13ème Session
Session d’Automne (13-15 Novembre 2006)
Commission Permanente de la Chambre des pouvoirs locaux

Conformité de la législation norvégienne avec l'article 11 de la Charte européenne de l'autonomie locale

Rapporteur: Muriel BARKER, Royaume-Uni,
Chambre des pouvoirs locaux, Groupe politique : SOC

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EXPOSE DES MOTIFS

1. Le 1er mars 2006, la Délégation norvégienne auprès du Congrès a adressé à la Commission institutionnelle une demande d’avis en vue d’examiner dans quelle mesure le droit norvégien, tel que reflété par la jurisprudence des tribunaux internes est en conformité avec l'article 11 de la Charte européenne de l’autonomie locale.

2. Le 21 avril 2006, la Commission institutionnelle a examiné cette demande et l’a déclarée recevable. Elle l’a ensuite transmise à son Groupe d'experts indépendants pour analyse et avis sur le fond.

3. Le 31 mai 2006, la Commission Institutionnelle m’a désignée comme rapporteur en charge de l’avis.

4. La Norvège, par le biais du Ministère Royal pour l'Autonomie Locale et le Développement Régional, a présenté des observations sur la requête le 5 septembre 2006.

5. Quant à la procédure suivie pour l’élaboration de l’avis, aux moyens de fait et de droit et à son dispositif, il convient de se reporter à l’avis motivé joint à l’annexe du présent exposé des motifs.

6. J’ai présenté l’avis du Groupe d‘experts indépendants à la Commission institutionnelle lors de sa réunion du 16 octobre 2006, à Strasbourg.

7. Sur ma proposition, et à la lumière de l’avis du Groupe d’experts indépendants, la Commission institutionnelle a décidé d’endosser l’avis motivé du Groupe d’experts indépendants et de proposer au Congrès d’adresser aux autorités norvégiennes une recommandation. La décision de la Commission institutionnelle figure à l’annexe 1 du présent rapport. L’avis motivé du Groupe d’experts indépendants figure à l’annexe 2 du présent rapport.

Annexe 1

Décision de la Commission institutionnelle

sur la conformité de la législation norvégienne
avec l'article 11 de la Charte européenne de l'autonomie locale

La Commission institutionnelle du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe,

Sur la demande d’avis communiquée par la Délégation norvégienne auprès du Congrès concernant la Norvège, en vue d’examiner dans quelle mesure le droit norvégien, tel que reflété par la jurisprudence des tribunaux internes, est conforme à l'article 11 de la Charte européenne de l’autonomie locale,

Ayant examiné cette demande et l’ayant déclarée recevable par décision du 21 avril 2006,

Vu l’avis motivé du Groupe d'Experts Indépendants sur la Charte Européenne de l'Autonomie Locale qui assiste la Commission institutionnelle dans ses fonctions statutaires adopté après délibération en séance plénière lors de sa réunion du 5 octobre 2006, à Pérouse – Italie.

Décide d’endosser l’avis motivé du Groupe d’experts indépendants et de transmettre au Congrès un projet de recommandation invitant les autorités norvégiennes à mettre en conformité leur législation et la pratique juridictionnelle avec l'article 11 de la Charte européenne de l’autonomie locale, en garantissant aux collectivités locales, dans l’ordre juridique interne, le droit et l'exercice réel du droit à un recours juridictionnel à l’encontre des décisions prises par l'administration de l'État dans les situations visées par l’avis joint à l’annexe 2, afin d'assurer le libre exercice de leurs compétences et le respect des principes d'autonomie locale qui sont consacrés par le droit national.

Annexe 2

Avis motivé
du Groupe d’experts indépendants de la Charte européenne de l’autonomie locale

sur la conformité de la législation norvégienne
avec l'article 11 de la Charte européenne de l'autonomie locale

1. Le Groupe d'Experts Indépendants sur la Charte Européenne de l'Autonomie Locale [le Groupe d'Experts],

Sur la demande d’avis communiquée par la Délégation norvégienne auprès du Congrès [la Délégation norvégienne] concernant la Norvège [le Gouvernement norvégien], en vue d’examiner dans quelle mesure le droit norvégien, tel que reflété par la jurisprudence des tribunaux internes, est conforme à l'article 11 de la Charte européenne de l’autonomie locale [la Charte],

Après avoir délibéré en séance plénière lors de sa réunion du 5 octobre 2006, à Pérouse - Italie,

Adopte le présent avis motivé:

I. LA PROCÉDURE

2. Le 1er mars 2006, la Délégation norvégienne a introduit, auprès de la Commission Institutionnelle, une demande d’avis concernant la Norvège, enregistrée le 10 mars 2006 sous la référence CPL/INST (12) 21 (para. 10 de la Procédure des requêtes concernant les violations alléguées de la Charte européenne de l'autonomie locale - CPL/INST (12) 18 du 10 novembre 2005 [la Procédure]).
La demande d’avis porte sur la conformité du droit norvégien avec l'article 11 de la Charte.

3. En attendant la saisine de la Commission Institutionnelle, le Groupe d'Experts, lors de sa réunion du 24 mars 2006, à St Gall - Suisse, sur proposition de son Président, a arrêté la composition de la formation spéciale chargée de l'analyse de la requête et de l'élaboration de l'avis (para. 20 de la Procédure).

La formation spéciale a été composée par: le Professeur dr. Corneliu-Liviu POPESCU, vice-président du Groupe d'Experts, chargé des requêtes (Roumanie) - président; M Jean-Marie GOERENS (Luxembourg) - rapporteur; le Professeur dr. Eivind SMITH (Norvège) - expert national. Ultérieurement, le Professeur SMITH s'est désisté en tant que membre de la formation spéciale.

4. Le 21 avril 2006, la Commission Institutionnelle a examiné la demande d’avis.

La demande d’avis a été déclarée recevable et transmise, pour analyse et avis sur le fond, au Groupe d'Experts (paras. 12 et 16 de la Procédure).

5. Le 25 avril 2006, le Secrétariat a transmis la demande d’avis aux autorités norvégiennes, pour présenter des observations jusqu'au 1er juin 2006 (para. 17 de la Procédure).

Suite à la demande de la Représentation Permanente de la Norvège auprès du Conseil de l'Europe, en date du 7 juin 2006, de pouvoir disposer d’un délai supplémentaire pour présenter les observations du Gouvernement norvégien, ce délai a été prolongé jusqu'au 1er septembre 2006.

La Norvège, par le biais du Ministère Royal pour l'Autonomie Locale et le Développement Régional, a présenté des observations sur la demande d’avis le 5 septembre 2006.

6. Le projet d’avis motivé a été élaboré par la formation spéciale et rédigé par le Prof. dr. Corneliu-Liviu POPESCU, vice-président du Groupe d'Experts, chargé des requêtes (Roumanie) (para. 21 de la Procédure).

Le Groupe d’Experts a examiné le projet d’avis et a proposé d’y apporter quelques amendements. L'avis motivé, tel qu’amendé, a été adopté par le Groupe d'Experts lors de sa réunion du 5 octobre 2006, à Pérouse - Italie (para. 21 de la Procédure).

L'avis motivé du Groupe d'Experts a été transmis pour décision finale à la Commission Institutionnelle (para. 22 de la Procédure).

II. EN FAIT

II.1. Les circonstances de l'affaire

7. La requête porte sur quatre décisions judiciaires, rendues par les tribunaux norvégiens, concernant des actions en justice introduites par des collectivités locales.

Les faits, comme présentés dans la requête et non contredits dans les observations du Gouvernement norvégien, se présentent de la manière suivante:

8. En vertu du droit national, les collectivités locales sont compétentes pour prendre des décisions sur les demandes de fonds, de services et de permis. L'État est bien souvent l'instance d'appel, et il l'est dans tous les exemples suivants: prestations sociales, cadre de l'enseignement répondant à des besoins spécifiques, et concessions pour l'acquisition de biens immobiliers.

Le Comité de sélection des recours de la Cour suprême norvégienne a statué sur la question de savoir si les collectivités locales pouvaient introduire une requête auprès des tribunaux pour obtenir le réexamen des décisions rendues par l'État en statuant sur un recours administratif contre une décision adoptée par une collectivité locale. Il a conclu que les collectivités locales n'avaient pas le droit de saisir la justice. Dans l'Affaire 1993-445, il est indiqué que:

"Le Comité de sélection des recours et la Cour d'appel s'accordent à reconnaître que le statut de la collectivité locale, qui est une autorité publique aux termes de la Loi relative aux concessions, ne peut pas en soi justifier l'octroi à la collectivité locale du droit d'agir en justice. La collectivité locale n'a d'ailleurs pas argumenté en ce sens. Comme la Cour d'appel l'a examiné en détail, on considère que ce fondement est une condition préalable indispensable pour qu'elle puisse faire appel et plus largement avoir le droit d'agir en justice. Le contraire ne serait pas conforme à la répartition des pouvoirs entre l'État et les collectivités locales prévue par la Loi relative aux concessions, étant donné que la collectivité locale, en tant qu'instance administrative inférieure ou consultative, serait capable d'exiger le réexamen par les tribunaux de la décision du ministère."

9. En vertu du droit norvégien de l'administration publique, l'État peut ordonner aux collectivités locales de prendre à leur charge les dépens des parties civiles dans les affaires d'administration publique où la collectivité locale est le prestataire de service.

La Cour suprême a statué que les collectivités locales ne devaient solliciter aucun recours, ni préliminaire, ni juridictionnel. En l'espèce, la collectivité locale avait introduit une demande auprès d'un organe administratif public supérieur afin d'obtenir l'annulation d'une décision adoptée par un organe administratif public de niveau hiérarchique inférieur. La requête a été déboutée et l'État a statué que la collectivité locale devrait s'acquitter des dépens des parties civiles afférents à la demande d'annulation de la décision (principalement des honoraires d'avocat). La Cour suprême a jugé que la collectivité locale n'avait pas le droit d'introduire une demande auprès d'un organe administratif supérieur pour obtenir l'annulation de la décision et ne pouvait pas en conséquence obtenir le droit de faire réexaminer la question des dépens par les tribunaux, qu'il s'agisse d'un recours préliminaire ou juridictionnel. Dans l'Affaire 2004-1804, elle prévoit ce qui suit:

"L'obligation de la collectivité locale s'applique exclusivement aux dépens de la partie civile afférents à la demande d'annulation de la décision. En l'espèce, rien ne justifie à mon sens l'attribution à la collectivité locale du droit d'agir en justice concernant les dépens que le Gouverneur du comté a décidé d'imputer à la collectivité locale concernant la requête de la partie civile. De la même façon, le fait que la collectivité locale ne jouisse pas d'un droit d'appel devrait impliquer qu'elle ne peut être considérée comme ayant la capacité juridique suffisante de saisir la justice concernant la validité de la décision relative aux dépens."

10. Quand deux collectivités locales sont incapables de parvenir à un accord sur leurs responsabilités concernant la législation relative aux services sociaux, à la protection de l'enfance et à l'éducation, la législation contient des dispositions selon lesquelles le litige peut être soumis à une autorité publique pour décision. Il ne peut pas être fait appel de la décision auprès d'une autorité publique supérieure.

La jurisprudence des tribunaux norvégiens de première instance interprète la législation existante comme entraînant l'impossibilité de faire réexaminer les décisions de l'État par les tribunaux. Dans sa décision du 28 octobre 2003, le tribunal du district de Drammen a examiné la situation au regard de la Charte. Il énonce ce qui suit:

"En outre, la commune de Kongsberg fait référence à l'article 11 de la Charte européenne de l'autonomie locale du 15 octobre 1985, avançant qu'il serait contraire à cette disposition d'exclure la possibilité d'un réexamen par les tribunaux de la décision du Gouverneur du comté en vertu de l'article 10-3 de la Loi relative aux services sociaux, sans donner davantage d'explication. La Norvège a ratifié la Charte de l'autonomie du Conseil de l'Europe du 15 octobre 1985. Selon l'article 11, les collectivités locales doivent avoir accès à un «recours juridictionnel» afin d'assurer «le libre exercice de leurs compétences et le respect des principes d'autonomie locale qui sont consacrés dans la Constitution ou la législation interne». D'après le tribunal, cette disposition signifie que les collectivités locales ont droit à un recours juridictionnel si leurs droits tels que prévus dans les statuts ou dans la Constitution sont bafoués. D'après l'appréciation du tribunal, aucune disposition statutaire ou constitutionnelle n'attribue à la commune de Kongsberg le droit de soumettre aux tribunaux la décision du Gouverneur du comté, et le tribunal ne voit pas en quoi l'article 11 de la Convention serait contraire à la législation selon laquelle les litiges entre collectivités locales relatifs à leurs responsabilités en tant qu'instances administratives devrait être réglés par d'autres autorités que les tribunaux."

Le Parlement norvégien (Storting) a ensuite examiné une proposition de modification de la législation norvégienne relative aux affaires sociales et à la protection de l'enfance, afin qu'elle indique expressément la possibilité de faire réexaminer par les tribunaux tous les aspects d'une affaire - c'est-à-dire les points de droit et les faits. Le Storting n'a pas accepté la proposition - Recommandation n° 23 à l'Odelsting (2004-2005).

11. En Norvège, les personnes morales de droit privé peuvent choisir de ne pas se conformer aux décisions prises par les autorités, puis plaider l'invalidité de la décision si des poursuites sont engagées pour exiger le respect de la décision. Cette approche peut également s'appliquer dans les cas où la personne morale privée a été condamnée à verser une contribution à une autre. Dans ce cas, le tribunal doit prendre une décision préliminaire sur la validité de la décision.

La Cour suprême a posé la question de savoir si les collectivités locales jouissaient du même droit de "passivité" face aux décisions prises par les autorités du gouvernement central. Cette question s'est posée dans une affaire où l'État a ordonné à une collectivité locale de verser une contribution à une partie civile. La Cour suprême ne s'est pas prononcée sur la question. Dans l'Affaire 1997-877, elle a dit:

"Tout d'abord, compte tenu de la manière dont la justice a été saisie, je voudrais signaler que l'obligation de la collectivité locale X de faire droit à la demande des époux A et B dépendra de la validité de la décision adoptée par le médecin chef du comté, affaire devant faire l'objet d'une décision préliminaire. Comme il a déjà été noté, dans le cadre d'une procédure devant la Cour suprême, la collectivité locale a retiré quelques unes de ses objections, relatives entre autres au droit d'appel et à la compétence du médecin chef du comté. Les parties conviennent que les parents ont fait appel de la décision de la collectivité locale en temps utile au nom de C en vertu du deuxième paragraphe de l'article 2-3 de la Loi relative aux services sanitaires au niveau des communes et que le médecin chef du comté, en tant qu'instance d'appel, était pleinement compétent (se référer au deuxième paragraphe de l'article 34 de la Loi relative à l'administration publique). Je décide de ne pas examiner les questions procédurales qui pourraient être soulevées à la suite du retrait par la collectivité locale de ces conclusions. Une autre question est de savoir si la collectivité locale était libre de ne pas tenir compte de la décision de l'instance d'appel - en l'espèce, le médecin chef du comté - avant sa modification, le cas échéant par le biais d'une action en justice, avec vraisemblablement la collectivité locale en tant que partie requérante. Toutefois, compte tenu des conclusions auxquelles je suis parvenu, rien ne justifie un examen plus approfondi de cette question."

La Cour suprême n'a pas été tenue de statuer sur cette question puisqu'elle avait conclu à la validité de la décision du médecin chef du comté.

II.2. Le droit interne applicable

12. Selon le droit norvégien, les collectivités locales sont des personnes morales autonomes. En règle générale, elles peuvent saisir la justice ou être assignées en justice.

Une particularité du droit norvégien consiste dans le fait qu'en général l'État fait office d'instance d'appel quand les décisions des collectivités locales prises en certaines matières font l'objet d'un recours individuel. Ainsi, si un particulier est mécontent d'une décision adoptée par une collectivité locale, il peut demander à cette même collectivité locale le réexamen de l'affaire, puis saisir d'un recours administratif l'administration de l'État. La décision prise par l'État est définitive et obligatoire pour la collectivité locale.

Selon la jurisprudence des tribunaux nationaux, les recours des collectivités locales tenant à obtenir le réexamen ou l'annulation de la décision prise par l'État ne sont pas recevables, faute de capacité des collectivités locales d'ester en justice dans ce genre d'affaires ou faute de compétence des tribunaux judiciaires en la matière.

III. EN DROIT

Sur la violation alléguée de l'article 11 de la Charte

A. Position des parties

13. La Délégation norvégienne s'interroge sur la conformité du droit norvégien avec l'article 11 de la Charte, par rapport à l'impossibilité d'une collectivité locale, dans des cas précis, d'obtenir le réexamen de la position de l'État par un organe juridictionnel indépendant.

La Délégation norvégienne soulève quatre questions, par rapport aux quatre décisions judiciaires nationales présentées supra (paras. 8 - 11):
i. Les collectivités locales ont-elles le droit de faire réexaminer les décisions de l'État si ce dernier tire une conclusion différente de celle de la collectivité locale dans le cas d'une affaire administrative faisant l'objet d'un recours?

ii. Les collectivités locales ont-elles le droit d'obtenir le réexamen de la décision?

iii. Les collectivités locales ont-elles droit à un recours juridictionnel concernant les décisions adoptées par l'État dans ces cas-là?

iv. L'article 11 de la Charte attribue-t-il aux collectivités locales le droit de faire réexaminer par les tribunaux les décisions de cette nature prises par l'État? Dans l'affirmative, l'article 11 devrait-il être interprété comme accordant uniquement le droit à un recours juridictionnel, signifiant que les collectivités locales doivent adopter une approche proactive en saisissant la justice pour invalidité de la décision de l'État? Ou bien comme accordant également le droit à un recours préliminaire, signifiant que les collectivités locales peuvent adopter une approche passive en attendant l'engagement de poursuites individuelles puis en plaidant en la faveur du requérant au motif que la décision adoptée par l'État est invalide?

14. Le Gouvernement norvégien, dans ses observations, considère que l'article 11 de la Charte est respecté dans le droit norvégien.

Dans la Proposition no 19 (1988-89) sur le consentement pour la signature et l'approbation de la Charte européenne de l'autonomie locale de Conseil de l'Europe du 15 octobre 1985 il existe une déclaration qui a le contenu suivant:

"Les municipalités et les départements norvégiens ont le droit d'introduire une action civile devant les tribunaux. Le droit norvégien est ainsi en conformité avec les exigences contenues dans l'article 10 [en réalité, l'article 11] de la Convention".

Du point de vue constitutionnel, les compétences des autorités locales sont déléguées par l'État.

L'expression "leurs compétences", contenue dans l'article 11 de la Charte, ne couvrirait que la situation dans laquelle il s'agit d'une compétence déléguée de manière exclusive aux autorités locales. Quant l'administration de l'État agit en tant qu'organe qui statue sur un recours administratif contre une collectivité locale, ainsi que dans d'autres hypothèses indiquées dans la requête, la collectivité locale ne disposerait pas d'une compétence exclusive, donc l'article 11 de la Charte ne serait pas applicable.

L'article 11 de la Charte devrait être interprété à la lumière de l'article 8, qui légitime les contrôles administratifs exercés par l'État sur les collectivités locales. L'article 11 de la Charte devrait être interprété de manière restrictive.

Une action judiciaire introduite par une collectivité locale contre une décision rendue par l'administration de l'État statuant sur un recours administratif d'un particulier contre une décision initiale de la collectivité locale serait coûteuse et longue, donc contraire à l'efficacité administrative et aux droits de l'homme. La collectivité locale a le droit de faire des commentaires avant que l'administration de l'État statue sur le recours administratif du particulier.

Quand l'administration de l'État statue sur un litige entre deux collectivités locales, elle fait figure d'un organe établi par la loi, indépendant et équivalent à un tribunal, donc il s'agit d'un recours juridictionnel au sens de l'article 11 de la Charte.

B. Appréciation du Groupe d'Experts

15. L'article 11 de la Charte, "Protection légale de l'autonomie locale", dispose:

"Les collectivités locales doivent disposer d'un droit de recours juridictionnel afin d'assurer le libre exercice de leurs compétences et le respect des principes d'autonomie locale qui sont consacrés dans la Constitution ou la législation interne."

16. Dans le Rapport explicatif il est indiqué:

"Par voie de recours juridictionnel, on entend l'accès d'une collectivité locale:

a. à un tribunal dûment constitué, ou

b. à un organe équivalent créé par la loi, indépendant et habilité à statuer sur le point de savoir si une action, omission, décision ou autre acte administratif est conforme ou non à la loi ou, selon le cas, à donner son avis sur la décision à rendre.

Le cas d'un pays a été constaté où, bien que les décisions administratives ne puissent pas faire l'objet d'un recours ordinaire devant un tribunal, il est possible d'avoir recours à un remède extraordinaire appelé demande de réouverture de la procédure. Cette voie de recours judiciaire, qui est ouverte si la décision est basée sur une application manifestement incorrecte de la loi, est en accord avec les dispositions de cet article."

17. Le para. 7 de la Recommandation 39 (1998) du Congrès sur l'incorporation de la Charte européenne de l'autonomie locale dans les ordonnancements juridiques des États l'ayant ratifiée et sur la protection légale de l'autonomie locale a le contenu suivant:

"Le Congrès, [...]

7. [...] invite le Comité des Ministres à transmettre aux Parties contractantes de la Charte européenne de l'autonomie locale le rapport mentionné au point 5 de cette Recommandation [le troisième rapport du Groupe de travail chargé du contrôle de l'application de la Charte européenne de l'autonomie locale, fondé sur l'étude élaborée par le Prof. Jean-Marie WOEHRLING, membre français du Comité d'experts indépendants sur la Charte, et préparé par Mme Gaye DOGANOGLU (Turquie) et M Alan LLOYD (Royaume-Uni), Rapporteurs] et à adopter à l'adresse de ces mêmes Parties une Recommandation contenant les points suivants:

a. la Charte européenne de l'autonomie locale ne doit pas être considérée comme un ensemble de recommandations non contraignantes mais un traité international de nature conventionnelle instituant des obligations pour les Etats qui l'ont ratifiée et créant des droits pour les collectivités locales appartenant à ces Etats;

b. en particulier, les articles 3 paragraphe 2; 4 paragraphes 4 et 6; 5; 7 paragraphes 1 et 3; 8; 10 et 11 de la Charte européenne de l'autonomie locale constituent des stipulations établissant des règles de droit qui, malgré leur caractère général, doivent être considérées comme directement applicables et donnant lieu à des obligations de faire ou de ne pas faire;

c. les dispositions de la Charte européenne de l'autonomie locale qui ne sont pas directement applicables car elles ne fixent que des obligations de résultat, doivent être interprétées en tenant compte des activités de contrôle de l'application de la Charte menées au sein du Conseil de l'Europe par le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l'Europe et être concrétisées dans le cadre de la législation interne par des mesures positives adoptées dans un délai raisonnable après la ratification;

d. il est indispensable d'incorporer la Charte européenne de l'autonomie locale dans l'ordonnancement juridique interne par le biais d'un acte d'incorporation formelle conformément aux règles régissant la mise en application des traités internationaux. La préexistence de dispositions nationales qui paraissent en harmonie avec les principes d'autonomie locale consacrés par la Charte ne doit pas dispenser les autorités nationales de cette mise en application;

e. lorsque les textes législatifs et réglementaires nationaux relatifs aux collectivités locales doivent être interprétés, ils doivent l'être à la lumière des dispositions de la Charte européenne de l'autonomie locale;

f. même si l'incorporation de la Charte européenne de l'autonomie locale dans l'ordonnancement juridique interne entraîne l'abrogation tacite des dispositions de droit interne incompatibles avec des dispositions de la Charte qui sont directement applicables, il y a lieu de préconiser une abrogation expresse des dispositions de droit interne non conformes à la Charte;

g. les textes législatifs et réglementaires adoptés après la ratification et l'incorporation de la Charte européenne de l'autonomie locale dans l'ordonnancement juridique interne ne doivent pas aller à l'encontre des règles qui figurent dans la Charte et être interprétés et appliqués en ce sens;

h. la Charte européenne de l'autonomie locale doit être considérée comme un instrument juridique qui évolue avec les progrès de l'autonomie locale ; dans cette perspective, étant donné que le dispositif de la Charte européenne de l'autonomie locale ne prévoit pas un système de contrôle juridique de son application, les Parties contractantes doivent tenir compte des principes d'interprétation établis par le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l'Europe dans le cadre de ses activités de contrôle de son application;

i. les Etats à structure fédérale doivent veiller à ce que les entités fédérées assurent, en tant qu'elles sont compétentes en matière de droit des collectivités locales, une application effective de la Charte européenne de l'autonomie locale en incorporant celle-ci dans le droit propre aux entités fédérées, dans l'esprit des principes décrits ci-dessus;

j. en vue d'une application effective de la Charte européenne de l'autonomie locale, il est indispensable que les dispositions de celle-ci puissent être invoquées devant les tribunaux. L'article 11 de la Charte sur la protection légale de l'autonomie locale doit être compris comme une garantie démocratique pour les collectivités locales de s'adresser à une juridiction indépendante et impartiale en vue de faire constater la méconnaissance de la Charte et faire respecter leurs droits."

18. Le Rapport "L'incorporation de la Charte européenne de l'autonomie locale dans l'ordonnancement juridique des Etats l'ayant ratifiée et la protection légale de l'autonomie locale", CPL (4) 7 Partie II, rapporteurs Mme Gaye DOGANOGLU, Turquie et M Alan LLOYD, Royaume-Uni, du 3 février 1998, indique, dans l'Annexe I (Rapport préparé par M Jean-Marie WOEHRLING, membre du Groupe d'experts indépendants sur la Charte):

"Norvège

Le système norvégien ne connaît que des tribunaux ordinaires mais ceux-ci ont le pouvoir de contrôler la légalité des actes administratifs. Les collectivités locales norvégiennes n'ont cependant pas, de façon générale, un droit de recours administratif contre les décisions gouvernementales qui ont une incidence directe sur leur situation financière ou juridique dans les mêmes conditions qu'un tel droit existe au bénéfice des particuliers. Alors même qu'une possibilité de poursuivre l'Etat devant les tribunaux pourrait exister, il faut faire un cas particulier de la possibilité pour les collectivités locales de soumettre à un contrôle juridictionnel les décisions de contrôle de l'Etat sur leur action. La question qui se pose est de savoir dans quelle mesure les communes ont la possibilité d'attaquer devant ces tribunaux les décisions d'organes de l'Etat lorsque ceux-ci exercent des compétences d'autorité de recours administratif contre les décisions des communes. Par exemple, une commune peut-elle demander en justice la révision des décisions prises par un gouverneur sur un recours administratif contre un acte de cette commune ? Il n'y a pas de précédent de telles affaires dans le système judiciaire norvégien. Il serait raisonnable de penser, qu'en application des principes de la procédure civile, les communes ne disposent pas de telles actions contre l'Etat. Il en est ainsi même si la question en litige peut avoir un impact considérable sur l'étendue de l'autonomie locale au sens de la Charte. La Cour suprême de Norvège a, dans un arrêt du 23 avril 1993, refusé d'admettre l'intérêt légal d'une commune pour saisir les tribunaux contre l'administration d'Etat dans une affaire où celle-ci avait, dans le cadre d'un recours administratif, modifié les termes d'un acte administratif de la commune sur un point qui avait été regardé comme particulièrement important par elle dans la procédure administrative. Cette situation ne paraît pas conforme à la Charte. En vertu de cette dernière, les communes devraient avoir accès à une juridiction même dans des affaires administratives de ce type. La reconnaissance d'une telle voie de recours impliquerait l'intervention du législateur afin que celui-ci revoie la structure du contrôle de l'Etat sur l'action des communes.

Sous cette réserve, les autorités locales ont accès aux tribunaux et peuvent y être attraites dans les mêmes conditions que d'autres personnes juridiques.

Par ailleurs, le droit norvégien n'admet pas de litige sur des questions hypothétiques ou sur l'interprétation correcte d'une disposition. Une action n'est recevable devant les tribunaux que si la demande a un caractère concret.

Dans le système norvégien actuel, les dispositions à caractère réglementaire ne peuvent pas être déclarées nulles et sans effet. Ces dispositions peuvent seulement être écartées si elles sont illégales ou être interprétées dans un sens conforme à la loi ou à la Charte. Mais en ce cas de contradiction, le règlement l'emportera sur la Charte.

[...]

5) La question des voies de recours ouvertes aux collectivités locales contre les actes de contrôle des autorités supérieures

Les autorités supérieures de l'Etat ont fréquemment un pouvoir de contrôle à l'égard des actes des collectivités locales. Les articles 8 et 11 de la Charte n'excluent pas un tel contrôle mais impliquent que celui-ci soit limité, sauf exception, à la vérification de la légalité des actes des collectivités locales. De plus, les collectivités locales doivent disposer d'une voie de recours contre ces décisions de contrôle.

Cependant, dans un certain nombre d'Etats, ce contrôle va au-delà du contrôle de légalité et peut ainsi porter atteinte à l'autonomie locale. Or, selon la Charte, un tel contrôle d'opportunité devrait être limité au cas où les décisions en cause ne relèvent pas d'un pouvoir propre des collectivités locales mais d'un pouvoir qui, par sa nature, appartient aux autorités supérieures et a été seulement "délégué" aux collectivités locales.

De plus, dans certains Etats, lorsque le contrôle des autorités supérieures s'exerce dans le cadre d'une procédure de recours administratif ouvert aux particuliers (voir par exemple la Norvège), le droit de recours contre la décision de l'autorité de recours administratif ne peut être contesté devant les tribunaux par les collectivités locales. Cette limitation de voies de recours ne paraît pas conforme à l'article 11 de la Charte."

19. Le Groupe d'Experts constate que la Norvège a signé la Charte et a déposé l'instrument d'approbation le 26 mai 1989 et la Charte est entrée en vigueur pour la Norvège le 1er septembre 1989, en vertu de l'article 15 de la Charte.

Au moment du dépôt de son instrument d'approbation, la Norvège n'a pas limité son engagement conventionnel à certains articles de la Charte, selon l'article 12 de la Charte, et n'a pas fait des réserves ou des déclarations interprétatives.

Dans ses observations, le Gouvernement norvégien fait référence à une déclaration contenue dans la Proposition no 19 (1988-89) sur le consentement pour la signature et l'approbation de la Charte européenne de l'autonomie locale de Conseil de l'Europe du 15 octobre 1985, qui a le contenu suivant:

"Les municipalités et les départements norvégiens ont le droit d'introduire une action civile devant les tribunaux. Le droit norvégien est ainsi en conformité avec les exigences contenues dans l'article 10 [en réalité, l'article 11] de la Convention".

Une possible volonté juridique de limiter l'applicabilité de l'article 11 de la Charte uniquement aux actions civiles (en excluant donc les litiges de contentieux administratif) n'a pas été consignée dans une réserve ou déclaration déposée par la Norvège au moment du dépôt de l'instrument de l'approbation de la Charte. Par conséquent, sur le plan international, la Norvège n'a exprimé aucune volonté juridique en ce sens. Au surplus, les observations présentées par le Gouvernement norvégien ne soulèvent pas une exception quant à l'applicabilité sous cet angle de l'article 11 de la Charte.

Il en résulte que la Norvège est liée par les dispositions de l'article 11 de la Charte, avec la portée généralement admise par les États parties et par le Conseil de l'Europe.

20. Le Groupe d'Experts est d'avis que la Charte est un instrument vivant, qui peut s’inspirer, mutatis mutandis, du modèle de la Convention européenne des droits de l'homme à la lumière des conditions de vie d'aujourd'hui.

L'interprétation qui doit être faite de la Charte est une interprétation évolutive, pour assurer la protection de l'autonomie locale en tenant compte des conditions d’aujourd’hui.

Conformément aux principes généraux du droit, comme le but de la Charte est la protection de l'autonomie locale, les textes consacrant l'autonomie locale et ses garanties ne doivent pas faire l'objet d'une interprétation restrictive, mais extensive. Au contraire, toute ingérence dans l'autonomie locale doit s'interpréter restrictivement.
21. L'article 11 de la Charte consacre la protection légale de l'autonomie locale, tout comme les articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme consacrent la protection légale des droits de l'homme.

S'agissant des deux traités adoptés au sein de la même organisation internationale - le Conseil de l'Europe -, reposant donc sur la même philosophie et sur les mêmes valeurs, le Groupe d'Experts peut s'inspirer dans l'interprétation de l'article 11 de la Charte de l'interprétation que la Cour européenne des Droits de l'Homme a fait des articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Il en résulte que l'article 11 de la Charte occupe une place essentielle dans l'économie de ce traité, car il constitue une garantie fondamentale pour l'autonomie locale et une expression du principe de la prééminence du droit dans une société démocratique.

Le droit à un recours juridictionnel, garanti par l'article 11, comporte l'accès à un tribunal ou à un organe juridictionnel équivalent, établi par la loi et jouissant des garanties d'indépendance (par rapport aux autres pouvoirs publics) et d'impartialité (par rapport aux parties de l'affaire). Il implique également que la procédure déroulée devant cet organe juridictionnel soit équitable.

De par sa nature, le droit à un recours juridictionnel requiert une réglementation de la part de l'État, concernant la création des organes juridictionnels et l'établissement des règles de procédure. Par suite, ce droit n'est pas un droit absolu, mais il admet des ingérences implicitement admises par le texte. Cependant, par leur nature ou par leur degré, les ingérences ne doivent pas porter atteinte à la substance même du droit d'accès à un organe juridictionnel ou limiter ce droit d'une manière disproportionnée. Les ingérences doivent être prévues par des règles accessibles et prévisibles, doivent poursuivre un but légitime et doivent être nécessaires dans une société démocratique, à savoir elles doivent répondre à un besoin social impérieux, doivent être proportionnées au but légitime poursuivi, et leur nécessité doit être motivée d'une manière détaillée et convaincante.

Une interprétation restrictive de l'article 11 de la Charte, comme demandée par le Gouvernement norvégien, serait contraire non seulement à l'autonomie locale, mais également à la prééminence du droit dans une société démocratique.

22. Une interprétation littérale et systématique de l'article 11 de la Charte mène à la conclusion qu'il a une portée générale.

Ainsi, des articles 3 et 4 de la Charte on peut déduire l'existence de trois types de compétences des collectivités locales: les compétences propres (exclusives), les compétences déléguées et les compétences partagées.

L'article 8 de la Charte, portant sur le contrôle administratif des actes des collectivités locales, établi un régime juridique différent par rapport aux types de compétences des collectivités locales, car uniquement pour les compétences déléguées un contrôle administratif d'opportunité exercé sur les collectivités locales est admis.

A contrario, l'article 11 de la Charte ne fait aucune distinction entre les divers types de compétences des collectivités locales. L'expression "leurs compétences" ne peut en aucun cas être interprétée comme réduisant le champ d'application de cet article aux seules compétences propres (exclusives) des collectivités locales. Au contraire, dans toutes les autres situations, les collectivités locales seraient dépourvues de toute protection juridictionnelle, ce qui contrevient à l'esprit de l'article 11 et à l'économie générale de la Charte, qui cherche à ménager un juste équilibre entre le pouvoir public supérieur et l'autonomie locale.

Par exemple, si on considère que l'article 11 ne concerne que les compétences propres (exclusives) des collectivités locales, on arrive à la situation dans laquelle l'obligation de proportionnalité du contrôle administratif - y compris pour les compétences déléguées -, inscrite dans l'article 8 para. 3 de la Charte, pourrait être méconnue par l'autorité administrative supérieure, faute de garantie d'un recours juridictionnel, ce qui ne serait pas conforme à l’esprit de la Charte.

Le Groupe d'Experts ne peut donc pas accueillir favorablement la thèse du Gouvernement norvégien, selon laquelle l'article 11 de la Charte n'est applicable que pour les compétences propres (exclusives) des collectivités locales.

23. Dans la présente affaire, le Groupe d'Experts considère qu'en général la législation et la pratique judiciaire norvégiennes reconnaissent aux collectivités locales la capacité d'ester en justice, y compris le droit à un recours juridictionnel. Par conséquent, en principe le droit national est globalement en accord avec les dispositions de l'art. 11 de la Charte.

Cependant, dans certaines hypothèses, les collectivités locales, agissant en leur qualité de personnes morales de droit public, détentrices du pouvoir public, se sont vues refusée la capacité d'introduire une action contre une décision administrative prise par l'administration de l'État.

L'article 11 de la Charte a une portée générale et consacre le droit des collectivités locales à un recours juridictionnel non seulement dans les litiges de droit privé, agissant comme personnes de droit privé, mais aussi dans les litiges de droit public (le contentieux administratif), agissant en tant que personnes morales de droit public. Bien évidemment, ce constat n'est valable que pour les systèmes juridiques nationaux qui connaissent cette distinction.

Il est vrai que dans certains systèmes juridiques nationaux il a existé et parfois continue d'exister un principe général de droit public (administratif), selon lequel une autorité administrative inférieure (subordonnée) ne peut jamais former un recours en justice contre une autorité administrative supérieure (hiérarchiquement supra-ordonnée), mais ce principe n'est guère applicable pour les collectivités locales, pour lesquelles prévalent les principes et garanties de l’autonomie locale. Les collectivités locales ne sont pas hiérarchiquement subordonnées à l'administration de l'État (ou des régions) et elles ne sont soumises qu'à un contrôle administratif (de tutelle administrative ou sous d'autres formes) totalement différent du contrôle administratif hiérarchique.

24. Par rapport à la spécificité du droit norvégien, dans certaines hypothèses, sur la possibilité d'un particulier mécontent d'une décision d'une collectivité locale d'introduire un recours gracieux auprès de la collectivité même, puis d'introduire un recours administratif devant l'administration de l'État contre la solution de la collectivité locale, le Groupe d'Experts considère qu'une analyse conjointe des articles 8 et 11 de la Charte s'impose.

Ainsi, l'article 8 de la Charte, concernant le contrôle administratif des actes des collectivités locales, ne fait pas de distinctions entre les différentes modalités de déclenchement des contrôles, suivant qu’il s’agisse d’une décision prise par l'autorité de contrôle elle même ou suite à une saisine faite par un tiers ou une autre autorité. Par conséquent, l'article 8 est applicable dans l'hypothèse d'un contrôle décidé d'office par l'autorité de tutelle, mais également dans l'hypothèse où l'autorité supérieure se prononce sur un recours administratif introduit par un particulier contre une décision prise par l'autorité locale autonome (comme en l'espèce). Il reconnaît aux États, dans leur marge nationale d'appréciation, la possibilité de décider des modalités de déclenchement des contrôles, y compris d'office ou sur saisine d'un tiers intéressé.

La possibilité pour les particuliers, reconnue dans certaines hypothèses par le droit norvégien, d'introduire un recours administratif contre une décision d'une collectivité locale, s'inscrit donc dans le cadre de l'article 8 de la Charte. Bien évidemment, toutes les autres exigences de ce texte doivent être respectées, y compris la nature du contrôle administratif (en principe, uniquement un contrôle de légalité) et la proportionnalité de celui-ci.

En même temps, l'exercice du contrôle administratif, en vertu de l'article 8 de la Charte, ne peut guère avoir comme conséquence d'exclure la décision rendue par l'autorité administrative de contrôle de la garantie de recours juridictionnel, prévue à l'article 11 de la Charte. La limitation du contrôle administratif des collectivités locales est un élément essentiel de l'autonomie locale et, par conséquent, elle doit s’étendre aux garanties offertes par l'article 11.

Il faut conclure que les décisions rendues par les autorités administratives qui ont réalisé un contrôle administratif (exercé soit d'office, soit sur saisine d'un tiers), en vertu de l'article 8 de la Charte, sont susceptibles d'un contrôle juridictionnel, réalisé par un tribunal ou par un autre organe juridictionnel indépendant et impartial, suite à une action introduite par la collectivité locale concernée, selon l'article 11 de la Charte.

Au surplus, le Groupe d'Experts ne partage pas la position du Gouvernement norvégien, qui considère que, dès qu'une décision d'une collectivité locale est susceptible d'un recours administratif exercé par un particulier devant une autorité administrative de l'État, la matière en question ne relève plus de la compétence propre (exclusive) de la collectivité locale. Selon cette logique, dès qu'un acte d'une collectivité locale est soumis à un contrôle administratif extérieur (peu importe qu’il s’agisse d’une saisine d'un tiers ou d'office), le domaine ratione materiae n'est plus de la compétence propre (exclusive) de la collectivité locale, ce qui signifierait, à la limite, qu'il serait possible qu'il n'existe plus de compétences propres (exclusives) des collectivités locales et, donc, qu'il n'existerait plus d'autonomie locale. En tout cas, le Groupe d'Experts tient à rappeler sa conclusion sur l'applicabilité de l'article 11 de la Charte pour tout type de compétences des collectivités locales (supra para. 22).

25. Il est vrai, comme le Gouvernement norvégien le soutien, que reconnaître aux collectivités locales le droit à un recours juridictionnel contre une décision de l'administration de l'État statuant sur un recours administratif d'un particulier contre une décision de cette même collectivité locale peut allonger la durée et peut augmenter les frais de la procédure.

Cependant, le Groupe d'Experts ne peut pas partager les conclusions du Gouvernement norvégien présentées en réponse sur cet aspect, à savoir que la reconnaissance d’un droit de recours juridictionnel aux collectivités locales contre les décisions de l’Etat entraînerait une méconnaissance de l'efficacité administrative et la violation des droits de l'homme (notamment le droit que sa cause soit jugée dans un délai raisonnable).

Tout d'abord, l'autonomie locale, dans les États qui composent le Conseil de l'Europe, constitue un élément fondamental d'une société démocratique. À son tour, l'article 11 de la Charte est important non seulement pour l'autonomie locale comme dimension de la société démocratique, mais également pour l'État de droit (la prééminence du droit).

La conclusion est la même en ce qui concerne l'intérêt de l'État d'assurer l'efficacité de l'action administrative, qui ne doit pas être opposée à l'autonomie locale.

C'est l'État norvégien qui a fait ce choix, dans certaines matières, d'adopter la procédure selon laquelle le particulier qui s'estime lésée par un acte provenant d'une collectivité locale doit introduire un recours gracieux auprès de cette collectivité locale, puis un recours administratif devant une autorité de l'État. On ne peut pas nier aux collectivités locales le droit à un recours juridictionnel contre la solution adoptée par l'administration de l'État, en statuant sur le recours administratif, sous motif que la procédure devient trop longue et trop coûteuse pour le particulier, donc que les droits de l'homme (notamment à ce que sa cause soit jugée dans un délai raisonnable) soient violés. Rien n'empêche les autorités nationales de supprimer le recours gracieux et/ou le recours administratif ou de les maintenir. La décision reste dans la marge nationale d'appréciation, pourvu qu'elle respecte les engagements internationaux de l'État, à la fois en matière des droits de l'homme (pour le particulier) et en matière d'autonomie locale (pour les collectivités locales).

26. Une autre situation est celle de la solution d'un litige entre deux collectivités locales (ou entre une collectivité locale et un particulier), rendue par l'administration de l'État et contre laquelle la collectivité locale intéressée ne peut pas porter l’affaire en justice.

Le Groupe d'Experts ne peut pas partager la position du Gouvernement norvégien, selon laquelle l'article 11 est respecté, car le litige est né entre deux collectivités locales, et la solution est donnée par l'administration de l'État, qui est neutre par rapport à ce litige, donc elle remplit les exigences de l'article 11 de la Charte.

L'article 11 de la Charte ne limite pas son champ d'application uniquement à l'hypothèse dans laquelle la violation des compétences d'une collectivité locale ou de son autonomie provient de la part de l'État ou d'une autorité régionale, donc de la part d'une administration supérieure. Le texte ne fait aucune distinction, et il en résulte ainsi qu'une collectivité locale a le droit à un recours juridictionnel contre tout sujet de droit qui méconnaît ses compétences ou son autonomie, y compris contre une autre collectivité locale ou contre un particulier.

Il est vrai que, dans un litige entre deux collectivités locales (ou entre une collectivité locale et un particulier), l'administration de l'État est en principe neutre. Cependant, on ne peut considérer conforme à l'article 11 de la Charte, comme le Gouvernement norvégien le soutient, la situation dans laquelle un recours d'une collectivité locale, introduit devant une administration de l'État contre une autre collectivité locale, soit assimilable à un recours juridictionnel.

Le simple fait que l'administration de l'État puisse être neutre (impartiale) dans un litige opposant deux collectivités locales ne la transforme pas en tribunal ou autre organe juridictionnel (la garantie d'indépendance n'étant bien évidement pas remplie). En outre, le droit à un recours juridictionnel suppose que la procédure soit équitable et offre des garanties comme le contradictoire, la publicité des débats, l'égalité des armes, les droits de la défense, la motivation de la solution. Or, le Gouvernement norvégien n'a présenté aucun argument en ce sens, se bornant à affirmer le droit de la collectivité locale de faire des commentaires avant que l'administration de l'État ne se prononce sur le recours administratif.

Il en résulte que, comme il vient d’être dit, le recours devant l'administration de l'État, en cas de litige entre deux collectivités locales (ou entre une collectivité locale et un particulier), ne peut pas passer pour un recours juridictionnel au sens de l'article 11 de la Charte. Par suite, la décision rendue par l'administration de l'État doit être susceptible d'un recours juridictionnel, conformément à l'article 11 de la Charte.

27. Quant au problème des modalités de procédure pour l’exercice du droit à un recours juridictionnel, celles-ci relèvent de la marge nationale d'appréciation. Les États parties à la Charte sont en principe libres, sous réserve d'un contrôle de la part du Congrès, d'aménager la procédure nationale afin de donner plein effet aux dispositions de l'article 11 de la Charte.

Le texte de l’article 11 de la Charte n'impose aucune procédure spécifique, pourvu que les collectivités locales disposent d'un droit à un recours juridictionnel, donc d'un droit d'accès à un tribunal ou à un autre organe juridictionnel, qui soit réel et effectif.

28. Le Groupe d'Experts constate que l'absence de capacité des collectivités locales ou l'absence de compétence des tribunaux nationaux de statuer sur les actions en justice introduites par les collectivités locales contre certaines décisions de l'administration de l'État (les décisions prises sur les recours administratifs introduits par les particuliers contre les actes des collectivités locales, les décisions prises sur les litiges entre les collectivités locales et autres décisions) constitue une ingérence qui n’est pas nécessaire et suffisamment motivée de manière convaincante dans le droit des collectivités locales d'accès à un tribunal ou à un autre organe juridictionnel, élément du droit à un recours juridictionnel garanti par l'article 11 de la Charte.

L'ingérence en question touche donc à l'essence et à l'existence même du droit d'accès à un organe juridictionnel, qui est vidé de son contenu.

29. Le Groupe d'Experts ne peut pas s'empêcher de souligner que des doutes sur la compatibilité du droit norvégien avec l'article 11 de la Charte ont été émis dès 1998, dans le Rapport "L'incorporation de la Charte européenne de l'autonomie locale dans l'ordonnancement juridique des Etats l'ayant ratifiée et la protection légale de l'autonomie locale", CPL (4) 7 Partie II, du 3 février 1998, fondé sur l'étude élaborée par le Prof. Jean-Marie WOEHRLING, membre français du Comité d'experts indépendants sur la Charte, et préparé par Mme Gaye DOGANOGLU (Turquie) et M Alan LLOYD (Royaume-Uni), Rapporteurs, et qui a été à la base de la Recommandation 39 (1998) du Congrès sur l'incorporation de la Charte européenne de l'autonomie locale dans les ordonnancements juridiques des États l'ayant ratifiée et sur la protection légale de l'autonomie locale (supra para. 18).

30. En guise de conclusion, le Groupe d'Experts constate que les autorités gouvernementales et les tribunaux norvégiens n'ont donc pas complètement harmonisé le droit national avec l'article 11 de la Charte.

PAR CES MOTIFS, LE GROUPE D'EXPERTS:

Est d'avis que la législation norvégienne, telle qu'interprétée par les tribunaux, ne peut pas être considérée comme étant pleinement en conformité avec l'article 11 de la Charte européenne de l’autonomie locale dans la mesure où elle ne permet pas aux collectivités locales de disposer d'un droit de recours juridictionnel - afin d'assurer le libre exercice de leurs compétences et le respect des principes d'autonomie locale qui sont consacrés par le droit national - à l’encontre des décisions prises par l'administration de l'État, en particulier, lorsque de telles décisions sont prises suite à un recours administratif formé à l’encontre d’une décision adoptée par une collectivité locale contre les décisions de l’État d’ordonner aux collectivités locales de prendre en charge les dépens des parties civiles, dans les cas de différends ayant surgi entre des collectivités locales.