L’ÉTAT DE LA PRESSE ÉCRITE RÉGIONALE EN EUROPE : Pluralisme, indépendance et liberté dans la presse régionale - CPR (9) 4 Partie II

Rapport présenté par Tamaz SULADZE (Géorgie)
au nom du Rapporteur: Peter KITTELMANN (Allemagne)

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EXPOSE DES MOTIFS

Introduction

La liberté de la presse de publier toutes sortes de nouvelles et d’informations est l’un des fondements de la démocratie. On estime qu’une presse libre et sans entraves est une marque de qualité de l’ordre démocratique. En théorie, chacun devrait avoir accès à une grande diversité de points de vue et d’opinions diffusés par la presse écrite et d’autres médias, l’ensemble constituant une véritable mosaïque d’informations. L’idée que la presse ne devrait subir aucune influence extérieure relève d’une longue tradition solidement ancrée dans le droit constitutionnel des pays démocratiques. En démocratie, la presse fait figure de quatrième pouvoir, celui qui, dans l’intérêt public, suit avec vigilance le gouvernement en place. Elle apparaît aussi comme un instrument de première importance, qui informe la population des affaires publiques et des décisions que prennent à leur sujet les instances parlementaires. Elle permet donc aux citoyens d’émettre un jugement éclairé sur les affaires du pays et de réfléchir aux tenants et aux aboutissants des décisions qui touchent à la vie publique, ainsi qu’aux processus décisionnels en matière politique.

Or, la presse régionale semble jouer un rôle mineur alors qu’elle est une pièce cruciale du tableau. Elle sert les pouvoirs locaux et les communautés locales et tient les citoyens informés de ce qui se passe autour d’eux et, dans la mesure, où la politique régionale acquiert de plus en plus d’importance depuis quelques années, notamment du fait de la décentralisation, il faut s’attendre à ce que la presse régionale devienne à son tour une source considérable d’informations.

Le présent rapport traite de la liberté de la presse régionale face aux pressions économiques et aux influences découlant des mécanismes structurels de l’industrie des médias. L’auteur se propose d’analyser un certain nombre de tendances susceptibles de menacer le pluralisme et la diversité des médias régionaux. Seront ainsi passés en revue un certain nombre de pays qui différent les uns des autres tant par leur système politique que par l’organisation de leur presse, afin de tirer des conclusions générales sur la situation actuelle de la presse régionale.

Médias et démocratie

La notion de liberté de la presse (écrite), qui tient une place prédominante dans l’histoire des démocraties occidentales, repose sur l’idée qu’une pluralité de médias privés répondant à la demande du marché reflètent la diversité des points de vue et des opinions de la société. Traditionnellement, le choix individuel s’exerce mieux s’il existe un marché libre et diversifié où les flux d’idées et d’informations sont véhiculés dans une sphère publique, indépendante de l’Etat et de sa mainmise.

Ces notions fondamentales sont inscrites dans de nombreuses constitutions et l’importance accordée à la liberté d’expression fait que ce droit est tenu pour l’une des composantes primordiales d’une société ouverte. Dans les sociétés complexes, cela implique nécessairement l’existence de structures de communication de masse véhiculant l’information à travers toutes sortes de médias. La diversité de ces médias et l’accès aux circuits de communication afin de permettre aux particuliers et aux groupes de personnes d’exprimer leurs opinions et de connaître d’autres points de vue sont des éléments déterminants pour évaluer le degré de liberté de la presse vis-à-vis des contraintes et des pressions extérieures.

Importance de la presse régionale

Dans la plupart des études consacrées à la presse quotidienne, la presse régionale est largement ignorée au profit de la presse nationale. Or, en nombre de titres et en tirage, la presse régionale est bien plus lue.

Même dans les Etats centralisés, comme le Royaume-Uni, le secteur de la presse régionale, avec ses 1 300 journaux régionaux et locaux, est très développé. On y recense 25 quotidiens du matin, 74 quotidiens du soir et 19 journaux du dimanche, plus 511 hebdomadaires payants et 647 hebdomadaires gratuits, ces derniers en partie régionaux, mais le plus souvent distribués localement (The Newspaper Society 2001). Les journaux régionaux les plus vendus sont liés, comme il est logique, aux communautés urbaines les plus étendues, par exemple Londres et Manchester, et occupent une place significative sur le marché de la presse écrite. En termes de vente, la presse régionale au Royaume-Uni représente globalement une part importante du marché de la presse et, si l’on tient compte de la presse locale, elle est certainement à égalité, en étendue et en portée, avec les titres nationaux. Dans d’autres pays plus décentralisés, la presse régionale dans la vie publique occupe même une place plus importante que la presse nationale. En effet, dans certains pays, la presse nationale n’est lue que par une minorité, elle-même une minorité de l’élite, alors que la presse régionale joue un rôle de premier plan dans la vie politique et culturelle de la province.

Dans un Etat fédéral fort, comme l’Allemagne, la presse régionale joue un rôle encore plus significatif et domine très nettement son homologue nationale. Il n’y a dans ce pays que 10 titres nationaux, qui ne représentent qu’un petit pourcentage du nombre total annuel des journaux vendus et distribués. L’Allemagne compte environ 337 quotidiens locaux et régionaux générant 1570 publications locales. Avec un tirage total de 16,4 millions, la part de marché de la presse locale et régionale s’élève à 69%. La part de marché des titres nationaux n’est que de 7,2 %, avec un tirage quotidien de 1,7 million d’exemplaires(IVW 2001).

Dans les pays nordiques, le marché de la presse régionale et locale est, lui aussi, vigoureux. Les quotidiens nationaux ne représentent que 28% du tirage total, le reste du marché étant accaparé par les titres régionaux et locaux. En Suède, le marché des titres régionaux domine tout autant, les quotidiens régionaux représentant 78% de l’ensemble du marché.

En France, les quotidiens régionaux et locaux constituent également l’une des principales sources d’information avec plus de 60 titres, 410 éditions distribuées, plus de six millions d’exemplaires vendus quotidiennement et environ 20 millions de lecteurs. Sur les dix premiers quotidiens, sept sont régionaux (World Press Trends 2001). En 2000, 8,7 millions de lecteurs lisaient tous les jours un quotidien régional ou local (38,4% des personnes de plus de 15 ans). Notons également qu’il existe des spécificités régionales: les deux lectorats les plus nombreux se trouvent en Bretagne (59,1% lisent tous les jours un quotidien régional ou local) et en Alsace (54,9%) (EUROPQN 2001).

Les quotidiens régionaux ne jouissent pas tous de cette position centrale et dans certains cas, par exemple en République tchèque, la presse régionale ne détient que 25% du marché des quotidiens, contre 75% pour les titres nationaux. Il s’agit néanmoins d’un pourcentage significatif même s’il est plus modeste que ceux d’autres pays et régions.
L’importance de la presse régionale ne peut se mesurer seulement en termes de quantité et de diffusion. Son rôle est capital pour l’identité régionale car elle véhicule les informations intéressant une région spécifique, ce que la presse nationale n’a pas vocation à faire. La politique régionale, les nouvelles locales, les affaires courantes, le sport et les événements locaux sont le fonds de commerce de la presse régionale.

La diversité et la presse

Le débat sur le pluralisme de la presse porte sur deux problèmes essentiels. Le premier a trait au nombre de sources d’information différentes et le second à la diversité de contenu de l’ensemble des journaux. Ces deux éléments sont certes liés, mais ils reflètent deux aspects de la diversité qu’il faut en partie distinguer l’un de l’autre. Par diversité de l’information, on entend aussi bien la nature du contenu d’un journal et la variété des informations communiquées sous un même titre, que l’information communiquée par l’ensemble des titres auxquels a accès la population en général. Cette seconde notion de diversité se rapporte aux sources d’information et au nombre d’acteurs et de titres à la disposition du lecteur sur un marché donné. Permettre au citoyen d’accéder à un large éventail de titres, dont les divers propriétaires professent les opinions politiques et sociales les plus variées au sein d’un marché compétitif, est un principe vital et c’est à ce niveau là que la diversité doit être préservée.

Ce principe du pluralisme est au cœur du présent rapport et les Etats démocratiques disposent de deux instruments pour le soutenir. Il existe une réglementation négative, fondée sur des règles de propriété des médias qui fixent des seuils de propriété à la fois dans un seul secteur médiatique et entre les médias. Il existe aussi une réglementation positive, très caractéristique de la presse nordique, selon laquelle un mécanisme de subventions permet d’assurer la survie de titres autrement non viables et de préserver ainsi la diversité des sources sur le marché
(Høst 1999 :12-14).

La diversité du marché

Apparemment, le nombre de titres régionaux disponibles suggère que le lecteur local dispose d’un vaste choix et, bien que dans certains pays le nombre de titres ait légèrement décliné, il demeure impressionnant à l’échelle nationale.

Nombre de quotidiens et titres régionaux payants 1996-2000

Pays

1996

1998

2000

Part de marché en %

France

65

63

61

-6.15

Allemagne

401

382

378

-6.98

Norvège

75

75

74

-1.43

Russie

np

2,464

np

np

Suède

89

96

89

0.00

R.U.

88

88

94

6.82

Source: World Association of Newspapers 20011.

Les marchés les plus vigoureux sont naturellement ceux des pays les plus peuplés ou des Etats dans lesquels la régionalisation est la plus poussée culturellement ou politiquement. Pourtant, la forte présence des quotidiens régionaux ou locaux en Suède et en Norvège vient contredire de manière frappante ce constat puisque, dans chacun de ces pays, la population est beaucoup plus faible que dans les autres Etats du tableau.

L’Allemagne possède le nombre le plus élevé de titres régionaux solidement établis et cela tient en partie à son histoire, à son système politique fortement régionalisé qui reste une caractéristique essentielle du pays et à sa forte population. Le nombre de titres disponibles en Allemagne dépasse de loin celui de n’importe quel autre pays du tableau, à l’exception de la Russie.

Nombre de titres et tirage des quotidiens, en Allemagne, en 2000

Marché

Nombre

Tirage/million

Abonnements aux journaux locaux et régionaux

337 (avec approx. 1570 livraisons locales)

16,6

Journaux nationaux

10

1,6

Nb.total de quotidiens

355

23,9

Hebdomadaires

25

2,0

Journaux du dimanche

7

4,5

Total des tirages

 

30,4

Source: BDZV/Schütz, 2000

Au premier coup d’œil, la structure de la presse régionale semble généralement saine et plusieurs titres sont distribués dans tous les Etats membres. Cependant, sous la surface, d’autres facteurs entrent en jeu, qui suggèrent que la structure de la presse régionale est beaucoup plus compliquée qu’il n’y paraît.

Intégration horizontale et chaîne de propriété

L’intégration horizontale est courante dans tous les marchés de la presse écrite et est encore plus marquée sur les marchés régionaux. En ce qui concerne ces derniers, ce phénomène est imputable à certaines lacunes de la réglementation censée préserver le pluralisme et la diversité sur les marchés locaux et à une pression économique accrue sur les marchés régionaux qui ne peuvent réaliser des économies d’échelle naturelles au sein des marchés dans lesquels opèrent les acteurs.

Ce type d’intégration s’effectue pour une bonne part par le biais d’une chaîne de propriété; il s’agit là d’une stratégie vitale car elle permet de répartir les coûts de production. Les opérations de marketing, d’organisation et d’autres ressources sont alors exploitées plus rationnellement de façon qu’il devienne possible à un groupe de journaux liés par des structures de propriété de réaliser des économies importantes en tous les points de la chaîne de production.

Le cas britannique est un parfait exemple de ce scénario dans lequel quelques groupes de presse dominent les marchés locaux. La Newspaper Society estime qu’au Royaume- Uni, environ 11 milliards d’euros ont changé de mains depuis 1995 dans le contexte d’acquisitions de journaux régionaux et de fusions. Les 20 premiers éditeurs contrôlaient en 2001 84% de toutes les titres régionaux et locaux et 96% des hebdomadaires régionaux. Sur le nombre total des journaux diffusés Royaume-Uni, 43 représentent un seul titre, c’est-à-dire ne font pas partie d’un groupe de presse (The Newspaper Society 2001).

La chaîne de propriété de la presse régionale a parfois des liens de propriété avec des publications nationales. Du fait de la fusion en 1999 entre Trinity, le plus grand éditeur de presse régionale, et le groupe Mirror, Trinity fait à présent partie d’un groupe qui possède deux journaux nationaux à sensation, The Mirror, au Royaume-Uni, et le Daily Record, en Ecosse, et détient des intérêts dans les secteurs des magazines et des nouveaux médias. Bien qu’il ait cédé Belfast Telegraph Newspaper à Independent News and Media pour 560 millions d’euros, il demeure le maître du jeu sur le marché régional du Royaume-Uni.

La presse régionale allemande est apparemment le reflet du haut degré de régionalisme du système fédéral de gouvernement qui permet aux Länder de peser fortement sur les processus de décision. Dans une certaine mesure, cela est un peu trompeur, car certains quotidiens d’implantation régionale sont en réalité des quotidiens nationaux. Le Süddeutsche Zeitung de Munich et le Frankfurter Allgemeine Zeitung , distribués dans toute l’Allemagne, sont l’un et l’autre des quotidiens plus nationaux que régionaux.

Certes, le nombre de titres suggère la diversité, mais ce n’est là qu’apparence car la presse régionale est liée à travers soit des structures de propriété soit un système centralisé qui produit un contenu destiné aux titres régionaux ou encore, il arrive que des titres soient liés entre eux par une agence qui les chapeaute.

Depuis deux décennies, la concentration des titres régionaux en grands groupes de presse régionaux connaît également une accélération en France. En général, les quotidiens incorporés dans le groupe conservent leur nom et une certaine liberté rédactionnelle mais ne jouissent que d’une autonomie relative. Les grands groupes de presse régionaux, une douzaine environ, comme Ouest-France et La Voix du Nord, peuvent être considérés comme des groupes de presse multimédia ayant des intérêts ou des filiales dans la radio, la publicité et d’autres activités de communication. Certains grands groupes régionaux se sont constitués autour d’un titre régional de pointe (Ouest-France, La Voix du Nord, Sud-Ouest).

La situation est la même ailleurs et la concentration du marché à travers une chaîne de propriété est typique des marchés de la presse régionale dans la plupart des Etats membres du Conseil de l’Europe.

Domination du marché

La nécessité de constituer des chaînes de propriété favorise la concentration de la propriété inter-marchés et, plus grave encore, au sein même des marchés, ce qui aboutit, en général, à créér une situation de monopole sur les marchés régionaux.

La diffusion globale de la presse régionale à l’échelon national en témoigne puisqu’un petit nombre seulement de groupes industriels dans chacun des marchés nationaux contrôle un énorme pourcentage de l’ensemble des tirages. Le Royaume-Uni est un cas extrême car, en juillet 2001, les 20 premiers éditeurs régionaux étaient propriétaires de 1086 titres régionaux et locaux présents sur le marché R.-U., dont le tirage total se chiffrait à quelque 24 millions d’exemplaires.

Nombre total des quotidiens régionaux et pourcentage du tirage total au Royaume-Uni, en 2000

Groupe de presse

Journaux du Groupe

Part du marché en %

Trinity Media Plc

241

24.7

Newquest (Media Group) Ltd

202

13.9

Northcliffe Newspapers

95

12.8

Associated Newspapers

7

8

Johnston Press Plc

19

7.6

Source: The Newspaper Society 2001

Associated Newspaper ne détient que sept titres mais possède l’Evening Standard, quotidien clé du marché londonien, dont les ventes journalières excèdent 445 000 exemplaires, avec un lectorat estimé à 1,1 million. Les cinq premiers groupes représentent donc quelque 67% de toutes les ventes de journaux régionaux au Royaume-Uni et les 20 premiers groupes contrôlent 96% environ du tirage total de la presse régionale. Par conséquent, quatre pour cent seulement du tirage des journaux régionaux du Royaume-Uni échappent au contrôle des 20 premiers éditeurs de presse.

La presse britannique n’est pas une exception. On observe la même chose en Allemagne où une poignée d’éditeurs de presse domine le marché et c’est aussi la situation qui prévaut dans la majorité des marchés de presse.

Concentration de la presse régionale en Allemagne 2000

Groupe de presse

Journaux du Groupe

Part du marché en %

Axel Springer-Verlag

15

23.6 (Inclut Bild)

Verlagsgruppe WAZ

8

6.0

Verlagsgruppe Stuttgarter Zeitung/ Die Rheinpfalz, Ludwigshafen/Südwest Presse, Ulm

14

5.0

Verlagsgruppe M.DuMont Schauberg, Köln

6

4.4

Verlagsgruppe Süddeutscher Verlag/Friedmann

8

3.3 (avec SZ)

Source:IVW 2000

L’IVW emploie un système différent pour calculer le nombre des titres. C’est la raison pour laquelle ce nombre semble relativement faible par rapport au Royaume-Uni. L’Ostsee-Zeitung, par exemple, détenu par Axel Springer-Verlag, comporte 10 publications locales mais n’apparaît que sous un seul titre dans les statistiques. Le marché de la presse allemande repose essentiellement sur 10 groupes de presse qui, à eux tous, contrôlent une part de marché représentant 56% des ventes.
Monopoles et subventions

La fréquence des monopoles régionaux dans les activités de presse s’explique par un certain nombre de facteurs. En effet, le monopole est quasiment la norme pour un quotidien régional, et il est rare qu’il existe un marché régional réellement compétitif sans une forme ou une autre de subvention. Et même avec de tels mécanismes, les monopoles sont la règle plutôt que l’exception.

Le consommateur de presse ne dispose d’aucun choix dès lors qu’un monopole s’exerce sur un marché, notamment s’il s’agit de titres régionaux. La possibilité d’acheter un journal national ou un titre local demeure, mais sachant déjà que le genre d’informations véhiculées dans l’un ou l’autre des trois secteurs diffère énormément , il est évident que l’accès à un unique quotidien régional limite le choix du lecteur.

Conscients du problème que pose le maintien de la diversité de la presse régionale, les pays nordiques ont une longue tradition de soutien de la presse régionale avec un mécanisme de subventions visant à maintenir le pluralisme en assurant la survie de nombreux titres régionaux.2

Dans les pays nordiques, le système repose non seulement sur la conviction de l’importance de la presse dans la vie publique d’une société démocratique, mais aussi sur l’échec d’un marché incapable d’assurer un pluralisme suffisant. L’idée est de contrer les pressions, les tendances à la concentration et l’instauration de monopoles régionaux imputables aux lois du marché, en favorisant le pluralisme chez ses acteurs. En Suède, le déclin, depuis 50 ans, des collectivités ayant accès à deux quotidiens au moins est significatif, et il serait encore plus prononcé en l’absence de subventions. Le mécanisme a été introduit en 1969 à la suite de la disparition de plus de la moitié des quotidiens secondaires entre 1945 et 1965.

Subventions de l’Etat (mil. euros au prix courant)

Année

Finlande

Norvège

Suède

1997

12.6

34.1

56.9

1998

12.6

31.6

57.7

1999

12.6

27.5

56.0

Source: Nordicom 2001

En Suède, les subventions sont attribuées aux journaux dont la part du marché régional est inférieure à 40% et elles représentent de 15 à 30% de leurs recettes (Institut suédois 1999). Ces subventions ne représentent que trois pour cent des recettes totales générées par le secteur de la presse suédoise, mais elles sont néanmoins une source importante de revenus pour certains acteurs de ce marché. En Norvège, le second journal bénéficie également de subventions dans les zones où existe la concurrence et lài encore, à l’instar de la Suède, les subventions représentent environ trois pour cent des recettes.

Malgré cette politique, la tendance aux monopoles persiste et, depuis quelques années, le nombre des marchés à titre unique progresse, comme l’indique le tableau ci-après. Les marchés du second journal semblent stagner pour l’instant, mais la progression des marchés à titre unique laisse entrevoir qu’en fin de compte, étant donné le niveaux actuel des subventions, les monopoles régionaux poursuivront leur avancée.

Diversité de la presse régionale en Suède 1999

Année

Collectivité ayant au moins deux titres

Collectivités à titre unique

1945

51

42

1955

39

53

1965

23

59

1975

20

64

1985

24

60

1995

20

58

1998

19

63

Source : Institut suédois 1999

Les autres pays nordiques, chez lesquels on observe également une tendance croissante à la constitution de chaînes de propriété, appliquent la même politique de subventions. En Finlande, la fusion, en 1999, de Sanoma, le plus grand éditeur de presse du pays, avec la maison d’édition WSOY et Helsinki Media a donné un coup d’accélérateur au processus de concentration. Deux mois avant la fusion, Sanoma acquérait l’éditeur régional Kymenm qui avait plusieurs journaux dans son écurie. Le deuxième groupe de presse, Alpress, produit 31 titres, dont Aamulehti, le principal quotidien régional. Ce groupe possède aussi des intérêts dans les secteurs de l’audiovisuel et des magazines.

La situation est analogue en Norvège où la concentration s’accentue depuis quelques années. Il n’y a aujourd’hui que 10 marchés régionaux où des journaux sont en concurrence (ministère des affaires étrangères norvégien 2000), ce qui signifie que la situation de monopole est courante dans les marchés régionaux et locaux. La propriété est aussi fortement concentrée puisque trois groupes se partagent de 55 à 60 pour cent du marché.

Même lorsqu’il existe un mécanisme d’aide à un deuxième journal, le maintien du pluralisme échoue le plus souvent, parce que les marchés subissent le monopole de fait d’un seul titre. Il ressort de tout cela que le niveau des subventions est inadéquat et ne réussit pas à maintenir une diversité suffisante de médias, sauf quelques-uns animés par plusieurs acteurs.

Un bon exemple de pressions monopolistiques est l’acquisition de Kölnische Rundschau par le leader du marché régional DuMont Schauberg, si bien qu’aujourd’hui tous les journaux implantés à Cologne sont maintenant publiés par une seule maison. L’Office du cartel chargé de réglementer la concentration des organes de presse a autorisé ce rachat pour deux raisons, qui montrent le type de pressions auxquelles il faut faire face pour maintenir le pluralisme dans le secteur de la presse régionale. Seul le leader du marché exprimait de l’intérêt pour le Kölnische Rundschau, qui était dans le rouge depuis des années, au dire de son éditeur. L’alternative qui s’offrait à l’Office du cartel consistait par conséquent soit à autoriser la concentration, soit à accepter la disparition du titre, ce qui revenait au même; l’autorisation était donc la solution la moins mauvaise pour le marché de la presse en général.

Sachant que l’interdiction d’une fusion aboutit souvent à la disparition d’un quotidien régional, l’Office du cartel est prisonnier d’une situation sans issue: le titre disparaît ou bien il perdure, mais il est alors intégré dans un groupe de presse plus grand et souvent monopolistique.

C’est la situation qui prévaut en France et les titres autonomes sont rares. Même si dans nombre de villes grandes ou petites, le lecteur français peut choisir entre deux journaux concurrents, ceux-ci sont d’ordinaire liés à un groupe de presse ou bien, dans certaines villes (par exemple Nantes et Dijon), les deux titres appartiennent au même groupe.
La plupart des pays n’ayant pas recours aux subventions, le monopole des journaux régionaux y est encore plus répandu. Au Royaume-Uni et en Allemagne, malgré la différence des systèmes politiques, le monopole caractérise le marché régional de la presse.

La presse régionale de propriété étrangère: un phénomène en expansion à l’Est

Le système de presse tchèque, comme celui d’autres anciens pays communistes en Europe, a connu de profonds changements qui, en Tchécoslovaquie, ont commencé avec la révolution de velours, en novembre 1989. Avant cette date, la presse communiste reposait sur un système centralisé, réunissant diverses compétences: censure, contrôle politique, administratif et économique. Les éditeurs des quotidiens et des magazines étaient le Parti communiste de Tchécoslovaquie (KSC), des organisations de masse comme les syndicats, les organisations de jeunesse, d’autres entités parallèles de moindre importance et des ministères. L’Etat supervisait tous les médias aux plans financier, organisationnel et idéologique.

En 1989, juste avant la révolution tchèque, il existait 30 quotidiens, 18 dans la partie tchèque et 12 dans la partie slovaque. Sur les 18 quotidiens tchèques, huit nationaux et 10 régionaux, tous étaient publiés par les comités régionaux du parti communiste. En outre, Prague, Brno, Ostrava et Plzen comptaient quatre quotidiens du soir, édités par les comités locaux du parti communiste de chacune de ces villes. La distribution était assurée par la messagerie PNS, organe d’Etat, privatisée en partie après 1990. En 1997, l’Etat a vendu la part du marché qui lui restait (34%) aux éditeurs de presse, si bien qu’aujourd’hui PNS, passé sous le contrôle de groupes de presse privés, est toujours le plus grand distributeur de journaux.

En mars 1990, le parlement tchécoslovaque a adopté un amendement à la loi sur la presse de 1966, abolissant officiellement la censure et autorisant des entités privées, y compris des investisseurs étrangers, à devenir propriétaires et éditeurs de journaux. Ce n’est qu’en 2000 qu’une nouvelle loi sur la presse fut promulguée en République Tchèque en remplacement de la loi modifiée de 1990, à l’issue d’un long débat politique. Les années qui suivirent 1989 connurent un vrai boom des journaux et magazines créés au lendemain de la suppression de la censure d’Etat. Durant cette période, le nombre des quotidiens tchèques passa de 18, en 1989, à 30, en 1990, à 38, en 1991, (pour moitié des quotidiens régionaux) et atteint son apogée avec 76, en 1992, dernière année de l’Etat tchécoslovaque. Après 1992, le nombre des titres et des éditions commença à décroître. La hausse des coûts d’impression, qui durant l’été 1990 fut supérieure à 50% (prix réels constatés sur le marché), et l’introduction d’une TVA de 22% sur les publications de presse, contribuèrent au recul des titres. Toutes les subventions à la presse furent également supprimées au cours de la même période.

En 1999, la République tchèque comptait huit quotidiens régionaux (deux titres ont disparu en 1995) et 12 hebdomadaires régionaux (soit en cinq ans une réduction de 20% des titres de quotidiens et d’hebdomadaires). Cela semble être la tendance qui prévaut dans quelques-uns des anciens pays communistes, toutefois à un degré moindre en Hongrie et en Pologne. En revanche, ces tendances sont contredites en Slovénie et en Bulgarie où la presse, après un boom initial et un déclin, s’est stabilisée.

La propriété étrangère des médias ne rencontre pas de restrictions en République Tchèque, qui se distingue des autres pays par le fait les groupes étrangers dominent à ce point le marché.

A l’automne 1990, un groupe de presse allemand de moyenne importance, Verlagsgruppe Passau (VGP) dont le siège était à Passau, en Bavière, ville proche de la frontière de l’Autriche et de la République tchèque, se mit à acquérir des droits de publication régionaux et à s’approprier des titres de quotidiens pour les incorporer dans les entreprises nouvellement créées.

VGP procéda de même en Bohème, partie occidentale de la République tchèque, et pénétra avec succès les marchés de la Bohème septentrionale, occidentale, méridionale et orientale. Au milieu des années 90, il s’installa à Prague (Vecernik Praha) et en Bohème centrale. En 2001, le groupe acquit les derniers titres régionaux indépendants im Moravia et deux quotidiens nationaux de Prague (Slovo et Zn Zemske Noviny).

En 2001, VGP, par l’intermédiaire de son holding de presse “Vltava-Labe Press” (VLP) contrôle presque entièrement le marché régional et une partie du marché national de la presse en République tchèque. Le groupe poursuivit son expansion en direction de la Pologne, en 1994, en acquérant quelques quotidiens régionaux et créa le titre régional Polskapresse. En 1999/2000, ce fut au tour de la Slovaquie, où il créa le Grand Press national et le Petit Press régional, sur le modèle tchèque qui lui avait si bien réussi. Enfin, l’expansion des groupes de presse allemands sur les marchés en développement situés immédiatement à l’est de l’Allemagne laisse l’Etat tchèque sans presse régionale de propriété tchèque. Si cette expansion se poursuit, on peut s’attendre à ce que les mêmes problèmes se posent ailleurs.

Liberté et Etat

La Fédération de Russie est le plus grand pays du monde; elle s’étend sur un huitième du territoire mondial, possède des frontières communes avec 16 pays et compte 89 sujets. Le paysage médiatique y est organisé de diverses manières et l’autonomie de gouvernement gagne du terrain. Depuis l’effondrement de l’Union Soviétique, le secteur des médias est sans aucun doute celui qui a connu les changements les plus dynamiques et les plus spectaculaires. Alors qu’auparavant, on comptait deux ou trois journaux dans la plupart des grandes villes (les plus modestes bourgades disposaient d’au moins un journal du parti), les médias se sont multipliés dans les grandes villes dès les débuts de la période de transition. Diverses entreprises de presse écrite et de télévision firent leur apparition. Leur niveau professionnel, très bas pour commencer, s’améliora progressivement à mesure qu’elles gagnaient en expérience et que leurs finances augmentaient. Dans toute la Russie, comme à Moscou, le degré d’indépendance rédactionnelle est lié au parrainage et aux recettes publicitaires. La faiblesse relative des marchés éloignés du centre fait que les médias régionaux sont plus sensibles aux ingérences.

Néanmoins, les conditions difficiles dans lesquelles la presse moscovite opère ne sont pas nécessairement celles que connaissent les quotidiens et les périodiques régionaux. Nombre de publications régionales ont été lancées au cours de la dernière décennie et, pour diverses raisons, la baisse régulière des tirages n’est plus qu’un souvenir.

Dès leur lancement, les titres ont abordé le marché avec des tirages plus réalistes que ceux des anciens journaux traditionnels. Ainsi, les publications locales ont-elles su tirer parti d’une certaine décentralisation du pouvoir (et d’une réorientation concomitante de l’intérêt du lectorat) et aborder des sujets touchant de plus près la population ; depuis une décennie, ces sujets ne cessent d’acquérir de l’importance. Il leur était désormais possible d’inclure les programmes de la télévision locale (toujours une excellente raison d’acheter le journal), de donner des nouvelles de proximité pleines d’intérêt sur le plan humain et enfin, de réduire leurs coûts de production et de distribution. En s’efforçant de cibler un public plus limité, les risques de déploiement excessif, de suremploi et de surproduction ont été diminués d’autant. Les titres sont devenus plus efficients et il arrive parfois que leurs coûts de fonctionnement soient de 20% inférieurs à ceux des journaux nationaux. Plus important encore, peut-être, ils paraissent régulièrement, ce qui dès le début des années 90 n’était plus le cas de la presse moscovite distribuée régionalement. Celle-ci a fini par résoudre ce problème (en particulier Komsomskaya Pravda, Argumenty i Fakty et Moskovskii Komsomolets) mais déjà elle était concurrencée par des publications meilleur marché et d’un plus grand intérêt local. Les journaux moscovites réagirent en créant des éditions régionales, comprenant des articles de l’édition centrale et des articles produits par une agence locale.

L’expansion des grands journaux moscovites commença vers la fin des années 90 avec la création d’éditions locales dans les villes de province losque cette presse aquit une plus grande sécurité financière, généralement grâce à des investissements massifs et à des sponsors (les tentatives analogues de la presse parisienne pour créer des éditions locales vers la fin des années 80 se soldèrent par un échec et renforcèrent la suprématie des titres régionaux existants). Mais, en Russie, la presse établit ses propres moyens de production en vue de mettre hors jeu la distribution et les structures postales étatiques, en organisant des réseaux de distribution ainsi que des systèmes de livraison privés. Le mouvement de la presse centrale vers les régions suscita des réactions mitigées: certains analystes prédirent un impact négatif sur les médias locaux en raison de la perte de recettes publicitaires, tandis que d’autres s’attendaient plutôt à une amélioration qualitative de la gestion locale.

La Russie se distingue par le nombre de journaux régionaux qu’elle soutient, aussi irrégulièrement publiés et économiquement fragiles qu’ils soient. Une recherche conduite par Sreda, magazine russe spécialisé dans les médias et par Internews montre qu’une ville comme Saratov, qui compte environ un million d’habitants, soutient 150 journaux publiés régulièrement (sur 450 enregistrés) avec un volume publicitaire produit par la ville elle-même se chiffrant à quelque 5,2 millions d’euros. Quant à la participation de l’Etat, il ressort que sept groupes de presse de Saratov sur neuf ont été créés par les pouvoirs locaux.

La publicité et les publications contenant informations et annonces publicitaires arrivent en tête des marchés régionaux tant en tirage qu’en volume publicitaire. Précisons qu’il est normal, en Russie, de gonfler les chiffres de tirage parce que les publications ont désespérément besoin de recettes publicitaires. Les tentatives du Syndicat russe des journalistes d’instituer un organisme indépendant chargé de vérifier ces chiffres se sont heurtées à la mauvaise volonté de médias peu enclins à se prêter à ce genre de vérification.

La réussite de la presse régionale écrite est relative, car l’environnement ne lui est pas très favorable. Les recettes publicitaires sont limitées et pratiquement tous les journaux dépendent de subventions ou d’autres formes de sponsorisation; qui plus est, les équipements de base sont souvent contrôlés par les pouvoirs locaux qui disposent également de leurs propres instruments pour faire en sorte que leurs règles soient observées. La situation est pire dans les petites villes et en milieu rural, où la publicité n’existe pas, où le pouvoir d’achat de la population est plus faible et les coût de transport plus élevé. La dépendance économique est le problème majeur de la presse régionale.

Les journaux sont tenus de maintenir de bonnes relations avec les administrations régionales ou territoriales, car se confronter avec ces autorités ou les irriter n’est pas sans conséquences de toutes sortes. Le prix de location d’un local augmentera, par exemple, de manière arbitraire, des subventions seront supprimées ou bieb les imprimeries locales refuseront d’imprimer le journal ou se montreront intransigeantes sur les questions de paiement. Les journaux non subventionnés par l’Etat ne sont pas pour autant indépendants, car ils ont besoin des dons d’autres sponsors (en Russie, les intérêts économiques sont si étroitement liés aux intérêts politiques que sponsorisation signifie inévitablement parrainage politique). Bien entendu, sponsors et propriétaires pensent disposer d’un droit d’ingérence dans la politique rédactionnelle du journal.

Seul un groupe très restreint de journaux a réussi à s’assurer une indépendance financière authentique et peut vivre grâce au revenu de divers intérêts commerciaux. Les subventions de l’Etat à la presse non seulement lie les journaux aux pouvoirs locaux, mais elles ont un effet négatif sur la compétitivité des journaux privés puisque le prix de l’abonnement ou du numéro d’un titre subventionné est plus bas.

Une étude du Syndicat russe des journalistes effectuée en 1999-2000 tire des conclusions alarmantes sur la liberté de la presse dans les régions russes :

« Aujourd’hui, en Russie, aucune région ne jouit d’un environnement favorable à toutes les étapes de la création des produits d’information. Alors que dans deux régions (Iaroslavl et Mourmansk), les conditions d’accès à la presse d’information sont favorables et que dans une seule région (Moscou) l’environnement est bon à la fois pour la production et la diffusion de l’information, nulle part ailleurs ces facteurs positifs ne se trouvent réunis pour constituer un contexte législatif et politique confortable pour les médias »3.

L’instabilité économique de la Russie, sa tradition d’ingérence politique dans la presse et la fragmentation des structures étatiques au niveau régional, tout contribue à la création d’un environnement très problématique pour la presse régionale.

Publicité

A la différence des autres biens échangés sur le marché, la presse dispose d’un deuxième marché, et parfois d’un premier marché, reposant sur la vente du lectorat à des publicitaires (il en est généralement de même pour les autres médias). La publicité est donc un élément incontournable du financement de la presse et la presse régionale en particulier dépend largement de ce mode de financement, car un pourcentage élevé des recettes de ce secteur découlent plus de la publicité que de la vente au numéro.

L’importance de la presse en tant que support publicitaire est très significative. La part du marché publicitaire de la presse, en France par exemple, s’élève à 41,9% tous médias confondus : télévision 30,1%, publicité de plein air (panneaux d’affichage) 11,6%, journaux gratuits 8,5%, radio 7,1% et cinéma 0,8%. Dans l’industrie de la presse écrite, la ventilation des recettes publicitaires est la suivante : 24% aux quotidiens régionaux/locaux, 16% aux quotidiens régionaux, 40% aux magazines, 18% à la presse spécialisée et 2% à la presse hebdomadaire régionale (IREP 2001).

La relation entre les recettes publicitaires et les journaux a des conséquences importantes pour les médias régionaux qui font de plus les frais des concentrations et des pratiques monopolistiques.

Si deux journaux se partagent le même marché, il arrive tôt ou tard, à moins que leur part de lectorat soit très similaire ou qu’ils desservent des marchés très différents, que le titre qui a le lectorat le plus nombreux jouisse de certains avantages que n’aura pas le second titre. C’est particulièrement le cas des journaux régionaux dont le contenu vise plutôt le lecteur moyen, contrairement aux journaux nationaux qui se développent selon deux axes, celui de la presse populaire et celui des titres de qualité.

Cela a deux conséquences: premièrement, le journal qui génère les recettes les plus abondantes pourra sans doute investir davantage dans un processus déjà coûteux de collecte et de traitement de l’information. Deuxièmement, en raison de sa meilleure situation financière et de son tirage souvent plus élevé, le journal attirera davantage de publicité que son concurrent potentiel sur un même marché. D’après ce scénario, le titre dominant tirera un plus grand bénéfice de ses recettes publicitaires par page et réinvestira l’excédent pour rendre le contenu du journal encore plus attractif (Picard et Brody 1996).

Le titre dominant profite de cet état de choses, en ce sens qu’il jouit d’un avantage initial qu’il pourra exploiter pour renforcer sa position sur le marché aux dépens de la part de marché du titre concurrent. En termes de tirage et de publicité, le premier pourra améliorer ultérieurement sa position; la conclusion logique de ce processus est, qu’au bout du compte, les recettes publicitaires concourent à la constitution de monopoles.

L’accès au marché et ses obstacles

Le lancement d’un journal est difficile et les obstacles rencontrés au début nombreux. En effet, la création d’un titre régional est moins coûteuse que celle d’un titre national, mais il reste au nouveau-venu sur le marché à franchir quelques obstacles non négligeables. Le journal régional présente certains avantages par rapport au journal national, car la collecte de nouvelles et d’informations est en général d’ordre local et ne requiert pas les services coûteux de journalistes spécialisés. Même si les coûts initiaux d’un journal régional sont moindres que ceux d’un journal national, il reste difficile d’implanter un concurrent sur un marché où un titre existe déjà.

L’un des fondamentaux économiques de la production d’un journal est que l’élaboration de la maquette du premier exemplaire entraîne des coûts très élevés et des coûts marginaux allant de zéro à faibles. Le fait est que cette maquette absorbe une grande partie des coûts de fabrication. Sa mise au point réclame une combinaison de processus intensifs pour produire l’information que le journal se propose de diffuser.

Deuxièmement, et en relation avec le point ci-dessus, intervient la question de l’immatérialité. On entend par ce terme le fait que le journal consommé demeure intact, c’est-à-dire que la lecture d’un journal ne diminue aucunement la possibilité qu’une autre personne consomme les mêmes nouvelles et informations. Comme la valeur d’un journal en tant que bien de consommation réside dans son contenu plutôt que dans son support imprimé, cela signifie qu’une fois la maquette réalisée, les autres exemplaires sont produits et vendus pour un coût marginal zéro ou faible. Par conséquent, chaque consommateur additionnel que le journal atteint est un consommateur ajouté pour un coût minimum. Combiné avec les frais élevés de maquette, chaque nouveau lecteur obtenu à un coût marginal compense les coûts initiaux élevés, à peu de frais pour l’éditeur, voire sans aucune dépense supplémentaire.

Pouvoir compter sur un lectorat loyal, qui d’une part achète au numéro ou s’abonne au titre et qui, d’autre part, peut être vendu aux publicitaires, est la clé de la rentabilisation des coûts encourus. Pour un nouveau concurrent, surtout lorsque les abonnements comptent pour une partie significative des ventes, la difficulté est de parvenir à capturer une base de consommateurs en la détournant du titre concurrent. De nouveaux titres ont fait leur entrée sur le marché, en particulier dans les PECO où, durant la période de transition, l’industrie de la presse s’est débarrassée du contrôle de l’Etat. En revanche, les réussites sont rares en Europe occidentale, au niveau national comme au niveau régional. En Suède, par exemple, plusieurs tentatives de lancement d’un nouveau quotidien faites en 1980, ont échoué à l’exception d’une seule, en l’occurrence le quotidien d’affaires, Dagens Industri. Dans une moindre mesure, il en est de même dans toute la région où très peu de nouveaux titres ont fait leur apparition sur les marchés régionaux. Le nouveau titre le plus récent sur le marché allemand de la presse remonte à 1979, avec la création de Die Tageszeitung. Entre 1998 et 2000, on observe au Royaume-Uni une progression notable de titres de quotidiens payants, mais en règle générale, seul un nombre très réduit de nouveaux titres ont réussi à s’implanter sur le marché.

Le cas de la République tchèque, où le nombre des nouveaux titres connut une progression accélérée au lendemain de la période de transition, démontre à quel point la concentration peut être rapide. La progression initiale du nombre des publications a été suivie d’un déclin et d’une forte concentration du marché, des maisons d’édition allemandes exportant leur savoir-faire en matière de systèmes de production moderne pour exploiter les nouveaux marchés.

Mais il existe des exceptions à la règle. Par exemple le renforcement depuis quelques années de la tendance des publications gratuites, basées dans la capitale,  à envahir les marchés régionaux, en utilisant les réseaux de transport et des espaces publics de distribution fortement concentrés; cela sans frais directs pour le consommateur, car les recettes publicitaires suffisent à financer entièrement l’opération; quant aux coûts de distribution, ils sont relativement bas car la livraison est effectuée en vrac dans lesdits centres de distribution.

Les propriétaires de Metro estiment que les 21 éditions distribuées dans 15 pays leur assurent neuf millions de lecteurs. Au Royaume-Uni, Metro est devenu le sixième quotidien et dans les pays du Nord, qui ont de solides marchés régionaux, sa place sur le marché est impressionnante. Le titre est par conséquent le cinquième journal mondial pour ses tirages et son lectorat, et sa stratégie régionale en fait un concurrent sérieux , se traduisant par un surcroît de pression sur les titres actuels des marchés régionaux.

En France, la croissance des hebdomadaires locaux (hebdos de pays) est également un phénomène intéressant, car pour l’instant on peut parler de réussite (quelque 250 titres avec un tirage total de 1 459 000 exemplaires). Une vingtaine de nouveaux titres ont vu le jour depuis deux ans. De grands groupes de presse régionale suivent de près cette nouveauté et essaient d’acheter les hebdomadaires locaux. Le groupe de presse régionale La Voix du Nord a récemment acquis trois hebdos locaux dans son aire traditionnelle de diffusion. Au total, ce quotidien régional détient (seul ou en association avec d’autres groupes de presse) une douzaine de titres dans son marché principal et quelques autres dans une autre région française. De même, le groupe Ouest-France (à travers ses intérêts dans la filiale Plurihebdo) détient une quarantaine d’hebdomadaires.

Conclusion

Le dilemme qui tourmente le législateur consiste à décider si oui ou non la concentration et la disparition de journaux indépendants, ainsi que la concentration de la propriété dans les régions servent au mieux les intérêts du public. Le choix se réduit souvent à accepter la chaîne de propriété ou la menace potentielle de voir disparaître un titre. Ensuite, s’il est juste de considérer que la concentration menace la diversité, rien ne prouve que ce type de propriété interfère réellement avec la liberté rédactionnelle. Les principales pressions qui s’exercent sur les journalistes et les journaux sont principalement de nature économique et concernent les ventes et la survie de la publication, autant dire toute une série de problèmes pour les journalistes et la rédaction.

La presse régionale est étroitement liée à la culture politique des Etats nations au sein desquels elle s’insère. Mais, bien qu’il existe des Etats qui, à l’instar de l’Allemagne, ont un système fédéral fort, cela n’est pas une garantie contre les problèmes de concentration. Les mécanismes fondamentaux du marché dictent les caractéristiques structurelles du secteur. Les faits suggèrent que quelle que soit l’importance accordée au fédéralisme ou à la démocratie régionale, cela ne change rien la plupart du temps au problème de la concentration. Seule la politique de subvention à la presse des régions nordiques a recours à des mesures de régulation positives pour tenter de résoudre le problèmes des monopoles régionaux. Cela dit, les sommes accordées sont relativement modestes, la lutte contre les monopoles n’a pas sérieusement été engagée et ils continuent donc à prévaloir.

En Russie, le boom des journaux régionaux et les liens avec l’Etat demeurent un problème significatif en ce qui concerne la liberté de la presse. La soumission des organismes (sponsorisation privée et pouvoirs locaux) est caractéristique de la presse régionale russe; malgré une abondance de titres, leur indépendance demeure un point controversé au vu du contexte actuel. Il est également fort douteux qu’un si grand nombre de titres puissent se maintenir durant la prochaine décennie.

L’idée selon laquelle les monopoles sont acceptables sur les marchés régionaux pose problème; il convient, en effet, de réfléchir à la viabilité économique de plusieurs acteurs dans un même marché et aux conditions fondamentales à réunir pour le maintien d’une relation équilibrée entre presse régionale et nationale et démocratie. Si l’on pense que le pluralisme est l’un des piliers de l’idéal démocratique, il est clair que le système actuel est un échec à plusieurs points de vue. L’accès au marché des nouveaux titres rencontre des obstacles significatifs et la concentration a de fortes chances de se poursuivre en l’absence d’intervention des pouvoirs locaux et de l’Etat; à cet égard, le système mis en œuvre dans les pays nordiques démontre qu’un programme de subventions peut s’appliquer sans interférence politique directe.

Bien que la presse donne l’impression d’être florissante et diversifiée, la réalité est bien différente puisque le secteur est dominé par un nombre restreint de groupes.

Le nombre de journaux sur le marché n’est pas, bien entendu, un indicateur de la qualité de l’information. Il est impossible pour l’instant d’évaluer l’influence qu’exerce la structure de l’activité sur la nature du contenu sans procéder à une analyse comparative de ce dernier pour évaluer l’information diffusée par les titres régionaux. Toutefois, les tendances actuelles vers la réduction des titres régionaux, amplifiées par la tendance à la constitution de monopoles régionaux et de chaînes de propriété, indiquent que l’idée de pluralisme comme composante incontournable du secteur de la presse pose problème.

Même si l’on admet que les lois du marché ont un rôle à jouer dans le fonctionnement du secteur de la presse, il convient d’examiner la mesure dans laquelle ce rôle est légitime. L’importance de la communication médiatique reconnue par la loi dans de très nombreux pays est minée par le fait même que pluralisme et concentration du marché suscitent un climat de tension entre ces deux approches et, pour l’instant, la concentration et les économies d’échelle semblent l’emporter sur la diversité et l’accès.
On observe un peu partout un déclin du lectorat de la presse écrite, processus de longue durée qui accentue encore la pression qui s’exerce sur les journaux et les journalistes, qui doivent lutter pour survivre. Les nouveaux défis de la télévision et des nouvelles technologies, ainsi que la concurrence accrue entre presse locale et nationale laissent penser que la question de la pression économique se posera de façon plus aiguë encore dans les années à venir.

La structure actuelle de l’industrie de la presse suggère également qu’un marché réellement compétitif d’idées et d’informations véhiculées par la presse régionale a été remplacé par la chaîne de propriété et les monopoles. L’existence au sein d’un même marché (s’il n’est pas déjà monopolisé) de titres régionaux se livrant une concurrence acharnée, tout en étant également en compétition avec d’autres médias, fait que la tension entre la diversité et l’influence structurelle incitant au monopole a peu de chance de se relâcher sans l’intervention d’initiatives susceptibles de soutenir une presse régionale libre et pluraliste.

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Zenith Media (2000) World Press Trends 2000. Zenith Media.

 

1 Il y a une certaine différence entre les données du Royaume-Uni fournies par la Newspaper Society et celles de la World Association of NewsPaper.

2 Voir l’Institut européen de la communication (IEM) 1997 pour une étude approfondie des subventions à la presse.

3 Le rapport examine l’accès à l’information, la liberté de produire de l’information et la liberté de diffuser l’information. Ce rapport est disponible en langue anglaise sur le site de Freepress à l’adresse suivante : http://www.freepress.ru/win/index1.html.