La Convention d’Istanbul a 10 ans : montrer la voie pour une vie exempte de violence
Déclaration faite à l’occasion de la Journée internationale des Nations Unies pour les femmes par Franziska Giffey, ministre fédérale allemande de la Famille, des Personnes âgées, de la Femme et de la Jeunesse et par Marija Pejčinović Burić, Secrétaire Générale du Conseil de l’Europe
En mai de cette année, le Conseil de l’Europe célèbre les 10 ans de la Convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, mieux connue comme la Convention d’Istanbul, étant donné qu’elle a été ouverte à la signature à Istanbul en 2011.
Ce traité lie aujourd’hui 34 pays de toute l’Europe. Douze de plus l’ont signé et, compte-tenu de la valeur ajoutée apportée par cet instrument juridiquement contraignant et par nature innovant, nous les incitons vivement à le ratifier. La Convention d’Istanbul et ses activités de suivi ont permis au Conseil de l’Europe de se positionner en tant que chef de file dans la protection des femmes et des filles contre la violence, même si nous sommes confrontés à des défis de taille, depuis la COVID-19 jusqu’à des groupes avançant des affirmations inexactes concernant ce traité. Nous devons faire preuve d’audace pour surmonter ces obstacles afin de continuer à progresser pour mettre fin à toutes formes de violences à l’égard des femmes et des filles.
Dans les 17 pays évalués jusqu’ici par le GREVIO (le groupe chargé du suivi de la mise en œuvre du traité), beaucoup a déjà été fait. Des numéros d’assistance téléphonique pour apporter un soutien et des informations aux victimes ont été ouverts dans tous ces pays ; parmi eux, Monaco, l’Albanie, le Monténégro, la Finlande et la Serbie y ont été incités par la Convention d’Istanbul. Cependant, dans de nombreux pays, des mesures doivent être prises pour veiller à ce que les numéros d’appel soient joignables 24 heures sur 24 et tenus par des praticiens formés pour aider les victimes de toutes formes de violence à l’égard des femmes.
Les rapports du GREVIO et des développements ultérieurs ont montré comment certains pays ont élargi la gamme des services mis à disposition des femmes victimes, notamment en installant des foyers d’accueil dans des secteurs qui n’en disposaient pas jusque-là, ou en mettant en place des services vitaux et spécialisés pour les victimes de violence sexuelle. Depuis 2016, comme requis par la Convention, des centres de crise pour les femmes et les filles victimes de violence sexuelle ont été ouverts pour la première fois en Albanie, en Belgique, au Portugal et en Finlande. Le Monténégro a récemment pris des dispositions pour répondre à une pénurie de foyers d’accueil dans la partie nord du pays en finançant un foyer accrédité, géré par une ONG, qui accueillera les victimes de violence domestique.
Les lois sont en train d’évoluer afin de définir le viol comme un acte reposant sur le non-consentement plutôt que sur la preuve de l’usage de la force et de la menace. Cette évolution importante permet aux femmes victimes de ne plus se sentir coupables, la culpabilité étant reportée sans ambiguïté sur les auteurs de l’acte. Ainsi, la Suède a récemment modifié son code pénal pour qu’il reflète l’approche selon laquelle « il n’y a que le oui explicite qui signifie oui » et que qui ne dit mot ne consent pas ; les premiers résultats sont là : le nombre des poursuites augmente.
Mais les progrès n’ont pas été faciles tant la voie est semée d’embûches. Tout récemment, les confinements et autres restrictions associés à la pandémie de covid-19 ont entraîné des pics records d’abus au sein de la cellule familiale. Dans tous les pays d’Europe, les numéros d’appel d’assistance téléphonique ont enregistré des augmentations considérables d’appels à l’aide.
En outre, la Convention d’Istanbul reconnaît que traditionnellement, tout au long de l’histoire, les femmes se sont vu nier les mêmes droits que les hommes, notamment le droit de vote, le droit de travailler voire d’ouvrir leur propre compte en banque. Certains rôles construits socialement à partir de ces traditions ont placé les femmes dans des situations de vulnérabilité accrue qui ont ou peuvent déclencher de la violence au simple fait qu’elles sont des femmes. Certains groupes qui ne voient pas ce lien ont fait des allégations fallacieuses à l’égard du traité. Ils détournent l’attention de ses seuls et uniques objectifs, à savoir prévenir et combattre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique. Des personnalités politiques dans certains pays ont appelé à se retirer de ce traité, ce que nous considérerions comme un recul grave sur le plan des droits humains.
Il n’est pas question de reculer, car la Convention d’Istanbul offre une boîte à outils complète pour traiter les nombreuses formes de violence à l’égard des femmes, notamment lorsqu’elles se produisent dans le cyberespace. Le suivi de la mise en œuvre est mené avec la pleine coopération des gouvernements ; son assistance est essentielle pour déterminer où les efforts doivent être intensifiés et pour apporter des conseils sur mesure, en vue d’atteindre notre but commun qui est de défendre le droit des femmes de vivre sans être victimes de violences. Le suivi apporte une couche de protection supplémentaire et nécessaire. Il a identifié des bonnes pratiques dans certains pays, qui ont été partagées avec d’autres, et il permet aux Etats Parties de mieux relever des défis communs.
Ce sont les efforts déployés par tous dans le cadre du droit international des droits de l’homme qui ont permis d’ouvrir une ère nouvelle pour propulser les droits des femmes au centre mais aussi au premier plan. Les femmes et les filles représentent 50% de la population, et nous nous devons de leur ouvrir un monde qui leur permette de concrétiser leur potentiel et d’apporter leur contribution, au lieu d’être freinées par des expériences de violence et d’inégalité due à leur sexe.
Parce qu’elle est par nature globale, beaucoup voient dans la Convention d’Istanbul la « norme d’excellence » : elle traite la violence à l’égard des femmes sous toutes ses formes, et donne des outils nécessaires pour la prévenir, pour protéger ses victimes et pour poursuivre les auteurs de ces actes de violence.
Dans un contexte où des tentatives sont faites pour tordre la réalité et nier des faits bien établis, nous rappelons que, selon l’Organisation mondiale de la santé, 1 femme sur 3 sera exposée dans sa vie à un acte de violence physique et/ou sexuelle, commis pour la majorité par son partenaire intime.
La Convention d’Istanbul et son mécanisme de suivi sont des outils essentiels pour faire baisser ce chiffre effrayant. Cependant, elle n’entraînera des changements tangibles que si elle est pleinement soutenue et mise en œuvre. Nous nous donnons pour objectif que d’ici dix ans – et on l’espère avant – tous les Etats membres du Conseil de l’Europe seront devenus Parties à la Convention d’Istanbul.