2e Conférence internationale du Conseil de l'Europe sur le trafic de migrants

Strasbourg, 10-11 septembre 2024

David Best, Représentant spécial
de la Secrétaire Générale du Conseil de l'Europe
sur les migrations et les réfugiés

Madame la Secrétaire générale,

Monsieur le Commissaire aux droits de l’homme,

Monsieur le président du CDPC,

Mesdames et Messieurs les représentants des Etats membres et d’organisations internationales,

Mesdames et Messieurs,

Je suis heureux de pouvoir m’exprimer à l’occasion de la conférence internationale dédiée au trafic de migrants.

Cette conférence doit nous aider à améliorer l’efficacité des politiques et des instruments de lutte contre le trafic de migrants et à développer la coopération entre Etats membres en la matière. Je n’insisterai pas sur cette dimension, tout à fait essentielle, pour laquelle le CDPC a accompli un travail remarquable.

Le trafic de migrants se nourrit des crises et de la détresse des personnes qui fuient leurs pays. Et il s’est considérablement développé, au point d’être devenu un enjeu majeur non seulement de préservation de l’Etat de droit, mais également de protection des droits de l’homme.

Au-delà du fait qu’il entraine une immigration irrégulière et menace l’ordre public, le trafic de migrants doit être combattu parce qu’il constitue une source de violations à grande échelle de ces droits fondamentaux.  

Le problème que nous devons résoudre est donc double : lutter contre les réseaux criminels et protéger les personnes qui en sont les victimes. En d’autres mots, la répression accrue contre les trafiquants doit s’accompagner d’une meilleure protection de leurs victimes.

Le modèle d’affaires des trafiquants consiste à exploiter la vulnérabilité des migrants pour un gain matériel. Il me semble important de prendre en compte les effets secondaires prévisibles de la répression accrue que nous appelons de nos vœux. Elle conduirait probablement les réseaux criminels à se consolider pour faire face à l’augmentation des risques et des coûts et à les répercuter encore davantage sur les migrants.

Ce qui est certain, c’est que la lutte contre le trafic de migrants ne saurait être menée au détriment des victimes. Tout instrument que nous pourrions adopter et toute mesure que nous pourrions prendre doivent donc protéger les personnes et les droits que leur reconnait la Convention européenne des droits de l’homme.

Les Etats membres du Conseil de l’Europe ont en effet l’obligation positive de lutter contre ce qui menace directement la vie des migrants ou les expose à des traitements inhumains ou dégradants.

La Cour l’a d’ailleurs rappelé en matière de sauvetage en mer de réfugiés naufragés, dans son arrêt Safi et autres c. Grèce de 2022, et la lutte contre le trafic de migrants constitue sans doute un autre terrain pour cette obligation positive. La Cour a également insisté sur l’importance de la protection des personnes en situation de vulnérabilité dans le contexte de l’asile et de la migration. Cette préoccupation figure aussi au premier rang des objectifs du Plan d’action du Conseil de l’Europe en la matière.

Je suis convaincu que le Conseil de l’Europe, tout en restant fidèle à sa mission première, à savoir – et je cite le statut du Conseil de l’Europe – « la sauvegarde et le développement des droits de l'homme et des libertés fondamentales » – dispose, pour aider ses Etats membres à mieux lutter contre le trafic de migrants, d’au moins trois atouts majeurs: son expertise, sa composition et sa méthode.

L’expertise dans la protection des droits de l’homme, d’abord :

Elle réside dans les standards que les Etats membres ont créés ensemble : la Convention européenne des droits de l’homme, bien sûr, mais également les nombreuses conventions plus spécifiques développées au fil des décennies et qui forment un cadre juridique cohérent pour la protection des droits fondamentaux et la bonne gouvernance.

Cette expertise a permis au Conseil de l’Europe de créer des instruments juridiques dans de nombreux domaines, et dont l’efficacité n’est plus à prouver. Je pense notamment à la lutte contre la traite des êtres humains, contre la torture et les traitements inhumains ou dégradants, contre la cybercriminalité, contre la corruption, contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique ou en faveur de la protection des données.


L’expertise du Conseil de l’Europe réside aussi dans sa capacité à combiner l’action en faveur de l’Etat de droit et la protection des droits de l’homme. Il est donc particulièrement bien équipé pour développer en matière de lutte contre le trafic de migrants une approche d’ensemble dans laquelle la dimension pénale serait complétée par une série d’objectifs orientés vers la préservation des droits des victimes de trafic.

La protection des vies, la prévention des mauvais traitements, la poursuite de leurs auteurs, le rétablissement des victimes, la lutte contre la désinformation des passeurs, un travail en profondeur sur la demande de travailleurs clandestins et les contrôles constituent autant d’éléments d’un instrument centré sur les droits des victimes. La Convention anti-traite du Conseil de l’Europe constitue à cet égard un modèle intéressant.


Le deuxième atout du Conseil de l’Europe est géographique : il tient au fait qu’il compte parmi ces Etats membres non seulement des pays de destination mais également des pays de transit et que ses instruments juridiques sont ouverts à l’adhésion de pays tiers.

Il serait donc envisageable d’associer des pays non-membres concernés par le trafic de migrants aux travaux qu’entreprendrait le Conseil de l’Europe et aux instruments qui en résulteraient. En effet, c’est à l’échelle du territoire européen et de son pourtour immédiat que se joue l’efficacité de la lutte contre le trafic de migrants et la coopération des autorités.

L’action du Conseil de l’Europe a ainsi vocation à compléter celle d’autres organisations, en particulier l’UE ou l’ONUDC, qu’il aiderait à prolonger et à développer, comme cela a été le cas dans d’autres domaines, comme ceux de la protection des données personnelles ou de l’intelligence artificielle.


Le troisième atout du Conseil de l’Europe réside dans sa méthode, et notamment dans l’efficacité de ses procédures de suivi. L’intérêt d’un instrument du Conseil de l’Europe pourrait ainsi résider dans la mise en œuvre d’un mécanisme de suivi des engagements des Etats membres s’agissant de la lutte contre le trafic de migrants, sur le modèle des procédures de suivi d’autres instruments qui misent sur une approche interdisciplinaire.

Cette conférence permettra, je l’espère, d’explorer les voies d’une lutte plus efficace contre le trafic de migrants et d’une coopération renforcée, mais aussi de répondre de manière pertinente à un des enjeux les plus importants auxquels l’Europe est aujourd’hui confrontée en matière de droits de l’homme.

Je vous remercie de votre attention.