développer le rôle et de renforcer les responsabilités des associations de pouvoirs locaux et régionaux; il pourrait être utile de mettre en place des organes ou des mécanismes mixtes associant l'administration centrale et les collectivités locales, chargés d'étudier et de négocier la répartition des responsabilités en tenant compte de l'évolution des besoins et dans le respect du principe de subsidiarité.

IV.c. Concernant la démocratie locale

Les participants ont également tenu à faire un certain nombre de remarques concernant les pouvoirs locaux et la démocratie locale, et à souligner les points suivants, qui n'ont rien de bien nouveau:

Ä une démocratie locale véritable est l'un des facteurs déterminants pour instaurer une société stable et pour promouvoir et assurer la tolérance entre les différents groupes politiques, ethniques et religieux. Ce point a été soulevé notamment à propos d'une question concernant les fondamentalistes islamiques et tous les autres mouvements religieux ou politiques qui pourraient être tentés de supprimer les institutions démocratiques au nom de leur croyance. Un débat s'est d'ailleurs engagé concernant la manière de garantir le maintien de la démocratie lorsque le processus démocratique permet l'émergence de forces antidémocratiques, mais aucune solution n'a été proposée;

Ä les pouvoirs locaux ne sont pas seulement un fondement essentiel d'un régime démocratique; ils forment également l'un des piliers de la construction européenne. Conformément au principe de subsidiarité, c'est au niveau local que les droits des citoyens à participer à la conduite des affaires publiques peuvent s'exercer le plus directement;

Ä l'autonomie locale a montré qu'elle ne constitue pas une menace pour la souveraineté nationale, mais fait partie intégrante de l'administration publique. Si l'autonomie locale est incompatible avec la notion de centralisation, elle est cependant compatible avec celle d'Etat unitaire. Elle est sensible aux desiderata des citoyens au niveau des communautés locales, et permet la mise en œuvre de toute une série de politiques et de programmes qui, sans elle, devraient être appliqués au niveau national.

Les collectivités locales doivent être libres d'exercer leurs compétences sans que l'administration centrale s'ingère indûment dans leurs affaires ou leur impose des procédures trop compliquées et sans risquer d'être victimes de suspensions ou de limogeages arbitraires, prononcés hors du cadre des procédures judiciaires habituelles.

V. LA CHARTE EUROPÉENNE ET SON RÔLE AU-DELÀ DE L'EUROPE: POINTS EXAMINÉS LORS DE LA CONFÉRENCE

En débattant de la possibilité d'appliquer la Charte aux pays du Sud, plusieurs intervenants ont fait remarquer que le Sud devait être demandeur. Les principes et les idéaux nés en Europe ne sont pas nécessairement exportables comme des barres de chocolat ou des machines à laver. Pourtant, un rapport récent de la Banque mondiale indique que, sur soixante-quinze pays en développement en voie de démocratisation, soixante-trois ont l'intention de confier des responsabilités aux pouvoirs locaux. Par conséquent, bien que les traditions historiques et les modèles culturels diffèrent d'un pays à l'autre, il semble bien qu'il y ait une demande.

En ce qui concerne la coopération entre l'Europe et l'Afrique, examinée dans le cadre de trois partenariats (Ouganda-Royaume-Uni, Namibie-Allemagne, Afrique du Sud-Pays-Bas), un certain nombre de points communs sont apparus.

V.a. L'Afrique

Dans tous les cas, une coopération importante s'était développée au cours de la période postcoloniale, pour aider à élaborer une législation en matière de démocratie locale, à mettre en place des associations nationales, et collaborer à la mise en œuvre d'engagements internationaux comme l'Agenda 21. Beaucoup de ces programmes joints étaient fondés sur la grande diversité des liens initiaux en matière d'échanges commerciaux, d'emplois, de programmes concernant de nombreuses formes d'assistance technique et pratique (logement, approvisionnement en eau, santé, etc).

Bien que certains aient mentionné les difficultés constitutionnelles et législatives qui entravent la coopération au développement, par exemple entre la Namibie et l'Allemagne, tous les participants se sont déclarés cependant convaincus de la valeur de ces liens pour favoriser la compréhension, la formation professionnelle, les coentreprises et surtout renforcer les moyens permettant la mise en place d'une démocratie locale.

Ces liens et ces partenariats visant à promouvoir une coopération décentralisée et l'établissement de structures locales sont extrêmement nécessaires car les structures des pouvoirs locaux dans certains pays d'Afrique reposent sur des bases constitutionnelles ou juridiques insuffisantes, souffrent du dirigisme du gouvernement central, dépendent trop des subventions gouvernementales basées sur des calculs souvent arbitraires et changeants et n'ont pas une assise suffisante au niveau local. En outre, ils n'ont pas souvent les moyens d'engager des négociations fructueuses avec leur gouvernement central en raison de l'absence de droits statutaires à la concertation et/ou de la faiblesse de leurs associations représentatives.

Cette coopération décentralisée contribue aussi à rétrécir l'écart politique et social entre le Nord et le Sud car les notions de démocratie, de bonne autonomie locale, de développement et beaucoup d'autres questions apparentées sont vues sous la même perspective par des peuples originaires de régions très différentes. Les participants ont estimé que cette expérience devait être étendue à d'autres pays, par exemple comme l'a indiqué Christopher Iga, Maire de Kampala: «Il faut tirer parti de l'expérience des relations entre l'Ouganda et le Royaume-Uni pour inciter davantage de communautés, de gouvernements, d'organisations non gouvernementales, l'Union européenne, les organisations religieuses et d'autres groupes du Nord et du Sud à participer à la recherche de solutions à ces problèmes et à ces défis, pour faire que le monde soit plus agréable à vivre pour tous.»

En fin de compte, comme l'a fait remarqué Mme Elizabeth Amukugo, de Namibie, le bon fonctionnement de la démocratie locale dépend beaucoup des pays eux-même: «Si l'aide des donateurs peut jouer un rôle dans le développement de la démocratie locale en Namibie, le succès de l'opération dépend cependant des habitants de la Namibie.»

V.b. Le Bassin méditerranéen

Pour la région méditerranéenne, il y eut un rapport sur la Turquie présenté par M. Keles, et décrivant l'état actuel des pouvoirs locaux et de la démocratie locale dans ce pays, ainsi qu'un rapport de David Cassuto, maire-adjoint de Jérusalem, sur les progrès de la démocratie locale en Israël et les obstacles rencontrés.

Votre Rapporteur, Dr Frendo, a présenté un rapport sur l'évolution des autorités locales maltaises depuis la signature et la ratification de la Charte par son pays en 1994.

Le Directeur du Centre Nord-Sud de Lisbonne, M. Lemmers, a fourni des informations sur les progrès de la démocratie en Algérie. Il eut également, comme on l'a déjà mentionné, un débat sur la manière de réagir face au fondamentalisme islamique.

Les participants ont présenté un certain nombre de remarques en indiquant que dans certains pays de la région, les pouvoirs locaux ne respectent pas les principes de la Charte, malgré un développement de la coopération en général et qu'il convient de développer la coopération entre le littoral nord et le littoral sud sur une large gamme de sujets et de programmes d'intérêt commun. Pour sa part, le Conseil de l'Europe est invité à consacrer une partie de la prochaine conférence sur la région méditerranéenne aux problèmes de la coopération en matière de démocratie locale et à contribuer à rassembler les collectivités locales de la région sous son égide pour accélérer le processus de paix au Proche-Orient.

VI. RAPPORT SUR LA DÉMOCRATIE LOCALE EN AFRIQUE, EN ASIE ET EN AMÉRIQUE LATINE

Dans le présent rapport, j'aimerais aussi présenter les informations communiquées lors de la conférence sur l'Etat de la démocratie locale dans certains pays d'Afrique, d'Asie et d'Amérique latine et indiquer plusieurs approches qui pourraient être adoptées ainsi le rôle éventuel du CPLRE. A cet effet, j'aimerais citer, avec l'accord de son auteur, l'excellent rapport établi pour la Conférence de Malte, par M. Paul Bongers, consultant, et je profite de cette occasion pour saluer le rôle essentiel qu'il a joué dans l'analyse des problèmes étudiés.

«Plusieurs pays d'Afrique ont profondément changé d'attitude, ces dix dernières années, sur la question de l'autonomie locale. Les puissances coloniales avaient souvent laissé derrière elles des systèmes d'administration locale qui fonctionnaient bien, et dont la structure et le cadre juridique étaient très proches du système en vigueur dans leur pays d'origine. Il s'agissait toutefois de systèmes conçus pour un style d'administration centralisée et paternaliste, qui ont été facilement adaptés au nouveau régime par des gouvernements composés (généralement) d'un parti unique peu soucieux de laisser se développer des pouvoirs concurrents au niveau local. Cette situation a entraîné un pourrissement des anciennes structures sur le plan qualitatif: les personnes nommées par le pouvoir central dirigeaient généralement ces organes au détriment des pratiques traditionnelles, et la base communautaire se trouvait fort réduite, voire inexistante. Le manque de ressources aggravait le problème, car les pouvoirs locaux avaient conservé leurs obligations statutaires de fournir d'important services alors qu'ils n'en avaient pas les moyens. Face à une population en forte augmentation dans les grandes et les petites villes, les services n'ont pu répondre à l'accroissement des besoins ni trouver de ressources auprès de ce qui aurait dû représenter une base de fiscalité élargie, permettant de financer les solutions aux problèmes créés pas cette évolution démographique.

En Afrique occidentale aussi bien qu'orientale, on a commencé à reconnaître ce problème à mesure que la démocratie pluraliste gagnait du terrain. L'Union européenne ainsi que certains autres donateurs ont encouragé la mise en œuvre d'une coopération décentralisée destinée à étendre l'autonomie et les compétences des régions; ils ont donc soutenu des partenariats directs entre le Nord et le Sud, en donnant souvent un nouveau contenu et un nouveau sens à des accords de jumelage restés jusqu'alors très formels. La Banque mondiale et divers pays de l'hémisphère nord ont apporté leur appui à des programmes novateurs de développement des communes à l'est comme à l'ouest de l'Afrique. Ces programmes étaient dirigés par des comités mixtes réunissant les donateurs, les gouvernements nationaux et les représentants des pouvoirs locaux des régions concernées; ils étaient axés sur les moyens d'étendre les compétences des pouvoirs locaux et de leurs associations nationales, celles-ci étant souvent embryonnaires. Ils s'appuyaient fréquemment sur des actions menées conjointement avec des organisations non gouvernementales, qui contribuaient à faire en sorte que les solutions dépendent véritablement de la communauté et soient viables.

Alors qu'en Afrique occidentale et orientale, et depuis le 1er novembre 1995 en Afrique du Sud, les conseillers municipaux et les maires sont de plus en plus fréquemment des élus, avec tout ce que cela implique du point de vue des processus politiques et du potentiel d'ouverture aux prises de décision, les pays d'Afrique du Nord sont plus réticents à prendre cette direction. Le débat qui prend de l'ampleur autour de la Méditerranée et qui porte sur tous les aspects de la coopération sociale et économique dans la région devrait également comprendre une discussion active concernant les diverses conceptions de l'autonomie locale et du pouvoir.

L'Amérique latine a connu quelques mouvements de démocratisation remarquables aux niveaux national et local durant ces dernières années. L'Argentine, la Bolivie, le Chili et la Colombie ont instauré une législation destinée à renforcer leur système d'administration locale au nom de la décentralisation d'un développement fondé sur l'individu. Le Brésil et l'Uruguay ont connu des tendances semblables, dont la rapidité d'évolution était variable d'une région à l'autre. La création d'un réseau des associations nationales de pouvoirs locaux (le «Red») sur tout le continent est l'un des mouvements les plus encourageants en faveur de la démocratie locale. Ce réseau a apporté un élément politique de poids aux activités de liaison et aux projets plus techniques de la section de l'UIV pour l'Amérique latine, qui en assure le secrétariat. Les membres du réseau se sont déjà réunis à cinq reprises: leurs débats ont essentiellement porté sur la promotion de la décentralisation dans un continent caractérisé par de longues distances et de faibles moyens de communication, ainsi que sur la préparation concertée d'une contribution utile des pouvoirs locaux à la Conférence Habitat II.

En Asie, les mouvements de décentralisation sont différents. Si certains pays, notamment l'Inde, le Japon et les Philippines, disposent bien d'une structure établie de démocratie locale, dont les organes exercent des pouvoirs substantiels, ces structures fonctionnent en revanche au sein d'un système de gestion centralisé que beaucoup d'Européens jugeraient contraire aux principes fondamentaux de l'autonomie locale. Dans ces pays, les responsables des pouvoirs locaux sont tous nommés par des ministères du pouvoir central, et il arrive souvent que les maires soient nommés de la même manière. En Chine, les pouvoirs locaux sont des institutions très puissantes, chargées de contrôler de larges secteurs de l'économie. On constate de fortes tendances à la privatisation et à la création de coentreprises dans le secteur des produits manufacturés, mais il y a encore peu de signes pour l'instant d'une véritable démocratisation au niveau local. Les pouvoirs locaux chinois cherchent à développer leurs relations avec des partenaires de nombreux pays européens et à en établir de nouvelles, pour des motifs aussi bien politiques qu'économiques; il faut espérer que ces échanges contribueront à favoriser un dialogue sur les principes et la mise en pratique de la démocratie locale.

VI.a. Problèmes clés des pouvoirs locaux dans les pays du Sud

En d'autres termes, l'autonomie locale doit être ancrée dans la constitution de chaque Etat et le système gouvernemental doit être conçu de manière à lui permettre de fonctionner librement. En effet, plusieurs pays d'Europe centrale et orientale ont fait de l'autonomie locale un élément clé de leurs constitutions en renonçant au système hiérarchisé de commandement vertical qui prévalait auparavant. Dans le Sud, le tableau est bien plus contrasté, si bien que de nombreux pouvoirs locaux sont très vulnérables aux actes hâtifs de l'Etat mettant en péril leur existence même. Tisser des liens de partenariat étroits avec les gouvernements centraux dans l'euphorie de l'élan démocratique est une chose, mais les entretenir quand la situation se complique ou que la politique et les personnalités changent peut être très difficile. Certes, l'établissement d'une forte base communautaire et de relations créatrices avec les ONG contribue à entretenir la démocratie locale, mais ce mode de fonctionnement ne remplace en rien des garanties constitutionnelles.

Le deuxième grand problème auquel les pouvoirs locaux des pays du Sud sont confrontés est le fossé qui sépare leurs devoirs statutaires et les capacités qui leur sont données pour les assumer. Les «mandats injustifiés» sont un grand problème pour les pouvoirs locaux aux Etats-Unis, comme dans bien d'autres pays développés. Dans le Sud, l'insuffisance de l'assiette des impôts locaux aggrave considérablement ces problèmes et conduit à faire dépendre excessivement les pouvoirs locaux des subventions centrales, dont la base de calcul paraît souvent arbitraire et qui peuvent être supprimées quasiment sans préavis ni justification.

Le troisième problème auquel se heurtent les pouvoirs locaux est souvent l'absence d'un véritable dialogue politique entre les autorités centrales et locales. D'une part, le droit d'être consultés même sur des sujets d'importance majeure pour l'existence même des pouvoirs locaux n'est pas garanti, d'autre part, les pouvoirs locaux ne sont trop souvent pas à même de négocier réellement avec l'administration centrale en raison de la faiblesse des associations représentatives (voire de leur absence). Rares sont les associations des pays développés qui peuvent concurrencer le savoir-faire des ministères centraux dans de nombreux domaines. En revanche, quand elles peuvent défendre un dossier fondé sur une expérience locale concrète, qu'elles peuvent faire connaître leurs positions au parlement national et auprès d'autres faiseurs d'opinions, elles ont bien plus de chances d'influencer les décisions finales.

A cet égard, un autre point Ä les systèmes de direction Ä mérite d'être mentionner ici, bien qu'il ne soit pas pleinement couvert par la Charte européenne. Il existe en Europe un large éventail d'accords en matière de direction et de prise de décisions au niveau local, depuis les systèmes typiques de maires élus au suffrage direct et jouissant d'un pouvoir fort jusqu'aux maires élus au suffrage indirect, voire nommés, en passant par les structures collégiales élues ou formées de gestionnaires désignés. Dans certains pays, le personnel, désigné directement par les pouvoirs locaux, a un statut décidé librement au niveau local (bien que des associations assurent souvent une coordination au niveau national), alors que dans d'autres, la nomination à des postes de responsabilité suppose l'aval du gouvernement qui détermine les conditions d'exercice de ces fonctions...

Comme il n'y a manifestement pas d'approche «universellement valable» et qu'il faut adapter les systèmes de direction au contexte culturel et institutionnel dans lequel ils sont mis en œuvre, il y a là un domaine qui mériterait en tant que tel d'être étudié davantage au niveau européen et dont une analyse comparée à l'échelle de l'Europe serait fort précieuse pour le Sud. Il est intéressant de noter que certains pays du Commonwealth qui ont hérité de systèmes traditionnels de prise de décision politique par des conseils et de gestion administrative conçus sur le modèle britannique s'orientent vers le système de maire aux pouvoirs étendus qui caractérise davantage la tradition française. Ce serait pourtant une excellente chose que de savoir dans quelle mesure chacun de ces divers systèmes prévoit les contre-pouvoirs nécessaires pour garantir un contrôle public et l'intégrité des responsables, comment protéger au mieux la communauté contre les risques aggravés de corruption dans un système où le maire dispose de pouvoirs étendus et quelle est l'image des autorités locales et la nature de leurs relations avec la population au sein des divers modèles.»

VII. LES PERSPECTIVES D'AVENIR

Il ne faut pas sous-estimer le poids que peut avoir la Charte en tant qu'instrument de droit international. Cependant, des pays non européens peuvent-ils adhérer à la Charte européenne? Si cela est juridiquement possible, pour certains, ce ne serait pas la solution la plus appropriée.

Une autre solution consisterait à faire adopter les principes de la Charte par une communauté internationale élargie et les premiers pas dans ce sens ont été fait à l'occasion de la Conférence des Nations Unies sur les établissements humains, Habitat II, à Istanbul, du 3 au 14 juin 1996.

Le plan d'action adopté à l'issue de la Conférence Habitat II prévoit le renforcement des moyens des pouvoirs locaux et invite à élaborer une Charte mondiale de l'autonomie locale. Si ce projet se concrétise, le CPLRE sera très certainement impliqué dans ces travaux.

Plusieurs propositions concernant les travaux futurs du CPLRE, issues de la Conférence de Malte, sont reprises dans la résolution qui accompagne le présent rapport. Il n'est pas nécessaire de les répéter ici in extenso, mais je tiens particulièrement à souligner qu'il est important que le CPLRE organise d'autres séminaires régionaux dans le monde après celui de Malte et qu'il participe à des manifestations et séminaires organisés ailleurs qu'en Europe sur le thème de la démocratie locale. Il promouvoit l'établissement de rapports sur la démocratie locale dans les pays non européens comme le fait le CPLRE pour ses Etats membres et pour des Etats candidats à l'adhésion.

ANNEXE

Discours de Clôture prononcé par
Son Excellence Hugo Mifsud Bonnici,
Président de Malte

La subsidiarité devrait aller de soi. Or, cela n'est pas le cas, et ce qui devrait s'imposer comme une évidence reste en fait toujours à découvrir. Il existe donc une certaine ambiguïté dans la notion même de délégation ou d'appropriation du pouvoir, qu'elle s'applique à une communauté ou à un Etat.

La démocratie n'est pas une invention récente, ni même moderne. Il y a quelque 24 siècles, Platon et Aristote examinaient déjà ses avantages et ce qu'ils jugeaient être ses inconvénients. L'administration locale, elle non plus, n'est pas un phénomène moderne. En effet, dans l'Europe médiévale, les communes, et plus tard les républiques urbaines, coexistaient avec l'empereur, considéré comme universel. Au sein de l'Eglise, les évêchés entretenaient une relation similaire avec la papauté, qui faisait contrepoids au Saint Empire romain germanique.

En parcourant l'histoire, on constate que les hommes ont sacrifié - parfois sous la contrainte - leur liberté, leur autonomie, l'indépendance de leur communauté et un mode de gouvernement efficace et sage, pour ce qu'ils considéraient - ou étaient obligés de considérer - comme un moyen infaillible et sûr - parfois agressif - de diriger une nation. En effet, pendant que des hommes nouveaux soumettaient les républiques urbaines et que des plébiscites et des putschs portaient des dictateurs au pouvoir, les Etats-nations, gouvernés par des monarques, broyaient les structures de l'administration locale. La centralisation a été érigée en vertu. La cohésion nationale était assurée par une élite éclairée ou par un homme de génie (c'est ainsi que Napoléon se qualifiait lui-même).

Les hommes forts d'un régime et les tyrans doivent obligatoirement privilégier la centralisation, mais la décentralisation ne consiste pas nécessairement à créer des "micro-démocraties" ; il peut s'agir d'un simple "micro-transfert" de compétences. La décentralisation ne garantit pas davantage une plus grande efficacité ni une plus grande équité. Au contraire, elle peut porter à leur paroxysme toutes les faiblesses culturelles d'une nation, tous les vices dont elle ne s'est pas corrigé - et qui sont peut-être difficiles à corriger. Cependant, il est indéniable que le transfert de compétences favorise la démocratisation.

Le succès de la micro-démocratie dépend peut-être plus que celui de la macro-démocratie du niveau culturel et du niveau d'instruction de la population. De Tocqueville a fait des commentaires très pertinents sur la démocratie aux Etats-Unis au début du dix-neuvième siècle, et Dewey a mis en évidence la relation entre l'accès à l'enseignement et les progrès de la démocratie locale. Une élite intellectuelle, formant la classe dirigeante, peut très bien faire fonctionner une démocratie au niveau national, même si le manque de participation des autres citoyens présente des inconvénients. En revanche, au niveau local, l'autonomie requiert la participation de tous et dépend donc du niveau d'instruction de l'ensemble de la population. Une communauté n'est capable d'assumer les responsabilités qui lui sont confiées et ne les assumera effectivement que si elle possède un niveau d'instruction suffisant. Les membres d'une communauté préféreront s'en remettre à une autorité supérieure s'ils jugent qu'aucun d'entre eux ne présente les compétences requises pour gérer les affaires publiques, renonçant ainsi à confier le pouvoir à des personnes qui pourtant leur sont connues, sont plus proches d'eux et donc plus accessibles et plus concernées par les prises de décisions. Plus le niveau de connaissances partagé par l'ensemble de la communauté est élevé, plus la communauté a de chances de réussir à appliquer le principe de subsidiarité.
On a observé que le sud de l'Europe, notamment la partie sud de l'Italie et de l'Espagne, a vu naître beaucoup plus de grands hommes d'Etat que le nord. Pourtant, l'administration locale est aujourd'hui moins efficace dans le sud que dans le nord. L'homme politique italien Francesco Crispi a peut-être mieux réussi au niveau national que dans sa province natale d'Agrigente. En revanche, son compatriote Luigi Sturzo, qui commença par être maire adjoint de Caltagirone, montra un attachement indéfectible pour l'administration locale. Lorsqu'il exerça des responsabilités au niveau national, il défendit le principe de subsidiarité et préconisa notamment de transférer des compétences aux régions. L'exemple italien montre que le bon fonctionnement de l'administration locale ne dépend pas seulement de l'intelligence et du charisme des hommes politiques. Il suppose également l'existence d'une culture de service public et de participation à la gestion des affaires publiques

Les jumelages et les échanges directs entre les collectivités locales contribuent beaucoup à la diffusion d'une telle culture. Ils sont un moyen privilégié d'établir des relations entre les personnes. Les acteurs de cette "micro-diplomatie" apprennent à se connaître, découvrent leurs points communs et s'enrichissent de leurs différences. J'ai entendu dire que nombre de ceux qui, au départ, traitaient leur partenaire avec condescendance, abandonnent très vite cette attitude .

Certes, les Etats qui ont fondé le Conseil de l'Europe ne lui ont pas donné pour mission essentielle de guider les premiers pas des nouvelles démocraties, mais le développement de la démocratie participative, destiné à la fois à rapprocher l'administration du citoyen et à rendre la gestion des affaires publiques plus efficace, relève sans aucun doute de la compétence de cette institution. Il est donc souhaitable que le Conseil de l'Europe continue de soutenir et d'encourager les jumelages et les échanges, et qu'il les étende aux Etats non membres. Pour les nouveaux Etats membres, il est très utile de dialoguer avec des Etats ayant une plus longue expérience de la démocratie, mais toute l'Europe doit se sentir appelée à promouvoir sur les autres continents l'autonomie locale ainsi que des méthodes permettant une gestion efficace des affaires publiques. Pour les Etats qui sortent de longues années de dictature ou de colonialisme, faire fonctionner de manière démocratique des collectivités locales autonomes est le meilleur moyen d'apprendre à être indépendant, à se prendre en charge et à exercer l'autorité.

Quelqu'un a fait remarquer qu'une politique est toujours locale. Il semble pourtant que la décentralisation aide les responsables politiques nationaux à prendre un peu de hauteur. Lorsque l'administration centrale est chargée de satisfaire des besoins locaux, elle doit les hiérarchiser, ce qui provoque immanquablement des dissensions intestines. L'application du principe de subsidiarité, en supprimant des causes de dissension, améliore la cohésion au sein des institutions nationales.

Le principe de subsidiarité ne peut être appliqué que dans un contexte de paix et de sécurité. Il est également indispensable de diffuser largement la connaissance (sapientia), l'éducation et la culture, et de faire régner l'esprit de tolérance.