L’ANNEE INTERNATIONALE DE LA MONTAGNE - Un nouveau projet politique pour la montagne en Europe : Faire des zones de montagne déshéritées une ressource - CG (9) 9 Partie II

Rapporteurs :
Enrico BORGHI (Italie) et
Miljenko DORIC (Croatie)

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EXPOSE DES MOTIFS

L’année 2002 a été déclarée par les Nations Unies Année Internationale de la Montagne. Cette circonstance a offert au CPLRE l’occasion de soutenir d’une part l’inscription des questions relatives à la montagne parmi les priorités européennes et d’autre part les efforts pour l’octroi aux populations qui vivent dans les régions de montagne d’une meilleure qualité de vie et d’un développement durable de leur terres.

L’avenir de l’Europe est aujourd'hui une question cruciale pour tous les citoyens qui s’interrogent sur les modalités qui régiront le vieux continent dans les prochaines années. La déclaration du Congrès adoptée sous forme de Résolution à l’occasion de l’année internationale de la montagne se fonde sur une philosophie claire : il ne sera pas possible de construire l’Europe en ayant recours à des schémas simples et mécanistes et à un illuminisme abstrait et planificateur, ni même en se contentant de passer des accords bilatéraux entre les Etats.

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Nous sommes partis de la conviction que la future Europe devrait être le fruit d’un processus complexe où l’intégration en vue de l’unification de la société civile, des intérêts, des fonctions, de la subjectivité politique et des relations avec l’extérieur devra se faire : progressivement, par une vaste médiation, incluant les collectivités locales et régionales, et suivant un dessein politique et non technocratique. Nous avons estimé que la nouvelle Europe qui se prépare au sein de la « Convention de l’Union européenne pour le futur de l’Europe » devra fonder ses atouts sur des éléments qui, historiquement, anthropologiquement, culturellement et physiquement, constituent un tissu conjonctif, un élément de liaison. On peut estimer que la montagne, dans des nombreux cas, représente ce liant.

En effet il est difficile d’accepter l’absence au niveau européen d’une politique en faveur des zones qui, morphologiquement, relient les régions appartenant aux différents Etats européens. Les raccordements entre ces zones sont assurés précisément par les «terres hautes» : la plaine du Pô est reliée à la vallée du Rhin par la chaîne alpine, la Catalogne se raccorde au Midi français par les Pyrénées, l’Italie trouve dans l’axe alpin et des Apennins le squelette sur lequel s’appuyer. Et encore dans le pays de l’Europe centrale et orientale, les Balkans faisant lien avec la réalité slave, et les monts Tatra reliant la Pologne et la Hongrie (nouvelles régions de l’Europe de 2004), sans oublier le rôle des Carpates et du Caucase. Nous trouvons, le long de ces chaînes, des situations de grave difficulté économique et sociale mais aussi des pôles d’excellence socio-économique (pour en rester aux Alpes, sur le sentier idéal qui court de Grenoble à Bratislava, se trouvent le Vorarlberg, le Tyrol, la Carinthie, la région de Salzbourg et les régions du nord de l’Italie).

Dans le projet de Résolution préparé au sein de la Commission du développement durable du Congrès, nous avons en effet réaffirmé que, le destin de la plaine est étroitement lié à la gestion des montagnes. Nous avons estimé que les montagnes ne doivent pas être considérées comme des entités à part, dissociées et isolées des autres territoires européens. Pour reprendre l’image de Giustino Fortunato, les montagnes (l’arête) et les plaines (la chair) devraient être considérées comme parties d’un corps unique qui est dans le cas d’espèce le territoire de la future Grande Europe.

Dans le passé, nous devons l’admettre, l’absence d’une politique clairvoyante en matière de régions de montagne a provoqué l’abandon des montagnes de la part de leurs populations et la dégradation de ces zones avec des graves conséquences pour l’équilibre écologique et social de tous les territoires européens. Plusieurs études en la matière ont démontré que la mauvaise gestion ou l’abandon des zones de montagne ont des conséquences extrêmement négatives sur la vie des populations de la plaine, notamment en ce qui concerne les ressources hydriques et les risques de catastrophes naturelles.

En ce qui concerne le futur, il est évident que la création d’une Europe qui se préoccuperait exclusivement des zones fortes reliées entre elles par une « arête » n’est pas souhaitable. Il est évident que les régions les plus défavorisées devraient pouvoir bénéficier du support financier qui leur est indispensable pour combler le retard vis-à-vis des régions plus riches. Mais en effet, nous estimons qu’une politique européenne globale en faveur de la montagne est nécessaire non parce qu’il faut inscrire le poste « montagne » sur la liste des aides de l’Union européenne mais parce que les montagnes jouent un rôle clé dans la programmation concertée qui est nécessaire au niveau européen.

Les montagnes, comme d’ailleurs les autres régions, ne sont pas à l’abri du défi que leur lance la mondialisation et du phénomène inverse constitué par le développement du sentiment « local » qui, faute d’être maîtrisé, devient localisme, particularisme et fragmentarisme, et qui va aux antipodes de l’intégration, alimentant les politiques anti-européennes. Ce sentiment commence d’ailleurs à prendre racine dans les régions montagnardes en l’absence d’une politique européenne en leur faveur.

Nous avons tenu à souligner que les instances européennes devraient mieux évaluer le rôle potentiel d’intégration de la montagne comme élément de synthèse pour la Grande Europe. Nous estimons qu’aucun modèle ne saurait être globalisant, d’autant plus que, dans les années qui nous attendent, la société civile sera fortement influencée par le mélange des intérêts et par le jeu des acteurs politiques et culturels. Dès lors, il est vraisemblable que la nécessité d’une politique plus ambitieuse, édifiant le nouveau modèle de l’Europe en partant des éléments agrégatifs, se fera encore plus sentir.

Les populations de la montagne de leur part ne souhaitent pas être considérées comme des zones sous-développées et veulent se proposer comme les ressources sur lesquelles peuvent miser l’Etat national, les régions et l’Union européenne sur le plan culturel, politique et financier.

Les populations montagnardes ont manifesté à plusieurs reprises leur souhait de voir la montagne s’affirmer comme un système intégré de ressources économiques et naturelles, de savoirs commerciaux et de compétences techniques, auxquels pouvoir ajouter la capacité de gestion locale des aspects financiers, surtout en valorisant les ressources endogènes. Le but est celui de faire en sorte que la montagne européenne représente l’habitat d’un développement éco-compatible qui s’intègre avec la capacité humaine de créer des modes d’utilisation, en adaptant l’élément naturel à des fins productives tout en apprenant à vivre avec celui-ci ; en quelques mots, la capacité des entreprises à créer des systèmes de production évoluant vers la technologie tout en sauvegardant l’environnement en faveur des générations futures. Il est en effet capital pour les zones de montagne de rester reliées à part entière à la société industrielle.

Aujourd'hui, si l’Europe décidait de tenir à l’écart du marché global ce que les populations de montagne et leurs autorités locales et régionales ont construit, elle commettrait une grave erreur.

A partir symboliquement de cette année internationale de la montagne, nous avons souhaité, au sein du Congrès, soutenir la prise de conscience à tous les niveaux de gouvernement du fait que la montagne n’est pas un territoire marginal mais un patrimoine fondamental à la disposition de toutes les nations et dont la conservation est indissolublement liée à la présence et aux activités de l’homme.

Les populations de la montagne ont vécu pendant des siècles avec les mutations historiques, en préservant et en livrant aux générations présentes un patrimoine unique sur le plan de la démocratie, des relations, de la culture, de l’économie et de l’environnement, et elles sont soucieuses de continuer à bien gérer ces ressources afin de les transmettre aux générations futures tout en améliorant leur qualité de vie et celle des habitants des villes et de la plaine.

Les événements auxquels nous assistons aujourd’hui en Europe ne nous semblent pas représenter un simple changement de vitesse, une accélération superficielle des rythmes du processus d’évolution historique ; il s’agit d’un processus de plus en plus complexe ; il serait dès lors nécessaire d’avoir un projet politique, pour que non seulement la montagne et ses habitants ne soient pas exclus de cette évolution, mais pour que les montagnards y prennent part et pour qu’ils retrouvent, en les gérant, conscience de leurs valeurs.

Dans cette perspective, le projet de Résolution du Congrès a souhaité énumérer un certain nombre d’objectifs stratégiques à poursuivre à court terme.

En premier lieu, la reconnaissance juridique officielle de la spécificité montagnarde dans la nouvelle constitution de l’Union européenne qui se prépare au sein de la « Convention sur le future de l’Europe ». La finalité est celle de faire en sorte que les régions de montagne puissent être considérées non plus comme des zones rurales déshéritées, mais comme une ressource et un patrimoine social de toute la collectivité, dans la perspective d’un programme spécial d’intervention de l’Union européenne en faveur la montagne et dans le cadre de la redéfinition des fonds structurels pour 2007-2013. Il serait possible d’envisager l’adoption d’un programme suivant de nature politico-culturelle en faveur de la montagne européenne comme spécificité économico-productive, à l’instar des zones très urbanisées (voir par exemple le projet URBAN).

Sur les modalités de réalisation de cet objectif nous estimons nécessaire de clarifier que le milieu montagnard n’est pas demandeur de contributions spéciales mais plutôt d’investissements stratégiques, non pas des mesures extraordinaires, mais des normes spéciales, non pas des initiatives d’assistance gratuite, mais des politiques de gouvernement concertées.

En plus de l’affirmation juridique de la spécificité de la montagne, il serait important d’adapter la réglementation européenne sur la concurrence à la nécessité de réduire les écarts économiques et structurels entre la réalité productive et sociale des régions de montagne et les autres régions. Des facilités fiscales ayant un caractère structurel et durable pourraient servir à réaliser cet objectif.

Tout ceci devrait s’accompagner de la reconnaissance juridique, sociale et économique de la valeur des activités productives éco-compatibles exercées en milieu montagnard. Concrètement, il serait souhaitable de mettre en place un système de normes attentif à la montagne, définissant clairement et objectivement les critères d’identification physique de celle-ci et favorisant les conditions indispensables pour augmenter la qualité de la vie en territoire montagnard, notamment par des interventions de requalification des filières productives typiques locales. Ce système devrait aussi encourager la valorisation du patrimoine culturel et environnemental par des interventions de qualifications scientifiques et technologiques du système montagnard et la redéfinition des plans stratégiques nationaux et communautaires concernant les grandes infrastructures et les services.

En quelques mots nous avons tenu à souligner qu’il est indispensable « d’unifier les montagnes » en prévoyant un objectif montagne au niveau européen.

Le Congrès a œuvré pour la réalisation de cet objectif, pendant plusieurs années, en concevant deux projets de convention du Conseil de l’Europe: le projet de Charte européenne des Régions de Montagne et le projet de Convention-cadre européenne des régions de montagne. Ces deux projets, malgré la pression exercée par les autorités locales et régionales européennes, n’ont jamais reçu l’accord des gouvernements des Etats membres du Conseil de l’Europe pour leur adoption sous forme de conventions internationales. Nous devons aussi rappeler que le projet de Charte européenne des régions de montagne, approuvé dans sa première version en 1994 à Chamonix, avait également obtenu le soutien de Michel Barnier, aujourd'hui commissaire européen chargé des politiques régionales.

Actuellement, comme mentionné dans le deuxième paragraphe de la résolution, le CPLRE se propose de lancer la préparation d’une Charte « déclaratoire » des régions de Montagne, qui soit fondée sur les principes exprimés dans les projets de convention susmentionnés mais qui ne nécessiterait pas d’une signature et ratification de la part des Etats membres du Conseil de l’Europe.

L’objectif de cette nouvelle Charte serait celui d’exercer un impact considérable, dans le contexte des futures politiques européennes, en faveur des zones marginales que sont particulièrement les régions de montagne, tant sur le plan structurel que méthodique. Le projet pourrait préfigurer un rôle important des autonomies locales et régionales dans l’organisation et la représentation de leurs intérêts selon les principes d’autonomie et de subsidiarité défendus par la Charte européenne de l’autonomie locale. Cette Charte ne viserait pas seulement la sauvegarde de l’environnement mais aussi le développement global socio-économique des zones concernées en prévoyant un bon niveau de coordination entre les diverses administrations centrales, les régions et les collectivités locales.

Une telle Charte de la montagne pourrait être de définir un projet commun, un mode d’action, des orientations précises, une philosophie commune dans laquelle peuvent se reconnaître les populations de montagne en partant de l’homme qui les habite et de ses exigences primordiales. Comme souligné dans la Résolution du Congrès, la future Charte pourrait également jeter les bases pour favoriser une nouvelle coopération entre les Etats, les régions et les villes qui partagent les ressources des montagnes en créant des nouvelles institutions et réseaux.

Nous avons estimé que la montagne devrait être considérée comme l’un des défis les plus importants de la Grande Europe : la montagne pourrait rentrer dans les priorités de l’Europe grâce à la présentation d’un projet politique de gouvernement des territoires montagnards, adapté à l’interdépendance territoriale avec les zones métropolitaines et côtières, fondé sur un développement durable et socio-productif et animé par les connaissances et les savoirs des communautés de montagne.

Nous espérons donc que l’action du Congrès puisse contribuer à développer une véritable conscience de l’importance des montagnes en Europe. Les populations des montagnes et leurs représentants pourraient décider d’avancer dans la même direction, exprimer leur identité et leur solidarité et trouver les alliances nécessaires pour peser sur les décisions qui les concernent.