La crise au Kosovo - CG (5) 13 Partie II

Rapporteurs : Llibert Cuatrecasas (Espagne)
et Vasili Likhatchev (Fédération de Russie)

EXPOSE DES MOTIFS

1. INTRODUCTION

Préoccupé par la flambée de violence au Kosovo, le Bureau du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l'Europe, réuni à Strasbourg le 5 mars dernier, a examiné la situation dans cette région de la République Fédérale de Yougoslavie. Après discussion de cette question, le Bureau du Congrès a décidé de publier un communiqué de presse et d'en saisir la Commission Permanente qui devait se réunir le lendemain à Strasbourg.

Dans la déclaration faite aux médias les membres du Bureau ont, notamment, fermement condamné les actes de violence commis au Kosovo. Constatant que la décision prise en 1989 par les autorités serbes de retirer au Kosovo le statut d'autonomie spécial a contribué dans une large mesure à envenimer la situation politique dans la région, le Bureau du CPLRE a appelé toutes les parties en conflit à arrêter immédiatement tout acte de violence, ainsi que toute provocation pouvant amener à de tels actes.

Outre cet appel qui a été lancé au lendemain même des actes de violence commis, les membres du Bureau demandaient le rétablissement immédiat du statut d'autonomie du Kosovo à l'intérieur de la Serbie. Ils ont interpelé les parties en conflit en s'adressant, notamment, à la communauté albanaise de la province pour l'appeler à renoncer à toute velleité à l'indépendance, et en exigeant des autorités yougoslaves et serbes d'arrêter la violence à l'égard de la population albanaise du Kosovo.

Le Bureau du Congrès s'est également adressé à la communauté internationale pour lui demander de s'interposer, si besoin était, par une présence sur le terrain pour prévenir en sorte toute dégradation rapide ou expansion du conflit.

En appelant les différents acteurs de ce conflit à remédier à la situation, le Bureau du CPLRE se déclarait en même temps prêt à apporter son concours quant à la définition d'un statut d'autonomie du Kosovo et se disait disposé à désigner des représentants du Congrès pour une mission dépêchée sur place par l'Assemblée Parlementaire. Parmi les mesures à long terme destinées à désamorcer la crise et à promouvoir l'apaisement de la situation sur place, le Congrès s'est dit favorable à l'accélération des contacts en vue de la création d'une agence de la démocratie locale au Kosovo.

Face à la dégradation rapide de la situation dans le jour qui a suivi la réunion du Bureau, la Commission Permanente du Congrès, réunie à Strasbourg le lendemain et saisie de cette question par le Bureau, a vivement condamné les agressions contre les populations civiles du Kosovo perpetrées par des forces de police serbes. Les délégués de la Commission Permanente, réitérant l'appel lancé à la veille par le Bureau du CPLRE, ont exigé avec force de la communauté internationale de prendre toutes les mesures nécessaires afin d'éradiquer la montée en flèche de la violence au Kosovo et de protéger les populations civiles de cette région.

Après avoir chargé le Président du Congrès de suivre l'évolution de la situation, la Commission Permanente a demandé d'inscrire au programme de la 5e session plénière du CPLRE l'examen d'un rapport sur la crise au Kosovo.

Par la suite, le Bureau du Congrès, réuni à Genève le 27 avril dernier, a réexaminé la situation au Kosovo et a décidé de présenter un rapport à la 5e session du Congrès sur la situation dans cette région.

Les membres du Bureau ont exprimé encore une fois leur forte inquiétude devant la recrudescence du conflit et ont suggéré de rechercher des solutions envisageables pour dénouer la crise dans cette partie des Balkans.

Il convient de relever que peu avant cette réunion, le Bureau du Congrès a été saisi d'une plainte émanant des représentants de la communauté bosniaque de Sandjak dans laquelle ces derniers demandaient au CPLRE d'inscrire à l'ordre du jour de la prochaine session du Congrès l'examen de la situation dans cette région, dont la population d'origine bosniaque subit des pressions de la part des autorités centrales. Tout en exprimant sa préoccupation par ce type de situation, le Bureau a décidé à ce stade d'évoquer cette démarche dans le cadre du présent rapport qui portera principalement sur la crise au Kosovo, mais avec quelques remarques également sur d'autres questions relevant de la démocratie locale et régionale en République Fédérale de Yougoslavie.

2. DESCRIPTION DES FAITS

La Constitution de la Fédération de Yougoslavie de 1974 octroyait un large degré d'autonomie aux "provinces socialistes autonomes" du Kosovo et de la Voivodine, érigées au rang d'unités constituantes de la Fédération participant aux affaires fédérales (voir infra) mais faisant toutefois "partie de la République socialiste de Serbie"1. La montée en puissance de Slobodan Milosevic - devenu Président de la République de la Serbie en 1987 - se traduisit par la volonté de résoudre "la question serbe" et "le problème du Kosovo", la structure fédérale en vigueur étant jugée "asymétrique" et "discriminatoire" contre les seuls Serbes, leur République faisant l'objet d'une "partition".

Le pouvoir serbe fait abolir le statut d'autonomie de la Province autonome du Kosovo

Dès 1988, Milosevic proposa différentes mesures visant à supprimer le statut autonome de la Voivodine et du Kosovo, ce qui suscita une série de manifestations pacifiques et de grèves alors qualifiées d'"actes contre-révolutionnaires". L'adoption d'amendements à la Constitution de la Fédération, en décembre 1988, exigea la mise en conformité des Constitutions des Républiques et des Provinces Autonomes et suscita une vive opposition. Le 23 mars 1989, soumise à de fortes pressions, l'Assemblée du Kosovo (qui regroupait 150 des 183 Délégués nommés), discuta des amendements proposés par S. Milosevic et fut contrainte d'accepter la restitution du pouvoir à la Serbie. La quasi-totalité des Délégués albanais décidèrent de s'abstenir lors du vote. Soixante délégués votèrent en faveur de ces amendements, dix contre. La majorité requise des deux tiers de l'Assemblée n'était donc pas atteinte, toutefois le Président serbe de l'Assemblée déclara les amendements adoptés. Six jours de manifestations et d'émeutes et de nombreuses arrestations et emprisonnements suivirent. Quelques jours plus tard, le Parlement de la Serbie approuva formellement les changements constitutionnels, transférant ainsi les compétences judiciaires et le contrôle des forces de sécurité des provinces autonomes au gouvernement central.

Le Parlement serbe adopta en juin 1990 des mesures spéciales qui furent appliquées au Kosovo ; le Parlement du Kosovo fut dissout le 13 juillet 1990, et une administration "spéciale" nommée par Belgrade fut installée à Pristina. Ces mesures extraordinaires constituaient manifestement une violation de la Constitution fédérale yougoslave. La nouvelle Constitution serbe adoptée en septembre 1990 affaiblit encore davantage la structure institutionnelle du Kosovo, qui fut à nouveau désigné sous l'appellation "Kosovo et Metohija". Le parlement du Kosovo ne dispose plus que d'un pouvoir consultatif, l'autorité constitutionnelle et législative a été supprimée et le statut de la province doit désormais être approuvé par le Parlement serbe.

D'autres mesures furent adoptées par la Serbie qui conduisirent à l'exclusion progressive des Albanais de la sphère publique. Par exemple, le Parlement serbe adopta en août 1990 un curriculum scolaire unique pour l'éducation primaire et secondaire qui supprima l'enseignement de la langue, de la géographie, de l'art, de la musique albanaises. Au début de l'année scolaire 1991/1992, la police empêcha les enseignants et les étudiants albanais d'accéder aux écoles secondaires puis à l'Université. En fin de comptes, plus de 18 000 enseignants et agents administratifs d'écoles albanaises furent renvoyés. En septembre 1996, grâce à la médiation de l'organisation non gouvernementale San Eugedio, basée au Vatican, un accord en vue de la Normalisation de l'Education au Kosovo fut signé par Slobodan Milosevic et Ibrahim Rugova, mais ne fut jamais appliqué. On peut encore citer un décret du 11 janvier 1995 adopté par le Gouvernement de la République Fédérale de Yougoslavie visant à empêcher l'achat ou la vente des biens de propriété de Serbes à des Albanais, et des mesures spéciales prises pour inciter les Serbes à venir s'installer dans la région.

La communauté albanaise s'organise et opte pour une résistance non violente

Protestant contre les interférences de la Serbie, les Kosovars décidèrent en mai 1990 de quitter le gouvernement du Kosovo. Les nouveaux Délégués à l'Assemblée du Kosovo, élus lors des élections extraordinaires tenues en automne 1989, adoptèrent le 2 juillet 1990 une déclaration affirmant que le Kosovo est une république indépendante et une entité souveraine au sein de la Fédération yougoslave. L'Assemblée de la Serbie décida de suspendre le 5 juillet 1990 l'Assemblée du Kosovo et les autres organes du gouvernement de la province. Les autorités serbes prirent également le contrôle d'entreprises, d'hôpitaux et de centrales électriques.

Le 7 mai 1990, les Délégués de l'Assemblée du Kosovo dissoute adoptèrent pour le Kosovo et proclamèrent leur "Déclaration d'Indépendance". Le 7 septembre, une "Constitution de la République de Kosovo" fut adoptée. Un référendum clandestin fut organisé du 26 au 30 septembre 1991. 87% des 1 051 357 électeurs participèrent à ces élections et votèrent à 99,87% en faveur d'une résolution faisant du Kosovo "un état indépendant et souverain avec le droit d'une participation constitutive dans une alliance de Républiques souveraines (en Yougoslavie) sur la base d'une liberté et de pleine égalité des républiques en alliance". Un "gouvernement" fantôme, formé le 23 octobre 1991 fut mis en place, composé de 6 ministères (dont cinq installés à l'étranger), chargé de collecter les impôts (soit 3% des revenus des Albanais vivant au Kosovo et à l'étranger) pour financer le fonctionnement des structures parallèles : écoles, hôpitaux, commerce, organes politiques. Des élections clandestines furent organisées le 24 mai 1992 sans l'interposition des forces de police serbes et désignèrent Ibrahim Rugova, chef de la Ligue Démocratique albanaise, comme "Président" du Kosovo "indépendant". Un "parlement" composé de 130 membres fut également désigné à cette occasion, mais ne se réunit jamais. Les Albanais du Kosovo, à l'instigation de leur "Président" Ibrahim Rugova, s'engagèrent dans une résistance non violente et le boycott des élections locales et fédérales.

Les Albanais ont aujourd'hui consolidé un système parallèle d'institutions publiques et privées. Le système parallèle d'éducation concerne aujourd'hui plus de 266 000 élèves, 58 000 élèves du secondaire et 16 000 étudiants universitaires. Toutefois, cette situation est également caractérisée par une émigration massive : entre 1990 et 1995 le nombre de Kosovars ayant quitté la province est estimé à 350 000. En janvier 1998, 150 000 Kosovars étaient demandeurs d'asile en Allemagne et en Suisse. Mme Ogata, Haut Représentant des Nations Unies pour les réfugiés a lancé un appel début mai à ces deux pays pour qu'ils renoncent au renvoi des réfugiés au Kosovo. Le retour forcé des réfugiés albanais a d'ailleurs été dénoncé par l'Assemblée Parlementaire du Conseil de l'Europe dans sa Recommandation 1288 (1996).

Les mouvements d'opposition s'intensifient

A partir de 1997, des dissensions se firent jour au sein du parti dominant, la Ligue démocratique du Kosovo d'Ibrahim Rugova - bien que reconduit dans sa fonction le 22 mars 1998 - et entre ce parti et le "Parti Parlementaire du Kosovo" (PPK) conduit par Adem Demaci, partisan d'une politique plus offensive.

Une opposition violente au régime serbe s'est organisée. "L'Armée" (clandestine) "de libération du Kosovo", apparue en 1996, a revendiqué de nombreuses agressions violentes, ainsi l'embuscade contre une unité du Ministère serbe de l'Intérieur le 28 février 1998, suivie de mesure de répression, d'arrestations et de perquisitions dans la région de Drenica. Le 25 mars 1998, deux villages albanais dans cette région ont été attaqués, causant de nombreuses victimes. La radicalisation de l'opposition albanaise s'est traduite par une répression plus forte du régime en place (attaque massive des forces serbes contre Decani le 27 avril 1998), celui-ci craignant, de plus, une importation illégale d'armes en provenance de l'Albanie, secouée par une crise grave en 1997. Les Serbes du Kosovo ont entamé pour leur part des manifestations de rue à Pristina pour faire entendre leur voix.

Depuis janvier 1998, de nombreux incidents, attentats et meurtres ont été commis au Kosovo, en particulier dans la Région de Drenica et à la frontière albanaise (l'Albanie a d'ailleurs décrété l'état d'urgence à ses frontières). Le nombre de victimes des attentats terroristes et de la répression du pouvoir en place est estimé à environ deux cents ces derniers mois, Albanais dans leur grande majorité. Des incidents graves sont survenus encore récemment. Ainsi, cinq policiers serbes auraient étés tués le 3 mai lors d'une embuscade tendue par l'"Armée de Libération du Kosovo" (ALK) dans la région de Decani. L'ALK aurait capturé sept Serbes, et une pétition pour les libérer aurait été envoyée. Alors que la partie albanaise poursuivait son objectif d'indépendance, Slobodan Milosevic, conforté par le référendum du 23 avril 1998, refusait toute médiation - jugée comme une ingérence - de la communauté internationale dans le conflit au Kosovo considéré comme une "affaire interne". La Communauté internationale estime au contraire que les retombées régionales de ce conflit ne peuvent justifier son inaction; elle doit toutefois, à l'heure actuelle, se contenter d'appliquer des sanctions commerciales et politiques progressives pour infléchir les positions et provoquer la reprise du dialogue. Les positions encore bloquées le 11 mai, lors de la première mission de l'envoyé spécial américain, M. Holbrook, pourraient être débloquées suite à la rencontre qui a eu lieu le 15 mai entre MM. Milosevic et Rugova.

3. LES POSITIONS DES DIFFERENTES PARTIES CONCERNEES DIRECTEMENT OU INDIRECTEMENT

Il est bon de résumer les positions des différentes parties, tant celles directement concernées, comme les autorités serbes du Montenegro, la communauté albanaise du Kosovo et la minorité serbe du Kosovo, et celles concernées plus indirectement, comme les pays voisins : les autorités albanaises, "l'ex-République yougoslave de Macédoine", la Bulgarie, la Grèce, la Bosnie et Herzégovine et les régions de Serbie comme la Voïvodine et le Sandjak.

La connaissance de ces positions est importante pour sonder les voies possibles vers une solution.

Plusieurs sources sont disponibles, des textes officiels, des comptes rendus de la visite à Belgrade de la délégation de l'Assemblée Parlementaire2 et les renseignements de l'"International Crisis Group" (ICG) et d'autres informations d'agences de presse.

En Serbie, l'opinion publique, d'après un sondage publié par le Nedeljni Telegraf du 11 mars 1998, 49,2% de la population ne souhaitent pas se battre pour le Kosovo, et 28,6 % se déclarent prêts à le faire. Ce sondage est à rapprocher d'une campagne publique des médias qui ont soutenu sans réserve les opérations de la police spéciale serbe, début mars (sans montrer les victimes). La presse indépendante a reporté les faits de manière différente et a fait l'objet de poursuites judiciaires dénoncées par la Recommandation 1366 de l'Assemblée Parlementaire.

Le référendum organisé en Serbie pour ou contre une médiation internationale au Kosovo a enregistré environ 75 % de votants dont 97 % ont voté contre toute médiation internationale. Ce référendum a été dénoncé par l'Assemblée Parlementaire et la Communauté internationale comme une manoeuvre du Président Milosevic contre une véritable négociation. Le Président Milosevic a déclaré à la délégation de l'Assemblée Parlementaire (12-14 mars 1998) que la responsabilité du conflit incombe au mouvement séparatiste kosovar et aux terroristes soutenus par la Communauté internationale. Il a indiqué que le conflit du Kosovo est une affaire intérieure et doit donc être résolue à l'intérieur de la Serbie, et que, par conséquent, l'internationalisation du conflit voulue par M. Rugova est inacceptable. Il a indiqué que des invitations ont été lancées pour discuter dans le cadre de la Constitution de la RFY. Il s'est déclaré prêt à faire des propositions pour des réformes des structures locales et a même cité, à cet effet, la Charte européenne de l'autonomie locale. Cela correspond à la déclaration du gouvernement serbe du 10 mai qui condamne le terrorisme au Kosovo et dit que la solution du problème doit être trouvée à l'intérieur de la Serbie en accord avec les standards internationaux en matière de protection du droit des minorités nationales.

Le Président de la République serbe, M. Milutinovic, a lancé, le 18 mars, un appel aux leaders des partis albanais du Kosovo pour engager un dialogue politique sans conditions préalables. Il a toutefois mentionné l'intégrité territoriale de la Serbie comme condition. Il a demandé à la Communauté internationale de ne rien faire qui puisse augmenter la tension et constituer une interférence dans les affaires internes de la Serbie. Le 24 mars, l'Assemblée Nationale de la République de Serbie a adopté une Déclaration sur l'unité nationale affirmant que la Serbie, tout en respectant les droits et libertés, et les droits des minorités, n'acceptera jamais que l'on mette en cause les droits du peuple serbe à la souveraineté et à l'intégrité de son territoire. Plus loin, la Déclaration affirme que "la Serbie, le Monténégro ensemble avec la République Srpska sont le pierres angulaires de l'unité nationale personnifiée dans la structure étatique de la République Fédérale de Yougoslavie".

D'après la délégation de l'Assemblée Parlementaire qui a visité Belgrade, la position des partis politiques serbes, y compris ceux d'oppostion, ne varie pas beaucoup sur le Kosovo, préconisant tous une solution au sein de la Serbie, mais une Serbie démocratique. Seul le parti de l'Alliance Civique Serbe montre une certaine ouverture en exigeant, le 3 mars, que le gouvernement informe le public sur toutes les circonstances tragiques du conflit à Drenica (selon ICG).

M. Jovanovic, Ministres des Affaires étrangères de la RFY a dit aux représentants de l'Assemblée Parlementaire que la RFY est prête à ouvrir des relations avec le Conseil de l'Europe et à adhérer à certaines conventions, notamment à celle cadre sur les minorités nationales, et à accepter une invitation uniquement d'une organisation internationale qui soit disposée à admettre la RFY comme pays membre.

Enfin, M. R. Markovic, Vice-Président du gouvernement de Serbie, a écrit le 26 avril 1998 à M. Rugova en tant que Président de l'Alliance Démocratique du Kosovo, en vue d'ouvrir un dialogue sans conditions préalables basé sur les standards internationaux des Nations Unies, de l'OSCE et du Conseil de l'Europe. La lettre ne mentionne plus les limites de la Constitution serbe, mais la garantie de droits égaux aux citoyens du Kosovo, qu'ils soient serbes, monténégrins, albanais, musulmans, roms ou turcs. S'agit-il là d'une nouvelle ouverture ? Cela veut-il dire que la Serbie accepte finalement de discuter du statut d'autonomie spécial du Kosovo sans mettre la Constitution serbe comme limite ? Les événements prochains le diront.

En ce qui concerne Le Monténégro, même si officiellement les partis de la coalition qui soutiennent le Président Djùkanovic considèrent l'affaire du Kosovo comme une question interne serbe, celui-ci a déclaré à la télévision d'Etat du Monténégro, le 24 février, c'est-à-dire la veille des incidents de Drenica qu'il faut accorder "un certain degré d'autonomie" au Kosovo. Plus récemment, M. Djúkanovic a condamné le recours au référendum sur la médiation internationale par les autorités serbes auxquelles il a reproché de ne pas avoir assumer toutes les responsabilités pour résoudre le problème du Kosovo. Certains pensent que si la coalition qui le soutien gagnait les élections parlementaires au Monténégro fin mai, M. Djùkanovic pourrait jouer un rôle de médiateur dans le cadre de la RFY (selon ICG). M. Djukanovic a estimé que l'armée yougoslave ne se laisserait pas entraîner dans le conflit du Kosovo, mais que si elle l'était, le Monténégro "retirerait ses recrues".

Auprès de la Communauté albanaise du Kosovo, l'expression la plus autorisée et reconnue est la Ligue Démocratique du Kosovo (LDK) et M. Rugova élu lors d'élections non officielles (22 mars 1998) à la tête d'un gouvernement fantôme. La volonté populaire, selon un sondage conduit par l'agence BETA en octobre 1996 (c'est-à-dire avant la récente crise), était que 88,9 % des Kosovars souhaitaient l'indépendance, mais plus de 50 % étaient prêts à accepter une autonomie telle que celle d'avant 1990. Les représentants de la LDK rencontrés par la délégation de l'Assemblée Parlementaire à Belgrade et Pristina (12-14 mars) ont revendiqué l'indépendance et ont déclaré que l'autonomie territoriale n'est plus suffisante, car, dans le passé, elle leur a été confisquée arbitrairement. Ils seraient prêts à accepter un protectorat international en guise de solution intérimaire. Ils refusent de dialoguer avec la République Serbe et demandent une négociation conduite avec des représentants du gouvernement fédéral, sous le regard de médiateurs internationaux. Dans cet esprit, M. Rugova serait prêt à une rencontre publique afin de présenter publiquement le programme des négociations des Albanais du Kosovo et à mettre en place un groupe de travail commun qui préparerait l'ordre du jour. Toutefois, les leaders du Kosovo ont rejeté la proposition de négociations sans conditions préalables envoyée par le Vice-Président Ratko Markovic, le 26 avril 1998 mentionnée ci-dessus, en indiquant qu'elle ne contenait rien de nouveau.

En ce qui concerne les Serbes du Kosovo qui constituent environ 10 % de la population, M. Trajkovic, leader du Mouvement de Résistance Serbe (MRS), avait estimé, le 13 août 1997, que le "Kosmet" (Kosovo et Metohija) est une affaire serbe et non yougoslave. L'Association des Serbes et Monténégrins "Bozur", dont le Président est M. B. Kecman, loyaliste de Milosevic, leader du mouvement serbe au Kosovo dans les années 80, a organisé des manifestations en janvier 1998, et a dénoncé, auprès de Milosevic l'existence de groupements armés dans la région de Drenica, exigeant une intervention énergique. C'est ce qui a provoqué l'intervention de la police spéciale serbe fin février/début mars. Par contre, M. Trajkovic (MRS) a regretté, le 12 mars, que la Serbie "n'ait pas initié un dialogue plus tôt, sans attendre les menaces des sanctions". En effet, le MRS avait invité les leaders de la Serbie dès décembre 1997 à s'occuper du problème du Kosovo et en particulier à décider la répartition du Kosovo en deux régions : le Kosovo et la Metohija. Lors de la rencontre avec la délégation de l'Assemblée Parlementaire (12-14 mars), M. Trajkovic avait soutenu la même position à savoir que la solution au Kosovo doit se baser sur la régionalisation et la démocratisation de la Serbie. Le MRS a condamné la violence, qu'elle vienne des "terroristes albanais" ou du "régime serbe".

En ce qui concerne les réfugiés serbes de Croatie, au nombre d'environ 150 000, 20 000 selon les chiffres du UNHCR ont été installés au Kosovo. Ces réfugiés sont plutôt contre leur installation au Kosovo et ont organisé récemment une pétition en ce sens, selon IGC.

Les leaders de la Voïvodine observent également les événements au Kosovo. La Voïvodine était une province autonome jusqu'en 1988. Elle comporte, selon le recencement de 1981, 56,6 % de Serbes et Monténégrins, et les 43,4 % restants d'autres origines, 19 % hongroise, 5,4 % croate, d'autres slovaque et roumaine. M. M. Secey, Vice-Président de l'Alliance des hongrois de Voïvodine a affirmé, le 27 février 1998, que son parti donnerait son appui à tout programme qui donnerait plus de pouvoir aux autorités territoriales dans toutes affaires, y compris en matière de minorité.

Les 250 000 musulmans slaves du Sandjak qui constituent environ 80 % des habitants de cette région vont aussi essayer d'améliorer leur position. Pour preuve, l'appel envoyé au Congrès par M. Slijman Ugljanin, Président du Conseil National Bosniaque (CNB) et membre du Parlement fédéral de RFY, le 24 avril 1998. Le CNB, après avoir dénoncé les menaces de génocide qu'aurait proféré M. V. Šešelj, Vice-Président du gouvernement serbe, a demandé au Congrès que les problèmes du Sandjak soient évoqués à la 5ème Session. Le CNB réclame en particulier une mission permamente de l'OSCE au Sandjak ayant statut d'"Ombudsman".

Il apparaît que les vues des représentants de Monténégro, de la Voïvodine et du Sandjak diffèrent de celles présentées par les autorités de la Serbie.

Etant donné les risques d'embrasement de la région de la crise du Kosovo, il est intéressant de citer brièvement la position des pays voisins.

En ce qui concerne l'Albanie, le Président R. Mejdani avait alerté la Communauté internationale le 3 novembre 1997 à Genève et avait demandé que des pressions soient exercées pour obliger la Yougoslavie à mettre en oeuvre l'accord de Rome sur l'éducation au Kosovo et l'établissement d'une présence des nations Unies au Kosovo comme mesure préventive. Le Ministre de la Défense albanais avait demandé, le 20 mars, le déploiement d'une force de l'OTAN à la frontière de l'Albanie avec le Kosovo (Reuters). Le premier Ministre albanais, M. Nano, faisait à la mi-février des déclarations critiquant les institutions parallèles du Kosovo et invitant la communauté albanaise du Kosovo à renoncer aux politiques de boycott et à s'intégrer à la vie du pays dans lequel elle vit. Il a également condamné le terrorisme. Plus récemment, suite aux incidents à la frontière albanaise avec le Kosovo, les autorités albanaises ont accusé la Serbie d'avoir violé la frontière. Des manoeuvres de l'armée albanaise ont été annoncées dans le nord du pays.

En ce qui concerne "l'ex-République yougoslave de Macédoine", le Président M. Gligorov, avait annoncé un mois avant les incidents de Drenica qu'il allait ouvrir un couloir pour les réfugiés du Kosovo en cas de conflit sérieux, en s'attirant les critiques des leaders du Kosovo et des Albanais de "l'ex-République yougoslave de Macédoine". Le Parti Démocratique des Albanais déclarait, les 12 et 13 mars, que "les Albanais du Kosovo, de Macédoine, de Monténégro et bien évidemment d'Albanie seraient unis, en cas de troubles, et a demandé l'ouverture d'un dialogue avec les USA et l'Europe (Reuters).

Des manifestations des Albanais à Skopje et dans d'autres villes du pays se sont succédé début mai pour protester contre l'incarcération du maire de Gostivar condamné à 7 ans d'emprisonnement suite aux incidents à propos desquels le Congrès avait publié un communiqué de presse et envoyé une délégation. Le Parti démocratique des Albanais a retiré ses élus des villes et communes et du Parlement.

En général, les médias et les milieux politiques bosniaques de la Bosnie et Herzégovine ont exprimé plutôt de la sympathie pour la position des Albanais du Kosovo (selon IGC). Par contre, la République Srpska s'est déclarée solidaire de la Serbie par la voix du Premier Ministre modéré M. M. Dodik, le 3 mars, en envoyant un télégramme de soutien. M. M. Krajisnik, membre serbe de la présidence de Bosnie et Herzégovine, a déclaré à l'agence Srna, le 4 mars, que le problème du Kosovo n'est pas seulement un problème serbe, mais également un "symbole de l'ensemble du peuple serbe". Des députés de l'Assemblée Nationale de la République Srpska ont déposé une proposition de Résolution demandant que la République Srpska fasse sécession de la Bosnie et Herzégovine et rejoigne la Yougoslavie si le Kosovo devait accéder à l'indépendance (16 mars 1998). Il est clair que la cause du Kosovo risque de remettre en cause le processus de paix de Dayton.

Deux autres pays voisins ont manifesté une grande inquiétude sur la situation au Kosovo et pris des initiatives :

La Bulgarie entend jouer un rôle actif pour trouver un accord, car son Ministre des Affaires étrangères, Mme N. Mihaylova, lors d'une réunion le 10 mars avec ses collègues de Grèce, Roumanie, Turquie et "l'ex-République yougoslave de Macédoine" a affirmé que "l'histoire nous a appris qu'il n'y a pas de problèmes internes dans les Balkans" (Reuters). Les Ministres se sont séparés en déclarant la plein respect des libertés et droits de l'Homme pour la population albanaise du Kosovo et que la solution devrait respecter les frontières existantes. Mme Mihaylova a suggéré que les Serbes et les Albanais du Kosovo devraient s'échanger par écrit leurs paramètres sur le statut du Kosovo et qu'ensuite un dialogue devrait être possible avec une médiation étrangère. D'après elle, il faut trouver une large autonomie du Kosovo à l'intérieur de la RFY.

La Grèce avait proposé déjà à la mi-janvier 1998 d'organiser une réunion entre le Président Milosevic, M. Rugova et M. Nano, Premier Ministre d'Albanie, la Grèce, tout comme l'Union Européenne, n'étant pas pour l'indépendance du Kosovo. Cette initiative, bien accueillie par les Albanais, a été rejetée par la Ligue démocratique du Kosovo. Plus récemment, fin avril, le Ministre de la Défense de Grèce a estimé que la situation au Kosovo risque d'exploser et que de fortes pressions doivent s'excercer sur les deux parties pour qu'elles engagent un dialogue sans conditions. Il a estimé que les peuples des Balkans ont le droit de se préoccuper du Kosovo et des conséquences qui peuvent en dériver, et donc de contribuer ensemble, avec la Communauté internationale, à la recherche d'une solution.

4. LA POSITION DU CONSEIL DE L'EUROPE

4.1 Le Comité des Ministres

Les Délégués des Ministres avaient condamné par l'intermédiaire de leur Président, le 11 mars, l'escalade de la violence au Kosovo, tant l'utilisation aveugle de la force par la police yougoslave que les actes terroristes par des éléments terroristes.

Le Comité des Ministres s'est prononcé par la suite sur les problèmes du Kosovo à travers l'examen de la demande d'adhésion de la RFY, le 25 mars, le 16 avril dans sa réponse à la Résolution 1360 à l'Assemblée et dans le communiqué final de sa 10ème session, le 5 mai 1998.

S'agissant de la demande d'adhésion de la RFY au Conseil de l'Europe, le Comité des Ministres, réuni au niveau des Délégués, a tenu à indiquer qu'il a vu dans cette démarche "une volonté de respecter les valeurs de l'Organisation - démocratie, droits de l'Homme, prééminence du droit - sur tout le territoire de la République Fédérale de Yougoslavie". Le Comité a ajouté qu'au même moment, il "a estimé que plusieurs aspects de la présente situation en République Fédérale de Yougoslavie, en particulier au Kosovo, constituaient un sujet de grande préoccupation" (communiqué du 25.3.1998).

Dans sa réponse à la Recommandation 1360 de l'Assemblée, le Comité des Ministres a fait part de son appel pour mettre fin aux actes de violence et pour le respect sans réserve des droits de l'Homme et des droits fondamentaux au Kosovo. Il a également invité les parties en conflit à ouvrir immédiatement un dialogue qui seul peut mettre fin à la crise. Le Comité des Ministres a exprimé son soutien aux initiatives de la communauté internationale et en particulier à celles de l'Assemblée Parlementaire.

Il importe de signaler en particulier que le Comité des Ministres, dans sa réponse, précise que la faisabilité de l'ouverture d'une ambassade de la démocratie locale au Kosovo serait considérée lors de l'examen du développement général du programme des ADL.

4.2 L'Assemblée Parlementaire

Il faut reconnaître à l'Assemblée Parlementaire le mérite d'avoir, la première, actionné la sonnette d'alarme sur la crise au Kosovo, quelques semaines avant qu'elle n'éclate, et d'avoir pris par la suite toute une série d'initiatives fortes.

C'est en effet le 28 janvier de cette année qu'elle a adopté la Résolution 1146 sur les développements récents en République Fédérale de Yougoslavie et leurs implications pour la région des Balkans. Dans cette Résolution, l'Assemblée après avoir noté que la dégradation de la situation en RFY risque d'avoir des implications graves pour la stabilité de la région des Balkans, "déplore" la faillite des autorités de la RFY à mettre en oeuvre les réformes démocratiques recommandées par M. Felipe Gonzalez, représentant spécial de l'OSCE. L'Assemblée "condamne" la répression exercée à l'égard de la communauté albanaise du Kosovo "qui a entraîné l'apparition d'une résistance armée au Kosovo". Par ailleurs, l'Assemblée a invité cette communauté à refuser et condamner tout recours à la violence.

Lors de l'éclatement de la crise, l'Assemblée a décidé d'envoyer en visite à Belgrade la Commission ad hoc des Présidents des groupes politiques, du 12 au 14 mars, et suite au rapport sur cette visite, elle a adopté la Recommandation 1360 sur la crise au Kosovo, à travers sa Commission Permanente, le 18 mars3.

Par cette Recommandation l'Assemblée a appelé les autorités yougoslaves à restaurer immédiatement les droits de l'Homme et les libertés fondamentales au Kosovo, et a condamné fermement "l'usage excessif et aveugle de la force par les unités serbes de sécurité". Elle a estimé qu'une solution de la crise ne peut être fondée que "sur une plus grande autonomie du Kosovo dans le cadre de la République Fédérale de Yougoslavie" et a demandé aux autorités de la RFY d'établir à cet effet "un dialogue sans aucune condition préalable avec des représentants de la communauté albanaise" et d'accepter le rôle de médiateur de M. Felipe Gonzalez au nom de l'OSCE et de l'Union Européenne.

Enfin, l'Assemblée Parlementaire devait revenir sur la situation au Kosovo lors de sa session plénière, le 22 avril par l'adoption de la Recommandation 1368, à la suite d'un débat auquel des parlementaires de la Serbie et de la RFY ont été invités.

Dans cette Recommandation, qui apparaît en annexe au présent rapport, l'Assemblée réitère ses positions et en particulier demande aux autorités de la RFY d'habiliter sa délégation chargée de négocier de "discuter de toutes les options pour une autonomie du Kosovo au sein de la République Fédérale de Yougoslavie ... allant au-delà de la Constitution serbe existante". Par ailleurs, elle leur demande d'accepter la présence de plusieurs représentants étrangers à ces négociations et demande au Comité des Ministres d'"étudier ... les moyens par lesquels le Conseil de l'Europe pourrait faciliter les contacts et prêter son concours pour les négociations". Ayant pris acte de la demande d'adhésion au Conseil de l'Europe présentée par le gouvernement yougoslave, le 18 mars 1998, l'Assemblée a demandé au Comité des Ministres d'examiner cette procédure "à la lumière des progrès qui auront été réalisés par les autorités de la RFY en ce qui concerne l'acceptation des demandes de la communauté internationale, notamment à l'égard du Kosovo".

Enfin, l'Assemblée a invité "les chefs de file des albanais du Kosovo à condamner et à faire de leur mieux afin d'empêcher le recours à la violence et le trafic d'armes" et "à engager des négociations avec la délégation du gouvernement serbe et avec l'envoyé spécial du Président Milosevic".

5. LA POSITION DE LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE

Immédiatement après l'explosion de la violence au Kosovo, la Communauté internationale a réagi en condamnant l'usage de la force par les forces serbes de la police spéciale et a appelé les autorités yougoslaves et les représentants de la communauté albanaise à s'asseoir à la table des négociations sans conditions préalables afin de rechercher une solution pacifique à la crise. Les institutions impliquées dans le processus de dénouement de la crise-Nations-Unies, Groupe de contact, OSCE, Union Européenne-ont adopté des positions comportant plusieurs volets. Ces positions s'articulent généralement autour de deux thèmes principaux : invitation au dialogue des parties en conflits, y compris la proposition de la mission de médiation par M. Felipe Gonzalez en sa qualité de représentant de l'Union européenne et l'OSCE, et des propositions ayant trait au futur statut de la région du Kosovo au sein de la RFY. Cela signifie in fine qu'aux yeux de la Communauté internationale la solution à la crise actuelle passe par l'engagement immédiat du dialogue entre les autorités yougoslaves et les Albanais du Kosovo avec la médiation internationale et la recherche de la définition d'un nouveau statut d'autonomie du Kosovo dans le cadre des frontières existantes.

a) Futur statut du Kosovo

Selon les déclarations du Groupe de contact pour l'ex-Yougoslavie, la question centrale de la crise que traverse actuellement le Kosovo et qui nécessite une solution politique à long terme réside dans la recherche d'une solution quant au futur statut de cette région.

A l'évidence, aucune instance internationale s'est prononcée pour la solution de l'indépendance du Kosovo. Toutes les organisations qui se sont prononcées sur la crise ont fermement condamné les velléités indépendantistes et ont avancé des propositions de recherche d'une solution dans le cadre des frontières existantes conformément au principe d'intégrité territoriale de la RFY. Ce rejet de la piste indépendantiste s'explique aisément par les risques de provoquer une réaction en chaîne dans les autres pays des Balkans et remettrait en cause le processus de Dayton. D'ailleurs, ces craintes sont largement confirmées par des prises de position relatées au chapitre 3. D'autre part, une telle solution, contraire à l'esprit de l'Acte final d'Helsinki et aux principes de la Charte des Nations Unies, pourrait contribuer à la recrudescence de l'afflux des réfugiés dans la région. Pourtant, cela ne signifie pas que le statu quo devrait se maintenir. La communauté internationale s'y est clairement opposée.

La solution prônée par M. Rugova visant à demander pour une période transitoire, un protectorat international sur le Kosovo ne semble pas avoir été prise en compte par les organisations internationales, probablement dans la mesure où elle pourrait n'être qu'une étape vers l'indépendance.

Il resterait enfin une solution relative au statut d'autonomie à l'intérieur de la Serbie - solution préconisée par la Serbie - et pour la République Fédérale. Il y a lieu de constater que les organisations internationales penchent nettement en faveur de l'engagement d'un dialogue entre les autorités centrales de la RFY et les représentants de la communauté albanaise justement afin de définir cette autonomie en respectant l'intégrité de la RFY. L'analyse des positions des unes et des autres semble confirmer cette thèse.

1. Groupe de contact pour l'ex-Yougoslavie

Le Groupe de contact comprenant les ministres des Affaires étrangères des six pays-Etats-Unis, France, Royaume-Uni, Italie, Fédération de Russie et Allemagne-a été parmi les premiers à réagir à la montée de la violence au Kosovo. Réunis à Londres, les Six ont adopté à l'issue des discussions sur le Kosovo une déclaration commune, dont le point central, selon les propres dires des participants concernait le futur statut du Kosovo. Ainsi, les ministres faisaient savoir à la Communauté internationale dans les paragraphes 9 et 10 de la déclaration que nul ne devait se méprendre quant à la question centrale concernant le futur statut qui est en jeu dans ce conflit. Les Six ne soutiennent ni l'indépendance ni le maintien du statu quo. Les principes d'une solution au problème du Kosovo doivent reposer sur l'intégrité territoriale de la RFY et être en conformité avec les normes de l'OSCE, aux principes d'Helsinki et à la Charte des Nations-Unies. La solution recherchée devrait prendre en compte les droits de tous ceux qui vivent dans cette région. Les Six se sont dits favorables à une amélioration du statut des personnes qui vivent au Kosovo et à une amélioration du statut du Kosovo au sein de la RFY, grâce à un niveau d'autonomie sensiblement plus élevé. Ils ont également reconnu que cette autonomie devrait passer par une autogestion effective. Cette position des Six a été confirmée à l'occasion de leur rencontre à Bonn le 25 mars dernier.

Le Groupe a estimé que Belgrade ne pouvait vaincre le terrorisme au Kosovo qu'à condition d'accorder à la communauté albanaise de cette région un véritable dispositif politique. Le groupe de contact a appelé les parties à un dialogue sérieux sans conditions préalables sur les questions de statut politique de la région.

2. OSCE

Le Président en exercice de l'OSCE, M. Bronislaw Geremek, dans sa déclaration en date du 10 mars 1998, contenant un plan d'action de l'OSCE pour le Kosovo a affirmé que la solution juste à la crise devrait être recherchée dans le cadre de l'intégrité territoriale de la RFY et en tenant compte de l'aspiration de la comunauté albanaise de cette région à l'autonomie, sans préciser pour autant les contours de cette autonomie.

3. Union Européenne

Dans sa déclaration du 1er avril 1998 sur le ralliement aux conclusions du Conseil de l'UE concernant le Kosovo, la déclaration à laquelle se sont d'ailleurs joints les pays associés de l'Europe centrale et orientale et Chypre, l'Union européenne a abordé la question de l'autonomie du Kosovo et a pris une position très nette à ce sujet. Elle ne s'est pas dite favorable à ce que les négociations sur le statut du Kosovo entre les autorités de Belgrade et les dirigeants de la communauté de souche albanaise du Kosovo débouchent sur l'indépendance ou le maintien du statu quo. Dans une déclaration du 27 avril dernier, l'Union européenne continuait sur la même voie restant fidèle à sa position de départ et réitérant son attachement au principe d'intégrité territoriale de la RFY. En même temps, les représentants des Quinze, réunis au Luxembourg, ont constaté qu'aucun progrès n'avait été fait pour doter le Kosovo d'un large degré d'autonomie au sein de la République Fédérale de Yougoslavie.

4. Organisation des Nations-Unies

Le 31 mars dernier, à sa 3868e séance, le Conseil de sécurité de l'ONU a adopté une résolution 1160 (1998) visant à interdire par les Etats membres de l'ONU la vente ou la fourniture d'armes à la RFY, y compris au Kosovo. A cette occasion, le Conseil de sécurité a affirmé l'attachement de tous les Etats membres de l'ONU à la souveraineté et à l'integrité territoriale de la RFY. Les membres du Conseil de sécurité ont souligné avec force la nécessité d'un dialogue constructif entre les parties sur les questions touchant au statut politique de la région. Ils ont également souscrit à la proposition contenue dans les déclarations du Groupe de contact des 9 et 25 mars 1998 selon laquelle le règlement du problème du Kosovo doit reposer sur le principe de l'intégrité territoriale de la RFY et être conforme aux normes de l'OSCE. L'ONU, par la voie du Conseil de sécurité, a clairement exprimé son appui à un statut renforcé pour le Kosovo qui devrait comprendre une autonomie sensiblement accrue.

5. Pays d'Europe sud-orientale

Les ministres des Affaires étrangères des pays d'Europe sud-orientale (Bulgarie, Grèce, Roumanie et Turquie) se sont réunis le 10 mars à Sofia en Bulgarie pour discuter de la crise au Kosovo et élaborer une position commune face à cette crise. Dans la déclaration commune, adoptée à l'issue de la réunion, les ministres ont souligné qu'une solution au problème du Kosovo devait être recherchée dans le respect absolu des frontières existantes. Ils ont demandé à toutes les organisations d'Albanais de souche de rejeter toute politique sécessionniste et de respecter pleinement l'intégrité territoriale de la RFY. En s'adressant aux autorités de Belgrade ils ont demandé de rechercher des solutions acceptables pour les deux parties et fondées sur l'octroi au Kosovo d'une large autonomie au sein de la RFY.

6. Le Sommet du G8 de Birmingham (15-17 mai 1998)

Réunis à Birmingham, les Chefs d'Etat du G8 ont publié la déclaration suivante concernant la situation au Kosovo4 :

"Les violences répétées au Kosovo ont ravivé les craintes d'une nouvelle guerre dans les Balkans. La région a déjà connu de trop nombreux massacres. Une solution politique au problème du Kosovo est vitale pour la paix et le bien-être de toutes les personnes de la région. Nous considérons que la rencontre du 15 mai entre le Président Milosevic et le Dr Rugova est un premier pas positif. Il est en particulier important que le Président Milosevic ait assumé une responsabilité personnelle dans la recherche d'une solution aux problèmes du Kosvo, y compris son statut futur. Nous appelons les deux parties à s'assurer que le dialogue initié aujourd'hui conduise à l'adoption de mesures concrètes pour faire diminuer les tensions et arrêter la violence. Le règlement de la question du statut du Kosovo sera difficile mais essentielle pour le bien de tous ceux vivant dans la République Fédérale de Yougoslavie.

La paix et la stabilité en Europe reposent sur les principes de l'inviolabilité des frontières et sur le fait que les changements politiques doivent se faire par des moyens pacifiques. Nous rejetons le terrorisme et la violence de n'importe quelle partie pour atteindre des buts politiques ou réprimer la dissidence. Les Etats de la région devraient eux-mêmes contribuer à une solution non violente de la crise. Tous les Etats devraient coopérer pour l'examen du problème des réfugiés et des personnes déplacées.

Nous soulignons l'importance de la coopération avec la mission Gonzalez. Nous sommes prêts à promouvoir les moyens clairs et accessibles pour intégrer pleinement la RFY dans la Communauté internationale. Mais si Belgrade ne réussit pas à construire sur les progrès récents et si un véritable processus n'est pas mis en place, son isolement s'accentuera."

b) Engagement d'un dialogue

Tout de suite après l'escalade de la violence au Kosovo, la Communauté internationale a appelé les parties en conflit à engager instamment un véritable dialogue politique afin de dénouer la crise. Ces propositions s'accompagnaient d'un côté, des propositions de médiation et, d'un autre côté, des menaces de sanctions à l'encontre de la RFY.

1. Propositions de médiation

Le Groupe de contact pour l'ex-Yougoslavie s'est dit favorable pour faciliter un dialogue entre les autorités fédérales et les représentants de la communauté albanaise du Kosovo. Les propositions avancées au nom de l'OSCE par le Président en exercice de cette organisation, M. Bronislaw Geremek, incluait une offre de médiation entre les deux parties par le représentant spécial du Président de l'OSCE pour le Kosovo et de l'Union européenne, M. Felipe Gonzalez. L'OSCE considère la médiation internationale essentielle pour l'engagement d'un dialogue sérieux entre les parties. L'initiative de M. Geremek a été largement soutenue par les autres instances internationales, telles que les Nations-Unies, l'Union Européenne et le Groupe des contact pour l'ex-Yougoslavie.

Pour l'heure, toutes les propositions de médiation, soutenues pourtant par l'ensemble des institutions internationales, ont été rejetées par les autorités de Belgrade qui ne voient dans le problème du Kosovo qu'une affaire interne de la Serbie. Par conséquent, selon Belgrade, les négociations avec les représentants albanais devraient être menées dans le cadre strictement interne sans aucune médiation internationale. Lors du référendum organisé le 23 avril à l'initiative du président yougoslave Slobodan Milosevic, 94,73 % des votants, selon les résultats officiels, ont dit "non" à la médiation internationale dans le conflit au Kosovo. Il convient de noter que 1,8 million d'Albanais du Kosovo ont boycotté cette consultation populaire.

Quant aux Albanais, qui ont, en principe, accepté l'idée des pourparlers, leur leader politique M. Rugova a, à plusieurs reprises, réclamé haut et fort la médiation internationale dans les négociations. Les Albanais du Kosovo sont prêts à s'asseoir à la table des négociations à condition que le dialogue soit mené avec les autorités fédérales et non les représentants serbes. M. Rugova a désigné le 24 mars une équipe chargée de préparer une plate-forme de négociations. Le conseiller de M. Rugova, M. Agani, a été nommé à la tête d'un groupe de quatre personnes mandaté pour mener des pourparlers de la part des Albanais.

La communauté internationale reste persuadée qu'un médiateur international pourra contribuer à atténuer les tensions dans la région et à engager un véritable dialogue sur le futur statut politique du Kosovo.

D'après les milieux diplomatiques à Moscou, le Ministre des Affaires étrangères de Russie aurait proposé que l'accord sur l'Irlande du Nord puisse servir de modèle à la solution du problème du Kosovo. Les mêmes sources indiquent qu'au cours de la visite de M. Ivanov, vice-Ministre des Affaires étrangères de Russie, à Belgrade, le 5 mai, celui-ci aurait exercé une influence sur le gouvernement serbe pour qu'il accepte une présence de l'OSCE au Kosovo, de manière à permettre le début des négociations.

Ces initiatives diplomatiques, mais en premier lieu l'envoyé spécial américain, M. Holbrook, ont certainement conduit à la première rencontre entre M. Milosevi et M. Rugova, le 15 mai à Belgrade. Les deux hommes se seraient mis d'accord pour entamer les négociations dans une semaine selon un communiqué diffusé par l'agence Tanjug. M. Milosevic a estimé que ce premier contact "doit marquer le début d'un règlement pacifique des problèmes au Kosovo". M. Rugova a estimé que cette première rencontre s'est déroulée dans "une atmosphère de tolérance". M. Milosevic a estimé que "c'est seulement par des moyens politiques, par un dialogue direct, que l'on pourrait trouver des solutions pacifiques humaines, justes et durables (...). Les solutions doivent se fonder sur l'égalité de tous les citoyens et toutes les communautés nationales vivant au Kosovo".

Il est prévu que les négociations se dérouleront par des réunions tenues à un rythme hebdomadaire. Du côté yougoslave, la "délégation d'Etat" sera conduite par M. Ratko Markovic, vice-Premier Ministre serbe, et comprendra deux autres vice-Premiers Ministres serbes, M. T. Nicolic et M. Bojic, ainsi que I. Sedlak, Ministre serbe sans portefeuille, M. V. Kustlesic, Ministre de la RFY et M. Rajakovcic, vice-Ministre yougoslave de la justice. La délégation albanaise du Kosovo comprendra quatre conseillers de M. Rugova, MM. P. Nushi, M. Bakalli, F. Agani et V. Suroj. Deux autres membres seront désignés ultérieurement. La première rencontre a eu lieu le 22 mai 1998 et a permis de fixer certaines modalités de la négociation. Les communiqués des deux parties figurent en annexe III de ce rapport.

2. Sanctions envisagées

Le Groupe de contact a proposé dès le 9 mars dernier un certain nombre de mesures afin de contraindre les autorités yougoslaves à retirer les forces spéciales de police du Kosovo et d'ouvrir sans conditions préalables un vrai dialogue visant à trouver une solution politique à la crise dans cette région. Les Six ont demandé au Conseil de sécurité de l'ONU d'imposer un embargo total sur les armes à destination de la Yougoslavie pouvant servir à la répression ou au terrorisme. Cet appel des Six a été relayé par le Conseil de sécurité qui, par sa résolution 1160 (1998), a interdit la vente ou la fourniture d'armes à la RFY, y compris le Kosovo. Face à l'inertie de la position yougoslave, les Six, réunis à Bonn le 25 mars dernier jugeant insuffisants les efforts des autorités yougoslaves pour désamorcer la crise ont décidé de mettre en oeuvre partiellement les sanctions contre Belgrade, en particulier dans le domaine économique et financier. Le Groupe de contact avait fixé au 9 mai la date à laquelle d'autres sanctions devaient s'appliquer, mais il s'est déclaré prêt à les lever si de réelles négociations devaient commencer. C'est d'ailleurs à peu près à la même date que M. Milosevic a fait savoir à la Communauté internationale qu'il était prêt à rechercher un compromis (d'après le Dnevni Telegraf).

Toutefois, la mise en oeuvre des sanctions ne constitue pas une fin en soi pour la Communauté internationale. Elle fait partie d'une tactique de déploiement des pressions sur Belgrade qui comprend également des mesures incitatives. Ces dernières consistent à proposer à la Yougoslavie d'entamer un mouvement vers la réinsertion dans les institutions européennes et internationales. Selon la déclaration du Président en exercice de l'OSCE du 10 mars, les progrès réalisés par Belgrade dans le dialogue avec les Albanais du Kosovo permettront une amélioration de la position de la Yougoslavie sur la scène internationale, la normalisation des relations avec l'OSCE et une coopération avec les institutions économiques et financières internationales. L'Union européenne a également fait savoir qu'elle serait prête à reconsiderer dans un esprit positif la participation de la Yougoslavie dans les mécanismes de coopération européenne, si Belgrade manifestait une vraie volonté d'engager un dialogue sur le Kosovo avec une médiation internationale.

6. LE STATUT DU KOSOVO DANS LA CONSTITUTION DE LA RÉPUBLIQUE SOCIALISTE FÉDÉRATIVE DE YOUGOSLAVIE

Jusqu'au 28 septembre 1990, date à laquelle la nouvelle Constitution de la République de Serbie fut adoptée, et qui dans les faits abolit le statut autonome du Kosovo et de la Voivodine, ces deux régions avaient bénéficié d'un large degré d'autonomie. La formule alors employée devait donner aux Albanais et aux Hongrois l'opportunité de décider eux-mêmes dans leur propre région, dans le cadre de la Serbie où ils représentaient la majorité de la population.

Les institutions des "Provinces socialistes autonomes" étaient organisées de la même manière que celles des Républiques ; ainsi disposaient-elles de leur propre assemblée, d'un conseil exécutif, d'une Présidence, d'une banque nationale, d'une Cour constitutionnelle et d'une Cour Suprême, et d'une administration publique placée sous leur propre supervision. Les provinces détenaient également quelques pouvoirs législatifs limités inscrits dans la Constitution, ainsi que le droit de proposer des révisions de la Constitution fédérale5 et de rejeter des propositions révisées6. Les Articles 398 et 402 de la Constitution Fédérale stipulaient que celle-ci ne pouvait être révisée qu'avec l'accord de toutes les Républiques et provinces autonomes, si celles-ci approuvaient les amendements proposés.

Il convient aussi de noter que les provinces autonomes, de même que les Républiques, avaient la compétence d'organiser une "défense territoriale"7 sur leur territoire et qu'elles disposaient d'armes. De plus, un fond fédéral de péréquation avait été créé pour contribuer au développement des régions les moins avancées.

Le statut d'autonomie avait aussi une importance au niveau fédéral. La Constitution de 1974 mettait en effet les provinces autonomes à pied d'égalité avec les Républiques, en assurant leur représentation dans tous les organes de la Fédération8. Leur coopération et leur participation était requises pour toutes les matières fédérales, y compris la politique fiscale. Les Principes Fondamentaux inscrits dans le Préambule de la Constitution (partie I) se réfèrent aux nations et aux nationalités jouissant de leurs "droits souverains" dans les Républiques et les provinces autonomes9, et non aux citoyens.

Les Articles 1 et 2 de la première partie de la Constitution définissaient la République Socialiste Fédérative de Yougoslavie comme un Etat composé de six Républiques ainsi que de provinces autonomes, le Kosovo et la Voivodine, faisant partie de la Serbie. De plus, la Constitution fédérale donnait une définition des provinces autonomes10, elles ne pouvaient cependant pas décider de manière indépendante des sujets considérés par la Constitution de la Serbie comme un domaine d'intérêts communs. L'Article 5 stipulait toutefois que le territoire d'une province autonome ne pouvait pas être modifié sans son accord ce qui, en tout état de cause, privait la Serbie du droit de modifier la division territoriale.

L'Article 244 de la Partie de la Constitution consacrée aux Droits et Responsabilités de la Fédération, prévoyait la représentation des provinces autonomes dans le processus de décision au niveau fédéral, en assurant la participation de leurs représentants dans tous les organes étatiques de la Fédération. En particulier dans l'une des chambres de l'Assemblée Fédérale -la Chambre de la Fédération - elles disposaient de vingt délégués chacune, alors que les Républiques en disposaient de trente. Dans l'autre Chambre -la Chambre des Républiques et des Provinces Autonomes- les Républiques étaient représentées par onze membres et les provinces par huit membres11. En outre l'Article 296 de la Constitution stipulait que les délégations des provinces autonomes devaient défendre leurs propres positions et non celles de l'Assemblée de la République de Serbie. Elles étaient également représentées de manière proportionnelle dans le Conseil Exécutif fédéral12, dans l'administration, la Cour Constitutionnelle et Fédérale. La Présidence fédérale comprenait une représentation égale des Républiques et des provinces autonomes, chacune d'elles déléguant un seul représentant13. De plus, l'Article 242 stipulait une représentation proportionnelle des représentants des provinces autonomes dans les postes supérieurs de commandement et de direction de l'Armée populaire de Yougoslavie.

La Constitution de 1974, en particulier ses chapitres consacrés aux Libertés, Droits et responsabilités des Citoyens (articles 170 et 171) attribuaient d'importants droits individuels et collectifs aux nationalités en indiquant que chaque personne était libre de manifester - ou non - son appartenance à une nation ou une nationalité et sa culture nationale et d'employer sa langue et son écriture, y compris dans l'exercice de ses droits et devoirs, dans les procédures devant les organes d'Etat et les organisations exerçant des fonctions publiques, ainsi qu'au cours des procédures devant les tribunaux, les organisations de travail et les municipalités (communautés autogestionnaires)14. Ces mêmes droits étaient également inscrits dans les chapitres de la Constitution concernant les Droits et Responsabilités de la Fédération.

L'Article 171 garantissait le droit des ressortissants des nations et nationalités de Yougoslavie sur le territoire de chaque République ou province autonome à l'enseignement dans leur propre langue. Cependant, il ne définissait pas de manière claire le type et le niveau d'éducation, ceci devant être régi par d'autres lois. Une université en langue albanaise avait bien été établie à Pristina, mais fut par la suite abolie par le Gouvernement serbe.

Il peut être conclu que selon la Constitution de 1974, le Kosovo jouissait d'un haut degré d'autonomie dans les matières politique, financière, culturelle et dans le domaine de l'éducation. Il faut toutefois garder à l'esprit que l'ancienne République Socialiste Fédérative de Yougoslavie n'était pas un Etat démocratique. Il était organisé selon les principes du parti unique, sans avoir de véritables élections démocratiques pour les différents niveaux de gouvernement. Seuls les membres des Assemblées municipales étaient élus directement parmi les membres de la liste unique - celle du Parti Communiste - désignés en fonction de ses intérêts politiques propres.

Par ailleurs, l'attribution de droits importants aux provinces autonomes au niveau fédéral pouvait être une opportunité pour la Serbie - la plus grande des Républiques - de disposer de deux voix additionnelles lors de votes de textes importants au niveau fédéral.

La mise en oeuvre défaillante de la Constitution de 1974 a aussi été mise en lumière par les tensions croissantes et l'instabilité grandissante à l'époque au Kosovo15.

Le Statut du Sandjak selon la Constitution de la République Socialiste Fédérative de Yougoslavie en 1974

Le Sandjak est une région divisée entre la Serbie et la Bosnie et Herzégovine. Elle est majoritairement peuplée de musulmans d'origine serbe et croate, qui ont été islamisés au cours de la période ottomane. Du temps de l'ancienne Yougoslavie, le terme de Bosniaque faisait référence à toute personne vivant en Bosnie, mais durant la guerre, les Musulmans l'ont utilisé comme expression de leur appartenance nationale.

La Bosnie était l'une des six Républiques où les Musulmans formaient la majorité de la population. D'un point de vue juridique, ils étaient considérés comme l'une des "nations constitutives" de la fédération et jouissaient des mêmes droits que les autres nations. Ainsi les Musulmans vivant dans la partie serbe du Sandjak disposaient des mêmes droits que ceux vivant en Bosnie et Herzégovine, selon la Constitution de 1974. De ce fait, le Sandjak n'était pas considéré comme une nationalité à part comme les Albanais du Kosovo et les Hongrois de Voïvodine et, de ce fait, il n'y avait pas lieu de lui attribuer un statut autonome. Cependant, avec l'éclatement de l'ancienne Yougoslavie, ils ont perdu tous les droits dont ils bénéficiaient dans la Constitution de 1974.

7. CONTRIBUTION POSSIBLE DU CONGRES

7.1 Textes juridiques pouvant servir de base au règlement des problèmes en République Fédérale de Yougoslavie

Dans sa Recommandation 1360, l'Assemblée Parlementaire a rappelé que le Conseil de l'Europe possède une expérience considérable dans les domaines pertinents pour la solution de la crise au Kosovo, à savoir les droits de l'Homme, les droits des minorités, la démocratie locale et régionale et l'enseignement.

Le Congrès est certainement l'organe compétent en matière de démocratie locale et régionale et s'est également beaucoup occupé, encore au cours de cette session, des problèmes des minorités, notamment dans le domaine du statut d'autonomie et des droits linguistiques et culturels des minorités. Sur ce sujet, le Congrès peut se fonder sur des textes juridiques qu'il a souvent lui-même mis en chantier et qui sont devenus, ou pourraient devenir prochainement, des conventions du Conseil de l'Europe.

En partant du principe de subsidiarité, nous citons d'abord la "Charte européenne de l'autonomie locale, dont le suivi est assuré par le Congrès avec le consentement du Comité des Ministres. Les garanties offertes par ce texte pour le développement d'une véritable autonomie locale pourraient contribuer, au niveau le plus près des citoyens, à assurer l'exercice d'un gouvernement démocratique qui pourrait bénéficier non seulement aux populations albanaises du Kosovo, mais à l'ensemble des citoyens de la Serbie, voire de la RFY, y compris au Sandjak et en Voïvodine.

La destitution des autorités élues de Novi Pazar par la force, en été 1997 - qui a fait l'objet d'un communiqué de protestation du Bureau du Congrès - témoigne du manque de garanties pour l'autonomie locale en Serbie, auquel s'ajoutent les réticences du gouvernement à reconnaître les résultats des élections locales au printemps 1997 dans plusieurs villes serbes, dont Belgrade et Nìs. D'ailleurs, l'Association des villes et municipalités libres de la République Serbe, constituée par les maires d'opposition élus à cette occasion, a préparé un projet de loi sur l'autonomie locale à propos duquel le Congrès a exprimé un avis par rapport à la Charte. Sans pouvoir juger de la portée de cette affirmation, les autorités serbes qui ont rencontré la délégation de l'Assemblée en mars dernier ont mentionné la Charte européenne de l'autonomie locale parmi les premiers textes auxquels elles souhaiteraient adhérer si le pays devenait membre du Conseil de l'Europe.

Le texte de la Charte européenne de l'autonomie régionale, approuvé par le Congrès et soumis pour adoption au Comité des Ministres, et duquel plusieurs Etats se sont déjà inspirés dans leurs projets de régionalisation (notamment la Pologne, la Slovénie, la Moldavie), pourrait fournir une base de référence pour la définition d'un statut d'autonomie du Kosovo. Le paragraphe 8 du préambule de ce texte de Charte affirme en particulier : "que la reconnaissance de l'autonomie régionale implique la loyauté envers l'Etat dont les régions relèvent dans le respect de sa souveraineté et de son intégrité territoriale".

Les articles 4 et 6 sur les compétences des régions, l'article 9 sur la participation des régions aux affaires de l'Etat, l'article 10 sur la participation des régions aux affaires européennes et internationales, les articles 14 et 15 sur les finances régionales, et l'article 16 sur la protection des limites territoriales des régions, pourraient inspirer utilement les rédacteurs d'un nouveau statut d'autonomie pour le Kosovo, sans oublier la Voïvodine et d'autres régions du pays. Il faut souligner en particulier l'importance des articles 9 et 10 s'agissant du Kosovo.

Bien entendu, la Convention-cadre sur les minorités nationales pourrait être aussi une base très importante pour le règlement du conflit du Kosovo et même pour la Voïvodine (minorités notamment hongroise et croate) et le Sandjak (minorité bosniaque). On observera que les articles 11, 12 et 13 pourraient servir de base pour la mise en oeuvre de l'accord passé entre les dirigeants albanais du Kosovo et les autorités serbes à propos de l'éducation. De même, l'article 16 constitue une garantie importante pour le maintien de la population albanaise au Kosovo. Les articles 17 et 18 devraient permettre le développement des liens et contacts culturels et économiques avec les populations d'expression albanaise voisines d'Albanie et de "l'ex-République yougoslave de Macédoine". Ces contacts pourraient être consolidés grâce à l'utilisation de la Convention-cadre sur la coopération transfrontalière entre collectivités territoriales et son protocole additionnel n° 1. Il est clair, en effet, que la solution du problème du Kosovo, tout comme cela a été le cas avec l'accord récent à propos de l'Irlande du Nord, passe par un statut de large autonomie complété par des accords de coopération transfrontalière avec les communautés d'expression albanaise voisines. Cela correspond aux principes défendus par le Congrès depuis des années, reconnus d'ailleurs par les Chefs d'Etat et de gouvernement réunis pour le premier Sommet du Conseil de l'Europe, en octobre 1993.

Bien que les autorités serbes n'aient pas cité la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, entrée récemment en vigueur, ce texte pourrait offrir également une base et une garantie pour un accord entre les autorités serbes et la communauté albanaise du Kosovo. La partie III de cette Charte offre en effet une possibilité d'accord qui pourrait également concilier les droits linguistiques de la minorité serbe au Kosovo, sans parler des minorités en Voïvodine. Cette partie III porte en effet sur l'utilisation de la langue en matière d'enseignement, de justice, d'autorités administratives et services publics, dans les médias, les activités culturelles, la vie économique et sociale et les échanges transfrontaliers qui pourront aider la pratique de la langue dans ces secteurs.

En plus, au cours de la présente semaine, le Congrès s'apprête à adresser au Comité des Ministres un Projet de Recommandation sur l'autonomie territoriale et les minorités nationales.

Ce projet de Recommandation vise en particulier la reconnaissance de règles juridiques spécifiques dans les territoires habités par des minorités et la reconnaissance de statuts particuliers. Ce texte peut s'appliquer non seulement au Kosovo, mais aussi en Voïvodine et au Sandjak. Il faut espérer que le Comité des Ministres, en adoptant cette Recommandation, donne un signe également aux autorités de la Répulique Fédérale de Yougoslavie. Ce texte vise donc une autonomie régionale et, selon les circonstances, une autonomie locale asymétrique permettant ainsi de trouver des arrangements tenant compte des problèmes particuliers à des minorités plus ou moins importantes (voir chapitre 7.2 ci-après).

7.2 Plusieurs exemples européens en matière de statut spécial

L'histoire de l'organisation étatique de plusieurs pays européens montre qu'il est possible et parfois nécessaire de prévoir des solutions différenciées (c'est à dire des différents degrés d'autonomie) en faveur de régions appartenant au même Etat. Les fondements juridiques de ces formes d'autonomie peuvent être variés : constitutions, statuts, traités entre l'Etat fédéral et les entités, etc.

Ces cas s'appliquent aux Etats fédéraux, quasi-fédéraux, régionaux voire même unitaires. On évoque ici, à titre d'exemple, le cas de la Russie, de l'Espagne de l'Italie et de la Finlande

Russie

Le nouveau système constitutionnel russe, contrairement aux précédents, prévoit une égalité de base des sujets de la fédération quel que soit leur type : république autonome, territoire, région, ville d'importance fédérale, région autonome ou district autonome. Cette égalité s'étend notamment à la participation au sein des organes de l'Etat central (chaque sujet de la fédération délégue deux représentants au Conseil de la Fédération) et à la révision constitutionnelle qui doit être approuvée par les organes du pouvoir législatif d'au moins les deux tiers des sujets de la fédération.

En revanche, il existe une certaine asymétrie en matière de répartition des compétences entre les autorités fédérales et les sujets de la fédération. Par exemple, seules les républiques ont le droit d'établir leurs langues officielles. Cette asymétrie résulte essentiellement d'une particularité russe selon laquelle la répartition des compétences ne découle pas de la seule Constitution; celle-ci prévoit en effet que, dans le domaine des compétences conjointes de la fédération et de ses sujets, des traités sur la délimitation des domaines de compétence et des attributions peuvent être conclus entre les organes du pouvoir d'Etat de la Fédération de Russie et les organes du pouvoir d'Etat des sujets de la fédération. Comme, par définition, ces traités n'ont pas le même contenu, ils introduisent une asymétrie relativement importante. Chaque relation bilatérale est unique et conduit à l'instauration d'un partage de compétences très différentes selon les domaines.

Cette asymétrie est renforcée par une asymétrie réelle car les composantes de la fédération sont hétérogènes par leur superficie, leur importance économique, démographique et politique. En réalité, le statut différencié des sujets de la fédération est fonction de leur capacité de négociation avec les autorités centrales. A cela s'ajoute le poids des républiques qui sont à l'origine même de l'asymétrie dans l'organisation fédérale. C'est surtout leur spécificité nationale qui constitue le fondement de leur plus grande autonomie au sein de la fédération renforcée, par la suite, par le biais des mécanismes de traités passés avec Moscou.

Le Tatarstan a été la première république à signer un tel traité avec Moscou le 15 février 1994. Premier traité bilatéral entre les autorités fédérales et une entité fédérale, il détermine globalement les prérogatives de la république et est complété d'une dizaine de protocoles antérieurs ou postérieurs (voir annexe I).

Espagne

Les "Comunidades Autonomas" du système quasi fédéral espagnol confirment la faisabilité de solutions d'asymétrie administrative régionale.

Parmi ces communautés autonomes le Pays Basque et la Catalogne bénéficient de prérogatives d'autonomie accrue. En effet l'article 148 de la Constitution espagnole cite un certain nombre de pouvoirs attribués aux communautés autonomes, et l'article 149 établit une liste close de pouvoirs attribués à l'Etat central. Tous les autres pouvoirs resteront de la compétence étatique si les communautés autonomes n'en disposent pas de par leurs statuts. Les Statuts des communautés autonomes sont par la suite examinés et adoptés par le Parlement espagnol et deviennent des lois constitutionnelles d'après des procédures différentes selon qu'il s'agisse de communautés représentant des "nationalités historiques" ou d'autres communautés. Ceci constitue le fondement d'une situation de possible asymétrie entre communautés autonomes.
L'exemple du Pays Basque nous montre les détails de cette asymétrie : au-delà des compétences dont plusieurs communautés autonomes bénéficient (enseignement, santé, services sociaux, culture, logement, urbanisme, aménagement du territoire, communications, régime électoral interne et d'autres), cette communauté exerce en plus de façon autonome: la quasi-totalité des fonctions de police, et de gestion des ressources fiscales. Cette communauté autonome réglemente et perçoit, en concertation avec le pouvoir central, tous les impôts provenant de son territoire. En ce qui concerne la contribution de la communauté aux dépenses étatiques (défense, politique étrangère etc) cette dernière est fixée d'un commun accord avec l'Etat central.

La Catalogne en est un autre exemple (voir annexe II).

Italie

En Italie, pour des raisons d'ordre politique, culturel et économique la Constitution de 1948 a prévu deux catégories de régions: les régions disposant d'un "statut ordinaire" et les régions disposant d'un "statut spécial".

Dans la première hypothèse, les statuts régionaux sont délibérés par chaque Conseil régional (ce qui crée déjà des différences non négligeables entre régions du même rang) et approuvés par loi nationale ordinaire; dans la deuxième hypothèse les statuts sont promulgués par l'Etat par le biais d'une loi constitutionnelle, ce qui représente un deuxième élément de différenciation étant donné que le rang hiérarchique des sources du droit est différent dans les deux cas de statuts.
Mais même entre les cinq régions à statut spécial, des différences non négligeables subsistent: il suffira de citer le cas de la Sicile qui dispose d'une Assemblée régionale et qui, entre autre, bénéficie, en vertu de l'artticle 36 de son Statut, du droit de délibérer sur tous les impôts concernant la région, indépendamment de la loi étatique, en se détachant ainsi des autres régions à statut spécial qui restent liées aux principes des lois nationales; ou encore le cas de la région Sardaigne qui peut exercer les fonctions de maintien de l'ordre public.

On peut noter aussi la pertinence du cas de la Province autonome de Bolzano (dite aussi du Tyrol du Sud) dont les compétences spéciales, notamment en matière financière et budgétaire fait suite à un accord entre l'Autriche et l'Italie.

De plus, le projet de réforme constitutionnelle, actuellement en voie d'adoption au sein du Parlement italien et récemment analysé par le Congrès, va dans le sens de l'octroi du "statut spécial" aux régions qui en font la demande par le biais d'une loi constitutionnelle. Ceci renforcera encore plus la différenciation entre différents territoires de l'Etat et donc la voie de l'organisation étatique asymétrique.

Finlande

La Finlande est un Etat unitaire qui comprend 19 "régions" (maakunta). Parmi ces entités figure la région des îles Aaland. Il s'agit dans ce cas d'une région autonome de langue suédoise, garantie par un acte d'autogouvernement, qui dispose de larges compétences législatives et administratives (à exclusion des compétences judiciaires), d'un Conseil exécutif et d'une Assemblée qui vote le budget annuel. De plus toutes les législations nationales qui concernent cette région doivent avoir l'approbation de cette Assemblée.

Il est important de noter que le fondement de cette solution réside dans l'option exprimée en 1921 par la Société des Nations qui a tranché le contentieux entre la Suède et la Finlande donnant lieu à cette autonomie asymétrique à l'intérieur de l'Etat finlandais.

7.3 Contribution des ambassades de la démocratie locale à la résolution des problèmes intercommunautaires au Kosovo

La Conférence Permanente des Pouvoirs Locaux et Régionaux de l'Europe a décidé, en 1993, la mise en place d'un programme de coopération entre autorités locales et régionales pour apporter un soutien concret aux municipalités alors confrontées aux ravages de la guerre et soucieuses de préserver le caractère multiculturel de leur cité. La mise en place d'"ambassades de la démocratie locale" (ADL) sous les auspices du CPLRE visait à encourager le dialogue entre les différentes communautés. Les ambassades de la démocratie locale résultent d'un accord entre, au minimum, trois villes, communes ou régions de différents Etats membres du Conseil de l'Europe, et une ville ou région d'accueil. La première de ces ambassades de la démocratie locale a été inaugurée en 1993 à Subotica, en Voivodine, avec le soutien des villes de Namur (Belgique), Elche (Espagne), Tilburg (Pays-Bas) et de l'association "Causes Communes Belgique". On peut rappeler à cet égard que la Voivodine avait, à l'instar du Kosovo, bénéficié dans la Constitution yougoslave de 1974 d'un statut de "province autonome".

Les partenaires d'une ambassade de la démocratie locale s'accordent à mettre en oeuvre des activités visant à favoriser le développement de la démocratie locale dans un sens large, à encourager les relations intercommunautaires, à susciter la participation de tous les citoyens à la vie publique locale. Cette expérience s'appuie sur une coopération entre autorités locales et régionales impliquées dans le projet et, plus largement, sur des échanges concrets d'information et d'expérience entre les ONG, les écoles, les structures de jeunesse et les acteurs économiques associés aux partenaires d'une ADL, dans un esprit de partenariat. Un Délégué de nationalité étrangère est nommé par les partenaires pour mettre en oeuvre ce programme d'activités décidé d'un commun accord.

Le programme des ADL contribue à diffuser, au niveau local et régional, les instruments du Conseil de l'Europe visant à promouvoir la tolérance, les pratiques démocratiques, le développement de la démocratie locale et régionale, les droits des minorités et l'intégration européenne par les pouvoirs locaux et régionaux. Aujourd'hui, huit ambassades de la démocratie locale sont opérationnelles en Croatie (Osijek/Vukovar, Sisak et Brtonigla-Verteneglio), en Bosnie et Herzégovine (Tuzla, Sarajevo et Zavidovici), en "ex-République yougoslave de Macédoine" (Ohrid) et en République Fédérale de Yougoslavie (Subotica). Elles peuvent aussi fonctionner en réseau et stimuler l'échange d'expériences dans la région. Le programme des ADL, pour l'heure limité au territoire de l'ancienne Fédération de Yougoslavie, a vocation de s'étendre, le moment venu, à d'autres régions d'Europe qui en auraient exprimé le souhait ou le besoin.

Les ambassades de la démocratie locale ont vocation à construire des ponts entre les citoyens, à offrir un espace de discussion et de dialogue, un forum d'échanges entre les différentes composantes de la société civile. Elles visent en particulier à promouvoir les mesures de confiance pour restaurer et encourager le dialogue. Ainsi l'ADL d'Osijek/Vukovar a-t-elle organisé de nombreuses rencontres entre élus ou journalistes croates et serbes. L'ADL d'Ohrid a favorisé les rencontres de travail entre élus macédoniens et albanais et l'amorce d'une coopération transfrontalière entre collectivités locales macédoniennes et albanaises de part et d'autre du Lac d'Ohrid. L'ADL de Brtonigla-Verteneglio, installée en Istrie, explore pour sa part les potentialités d'une région bilingue, biculturelle et frontalière. Aujourd'hui, les tâches des ambassades de la démocratie locale se sont élargies, et répondent à de nouveaux besoins exprimés par les autorités locales et régionales hôtes, que ce soit en matière de reconstruction, d'échanges économiques ou de formation des élus, qui peuvent être facilités grâce à l'engagement actif des collectivités locales et régionales partenaires.

Les difficultés rencontrées en République Fédérale de Yougoslavie n'ont toutefois pas permis d'explorer toutes les potentialités du programme dans ce pays. En effet, de nombreuses entraves ont perturbé la mise en place de nouveaux partenariats, en dépit des demandes qui ont été formulées par des municipalités serbes ou monténégrines. L'obtention des visas reste problématique et n'encourage pas les contacts avec les représentants d'autorités locales et régionales ou les organisations internationales qui les représentent. Ceci peut affecter l'intérêt ou la volonté des collectivités locales ou régionales en Europe souhaitant devenir des partenaires actifs, et surtout empêcher le Délégué nommé par les partenaires de travailler et de séjourner de manière continue sur place. Par ailleurs, les "ambassades" ou "agences" de la démocratie locale ne peuvent pas disposer à l'heure actuelle d'un statut juridique satisfaisant, qui corresponde à leur vocation, et l'octroi d'un soutien financier par les organisations internationales peut être rendu plus difficile. L'Agence de la démocratie locale de Subotica a, depuis cinq ans, réalisé un travail remarquable dans des conditions difficiles et précaires, qui ne peuvent toutefois perdurer. Un effort devrait être consenti pour octroyer un statut juridique approprié reconnaissant pleinement l'existence des Agences de la démocratie locale et leur permettant de travailler en toute indépendance dans le pays.

Les ADL représenteraient pour le Kosovo une possibilité réelle pour développer des liens entre les différentes communautés.L'Assemblée Parlementaire a d'ailleurs, dans sa Recommandation 1288 (1996) invité le CPLRE "à étudier la faisabilité d'établir une ambassade de la démocratie locale au Kosovo". Il conviendrait de rappeler que le soutien politique et financier du Conseil de l'Europe serait indispensable pour appuyer l'extension du programme des ADL à cette région. Dans sa réponse à la Recommandation 1360 (1998) de l'Assemblée Parlementaire portant sur la "Crise au Kosovo", le Comité des Ministres a indiqué que la création d'une ADL au Kosovo serait étudiée dans le cadre de l'examen en cours de la Recommandation 33 (1997) du CPLRE. La création d'une fondation ou d'un instrument juridique approprié pourrait contribuer à explorer cette possibilité.

La mise en place de séminaires et d'ateliers pour faciliter le dialogue, l'organisation d'échanges scolaires, la connaissance de la langue et de la culture de l'autre, l'ouverture à l'Europe, la participation des jeunes à la vie politique locale pourraient constituer autant d'outils utiles visant à encourager le dialogue intercommunautaire dans le respect des dispositions légales et de la souveraineté des Etats. Il s'agit là d'une méthode de travail intéressante, impliquant en premier lieu les représentants élus au niveau local et régional, développée en coopération avec le CPLRE et le Conseil de l'Europe, qui a généré un savoir-faire dont les autorités locales et régionales du Kosovo pourraient s'inspirer pour la mise en place de mécanismes de coopération intercommunautaire.Toutefois, l'ouverture d'une telle ADL au Kosovo supposerait la solution du problème des visas et du statut à l'intérieur de la RFY et une aide financière significative de la part du Conseil de l'Europe et de l'Union Européenne.

8. QUELQUES CONCLUSIONS

Le problème du Kosovo est une question extrêmement difficile, et de surcroît sa situation géographique, au coeur des Balkans ne fait que le rendre encore plus délicat. Il n'y a pas de solutions magiques. La solution ne peut qu'être négociée. Tout au plus, on ne peut qu'en dessiner les contours et procéder d'abord par exclusion.

Ainsi, deux solutions extrêmes doivent être écartées d'emblée. Le statu quo préconisé encore par certains milieux serbes n'est plus viable, car il n'est pas conforme aux principes des droits de l'Homme et de démocratie, et ne peut qu'encourager la radicalisation de certaines parties de la communauté albanaise du Kosovo. De plus, il mènerait à un conflit et à un cortège de réfugiés dont la Communauté internationale ne veut plus.

De même, l'indépendance réclamée par des leaders de la communauté albanaise du Kosovo ne semble pas possible. Cette solution, non seulement est rejetée par les Serbes et les autres parties de la RFY, mais elle n'est soutenue par aucune organisation internationale faisant partie de la Communauté internationale. De plus, elle n'est pas acceptée non plus par les pays voisins de la RFY à cause des risques d'éclatement et d'embrasement qu'elle comporterait dans la région des Balkans et même pour le processus de paix de Dayton. Les positions relatées au chapitre 3. de ce rapport le prouvent amplement.

D'autres alternatives proches de celle-ci ont été évoquées, comme en particulier la création d'un protectorat international au Kosovo suggéré par la Ligue Démocratique du Kosovo. Cette solution, rejetée par les Serbes, n'a pas été retenue non plus par la Communauté internationale qui, d'une part, n'a pas montré qu'elle serait prête à s'engager dans ce sens au Kosovo, d'autre part, elle craindrait qu'il ne puisse s'agir que d'une étape vers l'indépendance.

Des propositions élaborées par des intellectuels serbes tendant à une décentralisation de la Serbie et à une partition du Kosovo en deux régions ne semblent pas avoir plus d'espoir d'aboutir : il s'agissait d'une propostion de diviser la Serbie en dix régions dont le Kosovo et la Mitohija, et de créer une Chambre des Régions de Serbie, sans pour autant donner des pouvoirs législatifs aux régions (rapporté par Demokratija le 10 décembre 1997).

M. D. Cosic, écrivain et ancien Président de Yougoslavie, a proposé la création au Kosovo de deux entités basées sur le modèle bosniaque, chacune d'entre elles pouvant établir des relations spéciales avec leurs "Etats de naissance" (source ICG). Cette solution n'a pas intéressé beaucoup de milieux à cause des difficultés de tracer des frontières entre les deux entités et des risques de "purification ethnique" qu'elle peut entraîner.

Le simple renforcement des droits des minorités au sein de la Serbie ne saurait non plus répondre aux expectatives légitimes de la communauté albanaise du Kosovo qui peut se référer au statut d'autonomie dont elle jouissait avec la Constitution de 1974 de l'ancienne République socialiste fédérale de Yougoslavie, statut qui lui a été retiré par un acte anticonstitutionnel en 1990.
Par conséquent, il reste la solution d'un statut spécial d'autonomie du Kosovo qui ne remette pas en cause les frontières et qui respecte les droits des minorités tant à l'intérieur de la Serbie qu'à l'intérieur du Kosovo. Un tel statut spécial devrait recevoir une garantie internationale, exigence légitime de la communauté albanaise du Kosovo, eu égard à l'histoire récente.

Il convient donc d'élaborer un peu plus sur cette idée de statut spécial d'autonomie, assorti d'une garantie internationale, les problèmes des statuts spéciaux étant souvent abordés dans les travaux du Congrès et en particlier dans sa Chambre des Régions composée de représentants issus, dans de nombreux cas, d'entités fédérales ou d'entités à statut spécial comme vos deux co-Rapporteurs. C'est donc un sujet que la Congrès connaît bien et sur lequel il pourrait apporter une contribution utile aux réflexions sur la recherche d'une solution négociée et acceptable par les deux parties.

Comme le démontre la brève analyse du chapitre 7.1 de ce rapport, il paraît utile de se référer d'abord au statut d'autonomie dont jouissait le Kosovo dans les années 1974-1989, en faisant abstraction de la structure non démocratique de la République socialiste fédérale de Yougoslavie. A notre sens, la référence à un tel statut permettrait de faire ressortir, d'une part, la nécessité d'un large transfert de compétences - y compris d'ordre législatif - du gouvernement actuel serbe au Kosovo portant sur des domaines tels que les systèmes éducatif, sanitaire et judiciaire, l'économie, l'agriculture, l'utilisation des langues, les ressources minières, l'aménagement du territoire, les institutions culturelles et la toponymie. D'autre part, ce statut permettrait de dépasser les discussions sur une autonomie à l'intérieur de la Serbie (thèse serbe) et à l'intérieur de la RFY (thèse soutenue par la Communauté internationale et en particulier récemment par la Recommandation 1368 de l'Assemblée Parlementaire). En effet, comme il est bien expliqué dans le chapitre 6, le Kosovo était, entre 1974 et 1989, une entité qui, tout en faisant partie du territoire de la Serbie, était constitutionnellement reconnue sur un pied d'égalité avec les sept autres entités constituant la Fédération. La Constitution de 1974 stipulait clairement cette égalité articulée en particulier sur la participation du Kosovo, tout comme les autres entités aux organes du pouvoir fédéral, à savoir la présidence, le gouvernement, les deux chambres du Parlement, le tribunal constitutionnel, etc. Les représentants du Kosovo avaient même un droit de véto pour les questions essentielles et en particulier concernant son propre statut d'autonomie.

Cela prouve bien que la question du Kosovo ne peut pas se réduire uniquement à une question de droits de l'Homme ou de protection des minorités.

L'adoption de ce statut à la nouvelle réalité que constitue la République Fédérale de Yougoslavie paraît envisageable, d'autant plus qu'aujourd'hui on dispose de beaucoup d'exemples de statuts d'autonomie spéciaux (en Russie, Espagne, Italie, Finlande, etc.) qui pourraient largement inspirer les négociations d'un tel statut. De plus, le projet de Charte européenne de l'autonomie régionale, élaboré par le Congrès, offre également des éléments de références utiles.

Des engagements de coopération culturelle et économique avec les régions frontalières du Kosovo habitées par des Albanais pourraient être définis, se fondant sur les possibilités juridiques offertes par la Convention-cadre sur la coopération transfrontalière entre collectivités territoriales et son Protocole additionnel n° 1, ainsi qu'en s'inspirant des exemples similaires comme le Tyrol du Sud, les Iles Aland ou, plus récemment, l'accord sur l'Irlande du Nord.

Le Congrès est prêt à apporter son concours, fort de son expérience et des conventions et projets de conventions évoqués au chapitre 7.1 de ce rapport. La Commission de la démocratie par le droit (Commission de Venise), composée d'éminents juristes spécialisés en matière constitutionnelle devrait être également en mesure de contribuer de manière intéressante à la recherche d'une solution. Le Congrès a déjà pris l'habitude de coopérer avec la Commission de Venise tout récemment à propos du code légal de Gagaouzie et du redécoupage communal dans la Fédération de Bosnie et Herzégovine. Le Congrès et la Commission de Venise pourraient apporter une contribution spécifique aux côtés de l'Assemblée Parlementaire qui a fait connaître sa disponibilité pour jouer un rôle politique.

Il ne s'agit pas d'élaborer à la place des parties concernées le nouveau statut du Kosovo, mais de montrer des pistes de réflexion et des exemples susceptibles de faire avancer les négociations.

De telles négociations ne peuvent être menées à bien que si les autorités serbes acceptent une médiation internationale à travers la mission confiée à M. Felipe Gonzalez au nom de l'OSCE et de l'Union Européenne. L'Assemblée Parlementaire l'a d'ailleurs clairement indiqué dans sa Recommandation 1368. Le Congrès se tient à disposition de M. Felipe Gonzalez pour tout soutien en matière de statut spécial d'autonomie.

Il faut comprendre par ailleurs qu'une acceptation par les représentants de la communauté albanaise du Kosovo pourrait dépendre aussi de leur souci de voir le statut spécial qui serait défini, garanti par la Communauté internationale. A ce sujet, il appartient aux organisations internationales, le moment venu, de faire des propositions appropriées. Pour ce qui est du Conseil de l'Europe, le lien qui devrait être fait, comme l'ont déjà suggéré l'Assemblée Parlementaire et le Comité des Ministres, entre les progrès de l'examen de la demande d'adhésion de la République Fédérale de Yougoslavie et la solution négociée de la question du Kosovo, pourrait constituer un élément intéressant en ce sens.

Il appartiendrait ensuite d'aider les autorités de Serbie et du Kosovo à mettre en oeuvre les dispositions d'un tel statut spécial. A ce sujet, les programmes spécifiques d'assistance technique du Conseil de l'Europe, soutenus financièrement par l'Union Européenne, pourraient y contribuer.

Le Congrès pourrait également apporter son expérience en matière de monitorage de démocratie locale et régionale qu'engloberaient d'autres problèmes tels que la décentralisation en Voïvodine et la spécificité du Sandjak. Il pourrait de surcroît assurer une présence sur place à travers la création d'une Agence pour la Démocratie Locale (ADL) au Kosovo, chargée à la fois d'aider à la coopération entre les différentes communautés qui habitent le Kosovo, et à assister en permanence les autorités locales et régionales à pratiquer une véritable démocratie et une gestion efficace. Là également, à côté de l'engagement de régions et villes partenaires, il serait nécessaire de pouvoir compter sur un financement suffisant de la part du Conseil de l'Europe et de l'Union Européenne.

D'autres présences seraient nécessaires de la part de la Communauté internationale, en particulier de l'OSCE, comme le réclament les leaders albanais du Kosovo. Une ADL serait donc un élément utile et complémentaire à cette présence internationale.

ANNEXE I

L'EXPERIENCE POLITIQUE ET JURIDIQUE DU TATARSTAN
RELATIVE AUX RAPPORTS AVEC LE CENTRE FEDERAL
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Le démembrement de l'Union Soviétique a amorcé le mouvement de l'autodétermination des républiques autonomes qui faisaient partie de la Fédération de Russie. Le 30 août 1990, la République autonome du Tatarstan a adopté une Déclaration sur la souveraineté étatique de la République du Tatarstan. Ce document a été adopté par le Soviet Suprême (Parlement) du Tatarstan, et a confirmé l'unité des peuples vivant sur le territoire de la République ainsi que l'égalité de ses citoyens, indépendamment de leur appartenance ethnique, religieuse et sociale. La Déclaration a proclamé les principes de base de souveraineté étatique de la République. Désormais, la terre, le sous-sol, les ressources naturelles et d'autres ressources du territoire du Tatarstan devenaient la propriété exclusive de son peuple. Ainsi, le droit légitime de propriété sur toutes les ressources matérielles de la République est devenu, un an plus tard, la base de la Constitution du Tatarstan.

Le 16 mars 1992, le Parlement du Tatarstan a adopté la Résolution sur le référendum dont l'objectif était la confirmation, par le peuple, des principes de la Déclaration sur la souveraineté étatique du Tatarstan. Cette consultation avait également pour but la construction des relations fédérales d'un type nouveau basé sur le principe de partage des compétences et des attributions avec le centre fédéral, en vertu d'un traité spécifique.

Le 6 novembre 1992, le Soviet Suprême a adopté la Constitution (loi fondamentale) de la République du Tatarstan. Conformément à l'Article 61 de ce texte, la République a perdu son statut d'autonomie pour devenir "l'Etat souverain, sujet du droit international, associé avec la Fédération de Russie sur la base d'un traité sur la délégation mutuelle des pouvoirs et des compétences."

Il convient de noter que la position du Tatarstan n'a pas constitué un précédent dans le processus des réformes démocratiques de l'organisation étatique de la Fédération de Russie. La déclaration sur la souveraineté étatique de la République, ainsi que les actes similaires des autres républiques autonomes de la Russie, sans parler des ex-républiques soviétiques - sujets de l'URSS - a pratiquement suivi la Déclaration sur la souveraineté étatique de la RSFSR (ancien nom de la Fédération de Russie) qui avait été adoptée au premier Congrès des députés du peuple de la RSFSR le 12 juin 1990 et qui avait proclamé le droit de tous les peuples de la Russie à l'autodétermination dans le cadre des formes étatiques nationales et culturelles choisies par eux-mêmes. En effet, la Déclaration sur la souveraineté du Tatarstan a été déterminée au préalable par la Déclaration sur la souveraineté étatique de la RSFSR.

Les résultats du référendum ont confirmé la justesse et le caractère démocratique des principes d'autodétermination choisis par le peuple. 50,3 % des électeurs sur 61,4 % de votants ont approuvé la ligne adoptée par le Parlement et les dirigeants de la République.

Une réforme de l'organisation administrative d'Etat a été entamée. En ce qui concerne la forme d'Etat, le Tatarstan est devenu une république unitaire avec une forme de gouvernement présidentiel dans le cadre de la Fédération de Russie. Par la suite, un certain nombre de contradictions d'ordre constitutionnel entre la République du Tatarstan et la Fédération de Russie ont été résolus par le biais de la signature, le 15 février 1994, entre les Présidents de la Russie et du Tatarstan, d'un Traité sur le partage des pouvoirs et des compétences entre le centre fédéral et la République (ci-après "Traité").

Dans ce texte, les deux parties ont confirmé que la République du Tatarstan était un Etat lié à la Fédération de Russie par les Constitutions de la Fédération de Russie et de la République du Tatarstan, ainsi que par le texte du traité. Par conséquent, le Tatarstan n'a pas mis en cause sa situation de sujet de droit à l'intérieur de la Fédération de Russie. Un certain nombre de dispositions fondamentales élaborées par la science politique, juridique et économique ont été posées à la base du traité russo-tatar. L'objectif principal de ce texte est de préserver les liens historiques culturels et autres entre les deux peuples, et de sauvegarder l'espace économique commun. Il faut dire que les Constitutions des deux Etats ne se contredisent pas en ce qui concerne la reconnaissance du droit des peuples à l'autodétermination. En même temps, le traité rend plus claires les relations inter-étatiques dans toute une série de domaines délégués au Tatarstan par la Fédération de Russie. Ainsi, le traité reflète l'équilibre des intérêts régionaux et fédéraux relatifs au droit de propriété en délimitant les compétences constitutionnelles de la République et de la Fédération quant à la possession, utilisation et gestion des terres et du sous-sol, y compris les ressources pétrolières dont dispose le Tatarstan.

La souveraineté de la République du Tatarstan aussi bien que celle des autres sujets de la Fédération, selon le Traité, joue le rôle d'une des composantes de la souveraineté fédérale et détermine son identité dans les domaines constitutionnel, juridique, géopolitique, national, ethnique et socio-économique.

Le Tatarstan est une république avec une forme de gouvernement présidentiel. En réalisant les principes démocratiques de la construction d'un Etat, la République a mis sur pied ses propres organes législatifs et exécutifs. Le Conseil d'Etat (Parlement monocaméral de la République) est un organe supérieur législatif et représentatif qui mène son travail législatif en conformité avec la Constitution du Tatarstan. Le Chef de l'Etat du Tatarstan - Président de la République - et le Cabinet des Ministres qu'il nomme, se trouvent au sommet des organes du pouvoir exécutif et administratif de la République. Ces organes favorisent également l'initiative sur place, au travers des organes des collectivités locales.

Le Traité octroie à la République de très larges compétences dans le domaine des relations inter-étatiques aussi bien à l'intérieur de la Fédération qu'à l'extérieur. L'Article II, paragraphe 11 de ce document définit les compétences et les attributions relatives à la participation de la République du Tatarstan dans la sphère des relations internationales. La République a le pouvoir de conclure des accords avec des Etats étrangers dont le contenu ne doit contredire ni la Constitution, ni les obligations internationales souscrites par la Fédération de Russie. Le Tatarstan a le droit de devenir membre des organisations internationales. L'article III, paragraphes 5 et 22 du Traité prévoit en conséquence la coordination des relations internationales et économiques extérieures ainsi que des questions d'utilisation commune de la terre, du sous-sol, des ressources naturelles, des ressources en eau et autres, entre la Fédération et la République.

Les principes du Traité donnent naissance au processus de transformation de la Russie en une fédération basée sur la Constitution et des traités. Cela donne au Tatarstan le droit de conclure indépendamment, au niveau régional, des accords intergouvernementaux avec les régions de la Russie, de l'Europe et dans un certain nombre de cas avec des Etats d'Asie et d'Afrique, sans empiéter toutefois sur les prérogatives du centre fédéral relevant de la politique étrangère. Il s'agit essentiellement des accords sur les échanges économiques et culturels.

Ainsi, le Tatarstan a signé plus de 40 accords intergouvernementaux de coopération mutuelle avec les régions de Russie et d'autres pays du monde. Le Tatarstan a notamment établi des relations économiques étroites avec la Hongrie et la Turquie. La République a ouvert sa représentation économique et commerciale à Budapest. Quant à la Turquie, son Consulat général a ouvert des portes à Kazan. Le développement des relations économiques extérieures du Tatarstan lui a permis d'entrer à l'Assemblée des Régions d'Europe. Dans le cadre de la coopération européenne interrégionale, la République a établi des relations avec la Bavière et la Basse-Saxe (République Fédérale d'Allemagne), elle développe ses rapports avec la France, la Pologne, la Slovaquie, la Finlande, le Danemark et les autres pays.

En même temps, la République du Tatarstan élargit le réseau de ses représentations permanente dans différents pays. Aujourd'hui, il existe des représentations en Ukraine, Kazakhstan, Ouzbekistan, les Pays baltes, la Turquie, la France et les Etats-Unis. Tout ceci permet de développer le commerce extérieur de la République et de développer des relations directes avec des partenaires économiques privés. La République a déjà signé, ou envisage de le faire, un certain nombre d'accords avec des entreprises privées du monde entier. parmi ces partenaire on trouve des entreprises américaines, allemandes, turques et française. Ce type d'opération est surtout très important dans le domaine d'extraction, de raffinage du pétrole et dans le secteur de production automobile. Toutefois, en ce qui concerne les opérations commerciales extérieures portant sur les ressources stratégiques ou la production industrielle d'importance fédérale (dans le secteur de la défense, par exemle), elles sont réglementées par des accords spéciaux entre le gouvernement du Tatarstan et la Fédération de Russie.

En conlusion, il convient de souligner que le Traité entre la Fédération de Russie et la République du Tatarstan sur le partage des pouvoirs et des compétences a créé une base légitime pour les réformes démocratiques dans la vie politique et économique de la République.

ANNEXE II

LA CATALOGNE :
UN CADRE DYNAMIQUE D'AUTONOMIE POLITIQUE
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Le cadre d'autogouvernement de la Catalogne a pour fondement la Constitution espagnole de 1978 et son Statut d'autonomie de 1979. Celui-ci établit, en application des principes constitutionnels susmentionnés, les institutions fondamentales de la Catalogne : le Parlement, le Président de la Generalitat de Catalunya16 ainsi que son Gouvernement et le Tribunal Supérieur de Justice. De même, il détermine les compétences de caractère législatif exclusives, de développement de la législation-cadre formulée par le Parlement espagnol et les compétences réglementaires et exécutives du Gouvernement catalan lui permettant d'appliquer la législation de son propre Parlement ou celui de l'Etat.

Durant la période écoulée depuis 1979, l'exercice des compétences propres aux institutions catalanes - exclusives ou de développement législatif étatique - a logiquement produit des conflits d'interprétation dans ce domaine de responsabilités. Ceux-ci ont été résolus par le Tribunal Constitutionnel espagnol, unique institution dotée de pouvoirs de décision quant à la conformité à la Constitution des lois adoptées par l'Etat aussi bien que de celles adoptées par la Catalogne, puisque ni le Parlement espagnol, ni le pouvoir judiciaire - y compris son instance supérieure, le Tribunal Suprême - ne peuvent exercer cette fonction.

Cette fonction exclusive du Tribunal Constitutionnel a permis de développer l'interprétation des normes contenues dans la Constitution et dans les Statuts d'autonomie, établissant ainsi progressivement ce qui a été dénommé un "bloc constitutionnel", ce qui permet un développement dynamique des principes constitutionnels et statutaires, tout en les préservant, dans la plus large mesure possible, des influences politiques.

Dans l'organisation de l'Etat espagnol, la Constitution de 1978 établit les principes essentiels de la reconnaissance des identités nationales qui, au cours des quasi trois derniers siècles de l'histoire de l'Espagne, n'avaient pu être développées en tant que telles, excepté lors de très brefs intervalles de temps.

Dans son préambule, la Constitution espagnole proclame d'emblée en tant que principe de "[...] protéger les peuples d'Espagne dans l'exercice des droits de l'Homme, leurs cultures et traditions, langues et institutions [...]". De même, dans son article 2, elle "[...] reconnaît et garantit le droit à l'autonomie des nationalités et des régions qui conforment l'Espagne, ainsi que la solidarité entre elles [...]".

En vertu de ces principes, l'article 1 du Statut d'autonomie de Catalogne proclame la Catalogne comme nationalité, qui se constitue en Communauté autonome afin d'accéder ainsi à son autogouvernement.

Ce concept de nationalité qui est, en premier lieu, de caractère territorial, comprend tous les citoyens de Catalogne ; l'article 6 dudit Statut précise en effet que la condition politique de Catalan appartient aux citoyens espagnols administrativement recensés dans une commune de Catalogne, selon la période de temps qu'exigent les lois de l'Etat espagnol pour posséder cette condition.

De même, l'article 3 dudit Statut stipule que la langue propre de la Catalogne est le Catalan qui est considéré comme langue officielle sur le territoire de la Communauté autonome de Catalogne, ainsi que la langue castillane ou espagnole, qui est officielle dans tout l'Etat espagnol.

Les facultés d'autogouvernement de la Catalogne se concrétisent en premier lieu grâce aux compétences exclusives qui appartiennent au Parlement catalan et lui permettent de légiférer dans de multiples domaines (droit civil catalan, aménagement du territoire, culture, infrastructures intérieures, assistance sociale ...) ou de développer les lois-cadre de l'Etat espagnol (santé, enseignement, agriculture, industrie, commerce intérieur, régime local, institutions financières territoriales, publiques ou coopératives...).

Les lois du Parlement catalan sont promulguées, au nom du Roi, par le Président de la Generalitat de Catalunya. Celui-ci détient constitutionnellement la plus haute représentation de la Catalogne et exerce également la plus haute représentation ordinaire de l'Etat espagnol sur le territoire catalan.

L'exercice des compétences propres de caractère exécutif au moyen de la prestation des services correspondants, a déterminé logiquement un besoin croissant de financement adéquat permettant de concrétiser pleinement les prévisions qui figurent dans le Statut d'autonomie de Catalogne.

Le système suivi jusqu'à présent a consisté à céder les sommes perçues sur le territoire catalan correspondant à un certain nombre d'impôts étatiques. Les impôts sur le patrimoine, successions, transmissions et taxes diverses ont constitué la base de ce financement qui a été complété par une participation au budget de l'Etat permettant de couvrir les coûts effectifs des services transférés à la Communauté autonome. L'insuffisance de ce modèle a déterminé la cession d'une tranche (30 %) de l'impôt sur les revenus des personnes physiques sur la base de la collecte réalisée sur le territoire catalan.

A cet égard, le Statut d'autonomie établit l'aspect transitoire de ce système de participation à la collecte des impôts de l'Etat en déterminant qu'il sera révisable tous les cinq ans en fonction de critères basés sur la population et l'effort fiscal de la Catalogne, tout en tenant compte de l'apport proportionnel aux charges générales de l'Etat espagnol et de la solidarité territoriale entre les dix-sept Communautés autonomes espagnoles.

Dans ce bref aperçu des caractéristiques du système de l'autonomie politique catalane, il convient de souligner la disposition statutaire précédemment évoquée, qui base primordialement l'identité catalane sur le concept de citoyenneté.

En raison de l'existence de deux langues officielles sur le territoire catalan, le Parlement et le Gouvernement catalans ont adopté comme objectif fondamental de renforcer la cohésion de la société catalane en promouvant la connaissance des deux langues par tous les citoyens catalans.

Cette particularité ayant une importance spéciale dans le domaine de l'enseignement, la loi établit que les élèves ne peuvent être séparés en centres ou groupes de classes différents en fonction de leur langue habituelle.

Etant donné que le Catalan est la langue propre de Catalogne, tous les centres d'enseignement doivent utiliser, à tous les degrés, la langue catalane comme véhicule normal d'expression dans leurs activités éducatives et administratives internes aussi bien qu'externes.

Les enfants ont droit, dans leur tout premier enseignement, à être instruits dans leur langue maternelle habituelle, qu'il s'agisse du catalan ou de l'espagnol. L'administration doit donc garantir ce droit personnel que les parents peuvent exercer au nom de leurs enfants en sollicitant son application individuelle.

A la fin de l'enseignement obligatoire, tous les élèves doivent pouvoir utiliser normalement et correctement les deux langues officielles de la Catalogne.

Comme on peut le déduire de cet exposé, la distinction constitutionnelle entre les nationalités ou régions et les différents niveaux de compétences selon les Statuts de chaque Communauté autonome établit un modèle asymétrique du système constitutionnel espagnol qui devra être développé. En tout cas, dans la période écoulée depuis sa création, ce système a permis d'instaurer, en Espagne, un dialogue institutionnel qui constitue le fondement du développement économique et culturel général.

ANNEXE III

A - COMMUNIQUE DE LA DELEGATION OFFICIELLE D'ETAT

La délégation officielle de l'Etat avec, à sa tête, le Professeur Dr Ratko Markovic et la délégation des représentants des partis politiques des Albanais du Kosovo et Metohic présidée par le Dr Fehmi Agani, ont entamé aujourd'hui à Pristina un dialogue portant sur le règlement politique des problèmes du Kosovo/Methohija.

La première rencontre s'est déroulée dans un climat de tolérance et a donné lieu à une présentation ouverte des différentes approches de la situation et des voies de normalisation de la situation et des relations prévalant au Kosovo/Metohija.

Une attention particulière a été portée à l'étude des questions relatives à l'organisation et aux méthodes devant assurer une évolution positive du dialogue.

Il a été souligné, en outre, l'importance de l'audience et de l'entretien accordés à la délégation conduite par le Dr Ibrahim Rugova, par le Président de la République Fédérale de Yougoslavie Slobodan Milosevic.

D'un com:mun accord, il a été constaté que les problèmes du Kosovo/Metohija nécessitaient une solution par des moyens pacifiques. Le but étant de parvenir à des solutions justes, humaines et durables, basées sur l'égalité de tous les citoyens et communautés nationales du Kosovo/Metohija, sur leur respect mutuel, leur tolérance et leur sécurité. Afin d'y parvenir, il y aura lieu de bannir la violence et notamment le terrorisme, ainsi que tous les autres phénomènes suscitant la peur et l'insécurité des citoyens.

En outre, il a été convenu que des mesures seront prises des deux côtés susceptibles d'encourager l'établissement de la confiance en tant que condition nécessaire à la mise en oeuvre desdites solutions.

Dans l'intérêt d'une normalisation aussi rapide que possible de la situation et des relations, de part et d'autre une volonté a été exprimée de fournir un effort politique propre à réaffirmer le dialogue et à permettre que des résultats concrets soient atteints le plus tôt possible.

Il a été convenu que les réunions des délégations auront lieu, en principe, une fois par semaine. Ainsi, la prochaine réunion aura lieu dans la semaine qui suit.

Les participants au dialogue sont convenus que les réunions et les consultations pourront se faire avec un nombre plus grand ou un nombre réduit de personnes. Les informations issues de ces réunions seront communiquées à l'opinion publique et ce d'une manière propre à contribuer à l'atmosphère de dialogue. Les délégations sont d'accord pour adopter une attitude plus souple envers les modifications éventuelles de leurs compositions respectives en fonction du cours que prendront les futures réunions.

Les personnes participant au dialogue ont pris sur elles l'obligation de respecter les accords convenus en bonne foi, sans les remettre en cause et sans les trahir.

B - COMMUNIQUE DE LA PARTIE ALBANAISE DONT B. SALJA A DONNE LECTURE

L'équipe albanaise du Kosovo désignée par le Dr Ibrahim Rugova, a rencontré aujourd'hui la délégation désignée par le Président Slobodan Milosevic dans le cadre du processus lancé par les ambassadeurs Holbrook et Gelbard et sur la base des entretiens de la semaine dernière entre le Dr Rugova et le Président Milosevic à Belgrade. Les discussions qui ont eu lieu lors de cette rencontre ont porté sur le cadre et les modalités de déroulement des négociations, sur les mesures de sécurité et les mesures d'établissement de la confiance mutuelle nécessaires pour préserver le processus de négociations, ainsi que sur le statut politique du Kosovo. Contrairement aux différences évidentes apparues au sujet de l'évaluation de la situation actuelle prévalant au Kosovo et des moyens de résoudre le problème du Kosovo, lors de cette rencontre a été manifestée de part et d'autre la volonté de créer les conditions préalables propres à aider le processus de négociations.

Pristina, le 22 mai 1998.

 

1 Articles 1 et 2 de la Constitution de la République Socialiste Fédérative de Yougoslavie, Belgrade, 1974

2 Voir document 8058 Addendum 1, du 2 avril 1998.

3 M. Chénard, vice-Président du Congrès, a assisté à cette réunion de la Commission Permanente, et a pu faire état de la position du Congrès.

4 Traduction non officielle

5 Constitution de la République Socialiste Fédérative de Yougoslavie, Belgrade 1974, article 298.

6 Article 402 de la Constitution de 1974

7 L'Article 239 de la Constitution de 1974 indiquait que "les communes, les Provinces autonomes, les Républiques et autres communautés socio-politiques ont le droit et le devoir, conformément au système de défense nationale, de réglementer et d'organiser la défense nationale sur leurs territoires respectifs et de diriger la défense territoriale (...).". La défense de l'indépendance, de l'intégrité territoriale de la RSFY relevait des forces armées de la RSFY (Article 240).

8 Préambule de la Constitution de 1974, Principes Fondamentaux I

9 Il est intéressant de noter que le Préambule de la Constitution de 1974 mentionnait également le droit de sécession des membres de la Fédération. Toutefois, l'interprétation générale de cette disposition était alors que ce droit était déjà éteint au moment de la création de la Fédération et que les Républiques y avaient renoncé dès lors qu'elles avaient rejoint la Fédération.

10 L'Article 4 de la Constitution de 1974 indiquait que "La province socialiste autonome est une communauté socio-politique socialiste autonome, démocratique et autogestionnaire fondée sur le pouvoir et l'autogestion de la classe ouvrière et de tous les travailleurs dans laquelle les travailleurs et les citoyens, les nations et les nationalités exercent leurs droits souverains, et au plan de la République lorsque la Constitution de la République socialiste de Serbie dispose que c'est dans l'intérêt commun des travailleurs et des citoyens, des nations et des nationalités de la République dans son ensemble."

11 Articles 284 et 286 de la Constitution de 1974

12 Articles 370, 381 et 448 de la Constitution de 1974

13 Article 321 de la Constitution de 1974

14 Article 214 de la Constitution de 1974

15 Les manifestants au Kosovo en 1980/1981 réclamaient de meilleures conditions de vie, une aide financière, une plus grande liberté d'expression, le relâchement des prisonniers politiques et un statut de république pour le Kosovo.

16 Dénomination historique désignant le gouvernement catalan, et datant de l'époque à laquelle la Catalogne possédait les caractéristiques d'un Etat dans le système confédéral espagnol antérieur au XVIIIème siècle.