SESSION D’AUTOMNE
COMMISSION PERMANENTE
Strasbourg, le 20 novembre 2006 CG(13)29PART2
Démocratie locale et régionale en Albanie
Rapporteurs : Guido RHODIO, Italie
Chambre des pouvoirs locaux, Groupe Politique : PPE/DC
et
Jean-Claude VAN CAUWENBERGHE, Belgique
Chambre des régions, Groupe Politique : SOC
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EXPOSE DES MOTIFS
I. Introduction
1. L'article 2.3 de la Résolution statutaire (2000) 1 du Comité des Ministres du Conseil de l'Europe prévoit que le Congrès prépare régulièrement des rapports – pays par pays – sur la situation de la démocratie locale et régionale dans tous les Etats membres ainsi que dans les Etats candidats à l'adhésion au Conseil de l'Europe[1].
2. La situation de la démocratie locale et régionale en Albanie a déjà fait l'objet d'un rapport et de la Recommandation 28 adoptée par le Congrès en 1997. La décision de préparer un second rapport de suivi sur la démocratie régionale en Albanie a été prise le 3 novembre 2004 par le Bureau du Congrès puisqu'il fallait examiner l'état du second niveau des autorités territoriales, mis en place en 2000, ainsi que les perspectives de régionalisation en Albanie. La dimension locale a été ajoutée suite à une décision du Bureau le 16 décembre 2005.
3. Le Bureau a également chargé les Rapporteurs d'examiner la situation à Tirana, à la demande du maire de Tirana, membre du Congrès, ainsi que les désaccords entre le gouvernement central et la municipalité de Tirana concernant les travaux publics dans la capitale.
4. Ömür Aybar (Turquie, PPE/DC, R) a été désignée comme rapporteur chargé de préparer un rapport sur l'Albanie et de le présenter au Congrès. Elle s'est rendue en Albanie les 11 et 12 mai 2005. Compte tenu des élections générales qui ont eu lieu dans ce pays en juillet 2005, il a été décidé de reporter la présentation du rapport et d'organiser une nouvelle visite afin de rencontrer des représentants du Parlement albanais et du gouvernement constitué après les élections de 2005 et afin d'évaluer l'état d'avancement des réformes dans le domaine de l'autonomie locale et régionale et de la décentralisation. Suite à la décision du Bureau du 16 décembre 2005, les Rapporteurs de la Commission institutionnelle du Congrès chargés d'établir ce rapport – Guido Rhodio (Italie, PPE/DC, L) et Jean-Claude Van Cauwenberghe (Belgique, SOC, R)[2] – se sont rendus en Albanie du 10 au 12 avril 2006.
5. Les Rapporteurs étaient assistés dans cette mission par Prof. John Loughlin, consultant (Irlande), membre du groupe d'experts indépendants de la Charte européenne de l'autonomie locale, et Mmes Antonella Cagnolati, Directrice exécutive adjointe du Congrès, et Irina Blonina, Secrétariat du Congrès.
6. Au cours des visites, la délégation de suivi du Congrès a rencontré plusieurs représentants des autorités albanaises au niveaux local, régional et central (Gouvernement et Parlement), les associations nationales de collectivités locales et régionales ainsi que des experts et des représentants de la communauté internationale en Albanie (pour les programmes détaillés des deux visites, voir les annexes).
7. Ce rapport a été établi sur la base des informations reçues lors des deux visites effectuées sur place en Albanie ainsi que des extraits nécessaires de la législation pertinente et autres informations et documents fournis par les représentants des autorités albanaises, organisations internationales et experts.
8. Les Rapporteurs souhaitent remercier le Ministère albanais des Affaires Etrangères et la Représentation permanente de l'Albanie auprès du Conseil de l'Europe pour l'aide qu'ils ont apportée à l'organisation des diverses réunions avec les représentants du gouvernement central et du Parlement. Ils tiennent à remercier particulièrement Delphine Freymann, Conseiller spécial du Conseil de l'Europe en Albanie, ainsi que ses collègues du Bureau d'information du Conseil de l'Europe à Tirana, pour leur aide efficace qui a permis d'assurer le succès des visites du Congrès.
II. Historique
9. Par tradition, l’Albanie est un Etat très centralisé, qui a effectué son passage à la démocratie en 1991 sans avoir jamais fait à proprement parler l’expérience de la démocratie locale, sous quelque forme que ce soit. Jusqu’à son accession à l’indépendance en 1912, le pays faisait partie de l’Empire Ottoman, qui n’encourageait ni la décentralisation ni l’autonomie locale. De même, il n’y a pas eu de pouvoirs locaux autonomes sous le règne de Zog (1925-1939) ni pendant l’occupation italienne (1939-1943). Après la Seconde Guerre mondiale, le régime communiste a résolument opté pour le renforcement de l’indépendance nationale, en accentuant encore la centralisation. Le régime communiste albanais a été l’un des plus autoritaires de l’ensemble du monde communiste, et, pour le gouvernement central et le Parti du travail albanais (c’est-à-dire le parti communiste), les administrations locales n’étaient qu’un moyen de mieux contrôler la société civile. Ces administrations locales avaient alors la forme de « conseils du peuple », qui géraient les affaires aux niveaux du district (rreth), de la ville (qvtet), de la localité (lokalitet) et du village (fshat). Mais ces conseils du peuple étaient en fait sous la coupe du Parti du travail et n’étaient donc qu’une parodie de démocratie.
10. Par conséquent, l’une des tâches majeures, dans le cadre du processus de démocratisation, a été de créer – pratiquement ex nihilo – un nouveau système de pouvoirs locaux et régionaux authentiques, et non pas de simples administrations à ces échelons. En 1992, le nouveau parti au pouvoir – le Parti démocratique (PD) – a entrepris un vaste programme de réformes administratives, parmi lesquelles la réorganisation des pouvoirs locaux. Les Lois n° 7570 et n° 7572 (1992) « sur l’organisation et le fonctionnement des pouvoirs locaux », de même que la Loi n° 7573 (1992) « sur les élections des entités administratives locales », ont établi le principe de décentralisation comme l’un des objectifs fondamentaux de la gouvernance locale en Albanie. En 1994, le PD a proposé une nouvelle Constitution, dans laquelle était inscrit le principe d’autonomie locale et qui visait à remplacer le texte de 1976 ; mais ce projet a été rejeté par les électeurs, qui ont considéré qu’il accordait trop de pouvoir au seul Président. A la suite de la crise consécutive à l’effondrement du système pyramidal, le Parti démocratique a cédé la place au Parti socialiste (PS) en 1997. Le PS a également proposé une nouvelle Constitution qui, cette fois, a été adoptée par le Parlement et entérinée par les électeurs lors d’un référendum. En son article 108, la Constitution de 1998 s’inspire directement de celle de 1994 en établissant également le principe d’autonomie locale. En 2000, le gouvernement a adopté une « Stratégie nationale de décentralisation et d’autonomie locale ». En 2000 également, le Parlement a adopté la Loi n° 8652 sur l’organisation et le fonctionnement des pouvoirs locaux (ci-après la « Loi de 2000 »). Ce texte, ainsi que plusieurs autres lois qui ont suivi[3], a permis de parachever le processus législatif de démocratisation locale en Albanie.
11. Cependant, bien que les fondements constitutionnels et législatifs des pouvoirs locaux soient aujourd’hui conformes aux normes établies par le Conseil de l’Europe et aux meilleures pratiques des pays d’Europe occidentale, le fonctionnement concret de la démocratie locale albanaise connaît certaines difficultés. En particulier, plusieurs lois antérieures à l’adoption des dispositions constitutionnelles garantissant l’autonomie locale et de la Loi de 2000 ne sont pas en harmonie avec les principes établis par ces textes et ont récemment été source de conflits entre le gouvernement central et les pouvoirs locaux. C’est le cas par exemple de la loi portant création de la « Police du bâtiment », de la loi sur l’urbanisation (qui crée des agences de l’aménagement du territoire et des agences de l’urbanisme) et de la loi instituant les préfets.
12. Les difficultés sont aussi dues à la faiblesse de la société civile albanaise, qui s’explique elle-même par la longue période de pouvoir dictatorial. En outre, le gouvernement central et l’ensemble des services centralisés n’ont pas eu véritablement la volonté de transférer de réelles compétences politiques et financières aux collectivités locales. Certes, on peut le comprendre dans une certaine mesure, étant donné le manque d’expérience et de ressources humaines et financières des pouvoirs locaux. Mais, en même temps, des études récentes indiquent que les Albanais se sentent plus proches des pouvoirs locaux et leur font davantage confiance qu’aux autorités nationales. L’ensemble des partis politiques et les principaux groupes d’intérêt du pays, ainsi que les organisations internationales, sont d’accord pour dire que le processus de décentralisation politique doit se poursuivre et même être renforcé. Il existe toutefois des divergences entre les partis quant aux mesures qu’il convient de prendre (concernant par exemple le rôle des conseils régionaux), sans compter que les partis d’opposition changent parfois leur fusil d’épaule lorsqu’ils accèdent au gouvernement. Il est essentiel que la réforme de la décentralisation soit mise en œuvre de manière ouverte, participative et consensuelle et que les pouvoirs locaux soient consultés en temps utile lorsque des décisions les concernant sont prises. Toutes les organisations internationales présentes en Albanie (notamment l’Union européenne, l’OSCE et la Banque mondiale), USAID, les milieux diplomatiques et de nombreux cercles de réflexion et ONG albanais s’accordent à penser que la décentralisation est un facteur essentiel de la transition démocratique du pays et un moyen important de lutte contre la corruption. Par ailleurs, la communauté internationale reconnaît que de sérieux obstacles s’opposent à une décentralisation effective et à l’implantation de la démocratie régionale et locale.
III. Le système des pouvoirs locaux en Albanie
13. L’article 13 de la Constitution de 1998, qui s’inspire de la Charte européenne de l’autonomie locale, affirme que « [l]’administration locale dans la République d’Albanie est fondée sur le principe fondamental de la décentralisation du pouvoir et est exercée conformément au principe d’autonomie locale ». D’autre part, la Constitution déclare que l’Albanie est une République parlementaire et un Etat unitaire. L’article 13 de la Constitution est développé dans la Loi de 2000 sur l’organisation et le fonctionnement des pouvoirs locaux qui, en son article 3, pose les grands objectifs dans ce domaine :
14. En Albanie, il existe deux niveaux d’administration locale : le premier niveau est constitué par 373 entités administratives locales, se répartissant elles-mêmes en 65 municipalités (bashkia) pour ce qui est des zones urbaines (avec des subdivisions en « quartiers ») et, pour les zones rurales, 308 communes (komuna) (avec des subdivisions en « villages ») ; quant au second niveau d’administration, il consiste en 12 régions (qarku). Les municipalités et les communes sont dotées de conseils élus à la proportionnelle sur listes bloquées. Les maires et les chefs de commune sont élus au suffrage direct selon un système majoritaire. Les conseils régionaux sont élus au suffrage indirect et se composent des maires/chefs de commune des municipalités et communes situées sur le territoire de la région concernée ainsi que d’un nombre de représentants des conseils des municipalités et communes proportionnel au nombre de leurs habitants (chacune ayant au moins un représentant). Seul le maire peut représenter la municipalité ou la commune si celles-ci ont droit à un seul représentant ; s’il y a plus d’un représentant, les autres représentants sont élus par les conseils des municipalités et communes. Tirana jouit d’un statut particulier, défini dans la Loi n° 8684 du 31 juillet 2000 : la capitale se compose de 11 arrondissements, ayant chacun à leur tête un chef élu par ses habitants. Le conseil municipal de Tirana possède un pouvoir de décision et de délégation sur les arrondissements. Les pouvoirs locaux sont habilités à définir eux-mêmes leurs structures administratives et à recruter leur personnel administratif.
15. Parallèlement aux organes représentatifs locaux, plusieurs services publics opèrent aussi au niveau local et plus particulièrement au niveau régional. Le plus haut représentant de l’administration centrale au niveau régional est le préfet, dont la fonction a été créée en 1992. Pour la première fois après la chute du communisme, la Loi n° 7608 du 22 septembre 1992 « sur les préfectures » établit le préfet en tant que représentant du Conseil des Ministres au niveau régional. Il y a douze préfectures qui correspondent respectivement aux territoires des douze régions. Une nouvelle Loi « sur le préfet » (n° 8927) a été adoptée le 25 juillet 2002. La Constitution de la République d’Albanie prévoit que le préfet exerce ses fonctions au niveau régional. En vertu de la Loi n° 8927 (2002), le préfet est le représentant du Comité des Ministres dans sa région. Il est nommé et révoqué par le Conseil des Ministres et relève directement du Premier Ministre pour les responsabilités dont il est investi. D’un point de vue administratif, l’administration des préfectures est de la compétence du ministère de l’Intérieur. L’Article 6 de la Loi « sur le préfet » énonce la mission du préfet en ces termes :
Dans la pratique, le préfet a pour mission de veiller à ce que les lignes politiques du gouvernement central soient suivies au niveau local. Cela a suscité des polémiques, en raison des pratiques partisanes qu’un tel système peut entraîner à l’échelon local et parce que c’est là, pour le gouvernement central, une forme de contrôle direct des pouvoirs locaux et régionaux. Le préfet a un certain nombre de collaborateurs, qui suivent les affaires sociales, économiques et politiques de la région. L’ensemble des documents d’orientation et des budgets sont soumis au préfet, qui peut détenir ces documents pendant une période de dix jours afin d’en vérifier la légalité. Le préfet peut également nommer et révoquer le personnel de sa propre administration.
IV. Les compétences des pouvoirs locaux albanais
16. La Loi de 2000 sur l’organisation et le fonctionnement des pouvoirs locaux définit un ensemble de compétences pour ces derniers. Ces compétences peuvent être exclusives, partagées ou déléguées.
a) Communes et municipalités
i) Compétences exclusives des communes et des municipalités
Les compétences exclusives se répartissent en quatre grandes catégories :
1. Infrastructures et services publics :
2.Développement économique local :
3. Compétences sociales, culturelles et récréatives
4. Sécurité civile
ii. Compétences partagées
Depuis janvier 2002 :
iii. Compétences déléguées
17. Il s’agit de compétences normalement assurées par les autorités centrales mais qui, par une loi ou un accord contractuel, sont confiées aux pouvoirs locaux. Le gouvernement central garantit l’aide financière nécessaire à l’exercice de ces compétences ; cependant, les pouvoirs locaux peuvent y consacrer une partie de leurs ressources financières propres afin d’améliorer le niveau des prestations. Les compétences peuvent être déléguées à titre obligatoire ou facultatif.
b) Régions
18. Comme les municipalités et les communes, les régions peuvent exercer des compétences exclusives ou déléguées. La principale compétence exclusive est l’élaboration et la mise en œuvre de politiques régionales, ainsi que l’harmonisation de celles-ci avec les politiques nationales au niveau régional. Chaque région peut également exercer des compétences déléguées par ses communes et municipalités ou par le gouvernement central. Dans ce dernier cas, les autorités nationales doivent garantir le financement des compétences en question. Les compétences déléguées par le gouvernement central doivent être définies par une loi ou un accord réciproque.
19. En comparaison des communes et des municipalités, les régions font preuve d’une certaine faiblesse dans l’exercice des compétences qui leur sont confiées. Certains l’expliquent par le fait que les régions sont de création beaucoup plus récente et qu’il leur faudra du temps pour assumer complètement leur rôle. D’autres insistent sur le fait que composés essentiellement d’élus locaux, ceux-ci ne sont naturellement pas enclins à céder compétences et moyens financiers aux régions, niveau de pouvoir externe à leur sphère de compétence directe.
c) Finances locales
i. Municipalités et communes
20. Il existe deux sources majeures de recettes au niveau local : les recettes propres à la collectivité locale (impôts et redevances locaux) et les dotations de l’Etat, conditionnelles ou non. Au moment de leur mise en place, après la transition démocratique, les pouvoirs locaux n’avaient pratiquement aucune autonomie fiscale. Les dotations du gouvernement central étaient à peu de chose près l’unique source de recettes des collectivités locales puisqu’elles représentaient 96,22 % du total en 1996, 98,28 % en 1997, 97,24 % en 1998 et 96,30 % en 1999 ! De plus, en 1999, 86,6 % des revenus des collectivités locales étaient constitués par des crédits conditionnels que les pouvoirs locaux ne pouvaient donc pas utiliser à leur guise, ou seulement dans une faible mesure. En 1999, 3,7 % seulement des recettes locales provenaient de sources propres – essentiellement des redevances (à hauteur de 2,49 %).
21. La raison principale avancée pour expliquer cet écart considérable entre les dotations de l’Etat, d’une part, et les recettes locales, de l’autre, est que les postes budgétaires les plus importants des pouvoirs locaux sont ceux de l’éducation et de la santé – deux secteurs jugés majeurs pour lutter contre la grande pauvreté et aider les catégories défavorisées. D’ailleurs, ce sont précisément cette pauvreté et ces difficultés sociales qui privent les collectivités locales du niveau d’imposition locale qui leur serait nécessaire.
22. Malgré tout, les autorités ont considéré que le développement de l’autonomie fiscale des collectivités locales était un élément majeur de la démocratie locale. Un nouveau schéma fiscal a ainsi été inscrit dans la loi en 2002[4]. Ses grandes lignes sont les suivantes :
a) Les municipalités et les communes ont toute autorité pour fixer les taux et les modalités d’administration et de collecte des redevances.
b) La taxe sur les biens immobiliers, la taxe sur les terrains agricoles et la taxe locale sur les petites entreprises sont définies comme des impôts locaux. Les municipalités et les communes en fixent le taux dans une fourchette de plus ou moins 30 % par rapport au taux fixé par la loi. Les pouvoirs locaux décident des modalités d’administration et de collecte des taxes sur les biens immobiliers et sur les terrains agricoles ; aux termes de la loi, la taxe locale sur les petites entreprises était levée et administrée au niveau national, mais il était envisagé de transférer cette compétence aux pouvoirs locaux (voir ci-après pour les développements récents à ce sujet).
c) Les pouvoirs locaux peuvent également déterminer le taux des impôts locaux suivants : taxe hôtelière, taxe sur l’impact infrastructurel, taxe sur l’occupation de l’espace public.
d) Les pouvoirs locaux reçoivent la totalité des recettes de l’impôt sur les bénéfices simplifié, de la taxe sur l’immatriculation des véhicules et de la taxe sur les transactions immobilières, mais ils ne peuvent en fixer le taux.
23. Ce nouveau schéma fiscal a eu des effets importants sur le niveau et la nature des recettes locales des municipalités et des communes. Au total, les recettes provenant des ressources propres et des dotations non conditionnelles représentent désormais plus de la moitié des revenus des collectivités locales. Alors qu’en 2000 les recettes propres aux collectivités locales s’élevaient à 1,6 milliards de leks (13,7 millions d’euros), dont environ 8 % d’impôts locaux, elles se montaient en 2003 à 8,4 milliards de leks (68 millions d’euros), dont 28 % d’impôts locaux. En 2003, les collectivités locales avaient la maîtrise d’environ 49 % des dépenses des pouvoirs locaux, contre 8 % en 2000. En outre, les attributions de crédits non conditionnels ont proportionnellement augmenté par rapport aux dotations conditionnelles. En 2003, les pouvoirs locaux avaient la maîtrise d’environ un tiers des dépenses publiques locales contre 7 % seulement en 2000. Le nouveau schéma fiscal a modifié l’équilibre entre les financements provenant du budget de l’Etat et les financements propres – en 2004, les ressources transférées par l’Etat représentaient 54 % du budget des collectivités locales et les ressources propres 46 % – ainsi qu’entre les dotations conditionnelles et les dotations non conditionnelles, en faveur de ces dernières. Pour l’année 2005, environ 32% des aides aux collectivités locales étaient des dotations conditionnelles. Les Rapporteurs notent qu’en 2006 le gouvernement a décentralisé les fonds d’investissement dans les routes rurales et urbaines, de telle sorte que le montant des dotations conditionnelles est passé de 32% à 15%. Ces dotations conditionnelles, affectées à des investissements dans l’éducation et la santé, sont en réalité semi-conditionnelles dans la mesure où les entités administratives locales ont une plus grande autonomie de décision quant à leurs priorités d’investissement dans la santé primaire et l’enseignement pré-universitaire. Enfin, un système de péréquation financière vise à aider les municipalités et les communes dont les ressources sont insuffisantes et à réaliser un équilibre entre les efforts déployés par les pouvoirs locaux pour augmenter leurs recettes, d’une part, et le dispositif de solidarité et de contribution prévu pour aider les entités administratives locales dont les possibilités de générer des ressources propres sont réduites. Selon le ministère des Finances, la formule de péréquation tient compte des critères suivants : i) population, ii) superficie, iii) coefficient de services urbains, iv) capacité de prélèvement fiscal au niveau local. La péréquation horizontale est régie par un indicateur de capacité fiscale et non par un indicateur de potentiel fiscal, et pénalise les collectivités locales dont les recettes sont élevées ; les autres reçoivent une compensation sous la forme de dotations de l’Etat.
24. La législation de 2002 sur les finances locales a incontestablement amélioré l’équilibre entre financement par le budget central (y compris en terme de liberté d’action des collectivités locales pour ce qui est de l’utilisation de ces fonds) et ressources locales, et l’amélioration de cet équilibre se poursuit. Un certain nombre de problèmes subsistent néanmoins et le dispositif peut encore être amélioré. Tout d’abord, même si les équilibres sont aujourd’hui plus favorables, le montant des ressources dont disposent les collectivités locales en termes absolus demeure très faible et on voit mal comment elles peuvent s’acquitter des missions qui leur sont dévolues et répondre à l’évolution de l’économie ainsi qu’aux attentes de la population. Les autorités locales s’accordent à penser que, globalement, les revenus des collectivités locales ne sont pas en rapport avec les compétences qu’elles exercent actuellement et sont appelées à exercer à l’avenir. Le gouvernement devrait tenir compte de l’équilibre vertical afin d’apporter une réponse équitable, notamment depuis la suppression ou la réduction de près de 50 % des taux de certains impôts locaux. Il est également nécessaire de mettre en place une loi sur l’emprunt local pour accroître les capacités en investissement et offrir de meilleurs services locaux. Les impôts partagés (impôt sur le revenu et impôt sur les bénéfices des sociétés prévus par la loi de 2000) devraient être mis en place, les recettes collectées par ce biais et réparties en fonction du lieu de collecte ou de la population venant ainsi renforcer les recettes locales, ce qui améliorerait l’équilibre vertical. En second lieu, il y a une grande disparité entre les grandes villes et les très petites communes, notamment en zone rurale. Ces dernières n’ont souvent pas les moyens de collecter des recettes au niveau local afin de s’acquitter de leurs missions ; aussi sont-elles dans une large mesure tributaires du système de péréquation. Selon des observateurs indépendants rencontrés par la délégation, de nombreux pouvoirs locaux sont à même d’exercer leur autonomie fiscale avec compétence, bien que l’écart soit important entre les grandes villes et les petites communes rurales, qui ont davantage besoin d’assistance (voir ci-après dans la section consacrée à l’organisation territoriale).
25. En octobre 2005, le nouveau gouvernement a apporté un changement important au plan fiscal de 2002 concernant la taxe sur les petites entreprises. En effet, le taux de cette taxe a été réduit de 50 %. Aucun autre impôt local ou compensation financière n’ont été prévus en contrepartie, ce qui signifie que les crédits totaux alloués aux collectivités locales ont été réduits. Il semble que cette décision ait été prise sans consultation préalable des pouvoirs locaux et appliquée pendant l’année fiscale 2005, entraînant des difficultés pour les municipalités et les communes. Le nouveau taux a été maintenu en 2006. La taxe sur les entreprises, par son caractère dynamique, est un impôt particulièrement important pour les collectivités locales et il importe que celles-ci en conservent la maîtrise. Les Rapporteurs ont également été informés qu’un nouveau projet de loi sur le régime des impôts locaux, qui fusionne les deux lois précédentes n° 9456 sur le régime des impôts locaux et n° 9327 sur la taxe sur les petites entreprises, sera soumis par le Gouvernement au Parlement en octobre 2006. Ce projet de loi supprime la taxe hôtelière, considérée comme un impôt local, dans le cadre de la politique nationale visant à favoriser l’activité économique. Comme pour la réduction de la taxe sur les petites entreprises, il semble que cette décision ait été prise sans consultation ou discussion préalables avec les pouvoirs locaux.
26. Les Rapporteurs recommandent :
i. de se pencher sur le problème de la disparité entre les compétences attribuées aux collectivités locales et les ressources financières nécessaires pour les exercer, eu égard à l’article 9.1 de la Charte européenne de l’autonomie locale.
ii. de mener de vastes consultations avec les autorités locales au sujet de la décision de réduire de moitié la taxe sur les petites entreprises, afin de reconsidérer, si nécessaire, cette décision et d’une manière générale avant la mise en œuvre de mesures similaires ;
iii. de revoir le plan financier et fiscal en fonction des récents changements qui ont considérablement réduit les impôts locaux propres (taxe sur les petites entreprises, impôt sur les bénéfices simplifié, taxe hôtelière), afin de permettre aux autorités locales de disposer de ressources financières adéquates et d’exercer efficacement cette compétence fiscale au niveau local.
d) Finances régionales
27. Les recettes des collectivités régionales proviennent de deux sources : l’Etat et les municipalités et communes. En outre, les régions tirent des revenus de la prestation de certains services. A l’évidence, ce dispositif fait que les régions n’ont qu’une faible autonomie fiscale puisqu’elles ne peuvent lever d’impôts. Même si on considère les régions comme des sortes d’associations intercommunales sans commune mesure avec des conseils à part entière élus au suffrage direct, il serait possible de renforcer leur autonomie financière en leur permettant de disposer de leur propre base fiscale. C’est le cas dans certains pays où ont été mises en place ces dernières années diverses formes d’associations intercommunales dont certaines sont habilitées à lever des impôts (les « établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre »).
e) Associations de pouvoirs locaux et autres formes de collaboration
28. L’article 109 de la Constitution autorise les pouvoirs locaux à s’associer et à établir des liens avec leurs homologues d’autres pays. Ils peuvent aussi être représentés au sein d’organisations internationales de pouvoirs locaux. Ce droit est confirmé à l’article 8, chapitre V, de la Loi de 2000. Il existe actuellement trois associations de ce type en Albanie : l’Association nationale des municipalités, l’Association nationale des communes et l’Association nationale des régions. Les Rapporteurs notent avec satisfaction que ces associations ont été consultées par les autorités centrales sur des questions concernant les affaires locales, mais recommandent toutefois que ces consultations soient prévues par les mécanismes institutionnels.
V. Evaluation du programme de décentralisation de l’Albanie
29. Un élément très positif de la politique albanaise est l’unanimité des partis politiques, qu’ils soient au pouvoir ou dans l’opposition, et des principaux acteurs de l’administration et de la société civile pour dire que la plus haute priorité doit être accordée à la décentralisation et à la création d’un système de pouvoirs locaux efficace. De même, tous s’accordent à reconnaître que des progrès ont été réalisés, mais qu’un certain nombre de problèmes subsistent et qu’il faudrait entreprendre des actions pour consolider le processus. En revanche, les partis politiques n’ont pas toujours le même point de vue sur la manière de résoudre ces problèmes ni sur la nécessité de procéder à une réforme plus radicale de la structure territoriale. L’un des principaux obstacles à l’obtention du consensus nécessaire est la profonde défiance qu’éprouvent l’un envers l’autre les deux principaux partis politiques, à savoir le Parti socialiste, au pouvoir jusqu’en 2005, et le Parti démocratique, majoritaire au sein de l’actuelle coalition gouvernementale.
a) Les régions
i. Le nombre de régions
30. L’Albanie est un pays peu étendu, mais qui présente une certaine diversité géographique et topographique. Bien que certains souhaitent conserver ce nombre et d’autres abolir purement et simplement les régions, le nombre actuel de régions (12) est dans l’ensemble considéré comme trop élevé pour un aussi petit pays, Un plus petit nombre de grandes régions (5, 6 ou 7) rapprocherait l’Albanie des autres pays européens et permettrait aux régions d’exercer les compétences qui sont habituellement dévolues à cet échelon de la gouvernance territoriale : le développement socioéconomique et les questions environnementales.
ii. L’élection des conseils régionaux au suffrage direct ou indirect
31. Les conseils régionaux, pris entre l’Etat central et les municipalités, assument des compétences déléguées par ces deux échelons. Comme l’a bien expliqué l’Association nationale des régions, ces compétences ne sont pas toujours précisément définies dans la législation et nous estimons également qu’il importe de les clarifier. Un problème plus profond est le manque de légitimité des régions actuelles, dont l’existence est pour ainsi dire ignorée de la population. Plusieurs de nos interlocuteurs pensaient que cette situation s’améliorerait si les conseils régionaux étaient élus au suffrage direct au lieu d’être composés d’élus municipaux et communaux. Une autre question se pose, celle de savoir si le président de la région devrait être élu au suffrage direct par la population ou bien par le conseil régional, mais elle ne pourra être réglée que lorsqu’une décision aura été prise sur le mode d’élection du conseil. Certains craignent que des régions plus fortes, dotées de conseils directement élus, ne réduisent l’autonomie des entités administratives locales. Cette crainte est toutefois infondée, car il serait possible de conserver le caractère non hiérarchique de la relation entre les échelons d’administration, comme c’est le cas dans d’autres pays. Une réforme aussi radicale de l’administration territoriale nécessiterait une modification de la Constitution et un consensus entre les divers partis. Selon USAID (l’Agence des Etats-Unis pour le développement international), qui conseille le Gouvernement albanais au sujet de la stratégie de décentralisation, les conseils régionaux cherchent encore à définir leur rôle.
iii. Les compétences réelles des régions
iv. Les finances régionales (voir aussi par. IV b ci-dessus)
33. La plupart des responsables politiques régionaux souhaitent que les conseils régionaux assument un plus grand nombre de compétences dans des domaines plus variés. Pour permettre aux régions d’exercer ces compétences et renforcer leur légitimité et leur responsabilité démocratiques, il faudrait allouer aux conseils régionaux des ressources propres sous la forme de recettes fiscales et de redevances.
34. Bien que les partis nationaux semblent en désaccord sur la question de savoir s’il faut maintenir les régions en l’état ou au contraire les renforcer, une certaine entente règne parmi les différents acteurs concernés à l’échelon régional, y compris entre les deux principaux partis, le PD et le PS. Ainsi, l’Association nationale des régions, composée des présidents des différents conseils régionaux, a à sa tête un président socialiste et un vice-président démocrate. Lors de la rencontre avec les représentants de l’association pendant la visite de la délégation de suivi du Congrès en mai 2005, il a été souligné qu’il y avait une bonne coopération entre les différents groupes politiques représentés et que l’Association entretenait de bonnes relations avec le gouvernement central et prenait part à l’élaboration de projets de loi relatifs aux pouvoirs locaux. Les régions ont également constaté une amélioration de leur situation financière, dans la mesure où les crédits non utilisés en fin d’exercice peuvent être reportés sur le budget de l’exercice suivant, au lieu d’être reversés au Trésor public national. Néanmoins, nous avons été informés plus tard par le Président de l’Association des régions albanaises que, depuis, l’association n’a pas été impliquée dans le processus de l’élaboration des nouvelles lois et qu’il n’y a pas eu d’amélioration de la situation financière des régions pour l’année 2006.
Toutefois, selon l’association, il y a encore lieu d’améliorer la situation des conseils régionaux, et notamment :
35. Les Rapporteurs recommandent :
i. d’envisager, dans le cadre d’un programme de réorganisation territoriale, de réduire le nombre de régions pour leur donner un niveau pertinent et d’efficacité ;
ii. de doter les régions de compétences réelles, clairement définies par la loi et collant aux réalités et nécessités du pays, y comprisdes compétences plus étendues en matière de développement socioéconomique et d’environnement ;
iii. conformément aux recommandations du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux, l’Albanie devrait s’orienter vers un système de conseils régionaux élus au suffrage direct, démocratique et proportionnel ;
iv. dans le cadre de la restructuration territoriale des régions, d’envisager de doter les conseils régionaux de moyens suffisants dont des ressources propres provenant d’impôts régionaux et de redevances ;
v. de consulter préalablement les autorités régionales et leur association sur ces questions.
b) Tirana et les régions
36. Du point de vue juridique, la municipalité de Tirana fait partie du Conseil régional de Tirana. Elle est représentée au Conseil régional de Tirana par douze membres, y compris le Maire. D’autre part, le Président de la Région de Tirana est membre du Conseil municipal de Tirana. Selon les autorités de la capitale, le conseil régional a plutôt pour vocation de regrouper plusieurs petites municipalités – notamment celles qui sont trop petites pour rester isolées. Le conseil régional peut alors jouer un rôle de coordination. C’est pourquoi, le Conseil municipal de Tirana ne juge pas nécessaire de participer à l’activité du conseil régional de Tirana[5]. Tout en reconnaissant la position particulière de Tirana en tant que capitale de l’Albanie et sa puissance économique, il nous semble regrettable qu’il y ait apparemment si peu de contacts entre la ville et le conseil régional.
37. Les Rapporteurs recommandent d’envisager une meilleure intégration de Tirana au système de gouvernement régional, l’amélioration de son statut juridique et des relations entre la Municipalité de Tirana et la Région de Tirana, en la reconnaissant comme une ville-région ou en lui conférant un statut comparable à celui d’une région. Ceci pourrait constituer une solution dans l’intérêt de la coopération entre la capitale et la région, sans empêcher pour autant une éventuelle extension des frontières de la ville.
c) Le système préfectoral
38. Le système préfectoral est très critiqué par certains responsables politiques locaux et régionaux qui estiment que les préfets interviennent trop dans les affaires des régions. Certains préconisent l’abolition pure et simple du système ou tout au moins une séparation des administrations régionale et préfectorale. D’autres responsables politiques ne partagent pas ces vues. Les rapporteurs ont observé qu’un débat sur le préfet, sa mission, ses obligations et ses responsabilités, s’est engagé au sein des partis politiques et des élus locaux.
39. Lors de la visite effectuée en 2005, la délégation a rencontré le préfet de Dürres qui a expliqué son rôle à l’égard des pouvoirs locaux et régionaux. Celui-ci consiste à coordonner le fonctionnement de l’ensemble des entités administratives locales, à exercer un contrôle a posteriori sur leur action, notamment sur le plan financier, et à veiller à l’ordre public, à la défense et au bien-être des populations concernées. Le préfet organise régulièrement des réunions avec les pouvoirs locaux en vue d’examiner les problèmes et d’y apporter des solutions. Il doit soumettre des rapports mensuels au conseil des ministres. Le préfet de Dürres a mis en lumière certaines faiblesses du cadre législatif des conseils régionaux. L’un de ces points faibles est un certain chevauchement entre les compétences du préfet et celles du conseil régional, auquel il conviendrait de remédier. Elle a également fait valoir que la préfecture devrait être renforcée, notamment sur le plan des ressources financières, du salaire des préfets et du personnel administratif.
40. Le système préfectoral existe dans d’autres pays comme la France, la Grèce, la Roumanie et, sous une forme un peu différente, la Suède. Cependant, il nous apparaît qu’en Albanie ce système est parfois utilisé par le gouvernement central pour contrôler les pouvoirs locaux ou tout au moins pour s’immiscer dans leurs affaires. Certes, il existe de bons arguments en faveur d’une instance chargée de coordonner les fonctions administratives de l’Etat au niveau régional. Cependant, il ne faut pas qu’elle interfère avec l’autonomie administrative des collectivités locales, ce qui serait contraire à la Charte européenne de l’autonomie locale. Une partie de la difficulté tient peut-être à la manière d’interpréter l’Article 16.1 de la Loi n° 8927 du 25 juillet 2002 « sur le Préfet », qui est ainsi rédigé : « Le préfet vérifie l’exercice des fonctions et compétences déléguées par le gouvernement central, ainsi que l’usage des fonds prévus pour cet usage soit par la loi, soit par un accord conclu entre une institution centrale et un organe de l’administration locale ». La difficulté réside dans la traduction du mot albanais « kontroll ». Ce terme peut se rendre par « audit » ou « contrôle », ce qui – dans les deux cas – recouvre différents degrés de participation, dont certains peuvent impliquer, de la part du préfet, un contrôle d’opportunité plutôt qu’un simple contrôle de légalité. Or, cela risque d’aboutir à une immixtion directe du préfet dans l’exercice des « fonctions et compétences » de la collectivité locale concernée. Il importerait donc, à tout le moins, d’éclaircir cet aspect de la loi et de renforcer l’interprétation selon laquelle il ne s’agit là que d’un contrôle de légalité. La révision de la Loi « sur le préfet », dans le plein respect des dispositions de la Charte européenne de l’autonomie locale, devrait être considérée comme une priorité.
41. Les Rapporteurs recommandent de considérer la révision sinon l’opportunité du système préfectoral à tout le moins le statut de ces agents du gouvernement central afin d’éviter toute ingérence politique dans les affaires locales et régionales au travers de l’exercice de leur mission de contrôle ;
d) Les municipalités et les communes
i. Le fonctionnement de ces entités du gouvernement local
42. Le gouvernement et les administrations centrales n’ont généralement guère confiance dans la capacité administrative et politique de ces entités à fonctionner correctement et leur tentation est grande, par conséquent, d’intervenir dans leurs affaires. On peut certes le comprendre dans un Etat fortement centralisé comme l’Albanie qui n’a pas de tradition de démocratie locale. On peut aussi le comprendre quand on voit les obstacles considérables que constituent la faible influence de la société civile albanaise ainsi que la corruption et la criminalité à tous les niveaux du système. Cependant, il y a eu au fil des années une collaboration constructive entre le gouvernement central et les organisations internationales, grâce à laquelle le fonctionnement des pouvoirs locaux n’a cessé de s’améliorer. Pour autant, beaucoup de progrès restent à faire et plusieurs obstacles sérieux sont encore à lever.
ii. Le grand nombre de petites communes
43. Il y a en Albanie un grand nombre de petites communes qui ne sont pas en mesure de s’acquitter seules des fonctions qu’elles sont censées remplir. Par ailleurs, il existe un certain nombre de municipalités plus grandes qui sont mieux placées à cet égard. Ce problème n’est pas propre à l’Albanie et on le retrouve par exemple en France et en Espagne. Au cours des dernières années, certains pays ont obtenu de bons résultats dans la mise en oeuvre des programmes d'association intercommunale. La disparité entre les petites entités administratives locales dénuées de moyens et les entités plus puissantes est exacerbée par les migrations intérieures que l’on observe depuis plusieurs années en Albanie. Ces migrations ont pour effet une diminution de la population des petites communes et une forte augmentation de celle des grandes villes, où des « zones informelles » de peuplement se développent de manière anarchique. Ces zones sont souvent dépourvues des équipements de base et il est difficile de savoir combien de personnes y habitent. Les recensements sont malaisés tant dans les petites communes en baisse démographique que dans les zones informelles, ce qui a des conséquences pour l’établissement des listes électorales, la planification urbaine et la collecte de statistiques.
44. Compte tenu de ce qui précède et dans la continuité de précédentes remarques sur l’organisation territoriale en Albanie, les Rapporteurs estiment que les autorités albanaises devraient envisager soit de réduire sérieusement le nombre de communes par des fusions (comme dans la plupart des pays européens) soit d’encourager des associations volontaires (comme c’est le cas dans d’autres pays), et de les rattacher à de nouveaux conseils régionaux élus au suffrage direct.
45. Les Rapporteurs recommandent aux autorités albanaises d’entreprendre une réforme du système communal soit en regroupant les petites communes qui ne sont pas en mesure de s’acquitter de leurs missions pour former de plus grandes entités, soit par le biais d’associations volontaires, et de mener cette réforme parallèlement à la réduction du nombre de régions préconisée plus haut. Toute solution à ce problème devrait être le résultat d’un processus démocratique et participatif, qui respecte les dispositions constitutionnelles relatives à la consultation des populations concernés, lorsque les frontières d’une entité locale doivent être modifiées, et qui prenne aussi en compte la coordination des entités administratives territoriales à tous les niveaux de gouvernement.
VI. Problèmes spécifiques
a) Corruption et criminalité
46. Les Rapporteurs se félicitent de l’engagement pris par l’actuel gouvernement de placer au premier rang de ses priorités la lutte contre la corruption et la criminalité. Les représentants des autorités gouvernementales, des partis d’opposition et de toutes les organisations internationales que nous avons rencontrés s’accordaient à dire que l’Albanie continue de souffrir de ce grave problème qui touche tous les niveaux de l’administration et des systèmes politiques et judiciaires. Les rapports du Groupe d’Etats contre la Corruption (GRECO) soulignent la nécessité de renforcer la lutte contre la corruption au niveau local. L’OSCE le considère comme l’un des principaux obstacles au développement de la démocratie et d’un autre côté, ajoute que la décentralisation et des pouvoirs locaux forts pourraient permettre de lutter contre la corruption. USAID estime également qu’il y a un phénomène de corruption à tous les niveaux et que le meilleur moyen d’y remédier est d’instaurer une citoyenneté active et éclairée et qu’il faudrait aussi dépasser le fatalisme propre au tempérament albanais. Elle pense que ce sont là les raisons qui ont poussé le gouvernement albanais à s’engager dans la voie de la décentralisation. Il nous semble que les Albanais, qui se méfient des institutions publiques en général, ont davantage confiance dans les pouvoirs locaux que dans le gouvernement national et qu’il faudrait tirer parti de ces sentiments favorables dans le cadre de la lutte contre la corruption.
b). L’affaire de Zogu i Zi et le rôle de la « Police du bâtiment»
47. Le Congrès a été informé d’un conflit survenu entre le nouveau gouvernement albanais et la municipalité de Tirana à propos de la construction d’un autopont à Zogu i Zi à la périphérie de Tirana. Le gouvernement a ordonné à la Police du bâtiment d’intervenir pour arrêter les travaux qui avaient déjà commencé sur ce site. La Police du bâtiment, bras exécutif du gouvernement, a décidé, semble-t-il, que la construction de l’autopont de Zogu i Zi avait donné lieu non seulement à des violations de la procédure à suivre, mais aussi à des actes illicites. Le Conseil d’ajustement territorial de la République d’Albanie (CATRA) affirmait en effet que les règles d’urbanisme avaient été gravement enfreintes lors de ces travaux. La municipalité de Tirana a accusé le gouvernement central d’intervenir abusivement. Ce dernier a publiquement demandé l’intervention de deux institutions – le Médiateur et le Haut Commissariat aux comptes – qui, de par la loi, sont chargés de l’application de la loi et du contrôle de la légalité des décisions des pouvoirs locaux en matière financière et économique. L’un comme l’autre ont jugé que les actions de la municipalité dans le secteur des travaux publics ne présentaient aucune irrégularité notable. Ils ont recommandé la reprise des travaux, faute de quoi il y aurait violation de la loi par la Police du bâtiment. M. Giovanni di Stasi, Président du Congrès du Conseil de l’Europe, a critiqué les autorités centrales lors de sa visite en Albanie en janvier 2006 et a déclaré que « Les pouvoirs de la Police du bâtiment et la composition et le fonctionnement du Conseil de l'aménagement du territoire de la République d'Albanie ne sont pas conformes aux dispositions de la Charte européenne de l'autonomie locale, ce qui crée beaucoup de malentendus et de confusion»[6]. Non seulement les travaux publics n’ont pas repris mais en juillet 2006, l’autopont de Zogu i Zi a été entièrement démoli par la Police du bâtiment.
48. Il n’appartient pas aux Rapporteurs d’établir s’il y a eu ou non des infractions aux règles d’urbanisme. Selon certains avis externes, il y avait eu des irrégularités de procédure de la part de la municipalité de Tirana et, en particulier, qu’aucun permis de construire officiel n’avait été délivré. Il semble que ce soit là une pratique établie et qui a cours ailleurs également en Albanie. De plus, l’entreprise de construction, EUROTEORAMA, n’était pas en possession des permis de construire réglementaires au moment de la construction. Le Tribunal d’instance de Tirana, saisi de l’affaire, s’est montré partagé quant à au point de savoir si l’intervention de la Police du bâtiment et la décision de démolir l’ouvrage étaient justifiées ou non. Deux des trois membres du tribunal ont décidé qu’elles étaient c’était justifiées en excipant de l’Article 10 de la Loi d’urbanisme qui stipule que le Conseil d’ajustement territorial de la République d’Albanie (CATRA) est habilité à annuler la décision d’un conseil d’ajustement territorial local (CAT) « … lorsqu’on observe une violation de la loi dans la décisions prise par un CAT de district ou un CAT municipal et qu’il est fait obstacle à la mise en œuvre des programmes gouvernementaux ». Selon l’avis majoritaire, si l’une ou l’autre de ces deux conditions est remplie, l’annulation par le CATRA est justifiée. Selon l’avis minoritaire, qui était celui du Président du tribunal, il faut pour cela que l’une et l’autre conditions soient remplies. Il importe de souligner que l’un des juges a fondé sa décision sur les principes de la Charte européenne de l’autonomie locale et estimé que la décision du CATRA constituait une ingérence dans l’autonomie locale.
49. La loi présente à tout le moins une ambiguïté à lever. Le Congrès estime qu’il faut donner la préférence au principe d’autonomie locale, et non octroyer au gouvernement central le pouvoir de s’immiscer davantage dans les activités des collectivités locales. En outre, l’Article 8 de la Charte dispose que la supervision des collectivités locales doit avoir pour seul but d’assurer la légalité de leurs actes, et il exclut toute supervision de l’opportunité des actions qui relèvent du domaine de responsabilité exclusif des collectivités locales. Or, la formulation de l’Article 10 de la Loi d’urbanisme albanaise semble contredire cette disposition de la Charte, puisqu’elle habilite un organe de l’exécutif central à intervenir dans des décisions locales (s’« il est fait obstacle à la mise en œuvre des programmes gouvernementaux ») d’une manière qui va au-delà d’un contrôle de légalité et peut équivaloir à un contrôle d’opportunité. C’est pourquoi il nous semble que l’interprétation minoritaire du tribunal d’instance de Tirana est plus conforme à l’Article 8 de la Charte dans la mesure où elle préconise que soit effectué aussi un contrôle de légalité, en tant qu’élément essentiel de l’annulation d’une décision d’un CAT par le CATRA. La municipalité de Tirana a déposé un recours devant la Cour d’appel contre la décision du tribunal d’instance de Tirana. Il existe une autre décision de la Police du bâtiment ordonnant la destruction de l'autopont. Cette affaire a été également introduite en justice et est toujours en attente du jugement du Tribunal de première instance sachant que la décision du Tribunal même en première instance n'a pas encore été prise en ce qui concerne la démolition. L’affaire est toujours en instance de jugement, bien que l’autopont Zogu i Zi ait été démoli par la Police du bâtiment.
50. L’article 4.4 de la Charte dispose que « [l]es compétences confiées aux collectivités locales doivent être normalement pleines et entières. Elles ne peuvent être mises en cause ou limitées par une autre autorité, centrale ou régionale ». Il convient donc de poser la question du rôle du Conseil d’ajustement territorial (CAT) et de la Police du bâtiment dans le système d’aménagement du territoire de l’Albanie et d’examiner si les activités de ces deux organes sont ou non compatibles avec le principe énoncé à l’article 4.4 de la Charte. Les deux organes ont été créés avant la Loi de 2000 sur les pouvoirs locaux.
51. Le Conseil d’ajustement territorial de la République d’Albanie (CATRA), créé par la Loi sur l’urbanisme n° 8405 du 17 septembre 1998, est l’instance publique chargée de superviser la planification. Il est placé sous l’autorité directe du Premier ministre et dispose d’un large mandat puisqu’il contrôle l’aménagement urbain et territorial sur l’ensemble du territoire albanais. Les collectivités locales à tous les niveaux peuvent établir leur propre CAT ; si toutefois une commune est trop petite pour le faire, elle peut demander au CAT régional de se charger de cette tâche. Bien que la Cour constitutionnelle de l’Albanie ait considéré que, pour l’essentiel, cette Loi n’était pas contraire à la Constitution et respectait le droit des pouvoirs locaux à l’autonomie locale, elle a estimé que certaines parties de la Loi (à savoir le dernier paragraphe de l’article 14 et les premier et troisième paragraphes de l’article 23) étaient effectivement anticonstitutionnelles et portaient atteinte à ce droit. Le dernier paragraphe de l’article 14 habilite les ministres du gouvernement central à approuver en dernier ressort la composition des CAT locaux. Les dispositions inconstitutionnelles de l’article 23 donnent aux ministres le droit de nommer et de révoquer les responsables de l’urbanisme, ce qui porte manifestement atteinte au droit des pouvoirs locaux de nommer et de révoquer ces mêmes personnes. Dans l’affaire de Zogu i Zi, il semble que le gouvernement central ait demandé au préfet de Tirana de convoquer une réunion du CAT municipal au motif que le maire tardait à le faire. Le gouvernement aurait introduit un acte normatif en vue d’étendre cette approche à l’ensemble de l’Albanie. Au début de 2006, la municipalité de Tirana a saisi la Cour constitutionnelle sur la question du conflit d’autorité dans le domaine de l’urbanisme. La constitutionnalité de la Loi sur l’urbanisme et de la Loi sur la Police du bâtiment devrait être réexaminée à la lumière des derniers développements. La Cour constitutionnelle n’a pas encore rendu sa décision.
52. L’autre organe qui semble présenter des anomalies par rapport aux conceptions européennes de l’aménagement du territoire est la « Police du bâtiment », instituée par la Loi n° 8408 du 25 septembre 1998. A l’article premier, cette police est définie comme « un organe exécutif armé, chargé de faire respecter la législation dans le domaine du bâtiment et de l’urbanisme ». Dans la plupart des Etats démocratiques, il existe des services d’inspection chargés de la supervision nationale des processus de planification, mais aucun ne fait appel pour cela à une police armée. Selon la municipalité de Tirana, l’intervention de cette force de police dans l’affaire de Zogu i Zi aurait été motivée par des considérations partisanes ; en effet, on pourrait citer beaucoup d’autres cas en Albanie où, bien que des infractions aient été commises, la police n’est pas intervenue parce que les pouvoirs locaux concernés étaient favorables au parti au pouvoir.
53. Les Rapporteurs estiment que les modalités de fonctionnement du CATRA et de la Police du bâtiment sont contraires aux articles 4.4 et 8 de la Charte. C’est également l’avis du Médiateur qui a examiné ce dossier. Il s’agit là d’une illustration du conflit entre la Loi de 2000 sur les pouvoirs locaux et les textes adoptés antérieurement.
54. Les Rapporteurs recommandent aux autorités albanaises :
i. de réexaminer la composition et le fonctionnement du CATRA et des CAT locaux en vue de les mettre en conformité avec les articles 4.4 et 8 de la Charte européenne de l’autonomie locale et la Loi de 2000 sur les pouvoirs locaux ;
ii. de remplacer la Police du bâtiment par un corps d’inspection de l’aménagement indépendant du gouvernement en place, chargé de veiller à l’application des normes techniques sur le territoire et placé sous l’autorité des pouvoirs locaux ;
iii. de confier à un pouvoir judiciaire indépendant le contrôle de la légalité des décisions du Conseil d’ajustement territorial de la République d’Albanie et des conseils locaux d’ajustement territorial ;
iv. de veiller à ce que toute initiative en vue d’améliorer les lois sur l’urbanisme et la Police du bâtiment vise à mettre cette législation en conformité avec les dispositions de la Charte européenne de l’autonomie locale et la Loi N° 8652 « sur l’organisation et le fonctionnement des pouvoirs locaux » de 2000.
c) L’adoption d’actes normatifs
55. Selon cette procédure, le gouvernement peut prendre des décisions qui doivent être ratifiées par le parlement dans un délai de 40 jours, à la suite de quoi elles ont force de loi. En décembre 2005, le Conseil des Ministres a pris un acte normatif qui qui aurait autorisé les préfets en général et le préfet de Tirana à convoquer et présider des réunions des conseils d’ajustement territorial, voire à adopter des décisions, prétendument pour débloquer la situation dans l’affaire de Zogu i Zi au motif que le maire et le conseil de Tirana refusaient de convoquer ladite réunion. Cet acte normatif a largement suscité l’inquiétude parmi les pouvoirs locaux et dans la communauté internationale. Cette démarche aurait en effet manifestement enfreint la Charte européenne de l’autonomie locale (article 8), puisque en l’espèce un agent du gouvernement central – le préfet – aurait usurpé une fonction du conseil municipal. En fin de compte, bien que le Président albanais ait renvoyé l’acte normatif devant le Parlement pour examen complémentaire, le Parlement l’a approuvé sans le réviser ni le modifier. La Cour constitutionnelle a jugé, le 10 novembre 2006, qu’un tel acte normatif du gouvernement sur l’urbanisation enfreignait la Constitution et portait atteinte à l’indépendance des collectivités locales vis-à-vis du gouvernement central.
56. Les Rapporteurs recommandent de remplacer la procédure d’adoption d’actes normatifs par des procédures normales de prise de décision par adoption des lois en respectant les principes inscrits dans la Charte européenne de l’autonomie locale.
d) Suppression du ministère de l’Administration locale
57. Au cours de sa première visite en 2005, la délégation avait rencontré le Ministre de l’Administration locale. Nous avons donc été surpris d’apprendre, lors de notre visite de 2006, que le nouveau gouvernement formé suite aux élections en 2005 avait supprimé le ministère de l’Administration locale et que les questions relatives aux pouvoirs locaux relevaient désormais du ministère de l’Intérieur. Les raisons invoquées étaient la nécessité de réduire les coûts et de rationaliser le dispositif gouvernemental. Si nous comprenons cette nécessité, nous jugeons néanmoins regrettable, compte tenu de l’importance de la décentralisation pour la démocratie en Albanie, qu’il n’ait plus de ministère distinct chargé spécialement de ces questions.
e) Les élections locales
58. La date des élections locales, qui devaient avoir lieu à l’automne 2006, n’a pas encore été fixée. Ces élections ont été reportées au début de 2007, et il semble n’y avoir aucun accord sur leur date, qui devrait être fixée conformément au calendrier prescrit dans la Constitution et le Code électoral. Dans l’optique des élections locales à venir, plusieurs problèmes (listes électorales, commissions électorales, entre autres) ont donné lieu à une crise importante entre partis de la majorité et partis d’opposition durant l’été 2006. Toutefois, les Rapporteurs se félicitent que le parti au pouvoir et l’opposition aient réussi à conclure, fin août dernier, un accord politique sur la plupart des problèmes électoraux. Il est crucial pour la démocratie que le processus électoral soit abordé de manière professionnelle et responsable, avec la participation de tous les partis et de tous les citoyens.
59. Une autre question importante est la durée du mandat électif des conseillers locaux et des maires, qui est actuellement de trois ans. Les Rapporteurs, dans le droit fil des Recommandations jointes de la Commission de Venise et de l’OSCE/BIDDH sur le droit électoral et l’administration des élections en Albanie[7], recommandent que le mandat des conseillers locaux et des maires soit d’une durée de quatre ans minimum.
VII. Conclusions et recommandations
60. La délégation de suivi du Congrès estime que des progrès considérables ont été accomplis en Albanie en ce qui concerne la mise en place du cadre constitutionnel et législatif nécessaire à l’application de la Charte européenne de l’autonomie locale, que ce pays a signée et ratifiée en 2000. Néanmoins, elle constate également que les dispositions de la Charte ne sont pas toujours intégralement mises en œuvre. Les obstacles à la pleine application de la Charte sont notamment les suivants : méfiance généralisée à l’égard de la politique à tous les niveaux ; insuffisances du système d’administration publique ; centralisation héritée du régime communiste ; manque de ressources financières et humaines ; rivalité entre les partis. Mais la délégation de suivi du Congrès considère qu’en dépit des difficultés, la décentralisation constitue l’une des meilleures réponses à ces problèmes et salue la volonté de l’ensemble des partis politiques albanais de poursuivre cette stratégie. Les Rapporteurs ont noté plusieurs réalisations et projets positifs du gouvernement central albanais, comme l’organisation en mai - juin 2006 de la Conférence des donateurs pour une meilleure coordination des activités en faveur de la gouvernance et de la démocratie locales, et l’établissement du Comité interministériel sur la décentralisation (ICM) et du Groupe d’experts sur la décentralisation (GED). Les Rapporteurs ont également été informée de l’adoption et de la mise en œuvre de programmes de travail (modèles de décentralisation) pour s’attaquer à des problèmes cruciaux en Albanie, et notamment l’alimentation en eau potable, le transfert de la taxe sur les entreprises, etc. Les Rapporteurs saluent la tentative du Parlement d’Albanie de revoir la législation dans l’objectif de confier aux autorités locales l’entière autorité et responsabilité de la collecte et de l’administration de plusieurs taxes.
61. L’Albanie doit encore réfléchir à son organisation territoriale générale, et en particulier au nombre de régions et de municipalités et à la répartition des fonctions entre ces échelons d’administration locale. Elle doit aussi réexaminer le système préfectoral, déterminer si ce système est nécessaire et, dans l’affirmative, revoir son fonctionnement.
62. Il y a trop de petites communes qui ne sont pas à même de s’acquitter des missions qui leur sont dévolues et cette situation est aggravée par l’exode rural vers les villes qui prive encore davantage ces petites communes de ressources humaines. Il faudrait envisager de les encourager à se regrouper. Toute solution à ce problème devrait être le résultat d’un processus démocratique et participatif, qui respecte les dispositions constitutionnelles relatives à la consultation des populations concernés, lorsque les frontières d’une entité locale doivent être modifiées, et qui prenne aussi en compte la coordination des entités administratives territoriales à tous les niveaux de gouvernement.
63. Les douze régions sont des instances inédites qui ont été « improvisées » selon certains des interlocuteurs de la délégation de suivi du Congrès et ont suivi l’expérience des districts. Si elles n’existent que depuis peu de temps, elles n’en ont pas moins une existence constitutionnelle. Nous pensons que des erreurs ont été commises à l’origine dans la conception des régions et dans la définition de leur place et de leur mission au sein du système politique et administratif. Cela est d’autant plus regrettable qu’il est plus facile, en principe, de mettre en place un nouveau schéma que de modifier des structures existantes. La classe politique et administrative est d’accord pour dire que les régions constituent une évolution positive, mais aussi que leur fonctionnement actuel n’est pas très satisfaisant. Leurs fonctions ne sont pas clairement définies ; elles manquent de ressources, au niveau financier comme administratif ; enfin, elles sont trop nombreuses. D’autre part, on note une trop grande ingérence des préfets, qui sont davantage un instrument de contrôle pour le pouvoir central qu’un soutien administratif. De plus, il manque aux régions une légitimité politique et elles sont mal connues de la population. Pour toutes ces raisons, nous considérons qu’une nouvelle loi relative aux régions s’impose et qu’elle pourrait contenir les éléments suivants :
a) Conformément à la Déclaration d’Helsinki du Conseil de l’Europe sur l’autonomie régionale, les conseils régionaux devraient être élus au suffrage direct.
b) L’organisation de ces conseils régionaux devrait être plus efficace : le nombre de conseils devrait être réduit et leur territoire devrait correspondre à celui de zones socioéconomiques.
c) Il devrait y avoir séparation de l’assemblée et de l’exécutif régionaux, que ce dernier soit élu au suffrage direct ou indirect.
d) Il conviendrait de définir clairement les compétences des régions – qui, conformément à ce qui se fait dans d’autres pays européens, devraient recouvrir :
- l’environnement ;
- les transports publics ;
- la formation ;
- les questions culturelles ;
- développement socio-économique,
- développement environnemental,
- développement territorial,
- la coordination des politiques urbaines et rurales, etc.
e) Une part accrue des revenus des collectivités locales devrait provenir de ressources propres, et notamment de taxes et redevances locales. D’autre part, il faudrait définir plus clairement la nature des dotations de l’Etat, en privilégiant les crédits non conditionnels.
f) Le système électoral devrait être celui de la représentation proportionnelle et la durée du mandat des conseillers élus et des maires devrait être d’au moins quatre ans.
g) Les capacités institutionnelles des régions devraient être renforcées.
h) Les rôles respectifs du préfet et du conseil régional devraient être précisés afin d’éviter les chevauchements. La mission du préfet devrait se limiter à un contrôle a posteriori de la légalité de l’action régionale ; il ne devrait pas y avoir d’ingérence politique du préfet dans le fonctionnement du conseil régional. Les administrations régionale et préfectorale devraient être clairement séparées.
i) Il faudrait réexaminer les lois adoptées avant la Loi N° 8652 « sur l’organisation et le fonctionnement des pouvoirs locaux » de 2000 afin de les mettre en harmonie avec celle-ci et d’élaborer les nouvelles lois conformément au calendrier défini dans la Loi N° 8652 .
64. Concernant le changement de gouvernement de 2005, bien que le nouveau gouvernement ait affirmé son attachement au programme de décentralisation, on relève des signes préoccupants de retour à une approche centralisée : le recours aux actes normatifs pour imposer la volonté du gouvernement aux pouvoirs locaux ; la réduction de moitié de la taxe locale sur les petites entreprises ; l’intervention abusive du Conseil d’ajustement territorial de la République d’Albanie et de la Police du bâtiment notamment dans l’affaire concernant le conseil municipal de Tirana ; l’ingérence des préfets dans le fonctionnement des conseils régionaux. Nous félicitons le nouveau gouvernement de sa détermination à éradiquer la corruption et la criminalité, à favoriser une gouvernance de meilleure qualité, la transparence et la participation des citoyenset à promouvoir le développement économique national. Nous estimons cependant que cela ne doit pas se faire aux dépens du programme de décentralisation et des principes consacrés par la Charte de l’autonomie locale. En effet, à l’instar du reste de la communauté internationale et des nombreuses ONG opérant en Albanie, les Rapporteurs pensent qu’une réaffirmation de l’engagement en faveur de la décentralisation est un élément important et même indispensable pour combattre la corruption et la criminalité.
ANNEXE I
Rapport de suivi sur la démocratie régionale en Albanie
Première visite officielle (Tirana et Durrës, 11-12 mai 2005)
PROGRAMME
Mercredi 11 mai 2005
9 :00 Réunion avec M. Ben Blushi, ministre des pouvoirs locaux et de la décentralisation
11 :00 Réunion avec Mme Albana Dhimitri, maire adjointe de Tirana, Hôtel de ville
12 :00 Réunion au ministère des Finances avec Mme Mimoza Dhembi, directrice du budget de l’Etat
13 :00 Réunion avec M. Leonidha Toska, président de l’Association des régions d’Albanie, avec la participation des présidents des conseils régionaux et des membres de la délégation albanaise auprès du Congrès
14 :20 Départ pour la région de Durrës
15 :00 Réunion avec Mme Ingrid Shuli, préfet de la région de Durrës, avec la participation de M. Gorim Bega, chef du Service juridique
16 :00 Réunion avec M. Genci Alizoti, président du Conseil de la région de Durrës
17 :30 Départ de Durrës pour Tirana
Jeudi 12 mai 2005
9 :00 Réunion avec MM. Ylli Bufi et Fatos Beja, coprésidents de la commission parlementaire sur les réformes administratives territoriales
9 :30 Réunion avec M. Taulant Dedja, président de la sous-commission parlementaire de la démocratie locale et régionale
10 :20 Réunion avec M. Namik Dokle, premier ministre adjoint, avec la participation de Mme Merita Ndreko, conseillère
11 :30 Réunion avec Mme Pascale Roussy, directrice de projet, mission de l’OSCE à Tirana
12 :30 Réunion avec M. Guy-Michel Brandtner, conseiller spécial du Conseil de l’Europe en Albanie
16 :30 Réunion avec M. Sali Berisha, président du Parti démocratique, avec la participation de Mme Josefina Topalli, vice-présidente
17h30 Bilan de la délégation du Congrès
18 :30 Réunion avec M. Barry Read, représentant de l’Urban Institute, projet USAID
ANNEXE II
Visite officielle des Rapporteurs du Congrès sur la démocratie locale et régionale en Albanie (Tirana, 10-12 avril 2006)
PROGRAMME
8:00 – 9:00 Rencontre avec Mme Delphine Freymann, Conseiller spécial du Conseil de l’Europe en Albanie
9:00 – 10:00 Rencontre avecM. Fatos Hodaj, Directeur exécutif de l’Association des municipalités albanaises
10:00-11:00 Rencontre avec M. Klaus Derkowitsch, Ambassadeur de l’Autriche en Albanie, M. Hanns Peter Annen, Ambassadeur de l’Allemagne en Albanie, et M. Carlo Natale, Délégation de la Commission européenne en Albanie
11 :00-12:00 Rencontre avec M. Dritan Shutina, Directeur exécutif de Co-Plan
12:30–13:25 Rencontre avec Mme Edith Harxhi, Vice-ministre des Affaires étrangères
13:30-15:00 Rencontre avec M. Ferdinand Pone, Vice-ministre de l’Intérieur responsable des collectivités locales
15:15-16:15 Déjeuner
16 :30-17:00 Rencontre avec M. Nadir Mohammed, Chef de la Mission de la Banque Mondiale en Albanie
Mardi, 11 avril 2006
9:00-9:50 Rencontre avec M. Stavri Ristani, Vice-ministre des travaux publics, du transport et des télécommunications
10:00-10:50 Rencontre avec M. Sherefedin Shehu, Vice-ministre des finances
11:00-11:35 Rencontre avec M. Arben Imami, Directeur du Cabinet du Premier Ministre
11:45–12:45 Rencontre avec M. Fatos Beja, Vice-président du Parlement (Parti démocratique)
13:00–14:00 Déjeuner
14:30–15:30 Rencontre avec M. Ylli Bufi, Vice-président du Parlement (Parti socialiste), et M. Fatmir Xhafa, Vice-président de la Commission juridique du Parlement
16:00- 17:00 Rencontre avec M. Barry Reeds, USAID
18:00–19:00 Rencontre avec M. Artan Hoxha, membre du Groupe d’experts indépendants sur la Charte européenne de l’autonomie locale du Congrès
9:00 – 10:00 Rencontre avec M. Ermir Dobjani, Médiateur de la République
10:00 – 11:00 Rencontre avec des membres du Parlement :
§ M. Tritan Shehu (Nouveau parti démocratique), Président de la Commission de la santé
§ Mme Valentina Leskaj (Parti socialiste), Président de la Commission des médias et de l’éducation
§ M. Edmond Spaho (Parti démocratique), Président de la Commission de l’économie et des finances
§ Mme Diana Çuli (Parti social-démocrate), Commission des médias et de l’éducation
§ M. Besnik Bisha (Parti républicain), Secrétaire de la Commission des médias et de l’éducation
§ M. Genc Sharku (Parti républicain), Secrétaire de la Commission de l’intégration européenne
§ M. Qemal Minxhozi (Parti socialiste), Commission de l’intégration européenne
§ Mme Angjelina Kola (Parti social-démocrate), Commission de l’économie et des finances
§ M. Arjan Madhi (Parti républicain), Commission juridique
11:00 – 12:00 Rencontre avec M. Edi Rama, Maire de Tirana
12:00 – 13:30 Rencontre avec des présidents des conseils régionaux d’Albanie et membres de l’Association des conseils régionaux d’Albanie (dont M. Leonidha Toska, Président du conseil régional de Tirana et Président de l’association, M. Lorenc Luka, Président du conseil régional de Shkodra, et M. Resul Llogo, Président du conseil régional de Gjirokastra, membres de la délégation de l’Albanie auprès du Congrès)
13:30 – 15:00 Déjeuner
16:00 – 17:00 Rencontre avec M. Genc Alizoti, Président du Conseil régional de Dürres
17:30 – 18:30 Rencontre avec Ambassadeur Pavel Vacek, Chef de la Présence de l’OSCE en Albanie, et experts (M. Dan Redford et Mme Pascale Roussy)
[1] La République d'Albanie a adhéré au Conseil de l'Europe en 1995. Elle a ratifié en 2000 la Charte européenne de l'autonomie locale (appelée ci‑après « la Charte »), sans réserves ou déclarations, qui est entrée en vigueur par rapport à l’Albanie le 1er août 2000.
[2] M. Van Cauwenberghe a remplacé Mme Aybar comme rapporteur sur la démocratie régionale en Albanie.
[3] Loi n° 8744 du 22 février 2001 sur le transfert des biens immobiliers de l’Etat aux collectivités locales ; Loi n° 8982 du 12 décembre 2002 sur la fiscalité locale ; Loi n° 8978 du 12 décembre 2002 sur l’imposition locale des petites entreprises ; Loi n° 8979 du 12 décembre 2002 portant modification de la loi relative à l’impôt sur le revenu.
[4] Albanie, (rapports pays par pays sur la situation de la démocratie locale et régionale dans les Etats membres du Conseil de l’Europe), Genc Ruli et Julia Dhimitri, Strasbourg : Conseil de l’Europe, 2005.
[5] L’Association des régions albanaises a tenu à préciser qu’elle n’a jamais été informée d’une telle position.
[6] Communiqué de presse - 025(2006)
[7] CDL-AD(2004)017. En ce qui concerne les élections locales, la Recommandation dit « qu’ en vertu de l’article 109 de la Constitution, les conseils locaux et les maires sont élus pour trois ans. Ce mandat peut être considéré comme très court, plus court que dans la plupart des pays européens où il est de quatre à six ans, et on peut se demander s’il laisse assez de temps aux nouveaux maires et conseillers locaux pour se familiariser avec leur fonction et réaliser leurs projets avant la campagne électorale suivante. »