35th Session of the Congress, 6-8 November 2018, Strasbourg

Discours de Jean-Yves CAMUS, Conseiller spécial du délégué général aux Relations Internationales de Paris, France

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Les initiatives de la Ville de Paris en faveur des “maires sous pression”

Strasbourg, France, 6 November 2018

Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs les élus,

Mesdames, Messieurs,

Au nom de la maire de Paris, Anne HIDALGO et de son adjoint chargé des relations internationales, Patrick KLUGMAN, retenus à Lille par l’assemblée générale de l’association internationale des maires francophones, je souhaite tout d’abord remercier le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de me donner aujourd’hui la parole.

La thématique des « maires sous pression qui est l’objet du présent débat, fait l’objet d’une initiative que la ville de Paris, sous l’égide de P.KLUGMAN, compte mettre en place très prochainement avec le concours du Barreau de Paris : il s’agit d’un observatoire de la situation des « maires sous pression », autrement dit d’une sorte de « monitoring » que la Ville effectuerait avec le concours d’une institution, le Barreau de Paris, qui a déjà l’expérience de l’aide aux avocats étrangers empêchés d’exercer leur mission de conseil et de défense.

Pourquoi cette initiative et pourquoi maintenant ? Tout simplement parce que les cas d’arrestation,  de détention,  de suspension de leur fonctions ou de poursuites judiciaires dont sont victimes de nombreux maires et élus locaux, le plus souvent pour des raisons politiques, se multiplient. Paris en a connaissance soit lorsque cela touche une des 70 villes avec lesquelles nous avons un accord de coopération, soit par sa participation à un des réseaux de villes au sein desquels notre collectivité détient des responsabilités, par exemple le Conseil des Communes et Régions d'Europe (CCRE) avec lequel nous avons souvent abordé ce sujet, ou Cités et Gouvernements Locaux Unis (CGLU), qui a des sections sur les cinq continents.

Le premier cas qui s’est présenté à nous est celui de l’ancien maire de Dakar, ville avec laquelle Paris entretient des liens étroits et anciens. Son ancien maire, Khalifa SALL, a été condamné le 30 mai 2018 à cinq ans de prison ferme et une énorme amende, au terme d’une enquête et d’un procès que nombre d’observateurs comme la Cour de Justice de la CEDEAO (Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest), estiment être entachés de multiples irrégularités.

Dans ce cas précis, qu’on fait la maire de Paris et son adjoint ? Ils ont alerté les réseaux de villes dont les deux capitales sont membres pour signaler une situation qui leur semblait relever en partie de l’arbitraire. Ils ont demandé aux autorités sénégalaises, par voie de communiqué, le respect de l’immunité parlementaire, du secret de l’instruction, de l’impartialité des débats. Enfin, et nous en sommes là, ils continuent à suivre ses conditions de détention et l’issue de son pourvoi en cassation.

A ce stade de l’exposé, une précision s’impose : l’Observatoire que la maire de Paris veut créer n’a pas pour mission d’émettre un avis sur le fond des affaires qui seront portées à sa connaissance. Il ne s’agit pas de se substituer aux juridictions compétentes, de dire qui est innocent ou coupable : un élu qui a commis des irrégularités peut et doit être sanctionné selon les dispositions du droit local. Non, il s’agit simplement de concourir à ce que les principes fondamentaux du droit, la présomption d’innocence, le droit à une défense et à un procès équitable, le secret de l’instruction, soient respectés, en particulier lorsque l’élu est mis en cause pour des faits liés à l’exercice de son mandat, qu’il tient de ses électeurs, donc de la légitimité populaire.

Il s’agit de veiller à ce que les élus locaux ne soient pas victimes de poursuites déclenchées à des fins politiques ou qui seraient utilisées à des fins politiques. Pour le reste, la justice indépendante d’un Etat souverain doit bien sûr pouvoir faire son travail.

Une des évolutions qui nous a frappés, en réfléchissant à cet Observatoire, est qu’en dehors même des procédures judiciaires, il existe une pression croissante sur les élus locaux pour les empêcher d’exercer leur mandat dans des conditions normales. La première forme de pression est physique et peut aller jusqu’au meurtre. A titre d’exemple on estime à une cinquantaine le nombre de maires mexicains assassinés depuis 2003 et à 90 celui des candidats tués lors de la campagne électorale de 2018.

Rien qu’en janvier 2017, malgré les accords de paix, deux maires maliens ont été tués dans le centre du pays. Que leur mort résulte de règlements de comptes politiques, d’actions terroristes ou de l’action de groupes mafieux qui les ont vus comme un obstacle à leurs trafics, ils ont souvent, avant l’issue fatale, été victimes de campagnes d’intimidation, ce qui veut dire qu’ils pouvaient être protégés, défendus, éventuellement exfiltrés s’ils en exprimaient le désir et que c’était la seule issue possible.

La deuxième forme de pression est politique et morale. Elle peut passer par un harcèlement du pouvoir central pour changer d’appartenance politique et rejoindre le parti majoritaire, par une série de sanctions allant de la mise en résidence surveillée jusqu’à la démission d’office, par des campagnes de presse diffamatoires visant à déstabiliser l’élu qui, dans l’immense majorité des cas est dans l’opposition au pouvoir national.

Dans les deux cas de figure que je viens d’évoquer, l’immense majorité des faits dont nous avons connaissance se déroule hors d’Europe, où l’existence d’un Etat de droit et de contre-pouvoirs ainsi que le rôle de la presse et des ONG sont une sauvegarde pour celles et ceux qui exercent un mandat local. Il n’en demeure pas moins que la progression de la démocratie illibérale sur notre continent impose un devoir de vigilance.

C’est pourquoi, par un vœu adopté le 12 décembre 2017, le conseil municipal de Paris, toutes sensibilités politiques confondues, s’est prononcé pour la création d’un « Observatoire international des maires en danger » qui aura pour mission d’effectuer un travail d’évaluation et de recherche, d’analyse et de cartographie précise des situations vécues par les maires et de réfléchir à la mise en œuvre de dispositifs de protection et de mise à l’abri. Il aura également pour tâche d’élaborer un plaidoyer pouvant aboutir à une déclaration de l’Assemblée Générale des Nations Unies et des autres institutions créatrices de droit, pour inscrire dans les textes la nécessité de protéger les Maires et élus locaux comme garants de la démocratie locale.

Il va de soi que dans cette démarche, la Maire de Paris et Patrick KLUGMAN sont à l’écoute des remarques et suggestions qui pourraient émaner de votre assemblée et qu’une fois la structure arrivée au stade opérationnel, son efficacité dépendra des échanges d’informations comme des actions conjointes que nous pourrons entreprendre.

Je vous remercie.