Strasbourg, 5 mai 2006 CG(13)12
L’accès des migrants aux droits sociaux : le rôle des pouvoirs locaux et régionaux
Rapporteur: Muriel Barker, Royaume-Uni,
Chambre des pouvoirs locaux
Groupe politique : SOC
-------------
EXPOSE DES MOTIFS
1. INTRODUCTION
Le Conseil de l’Europe accorde depuis de nombreuses années une attention particulière à la question de l’intégration des migrants installés dans les Etats membres de l’Organisation. Se fondant sur le principe qu’une telle intégration est un facteur de cohésion sociale pour les pays d’accueil concernés, le Conseil de l’Europe a encouragé les Etats membres à mettre en oeuvre des politiques d’intégration dans les domaines économique, social, culturel et politique. Pour ce faire, l’Organisation a notamment élaboré des stratégies et mis à la disposition de ses Etats membres des instruments juridiques tels que la Convention européenne relative au statut juridique du travailleur migrant et la Convention sur la participation des étrangers à la vie publique au niveau local.
Le Congrès des Pouvoirs Locaux et Régionaux du Conseil de l’Europe poursuit pour sa part des objectifs similaires, tant sur le plan de l’intégration sociale des migrants (Résolution 153 (2002) sur les groupes vulnérables et l’emploi) que politique (Résolutions 181 (2004) sur « Un pacte pour l’intégration et la participation des personnes issues de l’immigration dans les villes et régions d’Europe » et 141 (2002) sur la participation des résidents étrangers à la vie publique locale : les conseils consultatifs)1.
Néanmoins, le Congrès considère qu’aujourd’hui, en dépit des efforts de certaines villes et régions européennes pour favoriser l’intégration et l’accès des migrants aux droits sociaux, cette catégorie de population ne bénéficie pas toujours d’un accès égal à ces droits. En conséquence, il y a lieu d’analyser de manière précise et actuelle l’accès effectif des populations migrantes aux droits sociaux fondamentaux, tels que l’emploi, le logement, la santé et l’éducation afin de proposer aux 46 Etats membres du Conseil de l’Europe et à leurs collectivités territoriales de nouveaux moyens d’action dans ce domaine.La gestion politique des droits et devoirs des habitants issus de l’immigration par les autorités locales et régionales est l’une des questions les plus controversées à l’heure actuelle, qui implique des dimensions économiques, sociales, culturelles et politiques influant sur l’avenir de la démocratie.
La forme de gestion de la « glocalisation »2 a tendance à estomper le rôle des immigrés comme sujets politiques, c’est-à-dire comme titulaires actifs de droits et de responsabilités, les ramenant à un simple facteur de production en tant que « ressources humaines » extrêmement flexibles, ce qui engendre d’importants effets pervers.
Ces contradictions entre les logiques intermondialistes, d’ordre économique, et les logiques politiques, qui sont le fondement de la démocratie et du respect des obligations découlant de la Convention européenne des droits de l'homme, sous-tendent l’un des débats les plus passionnants de l’actualité : les nouvelles conséquences de la mondialisation sur la notion de citoyenneté. En général, jusqu’à ce jour, celle-ci a été directement associée à la situation eu égard à la nationalité, laquelle s’entend en principe dans un sens géographique : « on vient toujours de quelque part » et sociopolitique : « on a un accès déterminé aux droits et obligations liés à un territoire », mais l’hybridation découlant de la mondialisation actuelle remet en cause ces conditions, exigeant un réexamen politique de la signification des notions de citoyenneté et de souveraineté, qui amène à reconsidérer le rôle que jouent les autorités locales et régionales dans l’accès effectif à des droits découlant de la condition de citoyen.C’est pourquoi les débats sur la citoyenneté et l’immigration tendent à être associés, la question étant de savoir à quel niveau de gestion il convient de confier l’attribution et la gestion des droits et responsabilités des habitants d’un lieu donné. Cela suppose de considérer que, dans la mesure où les liens de naissance se modifient par des processus de mobilité spatiale dans différents Etats, régions et localités où l’on acquiert de nouvelles relations culturelles, socioprofessionnelles, salariales et politiques, les droits et responsabilités associés à la notion de citoyenneté doivent s’adapter, de façon à ce que la nouvelle situation découlant de la gestion globale des ressources n’implique pas une diminution des possibilités d’accès aux droits fondamentaux et à la politique permettant la gouvernance de la mondialisation.
Cela rend encore plus pertinente l’idée approximative avancée par certains auteurs, selon laquelle la ville européenne est un espace où convergent des « citoyens » issus de divers pays, pour reprendre une notion de ville comme territoire à partir duquel l’on peut instaurer une citoyenneté locale3, conforme aux principes européens de subsidiarité, qui intègre les droits de la population, les articulant selon une logique de « citoyenneté glocale multilatérale » qui envisage la possibilité d’action et de contrôle des conditions de vie des individus en combinaison avec d’autres niveaux de gestion territoriale face à des structures abstraites imposées supra locales qui entraînent des pratiques d’exclusion.
Cela concerne en particulier les personnes en provenance de pays tiers qui arrivent dans les villes d’Europe pour de multiples raisons, avec l’espoir de trouver de meilleures conditions de vie et de travail. Ces personnes partagent avec les autres habitants du quartier des cultures et relations, mais selon une stratification qui dépend du lien de naissance ou du travail différencié par rapport aux autochtones, en fonction de facteurs découlant de la situation juridique, économique, sociale, culturelle ou politique. La stratification existante dépend des conditions de vie et de travail qui remettent en question l’égalité d’accès aux droits et responsabilités. Aussi est-on en droit de se demander si et jusqu’à quel point les immigrés subissent des discriminations. C’est pourquoi les autorités de l’Union européenne ont mis en place diverses réglementations et stratégies et, en particulier pour ce qui concerne les immigrés, le concept de « citoyenneté civique ».
En novembre 2000, la Commission européenne a introduit le concept de « citoyenneté civique », définie comme « permettant aux immigrés d'acquérir progressivement, au fil des ans, une série d'obligations et de droits clés, l'objectif étant de leur garantir en fin de compte un traitement identique à celui des ressortissants de l'Etat où ils résident, sans être naturalisés ». Cette approche suit la logique des mesures préconisées par l’Accord de Tampere, selon lesquelles le statut juridique des ressortissants de pays tiers devrait être rapproché de celui des ressortissants des Etats membres de l’Union européenne.
D’autre part, les conclusions de la conférence intitulée « Immigration : le rôle de la société civile organisée dans l’intégration », organisée par le Comité économique et social européen en septembre 2002, déclaraient que le concept de « citoyenneté civique » devrait englober :
- l’accès à l’emploi ;
- l’éducation, la formation professionnelle et la reconnaissance des qualifications ;
- la protection sociale et juridique ;
- la liberté d’association et les droits sociaux et culturels ;
- la libre circulation effective des personnes et la liberté d’accès aux territoires des Etats membres ;
- l’accès à l’information, l’intégration et la participation à la vie civique.
Plus récemment, le Livre vert sur l’égalité et la non-discrimination dans l’Union européenne élargie, élaboré par la Commission européenne en mai 2004, remet en question le système institutionnel et politique de l’Europe élargie, en considérant la non-discrimination et les droits fondamentaux comme les fondements de la cohésion sociale.
Aussi, peut-être est-il utile que les responsables des administrations locales et régionales identifient de « bonnes pratiques » d’intervention, qui s’efforcent d’aborder la nouvelle situation sous l’éclairage de l’application qui est faite en pratique de la Convention des droits de l’homme dans la gestion des politiques destinées aux immigrés. Pour cela, il convient d’analyser comment les différents niveaux de pouvoir transposent en pratique les traités internationaux adoptés dans le cadre de l’Union européenne dans les lois nationales et régionales et l’impact qu’ils ont au niveau local, où se concrétise la gestion des droits et obligations des immigrés, selon les possibilités qu’offre la Charte de l’autonomie locale.
Nous partons de la perspective méthodologique de l’« étude de cas ». Pour ce faire, nous avons analysé en profondeur les cas de Séville et de Stuttgart, deux villes choisies parce qu’elles représentent des positions différentes eu égard au type d’immigration qu’elles accueillent et à leur expérience plus ou moins importante de la gestion de l’immigration. Tandis que presque un tiers de la population de Stuttgart est une population immigrée, à Séville, celle-ci représente à peine 10%.
2. CONTEXTE INSTITUTIONNEL
L’égalité des chances dans l’accès effectif aux droits et responsabilités fondamentaux associée au concept de « citoyenneté civique » constitue l’un des principes fondamentaux de la cohésion sociale et de la démocratie, évitant l’apparition de « sociétés parallèles » où les problèmes d’exclusion et de marginalisation peuvent favoriser la naissance de conflits ou de pathologies sociales qui engendrent l’insécurité, comme cela a par exemple été le cas en France lors des troubles survenus au cours de l’automne 2005.
Cette situation constitue un défi pour les responsables chargés des décisions politiques au niveau local, régional, national et européen, qui passe par une redéfinition nécessaire des droits et des responsabilités associés à la « citoyenneté civique glocale » effective4 dans un monde toujours plus interdépendant, où il conviendrait de conjuguer les logiques de sécurité et de marché avec celles de la justice sociale et des droits de l’homme et le respect des Objectifs du Millénaire de l’ONU dans la lutte contre la pauvreté.
Traditionnellement, c’étaient les Etats qui étaient chargés de définir à la fois les politiques économiques et les espaces de sécurité et de justice. Mais les changements écologiques, économiques, sociaux, institutionnels et culturels induits par le modèle de mondialisation ont étendu le champ d’action, en modifiant les applications pratiques au niveau local (« glocalisation ») dans tous les domaines, non seulement pour ce qui est de l’aspect économique, mais aussi pour ce qui touche aux modèles de développement, à la souveraineté territoriale et à la garantie d’accès aux droits fondamentaux individuels et collectifs. Cette situation a donné lieu à de nouvelles formes hybrides de souveraineté entre l’Etat et les niveaux régional et local, ainsi qu’européen et international, en vertu d’accords internationaux conclus avec des organisations comme les Nations Unies, l’Organisation mondiale du commerce, le Fonds monétaire international ou d’autres institutions dans le domaine des relations établies entre l’UE et les pays tiers.Tout cela fait naître dans les modèles de gestion des droits fondamentaux des immigrés en provenance de pays tiers de l’UE une série de contradictions qui engendrent un mal-être : d’une part, au sein de la population autochtone, qui se sent « menacée » par la représentation médiatique de l’immigration comme une « avalanche », bien qu’au niveau individuel, les relations avec les immigrés soient beaucoup plus amicales ; d’autre part, entre les immigrés eux-mêmes, segmentés et divisés politiquement du fait de la réglementation des possibilités d’accès aux droits et responsabilités à partir de leur image en tant que travailleurs-consommateurs, stratifiés selon la demande des marchés du travail ou la distance ethnique par rapport à la population majoritaire.
A l’heure actuelle, bien qu’il existe des différences substantielles d’un territoire à l’autre, les administrations locales sont l’espace privilégié de la gestion des politiques régionales, nationales et internationales, mais leur participation dans la conception et l’attribution des ressources reste marginale. Toutefois, tant au niveau local que régional, il existe des différences notables d’une zone à l’autre quant à la priorité accordée aux politiques destinées à promouvoir l’accès aux droits associés à la définition de la citoyenneté civique effective.
3. STRATIFICATION SELON L'ACCES AUX DROITS FONDAMENTAUX
Dans les villes étudiées se précise un modèle de stratification dans l’accès aux droits fondamentaux des immigrés, qui tire son origine d’un ensemble de normes, dérivées des lois sur la citoyenneté et la sécurité au niveau européen ou national, mais qui est modifié par les stratégies concrètes d’intégration et les ressources disponibles au niveau régional et local, qui définissent différemment les priorités et les visions de l’intégration sociale des immigrés selon leur situation au regard de la loi. Ces ressources locales peuvent être des ressources publiques, ou des ressources privées provenant d’institutions religieuses ou laïques, comme les mouvements ou organisations de citoyens.
Le résultat est extrêmement complexe, mais, élément positif, il pourrait se concrétiser dans une typologie selon la situation juridique des immigrés5 eu égard à la citoyenneté du pays d’accueil ; cette typologie devient complexe, dans la pratique, selon les possibilités que leur offrent les liens et réseaux sociaux auxquels ils ont accès, la disponibilité et la sécurité en matière de salaires, le niveau de compétence dans la connaissance des codes culturels dominants (éducation, institutions, prestations, rituels, organisation, leur intégration étant une tâche politique importante pour le pays, etc.) ou le degré de prestige atteint, que ce soit pour des questions professionnelles, sociales ou de leadership dans la représentation politique de diverse nature.
Il est d’emblée possible de différencier divers groupes en matière d’égalité des chances en fonction de l’écart qui existe par rapport aux conditions de la citoyenneté pleine et entière, ce qui est le premier niveau de discrimination dans l’accès aux droits et responsabilités :
· Citoyens d’un pays membre de l’UE des 15 : ils jouissent formellement des mêmes droits que les citoyens du pays d’accueil, même si en réalité, la distance culturelle joue en faveur des ressortissants nationaux.
· Etrangers qui ont accès à tous les droits formels au moment de l’obtention de la naturalisation en tant que ressortissants du pays d’accueil, après une certaine durée de séjour dans le pays6 ou en cas de mariage avec un ressortissant national ou dans le cas d’enfants d’étrangers nés dans le pays. Dans le cas de l’Allemagne, il existe un groupe particulier qui est celui des citoyens d’« origine allemande » originaires de pays de l’Est. Ces citoyens officiels peuvent rencontrer davantage de difficultés d’intégration que d’autres immigrés n’ayant pas la citoyenneté mais qui vivent depuis plus longtemps dans le pays, en raison des différences culturelles et économiques.
· Ressortissants des nouveaux Etats membres de l’Union européenne : Ils ont un accès aux droits fondamentaux qui dépend de leur situation professionnelle. Ils ne peuvent travailler que dans certaines circonstances, c’est-à-dire que si aucun ressortissant national ou de l’Union européenne à 15 ne veut occuper le poste. Pour le reste, ils sont dans la même situation que les ressortissants de pays tiers, sur lesquels ils ont priorité.
· Ressortissants de pays tiers sans reconnaissance formelle de la citoyenneté :
- Travailleurs immigrés avec contrat de travail : dans le cas de l’Allemagne, cela n’est actuellement possible que pour les personnes hautement qualifiées ou les travailleurs frontaliers. Dans le cas de l’Espagne, il existe en outre un quota annuel, négocié avec les acteurs sociaux, de contrats à la source pour des travailleurs saisonniers non qualifiés. Ces travailleurs sont dans une situation très différente : pour ce qui est des travailleurs hautement qualifiés, ils ont formellement les mêmes droits que les ressortissants nationaux à l’exception du droit de vote politique, même si, en réalité, l’accès à la participation, à un logement, à des soins de santé, etc. reste limité en raison des distances culturelles. Les travailleurs saisonniers ont officiellement des droits découlant de leur condition de travailleur régulier, mais en réalité, ces droits sont très limités, notamment quant aux conditions de travail et de logement.
- Groupes de juifs originaires de Russie : ils sont autorisés à entrer en Allemagne en obtenant le statut de réfugié, bien qu’ils puissent travailler seulement six mois après leur arrivée.
- Réfugiés qui ont obtenu le droit d’asile : ils ont des limitations d’accès au travail et aux prestations sociales découlant de ce statut. En Allemagne, notamment, où ils ne sont pas autorisés à travailler avant la deuxième année de séjour dans le pays, les possibilités de logement, de soins de santé, etc. sont très limitées. En réalité, cela favorise leur passage à l’économie souterraine et leur précarité.
- Personnes qui arrivent en tant que touristes ou étudiants avec l’intention de s’installer et de travailler dans le pays : leurs droits sont limités aux conditions formelles dans lesquelles ils sont entrés dans le pays, ce qui signifie qu’ils doivent travailler au noir s’ils veulent obtenir un salaire. Le développement de liens sociaux et personnels est un élément clé pour pouvoir obtenir un permis de séjour (par exemple, par le mariage ou un emploi officiel qualifié), qui leur ouvre la porte aux autres droits ; sinon, ils doivent rester dans l’économie souterraine.
- Mères étrangères d’enfants nés dans le pays d’accueil : elles peuvent acquérir le droit de séjour et rester dans le pays jusqu’à la majorité de leurs enfants, mais l’accès effectif aux droits dépend fortement des aides sociales limitées qu’elles reçoivent et des difficultés rencontrées pour concilier vie de famille et vie active. Dans le cas de l’Allemagne, elles doivent prouver que le père de leur enfant est allemand, ce qui n’est pas toujours facile. En Espagne, il n’est pas obligatoire que le père soit espagnol.
- Immigrés qui arrivent en contractant un mariage avec une personne de la nationalité du pays d’accueil ou par regroupement familial : les situations sont différentes en Espagne et en Allemagne, notamment dans le cas des adultes ou des épouses, car leurs possibilités d’accéder à un travail sont particulièrement limitées en Allemagne.
- Mineurs étrangers qui arrivent seuls illégalement en Espagne et dont il est impossible de déterminer avec certitude l’origine : leurs droits sont protégés, ils sont placés sous tutelle dans des foyers d’accueil pour mineurs dépendant des pouvoirs publics, même si ces établissements sont gérés par des ONG. Ils peuvent rester jusqu’à leurs 18 ans dans ces foyers, où ils reçoivent une éducation et une formation professionnelle en vue de leur intégration sur le marché du travail.
- Migrants en attente d’une décision sur leur statut de résidence ayant des droits limités : de nombreux migrants se trouvent dans une situation provisoire, dans l’attente de décisions administratives qui régulariseraient leur permis de séjour ou leur situation professionnelle. C’est par exemple le cas des réfugiés et des demandeurs d’asile, qui doivent parfois attendre plusieurs années avant d’obtenir un statut. En Allemagne, ils sont appelés « Geduldete » : ils ont obtenu une « Duldung » ou permis provisoire, qui leur permet de rester dans le pays jusqu’à ce que leur demande soit examinée ou que s’améliore les conditions dans leur pays d’origine, au cas où ils tomberaient sous le coup d’un arrêté d’expulsion. L’accès aux droits de ce groupe est très limité d’un point de vue formel, et ils sont quasiment contraints de travailler sur le marché noir pour survivre, ce qui est très avantageux pour les personnes qui recherchent des services à domicile ou autres services peu qualifiés. C’est pourquoi il n’y a pas d’accès aux prestations sociales lié à l’emploi en Espagne, et, en Allemagne, ils reçoivent seulement une aide insuffisante pour vivre, en fonction de facteurs dépendant des conditions familiales. Parfois, en raison de retards bureaucratiques, ils n’obtiennent même pas de statut provisoire et se retrouvent donc dans une situation de vide juridique qui les rend particulièrement vulnérables.
· Immigrés sans papiers et sans protection sociale ni politique : il existe un consensus généralisé de la part des experts avec lesquels nous nous sommes entretenus pour souligner la criminalisation aveugle dont ces groupes font l’objet, comme s’il s’agissait d’un groupe homogène, les sans-papiers étant souvent confondus avec les trafiquants, les délinquants ou les terroristes. Cela génère les pires situations en matière d’accès aux droits fondamentaux, puisque, comme ils n’ont officiellement pas de permis de séjour, tout leur est plus difficile : ils sont victimes de discrimination, sont exploités par les entreprises et, dans bien des cas, invisibles pour les administrations publiques, sauf s’ils obtiennent de la part des collectivités locales les mêmes droits que ceux accordés aux résidents, à défaut de ceux dont jouissent les citoyens nationaux. Cela leur permet d’avoir accès aux prestations de la collectivité locale. A Stuttgart, il y a donc une tolérance eu égard à l’accès à l’éducation et aux prestations sociales, à l’exception de la santé, qui ne dépend par des pouvoirs locaux. En Andalousie, l’éducation, les services sociaux communautaires et la santé sont des droits universels, et les difficultés se rencontrent surtout, comme en Allemagne, à propos des restrictions d’accès à l’emploi. On peut faire la distinction entre différents groupes de personnes sans permis de séjour :
· ceux qui passent les frontières sans papiers ;
- ceux qui entrent dans le pays avec un visa de touriste pour rendre visite à des amis ou à des membres de leur famille, que ce soit par nécessité ou pour se mettre sous leur protection parce qu’ils ne peuvent pas être admis au titre du regroupement. Une fois leur visa arrivé à échéance, ils restent dans le pays et deviennent des « clandestins » ;
- ceux dont le permis de séjour arrive à échéance à la fin de leur contrat.
- ceux qui sont sous le coup d’un arrêté d’expulsion, non exécuté, après avoir été arrêtés alors qu’ils étaient en situation irrégulière ;
- les « réfugiés non reconnus » qui ne veulent pas rentrer dans leur pays parce qu’ils sont terrorisés ou traumatisés et craignent de rentrer, ou parce qu’ils sont considérés comme des étrangers dans leur propre pays ;
- les femmes victimes de la traite qui arrivent dans le pays avec des faux papiers ou parce qu’elles ont été trompées ;
- les trafiquants ou délinquants qui font du commerce avec les personnes sans papiers. Il existe des réseaux sociaux ou ethniques qui font entrer illégalement des personnes et les exploitent dans le cadre de l’économie souterraine et, parfois, d’activités criminelles.
Les sans-papiers peuvent s’adresser à diverses organisations pour trouver soutien psychologique, refuge, nourriture, formation, etc. : les réseaux sociaux ethniques, les associations liées aux églises et différents types d’ONG, en particulier les organisations d’aide aux exilés qui existent dans différents quartiers et les services de soutien aux immigrés. C’est vers ces organisations que se tournent en premier lieu les personnes totalement démunies.
Après un certain temps, les sans-papiers qui arrivent à Séville peuvent entrer en contact non seulement avec les ONG spécialisées et services d’assistance aux immigrés des syndicats, mais aussi avec les travailleurs sociaux des services publics (santé, services sociaux, éducation, services d’aide aux femmes, etc.) auxquels tout un chacun a droit en Andalousie, indépendamment de son statut juridique. Toutefois, la peur fait que rares sont ceux qui accèdent réellement aux services publics s’ils ne sont pas accompagnés par des membres d’ONG.
A Stuttgart, où le risque d’expulsion et les sanctions sont beaucoup plus sévères, la nouvelle loi autorise l’expulsion de toute personne étrangère pour des questions d’ordre ou de sécurité sans conditions préalables. Dans les cas extrêmes, il y a l’accueil de l’Eglise. Les sans-papiers s’appuient essentiellement sur les réseaux sociaux ethniques, les ONG spécialisées dans des groupes cible spécifiques (par exemple, les femmes victimes de violences) et il existe également un réseau d’accueil et de soutien civil dans le cadre du mouvement « Nobody is illegal». Cependant, selon les experts locaux, une partie des sans-papiers entre également en contact avec les travailleurs sociaux des services publics et des organismes privés.
Malgré cela, la situation d’exploitation et de risque social dans laquelle vivent ces groupes fait qu’il est nécessaire de changer les stratégies politiques utilisées. Cela implique de repenser les catégories de personnes auxquelles s’adressent les politiques d’immigration afin d’éviter toute segmentation ; c’est pourquoi il serait important de chercher à intervenir au niveau territorial en impliquant l’ensemble de la population.
4. ACCES EFFECTIF DES IMMIGRES AUX DROITS FONDAMENTAUX
Nous allons voir d’une manière synthétique quelles sont les possibilités et les limites de l’accès effectif des immigrés aux différents droits fondamentaux à partir des études de cas de Stuttgart et de Séville.
ACCES AU TRAVAIL, A L’EMPLOI ET AUX POLITIQUES SOCIALES
Toutes les institutions de l’UE sont d’accord pour dire que l’emploi est la pierre angulaire de l’intégration. La stratification normative des résidents étrangers trace une forte ligne de partage entre les différents groupes, ce qui conditionne de diverses manières les possibilités d’accès au travail en privilégiant les nationaux à égalité de conditions. La situation la plus difficile est celle des ressortissants de pays tiers sans papiers, des demandeurs d’asile et des réfugiés. Il convient d’y ajouter celle des femmes et des hommes traités comme des esclaves par des réseaux internationaux de traite des êtres humains.
L’accès à l’emploi (officiel) est la porte d’entrée vers les autres droits fondamentaux de l’immigré, étant donné que, dans la pratique politique, il est considéré comme pure « main d’œuvre », très disponible du fait de ses besoins vitaux. Il y a une contradiction fondamentale entre l’hypothèse officielle de l’égalité des chances et la réalité d’exclusion des lois relatives à l’immigration et à l’intégration qui, puisqu’elles érigent des barrières dans l’accès à l’emploi des immigrés, créent paradoxalement une main d’œuvre excédentaire pour le marché du travail précaire et clandestin et limitent l’efficacité des autres politiques d’intégration sociale.
D’un point de vue qualitatif, on peut observer un ensemble de traits caractéristiques du marché du travail auquel accèdent les immigrés à Séville : besoin structurel d’emplois saisonniers ; importance des réseaux informels ; féminisation progressive de l’emploi et migrations saisonnières pour les hommes ; plus grandes stabilité et qualité de l’emploi liée à la durée du séjour ; rôle limité de leurs propres organisations. A Stuttgart, le degré de la féminisation est moindre en raison de la composante ethnique du groupe majoritaire et les possibilités de trouver un travail manuel qualifié sont également plus importantes, bien que précaires.
Outre les barrières juridiques, il existe des barrières sociales, institutionnelles, culturelles et personnelles à l’accès à un emploi de qualité. D’une part, il n’y a pas suffisamment d’informations adaptées et accessibles à ces groupes. D’autre part, des difficultés bureaucratiques et de procédure dans les différentes démarches nécessaires empêchent la majorité des immigrés de sortir du cercle vicieux de la précarité : plusieurs enquêtes montrent que les immigrés ne font pas concurrence aux nationaux, car ils occupent des segments de marchés secondaires ; ils ne créent pas non plus une économie souterraine, puisque celle-ci existe déjà et crée les secteurs de l’emploi qu’occupent les immigrés étant donné qu’ils sont rejetés par les nationaux7 : le taux de chômage des immigrés est beaucoup plus élevé que celui des nationaux, et ils occupent des postes en principe moins qualifiés, dans des conditions plus précaires.
Il existe également une discrimination dans le domaine de l’emploi pour des raisons culturelles, particulièrement à l’égard des femmes. C’est notamment le cas des femmes turques en Allemagne. Le fait de porter le foulard, par exemple, rend l’accès à l’emploi particulièrement difficile. Elles sont donc reléguées à des postes moins qualifiés que les hommes, du fait qu’elles sont davantage prêtes à accepter n’importe quel type d’emploi, en raison du rôle traditionnel de la femme au sein de la famille qui se reproduit dans le travail exercé à l’extérieur de la maison pour faire vivre la famille. Il en résulte donc des situations, comme dans le cas de l’Espagne, où il y a peu de postes disponibles et où les femmes ont davantage de possibilités d’emploi que les hommes : elles assument donc toutes les responsabilités et risquent davantage d’être victimes de conflits et de violences domestiques de la part de leurs conjoints.Il convient d’ajouter à cela un autre type de « travail clandestin » sous couvert d’un « commerce légal » de femmes, qui sont mariées à des hommes qui recherchent des attentions et des services sexuels par l’intermédiaire d’Internet ou d’agences matrimoniales. Ces femmes éprouvent d’énormes difficultés de communication et souffrent de graves problèmes d’isolement qui les empêchent d’acquérir l’autonomie nécessaire pour accéder au marché du travail ; lorsqu’elles cherchent à sortir de cette situation, elles sont souvent victimes de violences. L’exploitation à travers la prostitution8 est également très fréquente.
En dépit des efforts déployés en Espagne pour régulariser la situation de tous les immigrés et de la législation apparemment plus stricte en Allemagne, il existe dans les deux cas un ensemble de facteurs qui favorisent le caractère structurel de leur clandestinité :
· le contraste entre l’ampleur de la demande et l’étroitesse des canaux d’intégration sur le marché du travail ;
· la lenteur bureaucratique de la procédure d’obtention des permis ;
· l’existence d’une culture civique permissive à l’égard de la clandestinité qui affecte tous les groupes de travailleurs ;
· l’existence d’entreprises prêtes à passer outre le cadre légal dans un contexte de grande vigueur de l’économie souterraine9.
Ces pratiques dans le domaine du travail sont en contradiction avec les discours sur l’intégration et la qualification, ce qui les rend d’autant moins « suspectes » quand on voit l’intérêt réel pour le travail clandestin, compte tenu de son volume et de la baisse réelle que cela représente en termes de coût du travail pour les employeurs et pour les régimes sociaux. En pariant sur l’ouverture aux travailleurs hautement qualifiés à l’échelle mondiale tout en offrant de mauvaises conditions de travail aux travailleurs extracommunautaires au niveau local, on est en train de traiter au coût le plus bas une offre de travail mondiale, ce qui génère une segmentation des conditions du marché local avec des conséquences négatives pour ce qui est du principe de l’égalité des chances.
ACCES A L’EDUCATION ET A LA FORMATION PROFESSIONNELLE
L’accès à l’éducation est défini par les instances politiques comme la base pour l’accès à l’emploi et à l’intégration sociale complète. Toutefois, depuis les années 60 déjà, l’expérience a montré que, si l’école ne s’adapte pas aux intérêts et aux besoins des élèves, les taux d’échec scolaire des immigrés continueront d’être plus élevés que ceux des nationaux. Cela suppose également de redéfinir le rôle que joue l’orientation des immigrés à l’école en matière d’emploi : malgré le discours officiel, ils continuent d’être orientés vers des métiers manuels. Cela est choquant par rapport au discours officiel général, particulièrement sur le marché du travail de Stuttgart, où la demande de travail qualifié est beaucoup plus importante. Dans le cas de l’Espagne, les immigrés sont en moyenne plus qualifiés que les ressortissants nationaux ; toutefois, ils sont généralement sous-employés.
Le pari sur l’éducation est repris dans le discours officiel qui admet le besoin de personnes hautement qualifiées. Mais comme l’ont fait remarquer plusieurs personnes lors des entretiens, il n’est plus nécessaire aujourd’hui de maintenir les compétences de la main d'oeuvre en raison du processus de délocalisation industrielle et de restructuration des entreprises, et de la disponibilité d’un marché international de travailleurs hautement qualifiés pour les employeurs. Cela remet également en question la capacité actuelle du marché à absorber, dans des conditions égales à celles applicables aux citoyens allemands, les immigrés récemment formés qui ont une qualification élevée, étant donné que les réseaux sociaux et personnels continuent à peser un poids important dans les recrutements. Cette incertitude entraîne un mal-être et relance le débat sur l’éducation compte tenu des résultats du rapport PISA de l’OCDE, selon lequel de nombreux parents issus de la classe moyenne préfèrent séparer leurs enfants de ceux des immigrés, considérant ces derniers comme un facteur de risque ; ils font le pari des écoles privées, dans lesquelles renaissent un sentiment nationaliste et, dans une certaine mesure, élitiste.
L’apprentissage de la langue et des codes culturels continue d’être fondamental10, mais pas suffisant : il faut renforcer l’estime de soi en valorisant sa propre culture d’origine pour réussir l’intégration sociale à l’école et dans les quartiers. C’est là un point important11 qui n’est pas suffisamment respecté, puisqu’il est laissé à l’initiative privée des communautés d’origine.
A Stuttgart et à Séville, les enfants des immigrés et des réfugiés vont dans les jardins d’enfants et à l’école, ils vivent dans les quartiers et participent aux différentes activités menées dans ces quartiers, etc. Il existe une demande de garderies publiques adaptées aux horaires des parents qui travaillent. Il y a normalement une certaine permissivité au niveau local pour que les enfants des demandeurs d’asile et des sans-papiers puissent aller à l’école. Le risque est que si quelqu’un les dénonce, leur famille risque d’avoir des problèmes et d’être expulsée. A Stuttgart, le niveau de formation des jeunes étrangers est nettement plus bas que celui des jeunes Allemands. La différence est encore plus grande pour ce qui est de l’enseignement élémentaire. A Séville, la formation des immigrés adultes dans les quartiers est en moyenne plus élevée que celle des autochtones, mais pour ce qui est de l’instruction élémentaire, c’est l’inverse.
La reconnaissance des diplômes est l’un des principaux problèmes pour les étudiants étrangers. Cela pose généralement moins de problèmes dans le cas des carrières techniques que dans le domaine social.
ACCÈS AU LOGEMENT
D’après les entretiens, l’accès au logement est l’un des principaux problèmes des immigrés : à l’énorme spéculation à laquelle sont soumis les logements publics dans les grandes villes et à la rareté des logements sociaux vient s’ajouter la discrimination des immigrés dans l’accès au marché privé, qui se traduit par le fait que ceux-ci doivent payer davantage que les autochtones. La situation est assez similaire dans les deux villes étudiées.
En règle générale, à leur arrivée, les immigrés s’installent dans les zones urbaines défavorisées, qui sont les moins chères. Dans l’accès au logement, il est fréquent qu’interviennent des intermédiaires de la même communauté ethnique qui ont gagné la confiance du propriétaire. Il semblerait que les appartements en location soient difficiles à obtenir pour les groupes d’immigrés ayant de faibles ressources ou appartenant à des cultures non européennes. Dans ce contexte, il est fréquent qu’un immigré loue un appartement assez grand pour sous-louer des pièces.
Les immigrés qui arrivent seuls partagent d'habitude leur logement avec d’autres immigrés, généralement de la même origine ethnique. S’ils viennent avec leur famille, il est habituel que toute la famille cohabite sous le même toit. Les problèmes d’entassement (« syndrome du lit chaud », qui désigne le fait de dormir à tour de rôle dans le même lit) et de sous-location sont fréquents.
En Stuttgart s’est développée une politique du logement en faveur de l’hébergement décentralisé des réfugiés qui a facilité une meilleure relation entre les familles de réfugiés et les familles locales, ce qui évite les affrontements comme ceux qui se sont produits dans d’autres villes. Le fait d’avoir des appartements décentralisés empêche la création de ghettos et permet l’articulation dans les quartiers de la vie communautaire. Les dimensions des logements ne sont malheureusement pas toujours en rapport avec le nombre de personnes qui composent les familles. Bien que le nombre de réfugiés ne cesse de diminuer ces derniers temps, il semblerait que le modèle de logements décentralisés à Stuttgart soit poursuivi, mais avec une réadaptation des ressources.
L’accueil de sans-papiers au domicile personnel d’un citoyen n’est pas illégal dans la mesure où il peut être considéré comme une aide pour des raisons éthiques. La plateforme informelle de soutien aux sans-papiers en Allemagne les incite à revendiquer une forme « d’asile citoyen », parallèlement à l’asile des Eglises.
A Séville, les réfugiés et les demandeurs d’asile sont beaucoup moins nombreux qu’à Stuttgart. Ils sont acceptés ou expulsés dans les trois jours : ceux qui restent se voient délivrer par la police une carte provisoire, ils sont logés, nourris, blanchis et leurs enfants ont accès à l’éducation. La mairie de Séville a des appartements et des places en foyer et dans des hôtels, conformément aux accords internationaux sur les réfugiés. Ceux qui résident à l’hôtel ou en foyer reçoivent leur aide en espèces.
ACCÈS AUX SOINS DE SANTÉ ET AUX SERVICES SOCIAUX
A Stuttgart, la perception interculturelle de la ville se reflète dans l’adaptation interculturelle du système de santé, avec notamment la possibilité pour les immigrés, surtout les personnes âgées, d’utiliser leur langue maternelle (plan d’intégration), bien que tous ne puissent bénéficier de cette mesure. A Séville, le plan d’intégration prévoit un accompagnement des immigrés par des médiateurs issus de leur culture dans le système hospitalier. Dans les deux cas, cependant, ces dispositions sont insuffisantes pour garantir une bonne communication. Dans les deux villes, l’accès aux services sociaux dépendant de la municipalité et aux prestations sociales associées est libre et décentralisé.
On relève entre les deux villes une différence notable. En Andalousie, en effet, l’accès universel au système public de santé est garanti ; même les sans-papiers reçoivent une carte personnelle de santé. Le gouvernement régional dirige la mise en œuvre d’un plan de santé provincial qui vise à lutter contre les inégalités et dans lequel les immigrés sont désignés comme l’un des groupes cibles les plus vulnérables. Il existe un réseau d’unités qui travaillent en collaboration et sont présentées aux usagers dans un guide disponible auprès des ONG chargées de l’information et du conseil aux immigrés ainsi que de questions de santé concrètes comme la prostitution ou le sida. Tous les immigrés considèrent que le système de santé est de grande qualité en Andalousie.
En Allemagne, l’accès est limité aux titulaires d’un permis de séjour. Il existe une discrimination économique qui se transfère au domaine de la santé. Ainsi, les Geduldete, qui ne peuvent accéder au système public de santé qu’en cas d’extrême urgence, doivent recourir à des soins médicaux privés. Les sans-papiers sont dans la même situation, avec le risque d’être dénoncés par le médecin. Ils doivent également payer les frais d’accouchement ou de maladie ; ils ne perçoivent aucune prestation économique en cas d’arrêt de travail et leur seul soutien est la famille, s’ils en ont une.
En Allemagne, une personne atteinte d’une maladie grave ou une femme enceinte peut être contrainte de rentrer dans son pays ou se voir frapper d’expulsion. Les services sociaux communaux ont pris un pari important en inscrivant dans le plan local d’intégration l’assistance à toutes les personnes, quel que soit leur statut administratif. Cependant, les institutions chargées des soins de santé ne dépendent pas de la municipalité. Bien qu’elles disposent de ressources financières pour les situations difficiles, les sans-papiers courent le risque, en s’adressant à elles, de voir révélée leur situation irrégulière.
Cette insécurité permanente et cette instabilité sont souvent à l’origine de problèmes de santé mentale : c’est particulièrement le cas chez les réfugiés, les demandeurs d’asile et les femmes victimes de violence ou souffrant du rôle culturel qu’on leur assigne.
En fait, les immigrés consultent un médecin uniquement quand leur état les empêche de travailler. La précarité de l’emploi et l’insécurité vis-à-vis du risque de maladie sont telles que les immigrés ont, dans la pratique, un accès limité aux soins de santé.
ACCÈS À LA PARTICIPATION CITOYENNE
Les différences mises en évidence par les études de cas résident principalement dans l’institutionnalisation de la participation citoyenne des immigrés. Stuttgart, où existe une tradition d’immigration depuis la deuxième moitié du XXe siècle, a finalement assumé son multiculturalisme, les autorités locales créant des espaces spécifiques de participation et un cadre formel visant à l’intégration (« pacte d’intégration » mis en place en 2001), qui associe divers acteurs publics et privés fortement impliqués dans l’intégration des immigrés et regroupés en réseaux. Ce pacte est novateur dans le sens où, dans un contexte régional très conservateur et restrictif, il aborde les droits d’accès des immigrés aux services en considérant ces derniers comme des résidents locaux, qu’ils possèdent ou non des papiers en règle. En outre, les étrangers sont représentés au niveau local au travers de la commission internationale. Cet organe consultatif du conseil municipal se compose de représentants des principales communautés d’immigrés et d’experts élus par l’assemblée locale, qui s’occupent de questions concernant la sécurité, l’urbanisme, l’emploi, les affaires sociales et les langues.
A Séville, il n’y a pas eu jusqu’à présent de la part des autorités locales d’intervention spécifique concernant l’immigration, mais la région et la ville consacrent des ressources aux quartiers où réside une forte proportion d’immigrés. Ces derniers fréquentent par exemple beaucoup les centres civiques municipaux, qui sont pour eux des lieux de rencontre et de célébration d’événements culturels, ainsi que les espaces sportifs et de loisirs de la ville.
Sur le plan politique, Séville a lancé un projet de « budget participatif », selon lequel les habitants participent aux décisions concernant les investissements à réaliser dans leur quartier en matière d’infrastructures et d’offre culturelle. Des votes, auxquels tous les immigrés peuvent participer, sont organisés dans chaque quartier. Jusqu’à présent, toutefois, le taux effectif de participation des immigrés a été assez faible.
CONCLUSIONS
Rôle des pouvoirs locaux et régionaux dans la coordination verticale
· Les accords internationaux entre pays d’origine et pays d’accueil, si l’on tient compte non seulement de la dimension économique mais aussi des dimensions écologique, sociale et politique des individus et des Etats, peuvent contribuer à améliorer les conditions de vie des populations partout dans le monde, sachant que leur « sécurité » à moyen terme dans les pays d’accueil dépend également et plus que jamais de la « sécurité » dans les pays d’émigration12.
· L’égalité des chances dans l’accès effectif aux droits et responsabilités fondamentaux associés au concept de « citoyenneté civique » est l’un des principes de base de la cohésion sociale et de la démocratie et permet d'éviter le développement de « sociétés parallèles ».
· Les villes multiculturelles jouent un rôle important dans la promotion de la citoyenneté civique en créant des liens verticaux et horizontaux. C’est le cas de Stuttgart qui, assumant sa vocation de « cité internationale », a élaboré, avec la participation des immigrés, des politiques d’intégration instituant notamment différents organes internationaux consacrés à l’intégration et à la lutte contre la pauvreté. Grâce à ces mesures, la délinquance et les conflits ethniques se maintiennent à des niveaux très faibles.
· Dans la pratique, on observe un accès progressif des immigrés aux droits fondamentaux, même en l’absence de référence explicite au concept de « citoyenneté civique ». Cependant, l’acquisition progressive de droits dans le pays d’accueil jusqu’à l’obtention de la pleine citoyenneté « glocale » exigerait la mise en place d’un processus « d’adaptation » qui n’impliquerait pas nécessairement la perte des droits de citoyenneté dans le pays d’origine, afin que la personne qui réside depuis un certain temps sur le territoire ne reste pas « éternellement » un migrant.
· L’échelon local constitue dans la pratique un espace résiduel, puisqu’il faut appliquer à ce niveau les politiques régionales, nationales et internationales élaborées par les autorités et les différents acteurs économiques et politiques.
· Dans le contexte de la glocalisation, les autorités locales et supranationales acquièrent un rôle nouveau qui ne correspond pas à l’actuelle répartition du contrôle des ressources entre les différentes administrations. Cela nuit à l’utilisation rationnelle et à la coordination des moyens mis en œuvre ainsi qu’à l’efficacité des politiques, du niveau européen jusqu’à l’échelon local.
· Le gouvernement régional joue un important rôle de médiateur entre les niveaux national et local. Le plan intégral pour l’immigration en Andalousie (2001-2004), bien qu’il ne délimite pas suffisamment l’espace d’intervention autonome au niveau local, peut être considéré comme un bon exemple de coordination des politiques au niveau régional, car il se fonde sur la reconnaissance de l’immigré en tant que personne et pas seulement en tant que travailleur.
Immigrés et politiques d’intégration
· La structure de l’information au niveau local dans les grandes villes n’est pas adaptée à la gestion de la réalité socio-économique et culturelle de la population, car elle n’est généralement qu’une simple réplique des dispositifs nationaux : les connaissances sur les conditions de vie et de travail de la population locale, y compris des immigrés, sont extrêmement lacunaires, d’où une superposition de politiques et de moyens répondant à des logiques qui apparaissent souvent contradictoires.
· Des stratégies visant à assurer une coordination territoriale et sectorielle des politiques et des moyens au niveau local, élaborées avec la participation des immigrés, permet d’améliorer leurs possibilités d’accès aux droits fondamentaux.
· Les nouvelles lois sur l’immigration reconnaissent la nécessité d’accueillir des migrants, mais elles le font dans une perspective « défensive », en instaurant une structure législative destinée à contrôler et à intégrer les immigrés en situation régulière (l’immigré étant considéré essentiellement comme une ressource humaine, un consommateur ou une victime) sans envisager la dimension glocale de la question migratoire autrement qu’à travers des accords bilatéraux entre les pays d’accueil et les pays d’origine conclus avec l’appui de l’UE.
· Par suite des changements intervenus récemment dans les législations en matière d’immigration et d’asile, le nombre de personnes en situation irrégulière et de demandeurs d’asile déboutés s’est accru, ce qui risque de compromettre tout le système d’accueil et d’intégration au niveau local dans les villes où existe une tradition d’immigration. Les processus législatifs ont permis de rendre plus visibles les problèmes des travailleurs immigrés et d’améliorer leur accès aux droits, mais au détriment des personnes qui ne peuvent justifier d’un emploi.
· On tend souvent à considérer tous les immigrés en situation irrégulière comme des délinquants, sans voir qu’il s’agit en réalité d’une population hétérogène. Cette énorme masse de population aux contours imprécis n’apparaît pas dans les statistiques et est exposée à toutes formes d’abus et d’exploitation en violation des droits les plus élémentaires.
· L’idée que la société locale autochtone serait une société homogène est génératrice de fausses identités.
· La modernisation de l’administration et la participation des ONG à la gestion suscitent de nouveaux débats sur la nécessité d’assurer un suivi et une évaluation des objectifs concrets des politiques, afin d’éviter que les ressources ne soient utilisées pour maintenir les structures sans chercher à accroître les moyens de se prendre en charge dont disposent les immigrés qu’elles sont censées aider.
· Les systèmes d’évaluation se référant à la notion de « bonnes pratiques » qui ne tiennent pas compte du contexte concret ni du point de vue des acteurs concernés ne sont généralement plus, au bout d’un certain temps, que de simples prétextes pour distribuer les ressources selon des critères de plus en plus bureaucratiques.
Femmes immigrées et droits fondamentaux
· Les femmes immigrées rencontrent généralement des difficultés particulières pour accéder à leurs droits fondamentaux car, en plus des obstacles auxquels sont confrontés tous les migrants, elles doivent faire face à ceux liés à la condition féminine dans leurs communautés d’origine et d’accueil et, dans bien des cas, à des formes subtiles d’exploitation économique et sexuelle de la part des autochtones.
· La discrimination à l’égard des femmes débouche sur l’exploitation sexuelle de nombreuses femmes dépourvues de protection sociale : à Stuttgart, les deux tiers des prostituées sont des immigrées.
Accès effectif des immigrés aux droits fondamentaux
· En raison des contradictions du modèle de développement, les immigrés sont tributaires des employeurs pour ce qui est de leurs possibilités légales de mobilité et d’accès aux ressources ; dans ce cadre juridique, fondé sur une situation d’inégalité de fait, les autorités locales et régionales ont le plus grand mal à garantir effectivement aux immigrés leurs droits fondamentaux.
· Pour gérer les droits fondamentaux, il est plus efficace de partir des différentes situations structurelles et des attentes des immigrés que de s’appuyer sur des analyses descriptives ou des visions multiculturalistes.
· Par suite des insuffisances du modèle de gestion, le contrôle des immigrés en situation irrégulière pose une sérieuse difficulté que l’on ne peut résoudre en traitant l’ensemble de ces personnes comme des délinquants ; il s’en trouve en effet parmi elles qui sont réellement dans la nécessité du fait de la pauvreté de leur pays d’origine ou des risques qu’elles y courent, sans pouvoir en apporter la preuve.
· Le mécontentement des classes moyennes et populaires est principalement dirigé contre les minorités culturellement les plus éloignées, l’intolérance et la xénophobie se répandant à mesure que les difficultés sociales s’accroissent.
· Dans la pratique, le modèle d’intégration interculturel suppose une assimilation par la culture majoritaire, accentuée par le renouveau nationaliste suscité par les incertitudes de la glocalisation, qui se manifeste essentiellement dans l’apprentissage imposé de la langue du pays d’accueil et l’absence de mise en valeur de la culture d’origine ou des compétences interculturelles.
· Dans l’ensemble, les agents des administrations locales et les policiers municipaux ne sont pas suffisamment qualifiés pour travailler dans un contexte de diversité.
Accès au travail, à l’emploi et aux politiques sociales
· Les différents statuts juridiques des immigrés déterminent une forte stratification qui conditionne dans une large mesure leurs possibilités d’accès aux divers droits fondamentaux et services de base. La situation la plus difficile est celle des ressortissants de pays non-membres de l’UE, des réfugiés, des demandeurs d’asile, des Geduldete13 et surtout des sans-papiers. Cet état de fait est à l’origine de stratégies économiques perverses et fortement susceptibles d’engendrer des conflits (développement d’économies souterraines et exploitation).
· Lorsque les immigrés ont un permis de séjour, leur situation varie selon l’activité du marché de l’emploi dans le pays d’accueil : les immigrés sont le groupe qui, à Stuttgart, présente les taux de chômage les plus importants et, à Séville, les taux de précarité les plus élevés.
· L’existence de groupes ethniques et nationaux favorise le développement de réseaux informels jouant un rôle de mise en relation et de soutien qui s’avèrent plus efficaces pour procurer des emplois que les structures institutionnelles. Cette situation entraîne une concentration de ces groupes dans certains quartiers.
· Certains groupes ethniques soutiennent économiquement la création de microentreprises dans le pays d’accueil ou d’origine.
· A Stuttgart, un nombre important d’immigrés sont exposés à un risque d’exclusion lorsque l’entreprise qu’ils ont créée fait faillite et qu’ils se retrouvent fortement endettés. Des ONG comme Caritas apportent à ces personnes une aide psychologique et des conseils.
· D’importantes barrières sociales, institutionnelles, culturelles et personnelles empêchent la majorité des immigrés d’accéder à un emploi de qualité et, partant, à d’autres droits : ils sont mal informés et n’ont pas la possibilité de suivre une formation adaptée, il leur est très difficile d’obtenir un permis de travail, les différences culturelles gênent la communication et favorisent l’isolement.
· Dans les villes, il existe toute une économie souterraine qui prospère aux dépens de la population la plus vulnérable, composée en grande partie d’immigrés, et plus particulièrement d’immigrés en situation irrégulière.
Accès à l’éducation et à la formation professionnelle
· En Europe, on observe au niveau local une certaine indulgence pour les enfants de demandeurs d’asile ou de sans-papiers en ce qui concerne l’accès au système éducatif bien que cet accès, s’il n’est pas ouvert à tous au niveau national ou régional, dépende du bon vouloir des agents compétents.
· Les femmes qui appartiennent à des communautés ethniques fermées ont plus de mal à accéder à l’éducation que les hommes, ce qui nuit à leur intégration sociale.
· Le taux d’échec scolaire parmi les enfants d’immigrés est double de celui des enfants autochtones. Les problèmes mis en évidence par l’enquête PISA dans les systèmes éducatifs sont liés à un manque de ressources dans le cas espagnol et à un manque de flexibilité dans le cas allemand.
· Dans les villes où existe une demande de main d’œuvre spécialisée, comme à Stuttgart, le discours officiel insiste sur les besoins en travailleurs hautement qualifiés ; toutefois, les expériences réalisées avec des immigrés remettent en question la capacité du marché à absorber, dans les mêmes conditions que celles offertes aux citoyens allemands, les immigrés déjà installés et ayant suivi récemment une formation qualifiante.
· D’une manière générale, on met peu l’accent, dans le système éducatif, sur le renforcement de l’autonomie dans un contexte de changement et sur le développement des compétences multiculturelles pour le marché européen.
· Pour les immigrés issus de pays non-membres de l’UE, la reconnaissance des diplômes et le caractère arbitraire des critères appliqués selon le pays d’origine constituent un problème majeur.
· Dans la plupart des villes européennes, la diversité culturelle rend nécessaire une formation des professionnels de l’éducation et des services au respect des cultures minoritaires et à l’intérêt de l’interculturalité, faisant apparaître la gestion interculturelle comme une compétence indispensable dans les systèmes économique et éducatif à tous les niveaux.
Accès aux soins de santé
· L’universalisation des services socio-sanitaires évite dans une large mesure les problèmes de discrimination et d’exclusion sociale, mais elle exige aussi une politique d’interculturalité dans la gestion des services afin de faciliter la communication avec les immigrés qui ne connaissent pas suffisamment la langue et les usages institutionnels du pays d’accueil.
· En Allemagne, on observe une discrimination à l’égard des personnes les plus vulnérables socialement et économiquement, puisque seules celles qui sont en situation régulière peuvent accéder aux services publics de santé. Il existe des différences considérables selon le statut juridique de l’immigré : les Geduldete, en effet, n’ont accès aux soins de santé que par le biais du secteur privé ; quant aux clandestins, outre qu’ils doivent prendre en charge les coûts médicaux, ils courent le risque d’être dénoncés et expulsés du pays.
· A Stuttgart, les immigrés qui sont en situation régulière et qui cotisent ont la possibilité d’utiliser leur langue maternelle, notamment les personnes âgées.
· La prise en charge sanitaire des immigrés devrait être envisagée dans une perspective globale de santé publique tenant compte des pressions auxquelles ils sont soumis.
· Si l’on ne s’en préoccupe pas, les problèmes d’anxiété et de santé mentale provoqués par la précarité ou le risque d’expulsion peuvent conduire à une marginalisation sociale.
· Le soin des enfants n’est pas abordé dans un souci d’égalité entre les sexes, ce qui pose des problèmes dans les sociétés à forte base familiale lorsque aucun autre membre de la famille n’est disponible pour s’en charger.
Accès au logement
· Les immigrés sont particulièrement exposés au manque de logement ou de logement convenable.
· Les immigrés de fraîche date et les travailleurs saisonniers vivent très souvent dans des logements surpeuplés.
· L’accès au logement est l’un des principaux problèmes rencontrés par les immigrés. Lorsqu’ils veulent louer un appartement, ils se heurtent à plusieurs obstacles : loyers élevés, conditions difficiles à remplir et, bien souvent, préjugés culturels.
· Par suite de la discrimination sur le marché du logement, les immigrés se concentrent dans des quartiers dégradés qui ont toutes chances de devenir des ghettos.
· Le manque de transparence dans le fonctionnement du marché du logement favorise le développement de réseaux ethniques informels de plus en plus puissants qui organisent l’accès au logement des immigrants à leur arrivée, notamment s’ils sont en situation irrégulière.
Accès à la participation citoyenne
· Là où les immigrés ont le droit de voter aux élections locales, leur taux de participation reste assez faible : en effet, ils s’intéressent généralement davantage aux élections qui se déroulent dans leur propre pays.
· La population autochtone et les immigrés, de même que les différents groupes ethniques et nationaux d’immigrés, ont peu d’occasions de se côtoyer.
· Les conflits ethniques qui sévissent dans les lieux d’origine tendent à se reproduire dans les villes d’accueil, créant des clivages dans les espaces de représentation et de participation.
· Les immigrés sont sceptiques quant à l’impact que peut réellement avoir leur participation et ils manquent d’informations à cet égard.
· Bien souvent, les formes de représentation politique à travers le tissu social des immigrés organisés ne correspondent pas aux intérêts de la communauté.
· Lorsque des espaces de participation sont ouverts aux immigrés, il est rarement tenu compte, dans l’organisation des manifestations, des contraintes liées à leurs horaires de travail et à leurs charges familiales.
RECOMMANDATIONS
Rôle des pouvoirs locaux et régionaux dans la coordination verticale
Ø Les pouvoirs locaux et régionaux devraient prendre la responsabilité politique de défendre les droits et les responsabilités attachés à une « citoyenneté civique glocale effective » afin de préserver la démocratie dans un monde toujours plus interdépendant, en conjuguant les logiques de sécurité et de justice sociale de manière à s’attaquer aux causes profondes de la nouvelle immigration et à contribuer à la réalisation des objectifs du Millénaire formulés par l’ONU.
Ø Il convient de promouvoir une citoyenneté multilatérale glocale qui concilie les droits et les responsabilités attachés, d’une part, au territoire où vit l’immigré et, d’autre part, à celui avec lequel il a des liens sociaux, culturels et politiques : les accords internationaux sont à cet égard un instrument approprié.
Ø Les pouvoirs locaux et régionaux devraient reconnaître les droits et les responsabilités des immigrés en tant qu’habitants d’une localité / d’une région / d’un Etat / d’une unité supranationale / du pays d’origine, en mettant en œuvre des stratégies de réseaux avec d’autres autorités soucieuses de respecter le principe d’égalité et d’éviter les pathologies sociales : une citoyenneté glocale.
Ø Il serait bon de définir clairement l’articulation entre la Charte de l’autonomie locale, le principe de subsidiarité et les compétences des autorités supralocales, pour lever l’ambiguïté quant à la question de savoir si les droits qui prévalent sont ceux de l’immigré en tant que résident et citoyen glocal ou en tant que citoyen d’un Etat déterminé.
Ø Il importe que les différentes institutions et administrations publiques reconnaissent l’existence d’énormes masses d’immigrés en situation irrégulière et la nécessité de garantir leurs droits fondamentaux en tant que personnes, et non pas en tant que travailleurs, consommateurs ou marchandises, et qu’elles agissent en conséquence afin d’éviter une décomposition sociale.
Ø Les pouvoirs locaux et régionaux devraient encourager les accords avec les villes et les régions d’origine des immigrés, car il a été démontré que ceux-ci favorisaient la mobilité et le retour au pays des immigrés qui le souhaitent à condition de faire en sorte que ce retour représente une valeur ajoutée à la fois pour le pays d’accueil et le pays de retour.
Ø Une concertation devrait avoir lieu du niveau local au niveau européen pour redéfinir le rôle des diverses administrations chargées de l’organisation et de la gestion des politiques en matière de cohésion économique et sociale, de sécurité et de justice qui ont une incidence sur les politiques d’immigration et les politiques locales.
Ø Il est nécessaire de définir clairement les compétences des différentes autorités et les circuits de communication entre celles-ci afin que ces compétences puissent être exercées de manière coordonnée et la plus efficace possible, du niveau européen au niveau local.
Ø Les pouvoirs locaux devraient, à leur niveau, agir dans ce sens au moyen de plans de coordination des politiques d’immigration à l’échelon local.
Ø Il faudrait consacrer davantage de moyens à l’intégration sociale : des études européennes ont en effet montré qu’à moyen terme il était économiquement et socialement rentable pour la collectivité d’investir dans des politiques en faveur de l’égalité.
Immigrés et politiques d’intégration
Ø L’immigration est un phénomène complexe qui ne doit pas être traité uniquement sous l’angle de la sécurité et du contrôle.
Ø Les mesures visant à favoriser l’intégration et les moyens associés devraient expressément figurer parmi les priorités politiques, car ils permettent de promouvoir l’égalité des chances et la cohésion sociale, c’est-à-dire des sociétés fondées sur les valeurs démocratiques.
Ø Il faudrait améliorer les moyens de collecte et d’analyse d’informations sur la réalité socio-économique axées sur les résidents glocaux en tant que sujets politiques, afin de promouvoir l’accès aux droits fondamentaux sans créer de conflits et de favoriser une bonne gouvernance.
Ø Il est nécessaire de déterminer des groupes cibles dans une perspective de structuration (possibilités d’accès à un emploi de qualité, à l’éducation, au logement, aux soins de santé, etc. et attentes selon les origines de chacun, y compris ses schémas de pensée et sa vision du monde) et non de description (par groupe ethnique, nationalité, etc.) pour ne pas favoriser la division au détriment de la coopération.
Ø Il importe d’établir des liens entre les territoires et entre les divers acteurs dans le cadre de partenariats locaux assurant une gestion des politiques, y compris un suivi et une évaluation, et permettant de développer les compétences.
Ø L’acquisition de compétences spécialisées devrait être encouragée par des conventions avec les universités.
Ø Les pouvoirs locaux et régionaux devraient exiger des médias une plus grande rigueur dans l’information sur les questions relatives à l’immigration et veiller à ce qu’ils appliquent la législation anti-discrimination.
Femmes immigrées et droits fondamentaux
Ø Il convient de mettre en œuvre des politiques transversales efficaces en faveur de l’égalité et de la non-discrimination pour tous.
Ø Il est très important d’encourager la participation active des femmes immigrées à la vie de la société d’accueil dans tous les domaines, y compris la politique, les activités socio-culturelles, l’éducation, la formation et le marché du travail.
Ø Il faudrait renforcer l’infrastructure sociale pour promouvoir des politiques d’égalité entre les hommes et les femmes qui articulent les sphères publique et privée et soient fondées sur une logique de valorisation du travail non marchand.
Ø Il est nécessaire d’apporter davantage de soutien aux femmes immigrées mariées à des autochtones afin de prévenir l’isolement, l’exploitation domestique et la violence.
Ø Le multiculturalisme et le respect des différences culturelles ne devraient pas servir à perpétuer ou justifier des abus ou des violations des droits fondamentaux.
Ø La lutte contre les réseaux de prostitution donnant lieu à l’exploitation et à la violence doit être intensifiée.
Ø Il faudrait analyser plus finement le secteur de la prostitution en cessant de le considérer comme un secteur homogène, afin de lutter plus efficacement contre l’esclavage et la traite de personnes.
Accès effectif des immigrés aux droits fondamentaux
Ø Il faut redoubler d’efforts pour adopter et faire effectivement appliquer des dispositions législatives visant à lutter contre la discrimination pour des motifs ethniques ou raciaux.
Ø Les politiques d’intégration et d’accès aux droits fondamentaux doivent avoir pour objectifs l’autonomisation des immigrés et l’amélioration de leur situation sociale.
Ø Les administrations publiques devraient mettre en œuvre des plans de coordination des politiques et des ressources établis en concertation avec la majorité des groupes politiques et pour une durée dépassant les échéances électorales, afin d’en éviter les incertitudes.
Ø Il importe d’utiliser de manière flexible les moyens disponibles, qu’ils proviennent d’entités publiques, d’entités privées ou de la société civile, en favorisant des formes de communication qui engendrent une culture de la diversité au sein des organisations concernées.
Ø La création, avec la participation des acteurs publics et privés au niveau du quartier, d’organisations structurées en réseaux propres à développer les compétences, pour identifier et hiérarchiser les besoins et créer un climat et une culture de tolérance permettant une autorégulation des conflits, est un moyen efficace de mettre en œuvre les politiques en faveur de l’intégration et de l’accès aux droits fondamentaux des immigrés.
Ø Il convient de promouvoir des politiques et des stratégies qui n’encouragent pas la concurrence entre les citoyens vulnérables et les immigrés, mais offrent des espaces communs d’éducation, de travail et d’activités de loisirs interculturelles.
Ø Il faut améliorer la communication entre les habitants des quartiers et dans les médias, et davantage associer la population aux politiques locales. A cet effet, des instruments adaptés à la diversité socio-économique et culturelle, s’appuyant sur les TIC, sont indispensables.
Accès au travail, à l’emploi et aux politiques sociales
Ø Il faudrait favoriser des politiques d’intégration socioprofessionnelle offrant un appui public approprié aux habitants en difficulté d’un quartier – hommes et femmes, immigrés et autochtones – pour permettre à tous d’acquérir les compétences nécessaires et d’avoir un revenu suffisant pour être autonomes socialement et économiquement.
Ø Il convient de prendre des mesures pour faciliter l’accès au travail et à l’emploi dans des conditions d’égalité des chances, en évitant la discrimination, l’exploitation et les conditions de travail abusives.
Ø La formation de spécialistes et de médiateurs interculturels sur le terrain facilite l’accès à un emploi de qualité et la reconnaissance des droits des travailleurs immigrés.
Ø Des services d’orientation et de conseil personnalisés, avec des horaires d’ouverture adaptés, sont nécessaires pour aider les immigrés à surmonter les obstacles à leur intégration socio-professionnelle.
Ø Il faudrait encourager la formation pré-professionnelle, qui constitue un moyen efficace de se familiariser avec la culture de travail locale, et créer des possibilités de formation continue avec des horaires commodes pour les immigrés.
Ø Des bases de données et des bourses à l’emploi protégé devraient être mises en place pour les immigrés en situation de grave vulnérabilité sociale.
Ø Il faudrait apporter conseils et soutien aux entreprises pour éviter qu’elles ne s’endettent exagérément ou fassent faillite.
Ø Il convient de promouvoir l’économie sociale.
Accès à l’éducation et à la formation professionnelle
Ø Il faudrait promouvoir des centres de soutien scolaire en dehors des heures de classe.
Ø Il est important d’apporter un soutien à des bénévoles convenablement formés, car cela permet des échanges interculturels enrichissants.
Ø Il faudrait inciter les conseils d’établissement scolaire à acquérir les compétences nécessaires pour éduquer dans la diversité et reconnaître la valeur des cultures d’origine des immigrés.
Ø Avec la participation des parents d’élèves, il serait bon de revaloriser leurs compétences culturelles en favorisant l’acquisition de compétences culturelles glocales parmi les membres du conseil d’établissement et les habitants du quartier.
Ø Il convient de mettre en place des mécanismes flexibles d’apprentissage, notamment linguistique, pour la population immigrée.
Ø Il faudrait développer les possibilités d’apprentissage des langues d’origine de la population immigrée et d’acquisition de compétences interculturelles en sensibilisant au fait qu’elles sont des atouts pour la société d’accueil : il n’est pas bon que la langue soit présentée comme une condition imposée de l’assimilation, au détriment des immigrés.
Ø Les pays européens devraient appliquer des critères communs concernant la validation des diplômes des immigrés issus de pays non-membres de l’UE, en évitant les procédures bureaucratiques longues et coûteuses.
Ø Il faudrait mettre en place des foyers d’accueil pour enfants et adultes, proposant des programmes éducatifs interculturels et intégrés spécifiques.
Ø Un nouveau profil professionnel européen pour le conseil aux immigrés et la gestion locale des politiques devrait être mis en place.
Accès aux soins de santé
Ø Il faudrait ouvrir l’accès aux soins de santé à tous les immigrés qui en ont besoin pour éviter les risques qui peuvent découler d’un retard dans la prise en charge ou de la peur d’être dénoncé et expulsé, notamment en cas de maladie grave ou de grossesse.
Ø Les réfugiés et les personnes en attente d’un permis de séjour devraient être couverts par le système public de santé.
Ø La formation de médiateurs interculturels dans le domaine de la santé permet d’améliorer les soins et, partant, de diminuer leur coût.
Ø Pour une plus grande efficacité des soins, il est nécessaire de former les personnels de santé à tenir compte de la diversité culturelle et des spécificités de chaque sexe.
Ø La solitude, l’isolement et la peur empêchent de nombreuses femmes immigrées de s’adresser aux services sanitaires quand elles sont victimes d’agressions ou de violence domestique.
Ø Il convient d’encourager des stratégies préventives en matière de santé mentale, s’inscrivant dans une structure de prise en charge intégrée tenant compte du caractère hétérogène des situations.
Accès au logement
Ø Les pouvoirs locaux et régionaux devraient prendre des mesures pour assurer une plus grande transparence sur le marché du logement, tant acquisitif que locatif.
Ø Il importe que les autorités locales créent des réseaux pour gérer l’accès des immigrés au logement afin d’éviter la mainmise de réseaux clandestins.
Ø Pour éviter la formation de ghettos d’immigrés, il faudrait favoriser des politiques urbaines qui encouragent la décentralisation des logements tout en créant de réelles possibilités d’accès à des logements à loyer modéré.
Ø Il convient, au-delà des centres d’accueil caritatifs, de favoriser une politique sociale du logement en faveur des sans-abri et des personnes mal logées qui vise spécifiquement les immigrés.
Accès à la participation citoyenne
Ø Il faudrait mettre en place des voies formelles et informelles de réclamation et de dénonciation en cas de discrimination et d’exploitation, spécialement adaptées aux caractéristiques de la population immigrée.
Ø Il convient d’encourager les immigrés à participer et à se présenter aux élections locales.
Ø Il est nécessaire de créer, dans les quartiers et les institutions locales, des possibilités d’échanges entre les citoyens autochtones et les résidents étrangers.
Ø La participation des immigrants à la conception, à la gestion et au suivi des politiques favorise l’intégration sociale au niveau non seulement personnel mais aussi collectif.
Ø Le fait que des immigrés soient directement associés à la mise en œuvre des politiques accroît la crédibilité des institutions et encourage d’autres immigrés à participer.
Ø Il reste beaucoup à faire dans les domaines du dialogue interculturel, de la connaissance et du respect mutuels ainsi que de l’égalité et de la non-discrimination. 1 Le Secrétariat du Congrès souhaite remercier les experts,M. Francisco Gonzalez et Mme Lina Gavira (Université de Séville, Espagne) pour la préparation du présent rapport.
2 Au sens de l’articulation au niveau local des logiques de la globalisation.
3 Dans ses recherches, Alisdair (2001) justifie la pertinence de la citoyenneté aux stades post-fordistes ; ensuite, l’auteur réaffirme le rôle des pouvoirs locaux dans la gestion du phénomène migratoire ; enfin, il contribue à justifier l’inscription du travail dans un cadre urbain. Son travail s’est appuyé sur le projet Most de l’UNESCO intitulé « Politiques multiculturelles et modes de citoyenneté dans les villes européennes », développé par des géographes qui se sont essentiellement intéressés aux questions d’échelle, de flux et de réseaux, d’espace, de différence et de lieu. Les débats actuels sur la gestion de l’immigration dans le cadre local et la pertinence d’une citoyenneté effective ont été entamés à Séville dès le Séminaire international sur l’immigration organisé par Lina Gavira en décembre 2003.
4 Parler de citoyenneté glocale implique que les droits fondamentaux soient garantis pour tous les habitants, dans une logique où le fondement de l’enracinement devrait être construit à partir du lien social d’appartenance et de la participation à la communauté locale. Il faudrait à cet effet revoir le concept de nation, en liant la culture et les dynamiques sociales réelles des personnes qui interagissent dans les territoires d’une manière non statique, l’approche (passer de la construction bureaucratique à une construction sociale adaptée aux réalités des habitants) et l’espace d’application (international-local : glocal), et en misant sur une citoyenneté civique multilatérale qui permette la participation et la gouvernance de tous les habitants qui cohabitent sur un territoire de manière différenciée.
5 En Allemagne comme en Espagne, de nouveaux règlements relatifs à l’immigration et à l’intégration des immigrés sont entrés en vigueur début 2005.
6 Cette durée varie en fonction des pays ; en outre, il existe des accords avec certains pays et groupes spécifiques qui réduisent la durée de résidence préalable nécessaire (c’est le cas, en Espagne, pour certains pays latino-américains).
7 Voir ZWERVER, A. Les politiques d'intégration des immigrés dans les États membres du Conseil de l'Europe, Doc. 9888, 24 juillet 2003. Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe.
8 A Stuttgart comme à Séville, la majorité des prostituées sont d’origine étrangère.
9 Cela est valable tant pour l’Espagne que pour l’Allemagne puisque, selon les experts avec lesquels nous nous sommes entretenus à Stuttgart, il y a environ un million d’immigrés clandestins en Allemagne.
10 ÉDUCATION ET FORMATION PROFESSIONNELLE Dans la nouvelle loi relative à l'immigration, l’apprentissage de la langue allemande (du niveau éducatif le plus élémentaire jusqu’à la formation pour adultes), a été rendu obligatoire pour les nouveaux immigrés, faute de quoi ils peuvent perdre leur permis de séjour. Si, au bout de trois ans, ils ne réussissent pas leur examen, ils peuvent être expulsés.
11 40% des enfants scolarisés à Stuttgart sont des enfants d'immigrés.
12 Comme il est dit dans le document qui analyse le lien entre l’immigration et le respect des objectifs du Millénaire en matière de lutte contre la pauvreté.
13 Personnes ayant un permis de séjour temporaire, limité à la durée des formalités administratives ou subordonné à l’évolution des conditions dans le pays d’origine.