AVIS

du

CONSEIL CONSULTATIF DE

JUGES EUROPEENS (CCJE)



Table des matières

avis n°1 (2001) 5

sur les normes relatives à l'indépendance et l'inamovibilité des juges. 5

avis N°2 (2001) 17

relatif au financement et à la gestion des tribunaux au regard de l'efficacité de la justice et au regard des dispositions de l'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme. 17

avis n° 3 (2002) 21

sur les principes et règles régissant les impératifs professionnels applicables aux juges et en particulier la déontologie, les comportements incompatibles et l'impartialité. 21

avis n° 4 (2003) 57

sur la formation initiale et continue appropriée des juges, aux niveaux national et européen. 57

avis n° 5 (2003) 63

sur les règles et pratiques relatives aux nominations à la Cour europeenne des droits de l’homme. 63

avis n° 6 (2004) 65

sur le procès équitable dans un délai raisonnable et le rôle des juges dans le procès, en prenant en considération les modes alternatifs de règlement des litiges. 65

avis n° 7 (2005) 91

sur justice et société. 91

avis n° 8 (2006) 103

le rôle des juges dans la protection de l’Etat de droit et des droits de l’homme dans le contexte du terrorisme  103

avis n° 9 (2006) 115

le rôle des juges nationaux dans l’application effective du droit international et européen. 115

avis n°10(2007) 123

le conseil de la justice au service de la société. 123

avis n°11 (2008) 137

la qualité des décisions de justice. 137

avis n°12 (2009) 149

juges et procureurs dans une société démocratique. 149

avis n°13 (2010) 161

le rôle des juges dans l’exécution des décisions judiciaires. 161

avis n°14 (2011) 169

“Justice et technologies de l’information (TI)” 169

avis n°15 (2012) 175

la spécialisation des juges. 175

avis n°16 (2013) 185

les relations entre les juges et les avocats. 185

avis n°17 (2014) 191

l'évaluation du travail des juges, la qualité de la justice et le respect de l'indépendance judiciaire. 191

avis n°18 (2015) 203

La place du système judiciaire et ses relations avec les autres pouvoirs de l’État dans une démocratie moderne  203

avis n°19 (2016) 225

Le rôle des présidents des tribunaux………………………………………………………………………….....225


avis n°1 (2001)

du conseil consultatif de juges europeens (ccje)

a l'attention du comite des ministres du conseil de l'europe

sur les normes relatives à l'indépendance et l'inamovibilité des juges

(RECOMMANDATION N R (94) 12 SUR L'INDEPENDANCE, L'EFFICACITE ET LE ROLE DES JUGES ET PERTINENCE DES NORMES QU'ELLE CONSACRE ET DE TOUTES AUTRES NORMES INTERNATIONALES POUR LES PROBLEMES PRESENTS

DANS CES DOMAINES)

1.         Le Conseil consultatif de juges européens (CCJE) a rédigé le présent avis sur la base des réponses des Etats à un questionnaire et des textes élaborés sur ce sujet par le Groupe de travail du CCJE et par le Président, le Vice-Président du CCJE et le spécialiste du CCJE, M. Giacomo OBERTO (Italie).

2.         La documentation dont le CCJE dispose comprend un certain nombre de déclarations de principe plus ou moins officielles concernant l'indépendance du pouvoir judiciaire.

3.         On peut citer comme exemples officiels d'une importance particulière :

-         les principes fondamentaux des Nations Unies relatifs à l'indépendance de la magistrature (1985) et

-         la Recommandation N° R (94) 12 du Comité des Ministres du Conseil de l'Europe aux Etats membres sur l'indépendance, l'efficacité et le rôle des juges.

4.       Parmi les textes ayant un caractère moins officiel, on peut retenir les suivants :

-         la Charte européenne sur le statut des juges, adoptée par les participants de pays européens et les membres de deux associations internationales de juges réunis du 8 au 10 juillet 1998 à Strasbourg, qui a reçu le soutien des Présidents de Cours suprêmes des pays d'Europe centrale et orientale, réunis du 12 au 14 octobre 1998 à Kiev et des juges et représentants des ministères de la Justice de 25 pays d'Europe réunis du 8 au 10 avril 1999 à Lisbonne,

-         les déclarations de délégués des Hauts conseils de juges ou d'associations de juges comme celles qui ont été faites à la réunion des 23-26 juin 1997 à Varsovie et à Slok.

5.       Les autres documents cités pendant les débats du CCJE comprennent les suivants :

-         la Déclaration de Pékin sur les principes relatifs à l'indépendance du pouvoir judiciaire (août 1997), signée par 32 Présidents de cours suprêmes de la région couverte par la Lawasia (Association de juristes de l'Asie et du Pacifique) ;

-         Les Grandes lignes de Latimer House pour le Commonwealth (19 juin 1998), fruit d'un colloque qui a réuni les représentants de 23 pays du Commonwealth ou de territoires d'outre-mer, avec le soutien de juges et avocats du Commonwealth, du Commonwealth Secretariat et du Foreign Office.

6.       Tout au long de leurs discussions, les membres du CCJE ont souligné que ce qui importe ce n'est pas la perfection des principes et encore moins l'harmonisation des institutions, mais la mise en pratique effective des principes déjà élaborés.

7.       Le CCJE s'est aussi demandé si des améliorations ou une extension des principes généraux existants s'impose.

8.       Le présent avis vise à examiner en détail un certain nombre de thèmes abordés et à recenser les problèmes ou points concernant l'indépendance des juges qui mériteraient de retenir l'attention.

9.       Il est proposé de s'intéresser aux grandes questions suivantes :

-         Raison d'être de l'indépendance des juges

-         Niveau auquel l'indépendance des juges est garantie

-         Bases de nomination et de promotion

-         Les organes de nomination et consultatifs

-         Durée du mandat

-         Conditions d'exercice (inamovibilité et régime de sanctions disciplinaires)

-         Rémunération

-         Absence d’influence extérieure indue

-         Indépendance au sein de l'appareil judiciaire

-         Rôle des juges

         

Tout en s'intéressant à ces questions, le CCJE s'est attaché à sélectionner certains exemples concernant l'indépendance ou les menaces qui pèsent sur celle-ci. Il a identifié ensuite l’importance des principes discutés pour (en particulier) des dispositions et des pratiques concernant la nomination et la reconduction des juges des juridictions internationales. Cette question est traitée dans les paragraphes 52, 54 et 55).

Raison d'être de l'indépendance des juges

10.       L'indépendance des juges est une condition préalable à l'Etat de droit et une garantie fondamentale d'un procès équitable. Les juges sont "chargés de décider en dernier ressort de la vie, de la liberté, des droits, des devoirs et des biens des personnes" (extrait des principes fondamentaux des Nations Unies, repris dans la déclaration de Pékin ; voir articles 5 et 6 de la Convention européenne des Droits de l'Homme). Leur indépendance n'est pas une prérogative ou un privilège octroyé dans leur propre intérêt, mais elle leur est garantie dans l'intérêt de la prééminence du droit et de ceux qui recherchent et demandent justice.

11.       Cette indépendance doit exister en relation avec la société en général et avec les différentes parties à un litige sur lequel le juge doit se prononcer. Le pouvoir judiciaire est l'un des trois grands piliers égaux d'un Etat démocratique moderne[1]. Il a un rôle et des fonctions essentiels face aux deux autres piliers. Il veille à ce que les autorités et l'administration rendent compte de leur action et, s'agissant du pouvoir législatif, il participe à la mise en œuvre véritable des lois qui entrent régulièrement en vigueur et, dans une mesure plus ou moins grande, vérifie qu'elles sont conformes à la Constitution ou à tout autre ordre juridique supérieur (comme celui de l'Union européenne). Pour remplir son rôle, le pouvoir judiciaire doit être indépendant de ces pouvoirs, si bien qu'il ne doit pas être lié par des relations préjudiciables ou soumis à leur influence[2]. Ainsi, l’indépendance est la garantie de l’impartialité[3]. Ce principe a nécessairement des effets sur quasiment tous les aspects de la carrière d'un juge : depuis sa formation jusqu'à sa nomination, sa promotion et les sanctions disciplinaires prises éventuellement contre lui.

12.       L'indépendance judiciaire présuppose une impartialité totale de la part des juges. Lorsqu'ils tranchent entre les parties, les juges doivent être impartiaux, c'est-à-dire exempts de toute relation, préférence, ou biais qui puissent affecter – ou sembler affecter – leur aptitude à se prononcer en toute indépendance. A cet égard, l'indépendance judiciaire découle du principe selon lequel nul ne peut être son propre juge. Ce principe a aussi une importance qui va bien au-delà des parties en litige. Il faut que non seulement les parties au litige, mais aussi la société dans son ensemble puissent avoir confiance dans le système judiciaire. Un juge doit donc non seulement être libre de toute relation, parti pris ou influence abusifs, mais il doit aussi apparaître comme libre de ceux-ci à un observateur avisé faute de quoi la confiance en l'indépendance du pouvoir judiciaire peut être ébranlée.

13.       Comme nous l'avons dit plus haut, la raison d'être de l'indépendance des magistrats est une clé pour comprendre les effets pratiques de celle-ci, c'est-à-dire les conditions nécessaires pour la garantir et les moyens d'y parvenir, au niveau constitutionnel ou à un degré législatif inférieur[4], ainsi que dans la pratique quotidienne des différents Etats. Le présent avis est axé sur le cadre institutionnel général et les garanties de l'indépendance de la justice dans la société plutôt que sur le principe imposant au juge une impartialité personnelle (que ce soit dans les faits ou en apparence). Bien que cela fasse double emploi, il est proposé d'aborder cette dernière question dans le cadre de l'examen par le CCJE des règles de bonne conduite des juges.

Niveau auquel l'indépendance des juges est garantie

14.       L'indépendance du système judiciaire devrait être garantie par des règles internes au niveau le plus élevé possible. En conséquence, les Etats devraient inclure le concept de l'indépendance du pouvoir judiciaire soit dans leur constitution, soit dans les principes fondamentaux reconnus par les pays qui n'ont pas de constitution écrite, mais où le respect de l'indépendance de la justice est garanti par une culture et des traditions séculaires. Cette mesure soulignerait l'importance fondamentale de l'indépendance tout en reconnaissant la position particulière des juridictions de Common law (en Angleterre et en Ecosse notamment) qui ont une longue tradition d'indépendance, mais pas de constitution écrite.

15.       Les principes fondamentaux des Nations Unies prévoient que l'indépendance de la magistrature est garantie par l'Etat et consacrée par la Constitution ou le droit national. La Recommandation n° R (94) 12 précise (dans la première phrase du Principe I.2) que "l'indépendance des juges devrait être garantie, conformément aux dispositions de la Convention [européenne des Droits de l'Homme] et des principes constitutionnels, par exemple en faisant figurer des dispositions expresses à cet effet dans les constitutions ou d'autres textes législatifs, ou en incorporant les dispositions de la présente recommandation dans le droit interne".

16.     La Charte européenne sur le statut des juges est encore plus précise : "Dans chaque Etat européen, les principes fondamentaux du statut des juges sont énoncés dans les normes internes du niveau le plus élevé et ses règles dans des normes du niveau au moins législatif". Cette exigence très spécifique de la Charte a reçu le soutien général du CCJE. Celui-ci recommande son adoption, au lieu des dispositions moins précises de la première phrase du Principe I.2 de la Recommandation R (94) 12.

Bases de nomination ou de promotion

17.     Selon les principes fondamentaux des Nations Unies (paragraphe 13), "La promotion des juges, lorsqu'un tel système existe, doit être fondée sur des facteurs objectifs, notamment leur compétence, leur intégrité et leur expérience." La Recommandation n° R (94) 12 est tout aussi claire : "Toute décision concernant la carrière professionnelle des juges devrait reposer sur des critères objectifs, et la sélection et la carrière des juges devraient se fonder sur le mérite, eu égard à leurs qualifications, leur intégrité, leur compétence et leur efficacité." La Recommandation n° R (94) 12 stipule clairement qu’elle est applicable à toutes les personnes exerçant des fonctions judiciaires, y compris celles chargées de connaître de questions touchant le droit constitutionnel, pénal, civil, commercial et administratif (aussi bien qu’aux juges non professionnels et aux autres personnes exerçant des fonctions judiciaires). On s'accorde donc en général à reconnaître que la nomination doit se faire "au mérite" et sur la base de "critères objectifs" et que les considérations politiques devraient être inadmissibles.

18.     Il reste avant tout (a) à définir ce qu'implique l'aspiration générale à avoir des nominations "fondées sur le mérite" et sur l'"objectivité" et (b) à faire coïncider théorie et pratique. La présente question est aussi étroitement liée aux deux suivantes (l'organe de nomination et les conditions d'exercice).

19.     Dans certains pays, la nomination des juges obéit constitutionnellement à des critères politiques. Lorsque les juges sont élus (par le peuple comme au niveau cantonal en Suisse ou par le Parlement au niveau de l'Etat fédéral suisse, en Slovénie, dans l'"ex-République yougoslave de Macédoine", en Allemagne, s'agissant de la Cour constitutionnelle fédérale, et en Italie, en ce qui concerne une partie des membres de la Cour constitutionnelle), cette procédure vise sans doute à donner aux juges dans l’exercice de leurs fonctions une certaine justification démocratique directe. Il n’est pas envisageable que la nomination ou la promotion des juges soient soumises à des strictes considérations des parties politiques. S’il y a un moindre risque que cela se produise, ou puisse être utilisé, la méthode peut s’avérer plus dangereuse qu’avantageuse.

20.     Même lorsqu'une autorité distincte assume la responsabilité de la nomination ou de la promotion de juges ou intervient au cours de celle-ci, toute considération politique n'est pas, dans la pratique, nécessairement absente. Ainsi, en Croatie, un Haut Conseil de la Justice de onze membres (sept juges, deux avocats et deux professeurs) est chargé de ces nominations, mais le Ministre de la Justice peut proposer les onze membres qui seront élus par la Chambre des Représentants du Parlement de Croatie. De plus, le Haut Conseil doit consulter la commission des questions juridiques du Parlement croate, contrôlée par le parti dont émane le Gouvernement du moment, au sujet de toute nomination. Bien que l'article 4 de la Constitution amendée de la Croatie invoque le principe de séparation des pouvoirs, il poursuit en précisant que celle-ci comprend toutes les formes de coopération mutuelle et de contrôle réciproque des détenteurs de pouvoirs, ce qui n'exclut manifestement pas une ingérence politique en cas de nomination ou de promotion de juges. Bien qu'en Irlande, il y ait une commission de nomination de juges[5], des considérations politiques semblent pouvoir déterminer lequel des candidats rivaux, qui sont tous approuvés par la Commission, est finalement nommé par le Ministre de la Justice (la commission ne joue aucun rôle en matière de promotions).

21.     Dans d'autres pays, les systèmes actuellement en place diffèrent entre les pays qui ont une magistrature de carrière (soit la plupart des pays de droit romain) et ceux où les juges sont issus des rangs de praticiens expérimentés (par ex. des pays de Common Law comme Chypre, Malte et le Royaume-Uni et d'autres comme le Danemark).

22.     Dans les pays où il y a une magistrature de carrière, la nomination initiale des juges de carrière dépend normalement de la réussite objective à un examen. Il convient de se demander si (a) le concours suffit – les qualités personnelles ne devraient-elles pas être évaluées et les compétences pratiques enseignées et contrôlées ? (b) si une autorité indépendante des pouvoirs exécutif et législatif devrait intervenir à se stade – en Autriche, par exemple, un Personalsenat (composé de cinq juges) joue un rôle officiel en recommandant les promotions, mais n'a pas compétence pour les nominations.

23.     A l'inverse, lorsque les juges sont ou peuvent être issus des rangs de praticiens expérimentés, il est peu probable que des examens aient une quelconque utilité. La nomination devrait dépendre des compétences vérifiées dans la pratique et de l'avis de personnes qui connaissent bien le candidat.

24.     Dans l'ensemble des situations décrites ci-dessus, il est recommandé de disposer de règles objectives non seulement en vue d'exclure toute influence politique, mais aussi pour d'autres motifs comme le souci de prévenir le risque de favoritisme, de conservatisme et de clientélisme qui existe quand les nominations ne suivent pas une procédure structurée ou qu'elles sont fondées sur des recommandations personnelles.

25.     Les "critères objectifs", visant à veiller à ce que la sélection et la carrière des juges soit "fondée sur le mérite, eu égard à leurs qualifications, leur intégrité, leur compétence et leur efficacité", ne peuvent être énoncés qu'en des termes généraux. Néanmoins, c'est leur contenu réel et leur effet dans l'Etat intéressé qui est déterminant en fin de compte. Le CCJE recommande aux autorités des Etats membres responsables des nominations et des promotions ou chargées de formuler des recommandations en la matière d'adopter, de rendre publics et de mettre en œuvre des critères objectifs afin que la sélection et la carrière des juges soient "fondées sur le mérite, eu égard à leurs qualifications, leur intégrité, leur compétence et leur efficacité". Dès lors que ces critères auront été fixés, ces organes ou autorités responsables de toute nomination ou promotion devront agir en conséquence et il sera alors au moins possible d'examiner le contenu des critères adoptés et leur effet pratique.

26.     Les réponses au questionnaire indiquent une absence générale de tout critère public. Le Lord Chancellor britannique a rendu publics des critères généraux et les autorités exécutives d'Ecosse ont diffusé un document de consultation. Le droit autrichien définit les critères de promotion. De nombreux pays, comme Chypre ou l'Estonie, se fondent sur l'intégrité de conseils indépendants de juges responsables des nominations ou chargés de les recommander. En Finlande, le Comité consultatif compétent compare les mérites des candidats et formule des propositions de nomination qui doivent être motivées. De même, en Islande, le Comité de sélection[6] soumet au Ministre de la Justice une appréciation écrite des candidats à la fonction de juge de district, tandis que la Cour suprême rend un avis consultatif concernant la compétence des candidats à la Cour suprême. En Allemagne, au niveau fédéral et régional, des conseils de nomination des juges peuvent être chargés de soumettre des points de vue écrits (qui ne contiennent pas de raisons détaillées) sur l'aptitude des candidats à être nommés et promus. Ils ne lient pas le Ministre de la Justice, mais ils peuvent conduire à des critiques (parfois publiques) si celui-ci ne les suit pas. Cette pratique pourrait être considérée comme une discipline salutaire et permettre d'avoir une idée des critères qui sont appliqués, mais des considérations plaidant dans l'autre sens ont été avancées pour s'opposer à cette façon de faire (par ex. validité du jugement lorsqu'il convient de départager deux candidats assez semblables, et respect du secret concernant les sources d'information).

27.     Bien qu'en Lituanie, il n'y ait aucun critère clairement défini concernant les promotions, le travail des juges de district est contrôlé par une série de critères quantitatifs et qualitatifs, basés principalement sur les statistiques (y compris les statistiques concernant les arrêts d’annulation en appel) et il fait l'objet de rapports au Département des tribunaux du ministère de la Justice. Le Ministre de la Justice ne joue qu'un rôle indirect dans la sélection et la promotion. Cependant, ce système de contrôle a été « sévèrement critiqué » par l'Association lituanienne des juges. Les données statistiques ont un rôle social important pour la compréhension et l’amélioration du fonctionnement et de l’efficacité des tribunaux. Mais elles ne sont pas identiques avec des standards objectifs pour évaluation, que ce soit dans le cas d’une nomination à un nouveau poste, d’une promotion ou autre. Une grande prudence est nécessaire dans toute utilisation des statistiques pouvant servir de  support dans ce contexte.

28.     Au Luxembourg, la promotion est censée être fondée normalement sur le principe d'ancienneté. Aux Pays-Bas, il subsiste des éléments d'un ancien système de promotion à l'ancienneté. En Belgique et en Italie, des critères objectifs d'ancienneté et de compétence conditionnent la promotion. En Autriche, en ce qui concerne les recommandations de promotion formulées par le Personalsenat (composé de cinq juges) à l'attention du Ministre de la Justice, la loi impose que l'ancienneté ne soit considérée qu'en cas d'aptitude professionnelle égale des candidats.

29.     La Charte européenne sur le statut des juges (paragraphe 4.1) traite du système de promotion "lorsqu'il n'est pas basé sur l'ancienneté" et l'exposé des motifs note qu'il s'agit là d'un "système que la Charte n’a nullement entendu exclure dans la mesure où il est considéré comme hautement protecteur de l’indépendance". Bien qu'une expérience suffisante soit une condition préalable à une promotion, le CCJE estime que dans le monde moderne, l'ancienneté n'est plus le  grand principe de promotion généralement[7] acceptable. L'opinion publique souhaite vivement non seulement que le système judiciaire soit indépendant, mais aussi qu'il soit de qualité et, notamment en période de mutations, que les responsables de l'appareil judiciaire soient des hommes de valeur. Un système de promotion fondé entièrement sur l'ancienneté risque de perdre en dynamisme, ce qui ne peut se justifier par un gain réel en matière d'indépendance. Le CCJE a néanmoins considéré que les exigences d’ancienneté basées sur le nombre d’années d’expérience professionnelle peuvent contribuer à renforcer l’indépendance.

30.       En Italie et dans une certaine mesure en Suède, le statut, la fonction et la rémunération des juges ont été dissociés. La rémunération dépend, presque automatiquement, de l’ancienneté de l’expérience et ne change généralement pas en fonction du statut ou de la fonction. Le statut dépend de la promotion mais n’implique pas nécessairement le siège dans une cour différente. Ainsi, le juge avec le statut du magistrat d’appel peut préférer de continuer à siéger dans un tribunal de première instance. De cette façon, le système vise à augmenter l’indépendance au moyen d’écarter toute motivation financière pour obtenir une promotion ou une nouvelle fonction.

31.     Le CCJE s'est intéressé à l'égalité entre les femmes et les hommes. Selon les Grandes lignes de Latimer House, les nominations à tous les niveaux du système judiciaire doivent poursuivre l'objectif d'égalité entre les femmes et les hommes. En Angleterre, les Principes directeurs du Lord Chancellor prévoient des nominations fondées strictement sur le mérite, "indépendamment du sexe, de l'origine ethnique, de l'état civil et de l'orientation sexuelle…", mais le Lord Chancellor a clairement fait savoir qu'il souhaite encourager la nomination de femmes et de membres de minorités ethniques à des fonctions judiciaires. Ce sont là manifestement des buts légitimes. Le délégué autrichien a fait savoir que si, en Autriche, il y a deux candidats ayant la même qualification, il est prévu que le candidat du sexe sous-représenté soit retenu. A supposer même que cette réaction positive limitée au problème de sous-représentation ne soulève pas de problème juridique, le CCJE relève qu'elle pose les difficultés pratiques suivantes : d'abord, elle ne retient qu'un critère de sous-représentation (le sexe) et ensuite, on pourrait se demander ce qui, étant donné la situation dans un pays donné, contribue à la sous-représentation pour des raisons discriminatoires dans ce domaine. Le CCJE ne propose pas de disposition sur le modèle de la règle autrichienne comme règle internationale générale, mais il souligne le besoin de parvenir à une égalité au moyen des « principes directeurs », tels que mentionnés dans la 3ème phrase ci-dessus.

Les organes de nomination et consultatifs

32.     Le CCJE note le large éventail de méthodes employées pour nommer les juges. Il est unanime à estimer que les nominations doivent se faire au mérite.

33.     Les diverses méthodes actuellement utilisées pour sélectionner les juges peuvent toutes être considérées comme ayant des avantages et des inconvénients : on peut soutenir que l'élection confère plus directement une légitimité démocratique, mais cela suppose que les candidats fassent campagne, s'adonnent à la politique et puissent être tentés d'acheter ou de distribuer leurs faveurs. La cooptation par les magistrats en place peut permettre d'avoir des candidats techniquement qualifiés, mais elle risque de conduire à un certain conservatisme et au clientélisme[8]. Elle serait considérée comme véritablement anti-démocratique dans certaines philosophies constitutionnelles. La nomination par l'exécutif ou par le législatif pourrait également fournir un argument en faveur d’un renforcement de la légitimité, mais fait courir un risque de dépendance à l'égard des détenteurs de ces pouvoirs. Une autre méthode consiste à confier les nominations à un organe indépendant.

34.     On peut se demander si la diversité d'approche actuelle ne permet pas tacitement de continuer de soumettre les nominations à des influences politiques abusives. Le CCJE prend note de l'opinion du spécialiste, M. Oberto, selon lequel les procédures de nomination informelles et l'influence politique manifeste qui s'exerce sur les nominations de juges dans certains Etats ne sont pas des modèles utiles dans d'autres Etats, revenus récemment à un système démocratique, où il est essentiel d'assurer l'indépendance de la justice en instituant des organes de nomination strictement apolitiques.

35.     Pour prendre un exemple d’une nouvelle démocratie, le CCJE note que dans la République tchèque, c'est le Président de la République qui nomme les juges sur proposition du Ministre de la Justice, et le Président ou le Ministre qui décide des promotions (par exemple, la mutation à une juridiction de degré supérieur ou la nomination à la fonction de Président ou de Vice-Président). Il n'y a aucun Conseil suprême de la Justice, bien que des juges siègent dans les comités qui sélectionnent les candidats à une fonction judiciaire.

36.     La Recommandation N° R (94) 12 évite de se prononcer sur ce point. Elle commence par supposer l'existence d'un organe de nomination indépendant :

          "L'autorité compétente en matière de sélection et de carrière des juges devrait être indépendante du gouvernement et de l'administration. Pour garantir son indépendance, des dispositions devraient être prévues pour veiller, par exemple, à ce que ses membres soient désignés par le pouvoir judiciaire et que l'autorité décide elle-même de ses propres règles de procédure."

          Cependant, elle poursuit en envisageant alors un système tout différent :

          "Toutefois, lorsque la Constitution, la législation ou les traditions permettent au gouvernement d'intervenir dans la nomination des juges, il convient de garantir que les procédures de désignation des juges soient transparentes et indépendantes en pratique et que les décisions ne soient pas influencées par d'autres motifs que ceux qui sont liés aux critères objectifs susmentionnés."

          Les exemples de "garanties" qui suivent offrent une latitude encore plus grande pour s'écarter de procédures formelles – il y a d'abord un organe spécial indépendant et compétent, habilité à donner au gouvernement des conseils "qui sont suivis dans la pratique", puis "le droit pour un individu d'introduire un recours contre une décision auprès d'une autorité indépendante" et enfin la possibilité floue (et exprimée en termes vagues) qu'il suffise que "l'autorité habilitée à prendre la décision établisse des garde-fous contre toute influence indue ou abusive".

37.     L’arrière-plan de cette formulation renvoie aux conditions en 1994. Mais le CCJE s'alarme à présent de sa nature quelque peu vague et indéterminée dans le contexte de la grande Europe, où les "traditions" juridiques ou constitutionnelles ont moins de pertinence et où des procédures formelles sont une nécessité dont il est dangereux de faire l'économie. C'est pourquoi, il estime que toute décision liée à la nomination ou à la carrière d'un juge doit être fondée sur des critères objectifs et être prise par une autorité indépendante, ou être assortie de garanties pour qu'elle ne soit pas prise sur une autre base que ces critères.

38.     Le CCJE reconnaît qu'il peut être impossible d'aller plus loin, étant donné la diversité des systèmes existant actuellement dans les Etats européens. Cependant, son mandat du conseil consultatif l'invite à envisager une modification éventuelle des règles et pratiques existantes et l'élaboration de règles généralement acceptables. De plus, la Charte européenne sur le statut des juges va bien au-delà de la Recommandation n° R (94) 12 en précisant ceci :

          "Pour toute décision affectant la sélection, le recrutement, la nomination, le déroulement de la carrière ou la cessation de fonctions d'un juge ou d'une juge, le statut prévoit l'intervention d'une instance indépendante du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif au sein de laquelle siègent au moins pour moitié des juges élus par leurs pairs suivant des modalités garantissant la représentation la plus large de ceux-ci."

39.     L'exposé des motifs explique que "l'intervention" d'une instance indépendante s'interprète au sens large pour couvrir une opinion, recommandation ou proposition et une décision effective. La Charte européenne va encore bien plus loin que la pratique actuelle dans de nombreux Etats européens (il n'est pas surprenant que les délégués des Hauts conseils de Juges et des associations de juges réunis les 23-26 juin 1997 à Varsovie aient souhaité un contrôle judiciaire encore plus développé de la nomination et de la promotion des juges que ce que préconise la Charte.).

40.     Les réponses au questionnaire montrent que la plupart des Etats européens ont mis en place un organe indépendant du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif, habilité à jouer un rôle exclusif ou moins marqué en matière de nominations et (le cas échéant) de promotions ; ainsi, Andorre, la Belgique, Chypre, le Danemark, l'Estonie, la Finlande, la France, l'Islande, l'Irlande, l'Italie, la Lituanie, la Moldova, les Pays-Bas, la Norvège, la Pologne, la Roumanie, la Russie, la Slovaquie, la Slovénie, "l'ex-République yougoslave de Macédoine" et la Turquie.

41.     L'absence d'organe de cette nature est considérée comme une faiblesse en République tchèque. Bien que Malte dispose d'un tel organe, le fait qu'il ne soit consulté qu'à titre facultatif par l'instance chargée des nominations[9] a été considéré comme une faiblesse. En Croatie, l'ampleur de l'influence politique potentielle sur l'instance chargée des nominations a été qualifiée de problématique[10].

42.     Les systèmes suivants serviront de trois exemples de conseil supérieur de la Justice satisfaisant aux propositions de la Charte européenne.

i)        Selon l'article 104 de la Constitution italienne, il se compose du Président de la République, du Premier Président et du Procureur général de la Cour de Cassation, de vingt juges élus par leurs pairs et de dix membres (professeurs d'université et avocats ayant quinze ans d'expérience) élus par le Parlement réuni en congrès. Selon l'article 105, le Conseil supérieur est chargé de "désigner, de recruter et de muter, de promouvoir et de sanctionner les juges conformément aux règles de l'organisation judiciaire".

ii)       Les lois hongroises sur la réforme des tribunaux de 1997 établissent le Conseil National Judiciaire ayant les compétences pour l’administration des tribunaux, y compris la nomination des juges. Le Conseil est composé du Président de la Cour suprême (Président du Conseil), de neuf juges, du Ministre de la Justice, du Procureur Général, du Président des Barreaux et de deux députés du Parlement.

iii)      En Turquie, un Conseil Suprême procède à la sélection et à la promotion aussi bien des juges que des procureurs. Il est composé de sept membres, parmi lesquels figurent cinq juges de la Cour de Cassation et du Conseil d’Etat. Le ministre de la Justice préside le Conseil et le Sous-secrétaire du ministre de la Justice est également son membre ex officio.

43.     Un exemple de Common law est donné par l'Irlande, où un Comité de nomination des juges a été institué par la partie 13 de la Courts and Courts Officers Act 1995 afin de sélectionner les candidats et d'informer le Gouvernement sur l'aptitude de ces personnes à la fonction de juge. Les neuf membres du Comité sont le Président de la Cour suprême, les trois Présidents de la Haute Cour, du tribunal de circuit et du tribunal de district, le Procureur général, un avocat en activité, désigné par le Président du barreau, un avoué en activité, désigné par le Président de la Law Society et jusqu'à trois membres qui sont nommés par le Ministre de la Justice et qui ont une expérience ou des connaissances dans le domaine du commerce, de la finance ou de l'administration, voire une expérience de justiciables. Ce système n'empêche pas toute influence politique de s'exercer sur le processus[11].

44.     Le modèle allemand (déjà cité) comprend des conseils dont le rôle peut varier  selon qu'il s'agit des tribunaux du niveau fédéral ou de Länder et en fonction du niveau des tribunaux. Il y a des conseils chargés de la nomination dont le rôle est habituellement purement consultatif. De plus, dans des nombreux Länder le choix des juges est effectué sous la responsabilité conjointe du Ministre de la Justice compétent  et du comité pour la sélection des juges. Ce comité a d'ordinaire un droit de veto. Il se compose en général de membres du parlement, de juges élus par leurs pairs et d'un avocat. La participation du Ministre de la Justice est considérée en Allemagne comme un élément démocratique important car le Ministre est responsable devant le parlement. D'un point de vue constitutionnel, on estime qu'il est important que l'organe qui décide effectivement des nominations ne soit pas composé uniquement ou majoritairement de juges.

45.     Même dans les systèmes juridiques où la pratique est satisfaisante en raison de la force des traditions et d'une autodiscipline informelle, d’ordinaire sous l'influence des médias libres, on prend de plus en plus conscience, qu'il serait nécessaire de mettre en place des garde-fous objectifs et formels. Dans d'autres Etats, notamment les ex-pays communistes, il y a urgence en la matière. Le CCJE estime que la Charte européenne – pour autant qu'elle préconise l'intervention (au sens suffisamment large pour couvrir une opinion, recommandation ou proposition, ainsi qu’une décision effective) d'une instance indépendante composée dans une grande mesure de représentants des juges choisis démocratiquement par d'autres juges[12] – va dans la bonne direction, que le CCJE souhaite recommander. Ceci est particulièrement important pour les pays qui n'ont pas de système éprouvé aux bases démocratiques solides.

Durée du mandat

46.     Les Principes fondamentaux des Nations Unies, la Recommandation n° R (94) 12 et la Charte européenne sur le statut des juges envisagent tous la possibilité de nommer les juges pour une durée déterminée plutôt que jusqu'à l'âge de la retraite légale.

47.     La Charte européenne (paragraphe 3.3) envisage aussi que "la procédure de recrutement prévoie une période d'essai, nécessairement courte, postérieure à la nomination en qualité de juge avant que celle-ci ne soit confirmée à titre définitif".

48.     Dans la pratique européenne, les nominations à plein temps jusqu'à l'âge légal de la retraite sont la règle. C'est là l'approche la moins problématique du point de vue de l'indépendance.

49.     De nombreux systèmes de droit romain prévoient une période de formation ou d'essai pour les nouveaux juges.

50.     Dans certains pays, des nominations ne sont autorisées que pour une durée limitée (par ex. pour douze ans dans le cas de la Cour constitutionnelle fédérale d'Allemagne). De même, les juges sont d'ordinaire nommés pour une durée limitée aux tribunaux internationaux (comme la Cour européenne de justice et la Cour européenne des Droits de l'Homme).

51.     Certains pays font couramment appel aux assesseurs, qui sont nommés pour une durée limitée ou qui sont moins bien protégés que les juges à temps plein (par ex. le Royaume-Uni et le Danemark).

52.     Le CCJE estime que lorsqu'à titre exceptionnel, un poste de juge à plein temps est attribué pour une durée limitée, la nomination ne doit pas être renouvelable sauf s'il y a une procédure garantissant que :

                   i.        l'organe de nomination examine la demande de reconduction du juge si celui-ci le souhaite et

                  

                   ii.       la décision de reconduction est prise en toute objectivité et au mérite, sans que des considérations politiques n'entrent en ligne de compte.

53.     Le CCJE estime que si la nomination est provisoire ou pour une durée limitée, l'instance responsable de l'objectivité et la transparence de la méthode employée pour la nomination ou la reconduction à une fonction de juge à temps plein sont d'une importance capitale (voir aussi paragraphe 3.3 de la Charte européenne).

54.     Le CCJE est conscient que son mandat ne fait pas référence spécifique à la situation des juges au niveau international. Issu d'une recommandation (n° 23) du rapport des Sages de 1998, selon laquelle la coopération directe avec les institutions nationales du système judiciaire devrait être renforcée, et de la Résolution n° 1 adoptée ensuite par les Ministres de la Justice à leur 22e Conférence tenue les 17-18 juin 1999 à Chišinau, le CCJE a pour vocation de contribuer à mettre en œuvre les priorités énoncées dans le programme d'action global « pour le renforcement du rôle des juges en Europe et de conseiller (…) sur l’opportunité (…) de la mise à jour des instruments juridiques du Conseil de l’Europe ». Le programme d’action global est axé pour l'essentiel sur les systèmes juridiques internes des Etats membres. Cependant, il convient de ne pas oublier les critères d'appartenance au Conseil de l'Europe, qui comprennent le « respect des obligations contractées au titre de la Convention européenne des Droits de l'Homme ». A cet égard, « la soumission à la juridiction contraignante – en vertu du droit international public – de la Cour européenne des Droits de l’Homme est sans conteste la principale caractéristique du Conseil de l’Europe » (Rapport des Sages, paragraphe 9).

55.     Le CCJE est d'avis que, comme les juridictions supranationales et leurs décisions ont une influence croissante sur les systèmes juridiques nationaux, il est essentiel d'encourager les Etats membres à respecter les principes relatifs à l'indépendance, l'inamovibilité, la nomination des juges et la durée du mandat qui leur est confié dans ces instances supranationales (voir notamment ci-dessus paragraphe 52).

56.     Le CCJE s'accorde à reconnaître qu'en raison de l'importance pour les systèmes juridiques nationaux et pour les juges des obligations résultant des traités internationaux comme la Convention européenne et les traités de l'Union européenne, il est essentiel que la nomination et la reconduction des juges aux instances qui interprètent ces traités bénéficient de la même confiance et respectent les mêmes principes que les systèmes juridiques nationaux. Le CCJE  convient ensuite que l’intervention de l’autorité indépendante mentionnée dans les paragraphes 37 et 45 devrait être encouragée dans les cas de la nomination et de la reconduction des juges des tribunaux internationaux. Le Conseil de l'Europe et ses institutions sont en bref fondés sur la croyance en des valeurs communes supérieures à celles des différents Etats membres. Cette croyance a déjà eu des effets pratiques considérables. Ce serait revenir sur ces valeurs et sur les avancées réalisées pour les préciser et les appliquer si l'on n'insistait pas sur leur application à l'échelle internationale.

Conditions d'exercice (inamovibilité et régime de sanctions disciplinaires)

57.     Selon un grand principe de l'indépendance judiciaire, l'exercice de la fonction occupée par un juge doit être garanti jusqu'à l'âge légal de la retraite ou l'expiration du mandat confié pour la durée déterminée : voir les principes fondamentaux des Nations Unies paragraphe 12 ; la Recommandation n° R (94) 12 Principe I(2)(a) (ii) et (3) et Principe VI (1) et (2). Selon la Charte européenne, ce principe s'étend à la désignation ou la nomination dans un service ou un lieu différents sans le consentement de l'intéressé (sauf en cas de réorganisation judiciaire ou de mutation temporaire), mais la Charte comme la Recommandation n° R (94) 12 précisent que la mutation peut être ordonnée à titre de sanction disciplinaire.

58.     Le CCJE note qu'il n'y a pas en République tchèque d'âge obligatoire de la retraite, mais qu'un "juge peut être révoqué par le Ministre de la Justice une fois qu'il a atteint l'âge de 65 ans".

59.     L'existence d'exceptions aux règles d'inamovibilité, notamment celles qui découlent de sanctions disciplinaires, conduit immédiatement à s'intéresser à l'instance et à la méthode par laquelle les juges peuvent être sanctionnés, ainsi qu'aux motifs des sanctions disciplinaires. La Recommandation n° R (94) 12, Principe VI (2) et (3), insiste sur la nécessité d'une définition précise des infractions pour lesquelles un juge peut être révoqué, et de procédures disciplinaires respectant les exigences liées aux droits de la défense de la Convention européenne des Droits de l'Homme. Elle ajoute en outre que "les Etats devraient étudier la possibilité de constituer, conformément à une loi, un organe compétent spécial chargé d'appliquer les sanctions et mesures disciplinaires, lorsqu'elles ne sont pas examinées par un tribunal, et dont les décisions devraient être contrôlées par un organe judiciaire supérieur, ou qui serait lui-même un organe judiciaire supérieur". La Charte européenne assigne ce rôle à une instance indépendante qui devrait "intervenir" dans tous les aspects de la sélection et de la carrière de chaque juge.

60.     Le CCJE estime

(a)      que l'inamovibilité des juges devrait être un élément exprès de l'indépendance consacrée au niveau interne le plus élevé (voir paragraphe 16 ci-dessus) ;

(b) que l'intervention d'une instance indépendante[13] selon une procédure qui garantit pleinement les droits de la défense, est d'une importance capitale dans les questions de discipline ; et

(c) qu'il serait utile d'élaborer des règles définissant non seulement la conduite qui peut conduire à la révocation, mais aussi l'ensemble des comportements qui peuvent entraîner des sanctions disciplinaires ou un changement de statut comme par exemple une mutation à un autre tribunal ou en un autre lieu.

Un avis détaillé sur la question contenant un projet de textes pour examen par le CDCJ pourrait être élaboré ultérieurement par le CCJE quand il s'intéressera expressément aux règles de conduite, bien que celles-ci soient sans nul doute étroitement liées au présent thème de l'indépendance.

Rémunération

61.     Selon la Recommandation n° R (94) 12, "la rémunération [des juges] devrait être garantie par la loi" et elle doit être "à la mesure de la dignité de leur profession et des responsabilités qu'ils assument" (Principes I(2)(a)(ii) et III(1)(b)). La Charte européenne contient une importante reconnaissance réaliste du rôle d'une rémunération appropriée qui mette les juges "à l'abri de pressions visant à influer sur le sens de leurs décisions et plus généralement sur leur comportement…", et de l'importance d'une assurance-maladie et d'une pension de retraite suffisantes (paragraphe 6). Le CCJE approuve pleinement cette mention de la Charte.

62.       Bien que certains systèmes (par exemple dans les pays Nordiques) appliquent en la matière les mécanismes traditionnels en absence de formelles dispositions légales, le CCJE est d’avis qu’il est généralement important (et en particulier dans le cas des nouvelles démocraties) de fixer les dispositions légales spécifiques garantissant les salaires des juges qui protégeraient ces salaires contre les réductions et qui assureraient de facto l’augmentation des salaires en fonction du coût de la vie.

Absence d'influence extérieure indue

63.     L'absence d'influence extérieure indue est un principe général largement reconnu : voir les principes fondamentaux des Nations Unies paragraphe 2 ; la Recommandation n° R (94) 12, Principe I(2)(d), qui précise encore que : "la loi devrait prévoir des sanctions à l'encontre des personnes cherchant à influencer ainsi les juges". Comme il s'agit de principes généraux, l'absence de pression externe indue et la nécessité, dans ces cas extrêmes, de prendre des sanctions ne prêtent pas à controverse[14]. De plus, le CCJE n'a pas de raison de penser que ces principes ne soient pas suffisamment garantis en droit dans les Etats membres. Par ailleurs, leur mise en œuvre pratique demande du soin, de la vigilance et, dans certains cas, une certaine modération politique. Les discussions avec les juges de différents Etats et leur compréhension et soutien pourraient être précieux à cet égard. Il est pourtant délicat de dire ce qu'est une influence indue et de trouver un bon équilibre entre, par exemple, la nécessité de protéger la procédure judiciaire contre les pressions et distorsions de toutes sortes, qu'elles soient d'origine politique, médiatique ou autre, et l'utilité d'une discussion ouverte sur les questions d'intérêt public au sein de la société et dans une presse libre. Il faut que les juges acceptent d'être des personnages publics et qu'ils ne soient pas trop susceptibles ou d’une constitution fragile. Le CCJE estime qu'aucune modification du principe existant ne semble nécessaire mais que les juges des différents Etats pourraient tirer profit de discussions et d'échanges d'information sur des situations particulières.

Indépendance au sein de l'appareil judiciaire

64.     Il s'agit avant tout de souligner ici qu’un juge dans l’exercice de ses fonctions n’est l’employé de personne ; il exerce une fonction de l'Etat. Il est par conséquent le serviteur de la loi et il n’est responsable que devant la loi. Il est évident qu’un juge lors d’examen d’un cas n’agit sur aucun ordre ou instruction de la part d’un tiers au sein ou à l’extérieur du système judiciaire.

65.     Selon le Principe I(2)(a)(i) de la Recommandation n° R (94) 12, "les décisions des juges ne devraient pas être susceptibles d'être révisées en dehors des procédures de recours prévues par la loi" et selon le Principe I(2)(a)(iv), "à l'exception des décisions concernant l'amnistie, la grâce ou des mesures similaires, le gouvernement ou l'administration ne devraient pas être habilités à prendre de décisions annulant des décisions de justice rétroactivement". Le CCJE note que les réponses au questionnaire indiquent que ces principes sont observés en général, si bien qu'aucune modification n'est proposée.

66.     Le CCJE note le risque potentiel que la hiérarchie judiciaire interne peut faire peser sur l'indépendance des juges. On sait que l'indépendance suppose non seulement d'être à l'abri d'une influence extérieure indue, mais aussi d'être soustrait à l'influence indue qui peut découler dans certaines situations de l'attitude d'autres juges. "Les juges devraient être absolument libres de statuer impartialement sur les affaires dont ils sont saisis, selon leur intime conviction et leur propre interprétation des faits, et conformément aux règles de droit en vigueur" (Recommandation n° R (94) 12, Principe I (2)(d)). Il s'agit ici des juges pris isolément. Les termes employés n'excluent pas les doctrines comme celle du précédent dans les pays de Common law (c'est-à-dire l'obligation d'un juge d'une juridiction de degré inférieur de se conformer à une décision antérieure prise par une Cour de degré supérieur sur un point de loi soulevé directement dans une affaire ultérieure).

67.     Le Principe I(2)(d) ajoute encore ceci : "Les juges ne devraient être obligés de rendre compte à aucune personne étrangère au pouvoir judiciaire sur le fond de leurs affaires." Cette phrase est plutôt obscure. "Rendre compte" sur le fond d'affaires, même à d'autres membres du pouvoir judiciaire semble a priori contraire au principe d'indépendance judiciaire. Si une décision de justice était rendue avec une incompétence telle qu'elle s'apparente à une faute professionnelle, il pourrait en aller autrement, mais, même dans ce cas peu probable là, le juge ne rendrait pas compte, mais devrait réfuter une accusation.

68.     Le pouvoir hiérarchique confié dans de nombreux systèmes aux juridictions de degré supérieur peut dans la pratique mettre en danger l'indépendance individuelle des juges. Une solution consisterait à transférer toutes les compétences pertinentes à un Haut conseil de la Justice, qui protégerait alors les juges contre toute ingérence extérieure et intérieure. Cela nous ramène à la recommandation de la Charte européenne sur le statut des juges sur laquelle l'attention a déjà été attirée dans la partie intitulée Les organes de nomination et consultatifs.

69.     Dans les pays où ils existent, les systèmes d'inspection des tribunaux ne devraient pas s'intéresser au fond ou à la justesse des décisions de justice, ni pousser les juges, pour des raisons d'efficacité, à favoriser la productivité aux dépens du bon accomplissement de leur rôle. Celui-ci consiste à parvenir à une décision mûrement réfléchie conformément à l'intérêt des justiciables[15].

70.     Le CCJE prend note dans ce contexte du système italien moderne de séparation des grades, des salaires et des fonctions, décrit dans le paragraphe 30 ci-dessus. L’objectif de ce système est de renforcer l’indépendance des juges. Il permet aussi que des affaires difficiles de première instance (par exemple, celles qui sont liées à la mafia en Italie) soient traitées par des juges très qualifiés.

 

Rôle des juges

71.     Ce titre pourrait recouvrir un large éventail de sujets. Bien des points exigeront un examen détaillé lorsque le CCJE s'intéressera à la question des règles, si bien qu'il vaut mieux le laisser jusque là. Il en va ainsi de questions telles que l'appartenance à un parti politique et l'accomplissement d'activités politiques.

72.     A sa réunion, le CCJE a évoqué le fait que, dans certains systèmes, les fonctions de juge, de procureur et de fonctionnaire du ministère de la Justice sont interchangeables. En dépit de ces passerelles, le CCJE décide que l'examen du rôle, du statut et des devoirs des procureurs, parallèlement à ceux des juges ne relève pas de son mandat. Il resterait cependant à dire si un tel système est compatible avec l'exigence d'indépendance des juges. C'est là un sujet qui est sans aucun doute d'une importance considérable dans les systèmes juridiques concernés. Le CCJE estime que ce point mériterait ultérieurement une étude approfondie, peut-être en relation avec l'étude des règles de conduite des juges, mais qu'il nécessiterait l'évaluation d'un spécialiste.


Conclusions

73.     Le CCJE considère qu’il est important pour les Etats membres d’appliquer pleinement les principes déjà élaborés (paragraphe 6) et, après avoir examiné les règles contenues notamment dans la Recommandation n° R (94) 12 sur l'indépendance, l'efficacité et le rôle des juges, il conclut comme suit :

(1)      Les principes fondamentaux de l’indépendance des juges devraient être énoncés  au niveau constitutionnel ou dans les normes internes de niveau le plus élevé possible dans chaque Etat membre et ses règles plus spécifiques dans des normes de niveau législatif (paragraphe 16).

(2)      Dans chaque Etat membre, les autorités responsables des nominations et des promotions, ou chargées des formuler des recommandations en la matière, devraient adopter, rendre publics et mettre en œuvre des critères objectifs afin que la sélection et la carrière des juges soient fondées sur le mérite, eu égard à leurs qualifications, leur intégrité, leur compétence et leur efficacité (paragraphe 25).

(3)      L’ancienneté ne devrait pas constituer le principe essentiel de promotion. Une expérience professionnelle adéquate est néanmoins pertinente ; les conditions préalables liées au nombre d’années d’expérience peuvent contribuer à renforcer  l’indépendance (paragraphe 29).

(4)      Le CCJE estime que la Charte européenne sur le statut des juges – pour autant qu'elle préconise l'intervention d'une instance indépendante composée dans une grande mesure de représentants des juges choisis démocratiquement par d'autres juges – va dans la bonne direction, que le CCJE souhaite recommander (paragraphe 45).

(5)      Le CCJE estime que si la nomination est provisoire ou pour une durée limitée, l'instance responsable de l'objectivité et la transparence de la méthode employée pour la nomination ou la reconduction à une fonction de juge à temps plein, sont d'une importance capitale (voir aussi paragraphe 3.3 de la Charte européenne) (paragraphe 53).

(6)      Le CCJE s'accorde à reconnaître qu'en raison de l'importance pour les systèmes juridiques nationaux et pour les juges des obligations résultant des traités internationaux comme la Convention européenne et les traités de l'Union européenne, il est essentiel que la nomination et la reconduction des juges aux instances qui interprètent ces traités bénéficient de la même confiance et respectent les mêmes principes que les systèmes juridiques nationaux. Le CCJE convient ensuite que l’intervention de l’autorité indépendante mentionnée dans les paragraphes 37 et 45 devrait être encouragée dans les cas de la nomination et de la reconduction des juges des tribunaux internationaux (paragraphe 56).

(7)      Le CCJE estime que l'inamovibilité des juges devrait être un élément exprès de l'indépendance consacrée au niveau interne le plus élevé (paragraphe 60).

(8)      La rémunération des juges devrait être à la mesure de leur rôle et des responsabilités qu’ils assument, de même ils devraient bénéficier d’une assurance-maladie et d’une pension de retraite suffisantes. Les salaires devraient être garantis par les dispositions légales spécifiques les protégeant contre les réductions et assurant leur augmentation en fonction du coût de la vie (paragraphes 61-62).

(9)      Chaque juge jouit de l’indépendance dans l’exercice de ses fonctions nonobstant toute hiérarchie au sein des juridictions (paragraphe 64).

(10)    L’usage des données statistiques et les systèmes d’inspection judiciaire ne doivent pas porter préjudice à l’indépendance des juges (paragraphes 27 et 69).

(11)    Le CCJE constate qu’il serait opportun d’élaborer des recommandations  additionnelles ou d’amender la Recommandation n° R (94) 12 à la lumière de cette opinion et des travaux futurs qui seront entrepris par le CCJE.


avis N°2 (2001)

du conseil consultatif de juges europeens (ccje)

a l'attention du comite des ministres du conseil de l'europe

relatif au financement et à la gestion des tribunaux au regard de l'efficacité de la justice et au regard des dispositions de l'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme

1.                Le Conseil consultatif de juges européens (CCJE) a rédigé le présent avis à la lumière, d'une part, des réponses des Etats à un questionnaire et, d'autre part, de textes élaborés par le Groupe de travail du CCJE et de textes élaborés par la présidence et la vice-présidence du CCJE et par le spécialiste du CCJE sur cette question, M. Jacek CHLEBNY (Pologne).

2.                Le CCJE reconnaît que le financement des tribunaux a un lien étroit avec la question de l'indépendance des juges, dans la mesure où il détermine les conditions dans lesquelles les tribunaux exercent leur mission.

3.                En outre, il existe un rapport évident entre, d'une part, le financement et la gestion des tribunaux et, d'autre part, les principes de la Convention européenne des Droits de l'Homme: l'accès à la justice et le droit à une procédure équitable ne sont pas assurés dans des conditions normales si une affaire ne peut être examinée dans un délai raisonnable par un tribunal disposant des crédits et moyens appropriés pour agir efficacement.

4.                L'ensemble des principes et normes généraux du Conseil de l'Europe en matière de financement et de gestion des tribunaux met à la charge des Etats le devoir de dégager les moyens financiers permettant de répondre aux nécessités des différents systèmes judiciaires.

5.                Le CCJE reconnaît que bien que le financement des tribunaux soit un élément du budget présenté au parlement par le ministère des Finances, ce financement ne doit pas être tributaire des fluctuations politiques. Certes, le niveau de financement qu'un pays peut se permettre de dégager pour ses tribunaux est une décision politique; mais dans un système fondé sur la séparation des pouvoirs, il est toujours nécessaire de veiller à ce que ni le pouvoir exécutif ni le pouvoir législatif ne puisse exercer une quelconque pression sur la justice lorsqu'il fixe le budget de celle-ci. Les décisions en matière d'affectation de fonds aux tribunaux doivent être prises dans le respect le plus rigoureux de l'indépendance des juges.

6.                Dans la majorité des pays, le ministère de la Justice est lui aussi mis à contribution, puisqu'il présente le budget des tribunaux au ministère des Finances et qu'il négocie ce budget avec lui. Dans beaucoup de pays, les juges prennent les devants, dans la mesure où les tribunaux adressent, directement ou indirectement, des propositions au ministère de la Justice. Toutefois, il arrive que les tribunaux soumettent des propositions budgétaires directement au ministère des Finances. C'est le cas de la Cour suprême d'Estonie et de la Cour suprême de Slovaquie, s'agissant de leur propre budget; quant aux Cours suprêmes de Chypre et de Slovénie, elles présentent des propositions budgétaires concernant les tribunaux de tous les degrés de juridiction. En Suisse, la Cour suprême fédérale a le droit de soumettre au Parlement fédéral ses propres demandes financières (approuvées par la Commission administrative, formée de trois juges); de plus, le Président et le Secrétaire général de la Cour ont le droit de défendre en personne le budget de celle-ci devant le Parlement. En Lituanie, une décision de la Cour constitutionnelle du 21 décembre 1999 a établi le principe selon lequel chaque tribunal a le droit d'avoir son propre budget, répertorié dans le budget de l'Etat approuvé par le parlement. En Russie, le budget fédéral doit comporter une disposition distincte pour les besoins financiers de la Cour constitutionnelle, de la Cour suprême et d'autres juridictions de droit commun, de la Cour fédérale d'arbitrage et d'autres instances arbitrales; de plus, le Conseil des juges russes a le droit non seulement de participer à la négociation du budget fédéral, mais aussi d'être représenté lors des débats consacrés à celui-ci au sein des Chambres de l'Assemblée fédérale russe. Dans les pays nordiques, une législation récente a officialisé la procédure à suivre pour coordonner les budgets des tribunaux et les soumettre au ministère de la Justice; au Danemark, c'est l'administration judiciaire (dont le comité directeur est composé majoritairement de représentants des différentes juridictions) qui remplit ce rôle. En Suède, l'administration judiciaire nationale (instance spéciale gouvernementale dotée d’un comité directeur au sein duquel siège une minorité de juges) remplit une fonction analogue et est tenue de préparer des budgets continus triennaux.

7.                En revanche, d'autres pays ne connaissent aucune procédure officielle concernant une participation juridictionnelle au budget que le ministre de la Justice, ou son équivalent, négocie pour financer les frais exposés par les tribunaux; et l'influence éventuellement exercée est informelle. La Belgique, la Croatie, la France, l’Allemagne, l'Italie (exception faite pour certains déboursements), le Luxembourg, Malte (à l'exception de la Cour suprême), l’Ukraine et le Royaume-Uni: autant de pays dont le système juridique appartient à cette catégorie.

8.                Il n’y a pas toujours de relation entre la mesure dans laquelle le financement du système judiciaire est considéré comme suffisant et l’existence de procédures officielles permettant au système judiciaire de faire des propositions ou d’être consulté; toutefois, une contribution judiciaire plus directe continue d’être considérée comme une nécessité. Par ailleurs, les réponses aux questionnaires font trop souvent apparaître de nombreuses insuffisances – qu’il s’agisse d’une pénurie de moyens matériels (locaux, mobilier, équipement de bureautique et d’informatique) ou d’une absence totale du type d’assistance sans laquelle les juges ne peuvent aujourd'hui exercer leurs fonctions (personnel qualifié, adjoints spécialisés, accès à des sources documentaires informatisées, etc.). Dans les pays d’Europe orientale, en particulier, les restrictions budgétaires ont conduit le parlement à limiter les moyens financiers dégagés pour le financement des tribunaux à une proportion relativement modique par rapport au niveau requis (par exemple, 50 % en Russie). Même dans les pays d’Europe occidentale, les contraintes budgétaires se font sentir en termes de salles d’audience, de bureaux, d’informatique et/ou de ressources humaines (avec, parfois, comme conséquence, dans ce dernier cas, le fait que les juges ne peuvent être libérés des tâches non judiciaires).

9.                Un problème qui peut se poser tient au fait que le système judiciaire, qui n’est pas toujours perçu comme constituant un volet spécial du pouvoir de l’Etat, ne peut s’acquitter de sa mission, ni demeurer indépendant, si certaines conditions bien précises ne sont pas réunies. Il arrive, malheureusement, que les aspects économiques soient dominants dans les discussions concernant l’efficacité du système judiciaire et les importants changements structurels dont il est l’objet. Aucun pays ne peut se permettre de ne pas tenir compte de sa capacité financière globale au moment de décider quel niveau de services il est en mesure d’assurer; il n’en demeure pas moins que le système judiciaire et les tribunaux sont un rouage essentiel de l’Etat et, à ce titre, peuvent faire valoir leur droit à des moyens financiers.

10.               Bien que le CCJE ne puisse méconnaître les disparités économiques entre les pays, le développement d’un financement approprié des tribunaux passe par une plus grande participation de ceux‑ci dans le processus d’élaboration du budget. Dans ces conditions, le CCJE reconnaît qu’il importe que les dispositions en matière de vote du budget de la justice par le parlement comportent une procédure qui tienne compte de l’avis du pouvoir judiciaire.

11.               L’une des formes possibles de cette implication active de la justice dans l’élaboration du budget consisterait à confier à l’organe indépendant chargé de la gestion du corps judiciaire, dans les pays où cet organe existe[16], un rôle de coordination dans la préparation des demandes financières des tribunaux, et à faire de cet organe un interlocuteur direct du parlement pour l’appréciation des besoins des juridictions. Il serait souhaitable qu’un organe représentant l’ensemble des juridictions soit chargé de présenter les demandes budgétaires au parlement ou à l’une de ses commissions spécialisées.

12.               La gestion du budget affecté aux tribunaux suppose une responsabilité étendue croissante requérant une attention professionnelle. Les débats du CCJE ont fait apparaître qu’il y a une nette différence entre, d’une part, les systèmes dans lesquels la gestion reste entre les mains des juges, ou des personnes ou d’un  organe responsables devant le pouvoir judiciaire, ou encore d’une autorité indépendante dotée d’un soutien administratif approprié responsable devant cette autorité et, d’autre part, les systèmes dans lesquels cette gestion est confiée entièrement à des services ou départements gouvernementaux. Cette première solution a été adoptée dans quelques nouvelles démocraties et aussi dans certains autres pays, en raison des avantages qu’elle est supposée  présenter dans la garantie de l’indépendance et en raison de l’aptitude du pouvoir judiciaire à s’acquitter de ses fonctions.

13.               Si la gestion des tribunaux est confiée aux juges, ceux-ci doivent bénéficier de la formation adéquate et de l’aide nécessaire pour leur permettre de faire face à cette tâche. En tout état de cause, il importe que toutes les décisions administratives qui affectent directement l’exercice des fonctions juridictionnelles relèvent de la responsabilité des juges.

Conclusion

14.               Le CCJE indique qu’il est nécessaire que les Etats reconsidèrent les dispositions existantes  en matière de financement et de la gestion des tribunaux à la lumière du présent  avis. En particulier, le CCJE souligne la nécessité pour chaque Etat d’allouer des ressources suffisantes aux tribunaux, afin qu’ils puissent fonctionner dans le respect des normes énoncées à l’article 6 de la Convention européenne des Droits de l'Homme.



avis n° 3 (2002)

du conseil consultatif des juges europeens (ccje)

a l'attention du comite des ministres du conseil de l'europe

sur les principes et règles régissant les impératifs professionnels applicables aux juges et en particulier la déontologie, les comportements incompatibles et l'impartialité

1.         Le Conseil Consultatif de Juges Européens (CCJE) a rédigé le présent avis sur la base des réponses des Etats à un questionnaire et des textes élaborés par le Groupe de travail du CCJE et par le spécialiste, M. Denis SALAS (France).

2.         Le présent Avis fait référence à l’Avis CCJE (2001) OP N°1 (www.coe.int/legalprof, CCJE (2001) 43) sur les normes relatives à l’indépendance et l’inamovibilité des juges, en particulier ses paragraphes 13, 59, 60 et 71.

3.         Les CCJE a tenu compte dans ses analyses d’un certain nombre de documents, en particulier :

- les Principes fondamentaux des Nations Unies relatifs à l’indépendance de la magistrature (1985) ;

- la Recommandation N° R (94) 12 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe sur l’indépendance, l’efficacité et le rôle des juges ;

- la Charte européenne sur le statut des juges (1998) (DAJ/DOC (98) 23) ;

-  le Code de déontologie de la magistrature, projet de Bangalore.[17]

4.         Le présent avis s’articule autour de deux axes essentiels :

-           les principes et les règles de conduite professionnelle relevant de la détermination de principes d’éthique, obéissant à des standards très élevés, pouvant être traduits dans une déclaration de principes de conduite professionnelle établie par les juges eux-mêmes (A) ;

-           les principes et les procédures applicables à la responsabilité pénale, civile et disciplinaire des juges (B).

5.         Le CCJE s’est demandé dans ce contexte si des règles et principes existant étaient pleinement compatibles avec les exigences du tribunal indépendant et impartial imposées par la Convention européenne des Droits de l’Homme.

6.         Aussi, le CCJE propose-t-il de chercher des réponses à des questions suivantes :

-           Quelles normes de conduite pour les juges ?

-           De quelle manière les normes de conduite devraient-elles être formulées ?

-           Quelle responsabilité pénale, civile et disciplinaire, le cas échéant, pour les juges ?

7.         Le CCJE est d’avis que les réponses à ces questions contribueront à la mise en œuvre du programme cadre d'action global pour les juges en Europe, spécialement des priorités relatives aux droits et responsabilité du juge, conduite et éthique professionnelles (voir doc. CCJE (2001) 24, annexe A, partie III B), et attire l’attention dans ce contexte à ses conclusions figurant aux paragraphes 49, 50, 75, 76 et 77 ci-dessous.

A.         LES NORMES DE CONDUITE DES JUGES

8.         Il apparaît qu'une réflexion d'ordre éthique est indispensable pour différentes raisons. Les méthodes utilisées pour régler les litiges devraient toujours inspirer confiance. Les pouvoirs du juge sont strictement liés aux valeurs de la Justice, la vérité et la liberté. Les normes de conduite des juges sont le corollaire de ces valeurs et la condition de la confiance en la justice.

 

9.         La confiance en la justice est d’autant plus importante en raison de la mondialisation croissante des litiges et de la circulation des jugements. En outre, les attentes légitimes des justiciables dans un Etat de droit supposent que soient définis des principes généraux, compatibles avec le procès équitable et garantissant les droits fondamentaux. Les devoirs du juge lui sont imposés pour garantir son impartialité et l’efficacité de son intervention.

1°) Quelles normes de conduite pour les juges ?

10.       Traiter des règles régissant les impératifs professionnels applicables aux juges conduit à s’interroger sur les principes qui les sous-tendent ainsi que sur les objectifs qui sont poursuivis.

11.       Quelles que soient les modalités de son recrutement, de sa formation et l’étendue de son mandat, le juge se voit confier des pouvoirs et intervient dans des domaines qui touchent à l’essentiel de la vie des citoyens. Un récent rapport de recherche fait observer que de tous les pouvoirs publics c’est probablement le judiciaire qui a le plus évolué au sein des pays européens. [18] Ces dernières années, les sociétés démocratiques sollicitent davantage leur justice. Le pluralisme croissant de nos sociétés conduit chaque groupe à chercher une reconnaissance ou une protection qui ne lui est pas toujours reconnue. Si l’architecture des démocraties est profondément affectée, les variations nationales restent fortes. Il va de soi que les pays de l’Europe de l’Est qui sortent des régimes autoritaires trouvent dans le droit et la justice une légitimité indispensable à la reconstruction démocratique. Là plus qu’ailleurs, la justice s’affirme par rapport aux autres pouvoirs publics et par sa fonction de contrôle juridictionnel.

12.       Les pouvoirs qui sont conférés au juge sont soumis non seulement au droit interne, expression de la volonté nationale, mais aussi aux principes de droit international et de justice reconnus dans les sociétés démocratiques modernes.

13.       Le but dans lequel ces pouvoirs sont conférés aux juges est de permettre à ceux-ci de rendre la justice par l’application de la loi et d’assurer que chaque personne dispose des droits et/ou des biens qui lui sont légalement dévolus et dont elle a été ou pourrait être injustement privée.

14.       La Convention européenne des Droits de l’Homme exprime bien cet objectif lorsqu’elle énonce dans son article 6, se plaçant du seul point de vue de l’usager, que « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi ». Loin de souligner la toute puissance du juge, elle met en exergue les garanties  apportées aux justiciables et énonce les principes qui fondent les devoirs du juge : indépendance et impartialité.

15.       L’on peut observer ces dernières années un besoin marqué d’avoir les garanties plus fortes de l’indépendance et de l’impartialité des juges, des organes indépendants ont été établis afin de protéger la justice des interventions partisanes ; l’importance de la Convention européenne des Droits de l'Homme a été renforcée et s’est fait ressentir au moyen de la jurisprudence de la Cour européenne de Strasbourg et des tribunaux nationaux.

16.       L’indépendance des juges constitue un principe essentiel et une garantie pour tous les citoyens, y compris pour les juges. Cette indépendance comprend à la fois un aspect institutionnel et un aspect individuel. L’Etat démocratique moderne devrait être fondé sur la séparation des pouvoirs. Chaque juge devrait chercher par tous les moyens à maintenir l’indépendance judiciaire tant sur le plan institutionnel que sur le plan individuel. La raison d’être de cette indépendance a été discutée en détail dans l’Avis N° 1 (2001) du CCJE, paragraphes 10-13. Elle a pour complément indissociable, comme il a été alors constaté, l’impartialité des juges et constitue en même temps une condition fondamentale de cette impartialité qui est essentielle pour la crédibilité des systèmes judiciaires ainsi que pour la confiance que ceux-ci doivent inspirer dans toute société démocratique.

17.       L'article 2 des "Principes fondamentaux relatifs à l'indépendance de la magistrature" élaborés par les Nations Unies en 1985 affirme  que "les magistrats règlent les affaires dont ils sont saisis impartialement, d'après les faits et conformément à la loi, sans restrictions et sans être l'objet des influences, incitations, pressions, menaces ou interventions indues, directes ou indirectes, de la part de qui que ce soit ou pour quelque raison que ce soit". Selon l'article 8 les magistrats "doivent toujours se conduire de manière à préserver la dignité de leur charge et l'impartialité et l'indépendance de la magistrature".

18.       Le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a affirmé dans la Recommandation N° R (94) 12 sur l’indépendance, l’efficacité et le rôle des juges (Principe I.2.d) que « les juges devraient être absolument libres de statuer impartialement sur les affaires dont ils sont saisis, selon leur intime conviction et leur propre interprétation des faits, et conformément aux règles de droit en vigueur ».

19.       La Charte européenne sur le statut des juges précise que c'est le statut des juges qui devrait assurer l'impartialité que toute personne attend légitimement des juridictions (paragraphe 1.1). Le CCJE appuie pleinement cette disposition de la Charte.

20.       L’impartialité est examinée par la Cour européenne tant selon une approche subjective, qui prend en compte la conviction ou l’intérêt personnel de tel juge en telle occasion, que selon une démarche objective conduisant à déterminer si le juge donnait des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime[19].

21.       Les juges devraient, en toutes circonstances, adopter un comportement impartial, pour éviter que naisse, dans l’esprit du justiciable, un soupçon légitime de partialité. Sur ces points, les apparences devraient être sauvegardées, aussi bien dans l’exercice des fonctions juridictionnelles que pour les autres activités du juge.

a. Impartialité et comportement du juge dans l’exercice de ses fonctions juridictionnelles

22.       La confiance et le respect portés à la magistrature sont les garanties de l’efficacité du système juridictionnel : la conduite du juge dans son activité professionnelle est logiquement perçue par les justiciables comme un facteur essentiel de crédibilité de la justice.

23.       Le juge devrait donc s’acquitter de sa tâche sans favoritisme, manifestation d’un préjugé ou prévention. Il ne devrait pas se déterminer en fonction de considérations étrangères à l’application des règles de droit. Tant qu’il est saisi d’une affaire ou pourrait l’être, il ne fait pas sciemment d’observations dont on pourrait raisonnablement penser qu’elles témoignent d’un préjugé dans la solution du litige ou influeront sur le caractère équitable de la procédure. Il manifeste la considération voulue à toutes les personnes (parties, témoins, avocats, par exemple), sans distinction inspirée par des motifs illégitimes ou dépourvue de rapport avec le bon exercice de ses fonctions. Il devrait également garantir une compétence professionnelle évidente dans l’exercice de ses fonctions.

24.       Le juge devrait également exercer ses fonctions dans le respect de l’égalité de traitement des parties, en évitant tout parti pris et toute discrimination, en maintenant l’équilibre entre les parties et en veillant au respect du principe de la contradiction.

25.       L’efficacité du système judiciaire implique également que le juge fasse preuve d’une conscience professionnelle élevée. Il veille à maintenir un haut niveau de compétence professionnelle, par une formation initiale et continue lui assurant une qualification appropriée.

26.       Le juge devrait également remplir ses fonctions avec diligence et rapidité raisonnable. Pour ce faire, il est bien sûr indispensable qu’il soit muni des moyens appropriés, de l’équipement et de l’assistance. Ainsi équipé, le juge devrait être soucieux et capable de s’acquitter de ses devoirs découlant de l’Article 6.1 de la Convention européenne des Droits de l’Homme et rendre les jugements dans un délai raisonnable.

b. Impartialité et comportement extrajudiciaire du juge

27.       Il ne paraît pas souhaitable d’isoler le juge du contexte social dans lequel il évolue : le bon fonctionnement de la justice implique que les juges soient en phase avec la réalité. De plus, en tant que citoyen, le juge bénéficie de droits et libertés fondamentaux que lui reconnaît, notamment, la Convention européenne des Droits de l’Homme (liberté d’opinion, liberté religieuse…). Il devrait donc, en règle générale, rester libre d’exercer les activités extra-professionnelles de son choix.

28.       Néanmoins, ces activités présentent des risques pour son impartialité  et même, parfois, pour son indépendance. Il est donc nécessaire de trouver un équilibre raisonnable entre le degré de l’engagement du juge dans la société et la préservation de son indépendance et de son impartialité ainsi que des apparences de cette indépendance et de cette impartialité dans l’exercice de ses fonctions. Dans cet ordre d’idée, la question qui devrait être toujours posée et celle de savoir si le juge, dans un contexte social précis et aux yeux d’un observateur informé et raisonnable, participe à une activité qui pourrait compromettre objectivement son indépendance ou son impartialité.   

29.       Le juge devrait adopter un comportement digne dans sa vie privée. Compte tenu de la diversité culturelle des pays membres du Conseil de l’Europe et de l’évolution constante des mœurs, les normes applicables au comportement du juge dans sa vie privée ne peuvent être figées par des impératifs trop précis. Le CCJE encourage la mise en place au sein du corps judiciaire d’un ou des organes, ou d’une ou des personnes ayant un rôle consultatif et de conseil auxquels les juges puissent s’adresser chaque fois qu’ils auront une hésitation sur la compatibilité d’une activité privée avec leur position de juge. L’existence de tels organes ou de telles personnes favorisera  l’instauration au sein du corps judiciaire d’une discussion sur le contenu et la portée des règles déontologiques. Pour prendre deux exemples, ces organes ou ces personnes pourraient être établis sous l’égide d’une Cour suprême ou d’une association de juges. Ils devraient dans tous les cas être distincts et poursuivre des objectifs différents des organes chargés de sanctionner les fautes disciplinaires.

30.       La participation des juges à des activités politiques pose quelques problèmes importants. Certes, le juge reste un citoyen auquel on doit reconnaître l’exercice des droits politiques conférés aux autres nationaux. Mais, au regard du procès équitable et des attentes légitimes des justiciables, le juge devrait faire preuve de réserve dans l’exercice d’une activité politique publique. Certains Etats ont intégré cette exigence dans leurs règles disciplinaires et sanctionnent les comportements qui heurtent l’obligation de « réserve » imposée aux magistrats. Ils ont également instauré des incompatibilités expresses entre les fonctions de magistrats et certains mandats politiques (mandat au parlement, au Parlement européen, ou mandat politique local), qui visent même parfois le conjoint du magistrat.

31.       Plus largement, il conviendrait de réfléchir sur la participation des juges à des débats publics de nature politique : pour que le public conserve sa confiance dans le système judiciaire, il est souhaitable que les juges ne s’exposent pas à des attaques politiques incompatibles avec la nécessaire neutralité de la fonction juridictionnelle.

32.       Il apparaît à la lecture des réponses au questionnaire que dans certains Etats l’implication des juges dans le monde politique est conçue restrictivement.

33.       Les débats au sein du CCJE ont montré qu’il fallait assurer un équilibre entre la liberté d’opinion et d’expression du juge et l’exigence de neutralité. Il apparaît dès lors nécessaire que le juge, même si son adhésion à un parti politique ou sa participation au débat public sur les grands problèmes de société ne peut être écartée, s’abstienne au moins d’une activité politique de nature à compromettre son indépendance et à porter atteinte à son image d’impartialité.

34.       Mais le juge devrait pouvoir participer à certains débats concernant la politique judiciaire de l’Etat. Il devrait pouvoir être consulté, et participer activement à l’élaboration des dispositions législatives concernant son statut et plus généralement, le fonctionnement de la justice. Cet aspect de l’activité des juges pose la question de la participation à une organisation syndicale. La liberté d’expression et d’opinion permet au juge d’exercer des droits syndicaux (d’association), mais des réserves peuvent être posées quant au droit de grève.

35.       Travailler dans un domaine différent permet au juge d'avoir une vision sur le monde et une connaissance des problèmes de la société autres que celle qu'il acquiert  dans l'exercice de la profession. En revanche, elle présente des risques qui ne sont pas négligeables: elle peut être considérée comme contraire à la séparation des pouvoirs, elle peut aussi affaiblir  dans l'opinion  du public l'image d’indépendance et d'impartialité des juges.

36.       La question de la participation des juges à certaines activités gouvernementales, comme celle des cabinets ministériels, pose des problèmes particuliers. Il convient de préciser qu'aucun obstacle ne s'oppose à l'exercice par un juge de fonctions dans un service administratif d'un ministère (par exemple un service de législation civile ou pénale au ministère de la justice). La question est plus délicate en ce qui concerne l'entrée du juge dans un cabinet ministériel. Le ministre a en effet le droit de choisir librement les membres de son cabinet et, en tant que proches collaborateurs du ministre, ceux-ci participent d'une certaine manière à ses activités politiques.  Il apparaît dans ces conditions souhaitable que l'entrée d'un juge en activité dans un cabinet ministériel politique soit subordonnée à l'avis de l'organe indépendant chargé de se prononcer sur la nomination des juges, afin que cette autorité puisse notamment définir les règles de conduite applicables dans chaque cas.

c. Impartialité et autres activités professionnelles du juge [20]

37.       La nature particulière de la fonction juridictionnelle, la nécessité de préserver la dignité de la fonction et de tenir le juge à l’écart des pressions de toutes natures impliquent l’adoption de comportements susceptibles d’éviter les conflits d’intérêts ou les abus de pouvoirs.  Ces exigences supposent que les juges s’interdisent toute activité professionnelle qui pourrait les détourner de leurs charges juridictionnelles, ou les conduire à exercer ces charges avec partialité. Dans certains Etats, des incompatibilités avec la fonction de juge sont clairement définies par le statut et conduisent à l’interdiction d’exercer toute activité professionnelle ou salariée.  Des exceptions sont prévues pour les activités d’enseignement, de recherches, ou les participations à des travaux scientifiques, littéraires ou artistiques.

38.       Les pays ont adopté différentes solutions pour régler le problème des activités incompatibles (un résumé figure en annexe au présent avis) en ayant chaque fois pour objectif général de ne pas dresser une barrière infranchissable entre le juge et la société.

39.       Le CCJE est d’avis que des règles de déontologie devraient prévoir que le juge devrait éviter les comportements de nature à compromettre la dignité de sa fonction  et devrait préserver la confiance en la justice en diminuant les risques de conflits d’intérêts. Pour cela, il devrait s’abstenir de toute activité professionnelle accessoire qui entraverait son indépendance et porterait atteinte à son impartialité. Dans ce contexte, le CCJE souscrit à la disposition de la Charte européenne sur le statut des juges selon laquelle la liberté de l’exercice des activités extérieures à la fonction de juge « ne peut être limitée que dans la mesure où des activités extérieures sont incompatibles avec la confiance en l’impartialité et l’indépendance du juge ou de la juge ou avec la disponibilité requise pour traiter avec attention et dans un délai raisonnable les affaires qui leur sont soumises » (paragraphe 4.2). La Charte européenne reconnaît également le droit des juges à adhérer à des organisations professionnelles et un droit d'expression (paragraphe 1.7) afin d'éviter les "rigidités excessives" qui établiraient entre la société et eux-mêmes des barrières (paragraphe 4.3). Il importe en effet que le juge continue à consacrer l'essentiel de son temps de travail à son rôle de juge, y compris les activités connexes, et ne soit pas tenté d’attacher une attention excessive à des activités extrajudiciaires. Il est évident que le risque d’un intérêt excessif pour de telles activités s’amplifie quand celles-ci donnent le droit à une récompense. Une ligne précise entre ce qui est permis et ce qui ne l’est pas devrait alors être fixée en tenant compte des conditions existant dans chaque pays particulier, étant entendu que l’organe ou la personne recommandée au paragraphe 29 ci-dessus devraient avoir là un rôle.

d. Impartialité et relations du juge avec les médias

40.       L’on peut observer une tendance générale à la médiatisation de l'activité de la magistrature, surtout dans le secteur pénal, notamment dans certains pays de l'Europe de l'Ouest. Compte tenu des liens qui peuvent s'établir entre les juges et les médias, le risque est que le magistrat se laisse conditionner dans son activité par le journaliste. Le CCJE rappelle à cet égard que dans son Avis N° 1 (2001) il a constaté que si la liberté de la presse est un principe éminent, il faut aussi protéger la procédure judiciaire contre toute influence extérieure indue. Il importe dès lors que le juge fasse preuve de réserve dans ses rapports avec la presse, qu'il sache préserver son indépendance et son impartialité, en s'abstenant de toute exploitation personnelle de ses relations éventuelles avec les journalistes, des commentaires injustifiés sur les dossiers dont il a la charge. Le droit du public à l’information est néanmoins un principe fondamental résultant de l’article 10 de la Convention européenne des Droits de l’Homme. Il implique que le juge réponde aux attentes légitimes des citoyens par des décisions clairement motivées. Le juge devrait également avoir la liberté de  préparer un résumé ou un communiqué expliquant la substance ou précisant la signification des ses décisions pour le public. En outre, pour les pays où le juge intervient dans la conduite ou le contrôle des investigations pénales, il convient de concilier la réserve dont le juge doit faire preuve pour les dossiers dont il a la charge avec le droit à l’information. C'est à ces conditions que le juge peut exercer librement sa mission, sans craindre les pressions susceptibles d'être exercées par les médias. Le CCJE a noté avec intérêt la pratique en vigueur dans certains pays consistant à confier à un juge responsable de communication ou un porte-parole attaché au tribunal le soin de communiquer avec la presse sur les sujets intéressant le public.


2°) De quelle manière les normes de conduite devraient-elle être formulées ?

41.       La tradition juridique continentale conduit tout naturellement à reconnaître les vertus de la codification. Plusieurs pays se sont dotés de codes de déontologie dans le secteur public (police), dans les professions réglementées (notaires, médecins), dans le secteur privé (presse). En ce qui concerne les juges, depuis peu l'on peut observer le développement des codes éthiques, inspirés des Etats-Unis,  surtout dans les pays d’Europe de l’Est.

42.       Le plus ancien est le “ code  éthique ” italien adopté le 7 mai 1994 par l’Association des magistrats italiens, une organisation professionnelle de magistrats. Le mot « code »  est inapproprié car il s’agit en fait de 14 articles qui englobent la totalité du comportement du magistrat du siège (y compris les chefs de juridiction) comme du parquet. [21] Il est clair qu’il ne s’agit pas de règles disciplinaires ou pénales mais d'un instrument d’autocontrôle du corps généré par lui-même. L’article 1 donne le principe général : “ Dans la vie sociale, le magistrat doit se comporter avec dignité, correction et rester attentif à l’intérêt public. Dans le cadre de ses fonctions et dans chaque acte professionnel, il doit être imprégné des valeurs de désintéressement personnel, d’indépendance et d’impartialité ”. 

43.       D’autres pays, tels que l’Estonie, la Lituanie, l’Ukraine, la Moldova, la Slovénie, la République tchèque et la Slovaquie ont un « code d’éthique judiciaire » ou des « principes de conduite » adoptés par des assemblées représentatives de juges et distincts des règles disciplinaires.  

44.       La tendance à la codification s’appuie sur des arguments sérieux : il s’agit premièrement de guider les juges pour qu'ils trouvent des réponses à des questions de déontologie professionnelle, ce qui leur confère une autonomie dans la décision et garantit leur indépendance par rapport aux autres pouvoirs. Deuxièmement, les codes informent le public sur les normes de conduite qu’il est autorisé d’attendre de la part des juges. Troisièmement, ces codes contribuent à donner aux citoyens l’assurance que la justice est rendue indépendamment et impartialement.

45.       Cependant, le CCJE souligne que la protection de l’indépendance et de l’impartialité ne peut être assurée par la seule déontologie et que de nombreux textes statutaires et procéduraux y concourent.Les normes déontologiques sont différentes des règles statutaires et disciplinaires. Elles expriment une capacité de la profession de réfléchir sa fonction dans des valeurs en adéquation avec les attentes du public et en contrepartie des pouvoirs attribués. Ce sont des normes d’autocontrôle qui  impliquent de reconnaître que l’application de la loi n’a rien de mécanique, relève d’un réel pouvoir d’appréciation et place les juges dans un rapport de responsabilité vis-à-vis d’eux mêmes et des citoyens.

46.       En outre, la codification de la déontologie pose certaines difficultés, notamment un code de déontologie peut susciter l’illusion qu’il contient la totalité des règles et que tout ce qui n’est pas interdit est permis, il tend à trop simplifier les situations, il fige enfin la déontologie à une période donnée alors qu’il s’agit d’une matière évolutive. Le CCJE suggère qu’il est souhaitable de préparer et d’évoquer une « déclaration de principes de conduite professionnelle », plutôt qu’un code.

47.       Le CCJE est d’avis que la préparation de telles déclarations devrait être encouragée dans chaque pays, même si elles ne constituent pas la seule voie de diffusion des règles de conduite professionnelle, puisque :

-       la formation initiale et continue appropriée devrait contribuer à élaborer et à transmettre les règles déontologiques[22] ;

-       l’inspection judiciaire dans les Etats où elle existe pourrait contribuer, par l’observation des comportements, à faire évoluer la réflexion déontologique, cette réflexion pouvant être diffusée à l’occasion du rapport annuel ;

-       l’instance indépendante au sens de la Charte européenne sur le statut des juges, si elle intervient dans les procédures disciplinaires, fixe par ses décisions les contours des devoirs et obligations des juges. La diffusion de ces décisions sous une forme appropriée pourrait permettre une meilleure prise de conscience des valeurs qui les fondent ;

-       des groupes peuvent être constitués à un niveau élevé, rassemblant différents acteurs de la vie judiciaire, pour contribuer à une réflexion éthique et dont les travaux peuvent être diffusés ;

-       des associations professionnelles devraient constituer un forum de discussion sur les responsabilités et la déontologie de juges et assurer une large diffusion des règles de conduite dans le milieu judiciaire.

48.       Le CCJE tient à souligner que la nécessité impérieuse de sauvegarder l'indépendance des juges suppose que lorsque l’on envisage l'élaboration d'une déclaration de normes de déontologie, celle-ci soit fondée sur deux principes essentiels :

i)          d'abord, elle devrait se référer aux  principes fondamentaux de déontologie et affirmer qu’il est impossible de dresser une liste exhaustive de comportements interdits au juge qui seraient préalablement définis ; les principes édictés devraient constituer des instruments d’autocontrôle des juges, c’est-à-dire des règles générales qui sont des guides d'action. Aussi, bien qu’il y ait tant chevauchement qu’effet réciproque, la déontologie devrait-elle rester indépendante du système de discipline des juges, en ce sens que la méconnaissance d’un de ces principes ne devrait pas pouvoir être en elle-même une cause de mise en jeu de la responsabilité disciplinaire, civile ou pénale ;

ii)         ensuite les principes de déontologie devraient être l’émanation des juges eux-mêmes ; ils devraient être conçus comme un instrument d'autocontrôle du corps, généré par lui-même, qui permet au pouvoir judiciaire d'acquérir une légitimité par l'exercice de fonctions dans le cadre de standards éthiques généralement admis. Une large concertation devrait être prévue, éventuellement sous l’égide d’une personne ou d’un organe mentionnés dans le paragraphe 29, qui pourraient en outre avoir pour tâche d’expliquer et d’interpréter la déclaration de principes de conduite professionnelle.

3°) Conclusions sur les normes de conduite

49.       Le CCJE est d’avis :

i)          que des principes déontologiques devraient guider l’action des juges,

ii)         que ces principes devraient proposer aux juges des lignes de conduite leur permettant de résoudre les difficultés auxquelles ils sont confrontés au regard de leur indépendance et de leur impartialité,

iii)         que ces principes devraient émaner des juges eux-mêmes et rester distincts du système de discipline des juges,

iv)        qu’il serait souhaitable que soient mis en place dans chaque pays un ou des organes ou une ou des personnes au sein du corps judiciaire ayant un rôle consultatif de conseil pour les juges confrontés à un problème touchant à la déontologie professionnelle ou ayant une hésitation sur la compatibilité d’une activité privée avec leur position de juge.

50.       Le CCJE est d’avis en ce qui concerne les règles de conduite de chaque juge:

i)          chaque juge devrait chercher par tous les moyens à maintenir l’indépendance judiciaire tant sur le plan institutionnel que sur le plan individuel,

ii)         qu’il devrait adopter un comportement intègre dans ses fonctions et dans sa vie privée,

iii)         que le juge devrait en toutes circonstances adopter un comportement à la fois impartial et qui apparaît comme tel,

iv)        qu’il devrait s’acquitter de sa tâche sans favoritisme, un préjugé effectif ou apparent, ou prévention,

v)         que ses décisions devraient être prises en fonction de toutes considérations pertinentes pour l’application des règles appropriées de droit, en excluant toute considération étrangère ;

vi)        qu’il devrait manifester la considération voulue à toutes les personnes participant à l’activité juridictionnelle ou affectées par celle-ci,

vii)        qu’il devrait exercer ses fonctions dans le respect de l’égalité des parties, en évitant tout parti

pris et toute discrimination, en maintenant l’équilibre entre les parties et en veillant au respect du principe de contradiction,

viii)       qu’il fasse preuve de réserve dans ses relations avec les médias, qu’il préserve son indépendance et son impartialité en s’abstenant de toute exploitation personnelle de ses relations éventuelles avec les médias et de commentaires injustifiés sur les dossiers dont il a la charge,

ix)        qu’il devrait veiller à maintenir un haut niveau de compétence professionnelle,

x)         qu’il fasse preuve d’une conscience professionnelle élevée et d’une diligence répondant à l’exigence d’un jugement prononcé dans un délai raisonnable,

xi)        qu’il consacre l’essentiel de son temps de travail à ses activités juridictionnelles, y compris des activités connexes,

xii)        qu’il s’abstienne de toute activité politique de nature à compromettre son indépendance et à porter atteinte à son image d’impartialité.

B.         RESPONSABILITE PENALE, CIVILE ET DISCIPLINAIRE DES JUGES

4°) Quelle devrait être la responsabilité pénale, civile et disciplinaire des juges ?

51.       Le corollaire des pouvoirs et de la confiance accordés par la société aux juges est qu’il devrait être possible de les tenir pour responsables, et même de les démettre de leurs fonctions, en cas d’inconduite suffisamment grave pour justifier une telle mesure. Il convient d’être prudent dans la reconnaissance d’une telle responsabilité, car l’indépendance et la liberté de la magistrature doivent être préservées contre toute pression indue. Dans ce contexte, le CCJE examine tour à tour les questions de la responsabilité pénale, civile et disciplinaire. En pratique, la possibilité d’une responsabilité disciplinaire des juges constitue l’aspect le plus important.

a. Responsabilité pénale

52.       Les juges qui, dans l’exercice de leurs fonctions, commettent ce qui, dans n’importe quelle circonstance, serait considéré comme un crime (par exemple, accepter des pots-de-vin) ne peuvent prétendre se soustraire aux procédures pénales ordinaires. Les réponses au questionnaire montrent que dans certains Etats même des fautes commises par des magistrats agissant de bonne foi peuvent être considérées comme une infraction pénale. Ainsi, en Suède et en Autriche, les juges (assimilés en cela aux autres fonctionnaires) peuvent être sanctionnés (par exemple, par une amende) dans certains cas de négligence grave (par exemple, liée à une incarcération ou une détention trop longue). 

53.       Néanmoins, si la pratique actuelle n’exclut pas entièrement la responsabilité pénale des juges pour des manquements non intentionnels commis dans l’exercice de leurs fonctions, le CCJE considère que l’introduction d’une telle responsabilité n’est ni généralement acceptable ni à encourager. Le juge ne devrait pas avoir à travailler sous la menace d’une sanction financière, encore moins d’une peine de prison, menaces dont l’existence pourrait, même inconsciemment, influencer son jugement.

54.       Des poursuites pénales vexatoires contre un juge qui n’est pas apprécié par le plaideur sont devenues courantes dans certains Etats européens. Le CCJE est d’avis que dans les pays où des personnes privées peuvent intenter des enquêtes ou des procédures pénales, un mécanisme devrait exister pour empêcher ou pour mettre un terme à de telles enquêtes ou procédures contre un juge touchant à l’exercice de ses fonctions lorsqu’il n’y a pas lieu de penser que la responsabilité pénale du juge est engagée.

b. Responsabilité civile

55.       Des considérations similaires à celles identifiées au paragraphe 53 s’appliquent à l’imposition d’une responsabilité civile personnelle aux juges en raison de leurs décisions erronées ou d’autres manquements (par exemple, des délais excessifs). Un principe général veut que les juges devraient être absolument dégagés de toute responsabilité civile personnelle à l’égard de toute réclamation les visant directement et liée à l’exercice de leurs fonctions lorsqu’ils agissent de bonne foi. Les erreurs judiciaires, en matière de compétence ou de procédure, dans la détermination ou l’application de la loi ou encore dans l’évaluation des éléments de preuve, devraient faire l’objet d’un appel. Les autres manquements des juges qui ne peuvent être redressés de cette manière (y compris, par exemple, des délais excessifs) devraient, au plus, conduire à une réclamation du justiciable mécontent contre l’Etat. Que l’Etat puisse, dans certaines circonstances, être tenu, au titre de la Convention européenne des Droits de l’Homme, d’indemniser un justiciable est une autre question, dont l’examen n’entre pas directement dans le cadre de cet avis.

56.       Cependant, dans certains pays européens, les juges peuvent être tenus civilement responsables pour des décisions gravement erronées ou d’autres manquements graves[23], particulièrement à la demande de l’Etat, après qu’un justiciable mécontent eut établi son droit à réparation dans le cadre d’une procédure contre l’Etat. Ainsi, par exemple, en République tchèque, l’Etat peut être tenu de réparer un préjudice causé par une décision illégale d’un juge ou un acte judiciaire, mais il peut se retourner contre le juge si l’inconduite de ce dernier a été établie à l’issue d’une procédure pénale ou disciplinaire. En Italie, l’Etat peut, sous certaines conditions, demander à être remboursé par un juge qui a engagé sa responsabilité, soit par une fraude commise en connaissance de cause, soit par une « négligence grave », sous réserve dans ce dernier cas d’une limitation potentielle de la responsabilité.

57.       La Charte européenne sur le statut des juges envisage la possibilité d’un recours de cette nature en son paragraphe 5.2, en ajoutant, à titre de sauvegarde, qu’un accord préalable doit être obtenu d’une autorité indépendante comprenant une représentation substantielle des juges, telle que celle dont la création est recommandée au paragraphe 43 de l’avis n°1 (2001) du CCJE. Le commentaire de la Charte souligne en son paragraphe 5.2 la nécessité de restreindre la responsabilité civile des juges au a) remboursement de l’Etat pour b) des « négligences grossières et inexcusables », par voie de c) procédure judiciaire, d) avec l’accord préalable d’une telle autorité indépendante. Le CCJE avalise tous ces points et va plus loin. L’application de concepts tels que ceux de négligence grossière ou inexcusable se révèle souvent malaisée. S’il existait la moindre possibilité d’action en recours de l’Etat, le juge se sentirait nécessairement étroitement concerné dès lors qu’une réclamation serait adressée à l’Etat. Le CCJE conclut que sauf en cas de faute volontaire, il ne convient pas que dans l'exercice de ses fonctions, un juge soit exposé à une responsabilité personnelle, celle-ci fût-elle assumée par l'État sous  la forme d'une indemnisation.

c. Responsabilité disciplinaire

58.       Tous les systèmes juridiques doivent être dotés d’une forme de système disciplinaire, quoiqu’il ressorte clairement des réponses au questionnaire données par les différents Etats membres que cette nécessité est ressentie beaucoup plus fortement dans certains que dans d’autres. A cet égard, une distinction essentielle existe entre les pays de common law, où les juges professionnels sont moins nombreux et nommés parmi les rangs de professionnels expérimentés, et les pays de droit civil où les magistrats sont plus nombreux et entrent généralement plus jeunes dans la carrière.

59.       Les questions qui se posent sont les suivantes :

i)          Quelles conduites devraient exposer un juge à des poursuites disciplinaires ?

ii)         Qui devrait avoir l’initiative de telles poursuites et suivant quelles procédures ?

iii)         Qui devrait être habilité à statuer sur les poursuites disciplinaires et suivant quelles procédures ?

iv)        Quelles sanctions devraient être disponibles en cas d’inconduite établie à l’issue d’une procédure disciplinaire ?

60.       S’agissant de la question (i), le premier point que le CCJE identifie (rappelant en substance un argument exposé plus haut dans cet avis) est qu’il n’est pas juste d’associer les manquements aux normes professionnelles aux inconduites pouvant donner lieu à des sanctions disciplinaires. Les normes professionnelles, qui ont été traitées dans la première partie du présent avis, constituent les meilleures [pratiques], que tous les juges devraient [tendre à] développer et auxquelles ils devraient aspirer. Mettre ces normes en parallèle avec des inconduites justifiant une procédure disciplinaire découragerait leur développement futur et reviendrait à se méprendre sur leur finalité. Pour justifier une procédure disciplinaire, l’inconduite doit être grave et patente, de sorte qu’elle ne puisse être énoncée simplement comme la non-observation des normes professionnelles définies dans des lignes directrices telles que celles faisant l’objet de la première partie de cet avis[24].

61.       Cela ne signifie pas que les manquements aux normes professionnelles identifiées dans cet avis ne soient pas d’une grande pertinence, lorsqu’il est allégué qu’une inconduite suffisamment grave justifie et exige une sanction disciplinaire. Certaines des réponses au questionnaire reconnaissent ce fait explicitement : par exemple, les normes professionnelles sont décrites comme étant revêtues d’une « certaine autorité » dans les procédures disciplinaires en Lituanie et comme « une aide pour les juges ayant à se prononcer sur des sanctions disciplinaires, car elles apportent un éclairage sur les dispositions de la loi sur les juges » en Estonie. Elles ont également été utilisées dans le cadre de procédures disciplinaires en Moldova. (Par contre, dans leurs réponses, l’Ukraine et la Slovaquie ont nié tout lien entre les deux aspects).

62.       Dans certains pays, des systèmes distincts ont même été mis en place pour tenter de réglementer ou de faire appliquer les normes professionnelles. En Slovénie, la non-observation de ces normes peut être sanctionnée par une « Cour d’honneur » formée au sein de l’association des juges, et non par l’organe disciplinaire des juges. En République tchèque, dans les cas particulièrement graves de non-observation des règles déontologiques, les juges peuvent être exclus de « l’Union des juges », qui est à l’origine de ces principes.

63.       Le deuxième point que le CCJE identifie est qu’il revient à chaque Etat de spécifier dans ses lois quelle conduite peut donner lieu à une action disciplinaire. Le CCJE note que dans certains pays, des tentatives ont été effectuées pour préciser en détail toutes les conduites pouvant justifier l’ouverture d’une procédure disciplinaire débouchant sur une forme quelconque de sanction. Ainsi, la loi turque sur les juges et les procureurs spécifie une gradation des violations (y compris, par exemple, le fait de s’absenter de son poste sans raison valable pendant un laps de temps variable) en lui faisant correspondre une échelle de sanctions (allant de l’avertissement au blâme public, de différents effets sur la promotion à la mutation et jusqu’à la destitution). De même, une loi adoptée en 2002 par la Slovénie tente de donner effet au principe général de nulla poena sine lege en spécifiant 27 catégories d’infractions à la discipline. Cependant, on constate que dans toutes ces tentatives, il est recouru à des formules générales aux contours mal définis qui suscitent des interrogations quant à l’opinion et au degré. Le CCJE, pour sa part, ne juge pas nécessaire (en vertu du principe nulla poena sine lege ou de tout autre fondement), ni même possible, de tenter de spécifier, au niveau européen, dans des termes précis ou détaillés, la nature de toutes les inconduites qui pourraient justifier une procédure disciplinaire et des sanctions. Par essence, la procédure disciplinaire résulte d’une conduite fondamentalement contraire à celle qui peut être attendue d’un professionnel occupant les fonctions de la personne contre laquelle une inconduite est alléguée.

64.       A première vue, l’on pourrait penser que le principe VI.2 de la Recommandation n° R (94) 12 laisse entendre que des motifs précis invoqués à l’appui d’une procédure disciplinaire devraient toujours être « définies » à l’avance « en termes précis en vertu de la loi ». Le CCJE admet pleinement que des raisons précises doivent être invoquées à l’appui de toute action disciplinaire, lorsqu’une telle action est proposée ou intentée, le cas échéant. Mais, comme il l’a indiqué, il ne conçoit pas la nécessité, ni même la possibilité au niveau européen, de tenter de définir toutes ces raisons possibles à l’avance d’une manière autre que la formulation générale actuellement adoptée par la plupart des pays européens. Aussi, à cet égard, le CCJE a-t-il conclu que l’objectif déclaré au paragraphe 60 (c) de son Avis N°1 (2001)  ne peut être poursuivi au niveau européen.

65.       Toutefois, il apparaît souhaitable que les Etats membres, à titre individuel, adoptent une nouvelle définition légale des raisons précises justifiant qu’une action disciplinaire soit engagée, comme il est recommandé dans la recommandation n° R (94) 12. Actuellement, les motifs des actions disciplinaires sont souvent énoncés dans des termes d’une grande généralité.

66.       Le CCJE examine ensuite la question (ii) : Qui devrait avoir l’initiative de telles poursuites et suivant quelles procédures ? Les procédures disciplinaires sont engagées dans certains pays par le Ministère de la Justice, dans d’autres elles sont engagées par certains juges ou conjointement avec eux, ou par les conseils judiciaires ou par les procureurs, tels que le premier Président de la Cour d’appel en France ou le Procureur général en Italie. En Angleterre, l’initiative appartient au Lord Chancellor, mais selon l’usage celui-ci n’entame l’action disciplinaire qu’avec le consentement du Lord Chief Justice.

67.       Une question importante consiste à se demander quelles démarches, le cas échéant, peuvent entreprendre les personnes alléguant un préjudice du fait de l’erreur professionnelle d’un juge. Ces personnes doivent être en droit de porter leurs plaintes, quelles qu’elles soient, devant la personne ou l’organe chargé d’entamer l’action disciplinaire. Mais elles ne peuvent être elles-mêmes habilitées à engager cette action ou à obtenir qu’elle le soit. Il doit exister un filtre, faute de quoi les juges pourraient souvent être l’objet de telles poursuites, intentées à l’initiative de justiciables déçus. 

68.       Le CCJE considère que les procédures conduisant à l’ouverture d’une action disciplinaire devraient être mieux formalisées. Il propose que les pays envisagent la mise en place d’un organe ou d’une personne spécifiquement chargés, dans chaque pays, de recevoir les plaintes, d’entendre les protestations du juge concerné à leur sujet et de décider, à la lumière de ces éléments, si les arguments à la charge du juge sont suffisamment probants pour justifier l’ouverture d’une action disciplinaire, et, dans ce cas, de déférer l’affaire devant l’autorité disciplinaire.

69.       La question suivante (iii) est : Qui devrait être habilité à statuer sur les poursuites disciplinaires et suivant quelles procédures ? Une section entière des Principes fondamentaux des Nations Unies est consacrée aux mesures disciplinaires, à la suspension et à la destitution. L'article 17 reconnaît le droit pour le juge à ce que sa cause soit "entendue équitablement". Selon l'article 19, "dans toute procédure disciplinaire (...) les décisions sont prises en fonction des règles établies en matière de conduite des magistrats". Finalement, l'article 20 pose comme principe que "des dispositions appropriées doivent être prises pour qu'un organe indépendant ait compétence pour réviser les décisions rendues en matière disciplinaire, de suspension ou de destitution". Au niveau européen, des indications sont fournies par le Principe VI de la Recommandation N° R(94)12, qui recommande que les mesures disciplinaires soient décidées par "un organe compétent spécial chargé d'appliquer les sanctions et mesures disciplinaires, lorsqu'elles ne sont pas examinées par un tribunal, et dont les décisions devraient être contrôlées par un organe judiciaire supérieur, ou qui serait lui-même un organe judiciaire supérieur", et que les juges bénéficient, au minimum, d’une protection équivalente à celle prévue à l’article 6.1 de la Convention européenne des Droits de l’Homme. De surcroît, le CCJE souligne dans ce contexte que les mesures disciplinaires incluent toute mesure ayant un impact sur le statut ou la carrière des juges, et notamment leur mutation, la perte de leurs droits à l’avancement et la réduction de leurs émoluments.

70.       Les réponses au questionnaire indiquent que, dans certains pays, la discipline est assurée par des instances spécialisées dans les affaires de ce type : le comité disciplinaire de la Cour suprême (Estonie, Slovénie – où tous les niveaux sont représentés). En Ukraine, il s’agit d’un comité comprenant de juges du même niveau de juridiction que le juge concerné. En Slovaquie, il existe actuellement un système à deux niveaux, un comité composé de trois juges et le second composé de cinq juges de la Cour suprême. En Lituanie, il s’agit d’un comité composé de juges de différentes juridictions générales et de cours administratives. Dans certains pays, le jugement est rendu par un Conseil de la Magistrature, siégeant en qualité de cour disciplinaire (Moldova, France, Portugal).[25]

71.       Le CCJE a déjà exprimé l’opinion que les actions disciplinaires à l’encontre de tout juge ne devraient être décidées que par une instance indépendante (ou « tribunal »), selon une procédure qui garantit pleinement les droits de la défense ; voir paragraphe 60 (b) de l’Avis N° 1 (2001) du CCJE sur les normes relatives à l’indépendance et l’inamovibilité des juges. Il considère également que l’organe chargé de nommer un tel tribunal pourrait, et devrait être l’organe indépendant (comprenant une représentation substantielle de juges choisis démocratiquement par leurs pairs) qui, comme le CCJE le propose au paragraphe 46 de son premier Avis, devrait être généralement chargé de la nomination des juges. Ceci n’exclut nullement le fait d’inclure dans la composition du tribunal disciplinaire des personnalités autres que des juges (ce qui évite le risque de corporatisme), pourvu que ces personnalités extérieures ne soient jamais des membres du corps législatif, du gouvernement ou de l’administration.

72.       Dans certains pays, c’est l’organe judiciaire suprême (la Cour suprême) qui est le premier organe disciplinaire. Le CCJE est d’avis que dans chaque pays les procédures disciplinaires devraient prévoir la possibilité d’un appel de la décision prononcée par le premier organe disciplinaire (qu’il soit lui-même une autorité, un tribunal ou une cour) devant une cour.

73.       Dernière question (iv): Quelles sanctions devraient être disponibles en cas d’inconduite établie à l’issue d’une procédure disciplinaire ? Les réponses au questionnaire mettent en lumière de grandes différences, qui, sans doute, sont le reflet de différents systèmes juridiques et d’exigences diverses. Dans les systèmes de common law, où la magistrature est peu nombreuse, homogène et composée de professionnels âgés et expérimentés, la seule sanction formelle dont la nécessité s’impose clairement (et encore, seulement à titre d’éventualité lointaine) consiste en une mesure extrême de destitution, mais des avertissements ou des contacts informels peuvent se révéler très efficaces. Dans les autres pays, où la magistrature est plus nombreuse, moins homogène et dans certains cas, moins expérimentée, une échelle de sanctions formellement exprimées est jugée opportune, incluant même parfois des peines pécuniaires.

74.       La Charte européenne sur le statut des juges (article 5.1) déclare que « l’échelle des sanctions susceptibles d’être infligées est précisée par le statut et son application est soumise au principe de proportionnalité. » Quelques exemples de sanctions possibles sont donnés dans la Recommandation n° R (94) 12 (Principe VI.1). Le CCJE souscrit à la nécessité pour chaque juridiction d’identifier les sanctions permises par son propre système disciplinaire, et à l’idée que ces sanctions doivent être, en principe comme dans leur application, proportionnées. Mais il considère qu’au niveau européen, l’on ne peut, ni ne doit tenter d’établir une quelconque liste définitive.

5°) Conclusions sur la responsabilité

75.       En ce qui concerne la responsabilité pénale, le CCJE est d’avis:

i)          que le juge devrait être responsable pénalement dans les termes de droit commun pour les infractions commises en dehors de ses fonctions ;

ii)          que la responsabilité pénale ne devrait pas être engagée à l’encontre d’un juge pour les faits liés à ses fonctions en cas de faute non intentionnelle de sa part.

76.       En ce qui concerne la responsabilité civile, le CCJE considère que, compte tenu du principe de l’indépendance :

i)          il devrait être remédié aux erreurs judiciaires (que ces dernières aient trait à la compétence, au fond ou à la procédure) dans le cadre d'un système de recours adéquat (avec ou sans l'autorisation du tribunal) ;

ii)         tout remède pour d'autres fautes de la justice (y compris, par exemple, les retards excessifs) relève exclusivement de la responsabilité de l'État ;

iii)         sauf en cas de faute volontaire, il ne convient pas que dans l'exercice de ses fonctions, un juge soit exposé à une responsabilité personnelle, celle-ci fût-elle assumée par l'État sous  la forme d'une indemnisation.

77.       En ce qui concerne la responsabilité disciplinaire, le CCJE considère que :

i)          dans chaque pays, le statut ou la charte fondamentale applicable aux juges devrait définir - avec le plus de précision possible - les fautes pouvant donner lieu à des sanctions disciplinaires, ainsi que la procédure à suivre ;

ii)         en ce qui concerne l'ouverture d'une procédure disciplinaire, les pays devraient envisager la mise en place d’une personne ou d’un organe chargé spécialement de recevoir les plaintes, d'obtenir les commentaires des juges concernés à leur sujet et d’apprécier s'il pèse sur les intéressés des charges suffisantes pour ouvrir une telle procédure ;

iii)         une fois ouverte, toute procédure disciplinaire devrait être soumise à une autorité ou à une juridiction indépendante devant laquelle les droits de la défense soient pleinement garantis ;

iv)         lorsque cette autorité n'est pas un tribunal, ses membres devraient être nommés par une autorité indépendante (composée en proportion suffisante de juges choisis démocratiquement par leur pairs), ainsi que le CCJE le préconise au paragraphe 46 de son Avis N° 1 (2001) ;

v)         dans chaque pays les procédures disciplinaires devraient prévoir la possibilité d’un appel de la décision prononcée par le premier organe disciplinaire (qu’il soit lui-même une autorité, un tribunal ou une cour) devant une cour ;

vi)        les sanctions que cette autorité est habilitée à infliger en cas de faute avérée devraient être définies avec autant de précision que possible par le statut ou la charte fondamentale des juges, et elles devraient être appliquées de façon proportionnée.


A N N E X E

SYNTHESE DES REPONSES AU QUESTIONNAIRE

SUR LA CONDUITE, L’ETHIQUE

ET LA RESPONSABILITE DES JUGES


Quels sont les devoirs auxquels sont astreints les juges ?

Source

Date

Rapport à la loi

Rapport à la fonction

Qualités personnelles

ALLEMAGNE

German Judiciary Act

principe de modération dans son expression, garder le secret des délibérations, ne pas compromettre la confiance dans l'indépendance de la justice dans son travail

… et en dehors de sa charge

ANDORRE

Loi Qualifiée de la Justice

1993

Secret professionnel

Devoir de réserve

AZERBAIDJAN

fidèle à la loi

honnête, objectif,  incorruptible

BELGIQUE

Code judiciaire

1967, une loi de 1999 devait réformer le système mais son décret d'application n'a jamais vu le jour et le parlement cherche aujourd'hui à l'abroger

obligation de juger sous peine de déni de justice

obligation constitutionnelle de motiver les décisions, de juger dans un délai déterminé

CHYPRE

Courts of justice law

serment de fidélité à la République et à la constitution

serment judiciaire d'exercer son métier sans favoritisme, sans se laisser impressionner, sans se laisser guider par ses passions

ESTONIE

Status of juges act

nouvelle loi en discussion en 2002

FINLANDE

Constitution, serment, Code de

Procédure, loi relative aux

fonctionnaires

Respectent la loi

Impartialité, efficacité, délai raisonnable, secret des délibérations

Comportement conforme à leur charge

FRANCE

les juges sont obligés de statuer, même en cas de silence de la loi, sous peine de déni de justice

ne pas violer le secret des délibérations, devoir de réserve, pas de droit de grève

s'abstenir de toute délibération politique, de toute manifestation d'hostilité au pouvoir de la République

IRLANDE

Serment prévu par la Constitution

1937

respecter la constitution et la loi

exécuter loyalement et au mieux son office de juge, sans favoritisme

ISLANDE

Constitution et Loi relative à la magistrature

1998

Doivent accomplir leur tâche en toute indépendance, sans jamais être soumis à l'autorité de qui que ce soit, dans des délais raisonnables

Doivent maintenir leur niveau de connaissances juridiques et être attentifs à leurs activités extrajudiciaires

ITALIE

Loi sur la discipline des juges

1946

JAPON

Constitution, loi d’organisation judiciaire

1947 (les deux)

Respectent la Constitution et la loi

Indépendance pour juger en leur âme et conscience, impartialité et équité

Obligation de respecter les devoirs de leur charge et le secret ; doivent s’abstenir de tout comportement pouvant faire peser des doutes sur leur intégrité

LIECHTENSTEIN

Constitution et Court Organisation Act

1921 et 1922, projet de loi sur les juges en cours d'étude

devoirs des fonctionnaires en général, Civil Servants Act of 1938

LITUANIE

Loi sur les tribunaux

2002

obéir à la constitution et à la loi

satisfaire aux exigences de l'éthique judiciaire, impartialité, délai raisonnable, se récuser si nécessaire, faire savoir que des membres de sa famille sont appelés devant le tribunal où il travaille

LUXEMBOURG

Pas de loi définissant les devoirs des juges

MALTE

premier serment d'allégeance devant le Président prévu par la constitution, second serment contenu dans le Code d'organisation judiciaire et de procédure

juger conformément à la loi et aux coutumes maltaises, à l'honneur de Dieu et de la république maltaise

agir de manière honnête et juste, ne pas communiquer avec les parties ni les conseiller sauf de manière publique, dans le prétoire ou avec l'autorisation du Président, donner les raisons de ces décisions, s'expliquer sur les délais

MOLDOVA

loi sur le statut des juges

exécuter strictement les exigences de la loi dans la réalisation de la justice, gardien des libertés individuelles

assurer la protection de l'honneur et de la dignité des citoyens, la haute culture du judiciaire, être impartial et humain, ne pas discréditer la justice, compromettre l'honneur ou la dignité du magistrat, provoquer des doutes sur leur objectivité,

NORVEGE

Constitution, serment d'obéissance et de fidélité à la Constitution et au Roi, Court of Justice Act

doit s'engager par écrit à suivre consciencieusement les devoirs de sa charge

PAYS BAS

Article 29 de la « loi relative à l’organisation du pouvoir judiciaire »

 1827

Ils sont loyaux envers le souverain, ils respectent et font respecter la Constitution

Ils exercent leurs fonctions impartialement, honnêtement et consciencieusement

POLOGNE

Constitution, lois, codes et règlements de procédure - serment devant le président, règlement intérieur des cours

mise à jour des statuts de 1984, 1995 et 1997 en octobre 2001 

loyauté à l'égard de la nation, gardien de la loi

suivre scrupuleusement les obligations de sa tâche, fidélité au serment, loyauté, impartialité, dignité et honnêteté dans l'administration de la justice, secret des délibérations

obligation de déclaration de patrimoine et ressources, éviter tout conflit d'intérêt

PORTUGAL

 Le statut des juges

les devoirs communs à toute la fonction publique, devoir de réserve, doivent porter la robe

doivent élire domicile dans le ressort où ils exercent, et les juges d'instance ne peuvent s'en absenter en dehors des week-ends et vacances, pour les autres juges, pas plus de trois jours consécutifs et au maximum dix jours dans l'année, déclarés au Conseil Supérieur de la Magistrature, activités politiques interdites

REP SLOVAQUE

act on judges and lay judges

2000

impartialité, délai raisonnable, loyauté dans l'exercice de ses fonctions,  ne rien faire qui compromette la dignité de la justice et la confiance qu'elle doit inspirer, doit refuser des cadeaux, ne pas se laisser influencer par ses relations y compris par les médias

30 ans, études supérieures en droit, capable d'être juge notamment eu égard à sa santé et à son intégrité, résident permanent en Slovaquie, a passé une sélection

REP TCHEQUE

new act on courts and judges

entré en vigueur au 1er avril 2002

interpréter au mieux la loi selon ses connaissances et ses convictions

impartialité, délai raisonnable, loyauté dans l'exercice de ses fonctions,  ne rien faire qui compromette la dignité de la justice et la confiance qu'elle doit inspirer

pas de droit de grève, ni de manifestation publique préjudiciables à son activité, pas être membre d'un parti politique.

ROUMANIE

 Article 24 de la Constitution – article

82-87 de la loi d’organisation

judiciaire 92/92

 1991

1992

Serment de loyauté à l’égard de la Constitution et de la loi

ne rien faire qui compromette la dignité de la profession

ne rien faire qui compromette leur dignité personnelle

ROYAUME UNI

common law

serment de loyauté et d'allégeance au souverain dans le respect de la loi

appliquer la loi de façon indépendante et impartiale

SLOVENIE

Lois sur le service de la justice

1994, 1996 et 1998

Se comporter dans la vie professionnelle de façon à ne pas mettre en doute son impartialité, son indépendance et la réputation de la justice.

Dans l'exercice de ses libertés et droits personnels, le juge doit toujours tenir compte de son devoir de protéger l'indépendance et l'impartialité de la justice en ne compromettant pas la réputation de cette justice.

SUEDE

Constitution, Codes de procédure (serment) et Public Employment Act

respect de la loi, ne pas la manipuler

un juge honnête et droit : impartial, administrer la justice au mieux de ses capacités et de sa conscience, pas de corruption et de faveurs personnelles, familiales ou amicales, ne pas déclarer l'innocent coupable et inversement, secret des délibérations

SUISSE

doit avoir des études universitaires complètes, être citoyen élu comme juge.

TURQUIE

Constitution de la République de

Turquie et loi relative à la

magistrature

Toutes les deux

en 1982

fidélité à la constitution, à la loi, à ses convictions dès lors qu'elles sont compatibles avec la loi

sauvegarder leur indépendance, même s'ils peuvent être liés au Ministère dans leurs fonctions administratives

pas de fonctions officielles, sauf si prescrit par la loi

UKRAINE

loi sur le statut des juges

fidélité à la loi et à la constitution, objectivité, traiter pleinement les cas soumis et avec conscience

se soumettre à la discipline et à l'organisation du travail dans le tribunal, secret professionnel


Existe-t-il un code de déontologie des juges ?

élaboré par...

adopté par...

date

obligations à la charge des juges

sanction

ALLEMAGNE

NON

ANDORRE

NON

AZERBAIDJAN

OUI, préparé et adopté par l'ensemble des juges et le Conseil des juges

identiques aux dispositions du statut

procédure disciplinaire

BELGIQUE

NON

CHYPRE

NON, mais des standards existent lors du recrutement afin de s'assurer de la haute qualité morale du futur juge remarqué dans sa pratique d'avocat

ESTONIE

OUI, Association des juges estoniens

délégation du parlement dans la loi sur les juges pour que la conférence des juges l'adopte

1994

35 règles de principe sur la conduite professionnelle (conscience et diligence au travail, relations professionnelles, indépendance et impartialité) et l'encadrement de ses libertés personnelles (activités extrajudiciaires, relations privées)

pas de sanction propre mais peuvent aider à juger en disciplinaire en éclairant les dispositions de la loi sur les juges

FINLANDE

NON

FRANCE

NON

IRLANDE

NON, mais un rapport sur l'éthique et la déontologie des juges de 1999 préconisait qu'un comité d'éthique et de déontologie produise un code qui serait remis à tout nouveau magistrats lors de son entrée en fonction. Un tel comité n'existe pas encore. La loi est en train de faire l’objet d’une réforme.

ISLANDE

NON, quelques règles non écrites

2000

ITALIE

OUI, Association nationale des juges

Association nationale des juges, sur habilitation du gouvernement et du législateur

1994

dignité et correction dans la vie privée, sens de l'intérêt public, exercice désintéressé de sa fonction de juge, indépendance, impartialité, attention portée aux relations avec les citoyens, conscience professionnelle, formation continue, modalités d'usage des ressources de l'administration, secret professionnel, discipline des relation médias, préservation de conflits d'intérêts politiques ou financiers, souci d'examiner son impartialité, relations avec ses pairs et le personnel judiciaire

Est avant tout un instrument d'autorégulation. Une sanction peut exister si le manquement recouvre un cas prévu par la loi disciplinaire ou le droit commun.

JAPON

OUI, il y a des dispositions dans certaines lois, bien qu’il n’y ait pas de code de déontologie à part entière

LIECHTENSTEIN

NON

LITUANIE

OUI, Association nationale des juges

Congrès national de tous les juges

1998

indépendance,  conduite et devoirs du juge, puis hors ses devoirs de juge, etc.

NON, mais autorité dans un procès disciplinaire

LUXEMBOURG

NON, une commission ayant travaillé sur la question a finalement estimé qu'il était préférable de s'en tenir à des règles générales non écrites.

MALTE

OUI, rédigé par le pouvoir judiciaire

tous sauf 1 juge, présenté au Pdt qui est à la tête de la commission d'administration de la justice, cette commission ayant accepté le code avec peu d'amendements

2000

28 paragraphes reflétant un accord sur les bonnes pratiques, confirmation des valeurs auxquelles les juges ont adhéré en prêtant leur serment, image de la justice pour le justiciable qui doit être par ailleurs efficacement sanctionné si besoin

"le code lui-même" n'est pas assorti de sanctions

MOLDOVA

OUI, par le CSM

Conférence des juges

2000

confidentialité, correction, ponctualité, tempérament, sobre, poli, officiel, calme, tolérant, écoute, sanctionne qui ne respecte pas la police de l'audience, ne pas discuter avec les parties en dehors du procès, respect des droits de l'homme, pas de discrimination

OUI, disciplinaire

NORVEGE

Pas de code malgré une tentative en 1999 de la parte de la Norwegian Law Court Commission aujourd'hui pendante devant le parlement

PAYS BAS

NON

POLOGNE

NON, mais le National Council on the Judiciary en a la possibilité, et depuis juillet 2001 travaille sur une collection de principes concernant l'éthique du juge

PORTUGAL

NON

REP SLOVAQUE

OUI

Président du Conseil des juges et ministre de la justice

2001

vie privée, vie professionnelle et devoirs professionnels

NON, seulement la loi sur les juges

REP TCHEQUE

NON-OUI, mais 7 principes brefs ont été élaborés par l'Union des juges (organisation de 50 % des juges) qui pourraient être transformés en code

approuvé par une assemblée représentative de juges

2000

7 principes évoquant les devoirs et comportements du juge dans sa vie professionnelle

Pas de cas

ROUMANIE

NON, mais il existe quelques règles générales dans la loi d'organisation judiciaire

 Parlement roumain

1992

Les magistrats doivent s’abstenir de tout acte pouvant porter atteinte à leur dignité, tant dans l’exercice de leurs fonctions que dans la société.

Il est interdit aux magistrats d’adhérer à un parti politique ou de se livrer à des activités publiques à caractère politique.

La magistrature est incompatible avec toute autre fonction publique ou privée, à l’exception de l’enseignement.

Il est interdit aux magistrats d’exercer des activités commerciales, de participer à la gestion de sociétés commerciales, de sociétés civiles ou d’entreprises indépendantes, soit directement soit par personnes interposées. Il leur est aussi interdit de participer à l’administration de telles sociétés ou entreprises indépendantes.

Les autres obligations qui incombent aux juges sont les conditions considérées comme nécessaires pour être juge (par exemple, la bonne réputation) ou comme caractéristiques de l’activité du juge (par exemple, l’indépendance, l’impartialité, le secret des délibérations).

Poursuites pénales et disciplinaires.

ROYAUME UNI

NON, mais il existe des guides informels que certains (Judicial Studies Board, Scottish Justice Minister et une doctrine d'Irtlande du Nord) souhaiteraient voir se formaliser sans pour autant constituer des devoirs statutaires

Mis en place par le Lord Chancellor en accord avec le Lord Chief Justice

Avant sa nomination, le juge est informé de ce que l'on attend de lui en termes de conduite,

SLOVENIE

OUI (vient remplacer un ancien code de responsabilité professionnelle datant de 1972), par un groupe de juges de l'Association des juges

Association des juges slovènes

2001

9 principes : indépendance, impartialité et neutralité, capacité, diligence, incompatibilités/compatibilités, discrétion, relations professionnelles, réputation.

Non, mais il existe une Cour de l'Honneur qui peut se saisir d'un manquement sans que cela soit suivi de sanction.

SUEDE

pas de code spécifique, mais il existe un modèle historique d'inspiration pour la conduite des juges, le General Code of Law (1734) comprenant un code ancien qui ne lie cependant pas les juges

Olaus Petri au XVIe siècle ; une association de juges a récemment travaillé sur un projet de code qui n'a pas abouti devant de nombreuses critiques

1540

par un autre système, la loi confère à l'Ombudsman et au Justice Chancellor le pouvoir de critiquer publiquement un juge pour son comportement

SUISSE

pratiquement pas de règles écrites sur le plan fédéral comme dans une large mesure sur le plan local

TURQUIE

Loi relative à la magistrature et règles de déontologie.

Parlement, Conseil supérieur de la magistrature.

1982

identiques aux dispositions du statut

procédure disciplinaire

UKRAINE

OUI, ébauché par un Congrès des juges en 1999, à partir des expériences canadienne, américaine et russe notamment et amendements et propositions de juges ukrainiens

Conseil des juges

2002

obéissance à la loi, impartialité, maintenir la confiance légitime, loyauté, justice et équité, sincérité, comportement fidèle au serment

NON, ainsi que voulu par le congrès des juges


Incompatibilités

Source

Type d'incompatibilités

Dérogation possible

ALLEMAGNE

German Judiciary Act

idée de séparation des pouvoirs : pas d'activité administrative (sauf celles de la cour, recherche et enseignement) peut appartenir à un parti politique et se présenter comme député : s'il est élu, son office de juge est suspendu, activités de conseil et de conciliation interdites

Le gouvernement peut autoriser un juge à siéger comme arbitre ou à être entendu comme expert par un tribunal d’arbitrage

ANDORRE

Loi Qualifiée de la Justice (L.Q.J.)

toute autre charge publique et activités commerciales, industrielles ou professionnelles, avocat ou assistance juridique

AZERBAIDJAN

“cette question n’est pas Claire pour nous”

BELGIQUE

interdiction de cumul de fonction juge avec celle de ministère public, d'élu, toute charge politique ou administrative rémunérée, notaire, huissier, avocat, militaire et ecclésiastique

CHYPRE

Toute autre fonction ou profession

conférences et écriture d'ouvrages juridiques

ESTONIE

pas de mandat ou d'activité politique, pas d'autres fonctions sauf enseignement ou recherche, pas membre des bureaux d'entreprises publiques ou privées

FINLANDE

Loi relative aux fonctionnaires

Toute fonction publique, toute profession ou activité civile, commerciale et salariée.

Une autorisation peut être obtenue auprès du tribunal ou d’une instance supérieure.

FRANCE

incompatibilité avec toute fonction publique, toute profession civile, commerciale ou salariée et une activité d'arbitre

IRLANDE

Constitution de 1937

Aucun juge ne peut être élu à l’une des deux chambres du Parlement ni occuper « une autre fonction ou situation rémunérée ».

ISLANDE

Loi de 1998 relative à la magistrature

ne doit pas accepter d'activité ou détenir une part dans une société si cela est incompatible avec sa charge ou qui risque de mettre en péril la qualité de son travail

Enseignement, présidence de comités, conférences, rédaction d’ouvrages, etc. La permission d'une activité extrajudiciaire doit être demandée au Committee on Judicial Functions

ITALIE

Décret royal du 30 janvier 1941

Aucun emploi ni fonction publique ou privée sauf celle de membre du Parlement ou d’une organisation caritative, aucune activité commerciale, industrielle ou libérale. Le Conseil supérieur de la magistrature peut autoriser des « tâches de n’importe quelle autre sorte ».

Enseignement et activités scientifiques possibles avec l’autorisation – dans des conditions strictes – du Conseil supérieur. L’arbitrage n’est autorisé qu’à titre exceptionnel.

JAPON

Loi d’organisation judiciaire

Pas d’activité politique, commerciale, ni de rémunération autre que celle pour exercer une fonction judiciaire.

Sauf autorisation de la Cour Suprême pour percevoir une rémunération autre que celle de juge.

LIECHTENSTEIN

article 6, Civil Servants Act de 1938

pas d'autre activité rémunérée ou particulièrement occupante, sauf autorisation du gouvernement qui regarde si celle-ci est compatible avec l'activité de juge, c'est en général le cas pour l'enseignement et la recherche à temps partiel

 Confection et rédaction d’ouvrages juridiques

LITUANIE

Loi de 2002 relative au pouvoir judiciaire

pas d'activité politique, pas être appelé pour une action militaire, pas d'activité privée lucrative, sauf indemnisation si enseignement, pas d’activité associative si atteinte à indépendance

LUXEMBOURG

Constitution et loi sur l'organisation judiciaire

pas de fonction salariée

MALTE

Code d'organisation judiciaire et de procédure civile, code d'éthique

Pas d'implication personnelle ou en tant que conseil dans un dossier déjà ouvert ou probablement de sa compétence, pas d'autre activité même temporaire sauf de justice internationale ou universitaire

par le Président de la République

MOLDOVA

Loi sur le statut des juges

pas d'autre fonction publique ou privée, député ou conseiller dans l'autorité de l'administration locale, ne pas faire partie de parti politiques ou d'autres organisations socio-politiques, pas d'activité d'entrepreneur, pas de consultation écrite ou orale sauf pour les proches parents. Publications et interventions dans les médias possibles dès lors qu'elles ne portent pas sur des questions de politique interne.

NORVEGE

Courts of Justice Act et State Basic Agreement

Les juges sont relativement libres, seuls les juges de la Cour Suprême font l'objet de dispositions précises, Mais de manière générale ils ne peuvent être avocats, conciliateurs ou jurés, et ne doivent pas délaisser pour autant leur tâche,

faisant place à une jurisprudence tolérante la loi pendante devant le parlement prévoit de strictes dispositions légales concernant l'interdiction, l'autorisation et la déclaration des activités annexes, et resserre le cadre des incompatibilités

PAYS BAS

Article 44 de la « loi relative à l’organisation du pouvoir judiciaire (1827/2001) » ; loi relative aux incompatibilités avec le parlement national et le Parlement européen (1994)

Les juges ne peuvent pas être (l’équivalent néerlandais d’) avocats, avoués, notaires ; ils ne peuvent pas exercer d’autres professions qui les amèneraient à donner des conseils juridiques ; les membres de la Cour suprême ne peuvent être membres ni du Parlement néerlandais ni du Parlement européen.

POLOGNE

Constitution et statut

aucun autre travail sauf publications scientifiques et enseignement à temps limité, mais sans affecter sa tache de juge, pas d'activité ou de situation lucrative qui puisse affecter l'image de la justice, pas d'activité politique

la demande doit être transmise au supérieur hiérarchique (président de cour, de la cour suprême ou le ministre)

PORTUGAL

pas de fonction publique ou privée à caractère professionnel, incompatibilités des fonctionnaires en général

l'enseignement et la recherche juridique peuvent être autorisés par le Conseil supérieur de la magistrature mais sans être rémunéré

REP SLOVAQUE

Loi de 2000

pas de postes politiques au sens large y compris dans l'administration et l'armée, pas d'activité privée lucrative sauf scientifique d'enseignement ou artistique et dès lors que celle-ci ne porte pas atteinte à la dignité de sa fonction de juge.

REP TCHEQUE

Pas de mandat politique tel que Président de la République ou membre du Parlement, pas d'activité dans l'administration ou les affaires. Les activités scientifiques, d'enseignement, littéraires et artistiques sont permises, y compris de conseiller politique si celles-ci ne compromettent pas la dignité de la justice et la confiance que l'on doit avoir en elle.

ROUMANIE

pas d'activité politique, aucune autre fonction en dehors de collaborations à des publications scientifiques ou une activité d'enseignement

ROYAUME UNI

Lignes directrices

Ne peut siéger en tant qu'arbitre, ne peut exercer d'autre activité professionnelle lucrative (à l’exception des activités littéraires ou de rédaction) ou de nature politique, des restrictions importantes sont aussi apportées lorsque le juge a quitté ses fonctions

SLOVENIE

Constitution et loi sur l'organisation judiciaire

Toute fonction administrative ou politique, toute activité commerciale ou libérale, lucrative ou de participation à la direction de sociétés, tout ce qui peut atteindre la réputation de la justice. Les activités d'enseignement et de recherche sont autorisées sous la même condition.

SUEDE

Lois et Constitution

aucun juge n'est subordonné à un autre juge ou représentant public

SUISSE

aucune autre charge ou fonction publique, aucune autre carrière ou profession, aucun poste de directeur, gérant ou membre d'un organe dirigeant d'un établissement lucratif, pas de fonction, titre ou décoration octroyés par des autorités étrangères

le tribunal peut autoriser et poser les conditions d'une activité d'expert, d'arbitre et autres activités accessoires dès lors que l'indépendance et le prestige de la justice ne sont pas atteints

TURQUIE

Loi relative à la magistrature

Pas d'activité publique sauf autorisée par la loi, pas d'activité lucrative

UKRAINE

Pas d'incompatibilités formellement exprimées


Cas dans lesquels l'impartialité peut être suspectée

Source

Cas

ALLEMAGNE

Code de procédure civile

proximité familiale, affaire dans laquelle le juge a été amené à témoigner ou être entendu comme expert, ou dans laquelle il a déjà pris une décision, les doutes concernant son impartialité peuvent aussi être mis en évidence par un conflit d'intérêt financier, amical ou une préférence avouée pour une partie

ANDORRE

Loi qualifiée de la Justice

 Proximité familiale, avoir été avocat ou représentant ; relation juridique commerciale ou économique. Avoir eu un litige avec une partie ou son avocat, intérêt sur l’objet du litige, relation amicale ou de hiérarchie.

AZERBAIDJAN

question attraite au débat par le ministère public dans une situation visée par la loi

BELGIQUE

jurisprudence fondée sur les dispositions du code et des lois relatives à la récusation et aux incompatibilités

CHYPRE

jurisprudence de la Cour Suprême

conflit d'intérêt familial ou personnel, connaissance du dossier ou des parties

ESTONIE

conflit d'intérêt, toute relation qui pourrait atteindre la crédibilité de la justice, préjugement

FINLANDE

Code de procédure

Liens familiaux, conflits d’intérêts, préjugés, implication dans l’affaire et autres motifs qui font peser des doutes raisonnables sur l’impartialité du juge.

FRANCE

peut être récusé et doit s'abstenir de juger dans différents cas mettant en cause son impartialité objective et subjective : relations familiales ou amicales, conflit d'intérêt financier, décision ou avis rendus dans cette affaire, liens de subordination

IRLANDE

nemo judex in causa sua rule of law

pas de conflit d'intérêt personnel, familial ou financier, pas de préjugement ou de préjugé, sinon le juge doit se déporter

ISLANDE

Loi de procédure civile et loi de procédure pénale

Partie au litige ; a donné des conseils à une partie à l’instance ; a des liens familiaux, amicaux ou professionnels avec l’une des parties ; est témoin dans une affaire ou a des liens étroits avec un témoin.

ITALIE

Codes de procédure civile et pénale

conflits d'intérêt familial, personnel ou professionnel, connaissance du dossier ou des parties, préjugement et préjugé.

JAPON

Constitution et Codes de procédures civile et pénale, par exemple si l’une des parties est un membre de sa famille.

En plus du respect des incompatibilités, possibilité de récusation

LIECHTENSTEIN

conflits d'intérêt personnel ou familial, préjugement, relevés à l'initiative du juge ou des parties

LITUANIE

Code de procédure civile

Conflits d’intérêts personnels ou familiaux, préjugés, participation à l’affaire en qualité de témoin.

LUXEMBOURG

article 521 du Nouveau Code de Procédure Civile, article 542 du Code d'Instruction criminelle, article 6 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme

cas de récusation et suspicion légitime

MALTE

liste exhaustive des cas dans lesquels le juge doit se démettre ou les parties le refuser dans le Code d'organisation judiciaire et de procédure civile

conflit d'intérêt personnel ou familial, préjugement, implication dans l'affaire en tant que témoin

MOLDOVA

Codes de procédure civile et pénale

récusation si intérêt direct ou indirect dans la cause, liens familiaux avec les parties

NORVEGE

Courts of Justice Act

liens familiaux avec les parties ou leur conseil, dès lors que la confiance en le juge peut être mise en doute, celui-ci doit céder sa place (conflit d'intérêt le plus souvent)

PAYS BAS

Loi relative à la procédure civile, loi relative à la procédure pénale, loi relative à la procédure administrative.

« Faits ou circonstances qui pourraient rendre contestable l’impartialité du juge » (la loi n’entre pas dans les détails, la jurisprudence se conforme aux lignes directrices fixées par la Cour européenne de Justice)

POLOGNE

lois de procédure pénale et civile

connaissance des parties ou du dossier en y ayant déjà pris part (proximité d'intérêts avec une partie ou le dossier personnellement ou à titre professionnel) : deux séries de cas, iudex inhabilis et iudex suspectus

PORTUGAL

statut des juges, code de procédure civile, code de procédure pénale

Juge ne peut exercer au sein d'une juridiction où travaille une personne de sa famille, suspicion légitime ou demande à être dispensé de l'affaire en cas de conflit d'intérêt personnel, économique ou familial, ne peut être intervenu dans le dossier ou y avoir pris part à un autre titre

REP SLOVAQUE

Tous les cas dans lesquels dans le cadre de ses fonctions, dans sa vie privée ou après que ses fonctions aient cessé, le juge prote atteinte à la dignité de la fonction ou met en péril la confiance que l'on doit avoir en la justice.

REP TCHEQUE

Codes de procédure civile et pénale, mécanisme de prise à partie du juge

ROUMANIE

législative

proximité avec une partie, influences politiques, pression des médias, relations amicales

ROYAUME UNI

CEDH

SLOVENIE

Codes de procédure civile et criminelle, CEDH

partie au procès ou impliqué dans l'affaire, ou en relation avec une personne de cette qualité, si a témoigné ou est intervenu comme expert dans cette affaire, si a pris part à une décision prise ou rendue dans cette affaire, si l'on peut raisonnablement douter de son impartialité.

SUEDE

Codes de procédure

proximité familiale, conflit d'intérêt personnel, patrimonial, politique, préjugement, implication professionnelle ou personnelle dans le dossier

SUISSE

loi et jurisprudence

...conformes à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme

TURQUIE

Codes de procédures pénale et civile

préjugement, conflit d'intérêt, implication personnelle dans une infraction en tant que victime, témoin, conseil, arbitre ou lien familial

UKRAINE

Codes de procédure

proximité avec une partie, intérêt personnel dans la cause, ou toute façon d'exercer sa fonction qui ferait douter de son impartialité


Responsabilité pénale ou civile d'un juge

Pénale

Civile

Procédures

Infractions

sanctions

ALLEMAGNE

infractions du code pénal visant le détournement de leurs fonctions judiciaires et la corruption

peines de droit commun

responsabilité civile personnelle limitée par l'article 839§2 du Code civil, lorsque l'acte à l'origine du dommage constitue une infraction pénale, La responsabilité de l'Etat est engagée dans les autres cas, et il dispose d'une action récursoire dans tous les cas où il est condamné

procédures pénales et civiles de droit commun

ANDORRE

 Code pénal, Art. 114, corruption, prévarication

juges civilement responsables en cas de dol dans l'exercice de leurs fonctions

Au pénal, le juge ne peut être arrêté qu'en cas de flagrant délit, la suspension provisoire des fonctions est automatique, sur accord du Conseil Supérieur de la Justice

AZERBAIDJAN

condamner sciemment un innocent par exemple

prison ou dommages et intérêts

une cour supérieure qui doit rejuger le cas peut établir une faute du juge de première instance

le Président et le Conseil des juges décident de poursuivre en saisissant le Procureur général, le juge sera jugé devant un tribunal ordinaire

BELGIQUE

infractions de droit commun commises à l'occasion ou dans l'exercice de ses fonctions

peines de droit commun

mécanisme de la prise à partie qui permet d'engager la responsabilité personnelle du juge en cas d'intention dolosive ou fraude de la part du juge, l'Etat peut aussi être tenu pour responsable des fautes d'un juge

au pénal, l'action est entre les mains du procureur général près la Cour d'appel, et au civil, la procédure a lieu devant la Cour de cassation

CHYPRE

La Constitution garantit l’immunité des juges de la Cour constitutionnelle suprême et de la Haute Cour (regroupées maintenant dans la Cour suprême). La « comon law » et l’équité  assurent aussi le bénéfice de l’immunité aux juges des juridictions inférieures.

ESTONIE

Cas où le juge a intentionnellement rendu une décision illégale

révocation

Pas de responsabilité propre au magistrat, responsabilité de l'Etat.

Le Ministère public s'adresse à la Cour suprême qui vérifie que les poursuites peuvent être engagées conformément au Code pénal et de procédure pénale, après consentement du Président de la République.

FINLANDE

Infractions définies dans le Code pénal et commises dans l’exercice des fonctions. 

Peines prévues par le droit commun, y compris la révocation.

Responsabilité pour les préjudices occasionnés dans l’exercice des fonctions de juge. La réparation est en principe payée par l’Etat qui, dans certains cas, peut se faire rembourser par le juge.

Procédures de droit commun qui, selon la Constitution, peuvent être exercées par toute personne dont les droits ont été lésés (dérogations et procédures spéciale pour les membres des plus hautes juridictions).

FRANCE

infractions prévues par les textes

peines de droit commun

Responsabilité civile pour faute personnelle du juge seulement

procédure pénale de droit commun, action civile possible contre l'Etat seulement qui dispose d'une action récursoire

IRLANDE

Totale immunité de la fonction juridictionnelle reconnue par la common law

ISLANDE

Si le juge a intentionnellement rendu une décision injuste, s'il use de procédés illégaux pour obtenir des aveux ou s'il ordonne des arrestations ou investigations illégales

peines de droit commun aggravées

L'Etat est civilement responsable mais peut se retourner contre le juge si la faute est intentionnelle

Procédures de droit commun

ITALIE

prévues dans le code pénal et visant spécialement le juge dans l'exercice de ses fonctions judiciaires comme la corruption

peines de droit commun

Responsabilité civile pour faute lourde ou déni de justice prévue par une loi de 1988 rompant avec la relative irresponsabilité dénoncée lors d'un référendum. L'Etat se porte garant et dispose d'une action récursoire contre le juge limitée dans son montant si le dommage est causé involontairement.

Règles spécifiques de compétence afin de s'assurer du dépaysement de l'affaire, examen de recevabilité des requêtes (problème soulevé peut-il être corrigé par l'exercice d'une voie de recours ? s'agit-il de la contestation portant sur l'interprétation de la loi ?). Les affaires sont jugées par les tribunaux ordinaires en collégialité

JAPON

Responsabilité pénale ordinaire.

En vertu d’un précédent établi par la Cour suprême en 1955, les juges n’ont aucune responsabilité civile personnelle pour les préjudices occasionnés aux parties dans l’exercice de leurs fonctions.

LIECHTENSTEIN

infractions de droit commun, plus certaines particulières comme l'abus de fonction ou la corruption

peines de droit commun, un emprisonnement de plus d'un an a pour conséquence la perte de ses fonctions

règles générales de la responsabilité civile de l'Etat avec la possibilité d'une action récursoire

Tribunaux et procédures ordinaires au pénal, au civil, la Cour Suprême est compétente en appel

LITUANIE

 Infractions au Code pénal impliquant l’abus de leur fonction de juge et la corruption.

 Peines prévues par le droit commun.

L'Etat est seul responsable mais dispose d'une action récursoire contre le juge.

Toute poursuite criminelle ou détention doit être approuvée par le parlement, le juge est alors suspendu de ses fonctions jusqu'à l'issue du procès.

LUXEMBOURG

article 4 du code civil, forfaiture et déni de justice

amendes, interdiction du droit de remplir ses fonctions, emplois ou offices publiques

Seule la responsabilité civile de l'Etat peut être engagée (procédure de droit commun, loi du 1er septembre 1988)

article 639 du Nouveau Code de Procédure Civile, procédure de prise à partie

MALTE

Code pénal vise expressément le cas dans lequel un magistrat échoue ou refuse d'examiner une demande en habeas corpus légalement formée, comme tout officier public : abus d'autorité ou de fonction, corruption, malversations financières

peines de droit commun

pas de règles particulières, ni de cas connus dans lesquels la responsabilité civile d'un juge a été recherchée

 Les procédures de droit commun des juridictions répressives de droit commun.

MOLDOVA

droit commun en vertu du principe d'égalité devant la loi

Pas de responsabilité civile pour les juges

Poursuite pénale soumise à l'autorisation du CSM et du Président de la République ou du parlement, selon le cas, et jugées par des cours de rang supérieur.

NORVEGE

infractions de droit commun

une action en responsabilité civile contre une décision du juge n'est possible que si la décision a été infirmée et prise en commettant une infraction

Les charges contre un juge sont définies par le conseil du roi, et le magistrat toujours jugé par une Cour supérieure à son rang

PAYS BAS

 C’est le droit commun qui s’applique.

Seule la responsabilité de l’Etat peut être engagée.

C’est le droit commun qui s’applique, pas de procédure spéciale.

POLOGNE

infractions en relation avec l'activité et la fonction de juge

responsabilité personnelle selon le droit commun, responsabilité de l'Etat en cas de faute non intentionnelle ou de service (action récursoire limitée à trois mois de salaire, illimitée en cas de faute lourde), exclue pour les conséquences d'un jugement

poursuites pénales et privations de liberté doivent être autorisées par la cour disciplinaire (sauf flagrant délit) qui peut aussi suspendre le juge de ses fonctions, appel possible devant une cour supérieure

PORTUGAL

infractions de droit commun commises à l'occasion ou dans l'exercice de ses fonctions, et infractions particulières de forfaiture, abus d'autorité, concussion, déni de justice, violation du secret

peines de droit commun

responsabilité civile des juges seulement lorsque les faits dommageables ont trouvé condamnation au pénal pour subornation, concussion ou prévarication, le juge est tenu de rembourser la réparation avancée par l'Etat ou à une indemnité

procédure pénale ordinaire devant une cour supérieure à son rang au pénal, et devant la cour où les faits se sont produits au civil

REP SLOVAQUE

infractions commises dans le cadre de ses fonctions

emprisonnement, perte des titres professionnels et honorifiques, interdictions d'exercer, amendes

Au pénal, les poursuites doivent être autorisées par l'organe qui a nommé ou élu le juge, et sont exercées à l'initiative du Président de la Cour concernée ou le Ministre de la justice.

REP TCHEQUE

En relation avec l'exercice de sa fonction

En cas de décision illégale ou activité préjudiciable, le dommage est réparé par l'Etat disposant d'une action récursoire si le juge a été reconnu coupable d'une faute disciplinaire

Une poursuite pénale contre un juge doit être autorisée par le Président de la République, compétence des juridictions ordinaires selon les procédures de droit commun

ROUMANIE

droit commun

droit commun

droit commun

procédures et juridictions de droit commun pour le civil, au pénal, avis préalable du Ministre ou du Président puis procédures et juridictions de droit commun (cours supérieures pour les juges d'un certain niveau hiérarchique)

ROYAUME UNI

immunité issue de la common law dans le cadre de ses compétences, en dehors, seulement si le juge a agi de bonne foi

SLOVENIE

abus de fonction ayant conduit à une infraction intentionnelle

peines de droit commun pouvant avoir pour conséquence la démission

En matière pénale, toute poursuite ou détention doit être autorisée par le parlement.

SUEDE

infraction commise dans le cadre de ses fonctions inscrites dans le Code pénal : violation de ses devoirs, corruption, violation du secret professionnel

peines de droit commun (amendes, prison) et possibilité de conséquences disciplinaires jusqu'à la révocation

dommages causés dans le cadre de ses fonctions, l'Etat est d'ordinaire responsable des négligences d'un agent public, le juge peut l'être personnellement seulement en cas de circonstances aggravantes

en matière pénale, si le juge est un juge de Cour suprême, seuls l'Ombudsman et le Justice Chancellor peuvent le poursuivre

SUISSE

infractions en rapport avec l'activité ou la situation officielle d'un magistrat

Seule la responsabilité civile de l'Etat peut être engagée, la responsabilité civile directe du juge est exclue

en matière pénale, une autorisation du parlement est nécessaire pour poursuivre qui peut aussi suspendre provisoirement l'activité du juge, l'affaire ressorti aux tribunaux ordinaires

TURQUIE

Code de Procédure Pénale : détournement ou abus de fonction, corruption, favoritisme

peines d'emprisonnement

Code de Procédure Civile : conséquences civiles d'une infraction pénale, décisions arbitraires, contraires à la loi, imposées pour un motif personnel ou hors des débats.

Pour des poursuites pénales, il faut l’accord du Conseil supérieur de la magistrature, qui nomme les inspecteurs et le procureur, décide si disciplinaire et transmet documents aux autorités compétentes - procédure spéciale en cas de trahison (felony)

UKRAINE

Peines de droit commun à quoi s'ajoute la révocation du juge.

pas de responsabilité civile pour les juges

Procédure pénale de droit commun, néanmoins toute détention préventive d'un juge doit être exceptionnelle et autorisée par le Conseil Supérieur. Le juge est suspendu de ses fonctions dès qu'une action est engagée. La juridiction compétente est une Cour d'appel nommée ad hoc et auprès de laquelle le juge n'a jamais travaillé

Responsabilité disciplinaire

cas

procédure

autorité

sanction

ALLEMAGNE

manquements aux devoirs du statut, poursuites très rarement exercées

procédure gérée par un service spécial

The Federal Service Court, division de la Cour fédérale de justice composée de juges professionnels nommés à vie et d'autres juges de carrière

réprimande, amende, réduction de salaire, déplacement de fonction, révocation

ANDORRE

Fautes graves ou très graves listées aux articles 83 et 84 de la L.Q.J.

Le Conseil Supérieur de la Justice prend l'initiative d'une enquête sur demande d'une personne  lésée, d'un citoyen qui aurait eu connaissance des faits, du ministère public ou du Président du tribunal concerné

Conseil Supérieur de la Justice

article 85 de la L.Q.J., réprimande, amende, suspension de fonction, révocation

AZERBAIDJAN

en cas d'infractions mineures

le Ministre demande au Conseil des juges de se saisir du dossier

avertissement ou démission

BELGIQUE

manquements aux normes déontologiques dictées par la loi ou tirées de la jurisprudence, c'est à dire la confiance en l'institution judiciaire

juge comparaît devant son Président, le Premier président de la Cour d'appel ou devant l'assemblée générale disciplinaire soit de la Cour d'appel soit de la Cour de cassation, selon son grade et la gravité du manquement ou de la sanction encourue

avertissement, censure simple, censure avec réprimande, suspension de 15 jours à 1 an, destitution

CHYPRE

infirmité mentale ou physique mettant le juge dans l'incapacité d'exercer ses fonctions, manquements à ses devoirs déontologiques

La cour suprême désigne un juge enquêteur puis décide de renvoyer le juge devant l'organe de jugement disciplinaire

Supreme Council of the Judicature

réprimande ou révocation

ESTONIE

Non respect des procédures et tout manquement ou comportement qui mettent en péril le crédit porté en la justice

Poursuites initiées par le Président de la Cour Suprême ou le Ministre de la Justice

Commission disciplinaire de la Cour Suprême

avertissement, réprimande, amende, révocation (ne peut être prononcée que par la Cour Suprême en assemblée plénière)

FINLANDE

Pas de poursuites disciplinaires : même les infractions les moins graves (manquement aux devoirs de sa charge) peuvent donner lieu à des poursuites pénales.

FRANCE

manquement aux devoirs de son état, à l'honneur, à la délicatesse ou à la dignité

Conseil supérieur de la magistrature présidé par le Premier Président de la Cour de Cassation

de la simple réprimande inscrite au dossier jusqu'à la révocation

IRLANDE

seule une procédure de révocation existe devant le parlement, proche de la procédure d'impeachment, issue de la tradition de common law, et rarement exercée

ISLANDE

 Manquement à ses obligations dans l’exercice de ses fonctions judiciaires.

Une plainte écrite peut être déposée devant le Committee on judicial Functions par toute personne lésée par le comportement d'un juge. Si elle est jugée valable, le juge est invité à faire valoir ses observations avant que le Comité ne se prononce.

a) Committee on judicial Functions composé de trois membres désignés par le Ministre de la Justice (un proposé par l'Assemblée des juges islandais, un proposé par la Faculté de droit)

b) le Président de la Cour Suprême.

Admonestation, avis personnel (révocation uniquement à l’issue d’une procédure judiciaire dans les cas les plus graves).

ITALIE

Tout manquement aux devoirs de sa fonction, comportement public ou privé atteignant la confiance et le prestige qu'un juge et l'institution judiciaire doivent inspirer (cas fixés par la jurisprudence)

Poursuites engagées par le Procureur Général de la Cour de cassation ou sur requête du Ministre de la Justice. La procédure est de type juridictionnel, avec toutes les garanties offertes par une telle procédure.

Cour disciplinaire composée de neuf juges membres du Conseil Supérieur de la Magistrature élus par leurs pairs dont deux doivent avoir été nommés par le parlement.  

JAPON

Lois d’organisation judiciaire, loi relative à la mise en accusation des juges et loi relative aux mesures disciplinaires à l’encontre des juges.

Prévue par la loi relative aux mesures disciplinaires à l’encontre des juges et par la loi relative à la mise en accusation des juges.

Audition par une juridiction d’un degré supérieur à celle à laquelle appartient le juge concerné ; dans le cas de la procédure de mise en accusation, dont font l’objet les cas les plus graves, audition par la Cour de mise en accusation, composée de membres de la Diète.

Procédure disciplinaire : avertissement ou amende/la Procédure de mise en accusation : révocation.

LIECHTENSTEIN

ceux prévus par le statut des fonctionnaires

pas de procédure spécifique, ressemble à la procédure pénale

Cour supérieure pour juge ordinaire et Cour suprême pour juges supérieurs

réprimande, salaire temporairement réduit, démission

LITUANIE

manquement à ses devoirs de juge, violation flagrante de la loi, non respect des règles d'incompatibilité

Le Judicial Council ou le Président de la Cour peuvent initier une procédure disciplinaire

Commission d'Ethique et de Discipline du Judicial Council (composée de juges - élus ou nommés - et de représentants des autres pouvoirs) qui transmet le dossier à une Cour d'honneur qui, en cas de démission,  propose sa sanction au Président ou au Parlement

réprimande ou révocation

LUXEMBOURG

article 155 de la loi sur l'organisation judiciaire, définition large

articles 157 et suivants

article 156

MALTE

Constitution. Incapacité (physique ou mentale) à exercer ses fonctions ou faute particulièrement grave.

Article 971 de la Constitution, article 8 de la loi n° 41 de 1944.

Révocation par le Président [de la République] sur demande du Parlement (approuvée à la majorité des deux tiers des voix). Avant que cette mesure ne soit prise, l’affaire fait l’objet d’une enquête effectuée par la Commission d’administration de la justice lorsque l’on estime qu’il existe des charges sérieuses contre le juge.

révocation

MOLDOVA

Violation préméditée de la législation dans l'accomplissement de la justice, violation de la discipline, activité publique à caractère politique, violation des règles d'incompatibilités, la violation systématique ou grave du Code d'éthique.

Intentent une action disciplinaire : le Président de la Cour Suprême, le président du CSM, tout membre du CSM.

Collège disciplinaire du CSM

observation, semonce, licenciement

NORVEGE

projet de loi en cours pour mettre un terme à ce que les juges, comme tous les hauts fonctionnaires ne sont pas soumis à une procédure disciplinaire

une partie, un témoin ou un avocat qui aurait à se plaindre du  comportement d'un juge dans ses fonctions peut saisir le comité de discipline - la décision du comité peut être révisée par une cour ordinaire composée de juges non professionnels

comité composé de deux juges, un avocat et deux personnalités extérieures, tous nommés par le gouvernement

avertissement et réprimande seulement, la révocation prévue par la constitution pour des manquements graves et répétés fait l'objet d'un procès particulier prévu par la constitution

PAYS BAS

En cas de manquement peu grave du juge aux devoirs de sa charge ou aux règles de déontologie, le président du tribunal peut lui donner un avertissement. Si le juge est reconnu coupable d’un crime ou d’un délit et/ou s’il est condamné à une peine d’emprisonnement, s’il est déclaré en faillite ou juridiquement incapable et, plus généralement, s’il agit de telle manière que cela porte gravement atteinte à la justice ou à la confiance à l’égard du pouvoir judiciaire, la Cour suprême peut suspendre le juge ou le révoquer.

POLOGNE

manquements à la dignité de son office, non respect flagrant des règles de droit, infractions mineures

proche de la procédure pénale, les poursuites sont gérées par des juges élus pour cela, sur requête du Ministre, de la Cour suprême ou de tout chef de cour, du National Council of the Judiciary ou le procureur élu lui-même ; procès public, avec défenseur

cours disciplinaires différentes pour juridictions ordinaires administratives, militaires et cour suprême : première instance 3 juges, appel 7 juges

avertissement, réprimande, déplacement de fonctions - définitif ou simple transfert -, révocation

PORTUGAL

violation des devoirs professionnels, faits ou omissions en qualité de juge incompatibles avec la dignité indispensable à l'exercice de la fonction judiciaire (à des degrés divers conditionnant la sanction)

prévue par le statut des juges

Conseil Supérieur de la Magistrature avec recours devant la Cour Suprême

amende de 5 à 90 jours de rémunération, mutation, suspension de 20 à 240 jours, retraite d'office, révocation

REP SLOVAQUE

manquements aux règles disciplinaires prévues dans une loi de 2000 ou conséquences d'une condamnation pénale

Le ministre de la justice ou le Président de la Cour concernée sont compétents pour déclencher les poursuites

Cour disciplinaire

admonestation, réductions temporaires de salaires, suspension, révocation

REP TCHEQUE

manquements aux règles disciplinaires prévues dans une loi de 2002

Le Ministre de la justice ou le Président de la Cour concernée ou de la Cour supérieure décident des poursuites dans un délai de deux mois après la connaissance des faits qui ne doivent pas remonter à plus de deux ans.

Cour disciplinaire composée de cinq juges nommés par un Président de Cour désigné en accord avec le Judicial Council pour une période de trois ans, appel possible devant la Cour suprême.

Réprimande, réduction de salaire temporaire, suspension de fonctions de président, suspension des fonctions de juge.

ROUMANIE

fautes professionnelles et comportements portant atteinte aux intérêts de son service ou au prestige de la justice (retards dans le travail, absences, interventions pour intérêts personnels, ingérence dans le travail de magistrats, violation du secret)

poursuites engagées par le Ministère, enquête exercée par des juges de même rang, défense assurée par un magistrat

Conseil supérieur de la magistrature, puis en dernier ressort devant la Cour Suprême

réprimande, remontrance, baisse de salaire, arrêt de promotion, déplacement, suspension, révocation

ROYAUME UNI

Mauvaise conduite particulièrement grave

A l'initiative du Lord Chancellor et du Lord Chief Justice

Par la Reine sur demande des deux chambres du Parlement pour les hauts magistrats et par le Lord Chancellor pour les autres juges (mais dans tous les cas ces mesures ne seront pas prises sans obtenir un rapport judiciaire indépendant et sans le consentement du Lord Chief Justice)

révocation (extrêmement rare)

SLOVENIE

Cas très strictes prévus par la loi d'organisation judiciaire

Poursuites à l'initiative du Président de la Cour, puis application de la procédure pénale de droit commun

Cour disciplinaire composée d'un juge de la Cour suprême comme président et de quatre juges représentant les différents niveaux de cours.

déplacement, suspension de toute promotion, réduction de salaire, révocation.

SUISSE

Ne concerne pas la Suisse

TURQUIE

indifférence aux devoirs, mauvaise conduite, insultes en relation avec le travail, absences, retards, pertes de temps, atteinte portée à l'image de la justice, détournement de fonctions, manquement aux obligations administratives et ministérielles

Dépend du niveau hiérarchique, inspecteurs désignés par le ministre qui prend l'initiative des poursuites, respect des droits de la défense

Conseil supérieur des juges et procureurs (également compétent pour les nominations et la gestion des carrières)

avertissement, blâme, retard et arrêt de promotion, retenue sur salaire, déplacement d'office, démission

UKRAINE

violation flagrante de la loi, manquement à ses devoirs de juge et à ceux que cette fonction lui assigne dans sa vie privée.

comités disciplinaires

réprimande ou recommandation de révocation adressée au Haut Conseil sur la Justice



avis n° 4 (2003)

du conseil consultatif de juges europeens (ccje)

a l'attention du comite des ministres du conseil de l'europe

sur la formation initiale et continue appropriée des juges, aux niveaux national et européen

Introduction

1.         Au moment où l’on s’intéresse de plus en plus au rôle et à l’importance du pouvoir judiciaire, considéré comme ultime garant d’un fonctionnement démocratique des institutions, tant au sein des Etats que sur un plan européen et sur la scène internationale, la question des modalités de formation prévue à l’attention des futurs juges, avant leur prise de fonction, et de formation continue, prend un relief particulier (voir Avis du CCJE N° 1 (2001), paragraphes 10-13 et Avis N° 3 (2002), paragraphes 25 et 50.ix).

2.         L’indépendance de la justice confère à chaque juge de toute juridiction et de tout niveau des droits et leur impose des obligations éthiques. Parmi ces dernières, figure le devoir de s’acquitter des fonctions judiciaires avec professionnalisme et diligence, ce qui implique de la part du juge une compétence professionnelle forte, constituée, entretenue et développée au moyen de la formation à laquelle il a le devoir de se consacrer, mais à laquelle il a également droit.

3.         Une formation élaborée, approfondie et diversifiée des juges sélectionnés à l’issue des études juridiques complètes, est indispensable pour que ceux-ci exercent leur métier de manière compétente.

4.         Elle est aussi une garantie de leur indépendance et de leur impartialité, conformément aux exigences de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales.

5.         Elle est enfin une condition nécessaire pour que la justice soit respectée et respectable. La confiance des citoyens en la justice sera renforcée si les juges ont des connaissances approfondies et diversifiées qui s’étendent au-delà des domaines de la technique juridique à des domaines de grand intérêt social, s’ils présentent des qualités professionnelles et personnelles et s’ils font preuve de compréhension leur permettant de traiter des affaires et d’être en contact avec toutes les personnes concernées de manière appropriée et ouverte. Une formation est donc indispensable pour que les juges exercent leurs fonctions judiciaires de manière objective, impartiale et avec professionalisme, et pour les protéger contre les influences indues.

6.         Il existe une grande diversité entre les différents pays d’Europe pour ce qui est de la formation initiale et en cours d’emploi des juges. Ces différences peuvent être en partie liées à des caractéristiques particulières de différents systèmes judiciaires, mais à certains égards elles ne semblent pas être inévitables ou nécessaires. Certains pays proposent une formation institutionnalisée de longue durée dispensée dans un établissement spécialisé et suivie d’une formation continue intensive. D’autres prévoient une sorte d’apprentissage sous la tutelle d’un juge expérimenté qui dispense connaissances et conseils professionnels sur des exemples concrets, en montrant la marche à suivre et en évitant toute forme de didactisme. Les pays de common law comptent beaucoup sur une longue expérience professionnelle, communément en tant qu’avocats. Entre ces possibilités, il existe toute une variété de pays dans lesquels la formation est plus ou moins organisée et plus ou moins obligatoire.

7.         La formation devrait néanmoins, quelles que soient la diversité des systèmes institutionnels nationaux et les difficultés rencontrées dans certains Etats, être reconnue comme essentielle au regard de la nécessité d’améliorer non seulement les compétences des acteurs du service public de la justice mais également le fonctionnement même de ce service public.

8.         L’importance de la formation des magistrats est reconnue dans des textes internationaux tels que les principes fondamentaux de l’ONU relatifs à l’indépendance de la magistrature adoptés en 1985, et les textes du Conseil de l’Europe, adoptés en 1994 (Recommandation N° R (94) 12 sur l’indépendance, l’efficacité et le rôle des juges) et en 1998 (Charte européenne sur le statut des juges), et a été évoquée dans le paragraphe 11 de l’Avis N° 1 du CCJE.

I.          Droit à la formation et niveau auquel celui-ci devrait être garanti

9.         Les principes constitutionnels devraient garantir l’indépendance et l’impartialité du juge qui constituent sa légitimité. Pour leur part, les juges devraient veiller à maintenir un niveau élevé de compétences professionnelles (voir le paragraphe 50 (ix) de l’Avis n°3 du CCJE).

10.       Dans de nombreux pays, la formation des juges fait l’objet d’une réglementation particulière. Ce qui est essentiel, c’est l’inscription dans le statut des juges de la nécessité d’une formation; cette réglementation ne devrait pas définir dans le détail le contenu de la formation mais confier cette tâche à un organe spécifique qui aura en charge l’élaboration du programme de formation, son exécution ou le contrôle de son exécution.

11.       L’Etat a l’obligation de mettre à la disposition du pouvoir judiciaire ou d’un autre organe indépendant chargé de l’organisation et du contrôle de la formation tous les moyens nécessaires et de faire face à des frais encourus par les juges et par d’autres instances concernées.

12.       Le CCJE recommande en conséquence que les textes de chaque pays relatifs au statut des juges prévoient la formation du juge.

II.         L’autorité chargée de la formation

13.       La Charte européenne sur le statut des juges (paragraphe 2.3) précise que toute autorité chargée de veiller à la qualité du programme de formation doit être indépendante des pouvoirs exécutif et législatif et être composée au moins pour moitié de magistrats. L’exposé des motifs indique également que la formation des magistrats ne devrait pas se limiter à une formation juridique technique, mais devrait aussi tenir compte du fait que la nature de la fonction judiciaire nécessite souvent une intervention du juge dans des situations complexes et difficiles.

14.       Ces indications soulignent le caractère très important de l’indépendance et de la composition de l’autorité chargée de la formation et de son contenu. Il s’agit d’un corollaire au principe général de l’indépendance de la magistrature.

15.       La formation relève de l’intérêt public, et l’indépendance de l’autorité en charge de définir les programmes et de décider quelle formation devrait être dispensée devrait être préservée.

16.       Le pouvoir judiciaire devrait jouer un rôle majeur ou être lui-même chargé d’organiser et de contrôler la formation. A cette fin, dans la continuité des dispositions de la Charte européenne sur le statut des juges, le CCJE préconise que dans chaque Etat membre ces attributions soient confiées, non au ministère de la justice ou à une autre autorité relevant des pouvoirs législatif ou exécutif, mais au pouvoir judiciaire lui-même ou à un autre organe indépendant (y compris un Conseil supérieur de la magistrature). Les associations de juges peuvent également jouer un rôle important en encourageant et facilitant la formation, en travaillant de concert avec un organe judiciaire ou un autre organe indépendant qui en est directement responsable.

17.       Il importe cependant, pour clarifier les attributions de chacun, de ne pas confier directement à la même autoritéla charge de la formation et de la discipline des magistrats. Dans cette perspective, le CCJE recommande que, sous la responsabilité générale du pouvoir judiciaire ou d’un autre organe indépendant, la formation soit assurée par un établissement particulier bénéficiant d’un statut d’autonomie et doté de son propre budget, lui permettant de définir lui-même, en concertation avec les juges, les programmes de formation et d’en assurer la mise en œuvre.

18.       Les personnes chargées de la formation des juges ne devraient pas être, en outre, directement responsables de leur nomination ni de leur promotion. Si l’organe (par exemple un conseil supérieur de la magistrature) mentionné dans l’Avis n°1 du CCJE aux paragraphes 73 (3), 37 et 45 est compétent pour la formation et la nomination ou la promotion, une séparation claire devrait exister entre les sections de cet organe qui sont responsables de ces tâches.

19.       Pour soustraire l’établissement aux influences extérieures inappropriées, le CCJE recommande que le personnel de direction et les formateurs de cet établissement soient nommés par le pouvoir judiciaire ou un autre organe indépendant chargé d’organiser et de contrôler la formation.

20.       Il importe que la formation soit assurée par des juges et par des experts dans chaque discipline. Les formateurs devraient être choisis parmi les meilleurs de leurs professions et sélectionnés avec soin par l’autorité en charge de la formation tant pour leur connaissance des matières enseignées que pour leur aptitude à la pédagogie.

21.       Lorsque des juges sont chargés des activités de formation, il importe que ces juges conservent un contact avec la pratique juridictionnelle.

22.       La méthodologie de la formation devrait être définie ou renouvelée par l’autorité en charge de la formation, qui devra, en outre, organiser des rencontres périodiques des formateurs destinées à confronter leurs expériences et perfectionner leurs pratiques professionnelles.

III.         La formation initiale

a.         La formation doit-elle être obligatoire ?

23.       Si l’obligation de formation est évidente lorsque les juges sont recrutés au début de leur carrière professionnelle, la question de sa nécessité se pose lorsque le choix du juge s’opère parmi les meilleurs juristes bénéficiant d’une grande expérience, comme (par exemple) dans les pays de common law.

24.       De l’avis du CCJE, une formation initiale doit être envisagée pour les deux groupes de juges : l’exercice des fonctions judiciaires constitue, en effet, pour tous une nouvelle profession, comportant une approche particulière dans de nombreux domaines, notamment ceux de la déontologie du juge, de la procédure, des relations avec toutes les personnes impliquées dans les procédures judiciaires.

25.       Il importe, en revanche, de tenir compte des spécificités des modes de recrutement pour cibler et adapter les programmes de formation de manière appropriée, les juristes expérimentés devant recevoir exclusivement celle requise par leur nouvelle profession. Dans certains petits pays avec une magistrature restreinte, les opportunités de formation locale peuvent être plus limitées et non officielles, mais ces pays-là peuvent bénéficier d’opportunités de formation partagées avec d’autres pays.

26.       Le CCJE recommande, en conséquence,  une formation initiale obligatoire avec des programmes adaptés à l’expérience professionnelle des candidats retenus.

b.         Le programme de la formation initiale

27.       Selon le mode de recrutement des juges choisi, le programme et l’intensité de la formation initiale requise diffèrent profondément. La formation ne devrait pas comporter uniquement une initiation aux techniques de traitement des litiges par les juges mais devrait aussi prendre en considération le besoin d’une sensibilité sociale et d’une compréhension étendue de différentes disciplines rendant compte de la complexité de la vie en société. En outre, l’ouverture des frontières signifie que les futurs juges devront être conscients qu’ils sont des juges européens et donc être plus informés des questions européennes.

28.       Tenant compte de la diversité des systèmes applicables à la formation des juges en Europe, le CCJE recommande :

i.              que tous les candidats retenus aux fonctions judiciaires bénéficient ou acquièrent avant d’entrer en fonction des connaissances juridiques étendues dans les domaines du droit substantiel national et international ainsi que de la procédure ;

ii.             que les programmes de formation plus spécifiques à l’exercice de la profession de juge soient déterminés par l’établissement en charge de la formation, les formateurs et les juges eux-mêmes ;

iii.            que ces programmes théoriques et pratiques ne soient pas limités aux  techniques du domaine purement juridique mais comportent également une formation à l’éthique ainsi qu’une ouverture sur d’autres domaines pertinents pour les activités judiciaires, comme par exemple la gestion des affaires et l’administration des tribunaux, les technologies de l’information, les langues étrangères, les sciences sociales et les modes alternatifs de solution des litiges ;

iv.            que la formation soit pluraliste afin de garantir et renforcer l’ouverture d’esprit du juge ;

v.             qu’en fonction de l’existence et de la durée d’une expérience professionnelle antérieure, la formation ait une durée significative afin d’éviter son caractère purement formel.

29.       Le CCJE recommande la pratique consistant à assurer une période de formation commune aux différentes professions juridiques et judiciaires (par exemple les avocats, les procureurs pour les pays où ceux-ci exercent des fonctions séparées de celles des juges). Cette pratique est en effet de nature à favoriser une meilleure connaissance et compréhension réciproque entre les juges et d’autres professions.

30.       Le CCJE a constaté aussi que de nombreux pays subordonnaient l’accès aux fonctions judiciaires à une expérience professionnelle antérieure. S’il n’apparaît pas possible d’imposer à tous un tel modèle et si l’adoption d’un système mêlant différents types de recrutement peut aussi présenter l’avantage de la diversité de l’origine des juges, il importe que la période de formation initiale comporte, pour les candidats issus de l’université, des stages d’une durée significative dans le milieu professionnel (avocats, entreprises, etc…).

IV.        La formation continue

31.       Indépendamment des connaissances de base qu’ils doivent acquérir avant leur entrée en fonction, les juges sont « condamnés à perpétuité à étudier et à apprendre » (voir rapport de R. Jansen « Comment préparer les magistrats à devenir des juges compétents en 2003 ? », doc. CCJE-GT (2003) 3).

32.       Cette formation continue est rendue indispensable, non seulement par l’évolution du droit, des techniques et des connaissances requises pour l’exercice des fonctions judiciaires, mais aussi par la possibilité offerte dans de nombreux pays aux magistrats de découvrir, à l’occasion d’un changement de fonctions, de nouvelles responsabilités. Les programmes de formation continue devraient donc offrir la possibilité de formation dans le cas des changements de carrière, comme le passage d’un tribunal pénal à un tribunal civil ; la prise en charge d’une juridiction spécialisée (tribunal de famille, pour enfants, social) et la prise en charge d’un poste comme la présidence d’une chambre ou d’un tribunal. Un tel changement de fonction pourrait être subordonné au suivi d’un programme de formation approprié.

33.       S’il apparaît indispensable d’organiser une formation continue, puisque la société a le droit à avoir un juge bien formé, encore faut-il assurer la diffusion dans le corps judiciaire d’une culture de formation.

34.       Il est irréaliste de rendre en toutes hypothèses obligatoire la formation continue. On peut craindre, en effet, qu’elle prenne dans ce cas un caractère bureaucratique et purement formel. La formation proposée devrait être attractive pour convaincre les juges d’y participer, le volontariat étant la meilleure garantie de l’efficacité de cette formation. Cela devrait également être facilité par la nécessaire conscience, en tout juge, de l’existence d’une obligation déontologique à l’entretien et au renouvellement des connaissances.

35.       Le CCJE encourage aussi, dans le cadre de la formation continue, la collaboration avec d’autres organismes professionnels responsables de la formation continue dans le domaine juridique portant sur des questions d’intérêt commun (par exemple, une nouvelle législation).

36.       Il souligne, en outre, l’opportunité d’organiser la formation judiciaire continue de telle sorte que celle-ci englobe tous les niveaux du pouvoir judiciaire. Chaque fois que c’est possible, ces derniers devraient être représentés aux mêmes sessions, ce qui leur fournira l’occasion d’échanger des vues entre eux. Cela contribuera à briser les tendances hiérarchiques, à tenir tous les niveaux du pouvoir judiciaire au courant des difficultés et préoccupations de chacun d’eux ainsi qu’à promouvoir une cohésion et une cohérence accrue dans l’ensemble de ce pouvoir.

37.      Le CCJE recommande en conséquence :

i.          que la formation continue devrait normalement être fondée sur le volontariat des juges ;

ii.          que, par exception, une formation continue pourrait être imposée en certaines circonstances, un exemple en pourrait être (si le pouvoir judiciaire ou un autre organe responsable en a décidé ainsi) quand un juge accepte un nouveau poste ou un type de travail ou de fonction différent ou de fonctions particulières, ou en cas de changements fondamentaux de la législation ;

iii.            que les programmes de formation devraient être définis sous l’autorité d’un organe judiciaire ou autre chargé de la formation initiale et continue ainsi que par les formateurs et les juges eux-mêmes ;

iv.            que ces programmes, mis en œuvre sous l’autorité du même organe, devraient être axés sur des questions juridiques et sur d’autres questions relatives aux fonctions exercées par les juges et répondre aux besoins des ceux-ci (voir paragraphe 27 ci-dessus);

v.             que les juridictions elles-mêmes devraient inciter leurs membres à suivre des stages de formation continue ;

vi.            que les programmes devraient s’attacher à et promouvoir un environnement dans lequel les membres des différents secteurs et niveaux des juridictions puissent se rencontrer et échanger leurs expériences et réaliser des idées communes ;

vii.           que, alors que la formation est pour le juge un devoir déontologique, il est également du devoir des Etats membres de mettre à la disposition des magistrats les ressources financières, le temps et les autres moyens nécessaires à la formation continue.

V.         Evaluation de la formation

38.       Afin d’améliorer constamment la qualité de la formation des magistrats, l’organe responsable de cette formation devrait contrôler régulièrement les programmes et les méthodes. A ces fins, l’avis des participants aux formations est d’une grande importance et devrait être sollicité par des moyens appropriés (par exemple des questionnaires, des entretiens, etc).

39.       S’il est certain que les prestations des formateurs devraient être contrôlées, l’évaluation des performances des participants aux formations judiciaires et l’utilisation de ces évaluations sont beaucoup plus discutables. La formation continue des juges ne peut porter ses fruits que lorsque leur participation aux programmes de formation est libre et n’est pas influencée par des considérations de carrière.

40.       Le CCJE estime que, dans les pays qui recrutent leurs juges au début de leur carrière professionnelle, une évaluation des résultats de la formation initiale est nécessaire, afin d’assurer les nominations des candidats les plus appropriés au fonctions judiciaires. En revanche, dans les pays qui choisissent leurs juges parmi des praticiens expérimentés, des méthodes objectives d’évaluation précèdent la nomination et la formation n’intervient qu’après que le candidat a été retenu. Dans ces pays l’évaluation au cours de la formation initiale n’est donc pas appropriée.

41.       Il importe néanmoins que, pour les candidats soumis à évaluation, ceux-ci bénéficient de garanties légales les préservant de l’arbitraire dans l’évaluation de leur travail. En outre, pour les Etats organisant une nomination provisoire des juges, l’éviction de ceux-ci à l’issue de la période de formation implique le respect des garanties applicables au juge lorsque la cessation de ses fonctions est envisagée.

42.       Au vu de ce qui précède, le CCJE recommande :

i.              que les programmes et méthodes de formation soient contrôlés régulièrement par les organes responsables de la formation judiciaire ;

ii.             que les performances des juges dans le cadre de la formation ne soient, en principe, pas soumises à une évaluation qualitative, leur participation en tant que telle à cette formation pouvant cependant être prise en compte dans leur évaluation professionnelle ;

iii.            que les performances des participants aux programmes de formation soient, néanmoins, évaluées dans les systèmes où la formation initiale fait partie intégrante du processus de recrutement.

VI.        La formation européenne des juges

43.       Quelle que soit la nature de ses fonctions, aucun juge ne peut ignorer le droit européen, qu’il s’agisse de la Convention européenne des Droits de l’Homme ou d’autres conventions du Conseil de l’Europe, ou, le cas échéant, de celui du Traité de l’Union Européenne et des textes qui en sont dérivés, puisqu’il est tenu de l’appliquer directement aux litiges dont il a la charge.

44.       Pour promouvoir cette dimension essentielle de la fonction de juge, le CCJE estime que les Etats membres, après avoir renforcé l’étude du droit européen dans les universités, devraient promouvoir son inclusion dans les programmes de formation initiale et de formation continue proposés aux juges, en faisant référence tout particulièrement à leurs applications pratiques dans le travail quotidien.

45.       Il préconise également le renforcement du réseau européen d’échange d’informations entre les personnes et entités chargées de la formation des juges (Réseau de Lisbonne), qui assure la promotion de la formation aux questions d’intérêt commun et au droit comparé, cette formation s’adressant aussi bien aux formateurs qu’aux juges eux-mêmes. Le fonctionnement de ce Réseau ne peut être efficace que si chaque Etat membre lui accorde son soutien, notamment en établissant un organe chargé de la formation des juges, comme indiqué dans la partie II ci-dessus, et au moyen d’une coopération paneuropéenne dans ce domaine.

46.       Le CCJE estime en outre que la coopération avec d’autres initiatives visant le rapprochement des institutions chargées de formation des juges en Europe, en particulier avec le Réseau européen de formation judiciaire, pourrait contribuer efficacement à une meilleure coordination et à l’harmonisation des programmes et des méthodes de formation des juges sur tout le continent.



avis n° 5 (2003)

du conseil consultatif de juges europeens (ccje)

a l'attention du comite des ministres du conseil de l'europe

sur les règles et pratiques relatives aux nominations à la Cour europeenne des droits de l’homme

1.         Le CCJE, lors de sa 4e réunion tenue à Strasbourg du 24 au 28 novembre 2003, a pris note du rapport daté de mai 2003 du Centre International pour la protection juridique des droits humains (« Interights ») sur les « Règles et pratiques relatives aux nominations à la Cour européenne des Droits de l’Homme ».

2.         Le CCJE se félicite des conclusions et recommandations contenues dans ce rapport. Il considère qu’elles représentent un progrès important vers la mise en œuvre des recommandations contenues dans son Avis N° 1 (2001) sur les normes relatives à l’indépendance et l’inamovibilité des juges, qu’il souhaite réaffirmer, notamment en ce qui concerne :

  (a)        la procédure de nomination des juges des tribunaux internationaux, le paragraphe 56 de l’Avis spécifiant:

          « Le CCJE s'accorde à reconnaître qu'en raison de l'importance pour les systèmes juridiques nationaux et pour les juges des obligations résultant des traités internationaux comme la Convention européenne des Droits de l’Homme et les traités de l'Union européenne, il est essentiel que la nomination et la reconduction des juges aux instances qui interprètent ces traités bénéficient de la même confiance et respectent les mêmes principes que les systèmes juridiques nationaux. Le CCJE  convient ensuite que l’intervention de l’autorité indépendante mentionnée dans les paragraphes 37 et 45 devrait être encouragée dans les cas de la nomination et de la reconduction des juges des tribunaux internationaux. Le Conseil de l'Europe et ses institutions sont en bref fondés sur la croyance en des valeurs communes supérieures à celles des différents Etats membres. Cette croyance a déjà eu des effets pratiques considérables. Ce serait revenir sur ces valeurs et sur les avancées réalisées pour les préciser et les appliquer si l'on n'insistait pas sur leur application à l'échelle internationale. »

            Les paragraphes 37 et 45 de l’Avis N° 1 (2001) recommandent l’intervention d’une autorité indépendante composée dans une grande mesure de représentants des juges pour toutes les nominations de juges.

            (b)        l’exercice de la fonction, en particulier les paragraphes 57 et 52 spécifiant :

            « Selon un grand principe de l'indépendance judiciaire, l'exercice de la fonction occupée par un juge doit être garanti jusqu'à l'âge légal de la retraite ou l'expiration du mandat confié pour la durée déterminée. »

            « Le CCJE estime que lorsqu'à titre exceptionnel, un poste de juge à plein temps est attribué pour une durée limitée, la nomination ne doit pas être renouvelable sauf s'il y a une procédure garantissant que :

            i.          l'organe de nomination examine la demande de reconduction du juge si celui-ci le souhaite et

            ii.         la décision de reconduction est prise en toute objectivité et au mérite, sans que des considérations politiques n'entrent en ligne de compte. »

3.       Les critères objectifs pour la nomination d’un juge à la Cour européenne des Droits de l’Homme sont fixés à l’Article 21 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales qui précise :

            « Les juges doivent jouir de la plus haute considération morale et réunir les conditions requises pour l’exercice de hautes fonctions judiciaires ou être des jurisconsultes possédant une compétence notoire. »

4.         Le CCJE, dont les membres sont des juges représentant les 45 Etats membres du Conseil de l’Europe, souligne l’importance fondamentale qu’il attache à la nécessité que les juges nommés à la Cour Européenne des Droits de l’Homme non seulement répondent à ces critères mais soient les meilleurs candidats possibles pour ces postes. Il y va de l’intégrité et de la réputation de la Cour et aussi de la Convention.



avis n° 6 (2004)

du conseil consultatif de juges europeens (ccje)

a l'attention du comite des ministres du conseil de l'europe

sur le procès équitable dans un délai raisonnable et le rôle des juges dans le procès, en prenant en considération les modes alternatifs de règlement des litiges

INTRODUCTION

1.         Depuis quelques années, la gestion des procédures par les tribunaux en Europe évolue vers une meilleure prise en considération des intérêts des justiciables. L’attention des praticiens s’est tournée vers les moyens de répondre aux attentes du public selon lesquelles toute personne qui cherche à obtenir justice doit bénéficier non seulement d’un meilleur accès à l’institution, mais aussi d’une efficacité renforcée des procédures mises en œuvre et de garanties plus sérieuses d’exécution des décisions rendues.

2.         L’instrument essentiel de cette évolution est la Convention européenne des Droits de l’Homme (ci-après la CEDH), avec la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme (ci-après la Cour) prise pour l’interprétation et l’application de ses dispositions.

3.         En particulier, grâce à l’Article 6 de la CEDH, on assiste actuellement à l’apparition d’un fonds procédural commun aux différents Etats européens et à l’émergence de principes généraux destinés, au delà de la diversité et de la richesse des systèmes nationaux, à garantir le droit d’accès à un tribunal, le droit d’obtenir une décision dans un délai raisonnable à l’issue d’une procédure loyale et équitable ainsi que celui de parvenir à l’exécution du jugement rendu.

4.         Le droit à un procès équitable tend à devenir pour les citoyens de l’Europe un véritable droit effectif, dont la Cour et, à sa suite, les juridictions nationales assurent la mise en œuvre, par exemple par l’indemnisation des justiciables dont la cause n’a pas été jugée dans un délai raisonnable.

5.         Depuis de nombreuses années, le Conseil de l’Europe a manifesté un souci constant d’améliorer l’accès du public à la justice, comme en attestent les diverses Résolutions ou Recommandations qu’il a adoptées sur l’assistance judiciaire, la simplification des procédures, la réduction des coûts du procès, le recours aux nouvelles technologies, la réduction de la surcharge des tribunaux et les modes alternatifs de règlement des litiges.

6.         La Cour assure le respect par les différents Etats des prescriptions de l’Article 6 de la CEDH, notamment lorsqu’elle rappelle que les Etats ne peuvent porter atteinte en droit ou en fait à la possibilité offerte à toute personne souhaitant introduire une action en justice d’avoir accès à un tribunal et d’obtenir une reconnaissance effective de ses droits.

7.         Le Conseil Consultatif de Juges Européens (CCJE) s’est interrogé sur les conditions dans lesquelles le juge peut participer à cet effort entrepris pour assurer l’accès à un règlement rapide et efficace des litiges.

8.         Il rappelle que la 1ère Conférence européenne des juges sur «  Le rôle des juges dans le règlement précoce des litiges », tenue au Conseil de l’Europe les 24 et 25 novembre 2003, avait déjà permis de démontrer que, quels que soient l’intérêt et l’utilité des mesures alternatives comme la médiation ou la conciliation, la confiance dans l’institution judiciaire demeure un élément essentiel des sociétés démocratiques.

9.         Il importe donc de faire en sorte que le citoyen sache qu’en  s’adressant  à la justice, il sera en présence d’une institution efficace.

10.       Dans ce contexte, le présent Avis s’articule autour des questions d’accès à la justice (A), la qualité du système judiciaire et son évaluation - données statistiques quantitatives -procédures de suivi (B), la charge de travail et le gestion des affaires (C) et des modes alternatifs de règlement des litiges (D), en soulignant le rôle du juge dans la mise en œuvre des principes définis par la CEDH et la jurisprudence de la Cour.

A.         ACCES A LA JUSTICE

11.       L’accès du public à la justice suppose que des informations appropriées soient diffusées sur le fonctionnement des systèmes judiciaires.

12.       Le CCJE estime que toutes les initiatives permettant la diffusion de telles informations devraient être encouragées.

13.       Le public devrait notamment être éclairé sur la nature des procédures pouvant être engagées, leur durée prévisible, leur coût et les risques encourus en cas d’abus dans l’exercice des voies de droit. L’information sur les modes alternatifs de règlement des litiges à la  disposition des parties devrait être également assurée.

14.       Cette information générale du public peut s’accompagner d’informations plus précises, portant en particulier sur certaines décisions importantes rendues par des juridictions et sur les délais de traitement des affaires dans des tribunaux déterminés.

15.       Les informations relatives au fonctionnement du système judiciaire peuvent émaner de diverses sources, par exemple des ministères de la justice (éditions de brochures d’informations, sites Internet, etc.), des services sociaux, des services publics de consultations juridiques organisées par des associations d’avocats et par d’autres instances.

16.       Les juridictions elles-mêmes, notamment lorsqu’elles comportent des services chargés des relations publiques, devraient participer à la diffusion de l’information. Parmi les modes pertinents de diffusion de l’information, on peut également citer les sites Internet ouverts par certains tribunaux.

17.       Le CCJE recommande de développer les programmes éducatifs incluant une description du système judiciaire et proposant des visites dans les juridictions. Il estime également nécessaire de publier des guides du citoyen permettant aux justiciables de mieux comprendre le fonctionnement des institutions judiciaires, tout en les informant aussi sur leurs droits procéduraux devant les tribunaux. Il recommande enfin la généralisation de l’usage des technologies informatiques pour prodiguer aux citoyens le même type d’informations sur le fonctionnement des juridictions, les modes d’accès à la justice, les principales décisions rendues et les résultats statistiques des tribunaux.

18.       Le CCJE ne peut qu’encourager l’adoption de formes simplifiées et standardisées pour les documents juridiques nécessaires à l’engagement et à la poursuite des actions judiciaires. Cette simplification est particulièrement utile pour les petits litiges, pour ceux impliquant des consommateurs, ainsi qu’aux instances dans lesquelles l’établissement des points de droit et de fait ne soulève guère de difficultés (liquidation de dettes). Il recommande également de développer la technologie permettant aux justiciables de disposer par la voie informatique des documents requis pour engager une action en justice et mettant directement en relation les justiciables ou leurs représentants et les tribunaux.

19.       Le CCJE recommande enfin que les plaideurs soient complètement informés, par les avocats et les tribunaux, avant même l’engagement de la procédure, sur la nature et le montant des coûts qu’ils auront à supporter, et qu’une indication leur soit fournie sur la durée prévisible de la procédure jusqu’au jugement.

20.       Dans son Avis N° 2 (2001), paragraphe 9, le CCJE a indiqué qu’il était important que les systèmes judiciaires disposent de ressources financières suffisantes pour pouvoir fonctionner. La question qui se pose est celle de savoir dans quelle mesure les parties, ou toute autre personne présente au procès, peuvent ou doivent être appelées à participer à leur financement par le biais des frais de justice. Le CCJE estime que le système judiciaire ne devrait pas entraver, par des coûts excessifs, l’accès à la justice. Un système de justice efficace profite à tous, et non pas seulement à ceux qui se retrouvent impliqués dans une procédure judiciaire. Ce sont le fonctionnement harmonieux des tribunaux et l’efficacité des jugements qu’ils rendent qui attestent de l’existence d’un Etat de droit, et cela permet à chacun d’organiser et de mener ses affaires en toute sécurité et en toute confiance.

21.       Un système d’assistance judiciaire devrait être organisé par l’Etat pour permettre à toute personne de bénéficier d’un accès à la justice. Cette aide devrait couvrir non seulement les frais de la procédure, mais aussi les conseils juridiques relatifs à l’opportunité ou à la nécessité d’engager un recours en justice. Elle ne devrait pas être réservée aux personnes les plus démunies mais devrait pouvoir aussi être accordée, au moins partiellement, à celles qui disposent de revenus moyens insuffisants pour leur permettre de supporter seules le coût d’un procès.

22.       Ce système d’aide judiciaire partielle permet d’augmenter le nombre de bénéficiaires tout en assurant un certain équilibre entre l’obligation des autorités de faciliter l’accès à la justice et la responsabilité individuelle. Le CCJE estime qu’un juge ou une autre autorité judiciaire devrait pouvoir prendre part aux décisions concernant l’octroi de l’aide. Si l’autorité chargée de statuer doit pouvoir rejeter une demande d’aide judiciaire lorsque l’action envisagée apparaît manifestement irrecevable ou mal fondée, il est alors indispensable, en cas d’engagement de l’action en justice par le justiciable débouté de sa demande d’aide, que le juge ayant participé à la décision de rejet s’abstienne de juger l’affaire pour se conformer à l’obligation d’impartialité objective de l’Article 6 de la CEDH.

23.       Le CCJE estime que l’assistance judiciaire devrait faire l’objet d’un financement public et devrait faire l’objet d’un budget particulier, afin que les frais correspondants ne soient pas imputés sur le budget de fonctionnement des tribunaux.

24.       L’assistance des parties par un avocat est un élément important de l’accès des plaideurs à la justice.

25.       Le CCJE constate que dans certains Etats, l’intervention d’un avocat au cours de la procédure n’est pas nécessaire. D’autres Etats distinguent selon l’importance financière, la nature du litige ou de la procédure. Le droit pour un justiciable de se défendre en justice en personne ou par le représentant de son choix apparaît particulièrement adapté aux procédures simplifiées, aux litiges d’intérêt financier mineur et aux affaires impliquant des consommateurs.

26.       Néanmoins, même pour les litiges a priori dispensés du ministère d’avocat, le CCJE estime nécessaire de prévoir que le juge puisse, à titre exceptionnel, imposer l’intervention de cet auxiliaire de justice si l’affaire présente des difficultés particulières ou s’il existe un risque important d’atteinte à la défense. La représentation par avocat devrait alors s’accompagner d’un système d’assistance judiciaire efficace.

27.       La Résolution (78) 8[26] indique (paragraphe 1 de l’annexe) que « nul ne doit être empêché par des obstacles de caractère économique de faire valoir ou de défendre ses droits (…) ».

28.       Il faut néanmoins veiller à ce que le mode de fixation de la rémunération des auxiliaires de justice n’encourage pas l’accomplissement d’actes de procédure superflus. Il faut aussi prévoir, dans la continuité de la Recommandation N° R (84) 5[27] (principes 2-1 de l’annexe), la sanction des abus de procédure.

29.       L’assistance judiciaire n’est pas le seul moyen susceptible de favoriser l’accès à la justice. Parmi les autres moyens pouvant être mis en œuvre à cette fin, on peut citer par exemple l’assurance pour frais judiciaires, couvrant les frais judiciaires propres d’une partie et/ou tout montant dû à l’autre partie en cas de perte du procès.

30.       Le CCJE n’entend pas, en revanche, développer dans le cadre du présent avis certaines autres modalités d’accès à la justice, notamment le système des honoraires conditionnels ou le système des frais fixes.

B.         LA QUALITE DU SYSTEME JUDICIAIRE ET SON EVALUATION – DONNEES STATISTIQUES QUANTITATIVES – PROCEDURES DE SUIVI

31.       Le service de la justice n’englobe pas uniquement le travail des juges et des autres professionnels du droit, mais aussi un certain nombre d’activités menées au sein des institutions judiciaires par des agents gouvernementaux et des particuliers; le fonctionnement de ce service repose en grande partie sur les infrastructures judiciaires (bâtiments, équipements, personnel d’assistance, etc.). La qualité du système judiciaire dépend donc à la fois de la qualité des infrastructures, qui peut être mesurée à l’aide de critères ressemblant à ceux qui s’appliquent à d’autres services publics, et de l’aptitude des professionnels du droit (juges, mais aussi avocats, procureurs et greffiers). Même aujourd’hui, le travail de ces professionnels ne peut être évalué que par rapport aux seuls repères du droit et de la pratique et de la déontologie professionnels ou judiciaires.

32.       Etant donné, toutefois, que dans la plupart des pays, la demande croissante de justice se heurte aux restrictions budgétaires subies par le système judiciaire, la théorie et la pratique indiquent la possibilité d’évaluer la qualité de l’activité judiciaire en s’intéressant aussi à son efficacité sociale et économique, au moyen de critères parfois analogues à ceux employés pour d’autres services publics.

33.       Le CCJE note que plusieurs problèmes se posent lorsqu’on applique à la justice des critères d’évaluation ne tenant pas compte de ses spécificités. Bien que des considérations analogues puissent s’appliquer aux activités d’autres professionnels du droit, le CCJE a limité son examen aux implications d’une telle approche pour l’activité judiciaire.

34.       Le CCJE souligne fermement, tout d’abord, que l’évaluation de la « qualité » de la justice (c’est-à-dire le travail fourni par le système judiciaire dans son ensemble ou par chaque tribunal ou groupe local de tribunaux) ne devrait pas être confondue avec l’appréciation des capacités professionnelles de tel ou tel juge. L’appréciation professionnelle des juges, notamment celle qui est censée aboutir à des décisions importantes pour leur statut ou leur carrière, est une tâche qui a d’autres objets et doit être accomplie en fonction de critères objectifs, avec toutes les garanties d’indépendance judiciaire voulues (voir Avis N° 1 (2001) du CCJE, en particulier paragraphe 45).

35.       Or, la pratique de certains pays fait apparaître un chevauchement, que le CCJE estime inapproprié, entre l’évaluation qualitative de la justice et l’appréciation professionnelle des juges. La manière dont les statistiques sont collectées reflète ce chevauchement. Certains pays établissent des statistiques pour chaque juge, et d’autres pour chaque tribunal. Dans l’un et l’autre cas, on tient probablement compte du nombre d’affaires traitées, mais le premier système attache ce nombre à des individus. Les systèmes reposant sur une appréciation statistique des juges dénombrent généralement aussi les appels gagnés contre les décisions de ces juges.

36.       Certains pays considèrent le pourcentage de décisions réformées en appel comme un indicateur. Une évaluation objective de la qualité des décisions judiciaires peut être l’un des éléments de l’appréciation professionnelle d’un juge (mais même dans ce contexte, il faudrait tenir compte du principe de l’indépendance de chaque juge à l’intérieur du système judiciaire, et du fait que la réformation d’une décision en appel est une issue judiciaire parmi d’autres, et non pas le signe d’une faute professionnelle de la part du juge de première instance). Cependant, le CCJE estime qu’il est inapproprié de faire de la proportion de décisions réformées en appel le seul indicateur ou un indicateur nécessairement important pour évaluer la qualité de l’activité judiciaire. Parmi les aspects qui pourraient être examinés par rapport à ce problème, le CCJE souligne une spécificité du système judiciaire fondé sur des « procédures »: la qualité de l’issue d’une affaire dépend beaucoup de la qualité des phases procédurales antérieures (engagées par la police, le ministère public, les avocats ou les parties), ce qui rend impossible d’évaluer l’activité judiciaire sans évaluer chaque contexte procédural.

37.       Les mêmes remarques valent pour d’autres systèmes dans lesquels une certaine évaluation est possible pour les décisions des juges, au moyen de méthodes autres que le décompte des décisions réformées.

38.       Dans certains pays, on évalue la qualité de la justice par la collecte de données qui servent à mesurer le travail de chaque tribunal à partir des éléments suivants : le temps qu’il lui faut en moyenne pour traiter une affaire, le nombre d’affaires qu’il laisse en souffrance, l’effectif du personnel d’assistance, les aspects quantitatif et qualitatif des infrastructures (en particulier les bâtiments et l’informatique), etc.

39.       Cette formule est en principe acceptable, car elle tend à évaluer le « travail » de la justice dans un sens plus large. Mais il faut bien voir que l’approche plus correcte, de l’avis du CCJE, consisterait à évaluer la justice dans un contexte encore plus vaste, c'est-à-dire dans ses interactions avec d’autres variables (juges et avocats, justice et police, jurisprudence et législation, etc.), car la plupart des dysfonctionnements de l’appareil judiciaire viennent d’un manque de coordination entre les divers acteurs. De l’avis du CCJE, il est également essentiel de souligner le lien entre la qualité de la justice et la présence de personnel d’assistance et d’infrastructures de qualité.

40.       Même si l’informatique permet aujourd’hui la collecte de données très complexes, il reste la difficulté de savoir quelles variables sont à mesurer et comment et par qui les résultats doivent être interprétés.

41.       S’agissant des données à collecter, il n’existe à l’heure actuelle aucun critère universellement accepté. Cela tient à ce que le système judiciaire diffère beaucoup des tâches purement administratives caractérisant d’autres services publics, où la mesure à l’aide d’indicateurs s’est développée et peut être efficace. Par exemple, le fait qu’un tribunal met en moyenne plus de temps qu’un autre à traiter une affaire ou qu’il en laisse un plus grand nombre en souffrance ne signifie pas forcément que ce tribunal est moins efficace.

42.       Quels que puissent être les faits nouveaux en la matière, le CCJE estime que la « qualité » de la justice ne devrait pas être considérée comme synonyme de la simple « productivité » du système judiciaire ; mieux vaut adopter une démarche qualitative consistant à évaluer l’aptitude du système à répondre à la « demande de justice », conformément aux buts généraux du système judiciaire, sachant que la rapidité des procédures n’est que l’un de ces buts.

43.       Le CCJE recommande que, vu l’impossibilité actuelle de s’en remettre à des critères largement admis, les indicateurs de qualité soient du moins choisis sur la base d’un large consensus entre professionnels du droit. Il serait bon, à cet égard, que l’organisme indépendant d’autogestion de la magistrature joue un rôle central dans le choix et la collecte de données « qualitatives », l’élaboration de la procédure de collecte des données, ainsi que l’évaluation des résultats et leur diffusion en retour à chacun des acteurs concernés, en toute confidentialité, et au grand public ; ainsi seraient conciliées la nécessité d’une évaluation qualitative et celle du respect de l’indépendance judiciaire par les indicateurs et évaluateurs.

44.       D’ordinaire, les données statistiques sont collectées par les tribunaux et adressées à l’autorité centrale, qui peut être la Cour suprême, le Conseil supérieur de la magistrature, le ministère de la Justice ou l’administration judiciaire nationale. Les greffiers peuvent jouer un rôle important dans la collecte quotidienne de données. Il est arrivé que des agences privées prennent part à l’identification d’indicateurs de qualité et à l’élaboration d’un système de contrôle de la qualité.

45.       La publication de données statistiques relatives aux affaires traitées et pendantes de chaque tribunal, qui se pratique dans certains Etats, constitue un pas de plus vers la transparence en matière de charge de travail. Il conviendrait d’étudier des formules appropriées pour la communication d’informations – même réservées – aux chercheurs et aux tribunaux concernés, pour permettre d’apporter des améliorations au système.

46.       Ce n’est que rarement que l’autorité centrale chargée de rassembler les données procède à un suivi constant. Et encore ce suivi n’a-t-il pas toujours un effet direct et immédiat sur l’organisation des tribunaux ou la répartition des ressources humaines et matérielles.

47.       Le CCJE estime, d’une part qu’il est dans l’intérêt de la justice que la collecte et le suivi des données se fassent de façon régulière, d’autre part que des procédures appropriées autorisent une adaptation rapide de l’organisation des tribunaux à l’évolution de leur volume de travail.[28] Pour concilier la satisfaction de cet impératif avec les garanties d’indépendance de la magistrature (à savoir le principe d’inamovibilité des juges et l’interdiction de dessaisir un juge d’une affaire), il semble opportun au CCJE que l’organisme indépendant dont il est question aux paragraphes 37 et 45 de son Avis N° 1 (2001) soit l’autorité compétente pour la collecte et le suivi des données ; et si un autre organisme a compétence pour accomplir ces tâches, l’Etat devrait veiller à ce que celles-ci restent dans le domaine public afin de préserver les intérêts politiques pertinents liés au traitement des données à caractère judiciaire. L’organisme indépendant devrait néanmoins être habilité à prendre les mesures nécessaires pour adapter l’organisation des tribunaux à l’évolution de leur volume de travail.

48.       Une coopération harmonieuse devrait se mettre en place entre tous les acteurs en ce qui concerne l’interprétation et la diffusion des données.

C.         CHARGE DE TRAVAIL ET GESTION DES AFFAIRES

49.       La présente section porte sur les mesures susceptibles de réduire la charge de travail des juridictions et sur les mesures destinées à les aider à gérer les affaires dont elles sont saisies. Le CCJE regroupe ces sujets[29] car ils sont tous les deux importants pour la façon dont les juridictions exercent leur fonction consistant à garantir un procès équitable dans un délai raisonnable et ils se recouvrent dans une certaine mesure.

I.          ASPECTS GENERAUX

50.       Les mesures de réduction de la charge de travail des juridictions comprennent les mesures qui n’ont que cette fin et celles qui ont une valeur indépendante. La Recommandation N° R (86) 12 énumère les mesures applicables à des degrés différents aux juridictions pénales et aux juridictions civiles[30]. Les Recommandations N° R (87) 18[31] et N° R (95) 12[32] traitent spécifiquement des affaires pénales. A titre d’exemple, des mesures telles que celles visant à décharger les juges des tâches non juridictionnelles ou à assurer une répartition équilibrée de la charge de travail concourent directement à la réalisation de l’objectif d’une charge de travail appropriée. Le règlement librement accepté (négocié entre les parties elles-mêmes ou obtenu par médiation[33]) a une valeur indépendante, expression des principes de liberté de choix et de consentement, par opposition à un règlement imposé par le tribunal. La dépénalisation des infractions mineures peut être retenue pour réduire la charge de travail, à moins qu’elle ne fasse écho à la conclusion selon laquelle il est préférable de traiter le cas de certains types de délinquants (juvéniles, par exemple) en dehors du système officiel de justice pénale. La clarté des motifs peut aider à dégager les mérites de telle ou telle proposition.

51.       Le CCJE commence par aborder des sujets divers au regard desquels les positions pénales et civiles peuvent être envisagées ensemble ou comparées.

a)         L’administration des tribunaux

52.       Le CCJE a identifié deux modèles de base de gestion des tribunaux[34]. Dans l’un, les juges interviennent peu ou indirectement dans la gestion des tribunaux. Ils peuvent, en conséquence, consacrer plus de temps à juger qu’à accomplir des tâches extrajudiciaires pour lesquelles ils ne sont peut-être pas faits de par leur formation ou leur disposition personnelle. Les décisions concernant la gestion budgétaire, l’emploi du personnel et les bâtiments des tribunaux sont entre les mains des administrateurs même s’il est vrai que les tribunaux ne pourraient pas fonctionner correctement sans que les juges soient, au minimum, consultés sur les questions administratives. Quel que soit le système utilisé, l’argent pour le faire fonctionner devant émaner du gouvernement central, ce système aide à maintenir les juges à l’écart des pressions politiques qui résultent de l’obligation d’atteindre des objectifs de performance.

53.       Un de ses inconvénients tient au fait que l’objectif premier du système judiciaire, à savoir un traitement efficace et équitable des affaires, peut seulement être réalisé par les juges. Or, dans ce modèle, ils ont très peu de contrôle sur l’environnement dans lequel ils s’efforcent d’atteindre cet objectif.

54.       Dans le deuxième modèle de base, le juge présidant chaque tribunal en assure également la gestion. Il dispose, pour le moins, d’une certaine latitude en ce qui concerne les dépenses budgétaires, le recrutement et le renvoi du personnel, et l’infrastructure du tribunal. Les avantages et les inconvénients sont à l’opposé du premier modèle : les juges sont détournés de leur fonction première et amenés à assumer des tâches auxquelles leur formation ne les a peut-être pas préparés. Ils risquent davantage de se retrouver en conflit avec l’autorité publique. D’un autre côté, ils exercent un véritable contrôle sur les moyens de rendre la justice dans leurs tribunaux et influent davantage sur la politique juridictionnelle s’agissant de l’allocation des ressources.

55.       Nombreux sont les pays qui disposent de systèmes se situant quelque part entre ces deux extrêmes. Il est admis qu’il est de plus en plus important que les juges soient consultés et qu’ils aient la possibilité d’influer sur les décisions essentielles concernant la définition d’une justice moderne et les priorités en jeu. Le CCJE en rappelle la nécessité.

b)            La variation de la charge de travail

56.       La charge de travail de certains tribunaux est appelée à croître ou à décroître au fil du temps, ce qui est dû aux évolutions démographiques et, dans le domaine pénal, aux évolutions des comportements criminels. Ces évolutions peuvent être temporaires. A titre d’exemple, un tribunal situé à proximité de la frontière peut connaître un accroissement considérable des affaires concernant l’immigration clandestine et un tribunal situé à proximité d’un aéroport une augmentation des affaires concernant les drogues importées.

57.       Dans certains pays, les juges et/ou les affaires peuvent être, au moins à titre temporaire, transférés d’un tribunal à un autre. Le CCJE considère que cette souplesse est une bonne chose en général, pourvu que l’indépendance individuelle des juges soit respectée et, s’il y a un transfert d’un juge, que celui-ci y consente. Il est naturellement conscient que l’application de cette solution n’en devrait pas moins tenir compte des problèmes pratiques liés à l’accès à la justice. Les personnes concernées par les affaires et le public en général sont en droit d’attendre que les tribunaux ayant à connaître de ces affaires soient situés à proximité et faciles d’accès.

58.       Dans d’autres pays, le juge qui s’est vu confier l’affaire ne change pas, le transfert d’un juge nécessite son consentement et le transfert des affaires, lorsqu’il est autorisé, n’est possible qu’avec le consentement des parties. Il peut toutefois exister au sein d’un tribunal quel qu’il soit des mécanismes selon lesquels, par exemple, un présidium élu de juges décide de reprendre des affaires à un juge surchargé pour les confier à un autre juge du même tribunal.

59.       Les variations permanentes de la charge de travail appellent des changements correspondants de la taille du tribunal, en particulier dans la dernière catégorie de pays. Des considérations purement économiques (laissant entrevoir la possibilité de fermer un tribunal local) entrent ici en conflit avec le droit des parties et du public à une justice de proximité et accessible. Le CCJE invite les pays à étudier et à définir des critères appropriés qui permettent de prendre en considération et d’équilibrer tous ces aspects en veillant à ce que, sous couvert d’adaptation à l’évolution de la charge de travail, les changements apportés aux moyens des tribunaux ne soient pas conçus comme une méthode pour porter atteinte à l’indépendance des juges.

60.       Néanmoins, le CCJE fait référence à son Avis N° 2 (2001), en particulier aux paragraphes 4 et 5, concernant des ressources adéquates. La possibilité de transférer des juges ou des dossiers d'un tribunal à un autre ne devrait pas encourager à accepter le manque structurel de ressources. Une telle flexibilité ne devrait pas influer sur un nombre suffisant de juges, nécessaire pour répondre à la charge de travail normalement prévue.

c)         Le recours à un juge unique

61.       Au pénal, la Recommandation N° R (87) 18, paragraphe D.2 dispose que « chaque fois que le degré de gravité de l’affaire le permet, celle-ci devrait être soumise à un juge unique ». Mais dans des cas graves mettant en jeu la liberté de l’individu, la collégialité de l’établissement des faits garantie par un collège de trois juges, ou davantage, professionnels ou non, est une importante sauvegarde contre l’adoption de décisions influencées par les préjugés ou les visions particulières. Dans la pratique, les affaires les moins graves sont généralement tranchées par un juge unique et les affaires les plus graves le sont par un collège de juges, encore que la ligne séparant ces deux catégories soit loin de se situer au même niveau dans tous les pays.

62.       Au civil, selon la pratique généralement suivie dans les pays de common law, les juges statuant en première instance (qui sont des praticiens nommés à un stade relativement avancé de leur carrière professionnelle) siègent seuls. Dans d’autres pays disposant d’une magistrature professionnelle (et dans des pays tels que la France, où les juges des tribunaux de commerce ne sont pas des professionnels), il est encore recouru à des collèges en première instance, même si l’on relève une tendance au recours plus fréquent à un juge unique.

63.       Le recours aux collèges peut compenser le manque d’expérience de certains de leurs membres pris individuellement. Il concourt à assurer une qualité constante et à faire acquérir de l’expérience aux jeunes juges. Il peut s’avérer difficile d’abandonner ce système si un juge jeune ou non professionnel devait être le seul membre d’un tribunal de première instance.

64.       Le CCJE estime que les pays devraient encourager la formation et l’organisation des carrières afin de faciliter le recours aux juges uniques pour statuer sur les affaires en première instance, partout où cela peut être réalisé compte tenu de l’expérience et des capacités des juges disponibles et de la nature des procédures en question.

(d)        L’assistance des juges

65.       Dans son Avis N° 2 (2001), le CCJE a constaté que dans de nombreux pays les moyens mis à la disposition des juges sont insuffisants. Toutefois, le CCJE doit bien souligner qu’une véritable réduction des tâches non juridictionnelles des juges n’est possible qu’à la condition de fournir aux juges des assistants ayant de bonnes qualifications dans le domaine juridique (assistants des juges  ou «référendaires»), auxquels le juge peut déléguer, sous son contrôle et sa responsabilité, certaines activités telles que la recherche en matière de législation et de jurisprudence, la rédaction de documents faciles ou normalisés, ainsi que les relations avec les avocats et/ou le public.

e)         Activité extrajudiciaire

66.       Le CCJE partage l’opinion selon laquelle les activités non juridictionnelles énumérées dans l’annexe à la Recommandation N° R (86) 12 ne devraient pas en principe être confiées à des juges. Mais il existe d’autres activités susceptibles d’empêcher les juges de remplir leurs fonctions judiciaires ou de nuire à l’exercice de ces fonctions, y compris des activités concernant l’administration des tribunaux, pour lesquelles le tribunal ne dispose pas d’un personnel ou de crédits suffisants (voir point (a) ci-dessus) et les activités d’arbitre privé, ce qui est en tout cas dans la majorité des Etats inadmissible.

67.       Par ailleurs, les juges sont souvent critiqués pour le temps qu’ils passent à siéger dans des commissions ou autres organes de ce type. Le point de vue existe selon lequel « un juge doit juger », l’exercice de toute autre activité revenant à gaspiller une ressource précieuse.

68.       Le CCJE ne considère pas qu’il faille attacher trop d’importance à cet argument. Si la commission en question examine un aspect en rapport avec le travail judiciaire et que le juge puisse enrichir le travail de cet organe, le temps qu’il y passe ne saurait être considéré comme gaspillé. Qui plus est, le juge sera plus performant dans son travail dans la mesure où il aura des choses la vision plus large que peut lui conférer sa collaboration avec des professionnels d’autres disciplines sur des sujets qui, sans relever de son activité normale, n’en sont pas moins liés à cette activité.

69.       D’un autre côté, le risque existe de voir des juges participer à des enquêtes menées pour des raisons politiques, impliquant des jugements sur des matières non juridiques pouvant ne pas relever de leur expérience directe. Il appartient aux juges d’examiner avec soin s’il est judicieux pour eux de mettre leur compétence et leur réputation au service d’enquêtes de cette nature[35].

f)          La représentation en justice et le financement des frais de justice

70.       Au pénal, il est vrai que l’assistance judiciaire ou la représentation par conseil gratuite devrait être disponible sans détermination du bien-fondé des thèses du prévenu. Le problème semble tenir à l’existence des profondes différences observées selon les pays en ce qui concerne la nature et le degré de gravité des affaires pour lesquelles cette assistance et cette représentation sont disponibles. Mais au civil, on craint que les modes de financement de la procédure judiciaire n’invitent à introduire des actions non fondées ou abusives, et cela ne se limite pas à l’assurance judiciaire[36]. Dans tout ordre juridique, le travail est attiré par les secteurs où il y a la possibilité de recevoir des honoraires. Il importe de mettre en place des systèmes de contrôle appropriés pour évaluer à l’avance le bien-fondé des requêtes et refuser l’assistance judiciaire aux personnes dont la requête ne semble pas, quant au fond et/ou à la somme en jeu, justifier la dépense à laquelle on peut s’attendre[37].

II.         JURIDICTIONS PENALES

71.       Le CCJE se tourne ensuite vers des sujets d’ordre spécifiquement pénal. Il importe d’emblée de rappeler deux différences évidentes, mais fondamentales entre les procédures pénales et les procédures civiles :

i) Les procédures civiles mettent presque toujours en présence deux parties privées. Le public s’intéresse à l’expédition satisfaisante de la procédure, non à l’issue de telle ou telle affaire.  Dans les procédures pénales, le public s’intéresse véritablement au règlement satisfaisant de chaque affaire.

ii) Au civil, les retards ou les vices de procédure peuvent être sanctionnés par une condamnation aux dépens ou, en ultime recours, par la radiation de l’affaire. Au pénal, une sanction pécuniaire peut être infligée à la partie poursuivante[38] ou, dans les situations extrêmes, le juge peut classer l’affaire.  Il est beaucoup plus difficile de sanctionner un prévenu pour un retard ou un vice de procédure, encore que, dans certains pays, l’avocat de la défense puisse être condamné à payer les dépenses inutiles. En général, le prévenu lui-même n’a pas les moyens de payer les dépens. Et il n’est pas possible d’appliquer la sanction définitive de la radiation de son affaire. Le tribunal ne peut pas dire qu’il est déchu de son droit à un procès parce qu’il n’a pas respecté une règle de procédure.

72.       A la lumière des considérations qui précèdent, le CCJE examine certains problèmes spécifiques.

a)         Recours au principe de l’opportunité des poursuites

73.       La Recommandation N° R (87) 18 reprend à son compte le principe de l’opportunité des poursuites « toutes les fois que le contexte historique et la constitution des Etats membres le permettent », et dispose que, « si tel ne devait pas être le cas, il conviendrait de mettre au point des mesures visant à la même finalité ». Dans ces derniers pays, la mission des ministères publics indépendants peut exiger que les affaires soient portées devant un tribunal et, si quelqu’un a le pouvoir de suspendre l’action pénale, ce ne peut être qu’un juge.

74.       La Recommandation dispose que toute décision de renoncer à engager des poursuites devrait être « déterminé(e) par la loi » (paragraphe I.2), devrait être « appliqué(e) sur une base générale telle que l’intérêt public » (paragraphe I.4) et ne devrait intervenir que « si l’autorité de poursuite dispose d’indices suffisants de culpabilité » (paragraphe I.3). Pour le CCJE, la troisième condition signifie que la question de l’opportunité des poursuites n’est susceptible de se poser que dans le cas où l’autorité de poursuite dispose d’indices suffisants de culpabilité. Mais lorsque des indices suffisants n’ont pas (encore) été réunis, le CCJE considère qu’un organe d’instruction devrait pouvoir juger que le degré de gravité et les autres circonstances de l’infraction, la personnalité du suspect et la situation de la victime ne justifient pas que l’on consente des efforts supplémentaires pour recueillir d’autres éléments de preuve.

75.       La Recommandation dispose également qu’une décision de ne pas engager de poursuites pénales ou d’y mettre fin peut être assortie d’un avertissement ou d’une admonestation, ou être subordonnée au respect de certaines conditions (sous réserve, dans ce dernier cas, du consentement de l’auteur présumé de l’infraction); qu’elle ne doit pas être assimilée à une déclaration de culpabilité ni être inscrite au casier judiciaire de l’auteur de l’infraction, à moins qu’il n’ait reconnu en être l’auteur; et qu’elle devrait laisser intact le droit de la victime de demander réparation. Dans la pratique, la majorité des Etats (mais pas tous, tant s’en faut) appliquent jusqu’à un certain point le principe de l’opportunité des poursuites. Une distinction peut être opérée entre les systèmes qui subordonnent le classement de l’affaire à des conditions telles que l’indemnisation de la victime et ceux qui offrent une certaine latitude pour mettre fin aux poursuites dans les cas où l’on estime que la poursuite de l’action n’est pas dans l’intérêt du public.

76.       Trois structures de base sont actuellement représentées en Europe :

i)          L’autorité de poursuite n’a ni le pouvoir de classer une affaire, ni celui d’imposer des conditions/sanctions au délinquant si les éléments de preuve justifient les poursuites. Son unique fonction est de mettre l’affaire en l’état d’être jugée par le tribunal.

ii)          L’autorité de poursuite a le pouvoir de décider de l’opportunité d’engager des poursuites (en l’occurrence, de classer une affaire) même s’il existe suffisamment de preuves pour poursuivre.

iii)         L’autorité de poursuite dispose, à la fois, du pouvoir de décider de l’opportunité d’engager des poursuites et de la possibilité, en tant que solution de remplacement à une action en justice et avec le consentement du délinquant, de classer l’affaire en l’assortissant de conditions ou du prononcé d’une amende à son encontre. Au sein de cette vaste catégorie, il existe des différences considérables en ce qui concerne le pouvoir de poursuites. Dans certains pays, un large éventail de conditions, en particulier, une assistance socio-psychologique et des travaux d’intérêt général, peuvent être imposées. D’autres pays admettent uniquement le paiement d’une somme d’argent.

77.       Le CCJE invite les Etats qui n’ont pas encore institué de système fondé sur le recours au principe de l’opportunité des poursuites ou de système équivalent à réaliser des études en vue de donner effet à la Recommandation N° R (87) 18. Le CCJE estime que chaqueEtat devrait réfléchir au rôle que les tribunaux pourraientavoir dans la vérification de la procédure suivie, spécialement lorsque la victime conteste la décision de l’autorité de poursuite d’abandonner l’affaire.

b)         Procédures simplifiées

78.       Tous les Etats membres ont institué des procédures simplifiées, par exemple pour les infractions administratives et les infractions mineures, même si la nature et l’étendue de telles procédures varient considérablement. Il convient de tenir compte des incidences des articles 5 et 6 de la CEDH au moment d’instituer et de mettre à la disposition des justiciables des procédures de ce genre en prévoyant toujours la possibilité d’un recours devant le juge.

c)         Reconnaissance de culpabilité (guilty pleas) et transaction pénale (plea bargaining)

79.       La Recommandation N° R (87) 18 les recommande en principe. Elle envisage une reconnaissance de culpabilité à un stade précoce de la procédure, ce qui correspond au modèle de la common law. Toutefois, peu d’Etats disposent d’un système institutionnalisé de ce type. Ce système – et, plus particulièrement, ce dont il peut être assorti, à savoir la transaction pénale et une réduction de peine en échange de cette reconnaissance de culpabilité – est inacceptable pour de nombreux pays de droit civil. Cependant, un certain nombre de pays disposent d’un système de procédure simplifiée en cas de reconnaissance de la culpabilité. Celui-ci fonctionne d’une manière analogue à une reconnaissance formelle dans la mesure où il permet la présentation de moyens de preuves moins nombreux et un déroulement plus rapide de la procédure.

80.       Le CCJE recense ci-après les avantages (considérés comme tels par les systèmes de common law) et les risques potentiels d’un système institutionnalisé fondé sur la déclaration  de culpabilité :

i)          Reconnaissance de culpabilité (guilty pleas)

81.       Si, à un stade précoce de la procédure, le prévenu peut être invité à fournir, devant un juge, une indication formelle selon laquelle il reconnaît sa culpabilité et qu’il soit en mesure de le faire, une économie substantielle de temps et d’argent sera réalisée. Le fait que cette reconnaissance intervienne dans un cadre formel permet de mettre en place des garanties pour le prévenu. Un aveu fait à la police peut avoir été obtenu irrégulièrement. Une reconnaissance de culpabilité montre qu’il n’en a pas été ainsi. Il importe toutefois que les avocats soient tenus de confirmer avec le prévenu qu’il reconnaît effectivement les éléments légaux constitutifs de l’infraction.

ii)         Transaction pénale (plea bargaining)

82.       Il faut ici distinguer entre la transaction sur les chefs d’accusation et la transaction sur la peine.

83.       Dans la transaction sur les chefs d’accusation, il y a un accord, formel ou informel, avec l’autorité de poursuite, aux termes duquel celle-ci s’engage à abandonner un ou plusieurs chefs d’accusation si le prévenu reconnaît sa culpabilité pour d’autres (dans le cas d’une infraction moins grave, par exemple). Le juge n’est en principe pas impliqué dans cette transaction même si son approbation peut être requise. L’argument qui milite en faveur de ce système est que si le prévenu est disposé à reconnaître sa culpabilité pour neuf vols qualifiés sur les dix qu’il aurait commis, une  justice efficace ne saurait avoir intérêt à le poursuivre pour le dixième chef d’accusation uniquement parce qu’il existe suffisamment d’éléments pour le juger pour l’ensemble des infractions qui lui sont reprochées.

84.       Un certain nombre de pays ont également institué la transaction sur la peine. Mais les systèmes de common law considèrent qu’il est très risqué d’y impliquer le juge. En effet, le prévenu pourrait se sentir contraint de plaider coupable du chef d’une infraction pour laquelle il ne reconnaît pas véritablement sa culpabilité afin que le juge appelé à prononcer la condamnation lui inflige une peine plus légère.

iii)        Réduction de peine

85.       Il s’agit d’une notion différente en ce qu’elle ne fait pas intervenir une transaction avec qui que ce soit, ministère public ou juge. Selon cette notion (acceptée dans certains pays), le prévenu qui plaide coupable doit en principe bénéficier d’une peine plus légère que s’il ne l’avait pas fait – plus tôt il reconnaît sa culpabilité, plus forte est la réduction de peine[39].

86.       On peut reculer devant cette idée en faisant valoir que l’on ne peut pas défaire ce que le prévenu a fait et qu’une fois prouvée, l’infraction mérite une certaine peine, que le prévenu ait ou non reconnu sa culpabilité.  L’argument selon lequel une reconnaissance de culpabilité montre que le prévenu éprouve des remords est dans la plupart des cas illusoire. Dans certains cas, une réponse sociale de principe est possible pour les systèmes où la procédure est essentiellement orale. L’audience contradictoire peut constituer un traumatisme lorsque le principal témoin (en particulier les enfants et les victimes d’agressions sexuelles) est vulnérable. En pareil cas, la reconnaissance de culpabilité du prévenu rend l’audience inutile et celui-ci atténue ou évite le préjudice que ses actions auraient causé s’il en avait été autrement.

87.       Hormis ce petit nombre de cas, une telle réponse n’est pas valable. Si un individu est accusé, au vu de ses empreintes digitales et de preuves scientifiques, d’avoir commis une série de vols qualifiés, les seuls témoins auxquels il aura évité de témoigner sont des professionnels ayant l’habitude de déposer en justice. Dans ces conditions, la raison qui pousse à offrir une réduction de peine en contrepartie d’une reconnaissance de culpabilité tient aux avantages pratiques de cette reconnaissance : i) elle garantit la condamnation des délinquants qui se savent coupables mais qui, en d’autres circonstances, ne seraient pas motivés à ne pas tenir à un procès dans l’espoir que les éléments retenus contre eux ou les témoins à charge pourraient ne pas convaincre un jury ou un juge, et ii) elle raccourcit la durée des affaires (en diminuant d’autant le délai d’attente de jugement pour les autres affaires), même dans les cas où un véritable procès aurait abouti de toute manière à une condamnation. Ce sont là des avantages concrets pour l’ensemble de la société.

88.       Mais il ne fait aucun doute que, si les réductions de peine sont autorisées, il faut mettre en place des garde-fous. Les avocats et les juges devraient s’assurer que les reconnaissances de culpabilité sont librement consenties et authentiques. Les juges ne devraient mentionner aucune discussion entre les avocats et le prévenu au sujet de la possibilité d’une telle réduction de peine et ne devraient pas y être impliqués. Ils devraient avoir le pouvoir de ne pas approuver une transaction dont la sincérité est douteuse ou qui n’est pas conforme à l’intérêt général.

89.       Le CCJE ne juge pas réaliste de recommander à tous les Etats membres de mettre immédiatement en place un système de réduction des peines en contrepartie d’une reconnaissance de culpabilité. Mais il invite tous les pays à considérer si un tel système ne pourrait pas procurer des avantages à leur système de justice pénale.

III.         JURIDICTIONS CIVILES

90.       La Recommandation N° R (84) 5 a recensé neuf « principes de procédure civile propres à améliorer le fonctionnement de la justice ». Il s’agit là d’une recommandation empreinte de clairvoyance, mais restée largement inappliquée. Le CCJE considère que si elle l’était d’une façon générale, elle offrirait une réelle garantie de respect par les Etats de l’obligation découlant de l’Article 6 de la CEDH de garantir à toute personne, dans les procédures civiles, le « droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable ».

91.       Les neuf principes énoncent les éléments de base des fonctions de gestion des affaires qui, de l’avis du CCJE, devraient être confiées aux juges et que ceux-ci devraient exercer depuis le début de toutes les procédures civiles (y compris administratives) jusqu’à leur conclusion afin d’assurer le respect des dispositions de l’Article 6 de la CEDH. Le CCJE va donc récapituler et commenter certains de ces principes d’une façon assez détaillée.

92.       Selon le Principe 1 de la Recommandation, le procès devrait « compter au plus deux audiences », à savoir une audience préliminaire et une autre au cours de laquelle les preuves sont administrées, l’affaire discutée et, si possible, le jugement rendu, toute remise de la cause étant interdite, « sauf en cas de faits nouveaux ou d’autres circonstances exceptionnelles et importantes », et des sanctions pouvant être prises contre les parties, les témoins et les experts qui ne respecteraient pas les délais fixés par la loi ou le juge ou qui ne se présenteraient pas au procès.

93.       Le CCJE voit dans ce principe un modèle général. Dans certains systèmes, les preuves sont administrées sur plusieurs audiences. D’autres accueillent certaines affaires d’envergure qui ne pourraient assurément pas être conduites dans les limites d’une audience préliminaire et d’une audience finale. Ce qu’il faut retenir avant tout, c’est que les juges devraient avoir d’emblée le contrôle du calendrier et de la durée de la procédure, en fixant des dates définitives et en ayant le pouvoir (qu’ils seraient disposés à exercer en tant que de besoin) de refuser toute remise de la cause, fût-ce contre le vœu des deux parties.  

94.       En vertu du Principe 2, les juges devraient avoir le pouvoir de s’opposer à toute utilisation abusive de la procédure en imposant des sanctions à une partie ou aux avocats.

95.       Le Principe 3 reflète l’esprit de la gestion moderne des affaires :

« Le juge devrait (…) jouer un rôle actif afin d’assurer, dans le respect des droits des parties et du principe de leur égalité, un déroulement rapide des procédures. Notamment, il devrait avoir, d’office, les pouvoirs de demander aux parties toutes clarifications utiles, de les faire comparaître personnellement, de soulever des questions de droit, de rechercher les preuves au moins dans les cas où le fond du litige n’est pas à la disposition des parties, de diriger l’administration des preuves, d’exclure des témoins si leur déposition éventuelle manque de pertinence par rapport à l’affaire, de limiter le nombre, s’il est excessif, des témoins appelés à déposer sur les mêmes faits  (…). »

96.       Le Principe 4 complète le précédent en disposant que le juge devrait pouvoir, sauf dans les cas expressément prévus par la loi, décider s’il convient de suivre une procédure écrite ou orale.

97.       Le Principe 5 traite de ce qui est, de l’avis du CCJE, un aspect essentiel d’une gestion efficace des affaires, à savoir la nécessité, pour les parties, de présenter leurs prétentions et leurs moyens de preuve aussitôt que possible au début de la procédure – et celle, pour le juge, de ne pas admettre de faits nouveaux en appel, sauf s’ils n’étaient pas (et, comme le propose le CCJE, ne pouvaient raisonnablement pas avoir été) connus en première instance ou s’il existe une raison exceptionnelle de les admettre.

98.       Dans certains pays, les règles ou la culture régissant la procédure judiciaire permettent aux parties de modifier et de compléter leur position et leurs moyens de preuve presque sans aucune limite – même devant la juridiction d’appel (voir plus loin). Le CCJE estime que cela n’est plus acceptable et qu’il est temps de réexaminer ces règles et de faire évoluer cette culture. Les parties ont droit, s’agissant de leurs prétentions ou de leurs moyens de défense, à « ce que leur cause soit entendue équitablement, … dans un délai raisonnable », non à un nombre indéfini de possibilités de faire valoir des allégations supplémentaires et différentes – et surtout par le biais d’une seconde instance de recours.

99.       Le Principe 6 est une recommandation importante énonçant que « Le jugement devrait être rendu dès la fin de la procédure ou le plus tôt après celle-ci. Il devrait être aussi concis que possible. Il peut se fonder librement sur toute règle juridique mais doit répondre de façon certaine, expresse ou implicite, à toutes les demandes formulées par les parties. » Certains Etats ou juridictions appliquent des règles plus ou moins formelles  qui indiquent le délai maximal dans lequel le jugement doit être rendu. Le Principe 7 (« Des mesures devraient être prises pour décourager l’utilisation abusive des voies de recours ») se trouve en dehors du souci central du présent Avis.

100.      Le Principe 8 recense certains aspects de la gestion des affaires, notamment en prévoyant des règles particulières a) en cas d’urgence, b) lorsqu’un droit n’est pas contesté ou que la créance est certaine ou que l’objet du litige est de faible valeur, c) applicables à certains types d’affaires. Il cite notamment les mesures suivantes :

« forme simplifiée de l’acte introductif d’instance; suppression d’audience ou tenue d’une seule audience et (…) d’une audience préliminaire préparatoire; procédure exclusivement écrite ou ... exclusivement orale (…); prohibition ou limitation de soulever certaines exceptions ou défenses; administration libre des preuves; prohibition de concéder des remises ou bien limitation à des remises à bref délai; expertise judiciaire (…); rôle actif du juge dans la conduite de la cause et dans la recherche et l’administration des preuves. »

101.      Le Principe 9 souligne la nécessité de la mise des « moyens techniques les plus modernes (...) à la disposition des autorités judiciaires ».  Le CCJE sanctionne et souligne le lien entre une technologie efficace et la capacité des juges de conserver la trace et le contrôle des procédures judiciaires qu’ils ont ou que leurs collègues du même tribunal ont à traiter.

102.      La logique générale qui inspire tous ces principes est que le contentieux civil risque de devenir de plus en plus complexe et de traîner en longueur au point de ne plus pouvoir satisfaire aux exigences de l’Article 6 (1) de la CEDH, ni dans telle ou telle cause, ni dans toutes autres causes dont la rapidité et l’efficacité de la conduite sont indirectement influencées par le temps et les ressources consacrés aux précédentes.

103.      Les Etats devraient consacrer des ressources et des moyens financiers suffisants – mais pas illimités – aux procédures civiles comme aux procédures pénales[40]. Etant donné que ni l’Etat ni les parties ne disposent de ressources illimitées, les juges doivent exercer un contrôle sur les procédures, dans l’intérêt à la fois des parties à une cause donnée et des parties aux autres causes.

104.      Chaque procédure devrait être conduite « de façon proportionnée », à savoir, à la fois de façon à permettre aux parties concernées d’obtenir justice pour un coût qui soit en rapport avec les problèmes et les sommes en jeu et d’une manière qui permette aux autres justiciables d’obtenir leur juste part du temps dont dispose le juge pour traiter leurs litiges.

105.      En somme, les parties ont droit à une part appropriée du temps et de l’attention du juge, mais il appartient au juge, lorsqu’il apprécie ladite proportionnalité, de prendre en considération les besoins et la charge pesant sur autrui, notamment l’Etat qui finance le système judiciaire et les autres parties à d’autres causes qui souhaitent en faire usage.

106.      Les principes énoncés dans la Recommandation N° R (84) 5 sont appliqués à des degrés divers suivant les pays. L’orientation générale des réformes de la procédure judiciaire civile de ces dernières années est allée dans ce sens. Les juges se sont vu reconnaître des pouvoirs accrus en ce qui concerne la « conduite formelle » de la procédure civile, mais non sur le fond – à titre d’exemple, il ne leur est pas permis de prendre des dispositions en vue d’introduire, dans une affaire, des éléments de preuve que les parties n’ont pas produits. Toutefois, dans certains Etats membres, il n’appartient toujours pas au juge de décider s’il convient de suivre une procédure orale ou écrite, ou dans quel cas il y a lieu de recourir à une procédure simplifiée ou de fixer des délais, car ces questions sont réglementées par la loi. Le CCJE estime que ces restrictions aux pouvoirs de contrôle et d’impulsion du juge sur le déroulement de la procédure ne vont pas dans le sens de l’efficacité de la justice.

107.      Le CCJE va à présent examiner certaines procédures qui ont été adoptées ou proposées dans ce domaine.

a)         Les protocoles précédant une action en justice

108.      Ces protocoles, élaborés au Royaume-Uni, fixent les mesures à prendre avant même l’introduction de l’instance. Ils sont établis de concert par les représentants des deux parties à certains types habituels de litiges (dommage corporel ou faute médicale ou assureurs de l’industrie du bâtiment, avocats et organes concernés). Ils ont pour objet de répertorier de bonne heure les problèmes par l’échange d’informations et de pièces, ce qui peut permettre aux parties d’éviter la procédure judiciaire et de parvenir à un arrangement. Si les parties ne parviennent pas à s’entendre, lesdits protocoles placent les parties dans une situation beaucoup plus favorable pour ce qui est de respecter les délais imposés lorsque la procédure aura été engagée. Le juge peut sanctionner le non-respect des mesures prévues dans un protocole précédant une action en justice.

b)         Information précédant une action en justice

109.      Il s’agit d’une particularité de la procédure judiciaire qui permet au juge, avant l’ouverture de cette procédure, d’enjoindre à une personne susceptible d’être partie à la procédure de divulguer des pièces, lorsque cela est souhaitable, entres autres raisons, pour permettre à cette personne de savoir si les faits justifient bien qu’une action soit introduite ou pour lui permettre de prendre en connaissance de cause des dispositions pour régler le litige à l’amiable, sans recourir à la procédure judiciaire.

c)         Mesures conservatoires

110.      Il importe de pouvoir prendre, selon les besoins, des mesures conservatoires à un stade précoce, notamment, dans certains cas, avant la notification de l’objet de l’action au défendeur, faute de quoi elles risquent de perdre leur utilité.

111.      Il existe un large éventail de mesures conservatoires disponibles. On peut les classer en trois grandes catégories :

i) les mesures visant à garantir l’exécution, par exemple une saisie ou une injonction visant à « geler » telle situation de fait dans l’attente du procès;

ii) les mesures visant au règlement provisoire de la situation (par exemple, en matière familiale); et

iii) les mesures anticipant le jugement final.

112.      Dans de nombreux pays, le plaignant doit présenter une apparence de droit (fumus bonis iuris) et doit en principe, démontrer qu’en l’absence de pareilles mesures, il existe un risque de ne pouvoir exécuter le jugement final obtenu quel qu’il soit (periculum in mora). La mesure peut être ordonnée sans entendre la partie adverse (ex parte) mais, une fois l’ordonnance rendue, le défendeur est en droit d’être entendu lorsque la mesure risque d’être soit confirmée, soit annulée.

113.      Le redressement par voie d’injonction est également souvent utilisable dans d’autres situations dans les Etats membres (parfois uniquement lorsque le recours a un fondement écrit), en vue de régler provisoirement certain(s) aspect(s) du litige. Les pays de common law ont également développé l’application de l’ordonnance « Anton Piller », qui permet à un juge d’ordonner la recherche de documents ou d’autres éléments de preuve qui sont en la possession ou sous le contrôle du défendeur et qui, à défaut, risqueraient d’être détruits ou dissimulés. En France et dans d’autres pays, les mesures d’instruction in futurum peuvent remplir une fonction analogue.

d)         Introduction de l’instance

114.      La plupart des Etats membres ont mis en place des méthodes simplifiées (notamment électroniques) d’introduction de l’instance. Les différences qui existent entre les méthodes traditionnelles d’introduction de l’instance rendent cependant difficile la comparaison entre les différentes méthodes de simplification. Dans certains pays, par exemple, l’instance est toujours ouverte par des mesures prises à l’audience, alors que, dans d’autres, le plaignant est tenu de notifier la plainte au défendeur avant d’engager une action en justice. Dans ces derniers Etats, la simplification peut se réduire à autoriser l’ouverture de l’instance sans que pareille mesure soit prise. 

e)         Identification des prétentions des parties

115.      Le CCJE a déjà souligné l’importance de cet aspect en analysant (plus haut) le Principe 5 de la Recommandation N° R (84) 5. Il est essentiel pour la bonne gestion des affaires d’exiger de chaque partie à une action civile qu’elle soit aussi explicite que possible, et aussitôt que possible, à propos de sa position – et qu’elle puisse modifier ou compléter cette position non de plein droit, mais avec l’autorisation du juge, que celui-ci ne devrait accorder ou refuser que compte tenu du stade atteint par la procédure et de l’effet que les modifications ou adjonctions pourraient avoir sur la conduite de cette procédure ainsi que sur les autres parties.

f)          Procédures sommaires

116.      Les différences terminologiques sont importantes dans ce domaine. Les concepts de procédure sommaire, simplifiée et accélérée n’ont pas la même signification dans tous les Etats. Certains parlent de procédure sommaire lorsque la décision finale n’a pas force de chose jugée, de procédure simplifiée lorsque certaines étapes ont été éliminées ou facilitées, et de procédure accélérée lorsque les délais ont été raccourcis par rapport à ceux d’une procédure ordinaire. Ces caractéristiques peuvent bien évidemment coïncider, de sorte qu’une procédure peut être tout à la fois sommaire, simplifiée et accélérée. 

117.      Les pays de common law, de leur côté, appliquent le mot « sommaires » aux procédures simplifiées et accélérées débouchant sur une décision finale (force de chose jugée), bien qu’ils aient également institué des procédures débouchant sur un jugement provisoire, par exemple des procédures permettant au juge, s’il a pu établir à titre provisoire que le défendeur devra acquitter une dette ou sera civilement responsable, d’ordonner un versement « provisoire » d’un montant n’excédant pas une « proportion raisonnable » de la somme due au plaignant. Si, à l’audience, ce dernier ne parvient pas à prouver le bien-fondé de sa réclamation, il lui faudra rembourser le versement provisoire augmenté d’intérêts.

118.      Deux procédures de droit civil revêtent une importance particulière : i) l’ « injonction de payer » (Mahnverfahren), ii) le « référé » ou, aux Pays-Bas, kort geding:

(i) L’injonction de payer (ou Mahnverfahren) est une procédure particulièrement bien adaptée aux créances monétaires qui ne sont pas contestées. A la demande du plaignant, le juge rend une injonction de payer sans avoir entendu le débiteur. Dans certains pays, un fondement écrit est nécessaire pour rendre l’injonction; dans d’autres, la déclaration faite par le plaignant suffit. En cas d’inertie du débiteur pendant le délai légal, l’injonction acquiert force exécutoire à l’instar d’un jugement ordinaire. Si le défendeur s’y oppose, le plaignant doit engager une procédure normale s’il souhaite recouvrer sa créance. C’est le silence du débiteur qui transforme l’ordonnance de paiement initiale en décision juridictionnelle et exécutoire, ayant force de chose jugée. Dans certains pays, la procédure est confiée au greffier. Il s’agit d’une procédure écrite qui autorise un traitement informatisé (qui fonctionne déjà dans certains pays). De nombreuses affaires sont réglées au moyen de cette procédure.  

(ii) La procédure du « référé » ou kort geding permet à un juge de statuer sur toute question après avoir entendu les parties au vu du nombre parfois limité de preuves qu’elles sont à même de produire devant le tribunal à bref délai. Le juge rend, soit immédiatement après avoir entendu les parties, soit dans un délai très rapproché, une décision qui est immédiatement exécutoire mais dépourvue de la force de chose jugée. Une partie est libre d’engager une procédure sur le fond. Si aucune procédure n’est engagée, le jugement de référé déterminera les droits et obligations des parties. De la sorte, la procédure sur le fond reste rare. Du fait de l’importance du « référé », ce type de procédure est en principe confié à un juge expérimenté (qui est souvent le président du tribunal). Dans la pratique, la procédure du référé contribue également à réduire la charge de travail d’un tribunal et à éviter la lenteur qui, dans certains pays, est inhérente aux procédures civiles ordinaires.     

g)         Jugements interlocutoires

119.      La faculté “d’ordonner une audience distincte pour chaque question” peut avoir une grande importance. Pour prendre un exemple, les questions essentielles à la compétence devraient, de l’avis du CCJE, être tranchées par un jugement distinct en début de procédure. On éviterait ainsi d’avoir à tenir de longs débats, inutiles et coûteux, pour examiner le fond de l’affaire. Mais certains pays n’ont institué aucune procédure de jugement interlocutoire et, dans d’autres, un jugement de ce type ne peut faire l’objet d’un recours qu’une fois que la juridiction de première instance a achevé l’examen de la cause et a adopté une décision.

120.      Le CCJE est bien conscient de la nécessité de choisir et de définir avec soin les questions pouvant être traitées par la procédure du jugement interlocutoire. Il peut arriver que l’on consacre du temps, de l’énergie et des moyens financiers à une question interlocutoire (ou à un recours formé à l’occasion d’une question interlocutoire) alors qu’il serait plus rapide et plus simple de régler le reste de l’affaire. Avec cette mise en garde, le CCJE recommande d’instituer une procédure de jugement interlocutoire et d’autoriser en principe les recours immédiats  formés contre un jugement interlocutoire.

121.      Les voies de droit permettant d’éviter les retards causés par ces recours devraient consister soit à instituer une règle selon laquelle il faudrait obtenir l’autorisation du tribunal de première instance ou de la cour d’appel pour former un recours immédiat soit à accélérer le fonctionnement de la juridiction d’appel.

h)         Preuves et pièces

122.      Dans la plupart des Etats, les règles de la preuve sont flexibles. Dans le cadre des procédures conservatoires et sommaires, le jugement ne se fonde pas nécessairement sur la preuve intégrale. Dans les pays de droit civil, s’agissant des mesures conservatoires, le plaignant doit seulement présenter un commencement de preuve; dans les pays de common law, il doit en principe présenter seulement une affaire défendable au vu des faits.

123.      Il existe des différences importantes entre les pays de common law et les pays de droit civil en ce qui concerne la communication des pièces. Dans les premiers, chaque partie est tenue de communiquer spontanément les pièces pertinentes (à savoir les pièces sur lesquelles elle fonde son allégation ou qui, matériellement, influent sur sa cause ou qui confortent la cause de la partie adverse). L’obligation de communiquer des pièces favorables mais aussi défavorables incite souvent à rechercher un arrangement – soit avant, soit après la communication des pièces. Elle aide également grandement à l’établissement des faits à l’audience.

124.      Cette procédure repose toutefois sur l’honnêteté des conseils juridiques lorsqu’ils informent leurs clients en ce qui concerne la production des pièces. Elle entraîne également des coûts judiciaires et autres, liés à la collecte et à la production des pièces. C’est la raison pour laquelle l’on peut considérer qu’elle convient parfaitement aux affaires d’envergure et aux affaires complexes.

125.      Dans bon nombre d’autres pays (en particulier les systèmes de droit civil), une partie peut seulement accéder à une pièce détenue par la partie adverse et sur laquelle celle-ci n’entend pas se fonder, en sollicitant une ordonnance enjoignant de mettre la pièce en question à sa disposition.  Cela suppose que la partie requérante ait préalablement connaissance de l’existence de la pièce et qu’elle l’identifie, ce qui n’est pas toujours aisé.

i)          Pouvoirs généraux en matière de gestion des affaires

126.      Ceux-ci sont importants à chaque étape de la procédure civile en vue de permettre une gestion appropriée et proportionnée des affaires. Les juges devraient pouvoir les exercer en donnant des instructions écrites sans que les parties aient nécessairement le droit d’être entendues. Ils devraient pouvoir les exercer conformément à la Recommandation N° R (84) 5 à la fois, relativement à la phase préparatoire préliminaire à l’audience et à l’audience elle-même.

j)          Frais, dépens et intérêts incitatifs

127.      Le droit anglais et certains autres systèmes ont institué des dispositions pour des offres de règlement du litige et de paiement à l’audience qui peuvent avoir des conséquences financières graves pour la partie qui, à l’audience, ne réussit pas à faire une offre meilleure que celle faite antérieurement par l’autre partie. Un demandeur peut proposer d’accepter ou un défendeur de payer, moins que la totalité de la réclamation (dans le cas d’une réclamation pécuniaire, le défendeur doit également donner suite à son offre en versant la somme d’argent à l’audience). Si le demandeur reçoit davantage que la somme qu’il était disposé à accepter ou si le défendeur est sommé de payer une somme inférieure à celle qu’il s’était proposé de payer, il peut, exception faite des petits litiges, en résulter des conséquences défavorables sous la forme de frais et également, s’agissant du défendeur, d’intérêts.

128.      Dans certains pays, où les honoraires des avocats sont réglementés par la loi, le législateur a, en vue d’inciter les avocats à favoriser les arrangements, relevé les honoraires d’arrangement légaux des avocats à 150 % du taux plein.

k)         Exécution

129.      Il existe actuellement des différences dans l’attitude adoptée à l’égard de l’exécution des jugements de première instance. Dans les systèmes de common law, la règle générale veut que ces jugements soient exécutoires de plein droit à moins que le juge n’ordonne, pour une bonne raison, un sursis à l’exécution. Une bonne raison pourrait être la probabilité de ne pas recouvrer des sommes versées si le jugement était ultérieurement retourné (en appel). Dans les pays de droit civil, en revanche, la situation est tantôt régie par la loi, tantôt laissée à la libre appréciation du juge. Dans ce cas, le juge peut accorder une exécution provisoire, en particulier s’il y a un risque, pendant une période d’appel, de voir apparaître une situation ou de voir la partie perdante créer une situation qui ne permettrait pas de respecter les dispositions du jugement. En principe, cependant, il est alors demandé à la partie ayant obtenu gain de cause de verser une caution pour tout dommage qui viendrait à se produire du fait de l’exécution du jugement si ce dernier était annulé en appel. On peut dire qu’il est d’usage, dans le cas de jugements pécuniaires, que la loi ou le juge confère force exécutoire au jugement, sauf dépôt d’une caution par le débiteur.

130.      Le CCJE estime que, pour assurer l’efficacité de la justice, tous les pays devraient instituer des procédures d’exécution provisoire, qui devraient en principe être ordonnées dès lors qu’existeraient pour la partie perdante des garanties satisfaisantes contre l’éventualité d’un appel accueilli.

l)          Voies de recours

131.      Les différents systèmes de recours peuvent être divisés en deux grandes catégories: a) les recours limités à la révision des points de droit et à l’appréciation des preuves sans possibilité en appel d’introduire de nouveaux éléments de preuve ou de se prononcer sur un point qui n’a pas été soulevé en première instance; et b) les recours ignorant pareilles restrictions, le juge pouvant recevoir de nouveaux éléments de preuve et prendre en compte des points nouveaux soulevés dans la procédure engagée devant la juridiction d’appel.

132.      Il existe des systèmes intermédiaires qui, dans certains cas et devant certaines juridictions, autorisent ce que l’on appelle la « voie de recours ordinaire » illimitée, mais, dans d’autres cas et devant d’autres juridictions (comme une Cour de cassation ou une Cour suprême), n’autorisent que le “recours extraordinaire” que représente un “réexamen” limité et ne pouvant intervenir que dans des circonstances particulières.

133.      On explique parfois les différences qui existent entre (a) et (b) par le fait que, dans le premier groupe, le recours est essentiellement conçu comme une technique permettant d’assurer une application uniforme des principes juridiques (ius constitutionis), tandis que, dans l’autre groupe, il est considéré comme un droit procédural dont la fonction principale est de donner à une partie une nouvelle chance (ius litigationis). Cela soulève la question de savoir s’il est nécessaire ou souhaitable de conférer à une partie un tel droit procédural devant n’importe quelle juridiction, même de seconde instance.

134.      Lorsqu’il a examiné le Principe 5 de la Recommandation N° R (84) 5 (voir plus haut), le CCJE a relevé que le droit à une voie de recours n’est nullement prescrit par l’Article 6 de la CEDH.

135.      Tout en étant conscient du poids de la tradition dans certains pays favorables à l’exercice d’un droit illimité à ce qui est en fait un nouveau procès concernant des questions portées devant une juridiction de seconde instance, le CCJE tient à souligner la réprobation de principe que lui inspire cette approche. Il importe de fixer des limites au droit d’une partie de produire de nouveaux éléments de preuve ou de soulever de nouveaux points de droit. Un recours ne devrait pas être ou ne devrait pas être considéré comme une possibilité permanente d’apporter des modifications à des questions de fait ou de droit que la partie en question aurait dû présenter au juge de première instance. Cela décrédibilise le rôle du juge de première instance, dont la gestion de l’affaire peut être vidée de son sens.

136.      De l’avis du CCJE, cela aboutit généralement à contrarier les attentes légitimes de l’autre partie et à accroître la longueur, le coût et la pression de la procédure judiciaire.

137.      Le CCJE note cependant que même les pays qui acceptent un ius litigationis ont mis en place des mécanismes (comme le pouvoir de déclarer « manifestement mal fondé » des recours n’ayant aucune chance d’être accueillis) qui constituent une soupape de sécurité partielle en réduisant dans une certaine mesure l’engorgement des juridictions d’appel.

138. Le CCJE recommande en conséquence de mettre en place un contrôle des recours non fondés soit par une disposition de l’admissibilité de l’appel accordée par un tribunal, soit par un mécanisme équivalant qui permettrait d’assurer que le traitement rapide des recours fondés n’ait pas à en souffrir.

MODES ALTERNATIFS DE REGLEMENT DES LITIGES (MARL)

139.      Le Conseil de l'Europe a produit plusieurs instruments concernant les modes alternatifs de règlement des litiges (MARL)[41]. Conscient des nombreux avantages des MARL, dont leur capacité de donner lieu à un règlement rapide des litiges, le CCJE a proposé que les MARL figurent parmi les sujets traités lors de la 1re Conférence européenne des juges, dans le cadre plus large de la « gestion des affaires ».

140.      La 1ere Conférence européenne des juges a démontré l’importance des MARL dans le règlement rapide des litiges[42]. Il apparaît que si les MARL ne peuvent être considérés comme un moyen parfait de réduire la surcharge de travail des tribunaux, ils n’en sont pas moins utiles et efficaces, dans la mesure où ils mettent l’accent sur un accord entre les parties, ce qui est toujours préférable à un jugement imposé.

141.      Dans l’avenir, le CCJE pourrait entreprendre une étude spécifique des MARL en général. Pour l’heure, dans le cadre de son avis consacré à la durée raisonnable du procès et au rôle des juges dans le procès, le CCJE estime qu’il est nécessaire d’encourager le développement des MARL, qui conviennent particulièrement à certains types de litiges, et de sensibiliser le public à leur existence, à la manière dont ils fonctionnent et à leur coût.

142.      Puisque les MARL et le système judiciaire poursuivent des objectifs similaires, il est essentiel qu’une assistance judiciaire soit accessible en cas de recours aux MARL comme elle l’est dans le cadre d’une procédure judiciaire normale. Néanmoins, aussi bien les ressources disponibles pour l’assistance judiciaire que toutes les autres dépenses publiques destinées à soutenir les MARL doivent être imputées à un budget spécial, et non pas au budget de fonctionnement des tribunaux (voir paragraphe 23 ci-dessus).

143.      Les discussions qui ont eu lieu au sein du CCJE avaient trait plus particulièrement à la portée de la médiation, au rôle du juge dans une décision de médiation prise en cours d’audience, à la confidentialité des opérations de médiation, à la possibilité que les tribunaux supervisent la formation/l’agrément en matière de médiation et que le juge fasse office de médiateur, et à la nécessité d’une confirmation judiciaire de l’accord entre les parties issu de la médiation. Lors de l’examen de ces questions, la distinction a été faite, chaque fois que cela était pertinent, entre les affaires pénales d’une part, et les affaires civiles (et administratives) d’autre part.

144.      S’agissant de la portée des MARL, les recommandations pertinentes du Conseil de l'Europe montrent qu’elle ne se borne pas aux procédures civiles. La portée de la médiation dans les affaires pénales soulève des questions spécifiques, auxquelles le CCJE a accordé une attention particulière dans ses débats.

145.      Contrairement à l’usage des MARL dans les affaires civiles, la médiation en matière pénale ne permet pas d’alléger la charge de travail du système judiciaire, bien qu’elle puisse contribuer à prévenir de nouvelles infractions.

146.      La Recommandation N° R (99) 19 a trait uniquement à la « médiation » entre l’auteur de l’infraction et sa victime. Mais, bien que des recherches complémentaires s’imposent, le CCJE estime qu’on assiste de nos jours à un vaste débat sur la notion plus large de « justice restauratrice », qui désigne les procédures permettant de s’écarter du processus pénal ordinaire avant que celui-ci ne commence (aussitôt après l’arrestation), après qu’il a commencé (dans le cadre du processus de condamnation), ou même pendant l’exécution de la peine. La justice restauratrice offre aux victimes, aux auteurs d’infractions et parfois aux représentants de la collectivité la possibilité de communiquer, directement ou indirectement (par le biais d’un intermédiaire, si nécessaire), au sujet de l’infraction (généralement, il s’agit d’une infraction mineure contre des biens ou d’un cas de délinquance juvénile) et de la manière de réparer le tort causé. Cela peut amener l’auteur de l’infraction à faire réparation, soit auprès de la victime si celle-ci le désire, soit auprès de la collectivité, par exemple en remettant des biens en état ou en nettoyant des locaux.

147.      Par conséquent, la justice restauratrice dans les affaires pénales a moins de portée que les MARL dans les affaires civiles ; en effet, la société peut fixer des « limites de tolérance » au-delà desquelles elle n’approuverait plus la résolution d’une affaire pénale autrement que dans le cadre normal d’une procédure judiciaire. Contrairement aux affaires civiles, la collectivité est souvent partie prenante – et à bon droit – au processus de justice restauratrice. Remettre les auteurs d’infractions en contact avec la communauté à laquelle ils ont porté préjudice, y compris en les amenant à réparer une partie des dommages qu’ils ont causés, et faire en sorte que la collectivité contribue à élaborer des solutions pour lutter contre la criminalité locale, voilà des tâches qui sont au cœur d’une grande partie de la justice restauratrice.

148.      A plusieurs égards, les systèmes de justice restauratrice demandent à être mis en œuvre avec plus de soins que les MARL dans les litiges civils, car il est beaucoup plus délicat de nouer le dialogue entre la victime et l’auteur d’une infraction que de réunir deux parties à un litige civil ; le succès de l’opération dépend en partie d’une évolution culturelle chez les praticiens de la justice pénale, habitués à un procès normal et à une justice punitive.

149.      Le CCJE s’est intéressé au rôle du juge dans les décisions de médiation, en considérant tout d’abord que, dans les procédures civiles et administratives, le recours à la médiation pouvait être choisi à l’initiative des parties ou, autre solution, que le juge pouvait être autorisé à recommander que les parties aillent devant un médiateur, le refus des parties pouvant parfois avoir une influence sur la prise en charge des frais et dépens.

150.      Le second système présente l’avantage de faire entamer un dialogue aux parties, qui répugnent en principe à rechercher un accord ; dans la pratique, cette démarche peut s’avérer en soi décisive pour sortir de l’impasse dans les situations contentieuses.

151.      En tout état de cause, les parties devraient aussi être autorisées à refuser le recours à la médiation, et un tel refus ne devrait pas porter atteinte au droit des parties à ce que leur cause soit entendue.

152.      S’agissant du rôle du juge dans une décision de médiation en matière pénale, il est évident que, si une affaire pénale est détournée du processus normal des poursuites avant le début du procès, le juge n’a en général aucun rôle à jouer. En revanche, pour qu’elle puisse être acheminée vers la justice restauratrice après avoir commencé, il y faut l’ordonnance d’un juge. On relève aussi, entre les pays, des différences de principes quant au caractère facultatif ou obligatoire des poursuites.

153.      Etant donné que dans le cadre du système de justice restauratrice, des obligations s’imposent à l’auteur de l’infraction et que des restrictions peuvent s’appliquer dans l’intérêt de la victime, le CCJE estime qu’il pourrait être indiqué d’officialiser par voie judiciaire toutes les dispositions en matière de justice restauratrice (ou, le cas échéant, celles qui ne se réduisent pas à de simples avertissements sans valeur juridique). Cela permettrait, en effet, de déterminer avec plus de certitude les infractions se prêtant à une justice restauratrice et les conditions régissant le respect du droit à un procès équitable, ainsi que d’autres dispositions de la CEDH.

154.      Les opérations de médiation doivent-elles être confidentielles ? Les délibérations du CCJE montrent qu’il faut répondre à cette question par l’affirmative, s’agissant des litiges en matière civile et administrative. La recherche d’un accord signifie, en général, que les parties doivent être en mesure de parler confidentiellement au médiateur d’éventuelles propositions de règlement, sans que ces informations puissent être divulguées.

                                                                                                             

155.      Il serait toutefois utile de préciser si la confidentialité doit être absolue ou si elle peut être levée d’un commun accord entre les parties. L’on devrait aussi se demander si les documents ayant servi durant la médiation peuvent être produits devant le tribunal en cas d’échec de la médiation.

156.      La procédure de médiation étant fondée sur le principe de l’accord, il semblerait possible au CCJE de lever la confidentialité si les parties en sont convenues, mais en l’absence d’un tel accord, il n’est pas approprié que le juge puisse prendre en considération des documents révélant l’attitude d’une partie, ou les propositions du médiateur concernant le règlement du litige. La question est ouverte de savoir si et dans quelle mesure le juge peut (comme il est admis dans quelques juridictions) tenir compte du refus opposé à la médiation ou à un accord amiable lorsqu’il rend une ordonnance relative aux frais de justice.

157.      S’agissant de la confidentialité des MARL dans les affaires pénales, le CCJE estime que, l’auteur d’une infraction devant être encouragé à s’exprimer franchement au cours du processus de justice restauratrice, il faut que la confidentialité s’applique aussi à ce type de MARL. Cela pose – notamment dans les systèmes où les poursuites sont obligatoires – le problème de savoir quelles conséquences entraîne nécessairement l’aveu d’autres infractions, de la part du délinquant ou de personnes ne participant pas au processus de médiation.[43]

158.      Que ce soit en matière pénale ou en matière civile ou administrative, le CCJE souligne qu’il faut associer étroitement les MARL au système judiciaire, puisque les médiateurs doivent posséder les compétences et les qualifications correspondantes et apporter les garanties d’impartialité et d’indépendance nécessaires à la prestation de ce service public.

159.      Par conséquent, le CCJE souligne l’importance de la formation à la profession de médiateur.

160.      Le recours à des médiateurs ou à des institutions de médiation extérieurs au système judiciaire est une disposition appropriée, à condition que l’institution judiciaire puisse superviser les compétences de ces médiateurs ou institutions privées, ainsi que les arrangements concernant leur intervention et le prix de leurs services. Le CCJE considère que des dispositions juridiques ou des pratiques judiciaires devraient être mises en place pour conférer au juge le pouvoir de renvoyer les parties devant un médiateur nommé selon une procédure judiciaire.

161.      Le CCJE estime qu’il est possible que les juges fassent eux-mêmes office de médiateurs. Cela permet de mettre le savoir-faire judiciaire à la disposition du grand public. Il est néanmoins essentiel de préserver l’impartialité des juges en prévoyant notamment qu’ils s’acquittent de cette tâche dans des litiges autres que ceux sur lesquels il leur incombe de statuer. Le CCJE estime qu’une mesure analogue s’imposerait dans les systèmes où le juge est déjà tenu de tenter une conciliation entre les parties.

162.      La supervision judiciaire de la désignation des médiateurs n’est que l’une des composantes d’un système visant à prévenir les dangers liés à la privatisation du règlement des litiges (et aux atteintes susceptibles d’être portées aux droits substantiels et procéduraux des parties) que peut entraîner un recours massif aux MARL. De l’avis du CCJE, il est essentiel que les tribunaux supervisent les procédures de médiation et leur issue.

163.      Les débats du CCJE ont fait apparaître que dans certaines situations, les parties devraient avoir le droit de régler leur litige au moyen d’un accord qui ne soit pas soumis à la confirmation d’un juge. Toutefois, cette confirmation pourrait s’avérer essentielle dans certaines affaires, en particulier lorsqu’il faut envisager des mesures coercitives.

164.      Dans ce cas au moins, le juge devrait posséder d’importants pouvoirs de supervision, notamment en ce qui concerne le respect de l’égalité entre les parties, la réalité de leur consentement aux mesures prévues par l’accord, ainsi que le respect de la loi et de l’intérêt public. S’agissant des aspects spécifiques de la médiation en matière pénale, le CCJE renvoie aux remarques figurant au paragraphe 147 ci-dessus.

RESUME DES RECOMMANDATIONS ET CONCLUSIONS

A.         Accès à la justice

A.1.      Les Etats devraient diffuser les informations pertinentes concernant le fonctionnement du système judiciaire (nature des procédures pouvant être engagées, durée moyenne des procédures selon les tribunaux, coûts et risques encourus en cas d'abus dans l'exercice des voies de droit, modes alternatifs de règlement des litiges à la disposition des parties, décisions importantes rendues par les juridictions (voir paragraphes 12-15 ci-dessus).

A.2.      En particulier :

-           des guides de citoyen devraient être mis à la disposition du public ;

-           les juridictions elles‑mêmes devraient participer à la diffusion de l'information ;

-           les programmes éducatifs devraient inclure une description du système judiciaire et proposer des visites dans les juridictions (voir paragraphes 16 et 17 ci-dessus).

A.3.      Il faudrait adopter des formes simplifiées et standardisées pour les documents juridiques nécessaires à l'engagement et à la poursuite des actions judiciaires, au moins pour certains types de litiges (voir paragraphe 18 ci-dessus).

A.4.      Il faudrait développer la technologie permettant aux justiciables, grâce aux moyens informatiques :

-           de disposer des documents requis pour engager une action en justice;

-           d'être directement en relation avec les tribunaux ;

-           d'être pleinement informés, même avant l'engagement de la procédure, de la nature et du montant des coûts qu'ils devront supporter, et d'avoir une indication de la durée prévisible de la procédure jusqu'au jugement (voir paragraphe 19 ci-dessus).

A.5.      Il faut veiller à ce que le mode de fixation de la rémunération des auxiliaires de justice n'encourage pas les actes de procédures superflus (voir paragraphe 28 ci-dessus).

A.6.      Il faut prévoir, conformément à la Recommandation N° R (84) 5 (principe 2‑1 de l'annexe) la sanction des abus de procédure (voir paragraphe 28 ci-dessus).

A.7.      Les Etats devraient garantir le droit d'un justiciable de se défendre en justice en personne ou par le représentant de son choix, notamment dans les procédures simplifiées, les litiges d'intérêts financiers mineurs et les affaires impliquant des consommateurs ; il serait cependant nécessaire de prévoir que le juge puisse, à titre exceptionnel, imposer l'intervention d'un avocat si l'affaire présente des difficultés particulières (voir paragraphes 24-26 ci-dessus).

A.8.      L'Etat devrait organiser le système d'assistance judiciaire de manière à ce qu'il permette à toute personne de bénéficier d'un accès à la justice, couvrant non seulement les frais de procédure, mais aussi les conseils juridiques relatifs à l'opportunité ou à la nécessité d'engager un recours en justice. Cette aide ne devrait pas être réservée aux personnes les plus démunies mais devrait pouvoir aussi être accordée, au moins partiellement, à celles qui disposent de revenus moyens insuffisants pour leur permettre de supporter seules le coût d'un procès. Le juge devrait pouvoir prendre part aux décisions concernant l'octroi de l'aide, en veillant au respect de l’obligation d’impartialité objective (voir paragraphes 21 et 22 ci-dessus).

A.9.      L'assistance judiciaire devrait faire l’objet d’un financement public et faire l'objet d'un budget particulier, afin que les frais correspondants ne soient pas imputés sur le budget de fonctionnement des tribunaux (voir paragraphe 23 ci-dessus).

B.         La qualité du système judiciaire et son évaluation – données statistiques quantitatives – procédures de suivi

B.1.      La qualité du système judiciaire dépend à la fois de celle des infrastructures, qui peut être mesurée à l'aide de critères semblables à ceux appliqués à d'autres services publics, et de l’aptitude des professionnels du droit (juges, mais aussi avocats, procureurs et greffiers), dont le travail ne peut être évalué que par rapport aux seuls repères du droit et de la pratique et de la déontologie professionnelles ou judiciaires (voir paragraphe 31 ci-dessus).

B.2.      Il est nécessaire d'évaluer la qualité de l'activité judiciaire en s'intéressant aussi à son efficacité sociale et économique, au moyen de critères parfois analogues à ceux employés pour d'autres services publics (voir paragraphes 32 et 33 ci-dessus).

B.3.      L'évaluation du travail fourni par le système judiciaire dans son ensemble ou par chaque tribunal ou groupe local de tribunaux ne doit pas être confondu avec l'appréciation des capacités professionnelles de tel ou tel juge, qui a d'autres objectifs. Des considérations analogues peuvent s'appliquer aux activités d'autres professionnels du droit participant au fonctionnement du système judiciaire (voir paragraphes 33 et 34 ci-dessus).

B.4.      Lors de l'établissement des statistiques concernant le système judiciaire, il faudrait éviter le chevauchement entre l'évaluation qualitative de la justice et l'appréciation professionnelle des juges. En particulier, il est inapproprié de faire de la proportion de décisions réformées en appel le seul indicateur ou un indicateur nécessairement important d'évaluation de la qualité de l’activité judiciaire. La même remarque vaut pour d'autres systèmes dans lesquels une certaine évaluation est possible concernant les décisions individuelles des juges, au moyen d'autres méthodes que le décompte des décisions réformées en appel (voir paragraphes 35 - 37 ci-dessus).

B.5.      Bien qu'il n'existe pas actuellement de critères généralement acceptés concernant les données à collecter, le but de la collecte des données devrait être une évaluation de la justice dans un contexte plus vaste, c'est-à-dire dans ses interactions avec d'autres variables (juges et avocats, justice et police, jurisprudence et législation, etc.), car la plupart des dysfonctionnements de l’appareil judiciaire découlent d'un manque de coordination entre les divers acteurs (voir paragraphe 39 ci-dessus).

B.6.      Il est également essentiel de souligner le lien, dans les procédures de collecte de données, entre la qualité de la justice et la présence d'infrastructures de qualité et de personnel d'assistance adéquat (voir paragraphes 31 et 38 ci-dessus).

B.7.      En outre, la « qualité » de la justice ne devrait pas être considérée comme synonyme de la simple « productivité » du système judiciaire. Une démarche qualitative devrait plutôt évaluer l'aptitude du système à répondre à la demande de justice conformément aux buts généraux du système judiciaire, la rapidité des procédures ne constituant qu'un de ces buts (voir paragraphes 38-42 ci-dessus).

B.8.      Les indicateurs de qualité devraient être choisis sur la base d'un large consensus entre professionnels du droit (voir paragraphe 43 ci-dessus).

B.9.      Il faudrait que la collecte et le suivi des données soient effectués régulièrement et que des procédures suivies par un organisme indépendant autorisent une adaptation rapide de l'organisation des tribunaux à l'évolution de leur volume de travail (voir paragraphes 46-48 ci-dessus).

B.10.    Pour concilier la satisfaction de cet impératif avec les garanties d'indépendance de la magistrature, l'organe indépendant mentionné aux paragraphes 37 et 45 de l'Avis N° 1(2001) du CCJE devrait être l'autorité compétente pour le choix et la collecte des données « de qualité », la mise au point de la procédure de collecte des données, l'évaluation des résultats, la diffusion de cette évaluation pour le retour d'informations, ainsi que les procédures de contrôle et de suivi. Les Etats devraient, de toute façon, veiller à ce que ces activités restent dans le domaine public afin de préserver les intérêts politiques pertinents liés au traitement des données à caractère judiciaire (voir paragraphes 43-48 ci-dessus).

C.         Charge de travail et gestion des affaires

Aspects généraux

C.1.      Il conviendrait de donner suite aux recommandations énoncées dans la Recommandation N° R (87) 18 au sujet de la réduction de la charge de travail des tribunaux.

C.2.      Les Etats devraient mettre des ressources suffisantes à la disposition des juridictions pénales et des juridictions civiles, et les juges devraient (même lorsqu’ils n’ont aucun rôle administratif direct) être consultés et influer sur la prise des décisions concernant la définition de la justice moderne et les priorités en jeu (voir paragraphes 52-55 ci-dessus).

C.3.      Les juges devraient encourager un règlement librement accepté (négocié par les parties elles-mêmes ou obtenu par médiation) qui a une valeur indépendante, puisqu’il est l’expression des principes de liberté de choix et de consentement, par opposition à un règlement imposé par le tribunal (voir paragraphe 50 ci-dessus et section D ci-dessous).

C.4.      Il est en général souhaitable, dans les pays où l’ordre constitutionnel l’autorise, de donner au système une certaine souplesse permettant de transférer assez facilement les juges et/ou les affaires d’un tribunal à un autre, au moins à titre temporaire et avec le consentement des juges, afin de faire face aux fluctuations de la charge de travail.  Lorsque l’on envisage de fermer un tribunal, il convient de tenir compte en toutes circonstances du droit des justiciables d’avoir facilement accès à leurs tribunaux (voir paragraphes 57-60 ci-dessus).

C.5.      L’on devrait faciliter le recours à un juge unique pour établir la culpabilité ou l’innocence dans les conditions prévues par les paragraphes 61-64 ci-dessus. Le CCJE estime également que les pays devraient encourager la formation et l’organisation des carrières afin d’avoir pleinement recours aux juges uniques pour statuer sur les affaires en première instance, partout où cela peut être réalisé compte tenu de l’expérience et des capacités des juges disponibles et de la nature des procédures en question (voir paragraphes 61-64 ci-dessus).

C.6.      Les juges devraient disposer des assistants ayant des bonnes qualifications dans le domaine juridique auxquels ils pourraient déléguer certaines activités (voir paragraphe 65 ci-dessus).

C.7.      Les activités non juridictionnelles énumérées dans la Recommandation N° R (86) 12 devraient être confiées à des organes ou personnes du personnel judiciaire autres que les juges et il conviendrait de prendre garde aux risques liés au fait d’autoriser les juges à exercer des activités privées, lesquelles peuvent avoir des incidences sur leur mission publique.  Les juges ne devraient pas être dissuadés de siéger dans des commissions ou d’autres organes non judiciaires, mais ils devraient faire preuve de prudence avant d’accepter d’examiner des affaires impliquant des jugements de nature principalement non juridique (voir paragraphes 66-69 ci-dessus).

C.8.      Au pénal, l’aide judiciaire et la représentation par conseil gratuite devraient être à la disposition des justiciables sans évaluation des thèses du prévenu. Le CCJE recommande également d’étudier les différences de nature et de gravité des affaires pour lesquelles cette aide ou cette représentation est disponible suivant les pays. Au civil, il convient de mettre en place des systèmes appropriés de contrôle afin d’évaluer à l’avance le bien-fondé des réclamations (voir paragraphe 70 ci-dessus).

C.9.      En ce qui concerne l’ensemble des aspects de la gestion des affaires, une étude comparative de l’expérience d’autres Etats fournit des renseignements précieux au sujet des mesures procédurales spécifiques qui pourraient être instituées, dont un certain nombre sont analysées de façon plus détaillée dans le texte ci-dessus.

Affaires pénales

C.10.    Les Etats qui n’ont pas encore institué de système fondé sur le principe de l’opportunité des poursuites ou son équivalent devraient réaliser de nouvelles études à ce sujet afin de donner effet à la Recommandation N° R (87) 18 (voir paragraphes 73-77 ci-dessus).

C.11.    Tous les pays devraient se demander si un système de réduction de peine en contrepartie d’une reconnaissance de culpabilité ne pourrait pas procurer des avantages à leur processus de justice pénale. Une reconnaissance de ce type devrait intervenir à l’audience et être acceptée par un juge. Les avocats devraient être professionnellement tenus de s’assurer que la reconnaissance de culpabilité est librement consentie et qu’elle comporte l’intention de reconnaître chacun des éléments de l’infraction que le prévenu est accusé d’avoir commise (voir paragraphes 79-89 ci-dessus).

Affaires civiles

C.12.    Pour se conformer à l’obligation qui leur incombe, en vertu de l’Article 6 de la CEDH, de respecter le principe selon lequel toute personne « a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable », les Etats devraient mettre à disposition des ressources suffisantes et les tribunaux devraient examiner les affaires d’une manière qui soit équitable et proportionnée aux besoins des parties et qui prennent en considération les intérêts des parties aux autres affaires et du public en général ; il s’agit de mener la procédure d’une manière qui permette aux parties de se faire rendre justice à un coût en rapport avec les questions soulevées, les montants en jeu et (sans préjudice de l’obligation incombant à l’Etat de fournir des ressources appropriées) les propres ressources du tribunal, et aux parties à d’autres affaires d’obtenir leur juste part du temps dont dispose le juge pour traiter leurs litiges (voir paragraphes 103-104 ci-dessus).

C.13.    La conduite proportionnée de la procédure judiciaire dépend de la gestion active des affaires, dont les principes de base sont énumérés dans la Recommandation N° R (84) 5. L’aspect le plus important est que les juges devraient d’emblée et pendant toute la procédure judiciaire contrôler le calendrier et la durée de la procédure, en fixant des dates définitives et en disposant du pouvoir de refuser toute remise de la cause, fut-ce contre le vœu des parties (voir paragraphes 90-102 ci-dessus).

C.14.    Les parties devraient être tenues de définir promptement leurs positions et leurs éléments de preuve respectifs et de s’y tenir, et les juges devraient avoir le pouvoir, tant en première instance qu’en appel, d’exclure toute modification et/ou adjonction de nouveaux éléments une fois que les parties ont arrêté leur position (voir paragraphes 122-125 ci-dessus).

C.15.    Les Etats devraient instituer a) des mesures conservatoires efficaces, b) des procédures sommaires, simplifiées et/ou accélérées, et c) des procédures permettant de statuer à titre préjudiciel sur certaines questions (y compris des questions juridictionnelles) et un examen rapide de tout recours formé à l’occasion de telles questions préjudicielles (voir paragraphes 111-131 ci-dessus).

C.16.    Les décisions de justice devraient être immédiatement exécutoires, nonobstant tout appel, sous réserve, le cas échéant, du dépôt d’une caution destinée à protéger la partie perdante dans l’éventualité d’un appel accueilli (voir paragraphes 129-130 ci-dessus).

C.17.    Les pays devraient envisager la possibilité de mettre en place dans leurs systèmes des freins aux recours non fondés, afin que l’expédition rapide des recours fondés n’ait pas à en souffrir (voir paragraphe 138 ci-dessus).

D.         Modes alternatifs de règlement des litiges (MARL)

D.1.      Il faut encourager le développement des MARL, et sensibiliser le public à leur existence, à la manière dont ils fonctionnent et à leurs coûts (voir paragraphe 141 ci-dessus).

D.2.      L'assistance judiciaire devrait être accessible en cas de recours aux MARL comme elle l'est dans le cadre d'une procédure judiciaire normale. Les ressources disponibles pour l'assistance judiciaire et toutes les autres dépenses publiques destinées à soutenir les MARL devraient être imputées à un budget spécial, et non au budget de fonctionnement des tribunaux (voir paragraphe 142 ci-dessus).

D.3.      Bien que, contrairement aux MARL dans les affaires civiles, la médiation en matière pénale ne permette pas d'alléger la charge de travail du système judiciaire, elle peut contribuer à prévenir de nouvelles infractions. Puisque la Recommandation N° R (99) 19 ne concerne que la « médiation » entre l'auteur de l'infraction et sa victime, il convient de poursuivre les recherches sur la notion plus large de « justice restauratrice », qui désigne les procédures permettant de s'écarter du processus pénal ordinaire avant qu'il ne commence (aussitôt après l'arrestation), après qu'il a commencé dans le cadre du processus de condamnation ou même pendant l'exécution de la peine. Puisque les systèmes de justice restauratrice exigent d'être mis en œuvre avec plus de soins que les MARL dans les litiges civils, car il est beaucoup plus délicat de mettre en contact la victime et l'auteur d'une infraction que de réunir deux parties à un litige civil. Le succès de ces systèmes dépend en partie d'une évolution culturelle chez les praticiens de la justice pénale habitués à un procès normal et à une justice punitive (voir paragraphes 146-149 ci-dessus).

D.4.      Le recours à la médiation dans les procédures civiles et administratives peut être choisi à l'initiative des parties ou, sinon, le juge devrait être autorisé à la recommander. Les parties devraient pouvoir refuser le recours à la médiation ; un refus ne devrait pas porter atteinte au droit des parties à ce que leur cause soit entendue (voir paragraphes 150-152 ci-dessus).

D.5.      En matière de médiation pénale, si une affaire pénale est détournée du processus normal des poursuites avant le début du procès, il faut l'ordonnance d'un juge. Toutes les dispositions en matière de justice restauratrice (ou, le cas échéant, celles qui ne se réduisent pas à de simples avertissements sans valeur juridique) devraient être officialisées par voie judiciaire (voir paragraphes 151-152 ci-dessus).

D.6.      Les informations fournies au cours des opérations de médiation concernant des litiges civils et administratifs devraient être confidentielles. La confidentialité peut être levée d'un commun accord entre les parties. Il faudrait se demander si et dans quelle mesure le juge peut tenir compte du refus opposé à la médiation ou à un accord amiable lorsqu'il rend une ordonnance relative aux frais de justice (voir paragraphes 154-156 ci-dessus).

D.7.      La confidentialité s'applique aussi aux MARL dans les affaires pénales, notamment dans les pays où les poursuites sont obligatoires. Cela pose le problème de savoir quelles conséquences entraîne nécessairement l’aveu d’autres infractions, de la part du délinquant ou de personnes ne participant pas au processus de médiation (voir paragraphe 157 ci-dessus).

D.8.      En matière pénale ou en matière civile ou administrative, les MARL devraient être étroitement associés au système judiciaire. Des dispositions juridiques ou des pratiques judiciaires appropriées devraient permettre au juge de renvoyer les parties devant un médiateur nommé selon une procédure judiciaire, dûment formé et possédant les compétences et les qualifications correspondantes, tout en apportant les garanties d'impartialité et d'indépendance nécessaires à ce service public (voir paragraphes 157-159 et 161 ci-dessus).

D.9.      Les juges peuvent faire eux-mêmes office de médiateurs, puisque cela permet de mettre le savoir-faire judiciaire à la disposition du grand public. Il est néanmoins essentiel de préserver leur impartialité, notamment en prévoyant qu'ils s'acquittent de cette tâche dans les litiges autres que ceux sur lesquels ils doivent statuer (voir paragraphe 161 ci-dessus).

D.10.    Les accords de médiation des MARL devraient être confirmés par le juge, notamment lorsqu'il faut envisager des mesures coercitives. Dans ce cas, le juge devrait posséder d'importants pouvoirs de supervision, en particulier en ce qui concerne le respect de l'égalité entre les parties, la réalité de leur consentement aux mesures prévues par l'accord ainsi que le respect de la loi et de l'intérêt public. D'autres garanties devraient concerner les aspects spécifiques de la médiation en matière pénale (voir paragraphes 162-164 ci-dessus).


ANNEXE

Les textes et instruments du Conseil de l’Europe cités dans le présent Avis

Avis N° 1 (2001) du Conseil Consultatif de Juges Européens (CCJE), sur les normes relatives à l'indépendance et l'inamovibilité des juges.

Avis N° 2 (2001) du Conseil Consultatif de Juges Européens (CCJE), relatif au financement et à la gestion des tribunaux au regard de l'efficacité de la justice et au regard des dispositions de l'article 6 de la Convention européenne des Droits de l'Homme.

Avis N° 3 (2002) du Conseil Consultatif de Juges Européens (CCJE) sur les principes et règles régissant les impératifs professionnels applicables aux juges et en particulier la déontologie, les comportements incompatibles et l'impartialité.

Résolution (78) 8 sur l’assistance judiciaire et la consultation juridique.

Recommandation N° R (84) 5 du Comité des Ministres aux Etats membres sur les principes de procédure civile propres à améliorer le fonctionnement de la justice.

Recommandation N° R (86) 12 du Comité des Ministres aux Etats membres relative à certaines mesures visant à prévenir et réduire la surcharge de travail des tribunaux.

Recommandation N° R (94) 12 du Comité des Ministres aux Etats membres sur l’indépendance, l’efficacité et le rôle des juges.

Recommandation N° R (87) 18 du Comité des Ministres aux Etats membres concernant la simplification de la justice pénale.

Recommandation N° (95) 12 du Comité des Ministres aux Etats membres sur la gestion de la justice pénale.

Recommandation N° R (98) 1 du Comité des Ministres aux Etats membres sur la médiation familiale.

Recommandation N° R (99) 19 du Comité des Ministres aux Etats membres sur la médiation en matière pénale.

Recommandation Rec (2001) 9 du Comité des Ministres aux Etats membres sur les modes alternatifs de règlement des litiges entre les autorités administratives et les personnes privées.

Recommandation Rec (2002) 10 du Comité des Ministres aux Etats membres sur la médiation en matière civile.



avis n° 7 (2005)

du conseil consultatif de juges europeens (ccje)

a l’attention du comite des ministres du conseil de l’europe

sur justice et société

INTRODUCTION

1.         Pour l’année 2005, le Conseil Consultatif de Juges Européens (CCJE) a été chargé[44] d’adopter un avis sur le thème « Justice et société » à l’attention du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe.

2.         A cet égard, le CCJE s’est penché sur les points suivants qui apparaissent dans le Programme cadre d’action globale pour les juges en Europe :

q  les relations avec le public, le rôle éducatif des tribunaux dans une démocratie (voir partie V b du Programme cadre) ;

q  les relations avec les personnes engagées dans une procédure judiciaire (voir partie V c du Programme cadre) ;

q  l’accessibilité, la simplification et la clarté du langage utilisé par les tribunaux dans les jugements et les décisions (voir partie V d du Programme cadre).

3.         Le travail préparatoire a été réalisé en s’appuyant sur :

- la prise en compte des acquis du Conseil de l’Europe, ainsi que des résultats de la 5e  réunion des Présidents des Cours suprêmes européennes sur « La Cour suprême : publicité, visibilité et transparence » (Ljubljana, 6-8 octobre 1999), de la Conférence des Présidents des associations de juges sur « La justice et la société » (Vilnius, 13-14 décembre 1999) et de la Conférence ministérielle européenne sur la politique des communications de masse (Kyiv, Ukraine, 10-11 mars 2005) ;

- les réponses des délégations à un questionnaire (accompagné d’une note explicative) préparé par le vice-président du CCJE et soumis lors de la réunion plénière de ce Conseil Consultatif qui s’est tenue à Strasbourg du 22 au 24 novembre 2004 ;

- un rapport préparé par le spécialiste du CCJE sur ce thème, M. Eric COTTIER (Suisse) ;

- les contributions des participants à la 2e Conférence européenne des Juges sur le thème « Justice et médias », organisée par le Conseil de l’Europe dans le cadre de la présidence polonaise du Comité des Ministres à l’initiative du CCJE, en coopération avec le Conseil National de la Justice de Pologne et avec le soutien du ministère polonais de la Justice (Cracovie, Pologne, 25-26 avril 2005)[45] ;

- un projet d’avis préparé par le Groupe de travail du CCJE (CCJE-GT) en 2005.

4.         Lors de la préparation du présent Avis, le CCJE a aussi pris en considération la « Déclaration de Varsovie » adoptée par le Troisième Sommet des Chefs d’Etat et de Gouvernement du Conseil de l’Europe qui a eu lieu à Varsovie les 16 – 17 mai 2005, dans laquelle le Sommet a réaffirmé son engagement pour « renforcer l’Etat de droit sur l’ensemble du continent » bâti « sur le potentiel normatif du Conseil de l’Europe ». Dans ce cadre, les Chefs d’Etat et de Gouvernement ont souligné « le rôle d’un système judiciaire indépendant et efficace dans les Etats membres ».

5.         Le présent avis traite (A) des relations des tribunaux avec le public avec une référence particulière au rôle qui leur incombe dans une démocratie, (B) des relations des tribunaux avec les personnes engagées dans une procédure judiciaire, (C) des relations des tribunaux avec les médias, et (D) de l’accessibilité, de la simplification et de la clarté du langage utilisé par les tribunaux dans les jugements et les décisions.

A.        LES RELATIONS DES TRIBUNAUX AVEC LE PUBLIC AVEC UNE REFERENCE PARTICULIERE AU ROLE QUI LEUR INCOMBE DANS UNE DEMOCRATIE

6.         Le développement de la démocratie dans les Etats européens implique que les citoyens reçoivent une information appropriée sur l’organisation des pouvoirs publics et les conditions d’élaboration des règles de droit. Il est tout aussi important pour les citoyens de connaître le fonctionnement des institutions judiciaires.

7.         L’activité judiciaire est une composante essentielle des sociétés démocratiques. Elle a, en effet, pour but de trancher des litiges entre les parties, et, par les décisions qu’elle rend, elle remplit un « rôle normatif et éducatif », fournissant aux citoyens des informations pertinentes et des assurances quant à la loi et son application pratique[46].

8.         Les tribunaux sont, et le public les accepte comme tels, l’endroit approprié pour l’affirmation des droits et obligations juridiques et pour le règlement des litiges qui s’y rapportent ; le public, dans sa majorité, respecte les tribunaux et croit en leur capacité à remplir cette fonction[47]. Cependant, la compréhension du rôle de la justice dans les démocraties – en particulier le fait de comprendre que le devoir du juge est d’appliquer la loi de manière juste et égale, sans tenir compte d’éventuelles pressions sociales ou politiques – varie considérablement selon les pays et les modèles socio-économiques en Europe. La confiance qui est accordée à l’activité des tribunaux n’est donc pas uniforme[48]. Une information adéquate sur les fonctions et le rôle de la justice, en toute indépendance par rapport aux autres pouvoirs de l’Etat, peut ainsi contribuer de manière efficace à une meilleure compréhension des tribunaux, en tant qu’ils constituent la pierre angulaire des systèmes constitutionnels démocratiques, ainsi que des limites de leur activité.

9.         L’expérience qu’ont la plupart des citoyens de leur système judiciaire se limite à leur propre participation à un litige en tant que partie, témoin ou juré. Le rôle des médias est essentiel pour fournir au public des informations sur la fonction et les activités des tribunaux (voir section C ci-après) ; toutefois, parallèlement à ce qui est communiqué par l’intermédiaire des médias, les discussions du CCJE ont fait ressortir l’importance d’établir des relations directes entre les tribunaux et l’ensemble du public. L’insertion de la justice dans la société suppose que l’institution judiciaire s’ouvre à l’extérieur et apprenne à se faire connaître. Il ne s’agit pas de promouvoir une justice spectacle mais de contribuer à la transparence de la justice. Certes, cette transparence ne peut être totale en raison notamment de la nécessité de protéger l’efficacité des enquêtes et les intérêts des personnes en cause, mais la compréhension des mécanismes judiciaires a incontestablement une vertu pédagogique et devrait permettre d’affirmer la confiance du public dans le fonctionnement des tribunaux.

10.       Cet effort d’ouverture des institutions judiciaires passe d’abord par des mesures générales d’information du public sur le fonctionnement des tribunaux.

11.       Le CCJE rappelle à cet égard son Avis n° 6 (2004) concernant l’activité pédagogique des tribunaux et leur nécessaire ouverture aux visites susceptibles d’être offertes aux élèves des écoles et aux étudiants ou à tout autre groupe social manifestant de l’intérêt pour les activités judiciaires. Ce contact direct ne doit pas faire oublier qu’il incombe essentiellement à l’Etat de dispenser à l’ensemble de la population, à l’école et dans les universités, une formation civique qui comprenne un volet important sur la justice.

12.       L’efficacité de ce mode de communication sera accrue si les professionnels de la justice y participent directement. Les programmes pertinents d’éducation scolaire et universitaire (qui ne se bornent pas aux facultés de droit) devraient prévoir une description du système judiciaire (incluant des interventions données en classe par des juges), des visites des tribunaux et l’enseignement actif des procédures judiciaires (jeu de rôles, présence aux audiences, etc.)[49]. Ainsi, les juridictions et les associations de juges peuvent travailler en collaboration avec les écoles, les universités et les autres établissements scolaires pour présenter dans les programmes scolaires et dans le débat public le raisonnement spécifique du juge.

13.       Le CCJE a déjà déclaré de façon générale que les tribunaux eux-mêmes devraient participer à la diffusion d’informations concernant l’accès à la justice (rapports périodiques des tribunaux, guides pour les citoyens, sites Internet, bureaux d’information, etc.) ; le CCJE a déjà formulé ses recommandations sur le développement de programmes éducatifs dans le but de présenter des informations spécifiques (telles que le caractère des procédures ; la durée moyenne de la procédure judiciaire dans les différents tribunaux ; les frais de justice ; les moyens alternatifs de règlement des litiges proposés aux parties ; les décisions les plus marquantes prononcées par les tribunaux) (voir paragraphes 12-15 de l’Avis n° 6 (2004) du CCJE).

14.       Les tribunaux devraient participer à des programmes-cadres généraux émanant d’autres institutions d’Etat (ministères de la Justice et de l’Education, universités, etc.). Cependant, de l’avis du CCJE, les tribunaux devraient eux-mêmes prendre des initiatives à cet égard.

15.       Si les relations de la justice avec les individus sont traditionnellement du ressort des tribunaux, quoique de manière peu structurée, ces derniers sont souvent réticents à entretenir des rapports directs avec les membres du public qui ne sont pas eux-mêmes impliqués dans des affaires. La publicité des audiences, au sens de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), est généralement vue comme le seul contact avec le grand public, ce qui fait des médias les interlocuteurs exclusifs des tribunaux. Cet état de fait connaît actuellement une évolution rapide. On considère aujourd’hui que les devoirs d’impartialité et de discrétion qui incombent aux juges ne font pas obstacle à ce que les tribunaux tiennent un rôle actif dans l’information du public, ce rôle étant une véritable garantie de l’indépendance de la justice. Le CCJE est d’avis que les Etats membres devraient encourager un tel rôle, en élargissant et en améliorant la portée de ce « rôle éducatif » tel que décrit dans les paragraphes 9 à 12 ci-dessus. Celui-ci ne se limite plus à rendre des décisions puisque les tribunaux souhaitent agir en tant que « communicateurs » et « facilitateurs ». Le CCJE considère que si ces derniers ont jusqu’à présent accepté de prendre part à des programmes éducatifs auxquels ils ont pu être invités, il est désormais nécessaire qu’ils en deviennent aussi des promoteurs.

16.       Le CCJE a considéré les initiatives que pourraient prendre les tribunaux pour assurer le contact direct avec le public, ne dépendant pas des actions qui seraient de la responsabilité des médias ou d’autres institutions. Les mesures suivantes ont ainsi été étudiées et sont recommandées :

- création dans les tribunaux de services d’accueil et de communication ;

- distribution de documents informatifs, création de sites Internet sous la responsabilité des tribunaux ;

- mise en place par les tribunaux d’un calendrier de forums éducatifs et/ou de réunions périodiques ouvert(e)s notamment aux citoyens, organismes d’intérêt public, décideurs, étudiants (« programmes de vulgarisation »).

17.       Le CCJE a consacré une discussion spécifique à ces « programmes de vulgarisation ». Il a en effet noté avec intérêt que, dans certains pays, des tribunaux organisent – souvent aidés en cela par d’autres acteurs sociaux – des initiatives éducatives qui rassemblent enseignants, étudiants, parents, juristes, dirigeants locaux et médias afin de leur donner l’occasion d’interagir avec les juges et le système judiciaire. De tels programmes font souvent appel à des professionnels rompus à l’exercice et permettent aux enseignants de constituer un réseau pour leur développement professionnel.

18.       Certaines actions sont spécialement prévues pour des individus qui, du fait des conditions socio-économiques et culturelles dans lesquelles ils évoluent, n’ont pas pleinement conscience de leurs droits et obligations, de telle sorte qu’ils n’exercent pas leurs droits ou, plus grave encore, qu’ils se retrouvent impliqués dans des poursuites judiciaires pour ne pas avoir rempli leurs obligations. L’image de la justice au sein des groupes sociaux les plus défavorisés est par conséquent formée au moyen de programmes qui sont étroitement liés à des actions « d’accès à la justice », comme, notamment, l’assistance juridique, services d’information au public, conseil juridique gratuit, accès direct au juge pour des requêtes mineures, etc. (voir la section A de l’Avis n° 6 (2004) du CCJE).

19.       Le CCJE recommande que les pouvoirs judiciaires européens et les Etats apportent un soutien général, au niveau national et international, à des « programmes de vulgarisation » tels que ceux décrits plus haut, qui devraient se généraliser. Il considère que ceux-ci vont au-delà d’une information générale à l’attention du public. Ils visent à donner une idée plus juste du rôle du juge dans la société. Dans ce contexte, le CCJE est d’avis – bien qu’il puisse revenir aux ministères de la Justice et de l’Education de fournir des informations à caractère général sur le fonctionnement de la justice et définir les orientations de l’enseignement scolaire et universitaire – que les tribunaux eux-mêmes, conformément au principe de l’indépendance de la justice, devraient être reconnus comme l’organe approprié pour mettre en place des « programmes de vulgarisation » et mener des initiatives consistant à réaliser des enquêtes, animer des groupes de discussion, faire participer des avocats et des professeurs à des forums publics, etc. En fait, ces programmes se proposent d’améliorer la compréhension et la confiance de la société à l’égard de son système judiciaire et, plus généralement, de renforcer son indépendance.

20.       Pour élaborer les programmes en question, le CCJE considère que les juges devraient avoir la possibilité de suivre des formations spécifiques en matière de relations avec le public. Les tribunaux devraient également pouvoir disposer d’un personnel qui soit spécialement chargé d’assurer la liaison avec les organismes d’éducation (cette tâche pourrait également être confiée aux services d’accueil et de communication, comme mentionné plus haut).

21.       Il semble au CCJE qu’un rôle de coordination des diverses initiatives locales, de même que de promotion de « programmes de vulgarisation » à l’échelle nationale, devrait être attribué à l’organe indépendant mentionné dans les paragraphes 37 et 45 de son Avis n°1 (2001). Ledit organe peut également, en s’adjoignant les services de professionnels rompus à l’exercice, répondre à des besoins d’information plus sophistiqués exprimés par des décideurs, universitaires et autres groupes d’intérêt public.

22.       Le CCJE a déjà déclaré qu’il faudrait accorder aux activités judiciaires un financement adapté, qui ne soit pas sujet à des fluctuations politiques, et qu’en outre les organes de la justice devraient être impliqués dans les décisions concernant l’allocation de budgets par le pouvoir législatif, moyennant par exemple un rôle de coordination de l’organe indépendant mentionné plus haut (voir Avis n° 2 (2001), paragraphes 5, 10 et 11). Il recommande que des fonds suffisants soient aussi alloués, par les tribunaux eux-mêmes, aux activités qui expliquent de manière transparente les mécanismes de la justice dans la société, selon les principes énoncés dans son Avis n° 2 (2001). Il convient par ailleurs que les dépenses liées à des « programmes de vulgarisation » soient couvertes par un poste budgétaire spécifique, de telle sorte qu’elles ne soient pas inscrites au passif du budget de fonctionnement des tribunaux.

23.       Les discussions du CCJE ont mis en lumière le fait que, afin d’assurer la perception correcte de la justice par la société, des principes similaires à ceux établis pour les juges peuvent s’appliquer aux procureurs. Le CCJE garde à l’esprit les acquis du Conseil de l’Europe concernant les procureurs[50]. Pour que l’information du public soit complète, il apparaît important au CCJE que les procureurs, pour la partie de la procédure qui les concerne, puissent contribuer à cette information.

B.         LES RELATIONS DES TRIBUNAUX AVEC LES JUSTICIABLES

24.       Les médias contribuent à façonner l’image que l’opinion publique se fait de la justice. Cependant, les impressions glanées par les citoyens appelés à participer à des procès, en tant que parties, jurés ou témoins, sont aussi un élément déterminant de l’image de la justice dans la société.

25.       De telles impressions seront négatives si le système de justice, par le biais de ses acteurs (juges, procureurs, personnel judiciaire), se montre de quelque façon que ce soit entaché de parti pris ou inefficace. De pareilles perceptions négatives s’épandront sans difficulté.

26.       Le CCJE a déjà soulevé dans ses Avis antérieurs (en particulier dans les Avis n° 1 (2001), n° 3 (2002) et n° 6 (2004)) la stricte nécessité pour les juges de maintenir (en réalité et en apparence) leur impartialité et pour les tribunaux de rendre la justice avec équité dans un délai raisonnable.  Le présent Avis porte sur les moyens d’éviter ou d’atténuer l’ignorance et les idées fausses qui peuvent naître au sujet du système judiciaire et de son fonctionnement.

27.       Le CCJE estime que pour mieux faire comprendre le rôle du pouvoir judiciaire, une action s’impose pour garantir, dans la mesure du possible, que la représentation que les justiciables se font de la justice soit exacte et qu’elle concorde avec les efforts consentis par les juges et le personnel judiciaire pour gagner leur respect et leur confiance en ce qui concerne la capacité des tribunaux à s’acquitter de leur fonction. Cette action devrait aussi démontrer les limites du champ d’action de la justice.

28.       Pour améliorer les relations avec les justiciables, plusieurs systèmes judiciaires ou des tribunaux individuels ont mis au point des programmes qui influent sur: (a) la formation déontologique des magistrats, du personnel judiciaire et des auxiliaires de justice; (b) les infrastructures judiciaires; (c) la procédure judiciaire.

a) la formation déontologique des juges, du personnel judiciaire et des auxiliaires de justice

29.       Certains programmes de formation visent à garantir que les tribunaux soient perçus, sous tous les aspects de leur comportement, comme traitant tous les plaideurs de la même manière, avec impartialité et sans discrimination fondée sur la race, le sexe, la religion, l’origine ethnique ou la position sociale. Les juges et le personnel judiciaire sont formés pour identifier les situations qu’un individu pourrait ressentir comme partiales, ne serait-ce que sur le plan des apparences, et traiter ces situations d’une manière qui renforce la confiance et le respect envers les tribunaux. Les avocats, de leur côté, organisent et reçoivent une formation déontologique spéciale pour qu’ils ne contribuent pas, intentionnellement ou non, aux attitudes de défiance à l’égard du système judiciaire.

            b) les infrastructures judiciaires

30.       Certains programmes s’attaquent aux causes de la défiance pouvant exister à l’encontre des tribunaux tenant à l’organisation infrastructurelle de ces derniers. Par exemple, le fait de déplacer le fauteuil du procureur pour l’éloigner du banc de la cour et le placer au même niveau que celui de la défense est conçu pour renforcer l’image de l’égalité des armes que doit donner un tribunal. De même, la suppression dans l’enceinte du tribunal des allusions visuelles par exemple à une religion déterminée ou à un pouvoir politique peut permettre de réduire la crainte de préjugés illégitimes et d’un manque d’indépendance des magistrats. Le fait que l’accusé, même s’il a été placé en détention provisoire, comparaisse non entravé à l’audience, sauf pour des motifs de sécurité, et le remplacement des enclos dans les salles d’audience par d’autres mesures de sûreté peuvent contribuer à ce que la présomption d’innocence dont bénéficient les prévenus apparaisse effectivement assurée par les tribunaux. Il faut aussi signaler, pour améliorer la transparence des tribunaux, la création de services d’accueil et de communication dans les juridictions, qui peuvent dispenser aux usagers des services judiciaires des informations sur le déroulement des procédures ou l’état d’avancement d’une affaire déterminée, guider les usagers dans leurs démarches et si la configuration des lieux le nécessite, les accompagner jusqu’au bureau ou la salle d’audience recherchés.

            c) la procédure judiciaire

31.       Certaines mesures visent à supprimer, parmi les étapes de la procédure, celles qui peuvent être mal reçues (référence religieuse obligatoire dans le serment, façon de s’adresser aux personnes etc.). D’autres mesures ont pour objet d’instituer des procédures garantissant, par exemple, qu’avant de comparaître, les plaideurs, jurés ou les témoins sont reçus, seuls ou en groupe, par des auxiliaires de justice qui leur présentent des exposés oraux ou audiovisuels, conçus en collaboration avec des experts en sciences sociales, sur la manière dont se déroulera probablement leur expérience judiciaire. Ces exposés ont pour finalité de dissiper toute perception erronée de la réalité de l’activité judiciaire.

32.       Le CCJE ne peut qu’encourager toutes les initiatives exposées aux paragraphes 29, 30 et 31, dès lors qu’elles ont pour but de renforcer l’image d’impartialité des juges et de permettre de rendre une bonne justice.

C.         LES RELATIONS DES TRIBUNAUX AVEC LES MEDIAS

33.       Les médias ont l’accès, en conformité avec les modalités et des limites établies par la législation nationale, à l’information judiciaire et aux audiences (voir par exemple Recommandation Rec(2003)13 sur la diffusion d’informations par les médias en relation avec les procédures pénales). Les professionnels des médias sont entièrement libres du choix des sujets susceptibles d’être portés à la connaissance du public et de la manière de les traiter. Il ne s’agit pas d’empêcher les médias d’émettre des appréciations critiques sur l’organisation ou le fonctionnement de la justice. La justice devrait accepter le rôle des médias qui peuvent  au demeurant, en tant qu’observateurs extérieurs à l’institution, mettre en évidence des dysfonctionnements et contribuer de manière constructive à l’amélioration de la pratique des tribunaux et de la qualité des services offerts aux usagers. 

34.       Les juges s’expriment avant tout par la motivation de leurs décisions et ne devraient pas expliquer eux-mêmes celles-ci dans la presse ou, plus généralement, s’exprimer publiquement dans les médias sur les affaires dont ils ont la charge. Il apparaît néanmoins utile d’améliorer les contacts entre les tribunaux et les médias :

i)          pour renforcer la compréhension de leurs rôles respectifs ;

ii)         pour informer le public sur la nature, l’ampleur, les limites et la complexité de l’activité judiciaire ; 

iii)         pour rectifier les erreurs factuelles éventuellement commises dans la relation des affaires judiciaires ;

35.       Les juges devraient avoir un rôle de supervision des porte-parole ou du personnel responsable de la communication avec les médias.

36.       Le CCJE rappelle les conclusions de la2e Conférence européenne des Juges (voir paragraphe 3 ci-dessus) qui invite le Conseil de l’Europe, d’une part à faciliter la tenue de rencontres régulières entre les représentants de la justice et les médias, d’autre part à envisager l’élaboration d’une Déclaration européenne des relations entre les représentants de la justice et les médias, en complément de la Recommandation Rec(2003)13 sur la diffusion d’informations par les médias en relation avec les procédures pénales.

37.       Il faudrait dans les Etats favoriser, notamment par des tables rondes, les échanges sur les règles et pratiques de chaque profession, pour faire connaître et comprendre les difficultés rencontrées. Le CCJE estime qu’il pourrait être utile que le Conseil de l’Europe organise ou favorise de tels contacts au niveau européen afin de rendre les attitudes en Europe plus cohérentes.

38.       Le développement d’un enseignement sur les institutions judiciaires et le déroulement des procédures devrait également être favorisé dans les écoles de journalisme.

39.       Le CCJE estime souhaitable que chaque profession (juges et journalistes) définisse des guides de bonnes pratiques pour l’organisation de ses rapports avec les représentants de l’autre profession et la relation des affaires judiciaires. Il s’agirait, notamment, comme le montre l’expérience des Etats qui connaissent déjà un tel système, pour le pouvoir judiciaire de définir les conditions dans lesquelles l’information peut être donnée aux médias sur les affaires judiciaires, pour les journalistes de fournir des indications sur la manière d’évoquer les affaires en cours, de communiquer les noms (ou images) des personnes en cause ou de recourir à l’anonymat (parties, victimes, témoins, procureur, juge d’instruction, juge statuant dans l’affaire, etc.), de même que de rendre compte des jugements dans les affaires ayant donné lieu à une grande publicité. En conformité avec son Avis n° 3 (2002), paragraphe 40, le CCJE recommande que les autorités judiciaires nationales fassent des démarches en ce sens.

40.       Le CCJE recommande de mettre en place des mécanismes efficaces, qui pourraient prendre la forme d’un organe indépendant. Ces mécanismes auraient pour objet, en cas de difficulté suscitée par la relation dans les médias d’une affaire judiciaire ou des difficultés rencontrées par les journalistes dans l’accomplissement de leur mission d’information, de proposer des recommandations à portée générale susceptibles de prévenir le renouvellement des problèmes constatés.

41.       Il faut aussi encourager le développement de services d’accueil et de communication dans les juridictions, non seulement, comme cela a déjà été indiqué, pour recevoir le public et guider les usagers des services judiciaires, mais aussi pour contribuer à la meilleure compréhension par les médias de l’activité juridictionnelle.

42.       Ce service, que les juges devraient superviser, pourrait ainsi avoir pour vocation:

-           de communiquer des résumés des décisions aux médias ;

-           de fournir des informations factuelles sur les décisions judiciaires aux médias ;

-           d’être en contact avec les médias par rapport aux audiences qui suscitent une attention particulière du public ;

-           d’apporter des précisions ou des rectifications factuelles sur des affaires ayant donné lieu à une relation dans les médias (voir aussi paragraphe 34, iii ci-dessus). Les services d’accueil ou le porte-parole de la juridiction[51] pourraient à cette occasion préciser à l’attention des médias les enjeux et les difficultés juridiques de l’affaire en cause, préparer l’ordonnancement de l’audience, prévoir les dispositions pratiques à prendre, notamment en vue de la protection des personnes participant à l’audience comme parties, jurés ou témoins. 

43.       Toute information fournie aux médias par les tribunaux devrait être communiquée dans le respect des principes de transparence et d’égalité de traitement des médias.

44.       La question de la présence des caméras dans les prétoires pour des raisons autres que les motifs de procédure a fait l’objet d’un débat important, aussi bien lors de la 2e Conférence européenne des Juges (voir paragraphe 3 ci-dessus) qu’au cours des réunions du CCJE. Certains membres du CCJE se sont montrés très réservés sur cette forme nouvelle de publicité donnée aux activités judiciaires.

45.       La publicité de la justice fait partie des garanties procédurales fondamentales dans les sociétés démocratiques. Si le droit international et les réglementations internes prévoient des exceptions au principe de la publicité des débats judiciaires, il importe que ces exceptions soient limitées à celles prévues par l’article 6.1 de la CEDH.

46.       Le principe de la publicité de la justice suppose que les citoyens et professionnels des médias puissent avoir accès aux enceintes judiciaires où se déroulent les procès, mais le développement  des moyens audiovisuels d’information confère aux événements relatés une amplification telle qu’elle transforme radicalement la notion de publicité de la justice. Si elle peut produire un effet bénéfique auprès du public quant à la connaissance du déroulement des procédures judiciaires et à l’image de la justice, on peut craindre en revanche que la présence des caméras de télévision dans les salles d’audience perturbe le bon déroulement des débats et modifie le comportement des acteurs du procès (juges, procureurs, avocats, parties à la procédure, témoins...).

47.       Dans l’hypothèse où la diffusion des audiences est télévisée, des caméras fixes devraient être utilisées et le président d’audience devrait avoir la possibilité tant de décider les conditions du filmage que d’interrompre à tout instant la diffusion. Ces mesures, ainsi que toute autre mesure nécessaire, devraient préserver les droits des personnes et assurer un bon déroulement de l’audience.

48.       L’opinion des personnes présentes à la procédure devrait également être prise en considération, en particulier pour certains types de procès comme par exemple ceux mettant en cause des faits de la vie privée.

49.       Compte tenu de l’impact particulièrement important d’une diffusion télévisée et du risque de dérive vers une curiosité malsaine, le CCJE encourage les médias à développer leur propre code de déontologie visant à assurer une diffusion équilibrée des débats filmés, de manière à garantir un compte-rendu objectif de l’audience.

50.       Il peut y avoir des motifs impérieux justifiant le tournage d’un film des débats judiciaires dans des cas déterminés strictement définis, par exemple à des fins pédagogiques et éducatives, ou pour conserver la mémoire filmée de débats présentant un intérêt historique particulier en vue d’une utilisation future. Si de tels motifs existent, le CCJE souligne la nécessité d’assurer la protection des personnes concernées par le procès, notamment selon des modalités de filmage n’affectant pas la sérénité des débats.

51.       Si les médias jouent un rôle essentiel dans la réalisation du droit du public à l’information et constituent, selon la terminologie de la Cour européenne des droits de l’homme, le “chien de garde de la démocratie”, ils peuvent parfois porter atteinte à la vie privée, à la réputation ou à la présomption d’innocence dont les individus peuvent légitimement demander aux tribunaux d’assurer la réparation. La recherche du sensationnel et la concurrence commerciale existant entre les médias exposent au risque d’abus et d’erreurs. Dans le domaine pénal, les accusés sont parfois présentés publiquement par les médias avant tout jugement comme coupables d’infractions avant que la juridiction compétente ne se soit prononcée sur leur culpabilité. Même si la responsabilité de cette personne est ultérieurement écartée par la juridiction de jugement, cette personne n’aura pas moins souffert du préjudice irrémédiablement causé par la publication déjà effectuée par les médias, qui ne sera pas effacé par le jugement.

52.       Il faut donc que les tribunaux accomplissent leur devoir, en conformité avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, d’assurer un équilibre entre les valeurs qui se confrontent : protection de la dignité humaine, de la vie privée, de la réputation et la présomption d’innocence d’une part, et la liberté d’information d’autre part.

53.       La réponse pénale aux atteintes aux droits de la personnalité (tels que réputation, dignité et vie privée) devrait être limitée à des affaires tout à fait exceptionnelles, comme cela ressort des conclusions de la 2e Conférence européenne des Juges (voir paragraphe 3 ci-dessus)[52]. En revanche, il incombe aux juges d’assurer des réparations civiles prenant en considération non seulement les préjudices subis par la victime, mais aussi la gravité des atteintes qui lui sont portées et l’importance de la publication en cause.

54.       Il faudrait que les tribunaux puissent, dans des cas exceptionnels strictement définis afin d’éviter le reproche de censure, intervenir en urgence pour mettre fin immédiatement par des mesures de saisie des publications ou prévenir par des interdictions de diffusion, les atteintes les plus graves aux droits de la personnalité, tels que réputation, dignité et vie privée.

55.       Lorsqu’un juge ou un tribunal est contesté ou attaqué par les médias (ou par des acteurs politiques ou autres de la société, par l’intermédiaire des médias) pour des raisons ayant trait à l’administration de la justice, le CCJE considère que le devoir de réserve des juges impliqués devrait leur interdire de réagir en utilisant les mêmes canaux. Le CCJE, gardant en mémoire le fait que les tribunaux devraient pouvoir rectifier les informations erronées diffusées par la presse, estime qu’il serait souhaitable que les pouvoirs judiciaires nationaux s’adjoignent les services de personnes ou d’un organe (par exemple le Conseil supérieur de la magistrature ou les associations de juges) qui soi(en)t prêt(s) à réagir de manière rapide et efficace à de telles contestations ou attaques, si nécessaire.

D.        ACCESSIBILITE, SIMPLIFICATION ET CLARTE DU LANGAGE UTILISE PAR LES TRIBUNAUX DANS LES JUGEMENTS ET LES DECISIONS

56.       Le langage utilisé par les tribunaux dans leurs jugements et décisions n’est pas seulement un puissant outil mis à leur service pour remplir leur rôle éducatif (voir paragraphe 6 ci-dessus), mais il constitue aussi, naturellement et plus directement, la « loi en pratique » pour les parties au litige. Il est donc souhaitable qu’il soit à la fois accessible, simple et clair[53].

57.       Le CCJE remarque que, dans certains pays européens, les juges pensent qu’un jugement a d’autant plus d’autorité qu’il est court ; dans d’autres, ils se sentent obligés, ou sont obligés par la loi ou la pratique, d’expliciter en détail et par écrit tous les éléments de leurs décisions.

58.       Sans avoir pour but de traiter en profondeur un sujet qui dépend, dans une large mesure, des styles juridiques nationaux, le CCJE juge qu’un langage simple et clair est bénéfique en ce sens qu’il rend le droit accessible et prévisible pour les citoyens, si nécessaire avec l’aide d’un juriste, comme le suggère la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

59.       Le CCJE considère que le langage de la justice devrait être concis et direct, en évitant – sauf nécessité – le latin et les termes qui sont difficiles à comprendre pour le grand public[54]. Le droit et les notions juridiques peuvent parfaitement être clarifiés en citant la législation ou certains précédents judiciaires.

60.       La clarté et la concision ne devraient toutefois pas constituer une fin en soi ; il est en effet nécessaire que les juges exposent dans leurs décisions une motivation précise et complète. Pour le CCJE, la législation ou la pratique judiciaire concernant la motivation qui préside aux jugements devrait être telle qu’une certaine forme d’argumentaire existe toujours, et que suffisamment de latitude soit laissée au juge pour choisir, quand cela est acceptable, d’opter pour un jugement oral (retranscrit à partir d’un enregistrement sur demande ou en cas de besoin) et/ou un court jugement écrit motivé (par exemple, sous la forme de la décision de type « attendu » utilisée dans certains pays) ou encore un jugement écrit motivé détaillé, chaque fois qu’il est impossible de s’appuyer sur des précédents établis et/ou que la motivation factuelle l’impose. Les formes de motivation simplifiées peuvent s’appliquer aux ordonnances, assignations, décrets et autres décisions qui ont une valeur procédurale et ne concernent pas les droits substantiels des parties.

61.       La mise à disposition du public des décisions de justice constitue un aspect important de l’accessibilité du droit[55]. Le CCJE recommande donc qu’au moins toutes les décisions qui représentent des points de repère, y compris, naturellement, celles qui émanent de la Cour suprême, puissent être consultées gratuitement sur Internet, de même que sous forme imprimée contre le remboursement des seuls frais de reproduction ; il faudrait toutefois que des mesures appropriées soient alors prises pour protéger la vie privée des personnes concernées, en particulier celle des parties et des témoins.

RESUME DES RECOMMANDATIONS ET CONCLUSIONS

A.         Les relations des tribunaux avec le public avec une référence particulière au rôle qui leur incombe dans une démocratie

A.1.      L’Etat devrait dispenser à l’ensemble de la population, à l’école et dans les universités, une formation civique qui comprenne un volet important sur la justice (voir paragraphe 11 ci-dessus).

A.2.      Les programmes pertinents d’éducation devraient prévoir une description du système judiciaire, des visites des tribunaux et l’enseignement actif des procédures judiciaires. Les juridictions et les associations de juges peuvent travailler en collaboration avec les écoles, les universités et les autres établissements scolaires pour présenter dans les programmes scolaires et dans le débat public le raisonnement spécifique du juge (voir paragraphe 12 ci-dessus).

A.3.      Les tribunaux devraient participer à des programmes cadres généraux émanant d’autres institutions d’Etat et tenir un rôle actif dans l’information du public (voir paragraphes 14 et 15 ci-dessus).

A.4.      Les mesures suivantes sont ainsi recommandées (voir paragraphes 16 - 19 ci-dessus) :

-          création dans les tribunaux de services d’accueil et de communication ;

-          distribution de documents informatifs, création de sites Internent sous la responsabilité des tribunaux ;

-          mise en place par les tribunaux d’un calendrier de forums éducatifs et/ou de réunions régulières ouvert(e)s aux citoyens, organismes d’intérêt public, décideurs, étudiants, etc. ;

-          « programmes de vulgarisation » et programmes d’accès à la justice.

A.5.      Les juges devraient avoir la possibilité de suivre des formations spécifiques en matière de relations avec le public et les tribunaux devraient disposer d’un personnel spécialement chargé d’assurer la liaison avec les organismes d’éducation (voir paragraphe 20 ci-dessus).

A.6.      Un rôle de coordination des diverses initiatives locales, de même que de promotion de « programmes de vulgarisation » à l’échelle nationale, devrait être attribué à l’organe indépendant mentionné dans les paragraphes 37 et 45 de l’Avis CCJE n° 1 (2001) (voir paragraphe 21 ci-dessus).

A.7.      Des fonds suffisants, non inscrits au passif du budget de fonctionnement des tribunaux, devraient être alloués aux tribunaux pour les activités qui expliquent de manière transparente les principes et les mécanismes de la justice dans la société et pour les dépenses liées à des « programmes de vulgarisation » (voir paragraphe 22 ci-dessus).

A.8.      Les procureurs devraient, pour la partie de la procédure qui les concerne, contribuer à l’information du public (voir paragraphe 23 ci-dessus).

B.         Les relations des tribunaux avec les justiciables

B.1.      Le CCJE estime que pour mieux faire comprendre le rôle du pouvoir judiciaire, une action s’impose pour garantir, dans la mesure du possible, que la représentation que les justiciables se font de la justice soit exacte et qu’elle concorde avec les efforts consentis par les juges et le personnel judiciaire pour gagner leur respect et leur confiance en ce qui concerne la capacité des tribunaux à s’acquitter de leur fonction. Cette action devrait aussi démontrer les limites du champ d’action de la justice (voir paragraphes 24 - 27 ci-dessus).

B.2.      Le CCJE encourage toutes les initiatives ayant pour but de renforcer l’image d’impartialité des juges et de permettre de rendre une bonne justice (voir paragraphes 28 - 32 ci-dessus).

B.3.      Ces initiatives peuvent prendre la forme (voir paragraphes 28 - 32 ci-dessus) :

-          de programmes de formation à la non-discrimination et le traitement équitable, organisés par les tribunaux pour les juges et le personnel judiciaire (en complément des programmes similaires organisés par les avocats pour les avocats) ;

-          d’une organisation infrastructurelle de tribunaux visant à éviter toute impression de l’inégalité des armes ;

-          de procédures visant, dans leur conception, à éviter de provoquer des vexations involontaires et à faciliter la participation de tous ceux qui sont concernés par le processus judiciaire.

C.         Les relations des tribunaux avec les médias

C.1.      Le CCJE estime qu’il apparaît utile d’améliorer les contacts entre les tribunaux et les médias (voir paragraphe 34 ci-dessus) :

-          pour renforcer la compréhension de leurs rôles respectifs ;

-          pour informer le public sur la nature, l’ampleur, les limites et la complexité de l’activité judiciaire ;

-          pour rectifier les erreurs factuelles éventuellement commises dans la relation des affaires judiciaires.

C.2.      Les juges devraient avoir un rôle de supervision des porte-parole et du personnel  responsable de la communication avec les médias (voir paragraphe 35 ci-dessus).

C.3.      Le CCJE estime qu’il faudrait favoriser, notamment par des tables rondes, les échanges sur les règles et pratiques de chaque profession et qu’il serait utile que le Conseil de l’Europe organise ou favorise de tels contacts au niveau européen afin de rendre les attitudes en Europe plus cohérentes (voir paragraphes 36 et 37 ci-dessus).

C.4.      Le développement d’un enseignement sur les institutions judiciaires et le déroulement des procédures devrait être favorisé dans les écoles de journalisme (voir paragraphe 38 ci-dessus).

C.5.      Le CCJE estime souhaitable que chaque profession (juges et journalistes) définisse des guides de bonnes pratiques pour l’organisation de ses rapports avec les représentants de l’autre profession et la relation des affaires judiciaires (voir paragraphe 39 ci-dessus).

C.6.      Le CCJE recommande de mettre en place des mécanismes efficaces, qui pourraient prendre la forme d’un organe indépendant, ayant pour objet, en cas de difficulté suscitée par la relation dans les médias d’une affaire judiciaire ou de difficultés rencontrées par les journalistes dans l’accomplissement de leur mission d’information, de proposer des recommandations à portée générale susceptibles de prévenir le renouvellement des problèmes constatés (voir paragraphe 40 ci-dessus).

C.7.      Il faudrait encourager le développement de services d’accueil et de communication dans les juridictions supervisés par les juges, pour contribuer à la meilleure compréhension par les médias de l’activité juridictionnelle en (voir paragraphes 41 et 42 ci-dessus) :

-          communiquant aux médias des résumés des décisions ;

-          fournissant des informations factuelles sur les décisions ;

-          étant en contact ave les médias pour les audiences qui suscitent une attention particulière du public ;

-          apportant des précisions ou des rectifications factuelles sur des affaires ayant donné lieu à une relation dans les médias.

C.8.      Le CCJE estime que toute information fournie aux médias par les tribunaux devrait être communiquée dans le respect des principes de transparence et d’égalité de traitement des médias (voir paragraphe 43 ci-dessus).

C.9.      Le CCJE estime que, dans l’hypothèse où la diffusion des audiences est télévisée, des caméras fixes devraient être utilisées et le président d’audience devrait avoir la possibilité   tant de décider les conditions du filmage que d’interrompre à tout instant la diffusion, les mesures prises devant préserver les droits des personnes et assurer un bon déroulement de l’audience. En outre, l’opinion des personnes présentes à la procédure devrait également être prise en considération, en particulier pour certains types de procès comme ceux mettant en cause des faits de la vie privée (voir paragraphes 44 - 48 ci-dessus).

C.10.    Le CCJE encourage les médias à développer leur code de déontologie visant à assurer une diffusion équilibrée des débats filmés, de manière à garantir un compte-rendu objectif de l’audience (voir paragraphe 49 ci-dessus).

C.11.    Le CCJE estime que, s’il existe des motifs impérieux justifiant le tournage d’un film des débats judiciaires dans des cas déterminés strictement définis (par exemple à des fins pédagogiques et éducatives ou pour conserver la mémoire filmée de débats présentant un intérêt historique particulier en vue d’une utilisation future), il est nécessaire d’assurer la protection des personnes concernées par le procès, notamment selon des modalités de filmage n’affectant pas la sérénité des débats (voir paragraphe 50 ci-dessus).

C.12.    Le CCJE estime que la réponse pénale aux atteintes aux droits de la personnalité devrait être limitée à des affaires tout à fait exceptionnelles, que les juges devraient en revanche assurer des réparations civiles prenant en considération non seulement les préjudices subis par la victime, mais aussi la gravité des atteintes qui lui sont portées et l’importance de la publication en cause, que dans des cas exceptionnels les tribunaux devraient pouvoir intervenir en urgence pour mettre fin immédiatement par des mesures de saisie des publications ou pour prévenir par des interdictions de diffusion, les atteintes les plus graves aux droits de la personnalité (voir paragraphes 51 - 54 ci-dessus).

C.13.    Le CCJE estime que lorsqu’un juge ou un tribunal est contesté ou attaqué par les médias, le devoir de réserve des juges impliqués leur interdit de réagir en utilisant les mêmes canaux. En revanche, les tribunaux devant pouvoir rectifier les informations erronées diffusées par la presse, le CCJE estime qu’il serait souhaitable que les pouvoirs judiciaires nationaux s’adjoignent les services de personnes ou d’un organe (par exemple le Conseil supérieure de la magistrature ou les associations de juges) qui soient prêts à réagir de manière rapide et efficace à de telles contestations ou attaques (voir paragraphe 55 ci-dessus).

D.         Accessibilité, simplification et clarté du langage utilisé par les tribunaux dans les jugements et les décisions

D.1.      Le CCJE considère qu’il est souhaitable que le langage judiciaire soit à la fois accessible, simple et clair (voir paragraphes 56 - 58 ci-dessus).

D2.       Le CCJE considère que le langage de la justice devrait être concis et direct, en évitant – sauf nécessité – le latin et les termes qui sont difficiles à comprendre pour le grand public. Le droit et les notions juridiques peuvent parfaitement être clarifiés en citant la législation ou certains précédents judiciaires (voir paragraphe 59 ci-dessus).

D.3.      Le CCJE estime que la motivation des décisions devrait toujours être précise et complète. Cependant, une motivation simplifiée peut être utilisée dans certains cas et suffisamment de latitude devrait être laissée au juge pour choisir, quand cela est acceptable, d’opter plutôt pour un jugement motivé oralement (retranscrit sur demande ou en cas de besoin) que par écrit (voir paragraphe 60 ci-dessus).

D.4.      Le CCJE recommande qu’au moins toutes les décisions qui représentent des points de repère, y compris celles des cours suprêmes, puissent être consultées gratuitement sur Internent, de même que sous forme imprimée contre le remboursement des seuls frais de reproduction, des mesures appropriées devant toutefois être prises pour protéger la vie privée des personnes concernées, en particulier celles des parties et des témoins (voir paragraphe 61 ci-dessus).



avis n° 8 (2006)

du conseil consultatif de juges européens (ccje)

a l’attention du comité des ministres du conseil de l’europe

sur

le rôle des juges dans la protection de l’Etat de droit et des droits de l’homme dans le contexte du terrorisme

A.         Introduction

a.         Contexte général

1.             Afin de mettre en œuvre le Plan d’action adopté lors du 3ème Sommet des chefs d’Etat et de gouvernement du Conseil de l’Europe[56], qui invitait les Etats européens à assurer une protection efficace des droits de l’homme tout en intensifiant la lutte contre le terrorisme, le Comité des Ministres a confié au Conseil consultatif de Juges européens (CCJE) la tâche d’adopter en 2006 un avis sur le rôle du juge et l’équilibre entre la protection de l’intérêt public et des droits de l’homme dans le contexte de la lutte contre le terrorisme[57].

2.             Le Conseil de l’Europe a concentré ses efforts, dans le contexte de la lutte contre le terrorisme, sur la recherche d’un équilibre judicieux entre la préservation des droits et libertés individuels et la protection de la sécurité publique. Son action s’articule autour de trois axes :

·          le renforcement de l’action juridique contre le terrorisme ;

·          la sauvegarde des valeurs démocratiques fondamentales ;

·          la lutte contre les causes du terrorisme.

3.             Ces travaux spécifiques ont débouché sur plusieurs instruments juridiques du Conseil de l’Europe, et en particulier:

·          Convention européenne pour la répression du terrorisme [STE n° 90] et Protocole portant amendement à cette Convention [STE n° 190;

·          Convention européenne d’extradition [STE n° 24] et premier et deuxième Protocoles additionnels [STE n° 86 et STE n° 98] ;

·          Convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale [STE n° 30] et premier et deuxième Protocoles additionnels [STE n° 99 et STE n° 182] ;

·          Convention européenne sur la transmission des procédures répressives [STE n° 73] ;

·          Convention européenne relative au dédommagement des victimes d’infractions violentes [STE n° 116] ;

·          Convention relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime [STE n° 141] ;

·          Convention sur la cybercriminalité [STE n° 185] et Protocole additionnel relatif à l’incrimination d’actes de nature raciste et xénophobe commis par le biais de systèmes informatiques [STE n° 189] ;

·          Convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme [STCE n° 196] ;

·          Convention du Conseil de l’Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime et au financement du terrorisme [STCE n° 198].

4.             Aux fins du présent Avis, le CCJE rappelle également les autres instruments internationaux pertinents de l’Union européenne (voir en particulier le Plan d’Action de l’UE contre le terrorisme)[58] et de l’Organisation des Nations Unies, et en particulier :

·          Convention sur la prévention et la répression des infractions contre les personnes jouissant d’une protection internationale, y compris les agents diplomatiques, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 14 décembre 1973 ;

·          Convention internationale contre la prise d’otages, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 17 décembre 1979 ;

·          Convention internationale pour la répression des attentats terroristes à l’explosif, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 15 décembre 1997 ;

·          Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 9 décembre 1999 ;

·          Convention internationale pour la répression des actes de terrorisme nucléaire, New York, 13 avril 2005 ;

·          Convention relative aux infractions et à certains autres actes survenant à bord des aéronefs, signée à Tokyo le 14 septembre 1963 ;

·          Convention pour la répression de la capture illicite d’aéronefs, signée à La Haye le 16 décembre 1970 ;

·          Convention pour la répression d’actes illicites dirigés contre la sécurité de l’aviation civile, signée à Montréal le 23 septembre 1971 ;

·          Convention sur la protection physique des matières nucléaires, signée à Vienne le 3 mars 1980 ;

·          Protocole pour la répression des actes illicites de violence dans les aéroports servant à l’aviation civile internationale, complémentaire à la Convention pour la répression d’actes illicites dirigés contre la sécurité de l’aviation civile, signé à Montréal le 24 février 1988 ;

·          Convention pour la répression d’actes illicites contre la sécurité de la navigation maritime, conclue à Rome le 10 mars 1988 ;

·          Protocole pour la répression d’actes illicites contre la sécurité des plates-formes fixes situées sur le plateau continental, conclu à Rome le 10 mars 1988 ;

·          Convention sur le marquage des explosifs plastiques et en feuilles aux fins de détection, signée à Montréal le 1er mars 1991.

5.             Dans la mesure où certaines de leurs dispositions ont un rapport avec le sujet du présent Avis, le CCJE souhaite également rappeler les Conventions de Genève du 12 août 1949 :

·          Convention (I) pour l'amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces armées en campagne ;

·          Convention (II) pour l'amélioration du sort des blessés, des malades et des naufragés des forces armées sur mer ;

·          Convention (III) de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre ;

·          Convention (IV) relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre.

6.             Le CCJE rappelle en outre son Avis n° 6 (2004) sur « le procès équitable dans un délai raisonnable et le rôle des juges dans le procès, en prenant en considération les modes alternatifs de règlement des litiges », et son Avis n° 7 (2005) sur « justice et société ».

b.         Conciliation des droits de l’homme avec la nécessité de prendre des mesures contre le terrorisme

7.             Le Conseil de l’Europe a déjà souligné à plusieurs occasions qu’une lutte efficace contre le terrorisme était possible dans le respect des droits de l’homme.

8.             Dans cette perspective, le Comité des Ministres a adopté, en juillet 2002[59], les Lignes directrices sur les droits de l’homme et la lutte contre le terrorisme, qui affirment l’obligation pour les Etats de protéger toute personne contre le terrorisme, tout en rappelant la nécessité d’interdire l’arbitraire, de veiller à la légalité de toute mesure antiterroriste et d’interdire de manière absolue la torture.

9.             Les Lignes directrices fixent aussi un cadre juridique en ce qui concerne, notamment, la collecte et le traitement de données à caractère personnel, les mesures d’ingérence dans la vie privée, l’arrestation, la garde à vue et la détention provisoire, les procédures judiciaires, l’extradition et le dédommagement des victimes.

10.           Dans le prolongement de ce texte, le Comité des Ministres a adopté, en mars 2005[60], les Lignes directrices sur la protection des victimes d’actes terroristes, reconnaissant leurs souffrances et la nécessité de soutenir ces victimes.

11.           L’expérience quotidienne et les événements de l’actualité montrent que, bien que le terrorisme ne soit pas un problème nouveau, il a récemment pris une ampleur internationale sans précédent. La lutte contre le terrorisme constitue un défi spécifique et particulièrement difficile à relever pour les Etats et les services chargés de l’application de la loi et, en conséquence, pour les systèmes judiciaires qui doivent réagir de façon créative dans le cadre de la Convention européenne des droits de l’homme.

12.           Il y a incontestablement un rapport conflictuel entre le terrorisme et l’exercice des droits et libertés individuels. Le terrorisme, non seulement met en danger gravement les droits fondamentaux, en particulier le droit à la vie et à l’intégrité physique, met en danger les principes de l’Etat de droit et de la démocratie pluraliste mais, de plus, risque d’amener les Etats à imposer des mesures de contrainte qui, si l’on n’y prend garde, peuvent elles-mêmes porter préjudice aux droits de l’homme.

13.           C’est dans ce contexte que le CCJE a estimé opportun, en tant qu’organe composé uniquement de juges, de s’interroger sur le rôle de ceux-ci dans la protection de l’Etat de droit et des droits de l’homme dans le contexte du terrorisme.

14.           Le CCJE considère que le juge, investi de la double mission de répression des actes contraires à la loi et de protection des droits et libertés constitutionnellement garantis aux personnes, doit occuper une place essentielle dans les dispositifs juridiques des Etats et posséder des prérogatives suffisantes pour mener à bien ces missions.

15.           Le CCJE estime que si le terrorisme, en raison des dangers exceptionnels qu’il provoque, crée une situation spécifique autorisant des limitations temporaires et particulières à l’exercice de certains droits, ces mesures doivent être déterminées par la loi, être nécessaires et proportionnées au but poursuivi dans une société démocratique (voir concernant le droit d’expression, l’article 10 paragraphe 2 de la Convention européenne des droits de l’homme et, en général, le principe III des Lignes directrices sur les droits de l’homme et la lutte contre le terrorisme) et être l’objet d’un examen détaillé et d’un contrôle de leur légitimité par des juges qui, selon les traditions juridiques de plusieurs Etats, ont normalement compétence dans le domaine du droit concerné (civil, pénal ou tribunaux administratifs – contrairement aux «tribunaux d’exception» œuvrant en dehors du système judiciaire ordinaire, voir également paragraphes 26, 33-34 et 42 et suivants ci-dessous).

16.           En toute hypothèse, ces mesures ne doivent jamais porter aux droits et libertés des personnes une atteinte telle qu’elles risquent d’affecter le principe même des règles fondamentales gouvernant les  sociétés démocratiques.

17.           A la lumière de ces considérations générales, il convient d’examiner les incidences des mesures administratives (partie B) et des mesures pénales (partie C) susceptibles d’être prises pour la lutte contre le  terrorisme ainsi que le rôle du juge dans la protection de la liberté d’expression (partie D).

B.         Mesures administratives

18.           Pour s’acquitter de leur obligation de prévenir les actes terroristes pour protéger leur population, les Etats peuvent, par l’intermédiaire de leurs autorités administratives, prendre des mesures distinctes des sanctions pénales applicables aux infractions terroristes déjà commises.

19.           Les expulsions d’étrangers, les exigences de visas et de permis de séjour, les contrôles d’identité, l’interdiction des associations, l’interdiction des réunions, la mise sur écoute de lignes téléphoniques, l’installation de caméras vidéo, la recherche d’individus par le biais des nouvelles technologies constituent autant d’exemples de telles mesures préventives.

20.           Les mesures préventives exigent – comme les réactions pénales – qu’un équilibre soit garanti entre l’obligation d’assurer une protection contre les actes terroristes et l’obligation de protéger les droits de l’homme.

21.           Dans le développement d’actions visant à assurer un tel équilibre, les juges ont un rôle central à jouer. Evidemment, il appartient avant tout aux Etats d’adopter et aux autorités administratives d’appliquer les mesures nécessaires à la réalisation de cet équilibre ; dans l’application de la législation adoptée pour lutter contre les menaces terroristes, les tribunaux doivent toujours procéder à un examen détaillé et un contrôle juridictionnel des dispositions législatives et administratives afin de vérifier leur légalité, leur nécessité et leur proportionnalité.

 

22.           A cet égard, il convient de respecter les instruments juridiques internationaux et européens, et notamment les obligations qui découlent de la Convention européenne des droits de l’homme. La protection de la sécurité nationale peut aboutir à la restriction de droits individuels consacrés par la Convention[61].

23.           Les mesures visant à prévenir le terrorisme ne doivent néanmoins jamais violer des droits fondamentaux tels que le droit à la vie (article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme) ou l’interdiction de la torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants (article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme).

24.           Concernant l’article 3, le CCJE note que la Cour européenne des Droits de l’Homme affirme que le terrorisme ne saurait justifier aucune dérogation à l’interdiction absolue de la torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants, quels que soient les agissements de la victime[62]. Selon la Cour, pour apprécier s’il existe un risque réel de traitement contraire à l’article 3 dans les affaires d’expulsion, le fait de voir dans l’intéressé un risque pour la sécurité nationale de l’Etat défendeur ne saurait entrer en ligne de compte[63].

25.           L’accès effectif au contrôle juridictionnel pour les actes administratifs visant à prévenir le terrorisme devrait être assuré, conformément à la Recommandation Rec(2004)20 du Comité des Ministres aux Etats membres sur le contrôle juridictionnel des actes de l’administration[64]. Pour être effectif au sens de l’article 13 de la Convention européenne des droits de l’homme, un recours devrait exister, au-delà de la question de savoir si la personne concernée est perçue comme un danger pour la sécurité nationale[65].

26.           Le contrôle juridictionnel inclut le contrôle de toute violation de la loi par des juges qui, selon les traditions juridiques de plusieurs Etats, ont normalement compétence dans le domaine du droit concerné (sur ce point et sur les exigences qui suivent, voir Rec(2004)20 mentionnée au paragraphe 25). Le tribunal, généralement civil ou administratif, devrait être en mesure d’examiner toutes les questions de fait et de droit et ne devrait pas être lié par l’enquête des autorités.

27.           Le droit à un procès équitable doit en particulier être garanti (article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme). Cela signifie, entre autres, que les parties doivent être à armes égales lors de la procédure. La procédure doit avoir un caractère contradictoire.

28.           Pour que le droit à un procès équitable puisse être exercé, tous les moyens de preuve admis par le tribunal doivent en principe être mis à la disposition des parties en vue d’un débat contradictoire[66]. La question se pose de savoir dans quelle mesure il est acceptable de limiter l’accès aux pièces du dossier, aux témoins ou à d’autres éléments de preuve si des motifs de sécurité sont invoqués. Lorsque l’accès aux pièces du dossier est accordé aux avocats et non aux parties elles-mêmes parce que la divulgation directe d’éléments de preuve aux personnes concernées risque d’être contraire à l’intérêt public[67], des questions pouvant prêter à difficultés apparaissent quant à savoir s’il s’agit ou non d’une limitation fondamentale du recours effectif et des droits de la défense. Quelle que soit la solution envisagée concernant l’accès aux preuves des parties et des avocats, le CCJE estime qu’aucune restriction ne devrait être apportée à la possibilité pour le juge d’accéder directement et personnellement aux pièces, témoins et autres éléments de preuve, afin que le tribunal ait la possibilité d’établir tous les faits pertinents et d’assurer ainsi un recours effectif (Article 13 de la Convention européenne des droits de l’homme).  

29.           Les principes ci-dessus s’appliquent également aux décisions concernant l’expulsion ou l’éloignement d’étrangers ou le refus de permis de résidence ou de toute autre forme de protection (par exemple le statut de réfugié ou une protection accessoire), si un risque terroriste est en cause.

30.           Le droit à un procès équitable doit également être respecté pour ces mesures (voir Recommandation Rec(2004)20, paragraphe 4), même si l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme n’est pas applicable en matière d’expulsion et d’éloignement des étrangers[68].

31.           Le CCJE estime que les mêmes pouvoirs de contrôle juridictionnel devraient être effectivement garantis en ce qui concerne l’application des limitations à la liberté d’aller et venir des étrangers lors des procédures d’expulsion ou d’éloignement. Le contrôle des conditions de ces limitations devrait également être garanti, de la même façon que pour les conditions de détention.

32.           En tout état de cause, nulle mesure irréparable ne doit être prise tant que la procédure est pendante[69]. Cela signifie qu’il ne peut jamais être procédé à une expulsion en cours de procédure si des droits absolus tels que ceux énoncés aux articles 2 ou 3 de la Convention européenne des droits de l’homme sont menacés[70]. Les intérêts de l’ordre public ou de la sécurité nationale – mentionnés par exemple à l’article premier du Protocole n° 7 à la Convention européenne des droits de l’homme du 22 novembre 1984 – ne sont pas pertinents si des droits absolus sont en cause.

33.           Compte tenu de la tâche délicate consistant à garantir les droits et libertés fondamentaux, le CCJE considère que la supervision de toutes les mesures de droit administratif concernant les expulsions d’étrangers (ainsi que leur surveillance provisoire), les exigences de visas, les contrôles d’identité, l’interdiction des associations, l’interdiction des réunions, la mise sur écoute de lignes téléphoniques, l’installation de caméras vidéo, la recherche d’individus par le biais des nouvelles technologies, devraient être confiée à des tribunaux ordinaires (incluant les tribunaux administratifs) composés de juges professionnels, établis par la loi et offrant toutes garanties d’indépendance.

34.           La tâche de fournir un recours effectif devrait uniquement incomber au dispositif judiciaire ordinaire et/ou à des juges qui, selon les traditions juridiques de plusieurs Etats, ont des connaissances spécifiques (par exemple les juges administratifs – voir le paragraphe 26 ci-dessus).

C.         Mesures en matière de droit pénal

35.           La nécessité d’une réponse pénale aux actes de terrorisme est affirmée depuis longtemps dans les textes du Conseil de l’Europe (voir la Recommandation 703(1973) de l’Assemblée parlementaire relative au terrorisme international) et implique que les Etats prennent des dispositions appropriées portant sur le fond du droit (a). La partie (b) sera consacrée au rôle inchangé du juge dans les procédures pénales concernant le terrorisme.

 

a.         Le droit matériel

36.           De nombreux Etats ont inclus dans leur législation nationale l’incrimination pénale spécifique de « terrorisme », dans la continuité de recommandations formulées par divers textes de l’Organisation des Nations Unies, du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne.

37.           Mais compte tenu de la gravité des faits qualifiés de terrorisme et des conséquences procédurales qui y sont attachées, il importe que les principes fondamentaux du droit pénal s’appliquent aux infractions terroristes comme à toute autre infraction pénale et que les éléments de ces infractions soient définis avec clarté et précision.

38.           Ces conditions sont essentielles, non seulement pour l’incrimination des infractions visant directement des personnes ou des biens, mais aussi lorsque les législations nationales rattachent à l’incrimination de terrorisme certains autres agissements, notamment la préparation en vue d’activités terroristes ou leur financement.

39.           Puisqu’en effet le terrorisme ne connaît pas de frontières, la réponse des Etats doit être internationale. Les instruments juridiques existant en la matière fournissent un cadre normatif commun pour la lutte contre le terrorisme. L’élaboration par la communauté internationale de définitions concertées des infractions terroristes, respectant les normes de l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme, faciliterait la tâche des juges nationaux surtout dans le domaine de la coopération interétatique (concernant par exemple les échanges d’informations et l’entraide judiciaire). Les juges, dans leur rôle d’interprète, devraient - pour leur part - prendre en compte la dimension internationale du phénomène lorsqu’ils sont amenés à appliquer la loi.

b.                                                                                                Le rôle inchangé du juge dans les procédures pénales concernant le terrorisme

40.           En matière pénale également, les juges jouent un rôle central en veillant à ce qu’un équilibre satisfaisant soit trouvé, en droit matériel et procédural, entre la nécessité de détecter les infractions terroristes et de poursuivre leurs auteurs et celle de préserver les droits fondamentaux des personnes soupçonnées et inculpées de telles infractions.

41.           C’est au regard de ces exigences que peuvent être évoquées certaines questions touchant au rôle du juge dans les procédures relatives aux affaires de terrorisme.

i.          Le refus des tribunaux d’exception

42.           Le CCJE note que la réponse quasi-générale des Etats européens aux exigences d’un équilibre entre la protection contre le terrorisme et la sauvegarde des droits de l’homme est de refuser d’instituer des tribunaux d’exception (voir paragraphe 15 ci-dessus) comme réponse à la menace actuelle posée par le terrorisme.

43.           Les Etats devraient mettre leur confiance dans les structures judiciaires existantes pour établir un tel équilibre, en conformité avec le droit généralement applicable dans les Etats démocratiques, y compris les Conventions internationales et en particulier la Convention européenne des droits de l’homme.

44.           Le CCJE estime que le rôle du juge dans les affaires de terrorisme ne doit pas être différent de celui qui est le sien dans les autres types de procès et que la spécificité de la matière ne justifie pas sa soustraction aux règles de compétence de droit commun.

45.           Néanmoins, la gravité des affaires de terrorisme implique que les crimes entrant dans cette catégorie relèvent des attributions des tribunaux habilités à entendre et à déterminer les affaires les plus importantes, dans les pays où existe une telle répartition des compétences entre les juridictions.

46.           Le CCJE admet que des spécificités locales ou les nécessités de la sécurité des juges puissent parfois justifier le recours à des juridictions spécialisées pour le jugement des affaires de terrorisme.

47.           Mais il importe que ces juridictions particulières soient composées de juges indépendants et appliquent les règles de procédure de droit commun en respectant pleinement les droits de la défense ainsi que, en principe, le droit à une audience publique, de manière à ce que l’équité du procès soit en toute hypothèse sauvegardée.

48.           Il ne faut pas qu’un déséquilibre s’instaure entre, d’une part, des enquêteurs bénéficiant d’une compétence particulière dans le domaine du terrorisme et, d’autre part, des juges et des procureurs risquant, par manque d’information et de connaissance, d’être mis en difficulté dans l’exercice de leur mission.

49.           La formation des juges doit porter sur tous les domaines du droit pénal et financier utiles à la compréhension des actions terroristes et comporter une dimension internationale destinée à favoriser la création des réseaux judiciaires indispensables à l’échange d’informations et à d’autres formes d’entraide transnationale.

50.           La formation doit aussi avoir pour but de souligner la spécificité de l’action judiciaire qui, même à l’égard d’actions terroristes, doit toujours maintenir un équilibre entre les exigences de la répression et le respect des droits fondamentaux de la personne.

ii.         Le rôle du juge pendant le déroulement des investigations

51.           Le CCJE estime que, quelle que soit la gravité des infractions en cause, les tribunaux devraient, à chaque étape des investigations, veiller à ce que les restrictions aux droits des individus soient strictement nécessaires à la défense des intérêts publics, évaluer la validité et la légitimité des preuves recueillies par les enquêteurs, et avoir le pouvoir juridique de rejeter les preuves obtenues sous la torture ou par des traitements inhumains ou dégradants ou en violation des droits de la défense ou par d’autres actions illégales. Les tribunaux devraient veiller à ce que les décisions concernant les investigations respectent les règles du procès équitable et de l’égalité des armes[71].

52.           Si les investigations sont menées dans certains Etats par des services spéciaux de renseignement, qui constituent un moyen essentiel de dépistage ou de prévention des actes criminels, l’action de ces services ne peut s’exercer en violation des lois applicables et doit être soumise à un contrôle démocratique conforme aux exigences de la Convention européenne des droits de l’homme[72].

53.            Le CCJE considère que toutes les décisions de gel des avoirs, saisie ou confiscation de biens destinées à prévenir le financement d’activités terroristes doivent être strictement définies par la loi et soumises, en dernier lieu, à l’autorisation et au contrôle régulier d’un juge, en raison des atteintes sérieuses aux droits au respect de la vie privée et des biens qu’elles peuvent entraîner.

54.           Le Conseil de l’Europe a adopté la Recommandation Rec(2005)10 du Comité des Ministres aux Etats membres relative aux techniques spéciales d’enquête en relation avec des infractions graves y compris des actes de terrorisme[73].

55.           Cette Recommandation souligne que l’utilisation des techniques spéciales d’enquête constitue un outil crucial pour lutter contre les formes de criminalité les plus graves, déjà commises ou en cours de préparation, mais elle précise en même temps que ces techniques ne peuvent être mises en œuvre que dans un cadre et des conditions strictement définis par la loi, sous un contrôle adéquat exercé par les autorités judiciaires ou « d’autres organes indépendants ». Le CCJE s’interroge en revanche sur l’éventuel pouvoir de contrôle confié à des « organes indépendants » autres que des juges qui, selon les traditions juridiques de plusieurs Etats, ont normalement compétence dans le domaine du droit concerné (voir paragraphe 26 ci-dessus) ; la notion « d’organes indépendants » est trop imprécise et ne garantit pas l’équité des procédures requise par l’article 6 paragraphe 1 de la Convention européenne des droits de l’homme.

56.           Le CCJE estime que ces techniques spéciales d’enquête doivent respecter les principes de légalité et de proportionnalité, qu’elles doivent toujours conserver un caractère temporaire et qu’elles devraient être soumises au contrôle régulier (y compris, en principe, à une autorisation préalable) des tribunaux compétents.

iii.        Le rôle du juge à l’égard des mesures de détention

57.           Le CCJE rappelle que les dispositions des paragraphes 3 et 4 de l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme doivent être en l’espèce respectées en matière de détention en cours de procès et de condamnation des personnes mises en cause dans des affaires de terrorisme[74]. La détention est une sanction susceptible d’être prononcée par un tribunal contre les personnes dont la culpabilité a été établie. Toutefois, dans des cas exceptionnels, des personnes peuvent être détenues à titre préventif avant qu’une décision de justice soit rendue (détention provisoire ou refus d’accorder la liberté provisoire avant une inculpation, etc., à la fois avant ou en cours de procès).

·                     La détention des personnes soupçonnées d’avoir pris part à une infraction

58.           En matière de garde à vue ou de détention provisoire avant la décision établissant la culpabilité, la pratique varie d’un Etat à l’autre selon l’importance des mesures de restriction des droits de l’Homme tolérée par chacun. Ainsi, si certains pays ont étendu, dans les affaires de terrorisme, la période de garde à vue, voire de détention provisoire prévue par le droit commun, d’autres n’ont pas entendu y déroger.

59.           Le principe de la liberté d’aller et venir étant l’un des principes fondamentaux des Etats démocratiques, le CCJE considère non seulement que les mesures susceptibles d’y porter atteinte doivent être strictement définies par la loi, mais aussi qu’en sa qualité de garant des libertés individuelles le juge doit être investi du pouvoir de contrôler les mesures d’arrestation et de détention prises avant l’établissement de la culpabilité.

60.           Ce contrôle implique que le juge puisse vérifier les conditions légales et matérielles de la détention (cela inclut la vérification des fondements des soupçons, sur la base des accusations qui devraient être promptement portées à la connaissance de la personne détenue), veiller à ce que la dignité de la personne et les droits de la défense soient respectés, s’assurer que les restrictions à ces droits rendues nécessaires par la nature des faits soient strictement proportionnelles au but poursuivi et n’affectent pas le principe même du droit à une défense, veiller à ce que la personne détenue ne soit pas soumise à la torture ou à des peines ou traitement inhumains ou dégradants, retenir l’illégitimité des détentions secrètes ou illimitées dans le temps (il appartient au juge d’établir la durée de la détention conformément à la loi) ou non assorties d’une comparution devant un tribunal établi par la loi. Si, lorsqu’il exerce de telles fonctions, le juge apprend qu’une personne peut avoir fait l’objet secrètement d’une arrestation, d’une détention et/ou d’un transfert, il devrait en référer aux autorités compétentes en matière d’enquête pénale.

·                    La détention des personnes condamnées

61.           Concernant la détention des personnes dont la culpabilité a été établie, le CCJE considère que la gravité des crimes terroristes ne justifie aucune dérogation aux règles de droit commun relatives aux procédures pénales et aux mesures de détention ; elle n’autorise pas notamment un juge à prononcer une sanction pénale conformément aux normes régissant les preuves qui dérogent aux règles générales.

·                    Les conditions de détention

62.           Il n’y a pas lieu, aux fins du présent Avis, d’examiner la question des conditions de détention, bien qu’elle mérite une réflexion plus approfondie dans un avis ultérieur du CCJE[75]. Cette question traduit la difficulté de concilier les impératifs liés aux droits de l’Homme et à la protection de l’intérêt public. La tentation est grande, dans de nombreux pays, de fonctionner sur le mode du réflexe sécuritaire avec les risques d’abus que cela comporte.

63.           Le CCJE, aux fins du présent Avis, attire l’attention sur la Recommandation Rec(2006)2 du Comité des Ministres aux Etats membres relative aux règles pénitentiaires européennes, adoptée le 11 janvier 2006.

 

64.           Il convient de garantir aux personnes soupçonnées d’avoir commis des actes terroristes qui sont placées en détention un accès rapide à une assistance judiciaire et à une représentation par un avocat de leur choix, quel que soit le lieu de leur détention. Les tribunaux devraient pouvoir remédier aux abus et prendre les ordonnances nécessaires pour que les personnes détenues ne soient pas soumises à la torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants et, à cette fin, ils devraient avoir la possibilité (s’ils en décident ainsi également de leur propre initiative) d’inspecter tout lieu de détention et d’accéder librement à toute personne détenue en ce lieu.

iv.        Le rôle du juge dans la protection des témoins, des victimes et des collaborateurs de justice

65.           Les procédures judiciaires engagées pour des affaires de terrorisme sont souvent fondées sur le témoignage de personnes qui sont étroitement liées aux groupes terroristes et qui sont plus exposées que d’autres aux mesures d’intimidation dirigées contre elles ou leurs proches. Cela pose la question de la protection de ces personnes.

66.           Les victimes d’actions terroristes devraient également être protégées contre les pressions et les menaces susceptibles de les dissuader de comparaître devant le tribunal.

67.           La protection des témoins s’avérerait difficile à assurer au niveau strictement national, compte tenu des conditions du pays dans lequel ils se trouvent. C’est pourquoi la coopération internationale est nécessaire, conformément aux normes qui ont déjà été développées dans d’autres domaines[76].

68.           Le juge doit trouver un équilibre entre le besoin de protection des témoins/victimes d’un crime et les droits du défendeur dans un procès équitable. Cet équilibre est particulièrement difficile à réaliser lorsque les témoins et les victimes font l’objet d’un programme de protection dans le cadre duquel les contacts entre les suspects et/ou leurs défenseurs peuvent être interdits, même durant le procès.

69.           Dans la mesure où la protection du droit de la défense et de l’égalité des armes entrent pleinement dans le rôle du juge, le CCJE suggère que, dans les cas où les témoins sont absents lors de l’audience ou sont anonymes et, de ce fait, ne permettent pas au défendeur de se défendre ou de les interroger, les juges ne devraient prononcer aucune condamnation, uniquement ou de manière décisive, sur la base des déclarations des témoins aux enquêteurs.

70.           Des défis ultérieurs se posent au système judiciaire quand l’action contre le terrorisme s’est basée sur des éléments obtenus par les services de renseignement (ce qui implique souvent la fourniture transfrontalière de renseignements). Se pose alors le problème de la protection des sources et des témoins ainsi que des membres des services de renseignement. Le CCJE considère que, dans ce domaine, des principes similaires à ceux mentionnés au paragraphe 69 ci-dessus doivent s’appliquer.

71.           D’un autre côté, le CCJE considère que le juge doit également tenir compte des dispositions juridiques internationales protégeant la position des victimes de crimes graves, y compris les actes de terrorisme, en particulier lorsqu’elles ont un statut de témoins dans la procédure. Il appartient au juge de prendre, à chaque stade de la procédure, toutes les mesures efficaces permettant aux victimes présumées d’exercer pleinement leurs droits, tout en respectant pleinement les droits de la défense. Lorsque les mesures concernées ne sont pas confiées à d’autres autorités, ou dans les cas où ces autorités pourraient ne pas fournir les mesures appropriées, le juge devrait être en mesure d’assurer aux victimes la sécurité, la protection de leur famille et de leur vie privée, l’accès à la justice, un traitement équitable et une aide judiciaire gratuite, sans que d’autres instances étatiques puissent limiter indûment ces pouvoirs pour des raisons financières ou autres.

72.           Le CCJE suggère en outre que, dans certaines conditions à définir par la loi, la victime puisse obtenir une réparation appropriée, par exemple sous la forme d’une indemnisation versée par l’Etat ou provenant de la confiscation des biens des auteurs des crimes[77].

73.           Le CCJE souligne enfin la nécessité pour les Etats d’assurer la sécurité des enquêteurs, des juges et de l’ensemble des personnels judiciaires appelés à connaître des affaires de terrorisme.

D.            Le rôle du Juge dans la protection de la liberté d’expression et d’autres droits et libertes

74.           Le terrorisme frappe au cœur même de la démocratie.

75.           Malgré la montée des activités terroristes, le CCJE estime que les juges nationaux devraient toujours respecter les principes fondamentaux de l’Etat de droit, qui sont essentiels dans une société démocratique, y compris la liberté d’expression et d’autres droits individuels. La lutte contre le terrorisme ne devant jamais conduire à un recul des valeurs et des libertés que les terroristes se proposent de détruire, il est vital pour les démocraties que les tribunaux demeurent les gardiens de la ligne de démarcation fondamentale qui existe entre une société démocratique et une société qui se défend par des méthodes restreignant elles-mêmes la liberté d’expression ou les autres droits et libertés, tels que le droit des minorités ou les libertés politiques.

76.           En évoquant le rôle du juge en tant qu’interprète de la loi dans le processus d’identification de comportements entrant dans la définition du terrorisme, le CCJE souhaite notamment faire référence à la Décision-cadre 2002/475/JAI du Conseil de l’Union européenne qui demande aux Etats membres de considérer comme infractions terroristes et de sanctionner une liste d’infractions nationales “qui, par leur nature ou leur contexte, peuvent porter gravement atteinte à un pays ou à une organisation internationale lorsque l’auteur les commet dans le but de gravement intimider une population, ou contraindre indûment des pouvoirs publics ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque, ou gravement déstabiliser ou détruire les structures fondamentales politiques, constitutionnelles, économiques ou sociales d’un pays ou une organisation internationale ». Il est également demandé aux Etats membres de rendre punissables des actes intentionnels tels que « la direction d’un groupe terroriste » ou la participation à ses activités (…) en ayant connaissance que cette participation contribuera aux activités criminelles et de rendre également punissable l’incitation, la complicité ou plus généralement la tentative de commettre l’une des infractions ci-dessus mentionnées.

 

77.           Néanmoins, le point (10) du Préambule de la Décision-cadre rappelle que rien dans celle-ci ne peut être interprété comme visant à réduire ou à entraver des droits ou libertés fondamentales (y compris la liberté de réunion, d’association ou d’expression, le droit de s’affilier à des syndicats, le droit de grève et le droit de manifester, etc.) ; l’article 5  prévoit également que les sanctions imposées doivent être non seulement effectives et dissuasives mais également proportionnées. Le CCJE partage une telle approche.

78.           Le CCJE comprend et accepte notamment la nécessité et le devoir des Etats d’assurer la liberté et la sécurité de la société, mais considère qu’il convient de s’appuyer sur la loi et sa bonne application sans sacrifier les droits fondamentaux.

79.           Des problèmes spécifiques naissent du fait que certains inclinent à justifier le terrorisme au motif qu’il constituerait une réaction à l’oppression politique, idéologique, religieuse et économique dans telle ou telle région du monde. Dans la mesure où, selon certaines instances, ces comportements peuvent constituer un danger pour les sociétés démocratiques, l’interdiction large des discours tendant à glorifier le terrorisme ou à en faire l’apologie peut, en tant que telle, devenir une réponse additionnelle significative à la menace terroriste.

80.           Il existe en principe une distinction claire entre des comportements représentant l’exercice des droits et libertés fondamentales, même s’ils sont hautement polémiques ou politiquement motivés, et l’incitation, l’encouragement, le support ou l’éloge illégitime à des actes terroristes. Le pouvoir législatif doit prévoir cette distinction et le pouvoir exécutif doit l’appliquer au niveau de la première instance, mais la manière dont cette distinction est faite et appliquée doit pouvoir être modifiée par les tribunaux. Si les tribunaux au sein d’une démocratie peuvent et doivent tenir compte de l’avis des autres pouvoirs étatiques, il n’en reste pas moins qu’il leur appartient, en toute indépendance, de vérifier la nécessité et la proportionnalité des mesures susceptibles de restreindre les droits fondamentaux garantis par la constitution nationale et la Convention européenne des droits de l’homme.

81.           Les infractions terroristes devraient être définies par la loi, conformément au droit pénal ordinaire. Le fait de savoir si une activité spécifique contrevient à la loi devrait appartenir également aux tribunaux ordinaires, conformément aux règles de l’Etat de droit et à la Convention européenne des droits de l’homme et sur la base de preuves obtenues par des moyens admissibles, n’impliquant aucune pression inadéquate. Les tribunaux devraient prendre des mesures préventives, prévues par le droit civil et pénal, visant à interdire ou à restreindre l’élaboration ou la dissémination de matériel dont le contenu ou l’utilisation pourrait impliquer ou inciter à la commission d’un acte terroriste.

82.           Les juges sont faces à des décisions difficiles et parfois controversées, lorsqu’il s’agit de déterminer si la loi nationale respecte les libertés ou droits fondamentaux ou si un comportement déterminé constitue une infraction terroriste entrant dans le cadre d’une telle législation. Il est encore plus difficile de décider si des mots ou un comportement doit être considéré comme une incitation illégitime à commettre ou à glorifier un acte terroriste. L’expérience montre également que les juges peuvent rencontrer des difficultés, sur la base des définitions du terrorisme actuellement retenues au niveau national et international, pour déterminer si certaines actions politiques violentes, généralement commises ou prévues à l’étranger, et/ou le financement de ces actions ou l’entraînement ou le recrutement en vue de leur commission doivent ou non être considérés comme des actes terroristes, comme cela peut arriver dans certaines affaires faisant intervenir la légitime défense individuelle ou collective au sens de l’article 51 de la Charte des Nations Unies.

83.           Les affaires de terrorisme, et spécifiquement celles posant les difficultés mentionnées ci-dessus, sont en général suivies de près par les médias et l’opinion publique et les décisions de justice auxquelles elles donnent lieu font souvent l’objet de critiques et de débats. Etant donné que les efforts des Etats pour prévenir le terrorisme ont eu pour effet la qualification en infractions pénales de certains actes qui pourraient être, à peu de choses près, classés dans les comportements relevant du simple exercice de la liberté d’expression ou des libertés politiques, le CCJE estime que le choix des Etats de laisser aux juges la responsabilité de procéder à de telles distinctions requiert que les procès se déroulent dans la sérénité.

84.           Les acteurs politiques et médiatiques ont le devoir de s’abstenir d’essayer d’exercer des pressions et de se livrer à des attaques contre les juges, au-delà de ce qui peut être considéré comme une critique légitime. Un organe indépendant compétent sera tenu de prendre des mesures si de telles attaques se produisaient néanmoins (voir l’Avis n° 6 du CCJE, paragraphe C.13). Le CCJE considère que le système judiciaire devrait, pour sa part, veiller à ce que les procès soient conduits par des juges professionnels qualifiés ; des programmes de formation appropriés devraient aider les juges à comprendre le terrorisme et son contexte historique, politique et social.

85.           Le message de base consiste à dire que la menace à la sécurité et à l’Etat de droit posée par le terrorisme ne doit pas aboutir à des mesures qui, en elles-mêmes, tendent à mettre en cause les valeurs démocratiques fondamentales, les droits de l’homme ou les principes de l’Etat de droit. Il s’agit d’un message, s’il est mis en pratique, qui réduit les risques que les mesures prises en vue de combattre le terrorisme entraînent elles-mêmes de nouvelles tensions ou même des actes de terrorisme. Il s’agit d’un message qui nécessite d’être compris et accepté dans les démocraties aussi bien par le public, les politiciens, les médias et les tribunaux.

RÉSUMÉ DES RECOMMANDATIONS ET CONCLUSIONS

A la lumière des considérations ci-dessus, le CCJE recommande aux Etats :

a. de consulter les systèmes judiciaires nationaux lors de l'élaboration d'une législation susceptible de porter atteinte à des droits substantiels et procéduraux et de veiller à ce que toute mesure administrative ou répressive affectant les droits des personnes dans le cadre de la lutte contre le terrorisme soit soumise au contrôle d'une autorité judiciaire indépendante;

b. de ne pas créer des tribunaux d'exception ou des législations incompatibles avec les droits universellement reconnus, aussi bien dans le contexte de mesures administratives destinées à prévenir les actes terroristes que dans le contexte d’un procès pénal ;

c. de veiller à ce que les principes fondamentaux du droit pénal s'appliquent aux infractions de terrorisme comme à toute autre infraction pénale et de faire en sorte que les éléments constitutifs de ces infractions soient définies avec clarté et précision;

d. de faciliter la coopération internationale en matière de lutte contre le terrorisme, notamment par l'élaboration, sous l'égide des organisations internationales, de définitions concertées des infractions relevant du terrorisme ;

e. de garantir la sécurité des témoins et victimes impliqués dans les affaires de terrorisme et celle des enquêteurs, juges et autres personnels judiciaires appelés à connaître de telles affaires.

Le CCJE recommande également aux systèmes judiciaires nationaux :

a. de développer leur connaissance du terrorisme et de son contexte historique, politique et social, ainsi que des instruments juridiques nationaux et internationaux pertinents ;

b. dans le cadre de leur fonction d'interprètes de la loi et de gardien des droits et libertés individuels, de veiller, d'une part à ce que l'instauration de l'infraction de terrorisme (incluant l'incitation à de tels actes, les préparatifs en vue de leur commission et leur financement ) atteigne le but fixé par le législateur et, d'autre part à ce que la portée de l'accusation de terrorisme ne soit pas abusivement étendue et que la protection de l'intérêt public soit conciliée avec le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

c. de veiller constamment à ce qu'un équilibre soit établi entre le besoin de protection des témoins et victimes d'actes terroristes et les droits des  personnes mises en cause pour ces actes.


avis n° 9 (2006)

du conseil consultatif de juges européens (ccje)

à l’attention du comité des ministres du conseil de l'europe

sur

le rôle des juges nationaux dans l’application effective du droit international et européen

INTRODUCTION

1.             Le Comité des Ministres a demandé au Comité Consultatif de Juges européens (CCJE) d’examiner, en particulier, certaines questions (contenues dans le Programme cadre d’action global pour les juges en Europe[78]), telles que l’application par les juges nationaux de la Convention européenne des droits de l’homme et d’autres instruments juridiques internationaux pertinents, le dialogue entre les organes juridictionnels nationaux et européens, ainsi que la disponibilité de l’information sur l’ensemble des textes internationaux pertinents.

2.             Le CCJE note que les systèmes juridiques nationaux doivent de plus en plus souvent traiter des questions juridiques de nature internationale, ce qui s’explique à la fois par la mondialisation et par la tendance croissante du droit international et européen[79] à s’intéresser davantage aux relations entre les personnes qu’aux relations entre les Etats. Compte tenu de cette évolution, il est nécessaire de modifier la formation, la pratique et même la culture judiciaires, pour que les juges nationaux puissent rendre la justice en répondant aux besoins et aux aspirations du monde moderne et en respectant les principes juridiques déjà reconnus par les Etats démocratiques.

3.             Cette évolution devrait avoir, en premier lieu, des répercussions importantes sur la formation des juges, sur la nature des relations entre les institutions judiciaires internationales et sur la hiérarchie des normes que le juge doit respecter dans le contexte de la multiplication des sources du droit ; elle exige ensuite des autorités étatiques la mise en œuvre d’importantes ressources supplémentaires afin d’assurer la mise en œuvre des activités susmentionnées.

4.             C’est pourquoi le CCJE a estimé utile de faire le point sur les moyens nécessaires au juge pour agir efficacement dans un contexte international et donc de s’intéresser à l’application du droit international et européen par le juge national. Le but de cet Avis est d’aboutir à une juste application du droit international et européen, et notamment concernant les droits de l’Homme. La formation des juges, la disponibilité de l’information et de la documentation pertinentes ainsi que la traduction et  l’interprétation sont autant de moyens permettant d’atteindre ce but.

5.             A cet égard, le CCJE souligne que le juge national est le garant du respect et de la bonne mise en œuvre des traités internationaux et européens auxquels son pays est partie, notamment de la Convention européenne des droits de l'homme.

6.             Le présent avis complète l’Avis n° 4 (2003) du CCJE sur la formation initiale et continue appropriée des juges, aux niveaux national et européen ; les considérations figurant dans cet Avis sont en réalité complètement applicables aux questions traitées dans le présent Avis.

a.         Fournir aux juges nationaux l’information et la documentation sur l’ensemble des instruments juridiques internationaux et européens pertinents[80]

a.         Une bonne connaissance par les juges du droit international et européen

7.             Dans un contexte d’internationalisation croissante des sociétés, la législation et la jurisprudence internationales et européennes influent de plus en plus sur la législation et la pratique judiciaire nationales ; les juges doivent pouvoir maîtriser ces domaines pour pouvoir exercer leurs fonctions judiciaires conformément au principe de la prééminence du droit partagé par les pays démocratiques. C’est pourquoi les juges doivent connaître l’évolution internationale de la pratique juridique et à y participer. Ils doivent connaître et être capables d’appliquer le droit international et européen, en particulier dans le domaine des droits de l'homme.

b.         Donner aux juges les moyens d’accéder à l’information sur le droit international et européen

8.             Les normes internationales et européennes, ainsi que les pratiques judiciaires, se développent rapidement sur le plan quantitatif et se complexifient. Si un Etat veut que les juges nationaux soient à l’aise dans le contexte européen et international, il devrait – pour être en accord avec ses propres engagements internationaux – prendre les mesures nécessaires pour faire en sorte que les juges puissent accéder à une parfaite compréhension des textes de référence européens et internationaux pertinents, en particulier de ceux qui concernent la protection des droits de l'homme, ce qui leur permettra de mieux s’acquitter de leurs tâches.

c.         Intégrer le droit international et européen dans les programmes universitaires et de formation des juges

9.             Dans de nombreux pays, des cours sur le droit international, le droit européen et les instruments relatifs aux droits de l'homme font partie des études juridiques universitaires. Toutefois, il n’y a que certains Etats qui exigent des candidats à un poste de magistrat de connaître ces sujets de manière approfondie.

10.          Le CCJE estime qu’il est important que les questions juridiques internationales et européennes fassent partie du cursus universitaire et soient également incluses dans les examens d’accès aux professions judiciaires, lorsque de tels examens existent.

11.          Des programmes de formation initiale et continue appropriés sur des thèmes internationaux devraient être organisés pour les juges, dans des domaines d’activité généraux et spécialisés. Si des différences existent parmi les Etats européens concernant les systèmes de formation initiale et continue des juges, la formation en droit international et européen revêt la même importance pour toutes les traditions judiciaires en Europe.

12.          Dans certains pays, des programmes spéciaux de formation au droit international et européen sont organisés spécifiquement pour les juges, ou pour les juges et les procureurs, par les institutions judiciaires de formation (ou par une commission de service judiciaire) ou par le ministère de la Justice, ou conjointement par ces organismes[81]. Dans d’autres pays, il n’existe pas de formation spéciale au droit international et européen ; dans ces pays, les juges ont généralement la possibilité de participer à des stages généraux organisés par le corps judiciaire lui-même ou par d’autres instances (universités, barreaux ou centres de formation judiciaire étrangers).

13.          A cet égard, le CCJE souligne l’acquis du Conseil de l'Europe en matière de formation des juges à l’application des traités internationaux[82], et rappelle la nécessité : a) de développer l’étude du droit international, des traités, des institutions européennes et des autres organisations internationales dans le cadre du cursus universitaire ; b) le cas échéant, d’intégrer dans les examens et les concours d’accès à la magistrature des épreuves portant sur l’application des normes internationales ; c) de développer la dimension internationale dans la formation initiale et continue des magistrats ; et d) d’ organiser dans le cadre du Conseil de l’Europe, le cas échéant en collaboration avec les institutions européennes et d’autres organisations internationales, des séminaires de formation pour les juges et les procureurs dans le but de promouvoir une meilleure connaissance des instruments internationaux.

d.         Veiller à la qualité de la formation judiciaire en droit international et européen

14.          Concernant la formation en droit international et européen, le CCJE considère que les membres du corps judiciaire devraient être largement représentés parmi les formateurs. Cette formation judiciaire devrait traiter des aspects présentant un intérêt particulier pour la pratique judiciaire, et s’accompagner de la mise à disposition de matériels didactiques pertinents, qui comprendraient, dans la mesure du possible, des matériels d’enseignement à distance sur Internet. Le CCJE encourage la coopération entre les organismes de formation nationaux dans ce domaine et appelle à garantir la transparence de l’information sur ces programmes de formation et sur les modalités de participation.

e.         Une information sur le droit international et européen permanente et accessible à chaque juge

15.          Le CCJE note qu’une information complète et à jour sur la législation et la pratique internationales et européennes n’est pas mise à la disposition des juges sur une base régulière. Même dans les pays où les juges reçoivent une information juridique par voie électronique ou sur papier, le Journal officiel ne comporte que rarement des informations sur le droit international et européen. Certains Etats, cependant, produisent des circulaires juridiques spéciales qui incluent ces informations. D’autres institutions, telles que des facultés de droit, des centres de formation ou des administrations de tribunaux, fournissent quelquefois des informations sur la jurisprudence récente des juridictions internationales et européennes. Les revues juridiques nationales peuvent également contenir ces informations.

16.          Un Etat qui se contente de garantir un accès à internet ne peut être considéré comme respectant son obligation de fournir des informations suffisantes (ou des moyens suffisants d’obtenir ces informations) sur les questions relatives au droit international et européen.

17.          Le CCJE recommande que tous les juges aient accès aux versions papier et électroniques des instruments juridiques, afin qu’ils puissent mener des recherches approfondies dans les domaines du droit international et européen. Ces possibilités devraient être offertes aux juges grâce à une structure de soutien spécialisée (si nécessaire sous la forme d’un service centralisé), qui pourrait leur permettre d’être informés au-delà de ce qui leur est strictement nécessaire pour accomplir leurs tâches.

18.          Rares sont les pays où le ministère de la Justice ou des Affaires étrangères fournit aux juges des traductions dans leur langue nationale des textes pertinents, y compris des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme concernant leur propre Etat. Le CCJE estime que les Etats devraient veiller à ce que cette situation change rapidement ; ils devraient notamment favoriser la création de services de traduction efficaces, chargés de traiter les textes juridiques susceptibles d’être utiles à la pratique judiciaire (voir également paragraphe 23 du présent Avis).

19.          Afin de faciliter la tâche aux juges, l’information résumée, indexée et annotée devrait être facilement lisible dans la mesure où le juge est seul en mesure d’évaluer la pertinence de l’information, si nécessaire avec l’aide des services de documentation des tribunaux et d’assistants[83]. La coopération entre les services de documentation des tribunaux centraux et locaux, et/ou les bibliothèques et les centres de documentation spécialisés en droit qui sont extérieurs au système judiciaire, devrait également être encouragée.

f.          Donner aux juges les moyens d’accéder aux informations en langues étrangères

20.          Vu les considérations précédentes, le CCJE note que les juges nationaux ont besoin de connaître les langues étrangères pour se tenir informés des développements en droit international et européen.

21.          Actuellement, seuls quelques Etats permettent aux juges de bénéficier gratuitement de cours de langues étrangères, alors que souvent de tels cours sont partiellement subventionnés par l’Etat ; quelquefois, certains cours sont offerts pour motiver les juges qui travaillent en étroite collaboration avec les institutions internationales et européennes.

22.          Le CCJE encourage les Etats à adopter des mesures (consistant par exemple à accorder des aides) destinées à garantir que l’enseignement des langues étrangères fasse partie de la formation générale ou spécialisée des juges.

23.          Les Etats devraient veiller à ce que les tribunaux disposent de services juridiques et internationaux chargés de traduire les documents dont les juges pourraient avoir besoin pour se tenir informés des évolutions en cours dans les branches du droit international et européen qui les intéressent. Le CCJE est conscient de l’importance des coûts nécessaires au fonctionnement de ces services et recommande qu’ils soient financés par un budget apparaissant séparément dans le budget de l’Etat, afin d’éviter une réduction des fonds alloués au fonctionnement des tribunaux.

24.          Ces traductions et ces interprétations doivent être assurées par des professionnels qualifiés, dont les juges doivent pouvoir vérifier les compétences car ces professionnels exercent une mission judiciaire.

B.         dialogue entre les organes juridictionnels nationaux et européens[84]

a.         Un dialogue nécessaire, qu’il soit formel ou informel

25.          Les tribunaux nationaux sont responsables de la mise en œuvre du droit européen. En effet, ils sont souvent tenus de l’appliquer directement. Ils doivent aussi interpréter la législation nationale conformément aux normes européennes.

26.          Pour tous les juges nationaux, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour de justice des Communautés européennes, le cas échéant, constituent des références dans le processus d’élaboration d’un corpus de droit européen.

27.          Le dialogue entre les organes juridictionnels nationaux et européens est une nécessité mais elle est aussi déjà une réalité, et il convient de renforcer ce dialogue par des mesures appropriées.

28.          En vue d’encourager un réel dialogue entre les tribunaux nationaux et européens, il faudrait mener des actions en direction des juges nationaux qui seraient destinées à stimuler les échanges d’informations et, dans toute la mesure du possible, les contacts directs entre organes juridictionnels.

29.          Ce dialogue peut avoir lieu à divers niveaux. Au niveau formel, procédural, l’une des formes institutionnalisées de dialogue est la procédure de renvoi préjudiciel de la Cour de justice des Communautés européennes. Les juges nationaux pourraient aussi avoir la possibilité de participer au fonctionnement de la Cour européenne des droits de l’homme. A un niveau plus informel, le dialogue peut s’engager lors de visites et/ou de stages de juges à la Cour européenne des droits de l’homme, à la Cour de justice des Communautés européennes ou dans d’autres juridictions internationales et européennes, ainsi que lors de séminaires ou de colloques, nationaux ou internationaux.

30.          Le CCJE note que ce dialogue informel est considéré comme faisant partie des programmes de formation judiciaire. Les participants au dialogue sont, actuellement et pour la plupart, des juges appartenant aux plus hautes instances judiciaires (Cours suprêmes et Cours constitutionnelles). De l’avis du CCJE, même s’il est nécessaire que ces juges aient des relations étroites avec les juridictions internationales, les organismes de formation nationaux devraient néanmoins veiller à ce que les possibilités de dialogue ne soient pas réservées aux plus hauts magistrats nationaux, dans la mesure où, souvent, ce sont les juges de première instance qui sont directement chargés d’évaluer, d’appliquer et d’interpréter les normes et la jurisprudence européennes. L’expérience de différents pays montre que les réunions de petite envergure sont les formes de dialogue informel les plus productives.

b.         Des contacts directs entre juges nationaux

31.          Le dialogue entre les tribunaux nationaux et européens ne constitue pas le seul aspect de l’interaction entre les juges au niveau européen : la relation entre juges de différents pays a également une grande importance. Les juges nationaux doivent souvent prendre en considération la manière dont les juges des autres pays ont appliqué et/ou interprété le droit international et européen, et ils sont très désireux de s’enrichir de l’expérience des autres. Ce dialogue entre juges de différents pays est également important pour renforcer le principe de confiance qui doit exister entre les différents systèmes judiciaires européens, afin de faciliter la circulation internationale des jugements nationaux et simplifier les procédures d’exequatur en vigueur dans les différents Etats.

32.          Il est particulièrement important que des contacts directs entre des juges de différents pays soient organisés, y compris par les organismes nationaux de formation judiciaire, dans le cadre de séminaires, de programmes d’échanges, de visites d’étude, etc. Dans ce domaine, on pourra trouver des partenaires utiles en s’adressant aux réseaux de coopération actifs au niveau européen.

33.          Il faut donner aux juges des renseignements pratiques sur les échanges organisés dans ce cadre et garantir l’égalité d’accès à ces échanges pour tous ceux qui souhaitent y participer.

C.            l’application par les juridictions nationales du droit international et  europÉen[85]

           

a.         Le rôle du juge et la hiérarchie des normes

34.          L’application des normes internationales et européennes dans un pays donné dépend dans une large mesure de leur statut dans l’ordre juridique national (qui comprend aussi la Constitution).

35.          La mise en œuvre de ce principe se heurte néanmoins à de nombreux obstacles. Ces obstacles ont été considérés comme le résultat de plusieurs problèmes : problèmes d’accès à l’information, problèmes de nature « psychologique » et problèmes spécifiquement juridiques[86].

36.          Les deux premiers obstacles peuvent être contournés grâce aux actions décrites ci-dessus, qui visent à faciliter l’accès à la documentation juridique européenne et à améliorer le dialogue interinstitutionnel.

37.          Concernant les obstacles de nature juridique, le CCJE note que, en général, les Etats reconnaissent la primauté des traités internationaux sur le droit national lorsqu’ils sont ratifiés et/ou, le cas échéant, incorporés dans le droit national. Dans la plupart des cas, la Constitution nationale prévoit cette primauté tout en gardant pour elle-même le rang le plus élevé. Dans quelques Etats, la primauté du droit international découle des décisions de la Cour suprême nationale. Classiquement, le rang attribué à la Convention européenne des droits de l’homme est inférieur à celui de la Constitution, mais la Convention occupe cependant une position spécifique par rapport aux lois ordinaires ; l’application concrète de ce principe comporte néanmoins un certain nombre de variantes.

38.          Le plus souvent, le droit interne et la tradition juridique permettent aux tribunaux nationaux, en cas de conflit de lois entre une disposition supranationale et une disposition du droit interne, de trancher en faveur de la convention ou du traité international. Dans d’autres pays, les tribunaux sont tenus de surseoir à statuer et de porter l’affaire devant la Cour constitutionnelle. Il y a cependant des pays où les tribunaux sont obligés d’appliquer les dispositions du droit interne, même si elles sont contraires à un instrument juridique international, par exemple à la Convention européenne des droits de l’homme.

39.          Chaque Etat possède son propre système d’interprétation et d’intégration des normes internationales, qui dépend du statut qu’il leur accorde. Pour éviter l’insécurité juridique, les tribunaux devraient se conformer dans toute la mesure du possible au droit européen et international et aux principes et concepts européens lorsqu’ils interprètent et appliquent le droit national et élaborent la jurisprudence.

40.          Le pouvoir judiciaire est soumis au principe de la prééminence du droit, tout comme le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. Selon le CCJE, il est important que les juges nationaux veillent au respect du droit international et européen, qui assure la promotion du principe de l’Etat de Droit, en tenant dûment compte de ce droit, quel que soit le système juridique de leur pays.

b.         Jurisprudence nationale et internationale/européenne et instruments internationaux et européens, en particulier les recommandations du Conseil de l’Europe

41.          La jurisprudence influe sur l’application des normes internationales et européennes car le pouvoir judiciaire doit interpréter le droit national à la lumière du droit supranational, tout en faisant respecter les normes constitutionnelles nationales.

42.          Concernant le rôle joué par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, et éventuellement de la Cour de justice des Communautés européennes, deux tendances se dégagent : en premier lieu, et le plus souvent, les tribunaux nationaux tiennent compte des décisions de ces Cours même si elles ne sont pas contraignantes. La seconde tendance consiste à accorder à cette jurisprudence le statut d’un précédent, auquel les juridictions nationales doivent se conformer.

43.          Si les juges nationaux prennent en considération et appliquent le droit international et européen, cela ne permet cependant pas de garantir la conformité de la législation nationale aux recommandations du Conseil de l’Europe, considérées comme de la « soft law ».

44.          Le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe peut faire des recommandations aux Etats membres dans des domaines où a été convenue une « politique commune ». Les recommandations ne lient pas les Etats membres, bien que le Statut du Conseil de l’Europe habilite le Conseil des Ministres à inviter les gouvernements membres « à lui faire connaître la suite donnée par eux auxdites recommandations » (voir article 15.b du Statut du Conseil de l’Europe).

45.          Selon le CCJE, il est souhaitable que, au cours de la préparation de nouvelles lois, le législateur se réfère aux recommandations du Conseil de l’Europe. De la même manière, lors de l’application de la législation en vigueur, les juges devraient veiller dans toute la mesure du possible à ce que, parmi toutes les interprétations possibles, soit privilégiée celle qui rende le droit national conforme aux normes internationales, même si celles-ci relèvent de la « soft law ».

c.         Respect des arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme

46.          Dans certains pays, avant même d’introduire une requête devant la Cour européenne des droits de l’homme, il est possible de demander la révision judiciaire d’une décision définitive qui semble contraire aux arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme. Cependant, le CCJE observe que, dans bon nombre de systèmes juridiques, la Cour européenne des droits de l’homme doit déjà avoir rendu un arrêt contre l’Etat concerné pour que ce recours puisse être exercé.

47.          En général, il n’est possible de former une demande en réparation pour une violation de la Convention européenne des droits de l'homme qu’après que la Cour européenne des droits de l’homme a conclu à la violation ; dans la plupart des pays, il est impossible de demander aux juridictions nationales de constater la violation et d’accorder une indemnisation.

48.          Le CCJE est conscient du fait que, dans la plupart des Etats, les mesures d’exécution des arrêts de la Cour ne sont pas prévues par le droit national ; dans certains Etats, ces mesures peuvent être décidées par la Cour constitutionnelle.

49.          Soulignant l’importance de faire respecter les droits fondamentaux inscrits dans la Convention européenne des droits de l'homme, et rappelant que les juges nationaux sont aussi des juges européens, le CCJE encourage les juges, lorsque cela est possible, à user de toutes les possibilités d’interprétation et d’application des règles de procédure dont ils disposent a) pour rouvrir les procédures en cas de violation de la Convention, avant même que la Cour ait rendu son arrêt et b) pour accorder une réparation aux victimes de violations dès que possible. Le législateur devrait envisager de modifier les règles de procédure pour que les systèmes judiciaires nationaux puissent remplir leur mission européenne plus facilement[87].


rÉsumÉ des RecommAndations ET conclusions

A.         Dans les domaines de la formation des juges au droit international et européen, de l’accès des juges à l’information pertinente, des cours de langues étrangères et des services de traduction, le CCJE recommande ce qui suit :

a)         tout en protégeant l’indépendance du corps judiciaire par l’intermédiaire des instances indépendantes appropriées responsables de la formation des magistrats, les Etats devraient fournir les moyens nécessaires pour assurer la formation des juges au droit international et européen ;

b)         il faudrait faire en sorte que les futurs juges connaissent la législation et la jurisprudence internationales et européennes, en intégrant ces matières dans les programmes des facultés de droit ;

c)         une connaissance suffisante du droit international et européen devrait figurer parmi les conditions de nomination aux postes judiciaires, avant la prise de fonctions ;

d)         le droit international et européen devrait occuper une place appropriée dans la formation initiale et continue des juges ; dans le domaine du droit international et européen, les actions de formation sont plus efficaces si elles s’appuient sur une coopération internationale entre les organismes nationaux de formation judiciaire ;

e)         des informations sur le droit international et européen, y compris les décisions des tribunaux internationaux et européens, devraient être mises à la disposition des juges ; il faudrait garantir l’accès des juges à des informations dûment indexées et annotées, grâce à la collaboration des services de documentation des tribunaux, des bibliothèques et des assistants des juges ; les informations fournies devraient être complètes et à jour ;

f)          des mesures appropriées – comprenant aussi le versement d’aides – devraient permettre aux juges d’acquérir une connaissance suffisante des langues étrangères ; en outre, les tribunaux devraient disposer de services de traduction et d’interprétation de qualité, qui ne soient pas financés au moyen du budget ordinaire consacré au fonctionnement des tribunaux.

B.         Compte tenu de l’importance des relations et de la coopération des institutions judiciaires nationales, à la fois entre elles et avec les institutions judiciaires internationales, notamment européennes, le CCJE encourage :

a)         les contacts directs et le dialogue entre toutes ces institutions, par exemple dans le cadre de conférences, de séminaires et de réunions bilatérales, notamment de réunions restreintes, qui présentent un intérêt particulier ;

b)         les visites et les programmes d’étude, comme ceux qui sont organisés par les organismes de formation judiciaire nationaux, les institutions judiciaires nationales et certaines juridictions internationales, à l’intention de juges venant d’autres institutions judiciaires, nationales ou internationales ;

c)         la participation à ces contacts, dialogues, visites et programmes, de juges issus de tous les niveaux de la hiérarchie judiciaire, et pas uniquement des niveaux supérieurs ;

d)         la mise à disposition d’informations et l’adoption de mesures visant à faciliter l’accès des juges nationaux aux mêmes sites web et aux mêmes bases de données que les membres d’autres institutions judiciaires nationales ou internationales.

C.         Malgré les différences entre les systèmes juridiques en Europe, le CCJE salue les efforts que les autorités judiciaires nationales peuvent faire, dans leur rôle d’interprète de la loi et de gardien de  l’Etat de Droit, si nécessaire au moyen d’échanges d’idées appropriés avec les autorités judiciaires d’autres pays, pour atteindre les objectifs suivants :

(a)           tout en respectant la législation nationale, veiller à ce que le droit et la pratique internes soient conformes au droit international et européen, tel qu’applicable dans les Etats concernés ;

(b)           réduire, dans la mesure du possible, les différences d’application de ce principe dans les systèmes liés par la même norme internationale ;

(c)           veiller tout particulièrement à ce que le droit et la pratique internes respectent la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme ; à cette fin, il conviendrait notamment, lorsque cela est possible, de garantir la réouverture de la procédure après que la Cour européenne des droits de l'homme ait conclu à la violation de la Convention européenne des droits de l’homme ou de ses protocoles et lorsque les conséquences de la violation ne peuvent raisonnablement être effacées ou réparées par un autre moyen ;

(d)           prendre dûment en considération les recommandations du Conseil de l'Europe.


avis n°10(2007)

du conseil consultatif de juges europeens (ccje)

a l’attention du comite des ministres du conseil de l'europe

sur

le conseil de la justice au service de la société

I.          INTRODUCTION

1.     En 2007, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a chargé le Conseil Consultatif de Juges Européens (CCJE) d’adopter un Avis sur la structure et le rôle du conseil supérieur de la magistrature ou d’un autre organe indépendant équivalent en tant qu’élément indispensable dans un Etat de droit d’un équilibre entre les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire.

2.     La diversité des systèmes européens se reflète dans le choix des Etats et les discussions concernant la dénomination des instances garantes de l’indépendance des juges. Afin de faciliter la lecture du présent Avis, le CCJE a décidé d’utiliser ci-après le terme unique de «Conseil de la Justice»[88].

3.     Conformément à son mandat, le CCJE s’est penché sur les points suivants qui apparaissent dans le Programme cadre d’action globale pour les juges en Europe[89] :

§  les garanties de l’indépendance du pouvoir judiciaire dans les Etats membres aux niveaux constitutionnel, législatif et institutionnel (voir partie I (a), (b), (c) et (d) du programme) ;

§  la mise en place ou le renforcement d’instances indépendantes des pouvoirs législatif et/ou exécutif, chargées de la gestion de la carrière des juges (voir partie I (e) du programme).

4.     Le but du présent Avis est d’identifier les éléments clés concernant la mission générale, la composition et les fonctions du Conseil de la Justice, en vue de renforcer la démocratie et protéger l’indépendance du pouvoir judiciaire. Cet Avis n’a pas pour ambition de présenter une description détaillée des principes devant régir la composition ou les tâches du Conseil de la Justice, ni de créer un modèle unique de Conseil de la Justice en Europe.

5.     La composition et les fonctions du Conseil de la Justice peuvent varier d’un Etat à un autre[90]. Conscient de cette diversité mais constatant une tendance générale à la création de Conseils de la Justice indépendants, il est apparu nécessaire au CCJE:

§  d’affirmer l’importance de l’existence d’une instance spécifique garante de l’indépendance des juges, dans le cadre du respect du principe de la séparation des pouvoirs ;

§  de poser des lignes directrices et des normes fondamentales à l’attention des Etats membres qui souhaitent mettre en place ou réformer leur Conseil de la Justice.

6.     Les dispositions du présent Avis sont pertinentes pour tous les ordres judiciaires, notamment dans les Etats où il existe un système de justice administrative séparé, que ce soit dans le cadre d’un Conseil de la Justice unique (compétent pour la justice ordinaire et administrative) ou de Conseils séparés[91].

7.     Pour préparer le présent Avis, le CCJE a notamment examiné et dûment tenu compte :

§  de l’acquis du Conseil de l’Europe, et notamment la Recommandation N°R(94)12 du Comité des Ministres aux Etats membres sur l’indépendance, l’efficacité et le rôle des juges[92], la Charte européenne sur le statut des juges de 1998 ainsi que les Avis N° 1, 2, 3, 4, 6 et 7 du CCJE ;

§  du rapport sur les nominations judiciaires adopté en mars 2007 par la Commission de Venise lors de sa 70ème session plénière comme contribution aux travaux du CCJE[93] ;

§  des réponses de 40 délégations à un questionnaire relatif aux conseils supérieurs de la magistrature adopté par le CCJE lors de sa 7ème réunion plénière (8-10 novembre 2006) ;

§  des rapports préparés par les spécialistes du CCJE : Mme Martine VALDÈS-BOULOUQUE (France) sur la situation actuelle dans les Etats membres du Conseil de l’Europe disposant d’un conseil supérieur de la magistrature ou d’un organe équivalent ; Lord Justice THOMAS (Royaume-Uni) sur la situation actuelle dans les Etats ne disposant pas de tels organes ;

§  des contributions des participants à la 3ème Conférence européenne des Juges sur le thème « Quel Conseil pour la justice ?», organisée par le Conseil de l’Europe en coopération avec le Réseau européen des Conseils de la Justice (RECJ), le Conseil supérieur de la Magistrature et le Ministère de la Justice italiens (Rome, 26-27 mars 2007).

II.   mission générale : garantir L’indépendance du système judiciaire et l’Etat de Droit

8.     Le Conseil de la Justice vise à garantir à la fois l’indépendance du système judiciaire et l’indépendance de chaque juge. Au sein de l’Etat de droit, l’existence d’un pouvoir judiciaire indépendant et impartial est une exigence structurelle de l’Etat.

9.     L’indépendance des juges, dans une société globalisée et interdépendante, devrait apparaître au regard de chaque citoyen comme une garantie de vérité, de liberté, de respect des droits de l’homme, et de justice impartiale non soumise à des influences externes. L’indépendance des juges n’est pas une prérogative ou un privilège octroyé dans leur propre intérêt, mais elle leur est garantie dans l’intérêt de la prééminence du droit et de ceux qui recherchent et demandent justice. L’indépendance comme condition de l’impartialité des juges est, par conséquent, une garantie d’égalité des citoyens devant la justice.

10.  Le CCJE estime également que le Conseil de la Justice devrait promouvoir l’efficacité et la qualité de la justice, contribuant ainsi à veiller au respect de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et à renforcer la confiance des usagers dans la justice. Dans cette optique, le Conseil de la Justice est tenu de développer les outils nécessaires à l’évaluation de la justice, de rendre compte de l’état des services et de demander aux autorités compétentes de prendre les mesures nécessaires pour améliorer l’administration de la justice.

11.  Le CCJE recommande que le Conseil de la Justice soit, du moins dans les pays dotés d’une Constitution écrite, spécifié dans cette dernière, ou, à défaut, dans l’instrument législatif ou constitutionnel équivalent. Des dispositions devraient y prévoir la création de ce type d’organe, la détermination de ses fonctions, l’origine des membres le composant, la mise en place de critères concernant sa composition et le mode de désignation des membres[94].

12.  Le Conseil de la Justice, au-delà des fonctions de gestion et d’administration du corps judiciaire, devrait également incarner le gouvernement autonome du pouvoir judiciaire, en permettant aux juges d’exercer leurs fonctions hors du contrôle des pouvoirs exécutif et législatif et de toute pression indue, interne au pouvoir judiciaire.

13.  Dans cette optique, le CCJE considère qu’il serait inapproprié que le Conseil de la Justice soit limité par d’autres pouvoirs, dans son autonomie à déterminer ses modalités de fonctionnement ou ses thèmes de discussion. Les relations entre le Conseil de la Justice et le Ministre de la Justice, le Chef de l’Etat et le Parlement devront être déterminées. En outre, les rapports avec les tribunaux et, en particulier, avec les juges devraient être considérés avec attention dans la mesure où le Conseil de la Justice ne fait pas partie de la hiérarchie des tribunaux et, en tant que tel, ne peut pas statuer sur le fond des décisions.

14.  Le Conseil de la Justice est également tenu de garantir, contre toutes les pressions ou préjugés extérieurs d’ordre politique, idéologique ou culturel, l’absolue liberté pour les juges de statuer impartialement sur les affaires dont ils sont saisis, selon leur intime conviction et leur propre interprétation des faits, et conformément aux règles de droit en vigueur[95].

III.  Composition : permettre un fonctionnement optimal d’un conseil de la justice indépendant et transparent

III. A.    Un Conseil de la Justice composé majoritairement de juges

15.  La composition du Conseil de la Justice doit lui permettre de garantir son indépendance et d’accomplir effectivement ses fonctions.

16.  Le Conseil de la Justice peut être composé, soit exclusivement de juges, soit à la fois de juges et de non juges. Dans ces deux situations, il convient d’éviter tout corporatisme.

17.  Quand le Conseil de la Justice est composé exclusivement de juges, le CCJE estime que ces juges doivent être élus par leurs pairs.

18.  Quand sa composition est mixte (juges et non juges), le CCJE considère que pour éviter toute manipulation ou pression indue, le Conseil de la Justice doit compter une majorité substantielle de juges élus par leurs pairs[96].

19.  Selon le CCJE, une telle composition mixte présente l’avantage d’une part d’éviter le corporatisme et d’autre part de refléter les différents courants d’opinion de la société et apparaître ainsi comme une source supplémentaire de légitimation du pouvoir judiciaire. Même avec une composition mixte, le Conseil de la Justice doit fonctionner sans la moindre concession au jeu des majorités parlementaires et des pressions de l’exécutif, en dehors de toute subordination aux logiques partisanes, pour pouvoir se porter garant des valeurs et des principes essentiels de la justice.

20.  Lorsque le Conseil de la Justice a une composition mixte, le CCJE estime que certaines de ses tâches pourraient être réservées à une formation du Conseil constituée uniquement de juges.

III. B.    Qualification des membres

21.  La sélection des membres juges ou non juges doit se faire sur la base de leur compétence, de leur expérience, de leur aptitude de compréhension de la vie judiciaire et de discussion ainsi que de leur culture d’indépendance.

22.  Les membres non juges peuvent être choisis parmi des juristes émérites et des professeurs universitaires avec une certaine ancienneté professionnelle ou parmi des citoyens reconnus. La gestion moderne du corps judiciaire peut requérir également la contribution de membres dotés d’une expérience dans des domaines non juridiques (par exemple en matière de gestion, de finances, de technologies de l’information et de sciences sociales).

23.  Qu’ils soient juges ou non juges, les futurs membres du Conseil de la Justice ne devraient pas être des responsables politiques, des membres du Parlement, de l’exécutif ou de l’administration. Cela signifie que ni le chef de l’Etat, s’il est le chef du gouvernement, ni aucun ministre ne peut être membre du Conseil de la Justice. Chaque Etat devrait édicter des règles juridiques afin de s’assurer que tel est bien le cas.

24.  Le CCJE considère que la composition des Conseils de la Justice devrait autant que possible respecter la diversité de la société.

III. C.    Modes de sélection

III. C. 1. Sélection des membres juges

25.  Pour garantir l’indépendance de l’autorité compétente en matière de sélection et de carrière des juges, des dispositions devraient être prévues pour veiller à ce que ses membres soient désignés par le pouvoir judiciaire.

26.  La désignation peut consister en une élection ou, pour un nombre limité de membres (ex : les présidents des Cours Suprêmes/de Cassation ou d’Appel), en une désignation «  ex officio ».

27.  Sans imposer un mode de scrutin particulier, le CCJE considère que les juges siégeant au Conseil de la Justice doivent être élus par leurs pairs suivant des modalités garantissant la représentation la plus large du système judiciaire à tous les niveaux[97].

28.  Même si les associations professionnelles de juges et le Conseil de la Justice ont des rôles et des missions différents, l’indépendance du système judiciaire constitue la clef de voûte des intérêts des uns et des autres. Les organisations professionnelles sont parfois les mieux placées dans les débats concernant la politique judiciaire. Néanmoins, dans de nombreux Etats, il est constaté qu’une large majorité de juges n’est pas membre d’une association. La participation des deux catégories de juges (membres et non membres d’une association) à une formation pluraliste du Conseil de la Justice serait plus représentative de l’univers judiciaire. Les associations des juges devraient de ce fait avoir la possibilité de présenter aux élections des candidats juges (ou une liste de candidats) ; la même possibilité doit être accordée aux juges non associés. Il appartient aux Etats de mettre en place un système électoral incluant ces possibilités.

29.  Afin de répondre aux attentes des citoyens relatives à la dépolitisation du Conseil de la Justice, le CCJE estime que la compétition dans le cadre d’élections devrait se conformer aux règles définies par le Conseil de la Justice lui-même, afin de minimiser les risques de mettre en cause la confiance du public dans le système judiciaire.

30.  Le CCJE ne verrait pas d’objection à ce que les Etats conçoivent des modalités, autres que l’élection directe, garantissant la représentation la plus large de leurs pairs au sein du Conseil de la Justice. Il serait envisageable d’emprunter aux pays expérimentés en matière de constitution de panels de juges une méthode garantissant une bonne représentation territoriale : le tirage au sort de membres inscrits sur une ou plusieurs listes territoriales de candidats éligibles, déterminés comme tels par un nombre suffisant de pairs.

31.  Le CCJE n’est pas favorable aux systèmes impliquant les autorités politiques, telles que le Parlement et le pouvoir exécutif, à un stade quelconque du processus de sélection. Toute interférence des échelons supérieurs de la hiérarchie judiciaire dans le processus devrait être évitée. Toute forme de désignation des juges par des autorités judiciaires ou non judiciaires devrait être exclue.

III. C. 2. Sélection des membres non juges

32.  Les membres non juges ne devraient pas être désignés par le pouvoir exécutif. Même s’il appartient à chaque Etat de trouver un équilibre entre des impératifs parfois contradictoires, le CCJE recommande la mise en place de systèmes qui confient la sélection des membres non juges à des autorités non politiques. Si, dans un Etat, les membres non juges sont élus par le Parlement, ils ne devraient pas être membres du Parlement, devraient être élus à une majorité qualifiée requérant un soutien significatif de l’opposition et devraient permettre une représentation diversifiée de la société dans la composition globale du Conseil de la Justice.

III. C. 3. Sélection du Président

33.  Il convient de veiller à ce que la présidence du Conseil de la Justice soit exercée par une personne impartiale qui ne soit pas proche des partis politiques. Par conséquent, dans les régimes parlementaires où le Président/chef de l’Etat a des pouvoirs plutôt protocolaires, rien ne s’oppose à ce que la Présidence du Conseil de la Justice lui soit attribuée, alors que dans les autres régimes, le président du Conseil de la Justice pourrait être élu par le Conseil lui-même, et devrait être un juge.

III. D.    Nombre de membres et durée de leur mandat

34.  Le CCJE estime que la composition du Conseil de la Justice devrait refléter l’importance de son corps judiciaire et, partant, le volume des tâches à effectuer. Bien qu’il appartienne aux Etats de décider si les membres du Conseil de la Justice doivent siéger à temps plein ou à temps partiel, le CCJE souligne que siéger à temps plein signifie une plus large efficacité du travail et une sauvegarde accrue de l’indépendance. Néanmoins, il est important que les juges siégeant au Conseil de la Justice ne soient pas trop longtemps tenus éloignés de leur profession pour conserver le contact avec la pratique juridictionnelle autant que possible. Les mandats exigeant que les membres du Conseil de la Justice se consacrent uniquement à ces tâches devraient être limités en nombre et en durée[98].

35.  Pour garantir la continuité des activités du Conseil de la Justice, le CCJE recommande que les membres ne soient pas tous remplacés en même temps.

III. E.    Statut des membres

36.  Les membres du Conseil de la Justice (juges et non juges) devraient bénéficier des garanties d’indépendance et d’impartialité. La rémunération à attribuer aux membres du Conseil de la Justice devrait être proportionnée à la fonction qu’ils occupent et à la charge de travail au sein du Conseil.

IV.  RESSOURCES (disposer du FINANCEMENT, du personnel et de l’expertise technique) et légitimité des décisions du Conseil de la justice

IV. A.   Budget et personnel

37.  Le CCJE note qu’il est très important d’assurer le financement du Conseil de la Justice afin de lui permettre un bon fonctionnement. Il devrait disposer de moyens appropriés pour agir de façon indépendante et autonome et être capable de négocier et organiser effectivement son budget propre.

 

38.  Le Conseil de la Justice devrait avoir des locaux mis à sa disposition, un secrétariat, des ressources informatiques, la liberté de s’organiser sans avoir à rendre compte à une autorité politique ou autre, la liberté d’organiser ses séances et d’établir l’ordre du jour de ses réunions, ainsi que le droit de communiquer directement avec les tribunaux afin d’accomplir ses tâches. Le Conseil de la Justice devrait avoir du personnel propre en fonction des nécessités et chaque membre devrait avoir du personnel propre aux tâches qui lui sont imparties.

IV. B.   Décisions du Conseil de la Justice

39.  Certaines décisions du Conseil de la Justice en matière de gestion et d’administration des services de la  justice, ainsi que les décisions de nomination, de mobilité, de promotion, de discipline et de révocation des juges (s’il dispose d’un de ces pouvoirs) devraient être motivées, avoir une valeur contraignante sous réserve de la possibilité d’un recours contentieux; en effet, l’indépendance du Conseil de la Justice ne signifie pas soustraction au droit et absence de contrôle juridictionnel.

IV. C.   Expertise technique

40.  Le Conseil de la Justice peut faire appel à l’expertise d’autres professionnels pour des questions spécifiques. Ces experts ne sont bien sûr pas membres du Conseil de la Justice et ne participent pas au processus décisionnel.

V.         Une compétence large pour garantir l’indépendance et l’efficacité de la justice

41.  De manière générale, le Conseil de la Justice joue un rôle important dans l’exercice de compétences liées entre elles, pour lui permettre de mieux protéger et promouvoir l’indépendance judiciaire et l’efficacité de la justice.

42.  Le CCJE recommande que le Conseil de la Justice veille à ce que les tâches suivantes, exercées de préférence par le Conseil lui-même ou en coopération avec d’autres instances, soient accomplies de manière indépendante:

§  la sélection et la nomination des juges (voir point V. A.) ;

§  la promotion des juges (voir point V. A.) ;

§  l’évaluation des juges (voir point V. B.) ;

§  la discipline et la déontologie (voir point V. C.) ;

§  la formation des juges (voir point V. D.) ;

§  le contrôle et la gestion d’un budget propre (voir point V. E.) ;

§  l’administration et la gestion des tribunaux (voir point V. F.);

§  la protection de l’image des juges (voir point V. G.);

§  le pouvoir d’émettre des avis à l’attention des autres pouvoirs de l’Etat (voir point V. H.) ;

§  la coopération avec d’autres instances pertinentes aux niveaux national, européen et international (voir point V. I.) ;

§  la responsabilité à l’égard du public : transparence, capacité à rendre compte de son activité, présentation de rapports (voir point VI.).

43.  Il convient de faire attention et de tenir compte du fait qu’il peut y exister des conflits entre les différentes fonctions du Conseil de la Justice, notamment, entre la fonction de nomination des juges et celle de formation ; ou entre la fonction de formation et celle disciplinaire, de même qu’entre la fonction de formation et celle d’évaluation des juges. Un moyen d’éviter ces conflits consiste à séparer les différentes tâches au sein de diverses sections du Conseil de la Justice[99].

44.  Le CCJE souligne que les diverses tâches du Conseil de la Justice sont étroitement liées aux rôles constitutionnels du Conseil de la Justice et, par conséquent, ces tâches devraient être mentionnées dans la Constitution ou dans un instrument législatif fondamental ou constitutionnel. Afin de permettre aux responsabilités d’être exercées, les difficultés relatives aux éventuelles pressions externes/internes (par exemple, la pression exercée par le législateur/l’exécutif) devraient être évitées en délimitant strictement les tâches et en fixant la manière avec laquelle elles doivent être accomplies.

45.  Il devrait également exister un lien étroit entre la composition et les compétences du Conseil de la Justice. La composition devrait notamment résulter des tâches du Conseil. Certaines fonctions du Conseil de la Justice nécessitent par exemple la présence de membres des professions juridiques, de professeurs de droit, voire de représentants de la société civile.

46.  Une distinction peut également être faite, selon les Conseils de la Justice, entre ceux dotés de fonctions traditionnelles (par exemple, le modèle dit « d’Europe du Sud» compétent en matière de désignation des juges et d’évaluation du système judiciaire) et ceux dotés de fonctions nouvelles (par exemple, le modèle dit « d’Europe du Nord » compétent en matière de gestion et budgétaire). Le CCJE encourage l’attribution des deux types de fonctions au Conseil de la Justice.

47.  En outre, les compétences du Conseil de la Justice pourraient être liées au fonctionnement d’autres instances équivalentes qu’il s’agisse d’un Conseil des procureurs ou, dans certains pays, d’un Conseil distinct pour les juges administratifs. Il incombe aussi au Conseil de la Justice de développer des relations avec ces différents organes ainsi que de développer les contacts et la coopération européenne/internationale.

V. A.    La sélection, la nomination et la promotion des juges 

48.  Pour maintenir l’indépendance du système judiciaire, il est essentiel que la sélection et la promotion des juges soient effectuées de manière indépendante, hors de la compétence du pouvoir législatif ou exécutif, et de préférence par le Conseil de la Justice[100].

49.  Si on peut admettre que, compte tenu de la place importante du juge dans la société et pour souligner le caractère éminent de sa fonction, la nomination ou la promotion prenne la forme d’un acte officiel émanant du Chef de l’Etat, il importe que celui-ci soit lié par une proposition faite par le Conseil de la Justice. Il ne suffit pas en effet que cet organe soit consulté pour avis sur un projet de nomination préparé par le pouvoir exécutif, car le seul fait que le projet émane d’une autorité politique est de nature à affecter l’image d’indépendance du juge, quelles que soient les qualités personnelles du candidat proposé à la nomination.

50.  Si ce système de nomination et de promotion est essentiel, il n’est pas pour autant suffisant. Il faut aussi assurer une totale transparence quant aux conditions de sélection des candidats, afin que l’ensemble des juges et, au-delà, la société elle-même, puissent vérifier que cette sélection soit exclusivement fondée sur les mérites des candidats, appréciés au regard de leurs qualifications, compétence, intégrité, esprit d’indépendance, impartialité et efficacité. A cette fin, il est indispensable que, conformément à la pratique instaurée dans certains Etats, des critères publics de nomination et de promotion soient diffusés par chaque Conseil de la Justice. Le Conseil de la Justice doit également permettre, dans son rôle concernant en particulier la gestion des tribunaux et la formation, que les procédures de nomination et de promotion basées sur le mérite soient ouvertes à un panel de candidats aussi divers et représentatif de la société que possible.

51.  En outre, pour les postes les plus importants, en particulier ceux de chefs de juridictions, il importe que le Conseil de la Justice diffuse, par voie officielle, des profils généraux décrivant les spécificités du poste à pourvoir et les qualités attendues des candidats, pour permettre un choix transparent et responsable, qui sera effectué par l’autorité de nomination, ce choix devant intervenir exclusivement sur la considération des mérites du candidat et non sur des données plus subjectives, amicales, politiques, associatives ou syndicales.

V. B.    L’évaluation professionnelle des juges

52.  La question de l’évaluation professionnelle des juges comporte en réalité un double aspect: l’évaluation de la qualité du système judiciaire et celle des aptitudes professionnelles des juges.

53.  La question de l’évaluation de la qualité du système judiciaire a déjà été examinée sous certains aspects par le CCJE dans son Avis n° 6[101]. Au regard du sujet du présent Avis, il est indispensable que dans chaque Etat, le Conseil de la Justice tienne un rôle essentiel, d’une part dans la détermination des critères et des normes permettant d’apprécier la qualité du service de la justice, d’autre part dans l’application ou le suivi des données qualitatives mises en œuvre par les différentes juridictions.

54.  La qualité de la justice peut bien sûr se mesurer par rapport à des données objectives telles que les conditions d’accès à la justice et d’accueil du public dans les juridictions, les facilités de mise en œuvre des procédures qui leur sont offertes et les délais d’obtention et d’exécution des décisions attendues. Mais elle implique aussi une appréciation plus subjective touchant notamment à la valeur des décisions rendues et à leur perception dans le public. Elle doit également tenir compte de données plus politiques telles que la part allouée à la justice dans le budget de l’Etat et la perception de l’indépendance judiciaire par les autres pouvoirs. L’ensemble de ces considérations justifie l’implication active du Conseil de la Justice dans le travail d’appréciation de la qualité de la justice et dans la mise en œuvre des techniques destinées à assurer l’efficacité du travail du juge.

55.  Le cas échéant, la question, distincte, de l’évaluation professionnelle des juges se pose en des termes différents selon que le juge est recruté en début de carrière parmi des candidats sans expérience professionnelle ou, après de nombreuses années d’exercice d’une profession juridique parmi les praticiens les plus expérimentés et méritants. Si la nécessité d’une évaluation des qualités professionnelles s’impose dans le premier cas pour s’assurer d’aptitudes qui n’ont pu être appréciées dans une activité antérieure, cette évaluation ne perd pas toute utilité pour les juges recrutés selon la seconde formule, compte tenu de la spécificité de la fonction de juger, du renouvellement constant des pratiques et des connaissances qu’elle implique.

56.  Il faut souligner que l’évaluation des juges suppose d’examiner non seulement la compétence juridique et les aptitudes professionnelles générales des juges, mais aussi des données plus personnelles, telles que leurs qualités humaines et leur sens des relations avec les tiers. Si l’exercice des fonctions judiciaires suppose un haut degré de compétences techniques et personnelles, il serait souhaitable que leur identification fasse l’objet d’un consensus au niveau européen. A cet égard, le Conseil de la Justice devrait jouer un rôle essentiel en vue de l’identification des critères généraux d’évaluation pertinents. Il ne saurait cependant se substituer à l’autorité judiciaire compétente pour l’évaluation individuelle des juges.

V. C.    La déontologie et la discipline des juges

V. C. 1. Déontologie

57.  Le CCJE en traitant des questions d’éthique et de discipline dans son Avis n°3(2002), a souligné la nécessité de distinguer clairement les deux questions.

58.  De cette distinction entre discipline et déontologie découle la nécessité de fournir au juge un recueil de principes déontologiques, conçu comme un document de travail pour la formation et pour l’exercice quotidien des fonctions. La diffusion, par les organes judiciaires disciplinaires, de la jurisprudence disciplinaire constitue un progrès souhaitable pour l’information fournie aux juges ; elle leur permet d’instaurer des discussions sur leurs pratiques et facilite ainsi la diffusion d’une culture de réflexion en la matière. Elle ne saurait cependant être suffisante : les décisions disciplinaires ne couvrent pas l’ensemble du champ d’application de la déontologie ; elles ne constituent pas non plus le guide de bonnes pratiques dont les juges ont besoin.

59.  Plus souple qu’un code dont la rigidité et le caractère faussement exhaustif sont justement critiqués, le recueil de principes déontologiques devrait comporter un énoncé de ces bonnes pratiques suivies d’exemples et de commentaires. L’élaboration de ce recueil de principes déontologiques doit être l’œuvre des juges eux-mêmes, qui ne sauraient se voir imposer une déontologie par des tiers, en particulier par les autres pouvoirs de l’Etat.

60.  Compte tenu de la distinction souhaitée par le CCJE entre déontologie et discipline, la rédaction de ce recueil de principes devrait incomber à un organe autre que celui en charge de la discipline des juges. Plusieurs solutions existent pour déterminer l’organe qui pourrait être compétent pour la déontologie :

(i)             soit confier cette mission au Conseil de la Justice, si ce Conseil n’assure pas de fonction disciplinaire ou s’il comporte une instance spécifique en matière disciplinaire ayant une composition distincte au sein du Conseil (voir paragraphe 64 ci-dessous) ;

(ii)            soit créer, à côté du Conseil de la Justice, un comité d’éthique ayant pour fonction exclusive l’élaboration et le suivi des règles déontologiques. La difficulté de ce dernier choix tient aux critères de désignation et modes de sélection des membres du comité et au risque de conflit ou divergence d’appréciation entre ce comité et le Conseil.

L’organe chargé de la déontologie pourrait aussi, comme le CCJE l’a suggéré dans son Avis n° 3, conseiller les juges sur les questions de déontologie auxquelles ils sont susceptibles d’être confrontés au cours de leur carrière.

61.  En outre, le CCJE estime qu’il peut être justifié d’associer, à l’élaboration des principes déontologiques, des personnalités extérieures au système judiciaire (avocats, universitaires, personnalités représentant la société, autres autorités de l’Etat) pour lutter contre le corporatisme, tout en veillant à ce que les juges ne soient pas dépossédés de leur faculté à décider de leur déontologie.

V. C. 2. Discipline

62.  La question de la responsabilité des juges a été traitée par le CCJE dans son Avis n°3(2002). Les expériences récentes connues par certains Etats montrent la nécessité de préserver le juge contre la tentation d’élargir le domaine de sa responsabilité pour son activité proprement juridictionnelle. Le rôle du Conseil de la Justice est de montrer qu’un juge ne peut encourir les mêmes responsabilités que les membres des autres professions: il remplit une mission de service public et ne peut refuser de statuer sur les conflits dont il est saisi. Par ailleurs, si ce juge est exposé à des sanctions juridictionnelles ou disciplinaires contre ses décisions, ni l’indépendance du juge, ni d’équilibre démocratique des pouvoirs ne pourront être maintenus. Le Conseil de la Justice doit donc condamner sans équivoque les projets politiques tendant à la restriction du pouvoir d’appréciation des juges. Cela ne signifie nullement que les juges peuvent agir en dehors du cadre de leurs fonctions et du respect de la loi.

63.  Un juge qui ne traite pas les dossiers qui lui sont confiés par paresse ou qui fait preuve d’incompétence grossière et manifeste dans l’accomplissement de ses tâches doit être soumis à une procédure disciplinaire. Mais là encore, comme l’Avis n°3(2002) du CCJE l’a déjà souligné, il importe que le juge soit protégé par une procédure disciplinaire garantissant le respect du principe de l’indépendance judiciaire, menée par un organe dégagé de toute influence politique statuant sur des fautes disciplinaires clairement définies: le Chef de l’Etat, le ministre de la justice ou tout autre représentant des autorités politiques ne doivent pas faire partie de l’instance disciplinaire.

64.  Le Conseil de la Justice est compétent en matière de déontologie ; il peut recevoir, en outre, les plaintes des usagers de la justice. Pour éviter des conflits d’intérêts, il conviendrait qu’en première instance, la procédure disciplinaire, quand elle n’est pas de la compétence d’un tribunal disciplinaire, soit mise en œuvre par une commission disciplinaire composée, de manière substantielle[102], de juges élus par leurs pairs, distincts des membres du Conseil de la Justice, avec la possibilité d’un recours devant une instance judiciaire supérieure.

V. D.    La formation des juges[103]

65.  Les responsabilités concernant l’organisation et le contrôle de la formation judiciaire devraient incomber, dans chaque Etat, non pas au ministère de la justice ou à toute autre autorité devant rendre compte au pouvoir législatif ou exécutif, mais au pouvoir judiciaire lui-même ou de préférence au Conseil de la Justice ; les associations des juges peuvent également jouer un rôle important à cet égard. De plus, la conception des programmes de formation et leur mise en œuvre devraient être confiées, sous l’autorité du pouvoir judiciaire ou de préférence au Conseil de la Justice, à un organe autonome spécifique (par exemple, un centre de formation), doté d’un budget propre et devant travailler avec le concours des juges. Une répartition claire des tâches entre le Conseil de la Justice et les centres de formations, lorsqu’ils existent, devrait être encouragée.

66.  Le CCJE estime que si le Conseil de la Justice est compétent pour la formation et la nomination, ou pour la promotion, il conviendra de prévoir une séparation nette entre les différents services chargés de ces tâches et d’éviter des liens trop étroits avec le ministère de la justice (concernant la nomination des formateurs, l’allocation du budget, etc.) ou le ministère de l’éducation (accréditation ou reconnaissance des diplômes, etc.).

67.  Le Conseil de la Justice devrait coopérer avec l’instance de formation pendant toute la durée de la formation initiale et continue, afin qu’elle soit efficace et de qualité, garantissant que les juges sont sélectionnés sur la base de critères objectifs et mesurables, en fonction d’un système fondé sur le mérite et une formation appropriée.

V. D. 1. Formation initiale

      

68.  Pour garantir aux candidats à la magistrature une formation de qualité, le CCJE recommande que le Conseil de la Justice participe directement ou coopère avec les instances de formation, à la création et au développement du programme de formation initiale qui permettra aux candidats de développer et approfondir non seulement leurs connaissances du droit procédural ou substantiel au niveau national ou international et de la pratique juridique, mais également de développer des compétences supplémentaires, telles que la connaissance de langues étrangères, l’éthique, les modes alternatifs de résolution des litiges. Ceci permettra à la société d’être servie par des juges capables d’appliquer la loi correctement, tout en ayant un regard critique et indépendant, sensible et ouvert aux problèmes de la société.

69.  En outre, le Conseil de la Justice devrait procéder à une évaluation externe de la formation initiale, de manière à suivre le développement et la réussite professionnels des juges dans leur travail au quotidien lors des premières années suivant leur désignation, pour mesurer l’efficacité de la formation initiale et faire des propositions en vue de l’améliorer.

V. D. 2. Formation continue

70.  Le Conseil de la Justice devrait stimuler la participation des juges à toutes ces activités de formation, en tant que part importante de leur activité professionnelle. Les juges ont le droit et le devoir légal et éthique d’entretenir leur développement professionnel grâce à la participation à des formations continues, considérées comme un processus d’apprentissage sa vie durant. Les juges, dans l’accomplissement de leurs devoirs, devraient notamment suivre l’évolution du droit – en théorie et en pratique - au niveau national et international[104], être en phase avec les tendances sociales et être sensibilisés aux modes alternatifs de résolution des litiges. Le CCJE recommande que le Conseil de la Justice prenne en considération la participation des juges aux programmes de formation dans le cadre de l’examen de leur promotion.

71.  Les rapports et les statistiques d’évaluation du travail des juges et des tribunaux, préparés annuellement par le Conseil de la Justice, devraient inclure des informations relatives aux questions cruciales sur lesquelles la formation devrait être axée[105], telles que la gestion des affaires, la gestion du temps, les prévisions budgétaires, l’amélioration des techniques de travail, les techniques de relations publiques, les techniques de communication, la recherche juridique, etc.

72.  Plus généralement, le Conseil de la Justice devrait être largement consulté lors du processus de sélection des sujets qui seront inclus dans le programme annuel de formation ; il devrait également suivre la réalisation du programme et évaluer ses effets sur la qualité de l’activité judiciaire.

V. E.    Le budget des tribunaux

73.  Bien que le financement des tribunaux soit un élément du budget étatique, ce financement ne devrait pas être tributaire des fluctuations politiques. Les décisions en matière d'affectation de fonds aux tribunaux doivent être prises dans le respect le plus rigoureux de l'indépendance des juges. Les dispositions en matière de vote du budget de la justice par le Parlement doivent comporter une procédure qui tient compte de l’avis du pouvoir judiciaire[106]. Si le Conseil de la Justice n’a pas de rôle dans l’administration et la gestion des tribunaux, il doit au moins être en mesure d’émettre des avis sur l’enveloppe budgétaire minimale nécessaire au fonctionnement de la justice et de préciser les besoins de celle-ci afin de justifier cette enveloppe.

74.  Selon le CCJE, les tribunaux ne sont réellement indépendants que s’ils disposent d’un budget propre et administré par une instance indépendante du pouvoir exécutif ou législatif, que ce soit par un Conseil de la Justice ou une agence indépendante.

75.  Bien que, pour certains Etats, le ministère de la justice apparaisse comme le mieux placé pour négocier le budget des tribunaux avec les autres pouvoirs, notamment le ministère des finances, le CCJE estime qu’un système dans lequel le Conseil de la Justice dispose de compétences financières étendues, est un système qui doit être considéré avec attention par les Etats dans lesquels ce n’est actuellement pas le cas. Il convient de souligner que des pouvoirs financiers étendus dévolus au Conseil de la Justice impliquent la nécessité de rendre compte, non seulement vis-à-vis des pouvoirs exécutif et législatif, mais également vis-à-vis des tribunaux et du public.

V. F.     L’administration et la gestion des tribunaux

76.  La détermination des conditions de l’attribution du budget aux divers tribunaux et celle de l’instance compétente pour examiner et rendre compte de l’efficacité des tribunaux constituent des questions sensibles. Le CCJE considère que le Conseil de la Justice devrait avoir des compétences en la matière.

77.  Le Conseil de la Justice ne devrait pas avoir de compétence en matière de gestion des performances des juges à titre individuel.

78.  Le CCJE estime que le domaine de la promotion de la qualité de la justice est un domaine dans lequel le Conseil de la Justice peut contribuer positivement. Outre le développement de politiques en la matière, il convient de faire attention à ce que les tribunaux disposent de fonds suffisants pour leur permettre de remplir leurs obligations. Dans certains Etats, des systèmes ont été mis en place pour rendre compte et mesurer la qualité de la justice ; il est important de tenir compte des résultats de tels développements. Quant à la mise en place de politiques concernant la qualité et sa mesure, il est important que le Conseil de la Justice ait la possibilité d’obtenir, de la part des tribunaux, des données pertinentes et des statistiques.

79.  Le Conseil de la Justice devrait superviser l’organisation des services d’inspection pour qu’ils soient compatibles avec l’indépendance des juges. Ceci est particulièrement important lorsque les servicesd’inspection relèvent de l’exécutif.

V. G     La protection de l’image de la justice

80.  Dans son Avis n°7(2005), le CCJE recommande que les pouvoirs judiciaires européens et les Etats mettent en place globalement des programmes visant non seulement à informer le public sur la justice mais également à lui donner une idée plus juste du rôle du juge dans la société. Le CCJE estime que les tribunaux eux-mêmes devraient être reconnus comme l’organe approprié pour mettre sur pied des programmes se proposant d’améliorer la compréhension et la confiance de la société à l’égard de son système judiciaire. En parallèle, un rôle de coordination des diverses initiatives locales, de même que de promotion de « programmes de vulgarisation » à l’échelle nationale, devrait être attribué au Conseil de la Justice qui peut également, en s’adjoignant les services de professionnels rompus à l’exercice, répondre à des besoins d’information plus sophistiqués.

 

81.  Dans son Avis n°7(2005) également, le CCJE fait allusion au rôle d’un organe indépendant – qui pourrait tout à fait être le Conseil de la Justice ou l’un de ses comités, si nécessaire avec le concours de professionnels des médias – de résoudre les difficultés suscitées par la couverture d’affaires judiciaires par les médias ou rencontrées par les journalistes dans l’accomplissement de leur mission.

82.  Enfin, dans ce même Avis, le CCJE considère que, lorsqu’un juge ou un tribunal est contesté ou attaqué par les médias (ou par des acteurs politiques – ou autres – de la société, via les médias), les juges impliqués devraient s’abstenir de réagir en utilisant les mêmes canaux, mais qu’il serait souhaitable que le Conseil de la Justice ou une autorité judiciaire soit capable de réagir de manière rapide et efficace à de telles contestations ou attaques, si nécessaire.

83.  Le Conseil de la Justice devrait être habilité, non seulement à faire valoir publiquement son point de vue, mais aussi à faire toutes démarches utiles auprès du public, des autorités publiques et, lorsque cela est nécessaire, des tribunaux pour défendre la réputation de l’institution judiciaire et/ou de ses membres.

84.  Le Conseil de la Justice pourrait utilement être l’organe à même de jouer un rôle plus vaste dans la protection et la promotion de l’image de la justice, ce rôle impliquant de trouver un équilibre entre, d’une part, les droits et libertés en conflit, les acteurs sociaux et politiques et les médias et, d’autre part, l’intérêt du public pour un fonctionnement indépendant et efficace du système judiciaire.

85.  Dans ce cadre, le Conseil de la Justice pourrait également traiter des plaintes des usagers de la justice (voir également paragraphe 64 ci-dessus).

86.  Le CCJE recommande que le Conseil de la Justice accomplisse cette tâche en s’adjoignant les services de tous les professionnels nécessaires ; ainsi, le personnel affecté au Conseil de la Justice ne devrait pas se limiter aux seuls juristes mais comprendre également des journalistes, des experts en sciences sociales, des statisticiens, etc.

V. H.    La possibilité de fournir des avis aux autres pouvoirs étatiques

87.  Tout projet de texte se rapportant au statut du juge, à l’administration de la justice, au droit procédural et plus généralement tout projet de texte susceptible d’avoir une incidence sur le pouvoir judiciaire et notamment l’indépendance des juges, ou d’aboutir à une diminution des garanties d’accès des citoyens (y compris des juges eux-mêmes) à la justice, devrait obligatoirement être soumis, avant la délibération du Parlement, à l’avis du Conseil de la Justice. Cette fonction consultative devrait être admise par l’ensemble des Etats et consacrée par le Conseil de l’Europe sous forme de recommandation.

V. I.      Les activités de coopération avec d’autres instances au niveau national, européen et international

88.  Le CCJE fait remarquer que dans certains Etats, les tâches du Conseil de la Justice se répartissent entre plusieurs instances. La multiplicité des cas de figure nationaux croît en complexité du fait que dans certains domaines, par exemple celui de la formation, une seule institution est parfois compétente tandis que dans d’autres, la compétence se répartit entre plusieurs institutions. Il n’appartient pas au CCJE, à ce stade, de se prononcer sur un schéma optimal de relations entre différentes instances. Conscient du rôle important joué par la culture juridique de chaque Etat dans son schéma, le CCJE envisage néanmoins de recommander l’établissement, sous l’égide du Conseil de la Justice, de cadres de coopération visant à assurer l’accomplissement harmonieux des tâches partagées entre le Conseil et d’autres instances. Ce processus est également susceptible de favoriser l’évolution institutionnelle des organes vers l’unification progressive (par exemple dans le domaine de la formation). Ceci concerne également la coopération avec les Conseils de la Justice administrative. Une coopération avec les Conseils pour les Procureurs, si de telles instances distinctes existent, pourrait également être appropriée.

89.  Le CCJE souligne également l’importance de la coopération entre les Conseils de la Justice au niveau européen et international, dans tous les domaines où ces Conseils sont actifs au niveau national.

90.  Le CCJE note que les activités du Réseau Européen des Conseils de la Justice, qui joue un rôle général dans la mise en place de la coopération entre les Conseils de la Justice, et les activités du Réseau de Lisbonne et du Réseau Européen de Formation Judiciaire, tous deux compétents en matière de formation judiciaire, méritent reconnaissance et soutien. Ces réseaux sont en effet devenus des interlocuteurs importants pour le CCJE.

VI.  LE CONSEIL DE LA JUSTICE : PERMETTRE AUX SYSTEMES JUDICIAIRES de rendre compte et d’être transparents

91.  Compte tenu de l’importante implication attendue du Conseil de la Justice dans la gestion du corps judiciaire, il convient d’assurer la transparence des actions entreprises par ce Conseil. Cette transparence est une condition essentielle de la confiance que doivent avoir les citoyens dans le fonctionnement de la justice et une garantie contre le risque de politisation ou la tentation du corporatisme.

92.  Toutes les décisions, rendues par le Conseil de la Justice, concernant la nomination, la promotion, l’évaluation, la discipline et toutes les autres décisions concernant la carrière des juges doivent être motivées (voir également paragraphe 39 ci-dessus).

93.  Pour la question de la nomination et de la promotion des juges, il a déjà été indiqué que la transparence sera assurée par la publicité des critères de nomination et la diffusion de fiches de postes. Tout intéressé devrait pouvoir examiner les choix effectués et vérifier l’application par le Conseil de la Justice des règles concernant la sélection basée sur le mérite ainsi que toute décision de nomination ou promotion.

94.  Lorsque le Conseil de la Justice est investi d’attributions budgétaires, il est normal qu’il ait à rendre compte de l’emploi des fonds auprès de l’assemblée parlementaire ayant voté le budget de la justice et qu’il soit soumis au contrôle de la Cour des comptes chargée de surveiller l’utilisation faite de l’argent public, lorsqu’elle existe.

95.  Lorsque le Conseil de la Justice est investi d’attributions disciplinaires, les juges soumis à une procédure disciplinaire doivent pouvoir savoir exactement quels faits justifient la décision, pour apprécier s’il y a lieu pour eux d’envisager d’exercer un recours contre la décision (voir paragraphe 39 ci-dessus). En outre, le Conseil de la Justice peut envisager la publication des décisions prises, formelles et définitives, afin d’informer, non seulement l’ensemble du corps judiciaire, mais aussi le public des conditions dans lesquelles la justice doit être administrée et montrer que ce corps ne cherche pas à couvrir et étouffer les agissements coupables imputables à quelques uns de ses membres.

96.  Le Conseil de la Justice devrait publier un rapport d’activité périodique destiné, d’une part à faire connaître la teneur de ses actions et les difficultés rencontrées, d’autre part à suggérer les dispositions propres à améliorer, dans l’intérêt des utilisateurs, le fonctionnement de la justice. La publication de ce rapport peut être utilement accompagnée de conférences de presse avec des journalistes, de réunions de travail avec les juges et interlocuteurs de l’institution judiciaire qui sont de nature à améliorer la circulation des informations et à favoriser les échanges au sein de l’institution judiciaire.


rÉsumÉ des RecommAndations ET conclusions

Dans son Avis n°10(2007) intitulé « Le Conseil de la Justice au service de la société », le CCJE recommande ce qui suit :

A.         De manière générale :

a)         il est important de mettre en place dans les Etats une instance spécifique garante de l’indépendance des juges, telle que le Conseil de la Justice, en tant qu’élément indispensable de l’Etat de droit et respectueux du principe de séparation des pouvoirs ;

 

b)         le Conseil de la Justice doit avoir pour fonction de protéger l’indépendance à la fois du système judicaire et de chaque juge, et de garantir, dans le même temps, l’efficacité et la qualité de la justice conformément à l’article 6 de la CEDH afin de renforcer la confiance des usagers dans la justice ;

c)         le Conseil de la Justice devrait être protégé du risque de voir son autonomie limitée par les pouvoirs législatif et exécutif en figurant au niveau le plus élevé de la hiérarchie des normes ;

B.         Sur la composition du Conseil de la Justice :

a)         afin d’éviter le corporatisme et de refléter les différents courants d’opinion de la société, le Conseil de la Justice devrait avoir une composition mixte comprenant une majorité substantielle de juges, même si certaines tâches peuvent être réservées à une formation constituée uniquement de juges. Le Conseil de la Justice peut également être composé exclusivement de juges ; 

b)         la désignation des membres (juges ou non juges) doit se faire sur la base de leur compétence, de leur expérience, de leur compréhension de la vie judiciaire et de leur culture de l’indépendance et devrait écarter tout responsable politique ou membre de l’exécutif ou du législatif ;

c)         les membres juges devraient être élus par leurs pairs, sans interférence des autorités politiques ou de la hiérarchie judiciaire, par des méthodes garantissant la plus large représentation du système judiciaire; si la sélection se fait par le biais d’une élection directe, le Conseil de la Justice devrait énoncer des règles visant à minimiser toute atteinte à la confiance des usagers dans la justice ;

d)         les membres non juges, ayant une expérience juridique ou non, devraient être désignés par des autorités non politiques ; s’ils sont néanmoins élus par le Parlement, ils ne devraient pas être membres du Parlement, devraient être élus à une majorité qualifiée requérant un soutien significatif de l’opposition et devraient permettre une représentation diversifiée de la société dans la composition globale du Conseil de la Justice;

C.         Sur le fonctionnement du Conseil de la Justice :

a)         les mandats des membres pourraient exiger un travail à temps plein, mais limité en nombre et en durée pour conserver le contact avec la pratique juridictionnelle ; les membres (juges et non juges) devraient bénéficier des garanties d’indépendance et d’impartialité;

b)         le Conseil de la Justice devrait gérer son propre budget et disposer de moyens financiers appropriés lui permettant un fonctionnement optimal et indépendant;

c)         certaines décisions du Conseil de la Justice doivent être motivées et avoir une valeur contraignante mais susceptible de recours ;

d)         comme condition essentielle de la confiance des usagers dans la justice, le Conseil de la Justice devrait agir en toute transparence et doit rendre compte de ses activités, en particulier par le biais d’un rapport d’activités périodique destiné également à suggérer des améliorations concernant le fonctionnement de la justice.

D.         Sur les compétences du Conseil de la Justice :

a)         le Conseil de la Justice devrait avoir un large éventail de tâches lui permettant de protéger et promouvoir l’indépendance judiciaire et l’efficacité de la justice, tout en veillant à éviter les conflits d’intérêts lors de l’accomplissement de ces différentes tâches ;

b)         la sélection, la nomination et la promotion des juges devraient, de préférence, être de la compétence du Conseil de la Justice, effectuée en toute indépendance vis-à-vis du pouvoir législatif ou exécutif et en toute transparence, en particulier pour les critères de sélection des juges ;

 

c)         le Conseil de la Justice devrait s’impliquer activement dans le travail d’évaluation de la qualité de la justice et dans la mise en œuvre des techniques destinées à assurer l’efficacité du travail du juge, sans toutefois se substituer à l’autorité judiciaire compétente pour l’évaluation individuelle des juges ;

d)         le Conseil de la Justice pourrait être l’instance compétente en matière de déontologie ; il peut recevoir, en outre, les plaintes des usagers de la justice;

e)         le Conseil de la Justice pourrait être l’instance chargée de l’organisation et du contrôle de la formation, même si la conception et la mise en œuvre des programmes de formation incombe à un centre de formation, avec qui il doit  coopérer pour garantir la qualité de la formation initiale et continue des juges ;

f)          le Conseil de la Justice pourrait avoir des compétences financières étendues concernant la négociation et l’administration du budget de la justice ainsi que des compétences concernant l’administration et la gestion des tribunaux en vue d’améliorer la qualité de la justice ;

g)         le Conseil de la Justice pourrait être l’organe à même de jouer un rôle plus vaste dans la protection et la promotion de l’image de la justice ;

h)         tout projet de texte susceptible d’avoir une incidence sur le pouvoir judiciaire et l’indépendance des juges ou sur la garantie d’accès des citoyens à la justice devrait obligatoirement être soumis, avant délibération du Parlement, à l’avis du Conseil de la Justice;

i)          il convient d’encourager la coopération entre les Conseils de la Justice aux niveaux européen et international.


avis n°11 (2008)

du conseil consultatif de juges européens (ccje)

à l’attention du comité des ministres du conseil de l'europe

sur

la qualité des décisions de justice

Introduction Générale

1.            La qualité de la justice est une préoccupation ancienne et constante du Conseil de l’Europe, comme en attestent notamment les conventions, résolutions ou recommandations prises sous l’égide du Conseil sur les moyens de faciliter l’accès à la justice, l’amélioration et la simplification des procédures, la réduction de la surcharge de travail des juridictions et le recentrage de l’intervention des juges sur une activité purement juridictionnelle[107].

 

2.            C’est dans ce contexte et pour satisfaire aux prescriptions de son mandat que le Conseil consultatif de juges européens (CCJE) a décidé de consacrer l'Avis n° 11 à la qualité des décisions de justice, qui est une composante majeure de la qualité de la justice.

3.            Une motivation et une analyse claires sont des exigences fondamentales des décisions judiciaires et un aspect important du droit à un procès équitable. L’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (ci-après CEDH), par exemple, énonce l’obligation pour les Etats d’établir des tribunaux indépendants et impartiaux et de promouvoir l’instauration de procédures efficaces. L’accomplissement de cette obligation prend tout son sens quand elle a pour résultat de permettre aux juges d’administrer justement et correctement la justice à la fois en droit et en fait pour le bénéfice ultime des citoyens. Une décision judiciaire de grande qualité est celle qui aboutit à un bon résultat - pour autant que le juge dispose des moyens nécessaires à cette fin – et ce de manière équitable, rapide, claire et définitive.

4.            Dans cette perspective, le CCJE a déjà souligné que l’indépendance judiciaire doit être conçue comme un droit des citoyens, en énonçant dans son Avis n°1 (2001) que cette indépendance des juges “n’est pas une prérogative ou un privilège octroyé dans leur propre intérêt, mais elle leur est garantie dans l’intérêt de la prééminence du droit de ceux qui recherchent et demandent justice”. Le CCJE, dans ses avis depuis 2001, a énoncé un certain nombre de suggestions permettant à chaque système, non seulement de garantir aux justiciables un droit d’accès aux tribunaux, mais aussi, par la qualité des décisions rendues, de faire en sorte que ces justiciables puissent avoir confiance dans l’aboutissement du processus judiciaire[108].

5.            L’objet du présent avis n’est pas de remettre en cause le principe fondamental selon lequel l’appréciation de la qualité intrinsèque de chaque décision de justice relève du seul exercice des voies de recours instaurées par la loi. Ce principe est une conséquence essentielle de la garantie constitutionnelle de l’indépendance des juges, conçue comme l’une des caractéristiques majeures de l’Etat de droit dans les sociétés démocratiques.

6.            Il apparaît au CCJE que les juges, ayant la tâche d'élaborer des décisions de justice de qualité, sont particulièrement bien placés pour amorcer une réflexion sur la qualité des décisions de justice et pour définir les facteurs de cette qualité et les conditions de son évaluation.

7.            Indépendamment des caractéristiques propres à chaque système judiciaire et des pratiques mises en œuvre par les juridictions des différents Etats, la décision de justice doit satisfaire un certain nombre d’exigences sur lesquelles des principes communs peuvent être dégagés. La décision de justice a pour but premier, non seulement de résoudre un litige déterminé garantissant aux parties la sécurité juridique, mais également souvent de fixer la jurisprudence afin d’éviter l’apparition d’autres contentieux et d’assurer la paix sociale.

8.            Le rapport de Mme Maria Giuliana CIVININI, préparé au vu des réponses faites par les membres du CCJE à un questionnaire[109], révèle une très grande diversité d’approches des Etats quant à l’évaluation et l’amélioration de la qualité des décisions de justice. Il souligne également que, si les modalités d’appréciation de cette qualité dépendent des traditions spécifiques de chaque système juridique, il existe néanmoins dans l’ensemble des Etats une volonté convergente de poursuivre l’amélioration des conditions dans lesquelles les juges doivent rendre leurs décisions.

9.            Dans le présent Avis, on entend par « décisions de justice » les décisions qui statuent sur des affaires ou questions spécifiques et qui sont rendues par des tribunaux indépendants et impartiaux, au sens de l’article 6 de la CEDH, notamment :

§  décisions rendues en matière civile, sociale, pénale et dans la plupart des questions     administratives;

§  décisions rendues en première instance, en appel ou décisions des instances   supérieures et des tribunaux constitutionnels;

§  décisions provisoires;

§  décisions définitives;

§  décisions prises sous forme de jugement ou d’ordonnance, par des tribunaux siégeant dans une composition collégiale ou à juge unique;

§  décisions rendues avec ou sans possibilité d’expression des opinions minoritaires;

§  décisions rendues par des juges professionnels ou non professionnels ou par des       tribunaux ayant une composition mixte (système de l’échevinage).

PARTIE I. FacTEURS DE QUALITE DES DECISIONS DE JUSTICE

A. L’environnement externe : la législation et le contexte économique et social

10.          La qualité des décisions de justice dépend non seulement de chaque juge impliqué, mais aussi d’un certain nombre de variables qui sont extérieures au processus d’administration de la justice, tel que la qualité de la législation, les ressources appropriées allouées au système judiciaire, la qualité de la formation juridique.

1. La législation

11.          Les décisions de justice se fondent en premier lieu sur les lois adoptées par les Parlements ou, dans les systèmes de common law, sur de telles lois ou sur des principes établis par la règle du précédent. Ces sources du droit décident non seulement quels sont les droits dont disposent les justiciables et quels sont les actes sanctionnés par la loi pénale, mais définissent également le cadre procédural dans lequel les décisions de justice sont prises. Par conséquent, les choix des Parlements conditionnent le type et le volume d’affaires qui seront portées devant les tribunaux, ainsi que la façon dont elles seront traitées. La qualité des décisions de justice peut être affectée par des changements trop fréquents de la législation, par une rédaction peu satisfaisante ou un contenu imprécis des lois ou par un cadre procédural déficient.

12.          Aussi, le CCJE estime qu’il est souhaitable que les Parlements nationaux évaluent et contrôlent l’impact des lois existantes et en voie d’élaboration sur le système judiciaire et introduisent des dispositions transitoires et procédurales appropriées afin de s’assurer que les juges sont en mesure de les appliquer par des décisions de justice de qualité. Le législateur doit faire en sorte que la législation soit claire et simple à utiliser et soit conforme à la CEDH. Afin de faciliter l’interprétation, les travaux préparatoires des lois doivent être accessibles dans un langage compréhensible. Tout projet de législation concernant l’administration de la justice et les lois procédurales devrait faire l’objet d’un avis du Conseil de la Justice ou d’un organe équivalent avant que le Parlement ne délibère.

13.           En vue d’assurer des décisions de qualité en adéquation avec les intérêts en jeu, les juges doivent agir au sein de structures légales qui leur permettent de décider librement et de disposer effectivement, par exemple, du temps nécessaire à l’examen correct de la cause. Le CCJE rappelle la discussion concernant la “gestion des affaires” dont il est question dans son Avis n° 6 (2004)[110].

2. Les ressources

14.          La qualité des décisions de justice est directement conditionnée par les moyens budgétaires attribués au système judiciaire. Les tribunaux ne peuvent agir efficacement avec des ressources humaines et matérielles inappropriées. Une rémunération adéquate des juges est nécessaire pour les mettre à l'abri de pressions visant à influer sur le sens de leurs décisions et, plus généralement, sur leur comportement[111] et assurer que les meilleurs candidats intègrent la magistrature. L’assistance d’un personnel administratif de greffiers qualifié ainsi que la collaboration d’assistants judiciaires, qui soulagent les juges du travail de routine et préparent les dossiers, peuvent de toute évidence aider à favoriser la qualité des décisions rendues par une juridiction. A défaut de ressources financières appropriées, le fonctionnement effectif du système judiciaire en vue d’obtenir un produit de qualité est impossible[112].

3. Les acteurs du système judiciaire et la formation juridique

15.          Même si l’on se penche uniquement sur les acteurs au sein du système judiciaire, la qualité du fonctionnement du système judiciaire dépend clairement des interactions entre de nombreux intervenants: la police, les procureurs, les avocats, les greffiers, les membres du jury le cas échéant, etc. Le juge n’est qu’un des maillons de cette chaîne de co-acteurs, et pas nécessairement le dernier puisque l’étape de l’exécution de la décision est d’égale importance. Même si l’on se concentre uniquement sur la qualité des décisions de justice, il résulte de ce qui a déjà été mentionné que la performance des juges est, certes centrale, mais non l’unique facteur conditionnant la production de décisions de justice de qualité.

16.          La qualité des décisions de justice dépend, entre autres, de la formation juridique de l’ensemble des professionnels du droit intervenant dans la procédure. C’est pourquoi, le CCJE souhaite insister sur le rôle de l’enseignement du droit et de la formation en général.

17.           Pour les juges en particulier, ceci inclut une formation juridique de haut niveau en début de carrière juridique[113], suivie d’un programme de formation continue pour maintenir et améliorer les techniques professionnelles. De telles formations ne devraient pas seulement doter les juges des compétences nécessaires pour mettre en œuvre les changements dans la législation et les règles de droit nationales et internationales, mais devraient également promouvoir d’autres capacités et connaissances complémentaires dans des matières non juridiques, permettant au juge d’avoir une bonne compréhension des situations soumises à son appréciation.

18.           Les juges devraient également disposer d’une formation concernant l’éthique et la communication pour les assister dans leurs relations avec les parties à la procédure, de même qu’avec le public et les médias. Les formations pour améliorer les capacités d’organisation revêtent une importance particulière pour la préparation et la gestion efficace des affaires (par exemple, informatique, gestion des affaires, techniques de travail, techniques de rédaction des jugements/décisions – incluant des lignes directrices avec des modèles généraux pour rédiger des décisions, laissant normalement la possibilité pour le juge de choisir son style personnel), tout cela dans le but de gérer les affaires sans délais et éviter les actions inutiles[114].

19.          Il conviendrait en outre de former les présidents de juridictions à la gestion des ressources humaines, à l’organisation stratégique pour réguler et gérer l’écoulement des affaires, ainsi qu’à la planification et l’utilisation efficaces du budget et des ressources financières. Le personnel administratif et les assistants des juges devraient pouvoir bénéficier d’une formation particulière concernant la préparation des audiences et le contrôle et le suivi du bon déroulement des affaires (par exemple concernant l’utilisation de l’informatique, les techniques de gestion de l’affaire et du temps, la rédaction des décisions, les langues étrangères, la communication avec les parties et le public, la recherche juridique). Ceci vise à soulager les juges des tâches administratives et techniques et à leur permettre de se concentrer sur l’aspect intellectuel et sur la gestion de la procédure et de la prise de décision.

B. L’environnement interne : le professionnalisme, la procédure, l’audience et la décision

20.          La qualité des décisions de justice dépend également d’éléments internes tels que le professionnalisme du juge, la procédure, la gestion des affaires, l’audience et des éléments inhérents à la décision.

1. Le professionnalisme du juge

21.          Le professionnalisme du juge est la première garantie d'une décision de qualité. Ceci inclut une formation juridique de haut niveau, suivant les principes formulés par le CCJE dans ses Avis n°4 (2003) et n°9 (2006), ainsi que le développement d’une culture d’indépendance, d’éthique et de déontologie suivant les principes formulés dans les Avis n° 1 (2001) et n° 3 (2002). 

22.          La décision ne doit pas seulement prendre en compte les instruments juridiques pertinents, mais également des notions et réalités non juridiques propres au contexte du litige telles que, par exemple, des considérations éthiques, sociales ou économiques. Cela requiert de la part du juge une sensibilisation à de telles considérations lors de la prise de décision.

23.          Les procédures d’évaluation ou le fait de fournir des orientations concernant les performances des juges par les autorités judiciaires sont de nature à améliorer leur compétence et la qualité des décisions de justice.

 

2. La procédure et la gestion du dossier

24.          Pour aboutir à une décision de qualité, acceptée tant par le justiciable que par la société, il faut une procédure claire, transparente et conforme aux exigences de la CEDH.

25.          Toutefois, la simple existence d’une loi procédurale répondant à ces exigences n’est pas suffisante. Le CCJE est d’avis que le juge doit avoir la possibilité d’organiser et de conduire la procédure de manière active et diligente. Le bon déroulement de la procédure est en effet de nature à favoriser la qualité du produit final que sera la décision[115].

 

26.          Le fait qu’une décision soit rendue dans un délai raisonnable au sens de l’article 6 de la CEDH peut également être considéré comme un élément important de la qualité. Cependant, il peut exister une tension entre la rapidité avec laquelle le procès est conduit et d’autres aspects pertinents de la qualité, tels que le droit à un procès équitable garanti également par l’article 6 de la CEDH. L’importance de garantir la paix sociale et la sécurité juridique inclut forcément mais non exclusivement l’élément temps. Le CCJE souhaite se référer à son Avis n°6 (2004), dans lequel il souligne que la « qualité » de la justice ne saurait être assimilée à de la simple « productivité ». L’approche qualitative doit également prendre en compte la capacité du système judiciaire à traiter la demande de justice conformément aux objectifs généraux de ce système dont la célérité de la procédure ne constitue qu’un aspect.

27.          Certains pays ont établi des modèles standardisés de bonnes pratiques en matière de gestion de la procédure et de tenue de l’audience. De telles initiatives doivent être encouragées dès lors qu’elles favorisent une bonne gestion des procédures par chaque juge.

28.          Il convient également de souligner l’importance des consultations entre juges, au cours desquelles des informations et des expériences peuvent être échangées. Celles-ci permettent aux juges de discuter de la gestion des affaires et d’aborder les difficultés rencontrées dans l’application des règles de droit et des éventuelles divergences de jurisprudence.

 


3. L’audience

29.          L’audience doit répondre à toutes les exigences de la CEDH, assurant ainsi aux justiciables et à la société dans son ensemble, le respect des standards minimum d’un procès bien mené et équitable. De son bon déroulement dépendra la bonne compréhension et l’acceptation par le justiciable et par la société de la décision finale. Elle doit également fournir au juge tous les éléments d’appréciation qui lui sont nécessaires et a donc un effet déterminant sur la qualité de la décision de justice. Une audience devrait toujours exister dans tous les cas prévus par la jurisprudence de la CEDH.

30.          Une audience transparente et ouverte ainsi que le respect du contradictoire et de l’égalité des armes constituent des pré-requis nécessaires pour que les parties elles-mêmes et le public en général reconnaissent et acceptent la décision.

4. Les éléments inhérents à la décision

31.          Pour être de qualité, la décision de justice doit être perçue par le justiciable et par la société en général comme étant le résultat d'une application pertinente des règles de droit, d'une procédure équitable et d'une appréciation convaincante des faits, tout en étant exécutable. Le justiciable aura alors la conviction que sa cause a été examinée et traitée correctement et la société percevra la décision comme un facteur susceptible de restaurer la paix sociale. Afin d’atteindre ces objectifs, il convient de respecter un certain nombre de conditions.

a. La clarté

32.          Toute décision de justice doit être intelligible, rédigée dans un langage clair et simple, condition essentielle pour qu’elle soit comprise des parties et du public. Cette intelligibilité requiert une structure cohérente de la décision et l’articulation de l’argumentation dans un style clair et accessible à tous[116].

33.          Chaque juge peut choisir son propre style et sa propre structure ou se fonder à cette fin sur des modèles standardisés, s’ils existent. Le CCJE recommande que les autorités judiciaires établissent des recueils de bonnes pratiques pour faciliter la rédaction des décisions. 

b. La motivation

34.          La décision doit, en principe, être motivée[117]. La qualité de la décision dépend principalement de la qualité de la motivation. Une bonne motivation est une impérieuse nécessité qui ne peut être négligée au profit de la célérité. Une bonne motivation demande que le juge dispose du temps nécessaire pour pouvoir préparer la décision.

35.          La motivation permet non seulement une meilleure compréhension et acceptation de la décision par le justiciable mais elle est surtout une garantie contre l’arbitraire. D’une part, elle oblige le juge à rencontrer les moyens de défense des parties et à préciser les éléments qui justifient sa décision et rendent celle-ci conforme à la loi et, d’autre part, elle permet une compréhension du fonctionnement de la justice par la société.

36.          La motivation doit être cohérente, claire et dépourvue d’ambiguïtés et de contradictions. Elle doit permettre de suivre le raisonnement qui a conduit le juge à celle-ci.

37.          La motivation doit traduire le respect par le juge des principes énoncés par la Cour européenne des droits de l’Homme (notamment le respect des droits de la défense et le droit à un procès équitable). Lorsque des décisions provisoires touchent à la liberté individuelle (par exemple les mandats d’arrêt) ou peuvent affecter les droits de la personne ou des biens (par exemple le droit de garde provisoire d’un enfant, la saisie conservatoire d’un immeuble ou la saisie de comptes bancaires), une motivation appropriée est requise.

38.          La motivation doit répondre aux prétentions des parties, c’est-à-dire à leurs différents chefs de demande et à leurs moyens de défense. Cette garantie est essentielle, car elle permet au justiciable de s’assurer que ses prétentions ont été examinées et donc que le juge a tenu compte de celles-ci. La motivation doit être dépourvue de toute appréciation injurieuse ou peu flatteuse du justiciable.

39.          Sans préjudice de la possibilité, voire de l’obligation pour le juge dans certains cas d’agir de son propre chef, celui-ci ne devrait répondre qu’aux moyens pertinents susceptibles d’avoir une influence sur la solution du litige.

40.          La motivation ne doit pas nécessairement être longue. Un juste équilibre doit être trouvé entre la concision et la bonne compréhension de la décision.

41.          L’obligation pour les tribunaux de motiver leurs décisions ne doit pas se comprendre comme exigeant une réponse à chaque argument invoqué à l’appui d’un moyen de défense soulevé. L’étendue de ce devoir peut varier selon la nature de la décision. Conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme[118], l’étendue de la motivation  dépend de la diversité des moyens qu’un plaideur peut soulever en justice, ainsi que des dispositions légales, coutumes, principes doctrinaux et pratiques différents concernant la présentation et la rédaction des jugements et arrêts dans les différents Etats. Pour répondre à l’exigence du procès équitable, la motivation devrait faire apparaître que le juge a réellement examiné les questions essentielles qui lui ont été soumises[119].  Dans le cas d’un jury, le juge responsable du jury doit expliquer clairement les faits et les questions sur lesquels le jury doit se prononcer.

42.          Quant à son contenu, la décision de justice comprend l’examen des questions de fait et de droit qui sont au cœur du litige.

43.          Dans l’examen des questions de fait, le juge rencontrera les contestations relatives à la preuve, plus particulièrement quant à sa régularité. Il examinera également la valeur probante des éléments susceptibles d’avoir une utilité pour la solution du litige.

44.          L’examen des questions de droit doit comprendre l’application des règles de droit national, européen[120] et international[121]. La motivation devrait utilement faire référence aux dispositions constitutionnelles pertinentes et au droit national ou européen et international applicable. Le cas échéant, toute référence à la jurisprudence nationale, européenne ou internationale, y compris une référence à la jurisprudence des juridictions des autres pays, ainsi qu’à la doctrine peut s’avérer précieuse, voire essentielle dans un système de common law.

45.          Dans les pays de common law, les décisions des instances supérieures qui tranchent une question de droit ont valeur de précédent contraignant dans les litiges ultérieurs identiques. Si dans les pays de droit civil, la décision n’a pas cet effet, elle peut néanmoins constituer un enseignement particulier pour les autres juges confrontés à un cas ou une question similaire, dans les affaires qui soulèvent un problème de société ou une question de droit importante. C’est pourquoi la motivation, fruit d’une étude fouillée des questions de droit qui se posent, devra être particulièrement soignée dans ces cas pour répondre aux attentes des parties et de la société.

46.          L’examen des questions de droit passe, dans un grand nombre de cas, par l’interprétation de la règle de droit.

47.          Ce pouvoir d’interprétation ne doit pas faire oublier que le juge doit assurer la sécurité juridique, qui garantit la prévisibilité tant du contenu de la règle de droit que de son application et contribue à la qualité du système judiciaire.

48.          A cette fin, le juge appliquera les principes interprétatifs applicables tant en droit national qu’international. Dans les pays de common law, il se laissera guider par la règle du précédent. Dans les pays de droit civil, il s’inspirera de la jurisprudence, plus particulièrement de celle des juridictions supérieures dont la mission est notamment de veiller à l’unité de la jurisprudence.

49.          En général, les juges devraient appliquer la loi de manière constante. Néanmoins, lorsqu’un tribunal décide un revirement de jurisprudence, celui-ci devrait être clairement indiqué dans sa décision. Dans des circonstances exceptionnelles, il pourrait être approprié que le tribunal indique que cette nouvelle interprétation n’est applicable qu’à partir de la date de la décision ou à partir d’une date précisée dans celle-ci.

50.          Le volume d’affaires qui atteint les instances supérieures peut également affecter à la fois la célérité et la qualité de la prise de décision. Le CCJE recommande l’introduction de mécanismes, propres aux traditions juridiques de chaque Etat, régulant l’accès à ces instances.

c. Les opinons dissidentes

51.          Certains pays connaissent la possibilité pour les juges d’exprimer une opinion concurrente ou dissidente. Dans ces cas, l’opinion dissidente devrait être publiée avec l’opinion majoritaire. Ainsi, ces juges font connaître leur désaccord total ou partiel avec la décision prise à la majorité du siège qui a rendu la décision et dont ils font partie ainsi que les motifs de ce désaccord ou font valoir que la décision prise par la juridiction peut également ou doit se fonder sur d’autres motifs que ceux retenus. Ceci peut contribuer à améliorer le contenu de la décision et peut permettre de comprendre à la fois la décision et l'évolution du droit.

 

52.          L’opinion dissidente doit être dûment motivée, reflétant une appréciation réfléchie par le juge des questions de fait ou de droit.

d. L’exécution

53.          Tout dispositif d’une décision de justice devrait être rédigé en des termes clairs et dénués de toute ambiguïté de manière à ce qu’il puisse facilement produire des effets ou, dans le cas d’un dispositif aboutissant à une obligation de faire, de ne pas faire ou de payer, être facilement exécutable.

54.          Selon l’interprétation qu’en donne la Cour européenne des droits de l’Homme, le droit au procès équitable consacré par l’article 6 de la CEDH implique, non seulement que la décision de justice soit rendue dans un délai raisonnable, mais aussi qu’elle puisse faire l’objet d’une exécution effective au profit de la partie gagnante, lorsque cela est approprié. En effet, la Convention n’instaure pas une protection théorique des droits de l’Homme, mais tend au contraire à permettre une réalisation concrète de la protection qu’elle instaure en faveur des citoyens de l’Europe.

55.          Dans cette perspective, ce dispositif doit présenter les caractéristiques majeures suivantes:

(i) Il doit d’abord, lorsque cela est approprié, être exécutable : cela signifie que la décision doit comporter un dispositif énonçant clairement, sans risque d’incertitude ou de confusion, les condamnations, obligations ou injonctions prononcées par le tribunal. Toute décision obscure, sujette à des interprétations divergentes, nuit à l’efficacité et à la crédibilité de l’intervention judiciaire.

(ii) Le dispositif doit en outre être exécutoire : c’est par son caractère exécutoire que la décision de justice pourra recevoir une exécution effective. Il existe, dans la plupart des systèmes judiciaires, des procédures par lesquelles l’exécution peut être arrêtée ou suspendue. Un arrêt ou une suspension  a indéniablement un caractère légitime dans certains cas. Mais il peut être utilisé comme un moyen tactique et un arrêt ou une suspension inappropriée peut aboutir à une paralysie de l’action judiciaire et permettre des stratégies procédurales tendant à priver de tout intérêt les décisions rendues par les juges. Afin d’assurer l’efficacité de la justice, tous les Etats devraient avoir des procédures d’exécution provisoire[122].

56.          Une décision de qualité (en matière non pénale) serait vaine sans une procédure simple et efficace permettant de l'exécuter. Il importe que cette procédure soit supervisée par le pouvoir judiciaire, auquel il incombe  de régler toutes les difficultés susceptibles de se présenter au cours de la phase d’exécution des jugements, selon des procédures efficaces n’entraînant pas des surcoûts procéduraux excessifs pour les parties.


PARTIE II. L’EVALUATION DE LA QUALITE DES DECISIONS DE JUSTICE

57.          Le CCJE souligne que les mérites de chaque décision individuelle sont avant tout contrôlés par les recours offerts par les procédures nationales et par l’accès des justiciables à la Cour européenne des droits de l‘Homme. Les Etats devraient veiller à ce que leurs procédures nationales respectent les exigences posées par les décisions de cette Cour.

A. L'objet de l'évaluation

58.          Depuis les années 1990, on a pris conscience du fait que la qualité des décisions de justice ne peut être correctement évaluée en contrôlant uniquement la valeur juridique intrinsèque des décisions. La qualité des décisions de justice est influencée, comme la première partie de cet avis l’a montré, par celle de toutes les étapes préparatoires qui les précèdent. L’organisation judiciaire dans son ensemble doit ainsi être examinée. De plus, du point de vue des justiciables, ce n’est pas seulement la qualité juridique stricto sensu de la décision qui compte ; il convient également de tenir compte d’autres aspects tels que la durée, la transparence et la conduite des procédures, la façon dont le juge communique avec les parties et la manière avec laquelle le pouvoir judiciaire rend compte de son fonctionnement à la société.

59.          Le CCJE souligne qu’aucune procédure d’évaluation de la qualité des décisions de justice ne doit menacer l’indépendance du pouvoir judiciaire dans son ensemble ou des juges pris individuellement.

60.          L'évaluation de la qualité des décisions de justice doit être réalisée avant tout au regard des principes fondamentaux consacrés par la CEDH. Elle ne saurait se faire à la lumière des seules considérations de nature économique ou de gestion des procédures. L’utilisation de certaines méthodes issues du monde économique doit être considérée avec précaution. Le rôle du système judiciaire est, en effet, avant tout d’appliquer la loi et de lui donner ses effets et ne saurait être analysé en termes d’efficacité économique.

61.          Tout système d’évaluation de la qualité devrait tendre à promouvoir la qualité des décisions de justice et ne peut servir comme un instrument purement bureaucratique ou comme une fin en soi. Il n’est pas un instrument de contrôle externe du pouvoir judiciaire.

62.          Le CCJE rappelle que l’évaluation de la qualité de la justice, en particulier du fonctionnement des tribunaux dans leur ensemble, ou de tout tribunal pris individuellement, ou encore d’un groupe de tribunaux sur une base locale, ne doit être confondue avec l’évaluation, faite à d’autres fins, des capacités professionnelles de tout juge pris individuellement[123].

63.          Toute procédure d’évaluation doit avant tout viser à identifier les besoins d’amendement de la législation, de changement ou d’amélioration des procédures ou de formation continue des juges et du personnel administratif des juridictions.

64.          L’objet, les méthodes et la procédure d’évaluation doivent être définis correctement et être compréhensibles. Ils devraient être fixés par des juges ou en étroite coopération avec des juges.

65.          L’évaluation doit être transparente. Les données personnelles concernant les juges ou permettant de les identifier doivent rester confidentielles.

66.          L'évaluation de la qualité des décisions de justice ne doit pas contraindre les juges à suivre telle ou telle appréciation du fait ou à décider sur le fond d’une manière uniforme, sans tenir compte des circonstances propres à chaque affaire. 

67.          Toute évaluation des décisions de justice doit prendre en compte les différents types et degrés de juridictions, leurs compétences, les genres de litiges et les capacités variées à les résoudre.

B. Les méthodes d'évaluation (y compris les instances chargées de l’évaluation de la qualité des décisions de justice)

68.          Le CCJE souligne qu’il est souhaitable de combiner plusieurs méthodes d’évaluation (plus particulièrement si on fait usage de méthodes statistiques qualitative et quantitative) liées à divers indicateurs de qualité et procurant une pluralité de sources d’information. En effet, aucune méthode particulière ne devrait prévaloir sur les autres. Des méthodes d’évaluation peuvent être acceptées pourvu qu’elles soient considérées avec la rigueur, les connaissances et les précautions scientifiques requises et définies de manière transparente. Elles ne peuvent remettre en cause la légitimité de décisions de justice.

69.          Le CCJE considère que, si les Etats ne sont pas tenus d’adopter le même système d’évaluation et la même approche méthodologique, et même si le but du présent avis n’est pas de commenter en détail les différents systèmes d’évaluation de qualité, il est néanmoins possible d’établir, à partir des expériences nationales, une liste des méthodes les plus appropriées.

1. L’évaluation par les juges et autres acteurs du système judiciaire

70.          Le CCJE encourage les évaluations par les pairs et l’auto-évaluation par les juges, de même que la participation de personnes “extérieures” (par exemple des avocats, des procureurs, des professeurs issus de facultés de droit, des citoyens, des organisations non gouvernementales nationales et internationales) à l’évaluation, à la condition que l’indépendance des juges soit pleinement respectée. Une telle évaluation externe ne doit bien évidemment pas être utilisée comme une méthode visant à mettre en cause l’indépendance judiciaire ou l’intégrité du processus judiciaire. L’élément de référence principal de l’évaluation des décisions de justice doit être l’existence d’une procédure d’appel opportune et efficace.

  

71.          Les juridictions supérieures, par leur jurisprudence, l’examen des pratiques judiciaires et leurs rapports annuels, peuvent contribuer à la qualité des décisions de justice et à leur évaluation. Il est, de ce fait, primordial que leur jurisprudence soit claire, cohérente et constante. Les juridictions supérieures peuvent également contribuer à la qualité des décisions de justice en développant des guides méthodologiques à l’attention des juridictions inférieures, dans lesquelles les principes applicables sont rappelés en conformité avec la jurisprudence pertinente.

2. Les méthodes statistiques

72.          La méthode statistique quantitative fait intervenir des statistiques au niveau du tribunal (statistiques sur le stock d’affaires en instance, le nombre d’affaires nouvelles et d’affaires jugées, sur le nombre d’audiences pour chaque affaire, sur les annulations d’audiences, sur la durée de la procédure etc.). La quantité de travail accompli par le tribunal constitue l’un des critères permettant de mesurer la capacité de l’administration de la justice à répondre aux besoins des citoyens. Cette capacité est l’un des indicateurs de la qualité de la justice. Cette méthode d’analyse rend compte de l’activité des juridictions, mais ne saurait à elle seule suffire à apprécier si les décisions rendues le sont dans des conditions satisfaisantes. La nature des décisions dépend du bien-fondé de chaque affaire prise individuellement. Un juge peut, par exemple, être amené à rendre une série de décisions liées entre elles concernant des affaires de faible importance. Les statistiques ne peuvent pas être utiles dans toutes les situations, et doivent toujours être placées dans un contexte spécifique. Cette méthode permet au moins d’analyser si les délais de traitement des dossiers sont convenables ou s’il existe des retards qui justifient l’octroi de moyens supplémentaires et la mise en place de méthodes propres à les réduire ou à les supprimer.

73.          Dans la méthode statistique qualitative, les décisions sont classées en fonction de leur catégorie, de leur objet et de leur complexité. Cette méthode permet une pondération des différentes catégories d’affaires afin de déterminer une répartition efficace et correcte du travail ainsi que la charge de travail minimale et maximale qui peut être exigée d’un tribunal. Cette méthode présente l’intérêt de prendre en considération les spécificités de certains dossiers ou contentieux, de manière à mettre en exergue ceux qui, malgré le faible nombre de décisions rendues, représentent une charge de travail considérable. L’inconvénient de l’appréciation statistique qualitative tient en revanche à la difficulté de définir les paramètres devant être pris en considération et à la détermination des autorités habilitées à les concevoir.

74.          Le faible nombre de recours et le nombre de recours rejetés peuvent être tous deux des indicateurs de qualité qu’il est possible d’établir de manière objective et qui sont relativement fiables. Le CCJE souligne néanmoins que le nombre de recours et le taux d’infirmation ne reflètent pas nécessairement une qualité déficiente des décisions entreprises. En effet, une infirmation peut exprimer simplement une évaluation différente d’une question difficile par le juge d’appel, la décision infirmative elle-même pouvant être contredite si l’affaire était portée devant une instance supérieure[124].

3. Le rôle du Conseil de la Justice

75.          Les instances nationales et internationales chargées de l’évaluation des décisions de justice doivent être composées de membres totalement indépendants du pouvoir exécutif. Dans les Etats disposant d’un Conseil de la Justice[125], pour éviter toute pression, celui-ci devrait être chargé de l’évaluation de la qualité de la décision. Au sein du Conseil de la Justice, le traitement des données et l’évaluation de la qualité devraient être confiés à des services différents de ceux chargés de la discipline des juges. Pour la même raison, dans les Etats ne disposant pas de Conseil de la justice, l’évaluation de la qualité des décisions de justice devrait être de la compétence d’une instance spécifique disposant des garanties d’indépendance des juges comparables à celles qu’offre un Conseil de la justice.


 Principales conclusions et recommandations

a)            Parmi les indicateurs externes dont dépendent la qualité des décisions de justice figurent la qualité des lois adoptées par les Parlements. Il est, de ce fait, important que les Parlements nationaux évaluent et contrôlent l’impact des lois existantes et en voie d’élaboration sur le système.

b)            La qualité de la prise de décision est conditionnée par l’attribution, à chaque système judiciaire, de moyens humains, budgétaires et matériels adéquats ainsi que du maintien de la sécurité financière de chaque juge au sein de ce système.

c)            La qualité de l’enseignement du droit et de la formation des juges et des autres professionnels de la justice est d’une importance primordiale pour qu’une décision de justice soit de qualité.

d)            Il est également important de fournir aux juges une formation concernant les matières non juridiques, ainsi que de former le personnel des tribunaux afin de soulager les juges des tâches administratives et techniques et de leur permettre de se concentrer sur l’aspect intellectuel de la prise de décision.

e)            Le niveau de qualité des décisions de justice résulte clairement des interactions entre les nombreux acteurs du système judiciaire.

 

f)             Le professionnalisme du juge est la première garantie d’une décision de qualité et constitue une part importante de l’environnement interne influençant la décision de justice. Le professionnalisme inclut une formation juridique de haut niveau, ainsi que le développement d’une culture d’indépendance, d’éthique et de déontologie. Cela requiert de la part du juge une sensibilisation non seulement aux instruments juridiques mais également aux notions non juridiques.

 

g)            La procédure et la gestion du dossier constituent d’autres éléments de l’environnement interne affectant la décision de justice. La procédure doit être claire, transparente et prévisible. Le juge doit avoir la possibilité d’organiser et de conduire la procédure de manière active et diligente. La décision doit être rendue dans un délai raisonnable. Cependant, la rapidité de la procédure n’est pas le seul facteur à prendre en compte, dans la mesure où la décision de justice doit garantir le droit à un procès équitable, la paix sociale et la sécurité juridique. 

h)            Des modèles standardisés de bonnes pratiques en matière de gestion de la procédure doivent être encouragés, de même que les consultations entre juges.

i)              L’audience devrait exister dans tous les cas prévus par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme et doit répondre à toutes les exigences de la CEDH, assurant ainsi aux justiciables et à la société dans son ensemble le respect de standards minimum d’un procès bien mené et équitable.

j)              Une procédure conduite équitablement, une application correcte de la règle de droit, une bonne appréciation des faits et le fait d’être exécutable sont les éléments clés permettant à une décision d’être de qualité.

k)            La décision doit être intelligible, rédigée dans un langage clair et simple, permettant néanmoins à chaque juge de choisir librement son style ou de se fonder sur des modèles standardisés.

 

l)              Le CCJE recommande que les autorités judiciaires établissent des recueils de bonnes pratiques pour faciliter la rédaction des décisions.

m)           La décision de justice doit en principe être motivée. Sa qualité dépend principalement de la qualité de la motivation. La motivation signifie également l’interprétation de la règle de droit, tout en assurant la sécurité juridique et l’uniformité de la règle de droit. Néanmoins, lorsqu’un tribunal décide d’un revirement de jurisprudence, celui-ci doit apparaître clairement dans sa décision. 

n)            Le CCJE recommande l’introduction de mécanismes propres aux traditions juridiques de chaque Etat, régulant l’accès aux instances supérieures

o)            Les opinions dissidentes des juges, lorsqu’elles sont autorisées, peuvent contribuer à améliorer le contenu de la décision et permettre de comprendre à la fois la décision et l’évolution du droit. Ces opinions doivent être dûment motivées et devraient être publiées. 

p)            Tout dispositif d’une décision de justice devrait être rédigé en des termes clairs et dénués de toute ambiguïté de manière à ce qu’il puisse facilement produire des effets ou, dans le cas d’un dispositif aboutissant à une obligation de faire, de ne pas faire ou de payer, être facilement exécutable.

 

q)            Le CCJE souligne que les mérites de chaque décision individuelle sont contrôlés par les recours offerts par les procédures nationales et par l’accès des justiciables à la Cour européenne des droits de l‘Homme.

r)             L’organisation judiciaire dans son ensemble doit être examinée afin d’évaluer la qualité des décisions judiciaires. Il convient de tenir compte de la durée, de la transparence et de la conduite des procédures.

s)            L’évaluation doit être réalisée au regard des principes fondamentaux consacrés par la CEDH. Elle ne saurait se faire à la lumière des seules considérations de nature économique ou de gestion des procédures.

t)             Les procédures d’évaluation de la qualité des décisions de justice ne doivent pas menacer l’indépendance du pouvoir judiciaire dans son ensemble ou des juges pris individuellement, ni servir d’instrument purement bureaucratique ou être une fin en soi. Elles ne peuvent évaluer les capacités de chaque juge pris individuellement, ni mettre en cause la légitimité des décisions de justice.

u)            Toute procédure d’évaluation doit, avant tout, viser à identifier les besoins d’amendement de la législation, de changement ou d’amélioration des procédures ou de formation continue des juges et du personnel administratif des juridictions.

v)            Le CCJE souligne qu’il est souhaitable de combiner plusieurs méthodes. Celles-ci doivent être considérées avec la rigueur, les connaissances et les précautions scientifiques requises et définies de manière transparente.

 

w)            Le CCJE encourage les évaluations par les pairs et l’auto-évaluation par les juges, de même que la participation de personnes “extérieures” à l’évaluation, à la condition que l’indépendance des juges soit pleinement respectée.

x)            Les juridictions supérieures, par leur jurisprudence, l’examen des pratiques judiciaires et leurs rapports annuels, peuvent contribuer à la qualité des décisions de justice et à leur évaluation. Il est, de ce fait, primordial que leur jurisprudence soit claire, cohérente et constante.

 

y)            L’évaluation de la qualité des décisions doit faire partie des compétences du Conseil de la Justice lorsqu’il existe, ou d’une instance indépendante disposant des mêmes garanties d’indépendance des juges.


avis n°12 (2009)

du conseil consultatif de juges européens (ccje)

à l’attention du comité des ministres du conseil de l'europe

sur

juges et procureurs dans une société démocratique

Le présent Avis, adopté conjointement par le CCJE et le CCPE contient :

§  une Déclaration, dite « Déclaration de Bordeaux » ;

§  une Note explicative.

DÉCLARATION DE BORDEAUX :

« JUGES ET PROCUREURS DANS UNE SOCIÉTÉ DÉMOCRATIQUE »[126]

Le Conseil consultatif de juges européens (CCJE) et le Conseil consultatif des procureurs européens (CCPE), à la demande du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe de fournir un avis sur les relations entre les juges et les procureurs, sont convenus de ce qui suit :

1.     L’intérêt de la société requiert que l’Etat de droit soit garanti par une justice équitable, impartiale et efficace. Les procureurs et les juges doivent veiller, à tous les stades de la procédure, à ce que les droits individuels et les libertés soient garantis et que l’ordre public soit protégé. Cela implique le respect absolu des droits de la personne mise en cause et des victimes. Une décision de classement sans suite par le procureur devrait faire l’objet d’un contrôle par le juge. Une option serait de permettre à la victime de porter l’affaire directement devant le tribunal.

2.     Une justice équitable exige le respect de l’égalité des armes entre le ministère public et la défense. Elle implique également le respect de l’indépendance du tribunal, du principe de la séparation des pouvoirs ainsi que de la force contraignante des jugements définitifs.

3.     Le rôle distinct mais complémentaire des juges et des procureurs est une garantie nécessaire pour une justice équitable, impartiale et efficace. Si les juges et les procureurs doivent être indépendants dans l’exercice de leurs fonctions, ils doivent l’être et apparaitre ainsi également les uns vis-à-vis des autres.

4.     Des moyens organisationnels, financiers, matériels et des ressources humaines suffisants devront être mis à la disposition de la justice.

5.     Le rôle des juges et, le cas échéant, des jurys, est de juger les affaires portées régulièrement devant eux par le ministère public, sans aucune influence illicite exercée par l’accusation ou la défense, ou par toute autre source.

6.     L’application de la loi et, le cas échéant, le pouvoir d’appréciation de l’opportunité des poursuites par le ministère public pendant la phase préalable au procès, exigent que le statut des procureurs soit garanti par la loi, au plus haut niveau, à l’instar de celui des juges. Les procureurs doivent être indépendants et autonomes dans leur prise de décision et doivent exercer leurs fonctions de manière équitable, objective et impartiale.

7.     Le CCJE et le CCPE se réfèrent à la jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l’Homme en ce qui concerne l’article 5, paragraphe 3 et l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme. Il s’agit, en particulier, des décisions dans lesquelles la Cour a affirmé l’exigence d’indépendance vis-à-vis de l’exécutif et des parties, pour tout magistrat exerçant des fonctions judiciaires, ce qui n’exclut toutefois pas la subordination à une autorité hiérarchique judiciaire indépendante. Toute attribution de fonctions juridictionnelles aux procureurs devrait être limitée aux affaires n’impliquant que des sanctions mineures, ne devrait pas se cumuler avec le pouvoir de poursuivre dans la même affaire et ne devrait pas porter atteinte au droit du prévenu d’obtenir une décision sur la même affaire par une autorité indépendante et impartiale exerçant des fonctions judiciaires.

 

8.     Un statut d’indépendance des procureurs requiert certains principes de base, en particulier :

-          ils ne doivent pas être soumis dans l’exercice de leurs fonctions à des influences ou à des pressions de  toute origine extérieure au ministère public;

-          leur recrutement, leur carrière, leur sécurité de fonction, y compris le déplacement de fonctions qui ne peut être effectué que conformément à la loi ou soumis à leur consentement, ainsi que leur rémunération, doivent  être protégés par la loi.

9.     Dans un Etat de droit, et lorsque le ministère public est hiérarchisé, l’efficacité des poursuites est, en ce qui concerne les procureurs, indissociable de la nécessité d’instructions transparentes émanant de l’autorité hiérarchique, de l’obligation de rendre compte à celle-ci et de la responsabilité. Les instructions envers les procureurs doivent être faites par écrit, dans le respect de la loi et, le cas échéant, conformément à des directives et critères préalablement publiés. Toute révision, autorisée par la loi, d’une décision de poursuite ou de non poursuite prise par un procureur, doit être faite de manière impartiale et objective. En tout état de cause, les intérêts de la victime devront être pris en compte.

 

10.  Le partage de principes juridiques et de valeurs éthiques communes par tous les professionnels impliqués dans le processus judiciaire est essentiel pour une bonne administration de la justice. La formation, y compris la formation à la gestion administrative, est un droit et un devoir pour les juges et les procureurs. De telles formations devront être organisées sur une base impartiale. Elles devront également être régulièrement et objectivement évaluées quant à leur efficacité. Lorsque cela est approprié, une formation commune aux juges, aux procureurs et aux avocats sur des sujets d’intérêt commun peut contribuer à la recherche d’une justice de la plus haute qualité.

11.  L’intérêt de la société exige également que les médias puissent informer le public sur le fonctionnement du système judiciaire. Les autorités compétentes doivent fournir cette information, en respectant en particulier la présomption d’innocence des personnes mises en cause, le droit à un procès équitable et le droit à la vie privée et familiale de toutes les personnes impliquées dans un procès. Juges et procureurs devraient rédiger un code de bonnes pratiques ou des lignes directrices régissant leurs relations respectives avec les médias.

12.  Les juges et les procureurs sont des acteurs clef de la coopération internationale en matière judiciaire. Le renforcement de la confiance mutuelle entre les autorités compétentes des différents Etats est indispensable. Dans ce contexte, il est impératif que l’information recueillie par les procureurs au moyen de la coopération internationale, et utilisée dans les procédures judiciaires, soit transparente tant dans son contenu que sur son origine, et soit disponible pour les juges et toutes les parties, dans le but d’assurer une protection efficace des droits et des libertés fondamentaux.

13.  Dans les Etats membres où le ministère public exerce des fonctions s’étendant au-delà du domaine pénal, les principes mentionnés s’appliquent à toutes ces fonctions.


NOTE EXPLICATIVE

I. INTRODUCTION 

a.             Objet de l’Avis

1.   L’une des missions essentielles d'une société fondée sur la démocratie et la primauté du droit est de veiller au respect absolu des libertés et droits fondamentaux et de l'égalité devant la loi, conformément, en particulier à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (la CEDH) ainsi qu’à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme (la Cour). Dans le même temps, il est important de garantir la sécurité et la justice au sein de la société en prenant des mesures efficaces contre les comportements criminels. La sécurité au sein de la société doit également être garantie dans un Etat démocratique par l’exécution effective des sanctions imposées aux comportements criminels (Déclaration, paragraphe 1).

2.   Ainsi, appartient-il à l’Etat de mettre en place et d’assurer le fonctionnement d’un système judiciaire qui respecte pleinement les droits de l’homme et les libertés fondamentales, tout en étant efficace. Alors que de nombreux acteurs participent à cette mission, qu’ils soient issus du secteur public ou privé (tel que les avocats), les juges et les procureurs jouent un rôle-clé lorsqu’ils assurent le fonctionnement de la justice d’une manière indépendante et impartiale.

3.   Dans leurs précédents avis, le Conseil consultatif de Juges européens (CCJE) et le Conseil Consultatif des Procureurs européens (CCPE) se sont penchés sur de nombreux aspects importants qui permettent de rendre la justice efficace et respectueuse des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il convient de noter que le but commun des juges et des procureurs, y compris pour les procureurs qui ont de telles tâches dans les matières non pénales, est d’assurer une justice équitable, impartiale et efficace. La nouveauté de cet avis vient du fait qu’il a été élaboré par des juges et des procureurs représentant leurs collègues nationaux et qu’il touche à des principes sur lesquels les juges et les procureurs se sont mis d’accord au vu de leur expérience du terrain.

4.   C’est pourquoi le texte est concentré sur des aspects essentiels des deux missions et notamment: l’indépendance, le respect des droits et des libertés fondamentales, l’objectivité et l’impartialité, l’éthique et la déontologie, la formation et les relations avec les medias.

5.   Cet avis devrait être compris dans le contexte des relations des juges et des procureurs avec les autres professionnels qui interviennent aux différents stades de la procédure judiciaire, par exemple les avocats, les experts judiciaires, les greffiers, les huissiers de justice ou la police, comme le préconise le Programme cadre d’action global pour les juges en Europe adopté par le Comité des Ministres le 7 février 2001 et la Recommandation Rec (2000) 19 sur le rôle du ministère public dans le système de justice pénale, adoptée par le Comité des Ministres le 6 octobre 2000 .

b.            Diversité de systèmes nationaux

6.   Au sein des pays du Conseil de l'Europe, plusieurs systèmes judiciaires cohabitent :

i.      les systèmes de « common law » où il existe une séparation nette entre les juges et les procureurs et où le pouvoir d’investigation n’est pas combiné avec les autres fonctions ; 

ii.     les systèmes de droit continental où l’on trouve des variantes dans lesquels juges et procureurs font partie du ”corps judiciaire” ou au contraire dans lesquels cette appartenance est réservée aux seuls juges.

De plus, dans ces divers systèmes, l’autonomie du ministère public par rapport à l’exécutif peut être complète ou limitée.

7.   Le but de cet Avis est d’identifier des principes et approches applicables, à la lumière de la jurisprudence de la Cour, en tenant compte des points communs et des différences.

8.   La garantie de séparation des fonctions représente une condition essentielle de l’impartialité du juge à l’égard des parties au procès. Ainsi que l’énonce l’Avis n°1 du CCJE sur les normes relatives à l’indépendance et l’inamovibilité des juges, l’impartialité est la première des garanties organiques qui définissent la mission du juge. Elle implique, par ailleurs, que le ministère public a la charge de la preuve et  développe l’acte d’accusation, ce qui constitue une des premières garanties procédurales de la décision finale de juger

9.   La mission du juge est donc différente de celle du ministère public et ce, dans tous les systèmes. Leurs missions respectives n’en demeurent pas moins complémentaires. Il n’existe pas de relations hiérarchiques entre le juge et le procureur (Déclaration, paragraphe 3).

10. L’indépendance du ministère public constitue un corollaire indispensable à l’indépendance du pouvoir judiciaire. Le procureur ne joue jamais aussi bien son rôle dans l'affirmation et la défense des droits de l'homme – tant des personnes mises en causes que des victimes – que lorsqu’il prend des décisions indépendamment des organes exécutif et législatif et que juges et procureurs exercent correctement leurs fonctions respectives. Dans les démocraties qui se fondent sur la prééminence du droit, c'est le droit qui sert de base à la politique du ministère public (Déclaration, paragraphe 3).

c.             Spécificités des fonctions

11. Les procureurs et les juges doivent exercer leurs fonctions de façon juste, impartiale, objective et cohérente, respecter et s’efforcer de protéger les droits de l’homme et garantir que le système de justice fonctionne de façon prompte et efficace. 

12. Que l’action des procureurs se base sur un système de poursuite discrétionnaire (principe d’opportunité) ou sur un système de poursuite obligatoire (principe de légalité), ceux-ci agissent non seulement au nom de la société dans son ensemble mais ils ont aussi des devoirs envers des individus bien précis, notamment les accusés, vis-à-vis desquels ils ont un devoir d’équité, et les victimes à qui ils doivent garantir que justice sera faite. En ce sens, et sans préjudice du respect de l’égalité des armes, les procureurs ne doivent pas être considérés comme une partie comme les autres (Déclaration, paragraphe 2). Les procureurs devraient également tenir dûment compte du point de vue et des préoccupations des victimes et prendre ou encourager des mesures visant à garantir que celles-ci soient informées de leurs droits et de l’évolution de la procédure. Lorsqu’une enquête impartiale conclut sur la base des preuves disponibles que la charge n’est pas fondée, le procureur ne doit pas déclencher ni poursuivre l’action pénale.

d.            Normes internationales existantes

13. Plusieurs textes du Conseil de l’Europe ainsi que la jurisprudence de la Cour concernent, directement ou implicitement, les relations entre juges et procureurs.

 

14. Tout d’abord, la Cour réserve certaines tâches aux juges garants des droits et libertés – voir en particulier les articles 5 (Droit à la liberté et à la sûreté) et 6 (Droit à un procès équitable) – mais aussi au ministère public (par le biais de l’article 5 paragraphes 1a et 3 et de l’article 6).

15. La Cour, dont l’un des rôles est d’interpréter la CEDH, s’est prononcée à plusieurs reprises sur des questions relatives aux rapports institutionnels entre les juges et le ministère public ainsi que sur des questions de procédure dans des affaires pénales et civiles.

16. Elle s’est notamment prononcée sur l’exercice successif des fonctions de procureur et de juge par une seule et même personne dans la même affaire (arrêt du 1er octobre 1982, affaire Piersack c. Belgique, §§ 30-32), sur la nécessité de garantir l’absence de toute pression politique sur les tribunaux et les autorités de poursuite (arrêt du 12 février 2008, affaire Guja c. Moldova, §§ 85-91), sur la nécessité de protéger les juges et les procureurs dans le contexte de la liberté d’expression (arrêt du 8 janvier 2008, affaire Saygili et autres c. Turquie, §§ 34-40), sur l’obligation procédurale des tribunaux et des services du ministère public d’instruire, de poursuivre et de sanctionner les violations des droits de l’homme (arrêt du 15 mai 2007, affaire Ramsahai et autres c. Pays-Bas, §§ 321-357) et enfin sur la contribution des autorités de poursuite à l’uniformisation de la jurisprudence (arrêt du 10 juin 2008, affaire Martins de Castro et Alves Correia de Castro c. Portugal, §§ 51-66).

17. En ce qui concerne la procédure pénale, la Cour a examiné le statut et les pouvoirs du ministère public et les exigences posées par l’article 5 paragraphe 3 de la CEDH (relatif aux juges ou aux autres magistrats habilités « par la loi à exercer des fonctions judiciaires ») à partir de différentes situations de fait (voir, parmi d’autres, l’arrêt du 4 décembre 1979, affaire Schiesser c. Suisse, §§ 27-38 ; l’affaire De Jong, Baljet et Van den Brink c. Pays-Bas, §§ 49-50 ; l’affaire Assenov et autres c. Bulgarie, §§ 146-150 ; affaire Niedbala c. Pologne, §§ 45-47 ; l’affaire Pantea c. Roumanie, §§ 232-243, et l’arrêt du 10 juillet 2008, affaire Medvedyev et autres c. France, §§ 61, 67-69). La Cour a également examiné le statut, la compétence et les pouvoirs de contrôle des autorités de poursuite dans des affaires d’écoutes téléphoniques (arrêt du 26 avril 2007, affaire Dumitru Popescu c. Roumanie, §§ 68-86) et la question de la présence du ministère public aux délibérés des juridictions suprêmes (arrêt du 30 octobre 1991, affaire Borgers c. Belgique, §§ 24-29, et arrêt du 8 juillet 2003, affaire Fontaine et Berlin c. France, §§ 57-67).

18. Enfin, en dehors de la sphère pénale, la Cour a une jurisprudence claire et bien établie sur la « théorie des apparences », selon laquelle la présence du ministère public aux délibérés des juridictions est contraire à l’article 6 § 1 de la CEDH (arrêt du 20 février 1996, affaire Lobo Machado c. Portugal, §§ 28-32, et arrêt du 12 avril 2006, affaire Martinie c. France [GC], §§ 50-55).

19.          D’autres textes ont été élaborés par le Conseil de l’Europe :

-           la Recommandation Rec(94)12 du Comité des Ministres sur l’indépendance, l’efficacité et le rôle des juges, qui est applicable à toutes les personnes exerçant des fonctions judiciaires, reconnaît l’existence de rapports entre les juges et le ministère public, au moins dans les pays où ce dernier a une dimension d’autorité judiciaire au sens qui est accordé à cette expression par la Cour ;

-           la Recommandation Rec(2000)19 du Comité des Ministres sur le rôle du ministère public dans le système de justice pénale souligne explicitement les rapports entre les juges et le ministère public, tout en mettant en avant les principes généraux essentiels pour garantir que ces rapports contribuent à l’accomplissement des missions des juges et du ministère public. La Recommandation met en particulier l’accent sur l’obligation positive qui incombe aux Etats de prendre « toutes mesures afin que le statut légal, la compétence et le rôle procédural des membres du ministère public soient définis par la loi de sorte qu'il ne soit possible de nourrir aucun doute légitime quant à l'indépendance et à l'impartialité des juges ».

-    La Recommandation Rec(87)18 du Comité des Ministres concernant la simplification de la justice pénale, contient divers exemples de tâches qui étaient précédemment dévolues aux seuls juges et qui sont aujourd’hui confiées au ministère public (dont la mission première consiste toujours à engager et diriger les poursuites). Ces nouvelles tâches créent des exigences supplémentaires quant à la manière d’organiser le ministère public et au choix des personnes appelées à assumer ces fonctions.

II. STATUT DU JUGE ET DU PROCUREUR

a.             Garanties d’indépendance interne et externe des juges et des procureurs ; l’Etat de droit, condition nécessaire à leur indépendance

20. Les juges et les procureurs doivent être indépendants les uns par rapport aux autres et jouir d’une indépendance effective dans l’exercice de leurs fonctions respectives. Ils ont des fonctions distinctes au sein du système judiciaire et de la société dans son ensemble. Il existe ainsi différentes perspectives d’indépendance institutionnelle et fonctionnelle (Déclaration, paragraphe 3).

21. Le pouvoir judiciaire se fonde sur le principe de l'indépendance à l'égard de tout pouvoir extérieur et sur l’absence tant de toute directive émanant de qui que ce soit que de hiérarchie interne. Son rôle et, le cas échéant, celui du jury, est de juger régulièrement les causes portées devant lui par le ministère public et par les parties. Ceci implique l’absence de toute influence illicite exercée par le ministère public ou la défense (Déclaration, paragraphe 5). Juges, procureurs et avocats doivent chacun respecter le rôle des autres.

22. Le principe fondamental de l'indépendance des juges est inscrit dans l’Article 6 de la CEDH et souligné dans les avis précédents du CCJE.

23. La fonction de juger implique la responsabilité de rendre des décisions contraignantes pour les personnes concernées par celles-ci et de trancher les litiges en disant le droit. Les deux sont l’apanage du juge, autorité judiciaire indépendante des autres pouvoirs de l’Etat[127]. En général, elle n’est pas du ressort du procureur, qui est lui-même responsable de l’engagement ou de la conduite des poursuites pénales.

24.Le CCJE et le CCPE se réfèrent à la jurisprudence constante de la Cour en ce qui concerne l’article 5, paragraphe 3 et l’article 6 de la CEDH. Il s’agit en particulier de l’arrêt Schiesser c. Suisse dans lequel la Cour a affirmé l’exigence d’indépendance vis-à-vis de l’exécutif et des parties pour tout « magistrat exerçant des fonctions judiciaires », ce qui n’exclut toutefois pas la subordination à une autorité hiérarchique judiciaire indépendante (Déclaration, paragraphe 7).

25. Certains Etats membres attribuent au ministère public le pouvoir de rendre des décisions contraignantes dans certains domaines, au lieu d’engager des poursuites criminelles ou afin de protéger certains intérêts. Le CCJE et le CCPE estiment que toute attribution de fonctions juridictionnelles aux procureurs devrait être limitée aux affaires impliquant des sanctions mineures, ne devrait pas se cumuler avec le pouvoir de poursuivre dans la même affaire et ne devrait pas porter atteinte au droit du prévenu d’obtenir une décision sur la même affaire par une autorité indépendante et impartiale exerçant des fonctions judiciaires. Cette attribution ne devrait en aucun cas permettre au ministère public de prendre des décisions définitives restrictives des libertés individuelles et privatives de liberté, dépourvues du droit d’exercer un recours devant un juge ou un tribunal. (Déclaration, paragraphe 7).

26. Le ministère public est une autorité indépendante qui doit se fonder sur la loi, au plus haut niveau. Dans un Etat démocratique, ni le Parlement ni aucune instance gouvernementale ne doivent chercher à influencer indûment les décisions du ministère public relatives à telle ou telle affaire pour déterminer la manière de conduire les poursuites dans un cas précis, ou contraindre le ministère public à modifier sa décision (Déclaration, paragraphes 8 et 9).

27. L’indépendance du ministère public est indispensable pour lui permettre de remplir sa mission. Elle renforce le rôle de celui-ci dans l’Etat de droit et la société et est également une garantie pour que le système judiciaire fonctionne avec impartialité et efficacité et pour que tous les bénéfices attendus de l’indépendance des juges soient effectifs (Déclaration, paragraphes 3 et 8). A l’instar de l’indépendance accordée aux juges, l’indépendance du ministère public n’est pas une prérogative ou un privilège octroyé dans l’intérêt de ses membres, mais une garantie pour une justice équitable, impartiale et efficace et protège les intérêts publics et privés des personnes concernées.

28. La mission du procureur, qui peut se caractériser par les principes de légalité ou d'opportunité des poursuites, diffère selon le système existant dans chaque Etat, en fonction de la place qu’occupe le ministère public dans le paysage institutionnel et dans la procédure pénale.

29.  Quel que soit son statut, le ministère public doit jouir d’une indépendance fonctionnelle totale dans l’exercice de ses missions légales, tant pénales que non pénales. Qu’il soit ou non hiérarchisé, pour que ses membres puissent rendre compte et afin d’empêcher que des poursuites soient intentées de manière arbitraire ou sans raison valable, le ministère public doit édicter des lignes directrices claires et transparentes sur l’exercice des poursuites. (Déclaration, paragraphe 9).

30.  A cet égard, le CCJE et le CCPE renvoient en particulier à la Recommandation Rec (2000) 19 qui reconnaît que pour favoriser l’équité, la cohérence et l’efficacité de l’action du ministère public, les Etats doivent veiller à arrêter des principes et des critères généraux servant de référence aux décisions dans les affaires individuelles prises par les procureurs[128].

31. Les instructions aux procureurs doivent être faites par écrit, dans le respect de la loi et, le cas échéant, conformément à des directives et critères préalablement publiés (Déclaration, paragraphe 9).

32. Toute décision du Ministère public de poursuite ou de non poursuite doit être légalement justifiée. Toute révision autorisée par la loi d’une décision de poursuite ou de non poursuite prise par un procureur doit être faite de manière impartiale et objective, que ce soit par le ministère public lui-même ou par une autorité judiciaire indépendante. Les intérêts de la victime doivent, tout comme ceux des autres personnes concernées, toujours être pris en compte (Déclaration, paragraphe 9).

33. La complémentarité des fonctions de juge et de procureur implique qu’ils soient chacun conscients qu’une justice impartiale exige l’égalité des armes entre le ministère public et la défense et que le ministère public doit toujours agir dans ses poursuites avec honnêteté, objectivité et impartialité. Juge et ministère public auront à chaque moment le souci de respecter la personne mise en cause et les victimes ainsi que les droits de la défense (Déclaration, paragraphes 2 et 6).

34.  L'indépendance du juge et du ministère public est indissociable de la primauté du droit.  Les juges comme les procureurs agissent dans l'intérêt général, au nom de la société et des citoyens qui veulent que leurs droits et libertés soient garantis sous tous leurs aspects. Ils interviennent dans des domaines où les droits de l'homme les plus sensibles (liberté individuelle, vie privée, préservation des biens, etc.) méritent la plus grande protection. Ainsi, le ministère public doit s’assurer que les preuves sont recueillies et les poursuites engagées et menées conformément à la loi. Ce faisant, il doit respecter les principes consacrés par la CEDH et les autres conventions internationales, notamment la présomption d’innocence, les droits de la défense et le droit à un procès équitable. Le juge doit veiller au respect de ces principes dans les procédures qui lui sont soumises.

35. S'il est permis au procureur de saisir le juge des actions et demandes définies par la loi et de lui présenter tous les éléments de fait et de droit à l'appui de celles-ci, il ne peut s'ingérer d'une manière quelconque dans le processus décisionnel du juge et est tenu de respecter ses décisions. Il ne peut s'opposer à l'exécution de ces décisions, sauf en exerçant les recours prévus par la loi (Déclaration, paragraphes 4 et 5).

36. L’intervention et l’attitude du ministère public et du juge ne doivent laisser planer aucun doute sur leur impartialité objective. Si les juges et les procureurs doivent être indépendants dans l’exercice de leurs fonctions, ils doivent l’être et apparaitre ainsi également les uns vis-à-vis des autres. Il ne faut pas qu’aux yeux du justiciable et de la société en général, il puisse exister ne fût-ce qu’une impression de connivence entre eux  ou de confusion entre les deux fonctions.

37.  Le respect des principes qui précèdent implique que le statut des procureurs soit, à l’instar de celui des juges, garanti par la loi au plus haut niveau. La proximité et la complémentarité des missions de juge et de procureur imposent des exigences et garanties semblables sur le plan du statut et des conditions d’emploi, en particulier en ce qui concerne le recrutement, la formation, le développement de la carrière, la discipline, le déplacement de fonctions (qui ne peut être effectué que conformément à la loi ou soumis à leur consentement), la rémunération, la cessation de fonctions et la liberté de créer des associations professionnelles (Déclaration, paragraphe 8).

38. Les juges et les procureurs doivent selon le système national en vigueur, être directement associés à l’administration et à la gestion de leurs services respectifs. A cette fin, les moyens budgétaires suffisants ainsi que l’infrastructure et les ressources humaines et matérielles nécessaires doivent être mis à la disposition des juges et des procureurs et doivent être utilisés et gérés sous leur autorité (Déclaration, paragraphe 4)

b.            Ethique et déontologie des juges et des procureurs

39.  Les juges et les procureurs doivent être intègres et posséder les qualifications professionnelles et compétences organisationnelles nécessaires. En raison de la nature de leurs fonctions qu’ils ont acceptées en connaissance de cause, les juges et les procureurs sont constamment exposés aux critiques publiques et doivent en conséquence s’imposer un devoir de réserve,  sans préjudice, dans le cadre de la loi, de leur droit à communiquer sur les affaires dont ils sont saisis. Acteurs essentiels de la justice, ils doivent en permanence préserver la dignité et l'honneur de leur charge et adopter une attitude digne de leur fonction[129] (Déclaration, paragraphe 11).

40. Juges et procureurs doivent s'abstenir de toute action ou attitude qui pourrait compromettre la confiance en leur indépendance et leur impartialité. Ils doivent examiner les causes qui leur sont présentées avec diligence et dans un délai raisonnable, d’une manière objective et impartiale.

41. Les procureurs doivent s’abstenir, en public, de toute déclaration ou commentaire susceptible de donner à penser qu’ils font pression directe ou indirecte sur le tribunal pour que celui-ci rende une certaine décision, ou qui pourrait compromettre le caractère équitable de la procédure.

42.  Les procureurs devraient se familiariser avec les normes éthiques qui régissent les fonctions des juges, et réciproquement. Cela permettrait d’améliorer la compréhension et le respect pour les deux missions et ainsi d’augmenter les chances d’une collaboration harmonieuse.


c.             Formation des juges et des procureurs

43.  Le plus haut niveau de compétences professionnelles constitue une condition préalable indispensable à la confiance que l’opinion publique accorde aux juges et aux procureurs et dont ceux-ci tirent principalement leur légitimité et leur rôle. Il est crucial que leur formation professionnelle soit appropriée, car elle permet d’améliorer l’efficacité de leur performance dans leur travail et, partant, de renforcer la qualité de la justice dans son ensemble (Déclaration, paragraphe 10).

44.  La formation des juges et des procureurs ne vise pas seulement l’acquisition des aptitudes professionnelles exigées pour l’accès à la profession, mais également la formation permanente tout au cours de la carrière. Elle revêt les aspects les plus divers de leur vie professionnelle, y compris la gestion administrative des cours et services d’enquête et doit aussi répondre aux nécessités de spécialisation. Dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, la formation permanente requise pour maintenir un niveau élevé de qualification professionnelle et pour parfaire celle-ci est pour chaque juge et procureur non seulement un droit mais aussi un devoir (Déclaration, paragraphe 10).

45.  Lorsque cela est approprié, une formation commune aux juges, aux procureurs et aux avocats sur des sujets d’intérêt commun peut contribuer à la recherche d’une justice de la plus haute qualité. Cette communauté de formation devrait permettre de créer un socle de culture juridique commun (Déclaration, paragraphe 10).

46.  Les différents systèmes juridiques européens forment les juges et les procureurs selon des modèles divers. Certains pays ont créé une académie, une école nationale ou d’autres instituts spécialisés. D’autres pays confient la formation à des organes spécifiques. Des formations internationales pour les juges et les procureurs devraient être organisées. Dans tous les cas, il est essentiel de veiller à l’autonomie de l’institution chargée d’organiser la formation judiciaire, car cette autonomie est la garante du pluralisme culturel et de l’indépendance[130].

47.  Dans ce contexte, la contribution directe des juges et des procureurs aux cours de formation revêt une importance capitale, car elle permet de présenter des points de vue tirés de l’expérience professionnelle respective. Les matières enseignées devraient porter non seulement sur le droit et la protection des libertés individuelles, mais également sur les techniques de management et comporter une réflexion sur les missions respectives des juges et des procureurs. Dans le même temps, les contributions d’autres juristes et du monde universitaire sont essentielles pour éviter le risque d’une approche étroite d’esprit. Enfin, la qualité et l’efficacité de la formation devraient être régulièrement et objectivement évaluées.

III. FONCTIONS ET ROLES DES JUGES ET DES PROCUREURS DANS LA PROCEDURE PENALE

a.         Rôles des juges et procureurs pendant la phase préparatoire

48. Au stade de l’enquête, le juge contrôle, seul ou parfois en collaboration avec le procureur la légalité des enquêtes, en particulier lorsqu’elles touchent aux droits fondamentaux (décisions concernant l’arrestation, le placement en détention, la confiscation de biens, recours à des techniques d’enquête spéciales).

49. En règle générale, lorsqu'il décide de déclencher ou de poursuivre l'action pénale, le ministère public doit vérifier attentivement que l’enquête est menée de manière conforme au droit et qu’elle respecte les droits de l'homme.

50. Selon la Recommandation Rec(2000)19, lorsque la police est placée sous l'autorité du ministère public ou que les enquêtes de police sont dirigées ou supervisées par ce dernier, l'Etat prend toutes mesures pour que le ministère public puisse donner des instructions, procéder aux évaluations et aux contrôles nécessaires et puisse sanctionner les violations. Lorsque la police est indépendante du ministère public, le texte préconise simplement que l’Etat prenne toutes mesures pour que le ministère public et les autorités d’enquête coopèrent de façon appropriée et efficace.

51. Même dans les systèmes où l’enquête est contrôlée par le procureur dont le statut fait de lui une autorité judiciaire, il est impératif que les mesures prises dans ce cadre et constituant des atteintes importantes aux libertés, notamment la détention provisoire, soient contrôlées par les juges ou un tribunal.

b.            Relations entre juges et procureurs pendant les poursuites et l’audience

52. Dans certains Etats, le ministère public peut réguler le flux des affaires grâce au pouvoir discrétionnaire qui lui permet de décider des dossiers à transmettre aux tribunaux et des affaires pouvant être réglées par voie extrajudiciaire (conciliation entre l’accusé et la victime, règlement avant procès avec le consentement des parties, procédures simplifiées et raccourcies dérivées du plaider-coupable, mesures alternatives aux poursuites, médiation), ce qui contribue à réduire l’encombrement judiciaire et à dégager des priorités en matière de poursuites.

53. Ces compétences du ministère public, qui reflètent la modernisation, l’adaptation à la société, l’humanisation et la rationalisation de l’exercice de la justice pénale, sont utiles pour réduire la surcharge des tribunaux. Cela étant, à partir du moment où les procureurs ont le pouvoir de ne pas porter telle ou telle affaire devant les tribunaux, il est nécessaire d’éviter toute décision arbitraire ou discrimination, ou toute pression illicite qui émanerait du pouvoir politique et de protéger les droits des victimes. Il est également nécessaire de permettre à toute personne intéressée, en particulier aux victimes, d’exercer un recours contre la décision du procureur de ne pas mettre l’action publique en mouvement. Une option pourrait permettre à la victime de porter l’affaire directement devant le tribunal.

54. Par conséquent, dans les pays où s’applique le principe de l’opportunité des poursuites, le ministère public doit se montrer particulièrement attentif lors de la décision d’engager ou non des poursuites et se référer à des principes objectifs ou lignes directrices destinés à assurer la cohérence des décisions relatives aux poursuites.

55. L’impartialité du procureur, pendant le déroulement de la procédure, doit se manifester comme suit : il doit faire preuve d'objectivité et d'équité pour veiller notamment à ce que les tribunaux disposent de tous les éléments de fait ou de droit pertinents, y compris les preuves favorables à l’accusé ; il doit tenir dûment compte de la situation du mis en cause et de la victime, vérifier que les preuves ont été obtenues par des méthodes admissibles au regard des règles du procès équitable et rejeter les preuves obtenues en violation des droits de l'homme, telles que la torture (Déclaration, paragraphe 6).

56. Lorsqu'une instruction impartiale a établi que les accusations sont sans fondement, le procureur ne doit pas déclencher ou poursuivre l’action pénale mais mettre fin à la procédure.

57. Globalement, pendant la procédure, le juge et le ministère public exercent leurs fonctions respectives pour garantir le déroulement équitable du procès pénal. Le juge veille au respect de la légalité des preuves réunies par le ministère public ou les autorités d’enquête et à l’abandon des poursuites lorsque les preuves sont insuffisantes ou illégales. De son côté, le ministère public a le pouvoir de faire appel des décisions judiciaires.

c.         L’exercice des droits de la défense à tous les stades de la procédure

58. Les juges doivent appliquer les règles de procédure pénale en respectant pleinement les droits de la défense (en donnant aux accusés la possibilité d'exercer leurs droits, en leur notifiant leur chef d’accusation, etc.), les droits de la victime dans la procédure, le principe de l’égalité des armes et le droit à une audience publique, de manière à ce que l’équité du procès soit en toute hypothèse sauvegardée[131] (Déclaration, paragraphes 1, 2, 6 et 9).

59. L’acte d’accusation joue un rôle déterminant dans les poursuites pénales : à compter de sa signification, la personne mise en cause est officiellement avisée par écrit de la base juridique et factuelle des reproches formulés contre elle (Cour européenne des droits de l'homme, arrêt du 19 décembre 1989, affaire Kamasinski c. Autriche, § 79). En matière pénale, l’exigence du procès équitable prescrite par l’article 6 paragraphe 1 de la CEDH implique pour l’accusé la possibilité de discuter les preuves recueillies sur les faits contestés qui sont mis à sa charge et sur lesquels se fonde l'accusation, mais aussi la qualification juridique donnée à ces faits.

60. Dans les pays où le ministère public supervise l’enquête, il incombe aussi au procureur de s’assurer que les droits de la défense sont respectés. Dans les pays où l’enquête pénale est dirigée par la police ou toute autre autorité chargée de l’application de la loi, le juge intervient en tant que garant des libertés individuelles (habeas corpus), notamment en matière de détention provisoire, et il lui appartient de vérifier que les droits de la défense sont respectés.

61. Toutefois, dans de nombreux Etats, le contrôle de l’exercice des droits de la défense ne revient au juge et au procureur qu’une fois l’enquête terminée et lorsque commence l’examen des charges. Il appartient alors au procureur qui reçoit les procès-verbaux des autorités d’enquête, puis au juge qui examine les charges et les preuves recueillies, de vérifier que tout accusé a notamment été informé dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui.

62. Le procureur et le juge, selon leur rôle dans le pays considéré, doivent ensuite s’assurer notamment que l’accusé a pu disposer du temps et des facilités nécessaires pour préparer sa défense, qu’il est défendu, le cas échéant par un avocat commis d’office à la charge de l’Etat, qu’il dispose si nécessaire d’un interprète et qu’il peut solliciter certains actes nécessaires à la manifestation de la vérité.

63. Une fois l’affaire portée devant la juridiction de jugement, les pouvoirs du juge et du procureur varient selon le rôle de l’un et de l’autre dans le procès. En tout état de cause, si l’un des éléments du respect des droits de la défense fait défaut, soit le juge, soit le procureur, soit les deux selon le système national en vigueur, doivent avoir la capacité de relever cette situation et d’y remédier objectivement.

IV. RELATIONS ENTRE JUGES ET PROCUREURS ET ROLE DU MINISTERE PUBLIC en dehors du domaine pénal et devant les cours suprêmes

64. Selon les Etats membres, le procureur peut avoir ou non des fonctions en dehors de la sphère pénale[132]. Lorsqu’il remplit de telles fonctions, celles-ci peuvent inclure, entre autres, le droit civil, administratif, commercial, social, électoral et le droit du travail, ainsi que la protection de l’environnement, les droits sociaux des groupes vulnérables tels que les mineurs, les personnes handicapées et les personnes à faibles revenus. Le rôle du procureur dans ce domaine ne devrait pas lui permettre d’exercer une influence illicite sur le processus définitif de prise de décision des juges (Déclaration, paragraphe 13).

65. Il convient également de mentionner le rôle que le ministère public remplit dans certains pays devant la cour suprême. Ce rôle est comparable à celui des avocats généraux devant la Cour de justice des Communautés européennes. Devant ces juridictions, l’avocat général (ou son équivalent) n’est pas une partie et ne représente pas l’Etat, mais est un organe indépendant qui dépose des conclusions dans chaque affaire ou seulement dans les affaires qui présentent un intérêt particulier afin d’éclairer la cour sur tous les aspects des questions de droit qui lui sont soumises en vue d’une application correcte du droit .

66. Conformément aux règles de l’Etat de droit dans une société démocratique, toutes les compétences des procureurs, ainsi que toutes les procédures d’exercice de celles-ci devraient être établies avec précision par la loi. Lorsqu’un procureur agit en dehors du domaine pénal, il doit respecter la compétence exclusive du juge et tenir compte des principes suivants, développés notamment par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme:

        i.          la participation du ministère public aux procédures judiciaires ne doit pas affecter l'indépendance des tribunaux ;

       ii.          le principe de la séparation des pouvoirs doit être respecté dans le cadre, d’une part, des tâches et activités confiées aux procureurs en dehors du domaine de la justice pénale et, d’autre part, du rôle des tribunaux dans la protection des droits de l'homme ;

      iii.          sans préjudice de leur mission de représentants de la société, les procureurs doivent jouir des mêmes droits et être soumis aux mêmes obligations que toute autre partie et ne doivent pas bénéficier d'une position privilégiée dans la procédure (égalité des armes) ;

     iv.          lorsqu'ils agissent au nom de la société pour défendre l'intérêt public et les droits des individus, les procureurs ne doivent pas violer le principe de l'autorité de la chose jugée (res judicata), sous réserve des exceptions établies par les mesures et engagements internationaux y compris par la jurisprudence de la Cour.

Les autres principes mentionnés dans la Déclaration s’appliquent mutatis mutandis à toutes les fonctions des procureurs en dehors du domaine pénal (Déclaration, paragraphe 13).


V. LE JUGE, LE PROCUREUR ET LES MEDIAS (Déclaration, paragraphe 11)

67. Les médias jouent un rôle essentiel dans les sociétés démocratiques et notamment à l’égard du système judiciaire. La perception de la qualité de la justice au sein de la société dépend beaucoup de la façon dont les médias rendent compte de la manière dont le système judiciaire fonctionne. La publicité des débats contribue à l’équité du procès, en protégeant les parties contre une justice opaque.

68. L’opinion publique et les médias accordant de plus en plus d’attention aux affaires pénales et civiles, les tribunaux et les autorités de poursuite doivent leur fournir de plus en plus d’informations objectives.

69. Il est fondamental que les tribunaux d’une société démocratique inspirent confiance aux justiciables[133]. La publicité de la procédure est l’un des moyens essentiels de préserver cette confiance.

70. Deux instruments du Conseil de l’Europe traitent notamment de cette question : (i) la Recommandation Rec (2003)13 sur la diffusion d’informations par les médias en relation avec les procédures pénales ; (ii) l’Avis n°7 du CCJE sur Justice et Société (2005).

71. Compte tenu du droit du public à recevoir des informations d’intérêt général, les journalistes doivent pouvoir recevoir les informations nécessaires pour être à même de rendre compte du fonctionnement du système judiciaire et faire des commentaires à ce sujet. Ce droit s’exerce sans préjudice du devoir de réserve des juges et des procureurs concernant les affaires pendantes et des limitations prévues par les lois nationales et conformément à la jurisprudence de la Cour.

72. Les médias doivent respecter, tout autant que les juges et les procureurs, certains principes fondamentaux, tels que la présomption d’innocence[134] et le droit à un procès équitable, le droit au respect de la vie privée des personnes concernées, la nécessité d’éviter de porter atteinte au principe et à l’apparence d’impartialité des juges et des procureurs impliqués dans une affaire.

73. La couverture médiatique d’affaires en cours d’instruction ou de procès peut constituer une ingérence et exercer une influence et une pression néfastes sur les juges, les jurés et les procureurs chargés de l’affaire. De bonnes compétences professionnelles, de solides valeurs éthiques et une autodiscipline afin de ne pas faire une évaluation prématurée des affaires en cours, sont nécessaires aux juges et procureurs pour faire face à ce défi.

74. Des personnes chargées de la communication avec les médias, par exemple les responsables de l’information au sein des tribunaux ou un groupe de juges et procureurs formés à entretenir des contacts avec les médias, pourraient aider ces derniers à diffuser des informations plus précises sur le travail et les décisions judiciaires.

75. Les juges et les procureurs doivent respecter mutuellement le rôle spécifique de chacun dans le système judiciaire. Juges et procureurs devraient élaborer des lignes directrices ou un code de bonne conduite pour chaque fonction dans sa relation avec les médias[135]. Certains codes d’éthique interdisent aux juges de commenter les affaires pendantes, afin de ne pas faire de déclarations dont le public pourrait estimer qu’elles mettent en cause l’impartialité du juge[136] et la présomption d’innocence. En toute hypothèse, le juge doit s’exprimer avant tout par sa décision et, lorsqu’il s’exprime, conformément à la loi, sur des affaires pendantes ou jugées, la retenue et le choix des mots sont importants[137]. Le procureur doit commenter avec retenue la procédure suivie par le juge ou la décision rendue, et ne doit faire part de son désaccord avec une décision que par le biais, le cas échéant, de l’appel.

VI. LE JUGE, LE PROCUREUR ET LA COOPERATION INTERNATIONALE (Déclaration, paragraphe 12)

76. Pour une protection efficace des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, il importe de souligner la nécessité d’une coopération internationale efficace, notamment entre les Etats membres du Conseil de l’Europe et sur la base des valeurs contenues dans des instruments internationaux pertinents, tout particulièrement la CEDH. La coopération internationale doit reposer sur la confiance mutuelle. Les informations rassemblées grâce à la coopération internationale et utilisées dans les procédures judiciaires doivent être transparentes tant dans leur contenu que dans leur origine et accessibles au juge,  au procureur et aux parties. Il conviendra de veiller à ce que la coopération judiciaire internationale fasse l’objet d’une évaluation et tienne compte, de manière appropriée, en particulier des droits de la défense et de la protection des données personnelles.


avis n°13 (2010)

du conseil consultatif de juges europeens (ccje)

a l'attention du comite des ministres du conseil de l'europe

sur

le rôle des juges dans l’exécution des décisions judiciaires

          I.    Introduction

1.     Pour l’année 2010, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a donné mandat au Conseil consultatif de juges européens (ci-après « le CCJE ») d’adopter un avis « sur le rôle des juges dans l’exécution des décisions judiciaires, dans leurs relations avec les autres fonctions étatiques et les autres acteurs sur le thème »[138].

2.     Le  CCJE a rédigé le présent avis sur la base des 34 réponses des Etats à un questionnaire. Les réponses de la plupart des Etats membres identifient de nombreux obstacles à une exécution des décisions de justice efficace et appropriée. Ces obstacles concernent les matières civile, administrative et pénale. En matière civile et administrative, les Etats membres notent en particulier la complexité et le coût des procédures d’exécution. En matière pénale, les Etats membres relèvent, par exemple, de mauvaises conditions carcérales ou des défaillances dans le paiement des amendes. 

3.     Le présent avis veillera à proposer des critères concrets pour améliorer le rôle du juge dans l’exécution des décisions de justice et non à traiter de la procédure d’exécution de manière générale.

4.     Le rôle du juge sera ainsi examiné tant en ce qui concerne l’exécution des décisions de justice civiles, administratives et pénales que dans le domaine international à travers notamment l’exécution des arrêts de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (ci-après « la Cour »). 

5.     Dans le cadre de cet Avis, le CCJE s'appuie sur des instruments du Conseil de l’Europe, en particulier :

-           la Convention Européenne des Droits de l’Homme (ci-après « la CEDH »), et en  particulier ses articles 5, 6, 8 et 13 et l’article 1 du Protocole n°1 ;

-           la Déclaration d’Interlaken lors de la Conférence de haut niveau sur l’avenir de la Cour (19 février 2010) ;

-           la Recommandation Rec(2003)16 du Comité des Ministres aux Etats membres sur l’exécution des décisions administratives et juridictionnelles dans le domaine du droit administratif ;

-           la Recommandation Rec(2003)17 du Comité des Ministres aux Etats membres en matière d’exécution des décisions de justice ;

-           la Recommandation Rec(2006)2 du Comité des Ministres aux Etats membres sur les Règles pénitentiaires européennes ;

-           la Recommandation Rec(2008)2 du Comité des Ministres aux Etats membres sur des moyens efficaces à mettre en œuvre au niveau interne pour l'exécution rapide        des arrêts de la Cour Européenne des Droits de l'Homme ;

-           le Rapport de la CEPEJ « Systèmes judiciaires européens » (édition 2010) ;

-           « L’exécution des décisions de justice en Europe » (Etudes de la CEPEJ n°8) ;

-           les lignes directrices de la CEPEJ pour une meilleure mise en œuvre de la Recommandation existante au Conseil de l’Europe sur l’exécution ;

-           le 3e Rapport annuel 2009 sur la surveillance de l’exécution des arrêts de la Cour Européenne des Droits de l’Homme ;

-           la Convention pour la protection des données à caractère personnel (STE N°108) ;

-           le point de vue du Commissaire aux droits de l’homme : « La mise en œuvre imparfaite des décisions judiciaires ébranle la confiance dans la justice des Etats » (31 août 2009) ;

-           les Conventions du Conseil de l’Europe en matière d’exécution des peines et d’extradition : la Convention européenne d’extradition (STE N°24) et les protocoles additionnels (STE N°86 et STE N°98) ; la Convention européenne pour la surveillance des personnes condamnées ou libérées sous condition (STE N°51) ; la Convention européenne sur la valeur internationale des jugements répressifs (STE N°70) ; la Convention sur le transfèrement des personnes condamnées (STE N°112) et le protocole additionnel (STE N°167);

ainsi que la jurisprudence de la Cour en la matière, en particulier :

-           Hornsby c. Grèce (19 mars 1997, n° 18357/91) ;

-           Burdov c. Russie n°2 (15 janvier 2004, n° 33509/04) ;

-           Akashev c. Russie (12 juin 2008, n°30616/05) ;

-           Zielinski et Pradal et Gonzalez et autres c. France (28 octobre 1999, n° 24846/94           et svt) ;

-           Cabourdin c. France (11 avril 2006, n° 60796/00) ;

-           Immobiliare Saffi c. Italie (28 juillet 1999, GC, n° 22774/93) ;

-           Papon c. France (25 juillet 2002, n° 54210/00) ;

-           Annoni Di Gussola et Desbordes et Omer c. France (14 novembre 2000, n°       31819/96, 33293/96). 

        II.    Principes généraux

6.     L’exécution est le fait de donner effet à des décisions de justice ainsi qu’à d’autres titres exécutoires, qu’ils soient judiciaires ou non judiciaires. Elle peut impliquer une obligation de faire, de ne pas faire ou de payer ce qui a été décidé. Elle peut impliquer une sanction pécuniaire ou une peine d’emprisonnement.

7.     L’exécution effective d’une décision judiciaire contraignante est un élément fondamental de l’Etat de droit. Elle est essentielle à la confiance du citoyen dans l’autorité du pouvoir judiciaire. L’indépendance des juges et le droit à un procès équitable (article 6 de la CEDH) sont vains si la décision n’est pas exécutée.

 

8.     La procédure d’exécution doit être mise en œuvre dans le respect des droits et libertés fondamentaux (articles 3, 5, 6, 8, 10 et 11 de la CEDH, protection des données, etc.).

9.     La décision qui doit être exécutée doit être claire et précise dans la détermination des droits et obligations afin d'éviter tout obstacle à une exécution efficace[139].

10.  La  jurisprudence de la Cour montre que dans certaines affaires, les pouvoirs exécutif et législatif ont tenté d’influencer la procédure d’exécution par le biais d’un refus ou d’une suspension, ou en déniant tout pouvoir à la police. Ils sont également intervenus dans des affaires pendantes en édictant des dispositions, souvent de nature rétroactive ou interprétative, visant à modifier le résultat prévisible d’une ou plusieurs affaires judiciaires ou encore en introduisant de nouveaux moyens de recours[140].

11.  L’exécution des décisions ne doit pas être entravée par une intervention externe du pouvoir exécutif ou législatif en imposant des actes législatifs de nature rétroactive.

12.  La notion spécifique de "tribunal indépendant" contenue dans l'article 6 de la CEDH implique que la capacité à rendre des décisions contraignantes ne soit pas soumise à approbation ou ratification et que la décision ne soit pas modifiée dans son contenu par une autorité non judiciaire, y compris par le chef de l’Etat[141]. C’est pourquoi, toutes les branches du pouvoir étatique devraient veiller à ce que les dispositions légales concernant l’indépendance des tribunaux, figurant dans leur Constitution ou au plus haut niveau législatif, soient interprétées de telle manière qu’elles prévoient une exécution rapide des décisions de justice sans aucune possibilité d’ingérence des autres pouvoirs étatiques, avec pour seules exceptions l’amnistie ou la grâce en matière pénale. Seule une décision judiciaire devrait pouvoir se prononcer sur la suspension de l’exécution d’un jugement.

13.  Il ne devrait pas y avoir de report de la procédure d’exécution, sauf pour des motifs prescrits par la loi. Tout ajournement devrait pouvoir être soumis à l’appréciation du juge.

14.  Les agents chargés de l'exécution ne devraient pas avoir la compétence de remettre en cause ou modifier les termes de la décision.

15.  Si l’exécution d’une décision est nécessaire pour une partie, celle-ci devrait pouvoir engager facilement la procédure d’exécution. Tout obstacle à celle-ci, par exemple des frais excessifs, devrait être évité.

16.  L’exécution doit être rapide et efficace. A cette fin, les fonds nécessaires doivent être prévus pour l’exécution. Des dispositions légales claires devraient déterminer les ressources disponibles, la compétence et la procédure applicable.

17.  Les Etats membres devraient mettre en œuvre une procédure d’exécution accélérée ou d’urgence lorsqu’un retard pourrait entraîner un préjudice irréversible (certaines affaires familiales, affaires où le défendeur a pris la fuite, cas d’expulsion, risque de détérioration des biens, etc.).

18.  Afin que les juges puissent remplir leur rôle, le pouvoir judiciaire devrait être chargé des missions suivantes en matière d’exécution :

·                     le recours à un juge s’il n’y a pas d’exécution ou si celle-ci est retardée par les instances compétentes ; un juge devrait également intervenir lorsque les droits fondamentaux des parties sont en cause ; en tout cas, le juge devrait pouvoir accorder une juste compensation ;

·                     le recours (par un appel ou une plainte) à un juge s’il y a abus dans la procédure d'exécution ;

·                     le recours à un juge pour trancher les litiges liés à l'exécution et la possibilité de donner des injonctions aux autorités étatiques et autres organes compétents pour faire exécuter les décisions ; au stade final, il appartiendrait au juge d'utiliser tous les moyens possibles pour assurer l’exécution ;

·                           l'identification et l'entière prise en compte des droits et intérêts des tiers et des membres de la famille, y compris ceux des enfants.

19.  Dans certains systèmes, le respect de la décision judiciaire par les parties peut être imposé par des moyens de coercition indirecte, par exemple en imposant des astreintes, ou par des dispositions légales incriminant le refus d’exécuter. Le CCJE considère que de telles mesures d’exécution indirectes qui, dans tous les cas, doivent être prévues par la loi et  autorisées par le juge dans la décision ou même après celle-ci, sont particulièrement importantes dans les cas urgents dans les matières dans lesquelles une exécution en nature ne peut pas être remplacée par une satisfaction équivalente ainsi que dans le domaine du droit de la famille dans lequel l’utilisation de la force pourrait entraîner une menace pour l’intérêt de l’enfant. Compte tenu des avantages de la contrainte indirecte, le CCJE recommande que les tribunaux l’utilisent le plus largement possible car elle permet également, dans la plupart des cas, une exécution rapide.

20.  Le CCJE considère qu’un cadre juridique transparent, de préférence de nature législative, devrait s’appliquer aux coûts de l’exécution. Le montant des frais devrait tenir compte de la nature de l’activité des agents d’exécution qui n’est pas forcément proportionnelle à la valeur de la demande. En cas de litige, les coûts devraient être évalués par le tribunal.

21.  Pour garantir l’accès à la justice, des dispositifs d’assistance judiciaire ou de financement spécifiques devraient être proposés aux demandeurs qui ne peuvent pas régler les frais d’exécution (par un financement public ou une diminution des frais).

22.  L’importance vitale de l’exécution pour le respect de l’Etat de Droit impose que les données concernant l’exécution soient incluses dans les systèmes d’évaluation de la justice et dans les informations sur le système judiciaire fournies aux usagers des tribunaux, au public en général et aux médias, tel que cela est proposé dans l’Avis n°6 du CCJE (Parties A et C).

23.  Le CCJE recommande que les Conseils de la Justice, ou tout autre instance indépendante compétente, publient régulièrement un rapport sur l’effectivité de l’exécution, contenant des données sur les retards et leurs causes, ainsi que sur les diverses méthodes d’exécution. Une section spécifique devrait traiter de l’exécution des décisions de justice à l’encontre des entités publiques.

       III.    Le rôle des juges dans l’exécution des décisions judiciaires en matière civile

24.  L'exécution d'une décision judiciaire ne doit pas conduire à engager une procédure entièrement nouvelle et les procédures d'exécution ne doivent pas permettre de remettre en cause la décision originelle quant au fond. Toutefois, le juge peut avoir le pouvoir de suspendre ou reporter l'exécution afin de tenir compte de circonstances particulières des parties, notamment pour respecter l'article 8 de la CEDH.  

25.  Si l’on veut maintenir l’Etat de droit et faire en sorte que les justiciables aient confiance dans le système judiciaire, les procédures d’exécution doivent être proportionnées, équitables et efficaces. Par exemple, la recherche et la saisie des biens des défendeurs doivent être rendues aussi efficaces que possible, tout en tenant compte des dispositions applicables en matière de droits de l’homme, de protection des données personnelles et de la nécessité d’un contrôle juridictionnel.

26.  Lorsque les parties peuvent disposer de leurs droits et concluent un accord sur l’exécution conforme à la loi, aucune disposition légale ne doit empêcher cet accord de prendre effet.

27.  Dans le cadre d’une procédure d’exécution, le droit fondamental à la protection des données à caractère personnel devrait être concilié avec la possibilité d’utiliser les informations issues des bases de données concernant les biens des débiteurs. A cette fin, un encadrement juridique strict de la procédure et de l’autorisation d’utilisation des données est requis dans le but de garantir une exécution efficace et complète et de prévenir les abus. Tous les organes de l’Etat qui administrent des bases de données contenant des informations nécessaires à une exécution efficace devraient être tenus de communiquer ces informations aux tribunaux.

 

28.  La réutilisation d’informations relatives aux biens d’un défendeur dans le cadre de procédures ultérieures auxquelles le même défendeur est partie, devrait faire l’objet d’un cadre juridique clair et précis (définition de délais stricts pour la conservation des données, etc.) et répondre à toutes les exigences procédurales nécessaires pour engager la procédure d’exécution.

       IV.    Le rôle du juge en matière d’exécution des décisions administratives

29.  Le CCJE considère que la plupart des principes régissant l’exécution en matière civile s’applique « mutatis mutandis » à l’exécution en matière administrative, que cette exécution se fasse à l’encontre d’une personne privée ou d’une institution publique.

30.  Néanmoins, des considérations spécifiques s’imposent concernant l’exécution des décisions judiciaires à l’encontre des entités publiques. Ces considérations concernent le droit administratif mais aussi les litiges en matière civile.

31.  En premier lieu, le CCJE estime que dans un Etat de droit, les entités publiques sont particulièrement tenues au respect des décisions judiciaires et à leur mise en œuvre rapide d’office. L’idée selon laquelle l’Etat refuserait de respecter une décision judiciaire remet en cause le principe même de primauté du droit.

32.  Un nombre considérable d’affaires portées devant la Cour concernent la non-exécution des décisions judiciaires par les autorités publiques. Un Etat devrait respecter les jugements prononcés contre lui sans délai et sans exiger du demandeur qu’il ait recours aux procédures d’exécution. La Cour a admis à plusieurs reprises des requêtes dans lesquelles les demandeurs, soit n’avaient pas utilisé de telles procédures, soit les avaient utilisées en précisant qu’on ne peut exiger d’une personne qui a obtenu gain de cause par le biais d’un jugement exécutoire contre l’Etat qu’elle ait recours à une nouvelle procédure pour obtenir l’exécution[142].

33.  En cas d’exécution forcée, les Etats devraient prévoir que leur législation permette notamment des poursuites pénales et disciplinaires à l’encontre des agents responsables du refus ou du retard dans l’exécution et la mise en cause de leur responsabilité civile.

34.  Les Etats devraient mettre également à la charge de ces agents les coûts supplémentaires relatifs à l’absence ou au retard d’exécution. Les actes des agents publics qui retardent ou refusent l’exécution devraient toujours être soumis à un recours judiciaire effectif.

35.  Des ingérences législatives dans les exécutions pendantes ne doivent pas être permises, surtout lorsque l’entité publique est le débiteur.

36.  Dans ce cadre, les mêmes agents d’exécution que ceux compétents pour des personnes privées devraient être compétents et les mêmes principes procéduraux devraient être applicables. Les juges ne devraient se voir imposer de limites ni dans l’application des  dispositions légales, ni dans la possibilité d’allouer une réparation effective en cas de  retard dans la procédure d’exécution (indexation, intérêts moratoires au taux généralement appliqué, dommages spécifiques, autres pénalités)[143].

37.  Les jugements portant sur une décision d’une autorité administrative refusant à un étranger le droit de séjour sur le territoire concernent souvent la question de savoir si un étranger peut être expulsé. Dans ce contexte, l’expulsion constitue l’exécution de la décision de l’autorité. Le CCJE considère que, pour permettre un recours effectif, les Etats ne devraient pas empêcher le tribunal d’examiner l’admissibilité de l’expulsion dans sa décision finale ou provisoire portant sur la décision de l’autorité administrative.

        V.    Le rôle du juge en matière d’exécution des décisions de justice en matière pénale

38.  En matière pénale, le respect de la primauté du droit exige la pleine application des sanctions, quelle que soit la nature de la peine infligée. Ainsi, les Etats membres devraient s'abstenir de multiplier les politiques criminelles qui ont pour conséquence, en réalité la non-exécution des sanctions mineures pour des raisons budgétaires, par manque d'établissements pénitentiaires ou pour des raisons d’opportunité. Cela porte atteinte à l’autorité des décisions de justice et, partant, à l’Etat de droit lui-même.

39.  Une peine peut prendre la forme d'un emprisonnement, d’une amende ou d’une autre sanction (par exemple une interdiction professionnelle, un retrait du permis de conduire, etc.). En règle générale, la mise en œuvre effective de ces sanctions n'est pas du ressort du juge mais du procureur, de l’autorité de police ou d’une autorité administrative. Des agents publics ou privés, tels que les huissiers de justice, peuvent être nommés par un juge ou par l’autorité compétente pour mener à bien ces fonctions. Dans les deux cas, l'exercice de ces pouvoirs et la mise en œuvre des mesures pénales ont une incidence directe sur les droits individuels. Le rôle d'un juge est de protéger et de garantir ces droits dans le cadre de la décision judiciaire devant être exécutée.

 

40.  L’exécution d’une peine d'emprisonnement peut être analysée sous deux angles différents: en premier lieu, sous l’angle des modalités d'exécution de la peine, c’est-à-dire sa durée et sa mise en œuvre qui peuvent concerner des aspects tels que la remise de peine, la libération conditionnelle, la détention limitée, la liberté provisoire sous contrôle judiciaire ou la surveillance électronique ; deuxièmement, sous l’angle des conditions physiques ou psychologiques ou des effets de l'emprisonnement, qui peuvent conduire à s’interroger sur la légalité de la détention elle-même ou sur les conditions de détention.

41.  Dans certains Etats, les modalités d’exécution de la peine sont de la compétence du juge. Dans d'autres Etats membres, elles sont traitées par une commission de libération conditionnelle ou par d'autres autorités administratives. Dans les deux cas, la mise en œuvre de ces mesures doit faire l’objet d’une procédure équitable et pouvoir être soumis à un contrôle judiciaire ou bénéficier d’un recours devant le juge.

42.  Toute modification de la nature ou du lieu de la détention, par exemple le placement dans un établissement psychiatrique en raison de la situation mentale du détenu, doit être soumise à un droit de recours ou de contrôle judiciaire.

43.   La privation de liberté, quelle que soit sa nature, doit, en tout état de cause, être conforme aux articles 3 et 8 de la CEDH. Une personne détenue par la police ou un détenu condamné ne doit pas, à un moment quelconque, être soumis à un traitement inhumain ou dégradant. La dignité humaine doit être protégée à tout moment pendant la détention. L’article 8.1 de la CEDH (Respect de la vie privée et familiale) doit également être respecté, tout en ayant égard aux nécessités reconnues par l'article 8.2 de la CEDH (possibilité d’ingérence d’une autorité publique). Il appartient au juge de reconnaître et de protéger ces droits et garanties applicables dans chaque Etat membre.

44.  Dans certains Etats membres, le juge exerce d'office une surveillance sur les conditions de détention. Dans d'autres Etats membres, le juge ne peut se saisir d'office de cette mission. Quel que soit le système en vigueur, la législation de chaque Etat membre devrait permettre au condamné, à son avocat ainsi qu'au ministère public de saisir le juge lorsque les conditions de détention violent les droits fondamentaux visés aux articles 3 et 8 de la CEDH. Cette législation devrait également prévoir des mécanismes permettant à des instances indépendantes de l'administration d'exercer une surveillance sur les conditions de détention et de saisir, le cas échéant, le juge.

45.  Les relations entre le juge et les agents d'exécution (ministère de la justice, administration pénitentiaire, service social, direction de l’établissement pénitentiaire) seront généralement limitées au contentieux d'exécution, soit que ces agents sont entendus au sujet des conditions de détention ou de la manière dont l'exécution se déroule, soit qu’ils sont appelés à rendre un avis sur l'octroi d'une modalité d'exécution. Dans ces cas, le juge veillera à être renseigné le plus complètement possible par ces agents et à ce que les renseignements ainsi fournis soient soumis à la contradiction des parties.

46.  L'exécution des peines non privatives de liberté qui, soit ont un impact sur les biens (par exemple amendes, confiscations, fermetures d'entreprises), soit portent atteinte aux droits de la personne (par exemple interdiction d'exercer certains droits, retrait du permis de conduire), peuvent également donner lieu à de nombreuses difficultés juridiques. Le condamné doit pouvoir s'adresser au juge afin que celui-ci statue sur les contestations qui en résultent.

47.  Il convient également d'assurer aux juges chargés de l'exécution des peines une formation spécifique leur permettant de maîtriser parfaitement les aspects juridiques, techniques, sociaux  et humains propres à cette matière. Cette formation spécifique doit être conçue et menée en interaction avec tous les agents et services impliqués dans le processus d’exécution : juges, procureurs, fonctionnaires du ministère de la justice, administration et personnel des prisons, direction des instances pénitentiaire, travailleurs sociaux, avocats et autres.

       VI.    Le rôle du juge dans l’exécution au niveau international

       1.     Exécution des décisions de la Cour Européenne des Droits de l'Homme

48.  Dans son Avis n° 9, le CCJE a fait connaître son point de vue sur le rôle du juge quant à  la mise en œuvre des enseignements de la jurisprudence internationale et, en particulier, de celle de la Cour. Il a notamment précisé comment le juge doit veiller au respect des arrêts de la Cour.

49.  Lorsque l’Etat est condamné par la Cour à payer une indemnité, le créancier de celle-ci doit, en cas d’inexécution de l’arrêt de la Cour, avoir le droit de s’adresser au juge national afin d’en obtenir l’exécution, sans préjudice des mesures qui pourront être prises au niveau supranational.

       2.      Collaboration internationale et exécution transfrontalière

50.  A une époque caractérisée par une mobilité croissante et un développement des échanges internationaux, la priorité devrait être de développer et promouvoir un espace de justice commun aux citoyens européens en abrogeant les obstacles qui subsistent à l’exercice de leurs droits. Ainsi, les décisions judiciaires doivent être reconnues et exécutées d'un Etat membre à l'autre sans obstacle.

51.  Les principes de confiance et de reconnaissance mutuelles sont les fondements de la construction européenne en matière de justice, tout en respectant la diversité des systèmes nationaux. Par la reconnaissance mutuelle, les décisions rendues au niveau national ont un impact dans les autres Etats membres, en particulier sur leur système judiciaire. Il est donc essentiel de multiplier les échanges entre professionnels de la justice. Les différents réseaux de professionnels doivent se renforcer, se coordonner et mieux se structurer.

52.  On devrait envisager une formation européenne systématique pour tous les juges et procureurs qui devraient bénéficier de formations ou d’échanges dans d’autres États. Par ailleurs, des programmes d'enseignement à distance (e-learning) et des supports de formation communs devront être développés pour former les professions judiciaires aux mécanismes européens (relations avec la Cour, la CJUE, utilisation des instruments de reconnaissance mutuelle et de la coopération judiciaire, droit comparé, etc.).

a.     En matière civile et administrative

53.  En matière civile, les décisions judiciaires devraient être exécutées directement et sans autre mesure intermédiaire. Il faudra donc avancer de manière graduelle et avec prudence dans le processus de  suppression de l'exequatur de certaines décisions en matière civile et commerciale.

54.  Entre-temps, la rapidité des procédures et l'efficacité de l'exécution des décisions de justice devraient être renforcées par des accords internationaux concernant la mise en œuvre et l’exécution des mesures provisoires et conservatoires.

55.  Par ailleurs, la reconnaissance mutuelle pourrait être étendue à des matières non encore couvertes par le droit européen et essentielles pour la vie quotidienne, telles que les successions et testaments, les régimes matrimoniaux et les effets patrimoniaux de la séparation des couples.

b.    En matière pénale

56.  En matière pénale, la coopération internationale concerne de nombreux domaines. On peut citer, à titre d'exemple, l'exécution d'une peine d'emprisonnement dans le pays d'origine, décidée par un jugement prononcé dans un autre pays, les demandes d'extradition, le mandat d'arrêt européen, la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires en matière pénale, l'entraide judiciaire, etc.

57.  L'exécution d'une décision étrangère s’opère en vertu d’une convention entre Etats et est fondée sur la confiance mutuelle de ceux-ci dans le système judiciaire de chacun d’entre eux. Le juge du pays d'exécution doit honorer cette confiance mutuelle. Ainsi, il veillera à ne pas modifier ni contester la décision du juge du pays d'origine. Il ne refusera l'exécution de celle-ci que sur la base des motifs d'exclusion prévus dans la convention qui lie le pays d'exécution au pays d'origine ou lorsque cette décision est contraire aux droits fondamentaux des personnes concernées.

58.  Néanmoins, en matière de transfèrement des personnes condamnées, le juge peut adapter la ou les peine(s) prononcée(s) par le juge étranger lorsque cette possibilité est offerte par la convention qui lie les Etats concernés.

 

     VII.    Conclusions

A.            L’exécution effective d’une décision judiciaire contraignante est un élément fondamental de l’Etat de droit. Elle est essentielle à la confiance du citoyen dans l’autorité du pouvoir judiciaire. L’indépendance des juges et le droit à un procès équitable sont vains si la décision n’est pas exécutée.

B.            La notion spécifique de "tribunal indépendant" contenue dans l'article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) implique que la capacité à rendre des décisions contraignantes ne soit pas soumise à approbation ou ratification, et que la décision ne soit pas modifiée dans son contenu par une autorité non judiciaire, y compris par le chef de l’Etat.

 

C.            Toutes les branches du pouvoir étatique devraient veiller à ce que les dispositions légales concernant l’indépendance des tribunaux, figurant dans leur Constitution ou au plus haut niveau législatif, soient interprétées de telle manière qu’elles prévoient une exécution rapide des décisions de justice, sans aucune possibilité d’ingérence des autres pouvoirs étatiques, avec pour seules exceptions l’amnistie ou la grâce en matière pénale. Seule une décision judiciaire devrait pouvoir se prononcer sur la suspension de l’exécution d’un jugement.

D.           Il ne devrait pas y avoir de report de la procédure d’exécution, sauf pour des motifs prescrits par la loi. Tout ajournement devrait pouvoir être soumis à l’appréciation du juge. Les agents chargés de l'exécution ne devraient pas avoir la compétence de remettre en cause ou modifier les termes de la décision.

E.            En matière pénale, les Etats devraient s'abstenir de politiques ayant pour effet que les sanctions mineures ne sont en réalité pas exécutées.

F.            Le CCJE estime que dans un Etat de droit, les entités publiques sont particulièrement tenues au respect des décisions judiciaires et à leur mise en œuvre rapide d’office. L’idée selon laquelle l’Etat refuserait de respecter une décision judiciaire remet en cause le principe même de primauté du droit.

G.           L’exécution doit être équitable, rapide, effective et proportionnée.

H.             Les parties devraient pouvoir engager facilement la procédure d'exécution. Tout  obstacle à celle-ci, par exemple des frais excessifs, devrait être évité.

I.              Toute procédure d'exécution doit être mise en œuvre dans le respect des droits et libertés fondamentaux reconnus par la CEDH et les autres instruments internationaux.

J.            La privation de liberté doit respecter les droits protégés par les articles 3 et 8 de la CEDH tout en tenant compte des exigences de son article 8.2. Il appartient au juge de reconnaître et de protéger ces droits.

K.            Que les modalités d'exécution de la peine soient de la compétence du juge, d'une commission de libération conditionnelle, ou d'une autorité administrative, la mise en œuvre de ces mesures doit faire l'objet d'une procédure équitable, être soumise à un contrôle judiciaire ou bénéficier d'un recours devant le juge.

L.            Les principes de confiance et de reconnaissance mutuelles sont les fondements de la construction d’un espace judiciaire européen. Par la reconnaissance mutuelle, les décisions rendues au niveau national ont un impact dans les autres Etats membres, en particulier sur leur système judiciaire. Il est donc essentiel de multiplier les échanges entre professionnels de la justice. Leurs différents réseaux doivent se renforcer, se coordonner et mieux se structurer.

M.           Le CCJE recommande que les Conseils de la justice ou toute autre instance indépendante compétente publient régulièrement un rapport sur l'effectivité de l'exécution. Une section spécifique devrait traiter de l'exécution des décisions de justice à l'encontre des entités publiques.


avis n°14 (2011)

du conseil consultatif de juges europeens (ccje)

a l'attention du comite des ministres du conseil de l'europe

sur

“Justice et technologies de l’information (TI)”

A.                    Introduction 

1.        Le Conseil Consultatif de Juges Européens (CCJE) a reçu pour tâche d'adopter en 2011 un Avis à l'attention du Comité des Ministres sur la dématérialisation de la procédure judiciaire. Le CCJE, dans ses discussions, a conclu que le titre «Justice et technologies de l'information" reflétait plus communément et adéquatementle thème de l’Avis. C’est pourquoi ce nouveau titre a été choisi.

2.        L'Avis a été préparé sur la base des Avis antérieurs du CCJE et de la Magna Carta des Juges ainsi que des réponses des Etats membres à un questionnaire préparé par le CCJE sur la dématérialisation de la procédure judiciaire et d’un rapport préliminaire d’un expert, Mme Dory Reiling (Pays-Bas).

3.        Pour la préparation de cet Avis, le CCJE a également tenu compte des instruments pertinents du Conseil de l’Europe et notamment de la Convention de 1981 pour la protection des personnes à l'égard du traitement automatisé des données à caractère personnel et du rapport «Systèmes judiciaires Européens» (Edition 2010) de la Commission européenne pour l'efficacité de la justice (CEPEJ) (en particulier le chapitre 5.3 sur l'information et les technologies de la communication dans les tribunaux). Il a également eu égard à d’autres instruments juridiques internationaux, en particulier la Stratégie de l'Union européenne sur la Justice européenne et la Directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données.

B.                    Champ d’application de l’Avis et principes généraux

4.        Le présent Avistraite de l’application des technologies de l’information et de communications modernes (TI) dans le cadre des tribunaux. Il se concentre sur les opportunités qu’offrent les TI, ainsi que sur leurs impacts sur le système et le processus judiciaire. Il traite notamment de l'accès à la justice, l’Etat de droit, l'indépendance du juge et du système judiciaire, le fonctionnement des tribunaux et les droits et devoirs des parties. Il ne concerne pas à titre principal des aspects techniques des TI.

5.        Les TI doivent être des outils ou des moyens pour améliorer l’administration de la justice, pour faciliter l’accès des justiciables aux tribunaux et pour renforcer les garanties offertes par l'article 6 de la CEDH, à savoir l'accès à la justice, l'impartialité, l’indépendance du juge, l’équité et le délai raisonnable des procédures.

6.        L'introduction des TI dans les tribunaux en Europe ne doit pas compromettre les aspects humain et symbolique de la justice[144]. Si la justice est perçue par les justiciables comme purement technique, dépourvue de sa fonction réelle et fondamentale, elle risque de se déshumaniser.  La justice est et doit rester humaine car elle traite avant tout des personnes et de leurs litiges. Ceci est particulièrement vrai lorsqu’il s’agit d’évaluer le comportement des parties et de leurs témoins, qui est un exercice qui se fait dans un tribunal par le juge compétent.

7.        La Magna Carta des Juges confie aux juges la coresponsabilité d’un accès rapide, efficace et à un coût raisonnable, aux moyens de résolution des litiges. Les juges doivent identifier les avantages et les inconvénients des TI et identifier et éliminer tout risque pour une bonne administration de la justice. Les TI ne doivent pas diminuer les droits procéduraux des parties. Les juges doivent être conscients de ces risques en tant que responsables de la protection des droits des parties.

8.        Les juges doivent être impliqués dans l'appréciation des impacts des TI, notamment lorsqu’il peut être exigé ou décidé que la documentation ou la procédure soient mises en œuvre par la voie électronique. Les TI ne doivent pas empêcher les juges d’appliquer la loi de façon indépendante et impartiale.

 

9.        L’ensemble des usagers n’a pas toujours accès aux TI. Les moyens traditionnels actuels d’accès à l’information ne devraient pas être supprimés. Des « Help desks » et d’autres formes d’assistance dans les tribunaux ne devraient pas être supprimés au motif erroné que les TI rendent la justice « accessible à tous ». Cet aspect est particulièrement important concernant la protection des personnes vulnérables.

10.      L’utilisation des TI ne devrait pas diminuer les garanties procédurales disponibles pour les personnes qui n’ont pas d’accès aux nouvelles technologies. Les Etats doivent veiller à  fournir une assistance spécifique en la matière aux parties qui ne bénéficient pas d’un tel accès.

11.      Compte tenu du rôle important joué actuellement par les nouvelles technologies dans l’administration de la justice, il est particulièrement important de s’assurer que des difficultés dans le fonctionnement des TI n’empêcheront pas le système judiciaire, même brièvement, de prendre des décisions ou d’accomplir tout acte de procédure utile. Des alternatives appropriées devraient toujours être prévues en cas de maintenance ou d’accident du système informatique, afin d’éviter des perturbations de l’activité des tribunaux.

12.      Le CCJE est d’avis qu’il convient de veiller particulièrement à ce que toute proposition de loi soit préalablement évaluée quant à ses implications éventuelles sur le traitement informatique des affaires. Le CCJE recommande qu’une telle loi n’entre en vigueur qu’après la mise en conformité des systèmes informatiques aux nouvelles exigences et à la formation appropriée du personnel des tribunaux. 

13.      Le traitement informatique des procédures judiciaires est particulièrement important dans le domaine de la coopération judiciaire européenne et internationale. Les dispositifs de TI devraient être spécifiquement pertinents dans des domaines tels que celui de la transmission des commissions rogatoires et d’autres demandes de coopération judiciaire ainsi que pour la notification des actes judiciaires dans les Etats membres et l’obtention transfrontalière des preuves (par exemple, par voie de vidéoconférence). Le CCJE encourage les Etats membres d’une part, à développer les moyens d’accès mutuels aux systèmes informatiques nationaux et d’autre part, à les rendre compatibles entres eux. Ainsi, ils ne constitueront plus un obstacle mais, au contraire, renforceront la coopération des juges dans les différents Etats membres.

14.      Le CCJE salue les solutions envisagées dans les Etats soumis aux normes de l’Union européenne, à savoir ouvrir la possibilité d’une action civile par voie électronique d’un Etat à des résidents d’un autre Etat, ou encore envisager la vidéo conférence dans le contexte de la coopération internationale.

15.      L’utilisation des TI améliore l’accès à la justice, et accroît son efficacité et sa transparence. Néanmoins, les TI requièrent des investissements financiers importants. C’est pourquoi, la recommandation selon laquelle il convient de renforcer l’accès à la justice par l’utilisation de TI doit s’accompagner d’allocations financières appropriées au système judiciaire.

16.      Les données et informations, telles que celles contenues dans les registres, les dossiers individuels, les notes et projets préparatoires, les décisions judiciaires ainsi que les données statistiques concernant l’évaluation du processus judiciaire et de la gestion des tribunaux doivent être gérées avec un niveau approprié de sécurité. Au sein des tribunaux, l’accès à l’information devrait être limité à ceux qui en ont besoin pour l’accomplissement de leurs tâches.

17.      Compte tenu de la nature des contentieux traités par les juridictions, la mise à disposition en ligne sur internet de certaines décisions de justice est susceptible de mettre en péril le droit à la vie privée des personnes et de porter atteinte aux intérêts des entreprises. C’est pourquoi, les tribunaux et les systèmes judiciaires devraient s’assurer que des mesures appropriées soient prises pour la protection des données conformément au droit applicable en la matière.

18.      Le CCJE encourage le développement des TI en tant qu’outils pouvant améliorer la communication entre les tribunaux et les médias, par exemple en donnant aux médias un accès plus facile aux décisions judiciaires ainsi qu’une notification des audiences à venir.

 

C.                    Les TI et l’accès à la justice

19.      Des informations complètes, précises et mises à jour concernant la procédure constituent un aspect fondamental garantissant l’accès à la justice tel que mentionné dans l’article 6 de la Convention (CEDH). Les juges doivent donc s’assurer que des informations précises sont à disposition de toute personne engagée dans la procédure. De telles informations devraient en général inclure des précisions ou les exigences nécessaires pour saisir la juridiction. De telles mesures sont nécessaires pour permettre l’égalité des armes requise.

20.      En toute hypothèse, la justice ne peut être déconnectée du justiciable et le développement des TI ne peut justifier la suppression de tribunaux.

21.      Les TI créent de nouvelles opportunités pour fournir aux justiciables des informations générales sur les systèmes judiciaires, leurs activités, la jurisprudence, les coûts des procédures, ADR, etc. Le CCJE recommande que les systèmes judiciaires aient largement recours à l’internet et aux nouvelles technologies pour fournir au public les éléments qui doivent être, selon son Avis n°6 (paragraphes 12 et suivants) diffusés.

22.      Les TI sont un outil précieux au service des tribunaux. Ils peuvent également améliorer les moyens par lesquels les tribunaux fournissent des informations détaillées aux personnes intéressées sur les procédures en général. C’est pourquoi le CCJE recommande la mise en place dans les tribunaux d’un service d’information facilement accessible.

23.      Les TI permettent aux usagers d’intenter des actions judiciaires (e-filing) par voie électronique. Le CCJE encourage le développement de cette pratique[145].

24.      Le CCJE estime que le système judiciaire devrait rendre la jurisprudence, ou du moins les décisions importantes, disponible(s) sur internet i) gratuitement, ii) sous une forme aisément accessible, et iii) en tenant compte de la protection des données personnelles. Le CCJE se félicite des initiatives visant à introduire des identificateurs de jurisprudence internationale (telles que le système ECLI de l’Union européenne[146]) qui amélioreraient l’accès à la jurisprudence étrangère. 

D.                    Les TI dans la procédure judiciaire

25.      Les TI offrent des opportunités pour un traitement des affaires efficace, transparent et sûr.

26.      L’informatisation aide les juridictions non seulement en rationalisant la gestion des dossiers mais aussi en facilitant l’enregistrement et le suivi des affaires. Par ce biais, le traitement des séries de dossiers et des affaires connexes serait assuré dans des conditions de plus grande sécurité ; des modèles peuvent être conçus pour l’élaboration des décisions judiciaires ou d’autres mesures; des statistiques multicritères pour chaque type de contentieux pourraient être publiées.

27.      L’informatisation permet également d’améliorer le travail du juge, par exemple en mettant en place des bases de données avec des liens renvoyant aux décisions, à la  législation, à des études portant sur des questions de droit identiques, aux commentaires doctrinaux des décisions rendues par une juridiction et aux autres formes de partage du savoir entre juges. Les moyens d’information les plus avancés et les plus complets existant sur le marché devraient être mis gratuitement à disposition des juges, qui doivent pouvoir vérifier toutes les sources d’informations juridiques disponibles aux autres acteurs du procès (avocats de la défense, experts, etc.). Les outils d’aide à la décision judiciaire doivent être conçus et perçus comme une aide auxiliaire au processus de décision du juge, permettant de faciliter son travail, et non comme une contrainte.

28.      L’utilisation des TI ne saurait toutefois ni diminuer les garanties de la procédure (ou affecter la composition du tribunal), ni, en aucun cas, priver le justiciable de son droit à un débat contradictoire devant un juge, à la production de preuves en original, à faire entendre des témoins ou experts et à présenter toute pièce ou contestation qu’il estimera utile. Par ailleurs, l’utilisation des TI ne doit pas porter atteinte à l’obligation de procéder à des auditions et à l’accomplissement de toutes les formalités substantielles prévues par la loi. Le juge doit également conserver à tout moment le pouvoir d’ordonner la comparution des parties, la production de pièces en original et l’audition de témoins. Les impératifs de sécurité ne doivent pas être un obstacle à ces possibilités.

29.      L’utilisation des TI simplifie les échanges de documents. Les parties et leurs représentants peuvent obtenir des informations sur les affaires dans lesquelles ils sont impliqués. Ainsi, il leur est possible de connaître l’état d’avancement de leur affaire en accédant à l’historique informatique du dossier.

30.      La vidéoconférence permet de faciliter la tenue d’audiences lorsqu’une sécurité élevée est nécessaire pour l’audition à distance des témoins et experts. Elle peut, toutefois, avoir pour inconvénient une perception moins directe ou précise par le juge des propos et réactions des parties, des témoins ou des experts. Une attention particulière devrait être apportée au fait que la vidéoconférence et les preuves présentées par ce biais ne devraient jamais diminuer les garanties de la défense.

31.      Le rôle des TI doit rester limité à remplacer ou à simplifier les actes de procédure permettant de prendre une décision individualisée sur le bien-fondé d’une affaire. Les nouvelles technologies ne peuvent remplacer le pouvoir du juge de constater et apprécier les preuves, de déterminer la loi applicable et de prendre une décision sans autres restrictions que celles prévues par la loi.

E.                    L’administration des TI

32.      Les TI doivent permettre de renforcer l'indépendance des juges à tous les stades de la procédure et non de la mettre en cause. Dans la mesure où les juges jouent un rôle important pour protéger leur indépendance individuelle et institutionnelle ainsi que leur impartialité, ils doivent être impliqués dans les décisions qui ont des conséquences dans ces domaines.

33.      Un accès à l’information par le biais des TI peut contribuer à une plus grande autonomie de travail du juge dans l'exercice de ses fonctions.

34.      Un excès de dépendance à la technologie et à ceux qui la contrôlent est un risque pour la justice. La technologie doit être adaptée au processus judiciaire et à tous les aspects du travail du juge. Les juges ne doivent pas être soumis, pour des raisons d’efficacité uniquement, aux impératifs technologiques et à ceux qui contrôlent la technologie. La technologie doit également être adaptée au type et au niveau de complexité des affaires.

35.      Le CCJE considère qu’aucune injonction, qu’aucun modèle ou qu’aucune autre suggestion concernant les formes ou le contenu des décisions ne saurait être adressé aux juges par quelque autorité que ce soit pour des motifs de nécessité due à l’architecture des systèmes de technologies nouvelles. Au contraire, cette architecture doit être flexible et à même de s’adapter à la pratique judiciaire et à la jurisprudence.

36.      Un dialogue est absolument nécessaire entre ceux qui développent la technologie et les responsables du processus judiciaire. La gestion informatique devrait appartenir au Conseil de la justice ou à toute autre instance indépendante équivalente. Quelle que soit l’instance en charge de la gestion informatique, il est nécessaire de s’assurer que les juges soient activement impliqués dans la prise de décision concernant les TI au sens large.

37.      Les juges doivent bénéficier de souplesse lorsqu'il s'agit de décider comment gérer les affaires et l’organisation du travail. Le système de traitement des affaires ne doit pas limiter cette souplesse.

38.      Les juges ont le droit mais également le devoir de suivre une formation initiale et continue en matière de TI, de sorte qu’ils soient en mesure de faire usage pleinement et de manière appropriée des systèmes de TI.

 

39.      Les TI sont un outil important pour renforcer la transparence et l’objectivité dans la distribution des affaires et pour améliorer la gestion des affaires. Ils peuvent jouer un rôle concernant l’évaluation des juges et des tribunaux. Cependant, les données collectées par les systèmes informatisés ne peuvent être les seules bases pour une analyse du travail individuel des juges. Ces données statistiques devraient être examinées par le Conseil de la Justice ou un autre organe indépendant équivalent[147].

40.      La gestion etle développement des TI représentent un défi pour toute organisation. Pour le système judiciaire, ils présententun défi nouveau et exigeantpour ses structures de gestion et une opportunité pour développer l'indépendance institutionnelle.

41.      Le financement des TI devrait être basé sur le fait qu’ils contribuent à l'amélioration des performances des tribunaux et de la justice, de la qualité de la justice et du service au citoyen.

F.                    Conclusions - Recommandations

i.              Le CCJE encourage les TI comme un moyen d’améliorer l’administration de la justice ;

ii.             Les TI peuvent contribuer à améliorer l'accès à la justice, la gestion des dossiers et l'évaluation du système de justice ;

iii.            Les TI jouent un rôle primordial dans la fourniture d’informations aux juges, avocats et autres intervenants au sein du système judiciaire, ainsi qu’au public et aux médias ;

iv.           Les TI doivent être adaptés aux besoins des juges et des autres usagers, ils ne doivent jamais porter atteinte aux garanties et aux droits procéduraux tel que ceux assurant un procès équitable devant un juge ;

v.            Les juges devraient être impliqués dans toutes les décisions concernant la mise en place et le développement des TI au sein du système judiciaire ;

vi.           Une attention particulière doit être portée aux besoins des personnes qui ne sont pas en mesure d'utiliser les TI ;

vii.          Le juge doit avoir à tout moment le pouvoir d’ordonner la comparution des parties, la production de pièces en original et l’audition de témoins ;

viii.         Le CCJE encourage l’utilisation de tous les moyens d’information pour promouvoir le rôle important du système judiciaire en garantissant l’Etat de droit dans un Etat démocratique ;

ix.           Les TI ne sauraient être une entrave aux pouvoirs du juge et aux principes fondamentaux consacrés par la Convention.



avis n°15 (2012)

du conseil consultatif de juges europeens (ccje)

a l'attention du comite des ministres du conseil de l'europe

sur

la spécialisation des juges

Introduction

1.            Conformément au mandat que lui a confié le Comité des Ministres, le Conseil Consultatif de Juges européens (CCJE) a décidé de préparer en 2012 un Avis sur la spécialisation des juges.

2.            L’Avis a été préparé sur la base des Avis antérieurs du CCJE, de la Magna Carta des Juges, des réponses des Etats membres à un questionnaire sur la spécialisation des juges préparé par le CCJE, ainsi que d’un rapport préliminaire de l’expert du CCJE, Mme Maria Giuliana Civinini (Italie).

3.            Pour la préparation de cet Avis, le CCJE s’est également fondé sur l’acquis du Conseil de l’Europe, notamment la Charte européenne sur le statut des juges, la Recommandation Rec (2010)12 du Comité des ministres aux Etats membres sur les juges: indépendance, efficacité et responsabilités, et le rapport « Systèmes judiciaires européens » (édition 2010) de la Commission européenne pour l’efficacité de la Justice (CEPEJ)[148].

4.            Les réponses des Etats membres au questionnaire et le rapport de l’expert démontrent que la spécialisation des juges ou des juridictions est largement répandue parmi les Etats membres. Cette spécialisation est une réalité et revêt les formes les plus diverses, soit par la création de sections spécialisées au sein même des juridictions, soit par la création de juridictions spécialisées. Cette tendance est générale en Europe[149].

5.            Dans le cadre du présent Avis, le juge spécialisé est le juge qui traite des matières limitées du droit (par exemple, droit pénal, droit fiscal, droit familial, droit économique et financier, droit de la propriété intellectuelle, droit de la concurrence) ou des affaires relatives à des situations particulières dans des domaines spécifiques (par exemple, social, économique, familial).

6.            Les jurés des juridictions criminelles[150] ne sont pas compris dans les juges spécialisés mentionnés ci-dessus. En effet, ils ne siègent pas dans toutes les affaires pénales. Ils n’ont pas le statut de magistrat, comme les autres membres de l’ordre judiciaire, ne font pas partie de la hiérarchie judiciaire et ne sont pas soumis à la discipline et à la déontologie des juges.

7.            Le but du présent Avis est d’examiner les problèmes principaux liés à la spécialisation, en tenant compte de la nécessité absolue de garantir la sauvegarde des droits fondamentaux et la qualité de la justice ainsi que le statut des juges.

A.            Avantages et inconvénients possibles de la spécialisation

a.             Avantages possibles de la spécialisation

8.            La spécialisation résulte souvent moins d'un choix que de la nécessité de s'adapter au développement du droit. L’adoption constante de nouvelles législations, que ce soit sur le plan international, européen ou interne, ainsi que l’évolution de la jurisprudence et de la doctrine font que la science juridique devient toujours plus vaste et complexe. Or, il est difficile pour le juge de maîtriser toutes ces matières alors que la société et le justiciable réclament toujours plus de professionnalisme et d’efficacité de sa part. La spécialisation du juge permet d'assurer qu'il ait les connaissances et l’expérience requises dans son domaine de compétence.

9.            Que le juge dispose de connaissances approfondies du domaine juridique en cause est de nature à favoriser des décisions de meilleure qualité. Le juge spécialisé acquerra une plus grande expertise dans son domaine, ce qui pourra accroître l’autorité de sa juridiction.

10.          La concentration des dossiers entre les mains d'un cercle restreint de juges spécialisés est de nature à favoriser la constance dans les décisions et, par conséquent, la sécurité juridique.

11.          La spécialisation permet au juge, par la répétition des affaires qu’il traite, de mieux comprendre et cerner les réalités qui concernent les litiges qui lui sont soumis, que ce soit sur le plan technique, social ou économique, et donc de trouver des solutions plus appropriées à ces réalités.

12.          Les juges spécialisés, en apportant la connaissance d’autres disciplines que le droit, peuvent favoriser une approche pluridisciplinaire des problèmes à traiter.

13.          La spécialisation, par la connaissance particulière du domaine juridique concerné qu’elle apporte, peut contribuer à accroître l'efficacité du tribunal et à améliorer la gestion des affaires, compte tenu notamment de l’accroissement constant du nombre de celles-ci.

b.            Limites et dangers possibles de la spécialisation

14.          Si la spécialisation est souhaitable à maints égards, elle recèle nombre de dangers dont le principal est l’éventuelle séparation du juge spécialisé du corps des juges généralistes.

15.          Les juges qui, en raison de la spécialisation, ont déjà eu à trancher les problèmes posés, peuvent être enclins à reproduire constamment les mêmes solutions que celles retenues précédemment, ce qui risque d’être défavorable à l’évolution de la jurisprudence en fonction des besoins de la société. Ce danger existe également lorsque dans une matière déterminée, les décisions sont toujours prises par le même nombre restreint de juges.

16.          Les juristes spécialisés ont tendance à développer des concepts propres à leur matière, (souvent) inconnus des autres juristes. Cela peut conduire à un cloisonnement du droit et de la procédure, qui isole le juge spécialisé des réalités juridiques dans les autres matières et l’éloigne potentiellement des principes généraux et des droits fondamentaux, au risque de mettre en péril le principe de la sécurité juridique.

17.           La spécialisation n’est possible que dans des juridictions ayant une taille suffisante. Dans certaines juridictions de taille réduite, il n’est pas toujours possible de créer des chambres spécialisées ou de créer un nombre suffisant de chambres spécialisées. Les juges doivent donc faire preuve de polyvalence afin d’être à même de traiter diverses matières spécialisées. Aussi, une trop grande spécialisation individuelle des juges constituerait une entrave à cette nécessaire polyvalence.

18.          L'existence de juges spécialisés peut, dans certains cas, nuire à l'unité du corps judiciaire. Elle peut donner au juge le sentiment qu’en raison de son expertise dans le domaine spécialisé qui est le sien, il appartient à un groupe de juges d’élite, différents des autres juges. Cela peut également donner l'impression au public que certains juges sont des "super juges" ou, au contraire, qu'un tribunal ne constitue qu'un organe purement technique, distinct du corps judiciaire. Cela pourrait diminuer la confiance du public dans les juridictions qui ne sont pas perçues comme suffisamment spécialisées.

19.          La création d'un tribunal hautement spécialisé peut avoir pour but ou pour effet de séparer le juge du reste du corps judiciaire et, du fait de l’isolement qui en résulte, le rendre plus vulnérable à la pression des parties, des groupes d’intérêts ou des autres pouvoirs de l’Etat.

20.          Dans un domaine du droit restreint, le danger d’une impression de trop grande proximité entre juges, avocats et ministère public lors de journées de formation commune, de conférences ou de réunions est réel. Cela pourrait porter préjudice à l'image de l'indépendance et de l'impartialité du juge, mais peut également réellement exposer ce dernier à un risque d’influence occulte et, partant, d’orientation de sa jurisprudence.

21.          Comme les tribunaux doivent avoir un volume de travail suffisant, la création d'un tribunal spécialisé dans un domaine très limité peut avoir pour effet de concentrer la spécialisation au sein d’un seul tribunal pour tout le pays ou pour une seule région. Il peut en résulter un obstacle à l’accès au juge ou le danger d'éloigner le juge du justiciable.

22.          Le risque existe qu’un juge spécialisé qui fait partie d’une chambre pour lui apporter ses connaissances techniques ou son expertise spécifiques, exprime une opinion personnelle ou prenne en considération des éléments de fait directement avec ses collègues, sans les avoir présentés aux parties[151].

23.          La création de tribunaux spécialisés, en réponse à des préoccupations de l’opinion publique (par exemple, pour traiter des affaires liées aux activités terroristes)[152], peut conduire les pouvoirs publics à accorder à ceux-ci des ressources matérielles et humaines dont les autres tribunaux sont privés.

B.            Principes généraux – respect des droits et principes fondamentaux : position du CCJE

24.          Avant tout, le CCJE insiste sur le fait que le juge, tant généraliste que spécialisé, est le spécialiste de l’art de juger. C’est lui qui dispose du savoir-faire pour analyser et apprécier les faits et le droit et pour prendre des décisions dans les domaines les plus divers. A cette fin, il doit avoir une vaste connaissance des institutions et des principes juridiques.

25.          Il ressort des réponses des Etats membres au questionnaire et du rapport de l’expert que la plus grande partie des affaires soumises aux tribunaux est traitée par des juridictions généralistes. Cela ne fait qu’accentuer le rôle prépondérant des juges généralistes.

26.          En règle générale, le juge devrait être capable de statuer sur des affaires dans toutes les matières. Grâce à sa connaissance générale du droit et des principes qui sont à la base de celui-ci, de son bon sens et de sa connaissance des réalités de la vie, il doit être en mesure d’appliquer la loi, quelle qu’elle soit, y compris dans les domaines spécialisés, si nécessaire avec l’assistance d’experts[153]. En aucun cas son rôle ne saurait être sous-estimé.

27.          Au sein d’une juridiction, l’affectation aux différentes sections spécialisées est généralement attribuée à des juges généralistes qui, au cours de leur carrière, changent plusieurs fois d’affectation. Cela leur confère une large expérience dans divers domaines du droit, leur permettant de s’adapter à de nouvelles affectations et de répondre aux besoins des justiciables. C’est pourquoi, il est indispensable que les juges bénéficient, dès le départ, d’une formation générale qui leur procure la flexibilité et la polyvalence requises pour faire face aux nécessités d’une juridiction à vocation générale, appelée à traiter les matières les plus diverses, même celles comportant un certain degré de spécialisation.

28.          Il n’en demeure pas moins que dans certains domaines, l’évolution du droit est à ce point complexe ou spécifique qu’un examen approprié des affaires qui les concernent réclame un plus haut degré de spécialisation. C’est pourquoi il est recommandé de désigner des juges qualifiés de manière appropriée lorsqu’ils sont chargés de tâches spécifiques.

29.          Le juge spécialisé doit, tout comme les autres juges, répondre aux exigences d’indépendance et d’impartialité requises par l’article 6 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (la Convention). Les tribunaux et juges spécialisés doivent également garantir les autres exigences de cette disposition de la Convention : accès au juge, droit de la défense, droit à un procès équitable et droit d’être jugé dans un délai raisonnable. Il appartient aux tribunaux d’organiser la spécialisation en leur sein de telle manière que ces exigences soient remplies.

30.          Le CCJE estime que la création de sections ou de juridictions spécialisées doit être strictement encadrée : elle ne doit pas mener à une dévalorisation de la mission du juge généraliste et doit, en tout état de cause, présenter les mêmes garanties et assurer la même qualité. Dans le même temps, elle tiendra compte de tout ce qui conditionne la mission du juge : la taille des tribunaux, les nécessités du service, la difficulté croissante pour le juge de maîtriser toutes les matières du droit et le coût de la spécialisation.

31.          En aucun cas, la spécialisation ne saurait enfreindre les exigences de qualité auxquelles tout juge doit répondre. A cet égard, le CCJE rappelle les exigences contenues dans son Avis n° 11 (2008) sur la qualité des décisions de justice, qui sont applicables à tout juge et donc également au juge spécialisé. Tout doit être mis en œuvre pour que l’administration de la justice soit assurée dans des conditions optimales devant les juridictions spécialisées.

32.          En règle générale, c’est la procédure de droit commun qui doit être applicable devant les juridictions spécialisées. En effet, l’introduction de procédures spécifiques pour chaque juridiction spécialisée risque de produire une multiplication de celles-ci, mettant en péril l’accès à la justice et la sécurité juridique. Des règles de procédure particulières ne sont admissibles que lorsqu’elles répondent aux besoins qui justifient la création de la juridiction spécialisée (ex. : les procédures relatives au droit de la famille dans lesquelles l’audition des enfants est soumise à certaines règles garantissant l’intérêt de ceux-ci).

33.          Il faut toujours veiller à ce que les principes du procès équitable soient respectés, à savoir l'impartialité du tribunal dans son entièreté et la liberté du juge d'apprécier les éléments de preuve. Il est également crucial que lorsque le système d’un assesseur ou d’un expert siégeant dans un tribunal aux côtés d’un juge professionnel existe, les parties conservent la possibilité de contredire l’avis donné au juge professionnel par l'assesseur ou l'expert. Dans le cas contraire, un tel avis pourrait faire partie du jugement sans que les parties aient eu la possibilité de le contester. Le CCJE estime que la préférence doit être donnée à un système dans lequel le juge désigne un expert ou dans lequel les parties peuvent elles-mêmes appeler à témoigner des experts dont les constats et conclusions peuvent être contestés et débattus entre les parties devant le juge.

34.          Qu’elles soient soumises à un juridiction spécialisée ou non, toutes les affaires doivent être traitées avec la même diligence. Il n’y a aucune raison d’accorder une plus grande priorité à une affaire traitée par une juridiction spécialisée. Les seules priorités admissibles sont celles fondées sur des nécessités objectives, telles que celles impliquant une privation de liberté ou des mesures urgentes à prendre en matière de garde d’enfants, de protection des biens ou des personnes, d’environnement, de santé publique, d’ordre public ou de sécurité.

35.          Si les juridictions spécialisées doivent bénéficier de toutes les ressources humaines, administratives et matérielles nécessaires à l’accomplissement de leur mission, cela ne saurait se faire au détriment des autres juridictions qui doivent bénéficier des mêmes conditions en matière de ressources.

36.          Le CCJE est d’avis qu’une plus grande mobilité et flexibilité des juges peut être un remède aux possibles inconvénients de la spécialisation mentionnés ci-dessus. Les juges devraient pouvoir changer de juridiction ou de spécialisation, voire même passer d’une fonction spécialisée à une fonction généraliste ou inversement. Mobilité et flexibilité permettront au juge non seulement d’avoir une carrière plus variée et plus riche, mais également de se remettre en question et de s’ouvrir aux autres disciplines du droit, ce qui ne peut que bénéficier à l’évolution de la jurisprudence et du droit. Cela ne saurait mettre en péril le principe d’indépendance et d’inamovibilité du juge[154].

37.          La spécialisation du juge en raison de la complexité ou spécificité de certains domaines du droit est étrangère à la création, en raison de circonstances particulières, de tribunaux d’exception, ad hoc ou extraordinaires. Le danger peut exister que ces juridictions ne présentent pas toutes les garanties consacrées par l’article 6 de la Convention. Le CCJE a déjà eu l’occasion d’exprimer ses objections contre la création de telles juridictions et renvoie à cet égard à ce qui est exposé dans son Avis n° 8 (2006) sur le rôle des juges dans la protection de l’Etat de droit et des Droits de l’homme dans le contexte du terrorisme. En tout état de cause, le CCJE insiste sur le fait que si de telles juridictions sont néanmoins créées, elles doivent remplir toutes les garanties des juridictions ordinaires.

38.          En tout état de cause, le CCJE estime que la spécialisation ne se justifie que si elle procure une plus-value à l’administration de la justice, c’est-à-dire si elle s’avère préférable pour assurer la qualité tant des procédures que des décisions judiciaires.

C.         Certains aspects concernant la spécialisation

1.             Spécialisation des juges

39.          Pour le CCJE, les principes énoncés dans cet avis sont applicables aux types de juridictions spécialisées décrites ci-après.

40.          Les réponses au questionnaire révèlent des différences importantes entre Etats membres concernant les catégories de juges intervenant dans les juridictions « spécialisées ».

41.          La spécialisation peut présenter différentes formes. Il existe, selon le système légal en vigueur dans les Etats membres concernés, soit des tribunaux spécialisés distincts de l’organisation judiciaire, soit des tribunaux ou sections spécialisés intégrés dans le système judiciaire ordinaire. La compétence territoriale des tribunaux ou sections spécialisés sera souvent différente de celle des tribunaux ordinaires. Ces juridictions sont souvent moins nombreuses, voire présentes uniquement dans la capitale du pays. Les tribunaux et sections spécialisés peuvent inclure des juges non professionnels.

42.          Le moyen le plus répandu de mettre en œuvre la spécialisation est de créer des chambres ou sections spécialisées et ce souvent par le biais du règlement interne des tribunaux. Les principaux secteurs concernés par la spécialisation sont: le droit de la famille et le droit des enfants, le droit de la propriété intellectuelle, le droit commercial, le droit des faillites, les crimes graves, les enquêtes criminelles et l’exécution des sanctions pénales.

i.             « Juges non juristes »

43.          Dans de nombreux Etats membres, il y a des tribunaux spécialisés composés d’un ou plusieurs juges bénéficiant d’une formation juridique et d’un ou plusieurs membres de la juridiction non juristes. Il existe une large variété de « juges non juristes », et il est impossible de les envisager ici. De manière fréquente, ces « non juristes » soit représentent l’un ou l’autre groupe d’intérêts (par exemple, employeurs ou employés, propriétaires et locataires, échevins), soit ont une expertise spécifique adaptée au tribunal concerné.

 

ii.            Juges professionnels

44.          Les juges professionnels peuvent se spécialiser de différentes manières. Ils peuvent acquérir de l'expérience, soit en tant que juristes spécialisés avant d’être nommés juges, soit en assumant des fonctions spécialisées après leur nomination. Ils peuvent aussi recevoir une formation spécifique dans un domaine spécialisé puis être nommés dans un tribunal spécialisé ou traiter des affaires spécialisées dans un tribunal généraliste.

45.          La spécialisation aux échelons supérieurs de la pyramide judiciaire, lorsqu’elle existe, ne doit pas empêcher une certaine polyvalence, afin que les affaires les plus diverses puissent être gérées avec flexibilité au plus haut niveau. Cette souplesse est indispensable pour que les juridictions supérieures remplissent leur mission légale et constitutionnelle, à savoir garantir l’unité et la cohérence de l’interprétation et de l’application de la loi et de la jurisprudence. Cette flexibilité garantira également qu’en degré d’appel et au niveau des cours suprêmes, les domaines spécialisés ne soient pas l’apanage d’un groupe (trop) restreint de juges qui peuvent être en position d’imposer leurs vues dans une matière déterminée et, de ce fait, entraver les développements de l’interprétation de la loi dans ce domaine.

2.            Spécialisation de certains tribunaux ou de juridictions faisant partie d'un groupe

46.          Dans certains systèmes judiciaires, il existe des tribunaux spécialisés, distincts des tribunaux généralistes[155]. Parfois, ces juridictions distinctes ont vu le jour grâce aux instruments de l’Union européenne prévoyant la création de tribunaux spécialisés ou de sections spécialisées dans des tribunaux à compétence plus large[156]. Dans d’autres cas, le tribunal spécialisé peut aussi faire partie d'un groupe de tribunaux[157]. Dans chacun de ces cas, le tribunal est spécialisé, tout comme le sont les juges qui en font partie. La structure judiciaire de chaque pays s'explique en partie par des raisons historiques et en partie par le besoin d’un type particulier de juridiction spécialisée ou de juge spécialisé au sein de cette juridiction.

3.            Répartition régionale des juges spécialisés

47.          Il convient de garder à l’esprit que dans certains domaines très spécialisés, les affaires portées devant les tribunaux sont extrêmement rares. Il peut alors être nécessaire de concentrer les juges spécialisés dans un seul et même tribunal, afin que la charge de travail individuelle soit équilibrée et qu'ils puissent aussi s'acquitter d'autres tâches non spécialisées. Cependant, si cette concentration est excessive, le tribunal spécialisé risque de s'éloigner des justiciables, ce que le CCJE estime devoir être évité.

4.            Ressources humaines, matérielles et financières

48.          Il est indispensable que les juges et tribunaux spécialisés soient dotés de ressources humaines et matérielles adéquates, en particulier en matière de technologies de l'information.

49.          Lorsque la charge de travail prévisible des tribunaux spécialisés est minime par rapport à celle des autres juridictions, il faudrait envisager de développer et d'utiliser, en commun, les ressources et les technologies utiles à plusieurs tribunaux spécialisés ou, mieux encore, à tous les tribunaux. La mise en commun des ressources humaines et matérielles peut être un moyen d’éviter les problèmes liés à l'organisation de la spécialisation. La création de vastes « centres de justice » regroupant des tribunaux et collèges généralistes et spécialisés risque cependant d’accroître la distance entre les tribunaux et d’entraver ainsi l'accès à la justice.

50.          Les besoins et les coûts des tribunaux et juges spécialisés peuvent dépasser ceux des tribunaux et juges généralistes, par exemple parce qu’il faut prendre des précautions particulières, parce que les dossiers sont volumineux ou parce que les procès, et donc les jugements, exigent du temps.

51.          Lorsque dans un domaine spécialisé, il est possible d’identifier de tels facteurs de coûts supplémentaires, il peut être justifié de mettre des frais de justice plus élevés à charge de certaines parties afin de couvrir totalement ou partiellement ces coûts. Ce principe peut s'appliquer par exemple aux affaires commerciales ou relatives au droit de la construction, aux brevets ou au droit de la concurrence, mais  non, par exemple, aux affaires concernant la garde d'enfants, les rentes alimentaires pour enfant ou d’autres domaines liés à la famille. Le coût supplémentaire engendré par les affaires spécialisées devrait être proportionnel à la charge de travail liée à la spécialisation et aux avantages apportés par celle-ci aux parties comme aux tribunaux. De même, la création de tribunaux spécialisés dans le simple but d'obtenir davantage de ressources ne saurait se justifier.

D.         Spécialisation et statut du juge

1.            Statut du juge spécialisé

52.          Dans tous les types de spécialisation ci-dessus mentionnés, il importe que la spécialisation n’affecte pas le rôle du juge en tant que membre du corps judiciaire. Elle ne saurait déroger de quelque manière que ce soit au principe de l'indépendance de la justice sous tous ses aspects (c'est-à-dire l’indépendance des tribunaux et des juges, voir Avis n° 1 (2001) du CCJE).

53.          Le principe directeur doit consister à traiter les juges spécialisés, pour ce qui est de leur statut, de la même manière que leurs collègues généralistes. Les lois et les règles régissant les nominations, les mandats, les promotions, l’inamovibilité et la discipline devraient donc être identiques pour les uns et les autres.

54.          Ceci peut être atteint par l’existence d’un corps unique pour les juges, tant généralistes que spécialisés. L’unicité du statut du juge est une garantie pour le respect par le juge des droits et principes fondamentaux qui doivent être appliqués de manière générale. C'est pourquoi le CCJE n'est pas favorable à la création de systèmes ou d’organes judiciaires distincts selon leur spécialisation, dans lesquels les juges risqueraient d’être soumis à différentes règles dans des organisations différentes.

 

55.          Le CCJE est conscient que dans de nombreux systèmes européens, la tradition veut qu’il y ait des ordres judiciaires distincts (par exemple, entre les juges ordinaires et administratifs). Ils peuvent également être liés aux différences qui existent dans les statuts des juges. Il considère que de tels systèmes distincts peuvent compliquer l’administration de la justice ou l’accès à celle-ci.

56.          Selon le CCJE, il faut s’assurer que :

           

-         les litiges de compétence n’aient pas pour effet une restriction de l’accès à la justice ou des délais de procédure contraires à l’article 6 de la Convention;

-         un accès approprié à un autre ordre judiciaire ou à des juridictions, instances ou fonctions judiciaires spécialisées soit ouvert à tous les juges; 

-         tous les juges de même expérience bénéficient de la même rémunération, à l’exception d’indemnités spécifiques résultant de tâches spéciales (voir paragraphe suivant).

57.          Le principe d'égalité entre juges généralistes et juges spécialisés devrait également s'appliquer aux questions de rémunération. La Recommandation Rec(2010)12 du Comité des ministres prévoit, dans son article 54, que la rémunération des juges devrait être « à la mesure de leur rôle et de leurs responsabilités », notamment pour « les mettre à l’abri de toute pression visant à influer sur leurs décisions»[158]. A cet égard, il n’est pas justifié d’attribuer un complément de rémunération ou un émolument supplémentaire au seul motif de la spécialisation, car la spécificité de la profession et les responsabilités qui en découlent sont en principe équivalentes, que le juge soit généraliste ou spécialisé. Un complément de rémunération, un émolument supplémentaire ou certaines indemnités (par exemple, en cas de prestations de nuit) ne peuvent dès lors se justifier que lorsqu’il existe des raisons spécifiques de constater que la particularité de la profession du juge spécialisé ou ses responsabilités (y compris les contraintes personnelles liées à une fonction spécialisée) exigent une telle compensation.

58.          Les règles relatives à la déontologie et à la responsabilité pénale, civile et disciplinaire doivent être identiques pour tous les juges, généralistes ou spécialisés. Les normes de conduite énoncées dans l’Avis n° 3 (2002) du CCJE doivent s'appliquer aux uns comme aux autres. Aucun motif pertinent ne justifie un traitement différencié.

59.          Dans les cas où le juge spécialisé a affaire exclusivement à un petit groupe de juristes spécialisés ou de parties, il/elle doit être encore plus soucieux d’avoir un comportement garantissant son impartialité et son indépendance.

2.            Evaluation et promotion

60.          Les critères d'évaluation du travail du juge sont nombreux et décrits dans les Avis N° 3 et 10 (2007) du CCJE. La spécialisation en soi ne justifie pas de valoriser davantage le travail du juge spécialisé ; le juge généraliste peut être tout aussi compétent que le juge spécialisé. La flexibilité dont un juge fait preuve en acceptant de se spécialiser dans un ou plusieurs domaines peut être un aspect important de l’évaluation du travail du juge.

61.          Le Conseil de la Justice ou tout autre organe indépendant chargé de l’évaluation devrait, dès lors, se montrer très prudent pour déterminer si la performance d'un juge spécialisé est comparable à celle d'un juge généraliste. L’exercice exige une attention et un soin particuliers car il est généralement plus facile de dresser un bilan précis de la performance d'un généraliste que de celle d'un spécialiste dans la mesure où ce dernier peut faire partie d'un groupe restreint et où son travail n'est pas nécessairement aussi transparent pour l'évaluateur ou connu de lui.

62.          Ces considérations valent également pour les questions de promotion[159]. Pour le CCJE, rien ne justifie d'accorder plus rapidement une promotion à un juge spécialisé au seul motif de sa spécialisation.

3.            Accès à la formation et à la spécialisation

63.          Les principes énoncés dans l’Avis n° 4 (2003) du CCJE au sujet de la formation générale s'appliquent aussi à la formation spécialisée. Les juges spécialisés ayant, en principe, le même statut que les juges généralistes, les exigences visant à garantir l'indépendance de la justice et la meilleure formation possible concernent à la fois les domaines des généralistes et des spécialistes. De manière générale, les formations doivent être accessibles à tous les juges.

64.          En principe, il faudrait respecter le vœu d'un juge de se spécialiser. A cet égard, le CCJE renvoie à son Avis n°10, en particulier ses dispositions sur la sélection des juges. Une formation suffisante[160] devrait être fournie dans un délai raisonnable et dispensée avant l’affectation du juge au domaine de spécialisation souhaité et devrait s'achever peu avant le début de ces nouvelles fonctions.

65.          Il doit y avoir un équilibre entre, d’une part, les exigences et l'utilité de la formation et, d’autre part, les moyens disponibles. Ainsi, une formation spécialisée ne saurait être envisagée lorsque les ressources nécessaires font défaut ou lorsqu’elles ne peuvent être dégagées qu'aux dépens de besoins de formation plus importants. Une affectation à un domaine spécialisé ne peut être demandée, par exemple, si la charge de travail prévisible dans cette matière est trop réduite pour justifier l’existence de tribunaux ou chambres spécialisés. La taille du tribunal, de son ressort, de la région, voire de l'Etat, peuvent dicter des solutions différentes concernant la spécialisation et la formation dans des domaines particuliers. Si les circonstances s'y prêtent, la coopération en matière de formation continue au-delà des frontières nationales peut être utile.

4.            Rôle du Conseil de la justice

66.          Les prérogatives et responsabilités du Conseil de la Justice, lorsqu’un tel organe existe, ou d’un organe équivalent doivent s'appliquer de la même manière aux juges généralistes et spécialisés. Les juges spécialisés devraient être représentés ou avoir la possibilité d'exposer leurs problèmes au même titre que les juges généralistes. Tout traitement préférentiel de l'un ou l'autre groupe devrait être évité dans l'intérêt du public.

5.             Spécialisation et participation à des associations de juges

67.          Les juges spécialisés doivent avoir le droit, comme tous les juges, d'adhérer à des associations de juges et d’en rester membres. Pour la cohésion du corps judiciaire, il n'est pas souhaitable qu'il existe des associations distinctes pour les juges spécialisés. Il convient de répondre à l’intérêt qu’ils portent à des domaines spécifiques du fait de leur spécialisation par le biais d’échanges professionnels, de conférences, de réunions, etc., mais leurs intérêts liés à leur statut peuvent et devraient être protégés au sein d'une association générale de juges.

Conclusions

i.             Le CCJE insiste sur le fait que le juge, tant généraliste que spécialisé, est le spécialiste de l’art de juger.

ii.            En principe, les juges « généralistes » devraient avoir un rôle prédominant dans l’art de juger.

iii.           Des juges et des tribunaux spécialisés ne devraient être mis en place que lorsque cela est rendu nécessaire pour une bonne administration de la justice, en raison de la complexité ou de la spécificité du droit ou des faits.

iv.           Les juges et tribunaux spécialisés devraient toujours faire partie d’un corps judiciaire unique.

 

v.             Les juges spécialisés doivent, comme les juges généralistes, respecter les exigences d'indépendance et d'impartialité, conformément à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme.

vi.           En principe, les juges généralistes et spécialisés devraient bénéficier du même statut. Les règles d'éthique et de responsabilité du juge doivent être les mêmes pour tous.

vii.          La spécialisation ne doit pas se faire au détriment de la qualité de la justice, que ce soit dans les tribunaux "généralistes" ou spécialisés.

viii.        La mobilité et la flexibilité du juge seront souvent suffisantes pour répondre aux besoins de spécialisation. En principe, la possibilité de se spécialiser et de se former en conséquence devrait être à la portée de tout juge. La formation spécialisée devrait être organisée par les institutions judiciaires publiques de formation.

ix.            Plutôt que de faire siéger des assesseurs non juristes spécialisés dans des collèges de juges, il est préférable que des experts soient désignés par le tribunal ou les parties et que leurs avis soient susceptibles d’être discutés par ces dernières.

x.            Les pouvoirs et responsabilités du Conseil de la Justice ou d’un organe équivalent devraient s'appliquer de la même manière aux juges généralistes et spécialisés.



avis n°16 (2013)

du conseil consultatif de juges europeens (ccje)

a l'attention du comite des ministres du conseil de l'europe

sur

les relations entre les juges et les avocats

I. INTRODUCTION

1.      Conformément au mandat que lui a confié le Comité des Ministres, le Conseil consultatif de juges européens (CCJE) a décidé de préparer, pour 2013, un Avis sur les relations entre les juges et les avocats pour mieux assurer la qualité et l’efficacité de la justice.

2.      L’Avis a été préparé sur le fondement des Avis antérieurs du CCJE et des instruments pertinents du Conseil de l’Europe, plus particulièrement de la Charte européenne sur le statut des juges (1998), de la Magna Carta des juges (2010) et de la Recommandation du Comité des Ministres CM/Rec(2010)12 sur les juges: indépendance, efficacité et responsabilité. Il tient également compte des Principes fondamentaux relatifs à l’indépendance de la magistrature des Nations Unies (1985), des Principes de base relatifs au rôle du barreau des Nations Unies (1990), des Principes de Bangalore sur la déontologie judiciaire (2002) et le commentaire du Groupe de l'intégrité judiciaire sur les Principes de Bangalore (2007). En outre, l’Avis est fondé sur les travaux du Conseil des Barreaux Européens (CCBE), notamment le Code de déontologie des avocats européens (1998, modifié en 2002 et 2006) et la Charte des principes essentiels de l’avocat européen (2006).

Il prend en compte les réponses des Etats au questionnaire, ainsi que le rapport de l’expert scientifique, Mme Natalie FRICERO (France), de même que les contributions à la conférence organisée conjointement par le CCJE et le Barreau de Paris le 7 novembre 2012 à Paris, et à la conférence organisée le 13 juin 2013 à Rome par le CCJE, le Conseil Supérieur de la Magistrature italien et le Conseil national italien des barreaux.

Le CCJE a également consulté le CCBE dans le cadre de la préparation du présent Avis.

II.    ROLES RESPECTIFS DES JUGES ET DES AVOCATS DANS LE FONCTIONNEMENT DE LA JUSTICE

3.      Un Etat de droit doit organiser son système judiciaire de telle sorte que la primauté du droit et le respect des droits et libertés fondamentaux soient garantis conformément à la Convention Européenne des Droits de l’Homme (ci-après la Convention), ainsi qu’à la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (ci-après la Cour). Les juges ainsi que les avocats ont un rôle essentiel pour réaliser au mieux cet objectif.

Le CCJE a déjà reconnu le rôle primordial de la collaboration des différentes parties concernées au bon fonctionnement de la justice et l’importance des interactions entre ces parties. Ainsi, le CCJE affirme dans son Avis n° 12 (2009), au paragraphe 10, que le partage de principes juridiques et de valeurs éthiques communs par tous les professionnels impliqués dans le processus judiciaire est essentiel pour une bonne administration de la justice.

4.      Les rôles des juges et des avocats dans la procédure judiciaire sont différents, mais la contribution des deux professions est nécessaire à l’élaboration d’une solution équitable et efficace à toutes les procédures conformément à la loi.

5.      Les Principes fondamentaux relatifs à l’indépendance de la magistrature de l’ONU précisent au point n° 2 que les magistrats règlent les affaires dont ils sont saisis impartialement, d’après les faits et conformément à la loi, sans restriction et sans être l’objet d’influences, incitations, pressions, menaces ou interventions indues, directes ou indirectes, de la part de qui que ce soit ou pour quelque raison que ce soit. Dans le même document, le point n° 6 établit qu’en vertu du principe de l'indépendance de la magistrature, les magistrats ont le droit et le devoir de veiller à ce que les débats judiciaires se déroulent équitablement et à ce que les droits des parties soient respectés.

Le CCJE a souligné dans son Avis n° 1 (2001) que  l'indépendance des juges n'est pas une prérogative ou un privilège octroyé dans l'intérêt des juges, mais une condition préalable à l'Etat de droit et une garantie pour ceux qui recherchent et demandent justice.  

6.      Dans le cadre de sa mission et de ses obligations professionnelles qui sont de défendre les droits et les intérêts de son client, l’avocat doit aussi jouer un rôle essentiel dans l'administration de la justice. Dans le commentaire de la Charte des principes essentiels de l’avocat européen du CCBE, le rôle de l’avocat est défini au n° 6 comme suit: « un avocat, qu’il intervienne pour un citoyen, une entreprise ou l’Etat, a pour mission de conseiller et de représenter fidèlement le client, d’agir comme un professionnel respecté par les tiers, et un acteur indispensable à une bonne administration de la justice. En intégrant tous ces aspects, l’avocat, qui sert les intérêts de son client et veille au respect des droits de ce dernier, assure également une fonction sociale, qui est de prévenir et d’éviter les conflits, de veiller à les résoudre conformément au droit, pour favoriser l’évolution du droit et défendre la liberté, la justice et l’Etat de droit ». Comme l’indique le paragraphe 1.1 du Code de déontologie des avocats européens du CCBE, le respect de la mission de l’avocat est une condition essentielle à l’État de droit et à une société démocratique. Les Principes de base des Nations Unies relatifs au rôle du barreau précisent que la protection adéquate des libertés fondamentales et des droits de l’Homme, qu’ils soient économiques, sociaux ou culturels ou civils et politiques, dont toute personne doit pouvoir jouir, exige que chacun ait effectivement accès à des services juridiques fournis par des avocats indépendants. Le Principe 12 rappelle que les avocats, en tant qu’agents essentiels de l’administration de la justice, préservent à tout moment l’honneur et la dignité de leur profession.

7.      Le juge et l’avocat doivent être indépendants dans l’exercice de leurs fonctions et doivent aussi être et apparaître indépendants l’un par rapport à l’autre. Cette indépendance est affirmée par le statut et les principes éthiques de chacune des professions. Le CCJE estime que cette indépendance est essentielle au bon fonctionnement de la justice.

Le CCJE se réfère à la Recommandation CM/Rec (2010)12, paragraphe 7, qui déclare que l'indépendance des juges devrait être garantie au niveau juridique le plus élevé possible. L'indépendance des avocats devrait être garantie de la même manière.

8.      Le CCJE se réfère au paragraphe 12 de la Recommandation CM/Rec(2010)12, qui précise que, sous réserve du respect de leur indépendance, les juges et le pouvoir judiciaire devraient entretenir des relations de travail constructives avec les institutions et les autorités publiques participant à la gestion et à l’administration des tribunaux ainsi qu’avec tous les professionnels dont les tâches sont en lien avec celles des juges, afin de permettre que soit rendue une justice efficace.  Des relations constructives sont également nécessaires dans la conduite des procédures afin d'obtenir une solution équitable et efficace aux litiges faisant l’objet de celles-ci. 

 

9.      Deux domaines de relations entre juges et avocats peuvent être distingués:

-      d’une part, les relations entre les juges et les avocats qui résultent des principes et des règles de procédure dans chaque État et qui ont une incidence directe sur l’efficacité et la qualité des procédures judiciaires.  Dans son Avis n° 11 (2008) sur la qualité des décisions de justice, le CCJE a déjà précisé dans ses conclusions et recommandations que le niveau de qualité des décisions de justice résulte clairement des interactions entre les nombreux acteurs du système judiciaire;

-      d’autre part, les relations qui résultent des comportements déontologiques des juges et des avocats, et qui imposent un respect mutuel des rôles de chacun et un dialogue constructif entre les juges et les avocats.

III.  AMELIORATION DES RELATIONS PROCEDURALES, DIALOGUE ET  COMMUNICATION DANS LES PROCEDURES

10.    Les juges et les avocats partagent une obligation fondamentale: le respect des règles procédurales et des principes du procès équitable.

 

Le CCJE est d'avis que des relations constructives entre les juges et les avocats amélioreront la qualité et l'efficacité de la procédure. Elles permettront aussi de répondre aux besoins des parties : les justiciables s’attendent à ce que eux et leurs avocats soient  entendus et à ce que les juges et les avocats contribuent ensemble à une solution équitable  de leur affaire conformément à la loi et dans un délai raisonnable. 

11.    Cependant, la qualité et l'efficacité des procédures judiciaires dépendent tout d'abord d’une législation et de règles de procédure adéquates sur les principaux aspects de la procédure pour les affaires civiles, pénales et administratives.Les Etats doivent instaurer des telles dispositions, conforme à l’Article 6 de la Convention. Le processus de rédaction de ces dispositions devrait prévoir une consultation des juges et des avocats, non dans l’intérêt des deux professions, mais dans l'intérêt de la bonne administration de la justice. La consultation des usagers de la justice est également importante. Il est tout aussi essentiel que ces règles procédurales soient régulièrement évaluées et, si nécessaire, mises à jour et que les juges, les avocats et les usagers de la justice soient impliqués dans ce processus. 

12.    Le CCJE est d’avis qu’une telle législation devrait donner au juge des pouvoirs procéduraux effectifs lui permettant de mettre en œuvre les principes du procès équitable, et d’empêcher les délais excessifs ou les manœuvres dilatoires illégitimes. Une telle législation devrait être suffisamment ferme et prévoir des délais clairs tout en permettant la flexibilité nécessaire. 

13.    Les règles procédurales constituent un outil essentiel pour permettre la résolution des litiges. Elles déterminent les rôles respectifs des juges et des avocats. Il est essentiel que les juges et les avocats aient une bonne connaissance et compréhension de ces règles, dans l'intérêt d'un règlement équitable et rapide de la procédure.

14.    Les lignes directrices adoptées au niveau institutionnel peuvent aussi être utiles pour promouvoir la coopération et le dialogue. Le CCJE est d’avis que les tribunaux doivent inciter à la mise en place de bonnes pratiques résultant d’accords entre les tribunaux et les barreaux. Des accords concernant la gestion et la conduite des procédures ont été établis dans de nombreux systèmes judiciaires en prenant des formes diverses[161]. Le CCJE réaffirme que ces accords relatifs à la procédure doivent être conformes aux règles de procédure et être rendues publiques afin d'assurer la transparence pour les avocats et les justiciables.

15.    Dans la pratique, les règles de procédure, que ce soit dans les affaires civiles, pénales ou administratives, sont souvent complexes et permettent une variété de phases dans la procédure et de recours intermédiaires. Cela peut entraîner des retards déraisonnables et des coûts élevés pour les parties ainsi que pour la société. Le CCJE appuie fermement les efforts pour analyser et évaluer les règles de procédure en vigueur dans les Etats membres et élaborer des règles plus transparentes et pertinentes là où elles sont nécessaires.

L’échange international d'expériences, concernant tant les juges que les avocats, devrait  favoriser le développement de «bonnes pratiques» en matière de procédure. Cependant, les différentes traditions sociales et juridiques des pays devraient être prises en compte.

16.    Un même accès à l’information concernant le droit de la procédure et le droit matériel, de même qu’un accès à la jurisprudence la plus importante, devrait être offert aussi largement que possible aux juges et aux avocats. Le CCJE se réfère au paragraphe 24 de l'Avis n° 14 (2011), dans lequel il a estimé que le système judiciaire devrait rendre la jurisprudence, ou du moins les décisions importantes, disponibles sur internet i) gratuitement, ii) sous une forme aisément accessible, et iii) en tenant compte de la protection des données personnelles.

17.    Les juges et les avocats doivent coopérer en vue de répondre aux besoins des parties. À cette fin, le CCJE est d’avis qu'il est important de développer des audiences de planification et des calendriers de procédure afin de faciliter, dans l'intérêt des parties, une coopération efficace entre les juges et les avocats. En outre, les juges et les avocats doivent coopérer pour faciliter un règlement amiable de leur litige dans l’intérêt des parties. Dans son Avis n° 6 (2004), le CCJE a recommandé le développement des modes alternatifs au règlement des litiges. Des sessions de formation commune pourraient améliorer la compréhension du rôle respectif des juges et des avocats dans le cadre des modes alternatifs au règlement des litiges, par les procédures de conciliation ou de médiation.

18.    Il est nécessaire d’établir une bonne communication entre les tribunaux et les avocats pour assurer la célérité et l’efficacité des procédures. Le CCJE est d’avis que les Etats devraient mettre en place des systèmes facilitant une communication par voie informatique entre les tribunaux et les avocats, pour améliorer les services rendus aux avocats et leur permettre de consulter facilement l’état des affaires. Dans son Avis n° 14 (2011) sur « Justice et technologies de l’information », le CCJE note que les technologies de l’information jouent un rôle primordial dans la fourniture d’informations aux juges, avocats et autres intervenants au sein du système judiciaire, ainsi qu’au public et aux médias. 

IV.   DEVELOPPEMENT DE LA COMPREHENSION ET DU RESPECT MUTUELS DES ROLES DE CHACUN – PRINCIPES DEONTOLOGIQUES

19.    Les juges et les avocats disposent chacun de leurs propres principes déontologiques. Cependant, plusieurs principes éthiques sont communs aux juges et avocats, tels que le respect de la loi, le secret professionnel, l'intégrité et la dignité, le respect pour les justiciables, la compétence, l'équité et le respect mutuel.

20.    Les principes éthiques des juges et des avocats devraient aussi concerner les relations entre les deux professions.

Concernant les juges, le CCJE a indiqué dans son Avis n° 3 (2002), paragraphe 23, que les juges devraient manifester la considération due à toutes les personnes (par exemple, parties, témoins, avocats), sans distinction inspirée par des motifs illégitimes ou dépourvue de rapport avec le bon exercice de ses fonctions. Le paragraphe 5.3 des Principes de Bangalore déclare qu'un juge, dans l’exercice de ses tâches judiciaires, fera preuve d’une considération appropriée envers toutes les personnes telles que plaideurs, témoins, avocats, personnel du tribunal et collègues magistrats, sans différentiation basée sur un quelconque aspect non pertinent ne revêtant aucune importance pour l’exercice correct de telles tâches. Un juge doit être soucieux du maintien de l’ordre et du respect des règles assurant la dignité des débats dans toutes les procédures du tribunal et sera patient, digne et courtois à l’égard des plaideurs, des jurés, des témoins, des avocats et autres personnes avec lesquelles il sera en contact dans le cadre de ses activités officielles.

Concernant les avocats, les paragraphes 4.1, 4.2, 4.3 et 4.4 du Code de déontologie des avocats européens du CCBE expriment les principes suivants : l’avocat qui comparaît devant la cour ou le tribunal doit observer les règles déontologiques applicables. L’avocat doit en toute circonstance observer le caractère contradictoire des débats. L’avocat défend son client avec conscience et sans crainte, sans tenir compte de ses propres intérêts, ni de quelque conséquence que ce soit pour lui-même ou toute autre personne, tout en faisant preuve de respect et de loyauté envers l’office du juge. À aucun moment, l’avocat ne doit donner sciemment au juge une information fausse ou de nature à l’induire en erreur.

21.    Le CCJE considère que les relations entre les juges et les avocats doivent être fondées sur la compréhension mutuelle du rôle de chacun, sur le respect mutuel et l’indépendance de l’un vis-à-vis de l’autre.

Pour cela, le CCJE est d’avis qu’il faut développer le dialogue et les échanges entre juges et avocats à un niveau institutionnel national et européen sur la question des relations mutuelles. Tant les principes éthiques des juges que ceux des avocats devraient être pris en compte. À cet égard, le CCJE encourage l’identification des principes éthiques communs, tels que le devoir d’indépendance, le devoir de maintenir la primauté du droit à tout moment, la coopération pour une conduite équitable et rapide des procédures et la formation professionnelle permanente. Les associations professionnelles et les organes indépendants chargés de l’administration des professions de juge et d’avocat devraient être responsables de ce processus.

22.    Des conférences destinées aux juges et aux avocats devraient porter sur le rôle de chacun et leurs relations, tout en ayant pour objectif général de promouvoir un règlement équitable et efficace des litiges, dans le respect de leur indépendance. Le CCJE se réfère au paragraphe 10 de son Avis n° 12 (2009), dans lequel il a estimé que, lorsque cela est approprié, une formation commune aux juges, aux procureurs et aux avocats sur des sujets d’intérêt commun pourrait contribuer à la recherche d’une justice de la plus haute qualité.

23.    Dans les Etats membres du Conseil de l'Europe, il y a une grande variété dans les modalités de recrutement des juges. Le CCJE se réfère au rapport de la CEPEJ « Évaluation des systèmes judiciaires européens - Edition 2012 », Chapitre 11.1. Dans certains pays, les juges sont recrutés principalement parmi les juristes expérimentés. Dans d'autres pays, les juges et les avocats ne partagent pas une carrière commune. Dans ces pays, le développement de la compréhension mutuelle entre les deux professions est particulièrement important. Une des possibilités pour encourager cette compréhension est le développement de stages pour les juges auprès de cabinets d’avocats et pour les avocats auprès des tribunaux. Dans ce cas, il est essentiel que les exigences d'indépendance et d'impartialité de la justice soient garanties et que les stages soient organisés d'une manière transparente.

24.    Les relations entre les juges et les avocats devraient toujours préserver l’impartialité et l’image d’impartialité du tribunal. Les juges et les avocats devraient en être pleinement conscients. Des règles procédurales et déontologiques adéquates devraient préserver cette impartialité.

25.    Les juges et les avocats disposent tous deux de la liberté d’expression conformément à l’article 10 de la Convention.

Les juges sont cependant tenus de sauvegarder le secret des délibérations et leur impartialité, ce qui implique, notamment, qu'ils doivent s'abstenir de faire des commentaires sur les procédures et sur le travail des avocats.  

La liberté d'expression des avocats connait également ses limites afin de maintenir, conformément à l'article 10, paragraphe 2, de la Convention, l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire[162]. Le respect de la confraternité et le respect de l’Etat de droit ainsi que la contribution à une bonne administration de la justice - les principes (h) et (i) de la Charte des principes essentiels de l'avocat européen du CCBE - requièrent l'abstention de critiques abusives envers des collègues, des juges individuels et des procédures et décisions judiciaires.

V.  RECOMMANDATIONS

Le CCJE réaffirme que « le partage de principes juridiques et de valeurs éthiques communes par tous les professionnels impliqués dans le processus judiciaire est essentiel pour une bonne administration de la justice », et recommande ce qui suit :

I.          Le CCJE recommande que les Etats mettent en place des dispositions procédurales adéquates, qui définissent les activités des juges et des avocats et qui donnent au juge les pouvoirs de mettre effectivement en œuvre les principes du procès équitable et d’empêcher les manœuvres dilatoires illégitimes des parties. Il recommande également que les juges, les avocats et les usagers de la justice soient consultés dans le processus de rédaction de ces dispositions et que les règles procédurales soient régulièrement évaluées.

II.         Le CCJE soutient l'échange international d'expériences entre les juges et les avocats en vue de développer des «bonnes pratiques» dans le domaine de la procédure, en tenant compte, toutefois, des différentes traditions sociales et juridiques des pays concernés.

III.        Le CCJE recommande que les juges organisent, dans le cadre de règles pertinentes de procédure, des audiences sur la gestion des affaires et mettent en place, en consultation avec les parties, des calendriers de procédure qui, par exemple, précisent les étapes de la procédure établissant des délais raisonnables et adaptés et organisant les modalités et le calendrier de la présentation des pièces, des observations orales et des éléments de preuve.

IV.       Le CCJE recommande le développement de moyens de communication entre les tribunaux et les avocats. Les juges et les avocats doivent pouvoir communiquer sur toutes les étapes de la procédure. Le CCJE est d’avis que les Etats devraient mettre en place des systèmes permettant une communication par voie informatique entre les tribunaux et les avocats.

V.         Pour répondre aux besoins des parties, le CCJE recommande le développement des dispositifs pour un règlement amiable des litiges. Il est d’avis que la compréhension du rôle respectif des juges et des avocats dans le cadre d’un règlement amiable d’un litige par conciliation ou par médiation constitue un élément essentiel pour développer une telle approche et que, dans la mesure du possible, des sessions de formation communes sur les modes alternatifs devraient être mises en place.

VI.       Le CCJE recommande qu’un dialogue et des échanges soient développés entre juges et avocats à un niveau institutionnel (tant national qu’international) sur la question des relations mutuelles, dans le plein respect à la fois des principes d’éthique des avocats et de ceux des juges. Ce dialogue devrait permettre une compréhension et un respect mutuels du rôle de chacun, dans le respect de l’indépendance tant des juges que des avocats.

VII.      Le CCJE est d’avis, lorsque cela est approprié, qu’une formation commune aux juges et aux avocats sur des sujets d’intérêt commun peut améliorer la qualité et l'efficacité de la procédure. _



avis n°17 (2014)

du conseil consultatif de juges europeens (ccje)

a l'attention du comite des ministres du conseil de l'europe

sur

l'évaluation du travail des juges, la qualité de la justice et le respect de l'indépendance judiciaire

PARTIE I. INTRODUCTION

A.    Objet de l’Avis 

1.     L’État de droit dans une démocratie exige non seulement que la justice soit indépendante mais aussi que soient mis en place de tribunaux compétents qui prennent des décisions judiciaires de la meilleure qualité possible. Le Conseil consultatif de juges européens (CCJE) a toujours accordé une grande attention à deux questions fondamentales. La première est la protection de l’indépendance des juges[163]; la seconde concerne les moyens de maintenir et d’améliorer la qualité et l’efficacité des systèmes judiciaires[164]. L’évaluation individuelle des juges est pertinente pour ces deux questions. Dans cet Avis,  l'expression «évaluation individuelle des juges» comprend l'évaluation du travail et des capacités professionnelles des juges individuels.

2.     Conformément au mandat qui lui est confié par le Comité des Ministres, le CCJE a décidé de consacrer cet Avis à la façon dont l'évaluation individuelle du travail des juges peut améliorer la qualité de la justice sans porter atteinte à l'indépendance judiciaire. Cet Avis porte essentiellement sur l’évaluation individuelle des juges en exercice ; il ne concerne pas la nomination initiale des juges[165] ou leur formation initiale[166]. Bien qu’il porte sur la relation entre la procédure disciplinaire et l’évaluation, cet Avis ne traite pas principalement des questions de discipline ou de responsabilité pénale[167], ni ne porte sur l'évaluation du system judiciaire d'un pays dans son ensemble ou l’évaluation des tribunaux dans un système judiciaire. Ces derniers sont des sujets importants en soi qui soulèvent d'autres questions et perspectives importantes.

3.     Le présent Avis a été élaboré sur la base des avis antérieurs et la Magna Carta des juges (2010) du CCJE et les instruments pertinents du Conseil de l’Europe, notamment la Charte européenne sur le statut des juges (1998) et la Recommandation CM/Rec(2010)12 du Comité des Ministres sur les juges : indépendance, efficacité et responsabilités (ci-après la Recommandation CM/Rec(2010)12). Il tient également compte des Principes fondamentaux des Nations Unies relatifs à l’indépendance de la magistrature (1985), les principes de Bangalore sur la déontologie judiciaire (2002), le rapport général[168] de l'Union Internationale des Magistrats (UIM) (2006) (ci-après rapport général de l’UIM), les Recommandations de Kyiv de l'OSCE sur l’indépendance des juges en Europe orientale, dans le sud du Caucase et en Asie centrale (2010) - l'administration judiciaire, sélection et  responsabilité (ci-après les Recommandations de Kyiv), ainsi que le Rapport 2012-2013 du Réseau européen des Conseils de la justice (RECJ) sur des normes judiciaires minimales concernant l'évaluation de la performance professionnelle et l'inamovibilité des membres de la magistrature (ci-après le Rapport du RECJ). Il tient compte des réponses des États membres au questionnaire sur l’évaluation et l’appréciation individuelles des juges en exercice, et d’un rapport préparatoire de l’experte désignée par le CCJE, Mme Anne SANDERS (Allemagne).

 

B.    Principales fonctions du juge comme l’objet de l’évaluation

4.     Les juges remplissent des fonctions indispensables dans toute société démocratique respectueuse de l’État de droit[169]. Ils doivent protéger les droits et libertés de toute personne de la même manière. Ils doivent agir en vue de garantir un règlement efficace des litiges à un coût raisonnable[170] et rendre des décisions en temps opportun et en toute indépendance, en se conformant au seul droit. Leurs décisions doivent être motivées[171] et rédigées dans un langage clair et compréhensible[172]. De plus, les décisions judiciaires contraignantes doivent être exécutées de manière effective[173]. L’indépendance des juges ne signifie pas que ces derniers ne doivent pas rendre compte de leur travail. Le CCJE insiste sur l’importance de maintenir et d’améliorer la qualité et l’efficacité des systèmes judiciaires dans l’intérêt de tous les citoyens[174]. Lorsqu’elle est pratiquée, l’évaluation individuelle des juges devrait avoir pour objectif d’améliorer le système judiciaire afin d'en garantir la meilleure qualité possible. Cet exercice doit se faire dans l’intérêt du public dans son ensemble.

C.    Primauté de l’indépendance : de la difficulté de concilier évaluation et indépendance des juges

5.     L’indépendance des juges est une condition préalable à la sauvegarde de l’État de droit et à la garantie fondamentale d’un procès équitable[175]. Comme l’a indiqué le CCJE dans ses avis antérieurs, l’indépendance des juges peut être compromise par différents facteurs qui risquent d’avoir un impact négatif sur l’administration de la justice[176], par exemple le manque de ressources financières[177], des problèmes concernant la formation initiale et continue des juges[178], des éléments non satisfaisants liés à l’organisation du système judiciaire ou encore la responsabilité civile et pénale éventuelle des juges[179].

6.     Par conséquent, la règle fondamentale pour toute évaluation individuelle des juges doit être le respect total de l‘indépendance judiciaire[180]. Lorsqu’une évaluation individuelle a des répercussions sur la promotion, le salaire ou la retraite du juge, voire entraîne sa révocation, le juge évalué risque de ne pas rendre la justice en s’appuyant sur l’interprétation objective des faits et du droit, mais en agissant de manière à plaire aux évaluateurs. Par conséquent, l’évaluation des juges par des membres du pouvoir législatif ou exécutif de l’État est particulièrement problématique. Toutefois, même si l’évaluation est réalisée par d’autres juges, la menace pour l’indépendance des juges ne peut être totalement écartée. L’indépendance suppose non seulement d'être à l'abri d'une influence extérieure indue, mais aussi d'être soustrait à l'influence indue qui peut découler dans certaines situations de l'attitude d'autres juges[181], y compris les présidents des tribunaux.

PARTIE II: LES PRATIQUES ACTUELLES DANS LES ETATS MEMBRES

D.    Pourquoi évaluer les juges ? Quels sont les types d’évaluation existants ?

7.     L’évaluation sert à apprécier les compétences des juges ainsi que la qualité et la quantité de leurs activités. Elle est utilisée, par exemple, pour leur donner un retour d'information, identifier les besoins de formation et déterminer le salaire basé sur la performance. Elle peut également permettre de repérer les candidats valables pour une promotion. Il est soutenu par certains que, de cette façon, en principe, l’évaluation individuelle peut ainsi contribuer à améliorer la qualité du système judiciaire et ainsi garantir que le pouvoir judiciaire rende compte de son activité au public.

8.     Le Rapport du RECJ distingue les pays selon leur système d’évaluation, « formel » ou « informel ». En bref, ces systèmes sont:

(I) Formel

9.     Dans le cas des évaluations les plus formelles, les objectifs, les critères appliqués, la composition de l’organe d’évaluation, la procédure et ses conséquences éventuelles sont clairement définis avant l’exercice d’évaluation. Lorsque l’évaluation est réalisée d’une manière formelle, les droits et obligations du juge évalué et de l’organe d’évaluation sont régis par des lois ou des règlements.

(II) Informel

10.  Une évaluation informelle ne s’appuie pas sur un barème ou sur des critères formalisés. Normalement, elle n’a pas de conséquences directes pour le juge évalué. Elle peut se dérouler dans le cadre d’une discussion permettant au juge concerné de parler des problèmes qu’il rencontre, de montrer ses compétences et de convenir d’objectifs professionnels[182]. La collecte informelle d’informations sur un juge candidat à une promotion[183] peut également être considérée comme une évaluation informelle.

E.    L’évaluation pratiquée dans les États membres

 

(I) Pays où elle est pratiquée

11.  Vingt-quatre États membres ont expliqué dans leurs réponses au questionnaire qu’ils évaluent les juges de manière plus ou moins formelle (Albanie, Allemagne, Autriche, Belgique, Bosnie-Herzégovine, Bulgarie, Chypre, Croatie, Espagne, Estonie, France, Géorgie, Grèce, Hongrie, Italie, « l'ex-République yougoslave de Macédoine », République de Moldova, Monaco, Pays-Bas, Pologne, Roumanie, Slovénie, Turquie, Ukraine). L’Estonie et l’Ukraine évaluent les juges uniquement avant leur nomination à titre permanent. Neuf États membres ont indiqué ne pas avoir recours à un système formel d’évaluation individuelle (Danemark, Finlande, Islande, Luxembourg, Norvège, République tchèque, Royaume-Uni, Suède, Suisse). Toutefois la Suède utilise certains outils d’évaluation pour déterminer une petite partie de la rémunération du juge selon sa performance[184]. La Finlande et la Suisse les utilisent pour préparer les discussions sur l’évolution de carrière. Au Royaume-Uni, une évaluation informelle a lieu lors de l’examen de la demande de promotion d’un juge.

(II) Objectifs des pays qui la pratiquent : qualité des juges, promotion, rémunération et discipline

12.  Dans la plupart des pays qui utilisent une forme d’évaluation individuelle, celle-ci vise à déterminer, maintenir et améliorer la qualité du travail des juges et du système judiciaire. De nombreux pays ont indiqué que le but de l’évaluation n’est pas simplement d’apprécier les résultats et les compétences ; il s’agit aussi d’identifier les besoins de formation et de donner un retour d’information («feedback»). Pour beaucoup d’États membres, l’évaluation sert de base aux décisions relatives à la promotion des juges. Pour quelques-uns, elle est particulièrement importante lorsqu’il faut nommer à vie des juges récemment nommés[185]. D'autres États membres utilisent l'évaluation pour déterminer les éléments de la rémunération ou de la pension de retraite liés à la performance individuelle d’un juge[186].

(III) Critères utilisés

13.  Dans la plupart des États membres, un certain nombre de critères quantitatifs et qualitatifs sont utilisés pour l’évaluation individuelle des juges. Par conséquent, les facteurs comme le nombre d’affaires traitées, le temps passé sur chaque dossier et la durée moyenne pour prononcer un jugement entrent souvent en ligne de compte parmi les critères « quantitatifs ». De nombreux États membres considèrent comme important le nombre de décisions rendues par le juge évalué ou le nombre d'affaires conclues autrement (par exemple, par un règlement ou un retrait)[187]. Dans certains États membres, la productivité d'un juge est mesurée en se basant sur un quota fixe[188] ou le nombre moyen de décisions rendues par d'autres juges[189]. En ce qui concerne les critères « qualitatifs », la qualité des analyses et la manière dont un juge traite des affaires complexes occupent une place importante dans la procédure d’évaluation. Dans bon nombre d’États membres, le nombre ou le pourcentage de décisions infirmées en appel sont des facteurs qui comptent aussi beaucoup en la matière[190]. Dans d’autres États membres[191], du fait du principe de l'indépendance des juges, ni le nombre de décisions infirmées en appel ni les raisons de l'infirmation ne sont pris en compte, à moins qu'ils soient révélateurs d'erreurs graves. Les autres facteurs examinés sont la capacité à jouer un rôle de médiation entre les parties, à rédiger des jugements clairs et compréhensibles, à coopérer avec les collègues et à travailler dans des domaines du droit qui sont nouveaux pour le juge, ainsi que la disponibilité à assurer des tâches supplémentaires de nature administrative, comme le mentorat et la formation de juges récemment nommés ou juristes[192]. Les aptitudes en matière d’organisation et l’éthique professionnelle[193] ou les activités universitaires, telles que des publications et des cours dispensés[194], entrent aussi en ligne de compte. Le respect ou non des règles et principes d’éthique et de déontologie est pris en considération dans le processus d’évaluation dans presque tous les États membres où l’évaluation des juges existe et ces principes sont énoncés. Tous les États membres qui ont rempli le questionnaire font une distinction entre le processus d’évaluation et les mesures disciplinaires.

 

14.  La façon dont les critères sont pris en compte dans le processus d’évaluation est très variable. La plupart des États membres signalent un système de notation pour évaluer le juge. Les systèmes de notation utilisés sont à peu près comparables et ils utilisent les notes comme «très bonne», «bonne», «suffisante» et «insuffisante»[195] ou A, B, C[196]. Certains pays font référence dans leurs notes à l'aptitude d’un juge évalué pour la promotion[197]. D'autres États membres refusent l'utilisation des notations formelles[198]. Dans certains États membres, des données comme le nombre d’affaires traitées sont converties en pourcentage ou en chiffre reflétant la performance du juge par rapport à ses collègues[199]. Dans certains États, les juges dont le travail a été étudié sont classés du meilleur au moins bon en fonction de leur évaluation[200]. La Hongrie détermine le grade respectif en comparant les performances d'un juge à un "facteur de productivité". Dans d'autres pays, les facteurs quantitatifs et qualitatifs de ce type ne constituent que le point de départ d'une évaluation individuelle[201]. Dans certains États membres, l'avis du barreau[202], des parties, des collègues et des juges plus expérimentés[203] est pris en compte.

(IV) Types d’évaluation et méthodes/procédures utilisées

15.  Dans la plupart des pays, les évaluations sont réalisées de façon systématique et à intervalles réguliers. Cependant, les États membres ont adopté des procédures plus ou moins formelles. L’Albanie, l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, la Bosnie-Herzégovine, la Bulgarie, l’Espagne, la Chypre, la Croatie, la France, la Géorgie, la Grèce, la Hongrie, l’Italie, « l'ex-République yougoslave de Macédoine », la République de Moldova, Monaco, la Pologne, la Roumanie, la Slovénie et la Turquie ont recours à un système d’évaluation formel, tandis que la Finlande, les Pays-Bas, la Suisse et le Royaume-Uni appliquent des systèmes d’évaluation plus informels.

 

16.  Dans certains pays, l’évaluation prend la forme d’une discussion plus ou moins formelle sur l’évolution de carrière. Au cours de ces échanges, le juge évalué et l’évaluateur ou la commission d’évaluation examinent ensemble les objectifs de carrière et de développement[204]. Dans les certains cas, le processus d’évaluation débute par une auto-évaluation du juge[205]. Dans d’autres pays, un Conseil de la Justice, ou son sous-groupe, réunit les informations sur le travail du juge évalué et procède à l’évaluation[206].

17.  Dans d’autres États membres, un évaluateur unique, en principe le président du tribunal dans lequel le juge évalué exerce ses fonctions, réunit les informations pertinentes sur le travail du juge[207]. Cela consiste par exemple à lire les décisions rendues par le juge, à assister aux audiences qu’il préside et à s’entretenir avec lui. Souvent, l’évaluateur prend la décision finale après que le juge a eu la possibilité de faire des observations sur l’avant-projet. Dans certains États membres, d’autres professionnels participent au processus d’évaluation[208]. En Pologne, l'évaluation individuelle des juges est assurée dans le cadre des inspections judiciaires régulières effectuées par des juges-inspecteurs d'autres tribunaux[209].

18.  Dans la plupart des systèmes, le juge évalué peut donner son point de vue sur le projet d’avis et il a la possibilité de contester la décision finale.

19.  Certains pays ont indiqué que, s'il n'y avait pas de procédure formelle d'examen par les pairs, les juges sont libres de se prêter mutuellement assistance en donnant des conseils et de l'information de manière informelle[210]. En Autriche, un projet d'évaluation volontaire par les pairs a été lancé par l'Association des juges autrichiens. Les juges participent réciproquement à leurs audiences et transmettent des évaluations informelles («feedback»).

(V) Conséquences

20.  Dans la plupart des États membres, l'évaluation individuelle est un facteur important pour les chances de promotion des juges et - notamment pour un juge récemment nommé - pour la confirmation dans un poste[211]. Dans certains États membres, elle entre en ligne de compte pour baser les salaires et les pensions sur la performance[212]; il peut même arriver qu'une performance médiocre déclenche des procédures disciplinaires[213], une rétrogradation salariale, voire la révocation du juge[214].

PARTIE III: ANALYSE ET RECOMMENDATIONS

F.    Pourquoi y a-t-il différents types d’évaluation ?

(I) Structure judiciaire du pays (modalités de sélection des juges, âge, formation, promotion etc.)

21.  La décision d’évaluer les juges et la manière de le faire sont indissociables de l’évolution des structures judiciaires des différents États membres. En particulier, le moment où une personne est nommée juge et les critères régissant son éventuelle promotion semblent particulièrement importants pour déterminer le type d’évaluation à mener. Par exemple, lorsque des juges récemment nommés ont eu une belle carrière comme avocats (comme c’est le cas dans les pays nordiques, au Royaume-Uni et à Chypre), l’évaluation individuelle formelle pourra s’avérer moins nécessaire que dans un système où les juges sont nommés immédiatement ou peu de temps après avoir achevé leurs études de droit (comme en Allemagne, en Espagne et en France). Dans un système judiciaire où les promotions dépendent de l’ancienneté (comme, par exemple, au Luxembourg), il est moins important d’évaluer individuellement les qualifications des juges.

(II) Culture du pays

22.  La décision d’évaluer les juges et la manière de le faire sont aussi indissociables de l’histoire et de la culture du pays et de son système judiciaire. Par conséquent, l’analyse de la nécessité de l’évaluation des juges varie considérablement selon les États membres. « L'ex-République yougoslave de Macédoine » et la Roumanie ont expliqué que l’indépendance des juges[215] et la confiance du public dans le système judiciaire[216] pouvaient être améliorées grâce à l’évaluation individuelle des juges. La Slovénie a déclaré que l’évaluation garantissait la transparence judiciaire et par la même occasion la qualité de la justice. L'Espagne a déclaré que déterminer une partie variable de la rémunération en fonction du nombre des affaires traitées par le juge respecterait l'indépendance judiciaire, tandis qu’évaluer les juges selon des critères qualitatifs[217] la mettrait en danger. L’Allemagne et la France, d'autre part, ont déclaré que l'évaluation de la performance sur des critères uniquement quantitatifs pourrait compromettre l'indépendance judiciaire. Parallèlement, d’autres pays, comme la Norvège et la Suisse, estiment que l’évaluation n’est pas utile pour garantir un système judiciaire de qualité. Le Danemark, le Luxembourg et la Suisse ont indiqué que l’évaluation individuelle des juges était incompatible avec l’indépendance des juges. Dans ce pays, la conduite d’un juge ne peut être examinée que dans le cadre d’une procédure disciplinaire. Il apparaît ainsi que ce qui est considéré comme un impératif pour l’indépendance des juges dans un pays est considéré comme contre-productif dans un autre.

G.    Le choix en principe : évaluer ou non   

23.  Dans une société démocratique, tout système judiciaire doit répondre à deux exigences essentielles, à savoir rendre une justice de la plus haute qualité et rendre compte à la collectivité. Pour atteindre ces exigences, une certaine façon d’évaluer le travail des juges est nécessaire. La question fondamentale est de savoir si cette évaluation doit prendre un caractère «formel». Le CCJE encourage tous les États membres d'examiner cette question. La réponse précise de chaque membre sera en conformité avec son système judiciaire, les traditions et la culture. Si un État membre décide que ces deux exigences essentielles peuvent être atteintes par d'autres moyens que l'évaluation formelle des juges, il pourrait décider de ne pas avoir une telle évaluation formelle. S’il conclut que ces exigences ne peuvent être atteintes par d'autres moyens, le CCJE recommande l'adoption d'un système plus formel d'évaluation individuelle des juges, comme discuté ci-dessous.

24.  Tout évaluation devrait viser à maintenir et à améliorer la qualité du travail des juges et, par la même occasion, du système judiciaire en son ensemble.

25.  L’évaluation informelle peut prendre la forme d’une aide aux juges pour leur donner la possibilité de s’auto-évaluer, en leur permettant un retour d’information sur leur activité  («feedback») et en cernant leurs besoins de formation. Tous ces éléments peuvent être des moyens efficaces d’améliorer les compétences des juges et, par la même occasion, la qualité globale du système judiciaire. L’évaluation par les pairs, l'auto-évaluation par les juges et des conseils entre juges peuvent également être utiles et devraient être encouragés[218].

H.    S’il y a évaluation formelle : comment procéder ?

(I)           Les objectifs éventuels et leurs effets sur l’indépendance des juges

(a) Assistance pour régler les problèmes liés aux conditions de travail

26.  Les systèmes judiciaires devraient utiliser les informations réunies dans le cadre des procédures d’évaluation non seulement pour évaluer les juges de manière individuelle mais aussi pour contribuer à améliorer la structure organisationnelle des tribunaux et les conditions de travail des juges. Il est particulièrement injuste qu’un juge ait une évaluation négative à cause de problèmes créés par de mauvaises conditions de travail sur lesquelles il n’a pas prise, comme les retards dus à la surcharge de travail, le manque de personnel judiciaire ou le caractère inadapté du système administratif.

(b) Promotion

27.  Le CCJE[219] et l’ONU[220] indiquent que la nomination et la promotion des juges ne devraient pas être fondées entièrement sur l'ancienneté mais sur des facteurs objectifs, notamment leur compétence, leur intégrité et leur expérience. Si les promotions sont décidées selon des critères objectifs de ce type, les juges doivent être évalués sous une forme ou une autre au moins lorsqu’ils sollicitent une promotion. Par conséquent, la collecte d’informations visant à déterminer si un juge a le profil adéquat pour une promotion peut être un objectif important de l’évaluation individuelle des juges.

(c) Rémunération

28.  Dans plusieurs des États membres, la rémunération est liée aux résultats de l’évaluation[221]. Cependant, le CCJE souscrit à la Recommandation du Comité des Ministres Rec(2010)12 que « les systèmes faisant dépendre l’essentiel de la rémunération des juges de la performance devraient être évités, dans la mesure où ils peuvent créer des difficultés pour l’indépendance des juges »[222]. Le CCJE affirme également que la pension d’un juge ne devrait pas dépendre de ses performances.

 

(d) Discipline

29.  Bien que les violations des règles ou normes éthiques et professionnelles puissent être prises en compte dans l’évaluation, les États membres devraient distinguer nettement l’évaluation et les mesures et processus disciplinaires. Les principes de nomination définitive et de l’inamovibilité sont des éléments clés de l'indépendance des juges et doivent être respectés[223]. Par conséquent, il ne devrait pas être mis fin à une nomination définitive en raison d’une simple évaluation défavorable. Il devrait être mis fin à une nomination définitive uniquement en cas de violations graves des règles disciplinaires ou des dispositions pénales prévues par la loi[224] ou lorsque la conclusion inévitable du processus d'évaluation est que le juge est incapable ou refuse d'exercer ses fonctions judiciaires à un niveau minimum acceptable, évalué objectivement. Dans tous les cas, il doit toujours exister des garanties procédurales adéquates pour le juge évalué et elles doivent être scrupuleusement observées. 

(II)     Cadre de l’évaluation formelle

30.  Lorsqu’un système d’évaluation formelle est utilisé, sa base et les éléments cardinaux (critères, procédure, conséquences de l’évaluation) devraient être fixés par la loi de manière précise et exhaustive. Les détails peuvent être régis par la législation subordonnée[225]. Le Conseil de la Justice (là où il existe) devrait jouer un rôle important en aidant à la formulation de ces questions, surtout des critères.

(III)    Critères d’évaluation formelle

31.  L’évaluation formelle individuelle des juges doit reposer sur des critères objectifs publiés par l’autorité judiciaire compétente[226]. Des règles objectives sont nécessaires non seulement en vue d'exclure toute influence politique, mais aussi pour d'autres motifs comme le souci de prévenir le risque de favoritisme, de conservatisme et de corporatisme qui existe quand les nominations ou évaluations ne suivent pas une procédure structurée ou qu'elles sont fondées sur des recommandations personnelles[227]. Ces critères objectifs devraient être fondés sur le mérite, eu égard aux qualifications, à l’intégrité, à la compétence et à l’efficacité[228].

32.  Le CCJE note que le rapport du RECJ recommande que les critères d’évaluation de la performance des juges soient exhaustifs et intègrent des indicateurs quantitatifs et qualitatifs, afin de permettre une évaluation complète et approfondie du travail des juges[229].

33.  Le CCJE note que les Recommandations de Kyiv[230] préconisent de réaliser l’évaluation conformément aux critères suivants : compétences professionnelles (connaissance du droit, capacité à mener la procédure judiciaire, capacité à rédiger des décisions motivées), compétences personnelles (capacité à assumer la charge de travail et à décider, ouverture aux nouvelles technologies), compétences sociales, par exemple, capacité à jouer un rôle de médiateur, respect des parties et, en plus, capacité à diriger pour des postes qui l’exigent.

34.  D’une manière générale, le CCJE partage les critères qualitatifs établis dans les recommandations de Kyiv. Le CCJE considère que les évaluations ne doivent pas être basées uniquement sur des critères quantitatifs. En outre, même si l’efficacité du travail d’un juge peut être un facteur d’évaluation important, le CCJE estime qu’il est problématique d’accorder une trop grande importance au nombre d’affaires traitées par le juge, parce que cela pourrait conduire à de mauvaises incitations.

35.  La qualité de la justice ne devrait pas être considérée comme synonyme de la simple « productivité » du système judiciaire[231]. Le CCJE met en garde contre le financement insuffisant et les réductions de budget. Ceux-ci ne doivent pas aboutir à un système judiciaire qui surestime la «productivité» dans l'évaluation individuelle des juges. C’est pourquoi le CCJE souligne à nouveau que tous les principes généraux et normes du Conseil de l'Europe donnent obligation aux États membres de prévoir des ressources financières qui correspondent aux besoins des différents systèmes judiciaires[232]. Le CCJE considère que la qualité, et pas simplement la quantité, des décisions rendues par un juge doit être au cœur de l’évaluation individuelle. Dans son Avis n° 11 (2008), il s’est intéressé à l’importance de prononcer des jugements de qualité. Pour évaluer la qualité d’une décision rendue par un juge, les évaluateurs devraient tenir compte de la méthodologie appliquée par le juge dans son travail dans l'ensemble, et pas simplement évaluer les aspects juridiques de décisions individuelles[233]. Ceux-ci doivent être déterminés uniquement par le processus d'appel. Les évaluateurs doivent considérer tous les aspects de bon travail judiciaire, notamment la connaissance juridique, la capacité de communication, la diligence, l’efficacité et l’intégrité. A cette fin, les évaluateurs devraient considérer l’ensemble du travail de juge en tenant compte du contexte de ce travail. C’est pourquoi le CCJE continue à considérer qu’il est problématique de baser les résultats de l’évaluation sur le nombre ou le pourcentage de décisions infirmées en appel[234], sauf si le nombre et les motifs des infirmations montrent clairement que le juge n’a pas les connaissances requises sur le plan du droit et de la procédure. Le CCJE note que les Recommandations de Kyiv[235] et le Rapport du RECJ[236]  partagent la même vision.

 

(IV)   Comment évaluer ?

(a)   Qui évalue : managers, juges, autres professionnels ?

36.  Les évaluateurs devraient avoir le temps et les moyens suffisants pour réaliser une évaluation complète des compétences et de la performance de chaque juge. Le juge évalué devrait être informé de l’identité des évaluateurs et il doit avoir le droit de demander le remplacement de tout évaluateur pouvant être objectivement perçu comme partial.

37.  Pour protéger l’indépendance des juges, l’évaluation devrait être effectuée essentiellement par des juges. Les Conseils de la Justice (quand ils existent) peuvent jouer un rôle dans cet exercice[237]. Cependant, d’autres moyens d’évaluation peuvent être utilisés, par exemple, par des membres du système judiciaire nommés ou élus aux fins spécifiques d’évaluation d’autres juges. L'évaluation par le ministère de la Justice ou par d'autres instances externes devrait être évitée[238]. Le ministère de la Justice ou d'autres instances exécutives ne devraient pas non plus pouvoir exercer une influence sur le processus d’évaluation.

38.  En outre, d’autres professionnels susceptibles d’apporter une contribution utile au processus d’évaluation pourraient y participer. Cependant, il est essentiel que ces évaluateurs aient une connaissance et une expérience suffisantes du système judiciaire pour pouvoir évaluer le travail des juges. Il est aussi important que leur rôle soit uniquement consultatif et non décisif.

(b)  Comment évaluer : les sources d’information

39.  Les sources utilisées lors du processus d’évaluation doivent être fiables[239], en particulier les informations donnant lieu à une évaluation défavorable. Il est également crucial qu’une telle évaluation s’appuie sur des données suffisantes. Le juge évalué devrait avoir accès immédiat à tout élément destiné à être utilisé dans l’évaluation, afin de pouvoir le contester le cas échéant[240]. L'évaluation individuelle des juges et les inspections destinées à évaluer le travail d'un tribunal dans son ensemble devraient rester tout à fait distinctes. Cependant, les faits découverts lors d'une inspection du tribunal peuvent être pris en compte dans l'évaluation individuelle d'un juge[241].

(c)   Quand évaluer : régulièrement ? Uniquement lors des promotions ? Sur d’autres bases ?

40.  L’État membre qui décide de mettre en place un mode d’évaluation individuelle formelle doit déterminer si les juges seront évalués régulièrement ou uniquement pour des occasions particulières, par exemple lorsqu’ils sont candidats à une promotion[242]. Une évaluation régulière permet d’obtenir un tableau complet de la performance du juge. Elle ne devrait toutefois pas être trop fréquente, pour ne pas donner l’impression d’un contrôle constant qui pourrait, par sa nature, compromettre l’indépendance du juge.

(d)  Procédure d’équité à l’égard du juge évalué

41.  Comme le CCJE l’a indiqué précédemment, toutes les procédures d’évaluation individuelle devraient permettre aux juges d’exprimer leur point de vue sur leurs activités et l’évaluation à laquelle elles donnent lieu[243], ainsi que de contester cette évaluation devant une autorité indépendante ou un tribunal. Le juge évalué doit par conséquent avoir la possibilité de contribuer utilement au processus d’évaluation, par exemple en faisant des observations sur un avant-projet ou en étant entendu au cours du processus d’évaluation. De plus, il doit avoir le droit de contester de manière effective une évaluation défavorable, notamment lorsque celle-ci affecte ses «droits civils» au sens de l'Article 6 de la Convention européenne pour la protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Plus les conséquences de l’évaluation peuvent être graves pour le juge, plus ces droits à un réexamen effectif sont importants.

(e)   Conséquences pour les juges et les tiers

42.  Le CCJE  met en garde contre l’expression des résultats de l'évaluation uniquement en termes de points, de chiffres, de pourcentages ou de nombre de décisions prises. Toutes ces méthodes, si elles sont utilisées sans autre explication et autre évaluation, peuvent créer une fausse impression de l'objectivité et de la certitude. Le CCJE considère également comme indésirable le classement détaillé des juges à la suite de leur évaluation[244]. Un tel classement peut donner une fausse impression d'objectivité et de certitude, mais, pire encore, il n'est pas souple et peut difficilement être modifié sans un exercice de «reclassement» de tous les juges de même niveau. En conséquence, un tel système est impraticable, et, s’il est rendu public, s'avère être injuste. Il n’améliore en rien l'efficacité des juges ou leur indépendance.

43.  Cependant, un système de classement à des fins spécifiques, telles que la promotion, peut être utile. Par exemple, si deux ou plusieurs juges se sont portés candidats ou sont pressentis pour la nomination à une fonction, les candidats sont susceptibles de faire l’objet d'une forme de «classement» à cette fin.     

44.  Les résultats de l’évaluation individuelle ont certainement une incidence directe sur la carrière du juge et ses chances d’obtenir une promotion. Ils peuvent aussi déterminer les besoins de formation et l’affectation de ressources supplémentaires[245]. Comme cela a déjà été noté, la révocation ne devrait pas résulter, sauf dans des circonstances exceptionnelles, d’une simple évaluation défavorable, mais uniquement de violations graves des règles disciplinaires ou des dispositions pénales prévues par la loi à la suite d’une procédure en bonne et due forme et sur la base d’éléments fiables[246]. Cependant, comme indiqué précédemment, la révocation peut être une conséquence de la conclusion inévitable du processus d'évaluation selon laquelle le juge est incapable ou refuse d'exercer ses fonctions judiciaires à un niveau minimum acceptable, évalué objectivement. Dans tous ces cas, les garanties procédurales sont d’une importance cruciale pour le juge et doivent être scrupuleusement respectées.

45.  Il convient de ne pas utiliser l’évaluation individuelle pour déterminer les salaires et le niveau de retraite des juges[247]. Un tel processus peut influencer ouvertement le comportement des juges (aux dépens des parties en cause) et peut aussi compromettre l’indépendance des juges[248].

I.      Concilier indépendance et évaluation au terme de cet examen ; responsabilité à l’égard du public

46.  Il est difficile de concilier le principe d’indépendance des juges avec le processus d’évaluation individuelle. Pourtant, il est crucial de parvenir à un juste équilibre. Au final, l’indépendance des juges doit être la priorité en toute circonstance.

47.  En résumé, le moyen pour parvenir à cet équilibre comprend les éléments suivants : (1) Il doit exister des règles claires et transparentes relatives à la procédure, aux critères et aux conséquences de l’évaluation. (2) Le juge évalué devrait avoir le droit d’être entendu au cours du processus et de contester toute évaluation non satisfaisante, y compris le droit d'accès immédiat aux documents relatifs à l'évaluation. (3) L’évaluation ne devrait pas se fonder uniquement sur le nombre d’affaires traitées mais devrait mettre l’accent primaire sur la qualité des décisions du juge et aussi son travail judiciaire dans son ensemble. (4) Certaines conséquences comme la révocation en raison d’une évaluation négative devraient être évitées pour tous les juges permanents, sauf dans des circonstances exceptionnelles.

48.  L’évaluation individuelle formelle des juges, lorsqu’elle existe, devrait contribuer à améliorer ou à maintenir un système judiciaire de qualité au service des citoyens des États membres. Cela devrait ainsi servir ou aider à maintenir la confiance du public dans le système judiciaire. Cela exige que le public soit capable de comprendre les principes généraux et la procédure du processus d’évaluation. C’est pourquoi le cadre procédural et les méthodes d’évaluation doivent être rendues accessibles au public. En outre, de l’avis du CCJE, les processus d’évaluation individuelle des juges à des fins de carrière et de promotion ne devraient pas prendre en compte les avis du public sur le juge. Ils ne peuvent pas toujours être le résultat d’une information complète ou pleinement comprise ou, peuvent même être basés sur une mauvaise compréhension du travail des juges en général. Le processus et les résultats d’évaluation individuelle doivent en principe rester confidentiels. Ils ne doivent pas être rendus public car cela mettrait presque avec certitude en danger l’indépendance judiciaire, pour la raison évidente qu’une telle publication pourrait discréditer le juge aux yeux du public et le rendre vulnérable à des tentatives d’influence. En outre, la publicité pourrait soumettre le juge à des attaques verbales ou autres.

J.     Recommandations

49.  Le CCJE fait les principales recommandations suivantes:

1.          Une certaine façon d'évaluer individuellement les juges est nécessaire pour faire face à deux exigences essentielles de tout système judiciaire, à savoir rendre une justice de la plus haute qualité et rendre compte à la collectivité dans une société démocratique (paragraphe 23).

2.         Si un État membre, après une analyse complète, décide que ces exigences principales ne peuvent pas être atteintes par d’autres moyens (par exemple, l'évaluation «informelle»), le CCJE recommande l'adoption d'un système plus formel d'évaluation (paragraphe 23).

3.         Tout évaluation adoptée par un État membre, qu'elle soit «formelle» ou «informelle», doit viser à améliorer la qualité du travail des juges et, par la même occasion, du système judiciaire dans son ensemble (paragraphe 24).

4.          Le CCJE encourage tous les États membres à recourir à des procédures informelles d'évaluation qui contribuent à améliorer les compétences des juges et, par la même occasion, la qualité globale du système judiciaire. Ces moyens d'évaluation informelle peuvent prendre la forme d’une aide aux juges pour leur donner la possibilité de s’auto-évaluer, en leur permettant un retour d’information sur leur activité  («feedback») et d'une évaluation informelle par les pairs (paragraphe 25).

5.         La base et les principaux éléments d'évaluation formelle (là où elle existe) devraient être clairement définis de manière exhaustive, par la loi. Les détails peuvent être régis par la législation subordonnée qui devrait également être publiée. Le Conseil de la Justice (là où il existe) devrait jouer un rôle important en aidant à la formulation de ces questions, surtout des critères (paragraphe 30).

6.         L'évaluation doit être fondée sur des critères objectifs. Ces critères devraient principalement être constitués d'indicateurs qualitatifs mais, en outre, peuvent inclure des indicateurs quantitatifs. Dans tous les cas, les indicateurs utilisés doivent permettre aux évaluateurs d'examiner tous les aspects constitutifs d’une bonne performance judiciaire. L’évaluation ne devrait pas être uniquement fondée sur des critères quantitatifs (paragraphes 31-35).

7.         L’expression des résultats de l'évaluation par des chiffres, des pourcentages ou en classant les juges sans plus d'informations devrait être évitée car cela pourrait créer une fausse impression d'objectivité et de certitude. Le CCJE s'oppose à tout classement permanent des juges. Cependant, un système de classement est acceptable à certaines fins spécifiques telles que la promotion (paragraphe 42-43).

8.          Afin de préserver l'indépendance judiciaire, les évaluations individuelles devraient être faites principalement par des juges. Les Conseils de la Justice (quand ils existent) peuvent jouer un rôle dans cet exercice. Les évaluations par le ministère de la Justice ou par d'autres instances externes devraient être évitées (paragraphe 37).

9.         Les sources d'information sur lesquelles les évaluations sont fondées doivent être suffisantes et fiables, en particulier si cette information conduit à une évaluation défavorable (paragraphes 39, 44).

10.       L'évaluation individuelle des juges devrait - en principe - être distincte à la fois des inspections pour évaluer le travail d'un tribunal dans son ensemble et des procédures disciplinaires (paragraphes 29, 39).

11.       Il est essentiel qu'il y ait une équité procédurale dans tous les éléments des évaluations individuelles. En particulier, les juges doivent être en mesure d'exprimer leurs points de vue sur le processus et les conclusions proposées d'une évaluation. Ils doivent également être en mesure de contester cette évaluation notamment lorsque celle-ci affecte les «droits civils» du juge au sens de l'Article 6 de la Convention européenne pour la protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales (paragraphe 41).

12.       Une évaluation défavorable ne devrait pas à elle seule (sauf dans des circonstances exceptionnelles) être en mesure de conduire à une révocation. Cela ne devrait être le cas que face à des violations graves des règles disciplinaires ou des dispositions pénales prévues par la loi, ou lorsque le processus d'évaluation conduit à la conclusion inévitable que le juge est incapable ou refuse d'exercer ses fonctions judiciaires à un niveau minimum acceptable évalué objectivement. Ces conclusions doivent suivre une procédure appropriée et être basées sur des preuves fiables (paragraphes 29, 44).

13.       L'utilisation des évaluations individuelles pour déterminer le salaire et le niveau de retraite des juges est à éviter car ce processus peut clairement influencer le comportement des juges et ainsi mettre en péril l'indépendance judiciaire et les intérêts des parties (paragraphes 28, 45).

14.       Les principes et les procédures sur lesquelles les évaluations des juges sont fondées doivent être rendues accessibles au public. Cependant, le processus et les résultats des évaluations individuelles doivent, en principe, rester confidentielles, afin de garantir l'indépendance judiciaire et de préserver la sécurité des juges (paragraphe 48).



avis n°18 (2015)

du conseil consultatif de juges europeens (ccje)

a l'attention du comite des ministres du conseil de l'europe

sur

La place du système judiciaire et ses relations avec les autres pouvoirs de l’État dans une démocratie moderne

I. Introduction. Justification et champ d’application de l’Avis

1.    Au cours de ces dernières décennies, les relations entre les trois pouvoirs de l’État (exécutif, législatif et judiciaire) ont beaucoup évolué. Les pouvoirs exécutif et législatif sont devenus plus interdépendants. La capacité du législateur à demander des comptes à l’exécutif a diminué[249]. Dans le même temps, le rôle du pouvoir judiciaire a évolué. Le nombre d’affaires portées devant les tribunaux et le nombre  de textes législatifs que les tribunaux doivent appliquer ont connu une très forte augmentation. Le rôle accru du pouvoir exécutif a conduit à la multiplication des contestations de ses actes devant la justice, ce qui, à son tour, a conduit à s’interroger sur l’étendue du rôle du pouvoir judiciaire dans le contrôle de l’exécutif. Les contestations devant les tribunaux visant les compétences et les actions du législateur se sont multipliées. En conséquence, le pouvoir judiciaire est devenu plus actif dans le contrôle, voire dans la limitation, des deux autres pouvoirs[250]. Aujourd’hui, pour les parties aux procédures et pour la société dans son ensemble, le processus judiciaire offre en quelque sorte un autre espace démocratique, où une partie du public peut échanger des arguments avec les pouvoirs de l’Etat et débattre de questions d’intérêt général. Les tribunaux statuent sur des questions importantes du point de vue économique et politique. Des institutions internationales, en particulier le Conseil de l’Europe et la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CrEDH), l’Union européenne et la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), exercent une influence considérable au sein des États membres, notamment dans le renforcement de l’indépendance de la justice et de son rôle en matière de protection des droits de l’Homme. En outre, les règles et normes européennes et internationales et les décisions de la CrEDH et de la CJUE posent de nouveaux défis aux systèmes judiciaires des États membres et il arrive que leur mise en œuvre par les tribunaux soit contestée par des responsables politiques ou par des observateurs.

2.    Bien qu’en général l’ensemble des États membres accepte « la séparation des pouvoirs », un cerain nombre de conflits et tensions survenus ces dernières années suscitent des inquiétudes. De telles inquiétudes ont été soulignées par le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe dans ses rapports en 2014 et 2015[251], et par les rapports de situation du CCJE en 2013 et 2015. Dans certains pays, par exemple, de nouvelles majorités politiques ont mis en cause la position des juges en fonction[252]. En 2015, le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe a relevé des lacunes dans l’exécution des décisions de justice[253]. Dans certains États membres, l’exécutif exerce une influence considérable sur l’administration du système judiciaire, ce qui remet en question l’indépendance institutionnelle de la justice et celle des juges individuellement[254]. Les crises économiques et l’insuffisance chronique du financement du système judiciaire dans plusieurs États membres posent la question de la responsabilité budgétaire du pouvoir législatif à l’égard du pouvoir judiciaire[255]. L’absence de législation ou (à l’autre extrême) une législation changeant rapidement peuvent être contraires au principe de sécurité juridique[256]. Des membres du pouvoir judiciaire ont également essuyé des attaques verbales de la part de membres des pouvoirs exécutif et législatif. En 2014 et 2015, le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe a observé que ces dernières années, en critiquant publiquement des décisions de justice, des responsable politiques et autres commentateurs avaient ébranlé la confiance du public à l’égard du système judiciaire dans différents pays[257]. Certains milieux politiques et médiatiques ont laissé entendre que les pouvoirs judiciaires ne rendaient pas suffisamment compte à la société. Ces  commentaires, incluant des déclarations contestant « la légitimité » des pouvoirs judiciaires, ont été rapportés par certains États membres en réponse au questionnaire destiné à préparer le présent Avis. Il est clair que tous ces commentaires et actions doivent être analysés compte tenu du fait qu’aujourd’hui, dans la plupart des pays européens, les sources traditionnelles de l’autorité sont moins bien acceptées qu’elles ne l’ont été auparavant. La « déférence » envers les institutions publiques a décliné. Dans le même esprit, on entend souvent dire que l’application des principes démocratiques fondamentaux exige plus d’ouverture et de transparence dans le travail des institutions publiques. Tout ceci signifie que les acteurs impliqués dans les services publics doivent de plus en plus rendre compte de la manière dont ils effectuent leur travail.

3.    Aussi, conformément au mandat qui lui a été confié par le Comité des Ministres, le Conseil consultatif de juges européens (CCJE) a décidé de réfléchir à la légitimité et à la responsabilité du pouvoir judiciaire, ainsi qu’à la façon d’instaurer de bonnes relations entre les trois pouvoirs de l’État dans une démocratie moderne et à leurs responsabilités réciproques et vis-à-vis la société du XXIe siècle en général.

4.    Cet Avis examine les questions suivantes :

i. Quelle relation devrait-il y avoir entre le pouvoir judiciaire d’un État et les pouvoirs  législatif et exécutif ?

ii. Sur quelles bases les pouvoirs judiciaires établissent-ils leur droit d’agir en tant que tels dans une société démocratique ? Comment leur « légitimité » est-elle établie ?

iii. Dans quelle mesure et selon quelles modalités les pouvoir judiciaires devraient-ils rendre des comptes aux sociétés qu’ils servent et aux autres pouvoirs de l’État ?

iv. Comment les trois pouvoirs de l’État peuvent-ils exercer leur autorité respective de manière à créer et à conserver un bon équilibre entre eux et à agir dans l’intérêt de la société qu’ils ont tous vocation à servir ?

Les principes fondamentaux de l’indépendance judiciaire ayant été examinés dans l’Avis du CCJE n°1 (2001), ils ne le seront pas dans le présent Avis. Les relations entre les tribunaux et les media ont été traitées dans l’Avis n° 7 (2005), partie C, et ne seront donc pas non plus examinées en détail dans le présent Avis.

  1. Le présent Avis a été élaboré en se fondant sur des avis antérieurs du CCJE, sur la Magna Carta des juges (2010) et sur les instruments pertinents du Conseil de l’Europe, dont notamment la Charte européenne de 1998 sur le statut des juges et la Recommandation CM/Rec(2010)12 du Comité des Ministres sur les juges : indépendance, efficacité et responsabilités (ci-après « Recommandation CM/Rec(2010)12 »). Il tient également compte des textes suivants : la Recommandations de Kyiv de l’OSCE/BIDDH sur l’indépendance de la justice en Europe orientale, dans le Caucase du Sud et en Asie centrale (2010) – Administration judiciaire, sélection et responsabilité (ci-après « Recommandations de Kyiv ») ; le rapport 2013-2014 du Réseau européen des Conseils de la Justice (RECJ) sur l’indépendance et la responsabilité des juges (ci-après « rapport RECJ 2013-2014 ») ; les rapports de la Commission de Venise sur la prééminence du droit (mars 2011), sur l’indépendance du système judiciaire, partie I : l’indépendance des juges (mars 2010) et l’avis de la Commisison de Venise sur les nominations judiciaires n° 403/2006, adopté lors de sa 70e session plénière, 16-17 mars 2007 (ci-après « Commission de Venise, Nominations judiciaires, 2007 ») ; les Principes de Bangalore sur la déontologie judiciaire (2002) ; les rapports du Secrétaire Général du Conseil de l’Europe (2014) et (2015) ; le Code de New Delhi sur les normes minimales de l’indépendance judiciare (New Delhi Standards 1982). Le présent Avis prend en compte les réponses des États membres au questionnaire sur l’indépendance du pouvoir judiciaire et sa relation avec d’autres pouvoirs de l’État dans une démocratie moderne, ainsi qu’un rapport préparatoire établi par l’experte scientifique nommée par le Consiel de l’Europe, Madame Anne SANDERS (Allemagne). De plus, l’Avis a bénéficié des contributions présentées dans le cadre d’un séminaire qui s’est tenu à Strasbourg le 19 mars 2015[258]. Le présent Avis a également bénéficié des contributions faites lors du séminaire organisé à Bergen (Norvège) le 4 juin 2015 par l’Association norvégienne des juges[259].

II. Le cadre constitutionnel dans une démocratie moderne : où le pouvoir judiciaire s’intègre-t-il ?

6.    Il est généralement admis que le principe de la séparation des pouvoirs devrait être à la base de tout État moderne démocratique[260]. Le pouvoir judiciaire est l’un des trois piliers essentiels de l’État démocratique moderne, et il a la même valeur que les deux autres pouvoirs[261]. Ces trois pouvoirs fournissent un service public et doivent se rendre mutuellement compte de leurs actions. Dans un État démocratique soumis aux règles de la prééminence du droit, aucun de ces trois pouvoirs étatiques n’agit dans son propre intérêt, mais sert les intérêts de l’ensemble de la population. Dans un État démocratique soumis aux règles de la prééminence du droit (“Etat de droit” ou “Rechtsstaat”), les trois pouvoirs doivent agir sur la base de la loi et dans les limites qu’elle prescrit. Les réponses des États membres au questionnaire montrent que tous les États membres reconnaissent ces principes fondamentaux.

7.    Dans une société démocratique, il est de la responsabilité du législateur d’établir le cadre juridique dans lequel et grâce auquel la société fonctionne. Le pouvoir exécutif est chargé d’administrer la société (dans la mesure où cette tâche est confiée à des agents publics) dans le respect du cadre juridique établi par le pouvoir législatif. Il appartient au pouvoir judiciaire de se prononcer sur les relations entre les membres de la société et l’État, ainsi qu’entre les membres de la société eux-mêmes. Le pouvoir judiciaire est aussi souvent appelé à statuer sur les relations entre deux pouvoirs, voire entre les trois pouvoirs de l’État[262]. Tout cela doit être fait selon les principes de l’État de droit. Un système de tribunaux indépendants et efficaces constitue l’une des pierres angulaires d’un État de droit[263]. L’objectif de tout système judiciaire efficace et indépendant est donc de faire en sorte que les litiges soient tranchés de manière équitable et impartiale, protégeant ainsi les droits et les libertés de toutes les personnes qui demandent justice. Pour atteindre cet objectif, le tribunal doit dans chaque affaire rechercher les faits pertinents et appliquer la règle de droit au moyen d’une procédure équitable et offrir des voies de recours effectives. Dans les affaires pénales, les tribunaux doivent décider en toute indépendance et impartialité si certains actes appellent une sanction et, dans l’affirmative, laquelle[264]. Dans les États démocratiques modernes, un pouvoir judiciaire indépendant veillera à ce qu’il puisse être demandé aux gouvernements de rendre compte de leurs actions susceptibles de donner lieu à un contrôle judiciaire et devra s’assurer que les lois dûment promulguées sont correctement appliquées. Suivant les cas (en fonction des dispositifs constitutionnels propres à chaque État), le pouvoir judiciaire s’assurera aussi que les lois sont conformes aux dispositions constitutionnelles ou à tout autre ordre juridique supérieur tel que celui de l’Union européenne[265].

8.    L’histoire, les cultures et les traditions juridiques très différentes des États membres du Conseil de l’Europe ont produit des « modèles » très différents de structures constitutionnelles qui sont, souvent, en constante évolution. La mondialisation et l’influence croissante d’organisations internationales et européennes appellent des changements dans les structures constitutionnelles des États membres. Notamment, les décisions de la CrEDH ont beaucoup contribué à faire progresser la protection des droits de l’Homme et l’indépendance judiciaire et ont influé sur les constitutions des États membres. Cependant, toutes ces influences ont également engendré des conflits entre les trois pouvoirs de l’État, notamment entre le pouvoir judiciaire et les deux autres pouvoirs.

9.    En principe, les trois pouvoirs d’un État démocratique devraient être complémentaires, aucun des trois n’étant «suprême» ou ne dominant les autres[266]. Dans un État démocratique, la suprématie appartient en fin de compte à la volonté du peuple, telle qu’exprimée à travers un processus démocratique (souverainté populaire). Il est également illusoire d’imaginer que l’un ou l’autre des trois pouvoirs de l’État pourrait fonctionner de manière isolée par rapport des autres. Chaque pouvoir dépend des autres pour assurer l’intégralité des services publics nécessaires dans une société démocratique. Ainsi, tandis que le législateur fournit le cadre législatif, il revient à la justice de l’interpréter et de l’appliquer à travers ses décisions, et souvent à l’exécutif de faire exécuter les décisions de justice dans l’intérêt de la société[267]. Les trois pouvoirs entretiennent ainsi des rapports d’interdépendance, ou de convergence et de divergence. Par conséquent, il ne peut jamais y avoir une complète « séparation des pouvoirs »[268]. Au contraire, les trois pouvoirs agissent en s’équilibrant l’un l’autre, ce qui entraîne qu’ils doivent se rendre mutuellement compte dans l’intérêt de la société. Il convient donc d’accepter qu’un certain niveau de tension est inévitable entre les pouvoirs d’un État démocratique. S’il s’agit d’une « tension créative », cela prouve que chaque pouvoir joue le rôle de garde-fou à l’égard des autres et qu’il contribue ainsi à préserver un juste équilibre. En l’absence de telles tensions entre les trois pouvoirs, on pourrait soupçonner qu’un des pouvoirs a cessé de contraindre les autres, au nom de l’ensemble de la société, à rendre des comptes et a donc affirmé sa suprématie sur les autres. Ainsi, les tensions entre le pouvoir judiciaire et les deux autres pouvoirs ne devraient pas nécessairement être vues comme une menace pour le pouvoir judiciaire ou son indépendance, mais plutôt comme un signe que ce dernier remplit son obligation constitutionnelle consistant, au nom de la société toute entière, à veiller à ce que les autres pouvoirs rendent des comptes,

III. Indépendance du pouvoir judiciaire et séparation des pouvoirs

10.  Pour remplir son rôle à l’égard des autres pouvoirs de l’État, de la société en général et des parties aux procès, le pouvoir judiciaire doit être indépendant[269]. L’indépendance des juges n’est pas une prérogative ou un privilège octroyé dans leur propre intérêt : elle leur est garantie dans l’intérêt de la prééminence du droit et de ceux qui recherchent et demandent justice. L’indépendance judiciaire est le moyen de garantir l’impartialité des juges. C’est donc la condition préalable pour garantir à tous les citoyens (et aux autres pouvoirs de l’État) un procès équitable devant les tribunaux[270]. Elle est un elément inhérent au devoir de rendre des décisions impartiales[271]. Seul un pouvoir judiciaire indépendant  peut faire respecter les droits de tous les membres de la société, et notamment des groupes vulnérables ou impopulaires[272]. Aussi l’indépendance est-elle la condition fondamentale permettant au pouvoir judiciaire de défendre la démocratie et les droits de l’Homme[273].

11.  Le principe de la séparation des pouvoirs est en soi une garantie de l’indépendance du pouvoir judiciaire[274]. Pourtant, bien que l’importance de l’indépendance de la justice ait été soulignée à maintes reprises, il faut  indiquer que personne, y compris le pouvoir judiciaire, ne peut être complètement indépendant à l’égard de toute influence, notamment des influences sociales et culturelles de la société dans laquelle ce pouvoir fonctionne. En effet, « nul homme n’est une île, un tout en soi[275] ». Aucun système judiciaire – pas plus qu’un autre pouvoir dans un système démocratique – n’est totalement indépendant. Le pouvoir judiciaire s’en remet aux autres pour lui fournir des moyens et des services, en particulier au pouvoir législatif pour son financement et pour le cadre juridique qu’il doit interpréter et appliquer. Si la tâche de trancher les litiges en appliquant la loi revient à la justice, la société compte sur le pouvoir exécutif pour faire exécuter les décisions de justice. Les lacunes dans l’exécution des décisions de justice sapent l’autorité de la justice et remettent en question la séparation des pouvoirs[276]. Bien que les trois pouvoirs partagent la responsabilité de veiller à une séparation appropriée entre eux, ni ce principe ni celui de l’indépendance judiciaire ne devrait exclure le dialogue entre eux. Au contraire, un discours respectant les prérogatives des autres pouvoirs, qui tienne compte tant de leur nécessaire séparation que de leur nécessaire interdépendance, est fondamental. Il reste vital, toutefois, que le pouvoir judiciaire demeure à l’écart de relations inadéquates avec les autres pouvoirs de l’État et des influences indues de la part de ceux-ci[277].

IV. La légitimité du pouvoir judiciaire et ses éléments

A.   Importance de la légitimité

12.  Chacun des trois pouvoirs de l’État exerce une autorité très importante. Le pouvoir législatif rédige les lois et répartit le budget de l’État. Le pouvoir exécutif exerce une autorité pouvant aller jusqu’au recours à la force physique (dans les limites de la loi) pour affirmer et faire appliquer les lois. Le pouvoir judiciaire statue sur des questions d’une importance fondamentale pour les individus et la société en général, mais il touche aussi, par ses jugements et décisions, les affaires des individus qui cherchent l’aide du tribunal. Pour ce faire, les juges jouissent d’une autorité et d’un pouvoir très larges. Cette autorité et ce pouvoir s’exercent au nom de la société toute entière. Par conséquent, les citoyens et les autres pouvoirs de l’État doivent être convaincus que tous ceux qui sont investis d’une autorité et de pouvoirs, y compris les juges individuellement et collectivement, ont une base légitime pour les exercer au nom de l’ensemble de la société. Dans tous les pays démocratiques modernes, au moins un organe du pouvoir législatif est élu directement par les citoyens du pays. On peut donc affirmer, que les pouvoirs législatifs et exécutifs dont les représentants sont élus, directement ou indirectement, ont une « légitimité démocratique ». Il est parfaitement légitime de se demander d’où le pouvoir judiciaire tire sa « légitimité » ?

B.   Les différents éléments de la légitimité du pouvoir judiciaire

(1)  Le pouvoir judiciaire dans son ensemble

13.  Le pouvoir judiciaire s’inscrit dans le cadre constitutionnel des États démocratiques fondés sur la prééminence du droit. Par définitition, dès lors que le cadre constitutionnel d’un État est légitime, le pouvoir judiciaire mis en place par la Constitution est, comme composante de l’État démocratique, tout aussi légitime et nécessaire que les deux autres pouvoirs[278]. Tous les États membres ont, sous  une forme ou une autre, une constitution qui, par des moyens divers (par exemple la coutume ou le vote populaire), est acceptée comme fondement légitime de l’État. Les constitutions de tous les États membres reconnaissent et conçoivent (explicitement ou implicitement) le rôle d’un pouvoir judiciaire se devant de faire respecter l’État de droit et de décider des litiges en appliquant la règle de droit conformément à la législation et à la jurisprudence. Ainsi, le fait qu’une constitution crée un pouvoir judiciaire pour exercer ce rôle ne peut que conférer une légitimité à l’ensemble du système judiciaire. En tranchant un litige, chaque juge exerce son autorité en tant qu’élément du pouvoir judiciaire. Aussi, le fait même que le pouvoir judiciaire soit inscrit dans la constitution d’un État offre une légitimité non seulement au pouvoir judiciaire dans son ensemble, mais aussi à chaque juge.

(2)  Légitimité constitutionnelle ou formelle des juges considérés individuellement

14.  Afin d’exercer les fonctions judiciaires légitimées par la Constitution, chaque juge doit être nommé et devient ainsi membre du pouvoir judiciaire. Chaque juge nommé conformément à la constitution et aux autres règles applicables se voit ainsi investi de l’autorité et de la légitimité constitutionnelles. Une nomination respectueuse des normes constitutionnelles et légales confère implicitement l’autorité et les pouvoirs appropriés d’appliquer les lois telles que le législateur les a conçues ou que d’autres juges les ont interprétées. La légitimité conférée à un juge par une nomination en vertu de la constitution et des autres normes de l’État constitue la « légitimité constitutionnelle ou formelle » d’un juge.

15.  Le CCJE a recensé les différentes méthodes de nomination de juges pratiquées dans les États membres du Conseil de l’Europe[279]. Ce sont, par exemple, la nomination par un conseil de la justice ou par un autre organe indépendant, l’élection par le Parlement ou la nomination par le pouvoir exécutif. Comme l’a souligné le CCJE, chaque système a ses avantages et ses inconvénients[280]. On peut faire valoir que la nomination par le Parlement et, dans une moindre mesure, par le pouvoir exécutif peut donner une légitimité démocratique supplémentaire[281], bien que ces modes de nomination comportent un risque de politisation et de dépendance vis-à-vis de ces autres pouvoirs[282]. Pour faire face à ces risques, le CCJE a donc recommandé que toute décision liée à la nomination ou à la carrière d’un juge soit fondée sur des critères objectifs et prise par une autorité indépendante, ou assortie de garanties pour qu’elle ne soit pas prise sur une autre base que ces critères[283]. Le CCJE a également recommandé la participation d’une instance indépendante composée d’un nombre substantiel de juges choisis démocratiquement par d’autres juges dans les décisions concernant la nomination ou la promotion des juges[284]. La légitimité constitutionnelle des juges individuels nommés définitivement ne doit pas être menacée par des mesures législatives ou exécutives résultant de changements au sein du pouvoir politique.

(3)  Légitimité fonctionnelle des juges

  1. Une nomination conforme à la Constitution et aux lois de l’État, l’exercice par les juges de leur rôle constitutionnel consistant à trancher les litiges conformément au cadre juridique conçu par le législateur et la nécessité pour chaque juge de s’engager à travailler en respectant les dispositions légales en matière de déontologie, concourent à donner aux juges une légitimité initiale. Mais la légitimité ne saurait s’en tenir là. Comme l’a déjà souligné le CCJE, la confiance et le respect portés par le public à la magistrature sont les garanties de l’efficacité du système judiciaire[285]. Pour atteindre et préserver constamment la légitimité, chaque juge individuellement, de même que l’ensemble du pouvoir judiciaire, doivent obtenir et préserver la confiance du public. Ce second type de légitimité peut être appelé « légitimité fonctionnelle ».  

17.  La « légitimité fonctionnelle » doit être obtenue grâce à un travail de la meilleure qualité possible, qui respecte des normes éthiques rigoureuses. Dans ses précédents avis, le CCJE a examiné les différents aspects d’une bonne activité judiciaire, ainsi que les moyens de maintenir et d’améliorer la qualité et l’efficacité des systèmes judiciaires dans l’intérêt de la société. Le CCJE a ainsi formulé plusieurs avis sur les divers moyens pour atteindre cela, notamment sur la formation initiale et continue des juges[286], le droit à un procès équitable dans un délai raisonnable[287], l’application effective du droit international et européen[288], les conseils de la justice au service de la société[289], la qualité des décisions de justice[290], l’exécution effective des décisions de justice[291], les technologies de l’information[292], la spécialisation des juges[293] et l’évaluation des juges[294]. Le CCJE a déclaré qu’afin de fournir des services judiciaires de qualité, le pouvoir judiciaire devait également travailler de manière appropriée avec les procureurs[295] et les avocats[296]. En appliquant ces principes, les juges et le système judiciaire devraient atteindre l’objectif général de rendre des arrêts de la meilleure qualité possible, conformément à des normes déontologiques rigoureuses. Pour obtenir la légitimité et le respect des citoyens, les juges ainsi que ouvoir judiciaire dans son ensemble du pdoivent faire la preuve de leur efficacité et de la qualité de leur travail.

18.  Les juges doivent s’acquitter de leurs obligations en respectant les règles disciplinaires et les procédures[297], ainsi que (évidemment) le droit pénal. Les pouvoirs d’un juge sont liés aux valeurs de vérité, de justice, d’équité et de liberté. C’est pourquoi il faut que les juges s’acquittent de leurs fonctions en appliquant une déontologie professionnelle rigoureuse[298]. Dans son Avis n° 3 (2002), le CCJE a examiné ces normes et principes de conduite professionnelle[299]. Travailler dans le cadre créé par de tels principes assure la légitimité des juges, partie du système judiciaire dans son ensemble.

19.  Comme tous les autres pouvoirs, le pouvoir judiciaire doit également gagner la confiance du public en rendant compte devant la société et les autres pouvoirs de l’État[300]. Il convient donc d’examiner pourquoi et comment le pouvoir judiciaire et les juges doivent rendre compte à la société.

V. Responsabilité* du pouvoir judiciaire

A.   Pourquoi la responsabilité* est-elle importante ?

20.  Au cours des dernières années, les services publics ont évolué vers davantage d’ouverture et ont accepté qu’ils devaient mieux expliquer leur travail aux citoyens qu’ils servaient. En conséquence, l’obligation de rendre des compte à l’égard du public est devenue de plus en plus importante dans la vie publique[301]. Un organisme public se montrera « responsable* » s’il fournit des explications sur ses actions et qu’il les assume. Cette « responsabilité* » est aussi vitale pour le pouvoir judiciaire que pour les autres pouvoirs de l’État car, comme pour eux, son rôle est de servir le citoyen[302]. En outre, sous réserve qu’un juste équilibre soit observé, les principes de l’indépendance et de la responsabilité* judiciaires ne sont pas inconciliables. Dans le contexte judiciaire, il faut comprendre le terme « responsable » comme impliquant l’obligation de rendre compte, à savoir justifier et expliquer les décisions et les actions. Cela ne signifie pas que le pouvoir judiciaire soit responsable devant – ou subordonné à – un autre pouvoir de l’État ; en effet, cela serait trahir son rôle constitutionnel d’organe indépendant dont la fonction consiste à trancher les litiges impartialement et selon les règles du droit. Si la « responsabilité *» du pouvoir judiciaire devant les autres pouvoirs de l’État consistait en un lien d’obligation ou de subordination, la justice ne pourrait pas, dans les affaires impliquant ces autres pouvoirs, remplir le rôle constitutionnel évoqué ci-dessus.

21.  Le pouvoir judiciaire (comme les deux autres pouvoirs de l’État) fournit un service public. Il va de soi qu’il devrait rendre compte (dans le sens expliqué ci-dessus) à la société qu’il sert. L’autorité judiciaire doit s’exercer dans l’intérêt de la prééminence du droit et de ceux qui recherchent et demandent justice[303]. Aussi le pouvoir judiciaire se doit-il de rendre compte aux autres pouvoirs de l’État et à la société dans son ensemble de l’usage qu’il fait de son pouvoir, de son autorité et de son indépendance[304]. Les justiciables demandent un système judiciaire toujours plus efficace et un meilleur accès aux tribunaux[305]. L’efficacité et l’accessibilité constituent deux aspects de cette « responsabilité *». Le CCJE a déjà reconnu ces évolutions. En affirmant que, dans une société démocratique, tout système judiciaire devrait rendre une justice de la plus haute qualité et rendre compte à la société, le CCJE a souligné l’un des aspects de la « responsabilité *» de la justice envers l’ensemble de la société[306].

22.  D’autres raisons justifient l’obligation faite au pouvoir judiciaire de rendre compte aux autres pouvoirs de l’État au sens décrit précédemment. En premier lieu, c’est le pouvoir législatif qui établit le cadre légal appliqué par le pouvoir judiciaire. C’est pourquoi le législateur a le droit qu’on lui rende compte, en termes dûment motivés, des décisions portant interprétation et application des lois par le pouvoir judiciaire. En second lieu, pour remplir ses devoirs envers la société, le pouvoir judiciaire perçoit des ressources financières par le jeu des décisions du pouvoir législatif et, dans de nombreux États membres, du pouvoir exécutif. Comme l’a déjà souligné le CCJE, l’ensemble des principes généraux et normes du Conseil de l’Europe en matière de financement et de gestion des tribunaux met à la charge des États le devoir de dégager les moyens financiers permettant de répondre aux nécessités des différents systèmes judiciaires[307]. Il ressort clairement des réponses au questionnaire du CCJE que l’autonomie financière et administrative des systèmes judiciaires varie considérablement d’un État membre à l’autre. Le CCJE a préconisé une plus grande autonomie financière et administrative des tribunaux en vue de protéger l’indépendance judiciaire[308]. Toutefois, quelle que soit la méthode d’organisation de la gestion budgétaire et administrative du pouvoir judiciaire dans un État donné, ses ressources sont allouées par le Parlement et proviennent en fin de compte des contribuables. Ainsi, tout comme le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif sont responsables de la manière dont ils affectent les ressources, le pouvoir judiciaire doit également rendre compte à la société de la manière dont sont dépensées les ressources financières destinées à l’accomplissement de ses devoirs envers la société[309].

B.   Par quels moyens faut-il rendre compte ?

(1)  De quoi le pouvoir judiciaire devrait-il rendre compte ?

23.  L’activité judiciaire a pour but de trancher les litiges, et, par les décisions rendues, le pouvoir judiciaire remplit un « rôle normatif et éducatif », fournissant aux citoyens des informations pertinentes et des assurances quant à la loi et son application pratique[310]. C’est pourquoi le pouvoir judiciaire doit avant tout rendre compte à travers la manière dont les juges connaissent des affaires dont ils sont saisis, plus particulièrement à travers leurs décisions et les motivations de ces dernières. Les décisions de justice doivent pouvoir être examinées et susceptibles d’appel[311]. On peut qualifier cette obligation primordiale de « responsabilité* judiciaire ». Conformément au principe fondamental de l’indépendance de la justice, le système de recours constitue, en principe, le seul moyen de réformer ou de modifier une décision de justice après qu’elle ait été rendue et la seule manière de demander à des juges de rendre compte de leurs décisions, sauf s’ils ont agit de mauvaise foi.

24.  Dans les pays où les juges sont responsables de la gestion du système judiciaire (ce qui peut inclure la gestion du budget des tribunaux), le pouvoir judiciaire doit rendre compte de sa gestion devant les autres pouvoirs de l’État et devant la société[312]. Dans ce domaine, les juges chargés de la gestion des fonds publics sont en principe dans la même position que tout autre autorité publique chargée de dépenser l’argent des contribuables.

(2) Devant qui les juges doivent-ils rendre compte?

25.  Les juges et l’ensemble du pouvoir judiciaire sont responsables* (dans le sens expliqué ci-dessus) à deux niveaux : en premier lieu, ils sont responsables devant les parties qui veulent obtenir justice dans le cadre d’une procédure judiciaire ; en second lieu, ils sont responsables * (dans le même sens) devant les autres pouvoirs de l’État et, à travers eux, devant la société toute entière.

(3)  Quelle est la méthode employée ?

(a)  Les différents éléments de la responsabilité*

26.  Il existe plusieurs formes de responsabilité*. Tout d’abord, comme expliqué plus haut, les juges rendent compte de leurs décisions via la procédure de recours (« responsabilité judiciaire »). Ensuite, ils doivent travailler dans la transparence. En tenant des audiences publiques et en rendant des jugements motivés qui sont mis à la disposition de la société, sauf circonstances exceptionnelles, ils expliquent leurs actions et décisions aux parties qui se sont adressées à la justice. Ce faisant, les juges rendent également compte de leurs actions aux autres pouvoirs de l’État et à la société. Cette forme de responsabilité* peut être décrite comme une « responsabilité d’explication ». Enfin, si un juge se livre à des actes inappropriés, il doit être tenu pour responsable de manière plus ferme, par exemple à travers l’application de procédures disciplinaires et, le cas échéant, du droit pénal. On peut ici parler de « responsabilité donnant lieu à sanction ».

(b)  Responsabilité d’explication

(i) Audiences et jugements ouverts au public

27.  Les règles fondamentales de l’activité judiciaire, telle l’exigence de tenir des audiences publiques et de rendre des décisions motivées et accessibles au public, s’appuient sur le principe selon lequel les juges sont tenus de rendre compte de leur conduite et de leurs décisions. Lors des audiences publiques, les juges entendent les dépositions des parties et des témoins, ainsi que les plaidoiries des avocats. Ils expliquent (habituellement) la loi en public. Le grand public peut assister à des audiences ouvertes pour se familiariser avec le droit et le comportement du (des) juge(s) envers les parties aux litiges[313]. Ce type de procédure ouverte garantit un procès équitable aux termes de l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme. Le fait d’assister aux audiences (ou, dans certains États, de les suivre à la télévision[314] ou en ligne) et d’en consulter les comptes rendus permet, en outre, à la société de mieux comprendre le processus juridictionnel. Par ces moyens, les juges et le pouvoir judiciaire rendent aussi compte. Si les règles de procédure formelles sont importantes pour la confiance du citoyen dans le pouvoir judiciaire, l’expérience concrète de l’observation du pouvoir judiciaire en action, ainsi que les informations pertinentes publiées par les media sur la conduite des procès, constituent également un élément déterminant[315].

28.  Les juges doivent motiver leurs décisions, qui devraient être rendues publiques, sauf circonstances exceptionnelles. De cette manière, ils rendent compte de leurs décisions et permettent aux justiciables et à la société en général de comprendre et de mettre en question leur raisonnement. C’est pourquoi, comme l’a déjà dit le CCJE[316], les décisions doivent être aisément compréhensibles. Dans une affaire où la partie perdante est en désaccord avec la décision, elle peut interjeter appel. L’existence (ou même la menace) d’une possibilité de recours devrait garantir un processus décisionnel de grande qualité dans un délai raisonnable et ce dans l’intérêt des parties et de la société dans son ensemble. Dans une affaire où la décision n’a pas été rendue dans un délai raisonnable[317], des recours spécifiques peuvent être intentés, de préférence devant les juridictions locales ou, si de tels recours ne sont pas possibles, devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Une fois que le juge a accompli son devoir et rendu sa décision, l’intérêt général exige qu’elle soit rapidement et effectivement exécutée[318]. A cet égard, le pouvoir judiciaire s’en remet souvent au pouvoir exécutif pour donner effet à ses décisions.

(ii) Autres mécanismes de responsabilité d’explication

  1. Il existe plusieurs autres moyens permettant d’obliger le pouvoir judiciaire à rendre compte de son travail et – le cas échéant – de sa gestion de l’administration de la justice. Les autres pouvoirs de l’État ne doivent jamais abuser de ces moyens pour s’ingérer dans le fonctionnement du pouvoir judiciaire. L’un des ces moyens évidents est d’ordre externe au pouvoir judiciaire : par exemple les rapports annuels accessibles au grand public. Parmi les autres moyens externes figurent les vérifications réalisées par des comités d’audit publics, les services d’inspection[319] ou encore les enquêtes. Au niveau local ou national, de nombreux États membres ont mis en place l’institution de l’« Ombudsman », du Défenseur ou Médiateur public ou du peuple, ou encore des Inspecteurs généraux, nommés par le pouvoir exécutif ou par le Parlement, souvent largement indépendants. Leur mission consiste souvent, entre autres, à veiller à ce que le pouvoir judiciaire rende compte. (La question de savoir comment parvenir à un juste équilibre entre la nécessité de rendre compte et l’ingérence extérieure sera examinée à la section VI ci-dessous).

  1. Les autres moyens sont internes au pouvoir judiciaire, à travers l’évaluation individuelle des juges. Dans la plupart des États membres, les juges sont soumis, sous une forme ou une autre, à une évaluation individuelle à un moment donné de leur carrière. L’évaluation peut être utile pour assurer que les juges rendent compte. Comme l’a expliqué le CCJE, l’évaluation individuelle du travail des juges peut aider à obtenir des informations sur leurs capacités indivisduelles, ainsi que sur les forces et faiblesses du système judiciaire. L’évaluation peut aider à repérer les meilleurs candidats à la promotion et ainsi maintenir ou même améliorer la qualité du système judiciaire[320]. Il convient de ne pas abuser de l’évaluation, notamment en vue d’exercer une pression politique sur un juge ou pour remettre en cause des décisions individuelles. 

(iii) Discussion avec d’autres pouvoirs de l’État

31.  Chacun des trois pouvoirs de l’État dépend des deux autres pour fonctionner efficacement. Le dialogue entre tous est indispensable pour améliorer l’efficacité de chaque pouvoir et la coopération avec les deux autres pouvoirs. A condition que ce dialogue se déroule dans un climat de respect mutuel et s’attache particulièrement à la préservation de l’indépendance et de l’impartialité de tout juge qui y prend part[321], ces échanges seront bénéfiques aux trois pouvoirs de l’État[322]. Le CCJE a souligné qu’il était important que les juges participent au débat sur la politique judiciaire nationale. En outre, les membres du pouvoir judiciaire devraient être consultés et jouer un rôle actif dans l’élaboration de toute législation relative à leur statut et au fonctionnement du système judiciaire[323]. Le savoir-faire des juges est également précieux pour des sujets ne relevant pas de la politique judiciaire. Par exemple, en témoignant devant les commissions parlementaires, les représentants du pouvoir judiciaire (par exemple la plus haute autorité du pouvoir judiciaire ou le conseil supérieur de la justice) peuvent exprimer les inquiétudes suscitées par des projets législatifs et donner le point de vue du pouvoir judiciaire sur des questions pratiques. Certains États membres ont fait part d’expériences positives relatives à ces échanges[324]. Dans plusieurs États membres, le pouvoir judiciaire noue un dialogue avec le pouvoir exécutif à travers les juges qui se mettent temporairement en congé du système judiciaire pour travailler dans les services de la législation civile ou pénale d’un ministère de la Justice[325].D’autres États membres, toutefois, considèrent cette pratique comme contraire à l’indépendance de la justice[326].

(iv) Dialogue avec le public

32.  Comme le CCJE l’a déjà fait observer, le dialogue avec le public, qu’il ait lieu directement ou par l’intermédiaire des media, est d’une importance capitale pour mieux faire connaître le droit aux citoyens et accroître leur confiance dans le pouvoir judiciaire[327]. Dans certains États membres, la nomination des juges non professionnels est considérée comme un maillon utile entre le pouvoir judiciaire et le public. Le CCJE a recommandé dans son Avis n° 7 (2005) sur « Justice et société » que le pouvoir judiciaire et les tribunaux instaurent un dialogue direct avec les media et le public[328]. Les tribunaux devraient, par exemple, remplir un rôle éducatif en organisant des visites à l’intention des élèves et des étudiants, en fournissant des informations et en expliquant les décisions judiciaires au citoyen et aux media afin d’améliorer leur compréhension du système et d’éviter les malentendus[329]. Bien que les relations avec les media présentent un risque, les tribunaux peuvent éviter que le citoyen se fasse de la justice une fausse représentation grâce à des contacts étroits et des explications dynamiques. Le pouvoir judiciaire peut de cette manière rendre compte à la société et s’assurer que le grand public se fait de la justice une représentation exacte, qui reflète les efforts consentis par les juges. Les juges peuvent, de cette façon, également montrer aux citoyens les limites du champ d’action de la justice[330].

(c)  «Responsabilité donnant lieu à sanction»

33.  Comme l’a déjà souligné le CCJE, toutes les actions de la justice doivent être conformes aux principes applicables en matière de conduite professionnelle, aux règles disciplinaires établies et – dans des conditions préservant l’indépendance et l’impartialité de la justice – au droit pénal. La définition des principes de déontologie professionnelle doit être distincte de leur application par le biais de régimes disciplinaires[331]. Étant donné l’importance de l’éthique et de l’intégrité pour la confiance du public dans la justice, les juges doivent se montrer intègres dans le cadre professionnel comme dans leur vie privée[332] et ont à répondre de leur conduite si elle s’écarte des normes acceptées. Il arrive que la conduite de certains juges soit à ce point aberrante que l’on ne saurait se satisfaire d’une simple explication. Le corollaire des pouvoirs et de la confiance considérables accordés par la société aux juges est qu’il doit être possible de les tenir pour responsables, et même de les démettre de leurs fonctions, en cas d’inconduite suffisamment grave pour justifier une telle mesure[333]. Ceci vaut particulièrement dans les cas de corruption judiciaire[334], qui sapent fondamentalement la confiance du public dans l’impartialité et l’indépendance de la justice. Dans d’autres cas de faute professionnelle, c’est la responsabilité pénale[335], civile[336] ou disciplinaire[337] qui sera applicable en fonction de la nature de la faute.

VI. Comment les exigences de «légitimité» et de «responsabilité*» influencent-elles les relations entre le pouvoir judiciaire et les deux autres pouvoirs de l’État ?

34.  Légitimité et responsabilité* sont étroitement liées. Le pouvoir judiciaire devrait s’efforcer de préserver et de démontrer sa légitimité en rendant compte au public. Le principal moyen d’y parvenir est de fournir un travail de très grande qualité et d’expliquer ses actions et sa conduite aux autres pouvoirs de l’État et – à la fois par leur intermédiaire et directement – à l’ensemble de la société. Comme indiqué plus haut, aucun pouvoir de l’État ne peut fonctionner de manière totalement isolée et séparée des autres. Tous les pouvoirs entretiennent une relation d’interdépendance. Aussi l’échange et le dialogue entre le pouvoir judiciaire et les autres pouvoirs de l’État sont-ils recommandés. Cependant, bien que tous les mécanismes susmentionnés puissent se révéler précieux pour garantir que le pouvoir judiciaire rende compte, ils risquent néanmoins d’être utilisés à mauvais escient.

35.  La pleine reconnaissance des garanties fondamentales de l’indépendance de la justice, telles que l’inamovibilité, l’interdiction d’un changement de fonction ou d'un déplacement sans le consentement du juge, l’absence d’influence politique sur les nominations et les promotions, une rémunération suffisante et la sécurité des personnes et des biens[338], constituent une condition préalable à tout débat constructif entre les trois pouvoirs de l’État. Si ces garanties de base sont respectées, l’indépendance judiciaire ne souffrira pas mais, au contraire, bénéficiera d’un surcroît de légitimité grâce à la combinaison d’un exercice satisfaisant de la fonction judiciaire et de la participation des juges à des échanges. La continuité de l'indépendance judiciaire et de la légitimité judiciaire ne sont pas automatiques: toutes deux doivent être constamment réaffirmées[339]. La légitimité et l’indépendance du pouvoir judiciaire sont garanties de la meilleure manière qu’il soit grâce à l’excellence de la performance. Pour atteindre cet objectif et gagner le respect du public, un pouvoir judiciaire indépendant et responsable* doit s’ouvrir à une critique qui doit être justifiée, il doit tirer des conclusions de ses erreurs, et ainsi améliorer continuellement son travail. Ainsi, l’indépendance et la responsabilité ne s’opposent pas mais s’enrichissent mutuellement. Il est toutefois important de souligner que le juge n’est pas responsable des politiques d’un précédent gouvernement ou régime. Les juges ne doivent pas être soumis à la critique ou à la procédure disciplinaire simplement parce qu’ils ont appliqué la loi adoptée par un régime antérieur, sauf s’ils ont, de mauvaise foi, détourné l’application de la loi.

36.  Il est particulièrement délicat de trouver un équilibre entre la nécessité de protéger le processus judiciaire contre les pressions ou distorsions d’origine politique et celle d’une discussion ouverte sur les questions d’intérêt général relatives à l’administration de la justice. D’une part, comme l’a souligné le CCJE, il faut que les juges acceptent d’être des personnages publics et qu’ils ne soient pas trop susceptibles[340]. Ainsi, dans leurs relations avec les autres pouvoirs de l’État et avec la société dans son ensemble, les juges doivent s’attacher eux-mêmes à préserver leur indépendance[341] et leur impartialité. D’autre part, dans tous leurs rapports avec le pouvoir judiciaire, les autres pouvoirs de l’État sont tenus de respecter les principes de l’indépendance et de l’impartialité de la justice. Le dialogue entre le pouvoir judiciaire et les autres pouvoirs de l’État, ainsi qu’avec le grand public, peut, dans certains cas, saper l’indépendance de la justice. Par exemple, il est inadmissible que d’autres pouvoirs de l’État critiquent des décisions de justice d’une manière qui sape l’autorité judiciaire et encourage la désobéissance, voire la violence à l’encontre des juges[342]. Il est également inacceptable qu’un membre du pouvoir judiciaire soit démis de ses fonctions par l’un des autres pouvoirs de l’État pour avoir exprimé dans le cadre de celles-ci des critiques justifiées au sujet d’un de ces autres pouvoirs ou de l’un de ses membres[343]. Il est essentiel que le dialogue entre les trois pouvoirs de l’État et entre le pouvoir judiciaire et le grand public, et que toute inspection et enquête, soient menés dans un climat de respect mutuel. Ces processus ne doivent en aucun cas être exploités pour influencer une décision judiciaire spécifique ou encourager l’irrespect ou la désobéissance vis-à-vis des décisions de justice.

37.  Concernant la responsabilité civile, pénale et disciplinaire (ce qui a été appelé ci-dessus « responsabilité donnant lieu à sanction »), le CCJE souligne que le principal recours contre les erreurs judiciaires, qui ne resultent pas de mauvaise foi, doit être la procédure d’appel. En plus, afin de protéger l’indépendance de la justice de pressions indues, il convient de définir avec le plus grand soin la position des juges au regard de la responsabilité pénale, civile et disciplinaire[344]. Les tâches d’interprétation du droit, de mise en balance des preuves et d'évaluation des faits auxquelles se livre un juge pour trancher un litige ne devraient pas engager sa responsabilité civile ou pénale, sauf en cas de malveillance, d'omission volontaire ou, le cas échéant, de négligence grave[345]. En outre, si l’État a dû verser un dédommagement à une partie en raison d'un défaut dans l'administration de la justice, seul l'État, et non pas un justiciable, devrait avoir le pouvoir d'établir, par une action en justice, la responsabilité civile d'un juge[346].

38.  Il est admis que les structures constitutionnelles des États membres présentent des différences considérables. Il en résulte des variations notables dans l’expérience de chaque État en matière d’interaction des trois pouvoirs. Chaque pays peut, toutefois, s’inspirer de l’expérience des autres. Il est possible non seulement de partager les bonnes pratiques, mais aussi et surtout de s’appuyer sur les échanges internationaux pour mieux comprendre les problèmes et les principes communs. C’est pourquoi les expériences et pratiques de l’ensemble des États membres devraient être partagées par l’intermédiaire d’institutions européennes et internationales, dont notamment les instances du Conseil de l’Europe.

VII. Retenue nécessaire dans les relations entre les trois pouvoirs

  1. Comme il a été souligné ci-dessus, les trois pouvoirs entretiennent une relation d’interdépendance. En ce sens, il ne peut donc jamais y avoir de complète « séparation des pouvoirs ». Cependant, pour qu’un juste équilibre soit atteint entre les trois pouvoirs de l’État, chaque pouvoir doit agir avec la retenue nécessaire dans ses relations avec les autres pouvoirs.

A.   La « retenue judiciaire »

40.  Le pouvoir judiciaire, en tant qu’un des trois pouvoirs de l’État, doit rendre compte à la société qu’il sert. Ainsi, comme les autres pouvoirs de l’État, il doit systématiquement tenir pour primordial l’intérêt supérieur des citoyens. Cela suppose qu’il doit tenir compte des conditions sociales et politiques dans lesquelles les deux autres pouvoirs de l’État doivent fonctionner. En outre, le pouvoir judiciaire doit être conscient de l’existence de limites quant à ses interventions se rapportant aux décisions politiques que doivent prendre les pouvoirs législatif et exécutif. Par conséquent, toutes les juridictions doivent être conscientes des limites de leurs prérogatives qui impliquent qu’elles ne peuvent pas interférer dans les prérogatives des autres pouvoirs. Le CCJE reconnaît que c’est à juste titre que le pouvoir législatif, comme le pouvoir exécutif, peuvent être préoccupés par le fait que le pouvoir judiciaire n’outrepasse pas son rôle.

41.  Dans ses rapports avec les deux autres pouvoirs de l’État, le pouvoir judiciaire doit éviter d’être perçu comme étant uniquement soucieux de ses intérêts et exagérant l’importance de ses propres préoccupations. Le pouvoir judiciaire doit, au contraire, se montrer compréhensif et responsable envers les besoins de la société et les exigences de bonne gestion des derniers publics. Le pouvoir judiciaire peut apporter son éclairage sur les incidences possibles d’une législation proposée ou de décisions de l’exécutif sur la capacité du pouvoir judiciaire à remplir son rôle constitutionnel. Le pouvoir judiciaire doit également prendre soin de ne pas s'opposer systématiquement aux modifications proposées concernant le système judiciaire en les qualifiant d'attaque contre l'indépendance judiciaire. Cependant, si l’indépendance judiciaire ou la capacité du pouvoir judiciaire à remplir son rôle constitutionnel sont menacées, le pouvoir judiciaire doit défendre sa position de manière déterminée. A titre d’exemples, on peut citer la baisse massive de l’aide judiciaire ou la fermeture de tribunaux pour des raisons économiques ou politiques.

42.  S’il est nécessaire de critiquer un autre pouvoir de l’État ou l’un de ses membres en particulier, dans le cadre du règlement d’un litige ou lorsque cela s’impose dans l’intérêt général, il faut que cela soit fait. Ainsi, par exemple, des membres du pouvoir judiciaire peuvent critiquer la législation ou l’incapacité du pouvoir législatif à adopter une législation qu’il considère appropriée. Cependant, tout comme les autres pouvoirs de l’État, le pouvoir judiciaire doit exprimer ses critiques dans un climat de respect mutuel. Les juges, comme tous les autres citoyens, ont le droit de participer au débat public, à condition de le faire d’une manière qui soit compatible avec le maintien de leur indépendance et impartialité. Le pouvoir judiciaire ne doit jamais encourager la désobéissance ou l’irrespect envers les pouvoirs exécutif et législatif. Dans leurs relations professionnelles et privées avec les représentants des autres pouvoirs, les juges doivent éviter tout conflit d'intérêt et tout comportement qui pourrait créer une perception mettant en cause l'indépendance du juge ainsi que l'impartialité et la dignité du pouvoir judiciaire en général. Dans la mesure où les critiques sont formulées dans un climat de respect mutuel, elles peuvent être bénéfiques à l’ensemble de la société. On ne saurait souligner trop souvent, toutefois, qu’il est inacceptable que des commentaires critiques raisonnables du pouvoir judiciaire à l'égard des autres pouvoirs de l'État soient sanctionnés par la révocation de juges ou par d’autres mesures de représailles[347]. Le CCJE souligne qu’il arrive que des comportements inadmissibles de la part de représentants du pouvoir législatif ou exécutif ou du personnel politique se manifestent sous forme de connivence, voire parfois de soutien à des agressions ou des actions radicales, violentes et illégales à l’encontre du pouvoir judiciaire[348]. Le soutien direct ou indirect à de telles agressions totalement inacceptable. De telles actions sont d’une part une attaque directe contre l'indépendance de la justice, mais elles étouffent aussi le débat public légitime engagé par les juges.

B.   La retenue de la part des autres pouvoirs

43.  Les autres pouvoirs de l’Etat doivent faire preuve de la même responsabilité et de la même retenue que le pouvoir judiciaire. Avant tout, les autres pouvoirs de l’État doivent reconnaître la fonction constitutionnelle légitime du pouvoir judiciaire et veiller à ce qu’il soit doté de ressources suffisantes pour remplir ses fonctions. Cette fonction consistant à trancher l’ensemble des litiges et à interpréter et appliquer le droit est aussi indispensable au bien-être d’un État démocratique moderne respectueux de la prééminence du droit que le sont les fonctions des pouvoirs législatif et exécutif. Dans un État régi par le principe de la séparation des pouvoirs, les interférences entre les actions d’une « branche » de l’État et celles des autres « branches » doivent rester dans les limites du droit et des normes reconnues au niveau international. Le CCJE considère que lorsqu’une ingérence indue survient, les pouvoirs de l’État devraient coopérer loyalement pour rétablir l’équilibre et, par-là, la confiance de la société envers le bon fonctionnement des institutions publiques. Dans tous les cas de conflit avec le pouvoir législatif ou exécutif impliquant des juges, ces derniers devraient pouvoir se tourner vers un conseil de la justice ou vers une autre autorité indépendante, ou disposer d’autres voies effectives de recours[349].

(1)  Remise en question de la nomination de juges déjà sélectionnés

44.  Les décisions, même déguisées, qui suppriment les garanties fondamentales de l’indépendance de la justice sont inacceptables[350]. Par exemple, une nouvelle majorité parlementaire ou un nouveau gouvernement ne doivent pas remettre en question la nomination ou le mandat de juges ayant déjà été nommés dans les règles. Le mandat des juges ne peut être remis en question que s’il a été dûment établi, au terme d’une procédure judiciaire, que le juge a enfreint des règles disciplinaires ou le droit pénal.

(2)  Législation : modifications du système judiciaire

45.  Déterminer quand et à quel rythme il convient de modifier la législation relève de la responsabilité du législateur. De trop fréquents changements sur une courte période, devraient cependant être d’évités, plus particulièrement dans le domaine de l’administration de la justice[351]. Lorsque des modifications du système de la justice sont introduites, des précautions doivent être prises pour veiller à ce qu’elles soient accompagnées par des dispositions financières, techniques et procédurales adéquates et qu'il y ait suffisamment de ressources humaines[352]. Dans le cas contraire, il existe un risque d’instabilité de l’administration de la justice et le public pourrait croire, à tort, que les problèmes dans l'administration du nouveau système sont dus au pouvoir judiciaire. Cela peut ébranler la confiance du public et mener à des conflits inutiles.

(3)  Le pouvoir législatif : commissions d’enquête parlementaires

 

46.  Il existe un risque de doublon entre le rôle dévolu aux juges et celui des commissions d’enquête parlementaires. Le CCJE reconnaît que les organes parlementaires nationaux ou locaux peuvent, en vertu de la législation de nombreux États membres, mettre en place des commissions chargées d’enquêter sur des phénomènes sociaux ou sur des allégations d’atteintes au droit ou des lacunes dans son application. Les attributions de ces commissions sont souvent proches de celles des autorités judiciaires : convoquer des témoins, ordonner la production ou la saisie d’éléments de preuve, etc. Aux yeux du CCJE, afin de préserver la séparation adéquate des pouvoirs, en général, les commissions d’enquête ne devraient jamais s’ingérer dans des enquêtes ou des procédures ouvertes par les autorités judiciaires ou sur le point de l’être. Si les rapports de ces commissions contiennent des commentaires sur des décisions existantes relatives à des affaires individuelles, ils doivent faire preuve du plus grand respect et ils devraient éviter d’exprimer des critiques qui peuvent être comprises comme ayant pour but de de réviser ces affaires. Cependant, si l’enquête concerne de possibles dysfonctionnements dans l’administration de la justice mis en lumière à travers une affaire individuelle, ces procédures peuvent être examinées, tout en y apportant les précautions nécessaires. Une enquête ne peut pas remplacer une procédure judiciaire en bonne et due forme.  

(4) « Ombudsman », Défenseurs ou Médiateurs du peuple ou des citoyens et Inspecteurs généraux

47.  Les « Ombudsmans », Défenseurs ou Médiateurs du peuple ou des citoyens, et Inspecteurs généraux, nommés par le pouvoir exécutif ou par le Parlement, jouissent souvent d’un large degré d’indépendance. Leur mission consiste à défendre l’intérêt général en recevant des plaintes de particuliers concernant des atteintes au droit reprochées, le plus souvent, à des entités publiques, et en enquêtant à leur sujet. Cependant, les enquêtes relatives à ces plaintes et les efforts engagés pour les résoudre, le plus souvent à travers des recommandations (contraignantes ou non) ou une médiation, peuvent interférer avec le traitement d’affaires individuelles portées devant un tribunal ou sur le point de l’être. De telles interventions doivent être évitées. Par conséquent, le CCJE recommande que la législation des États membres clarifie les relations entre les pouvoirs des « Ombudsmans » (ou des instances similaires) et ceux des tribunaux. Rendre possible le recours à ces entités avant d’initier une procédure judiciaire, comme cela se fait déjà dans certains États, pourrait offrir une bonne solution ; mais lorsqu’’une procédure judiciaire est initiée, les parties ne pourraient se tourner vers cette entité que sur recommandation du juge en charge de l’affaire.

(5) Administration des tribunaux et inspections

  1. Au cours des dernières décennies, nombre d’États membres ont accordé l’autonomie au pouvoir judiciaire ou ont élargi sa portée. Les modèles utilisés pour l’administration de la justice varient. Dans certains pays, elle incombe au ministère de la Justice, dans d’autres à des organismes indépendants et dans d’autres encore à des conseils de la justice. Le CCJE a formulé des recommandations sur ces questions[353]. Dans certains pays, les ministères de la Justice exercent une forte influence sur l’administration des tribunaux par le biais des présidents de tribunaux et des inspections judiciaires ou de services administratifs des tribunaux dépendant directement du ministère de la Justice. La présence d’agents du pouvoir exécutif dans les instances de gestion des cours et tribunaux est à éviter. Une telle présence peut constituer une ingérence dans le fonctionnement de la justice, menaçant ainsi son indépendance.

  1. Les problèmes dans les relations entre les pouvoirs exécutif et judiciaire peuvent se produire dans les États où le ministre de la Justice ou d’autres ministères ou organismes, comme ceux ayant un pouvoir d’audit et/ou de contrôle financier, sont habilités à diligenter des inspections dans les tribunaux. Ces inspections peuvent avoir différents objets. Les informations recueillies peuvent, par exemple, servir à déterminer la répartition des budgets, à planifier une éventuelle réorganisation des services du tribunal ou à ouvrir une éventuelle procédure disciplinaire contre des membres du personnel du tribunal et/ou des juges. Les inspections sont parfois composées de juges ou d’anciens juges et parfois même mises en place au sein des conseils de la justice. De l’avis du CCJE, bien que le point de vue d’inspecteurs externes puisse aider à détecter des lacunes dans une institution donnée, comme le pouvoir judiciaire, il est vital que les activités des inspecteurs n’interfèrent jamais dans les enquêtes judiciaires et procès en cours. Dans tous les cas, les autres pouvoirs de l’État devraient exercer leur droit à s’informer sur le fonctionnement de la justice ou à enquêter à son sujet en tenant compte des limites imposées par l’indépendance de la justice et, lorsque la loi le prévoit, par le secret des enquêtes judiciaires. Les inspections ne devraient jamais concerner des affaires individuelles, en particulier si elles sont en attente de procès.

(6) Autonomie budgétaire

  1. Les conséquences des difficultés des finances publiques, causées notamment par la crise économique depuis 2008, soulèvent de sérieux problèmes dans les nombreux États membres. L’accès aux tribunaux et à l’aide judiciaire a été restreint, la charge de travail des tribunaux a augmenté et le système judiciaire a été restructuré. Dans leurs réponses au questionnaire, de nombreux États membres ont signalé des débats en cours sur la rémunération des juges. Les salaires des juges sont gelés depuis de nombreuses années ou ont même été récemment revus à la baisse.

  1. Il est admis que, sous réserve des dispositions constitutionnelles appropriées, les décisions relatives au financement du système judiciaire et à la rémunération des juges doivent relever de la compétence du pouvoir législatif, mais que les normes européennes devraient systématiquement être respectées. Le CCJE a formulé des recommandations sur le financement du pouvoir judiciaire[354]. Ce dernier devrait exposer ses besoins au Parlement et, le cas échéant, au ministère de la Justice. En cas de grave récession économique, les juges, comme tous les autres membres de la société, doivent s’adapter à la situation économique de la société qu’ils servent. Toutefois, un sous-financement chronique du système judiciaire devrait être considéré comme inacceptable par l’ensemble de la société, étant donné qu’il ébranle les fondements d’une société démocratique basée sur la prééminence du droit.

(7) Critiques formulées par les membres des pouvoirs exécutif et législatif

 

  1. Les responsables politiques et les autres personnes occupant une fonction publique dans les États membres exigent souvent une limitation des pouvoirs du juge ou font preuve de peu de compréhension pour ce qu’apporte l’indépendance du système judiciaire. Ces commentaires sont notamment formulés au cours des campagnes électorales, lorsque des décisions sur les questions constitutionnelles ont été prises,  ou concernant des affaires pendantes. En principe, le pouvoir judiciaire doit accepter les critiques dans le cadre du dialogue entre les trois pouvoirs de l’État et avec la société dans son ensemble. Cependant, selon le CCJE, il existe une différence nette entre, d’une part, la liberté d’expression et la critique légitime, et, d’autre part, l’irrespect et l’exercice d’une pression indue sur le pouvoir judiciaire. Lors des campagnes électorales, les responsables politiques ne devraient pas user d’arguments simplistes ou démagogiques afin de critiquer le pouvoir judiciaire pour le seul plaisir de la controverse ou afin de détourner l’attention de leurs propres lacunes. Les juges ne devraient pas plus subir d’attaques personnelles. Les responsables politiques ne doivent en aucun cas encourager le non-respect des décisions judiciaires, et encore moins, comme cela s’est produit dans certains Etats, la violence envers les juges. Les pouvoirs exécutif et législatif ont l’obligation de fournir toute protection nécessaire et adéquate si la mission des tribunaux est menacée par des atteintes ou des intimidations dirigées contre les membres du pouvoir judiciaire. La critique sans nuance de la part de responsables politiques est irresponsable et elle représente un sérieux problème, car la confiance du public dans le système judiciaire peut ainsi être involontairement ou délibérément mise à mal. Le pouvoir judiciaire doit alors souligner qu’un tel comportement est autant une attaque contre la Constitution d’un État démocratique qu’une atteinte contre la légitimité d’un autre pouvoir de l’État. De tels comportements vont aussi à l’encontre des normes internationales.

 

  1. Il faut que les tribunaux et l’ensemble du pouvoir judiciaire débattent des moyens de faire face à ces critiques. Les juges qui ont été attaqués hésitent souvent à se défendre (notamment dans le cas d'un procès en cours), afin de préserver leur indépendance et de démontrer qu’ils demeurent impartiaux. Dans certains pays, ce sont les conseils de la justice ou la Cour suprême qui défendent les juges dans de telles situations. Ces mesures peuvent alléger les pressions exercées sur un juge. Elles peuvent être plus efficaces si elles sont organisées par des juges ayant des compétences en matière de communication.

  1. La règle selon laquelle les appréciations et les critiques d’un pouvoir de l'État envers les autres pouvoirs devraient être formulées dans un climat de respect mutuel est tout aussi valable pour les membres du pouvoir judiciaire que pour les membres des pouvoirs législatif et exécutif. En fait, il est encore plus important pour le pouvoir judiciaire de prendre des précautions supplémentaires, parce que les juges doivent souvent décider si l'exécutif ou le législatif a agi conformément à la loi. En outre, il n'y aura pas de confiance dans les décisions d'un pouvoir judiciaire qui permet à ses membres de faire des commentaires déraisonnables ou irrespectueux envers les autres pouvoirs de l'État. Ces types de remarques mèneront à une «guerre verbale», qui va elle-même affecter la confiance du public dans le système judiciaire. En définitive, une telle «guerre» pourrait conduire à un pouvoir judiciaire incapable de remplir sa mission constitutionnelle de trancher, d'une manière indépendante et impartiale et perçue comme telle, les litiges entre citoyens et entre citoyens et services de l'État. La société et la démocratie, que le pouvoir judiciaire doit servir et protéger, en subiraient les conséquences.

VIII. Resumé des points principaux

1.    Le pouvoir judiciaire est l'un des trois pouvoirs de l'État dans une démocratie. Ces trois pouvoirs sont complémentaires. Aucun de ces trois pouvoirs n’est «suprême» ou ne domine les autres (paragraphe 9).

2.    Dans un État démocratique, les trois pouvoirs agissent en s’équilibrant l’un l’autre ; ils doivent donc se rendre mutuellement compte dans l’intérêt de la société dans son ensemble (paragraphe 9).

3.    Le principe de la séparation des pouvoirs est en lui-même une garantie pour l'indépendance de la justice. Le pouvoir judiciaire doit être indépendant pour remplir son rôle constitutionnel par rapport aux autres pouvoirs de l'État, à la société en général et aux parties à un procès  spécifique (paragraphe 10). 

4.    La légitimité du pouvoir judiciaire et de chaque juge est conférée, en premier lieu, par la constitution de chacun des États membres qui sont tous des démocraties fondées sur l’État de droit. La constitution établit le pouvoir judiciaire et confère ainsi une légitimité à ce pouvoir dans son ensemble et à chacun des juges qui exercent leur autorité comme partie du pouvoir judiciaire. La légitimité constitutionnelle des juges individuels qui ont été nommés définitivement ne doit pas être menacée par des mesures prises par le pouvoir législatif ou exécutif résultant de changements au sein du pouvoir politique (paragraphes 13 - 15 et 44).

5.    Cette légitimité constitutionnelle est réaffirmée par la confiance du public dans le pouvoir judiciaire et son respect pour ce pouvoir. Ceux-ci doivent être constamment réaffirmés par le pouvoir judiciaire grâce à l’excellence du travail accompli : c’est ce que le CCJE appelle la « légitimité fonctionnelle » (paragraphes 16 – 19).

6.    Le pouvoir judiciaire, comme les deux autres pouvoirs de l’État, constitue un service public. Par conséquent, il a le devoir de rendre compte aux autres pouvoirs de l’État et à la société de l’usage qu’il fait de son pouvoir, de son autorité et de son indépendance. Cela peut être appelé « responsabilité* » (paragraphes 20 - 22). Cette « responsabilité* » prend plusieurs formes. 

7.    En premier lieu, le système de recours constitue le seul moyen de réformer ou de modifier une décision de justice et la seule manière de demander au juge de rendre compte de ses décisions. C’est ce que le CCJE appelle une « responsabilité* judiciaire » (paragraphes 23, 26).

8.    Deuxièmement, les juges rendent compte en travaillant d'une manière transparente, en tenant des audiences publiques et en rendant des jugements motivés les engageant à l’égard du public et des autres pouvoirs de l'État. C’est ce que le CCJE appelle une « responsabilité d’explication » (paragraphes 27-32).

9.    Troisièmement, si un juge se livre à des actes inappropriés de nature suffisamment grave, il doit être tenu pour responsable de manière rigoureuse, par exemple à travers l’application de procédures disciplinaires et, le cas échéant, du droit pénal. Le CCJE parle ici d’une « responsabilité donnant lieu à sanction ». Il faut, cependant, veiller, dans tous les cas, à préserver l'indépendance judiciaire (paragraphes 33 et 37).

* Le terme « responsabilité » doit être ici entendu au sens du terme anglais « accountability », c’est-à-dire l’obligation de rendre compte.

10.  En ce qui concerne les relations entre les trois pouvoirs de l'État, tout d'abord, les juges, comme tous les autres citoyens, ont le droit de participer au débat public, d’une manière qui soit compatible avec son indépendance et son impartialité (paragraphe 42).  

11.  Tous les autres pouvoirs de l'État devraient reconnaître la fonction constitutionnelle légitime portée par le pouvoir judiciaire et veiller à ce qu’il soit doté de ressources suffisantes pour remplir ces fonctions. Les appréciations et les critiques d’un pouvoir de l'État envers les autres pouvoirs devraient être formulées dans un climat de respect mutuel (paragraphe 42).

12.  Le pouvoir judiciaire doit être conscient de l’existence de limites quant à ses interventions se rapportant aux décisions politiques que doivent prendre les pouvoirs législatif et exécutif. Par conséquent, toutes les juridictions doivent être conscientes des limites de leurs prérogatives qui impliquent qu’elles ne peuvent pas interférer dans les prérogatives des autres pouvoirs (paragraphe 40).

13.  Les décisions des pouvoirs législatif ou exécutif, même déguisées, qui suppriment les garanties fondamentales de l’indépendance de la justice, sont inacceptables (paragraphe 44).

 

14.  Les ministères de la Justice ne doivent pas exercer une influence sur l’administration des tribunaux par le biais des présidents de tribunaux et des inspections judiciaires d'une manière qui pourrait menacer l'indépendance judiciaire. La présence d’agents du pouvoir exécutif dans les instances de gestion des cours et tribunaux est à éviter. Une telle présence peut constituer une ingérence dans le fonctionnement de la justice, menaçant ainsi son indépendance (paragraphes 48-49).

15.  Afin de préserver la séparation adéquate des pouvoirs, les commissions d’enquête (qu'elles soient ou non parlementaires) ne devraient jamais s’ingérer dans des enquêtes ou des procédures ouvertes par les autorités judiciaires ou sur le point de l’être. Une telle enquête ne peut jamais remplacer une procédure judiciaire (paragraphe 46).   

16.  Le CCJE recommande que la législation des États membres clarifie les relations entre les pouvoirs des « Ombudsmans » (ou instances similaires) et ceux des tribunaux (paragraphe 47).

 

17.  Un sous-financement chronique du système judiciaire devrait être considéré comme une ingérence inacceptable dans le rôle constitutionnel du pouvoir judiciaire, parce qu'il ébranle les fondements d’une société démocratique basée sur l’État de droit (paragraphe 51).

18.  Les appréciations et les critiques d’un pouvoir de l'État envers les autres pouvoirs devraient être formulées dans un climat de respect mutuel. La critique sans nuance de la part de responsables politiques est irresponsable et elle représente un sérieux problème. Elle peut saper la confiance du public dans le pouvoir judiciaire et   pourrait, dans un cas extrême, correspondre à une attaque contre l'équilibre constitutionnel d'un État démocratique (paragraphe 52). Il faut que les tribunaux et l’ensemble du pouvoir judiciaire débattent des moyens de faire face à ces critiques (paragraphe 53).

19.  Les pouvoirs exécutif et législatif ont l’obligation de fournir une protection nécessaire et adéquate si la mission des tribunaux est menacée par des atteintes ou des intimidations dirigées contre les membres du pouvoir judiciaire (paragraphe 52).

20.  Les responsables politiques ne doivent en aucun cas encourager le non-respect des décisions judiciaires, et encore moins, comme cela s’est produit dans certains Etats, la violence envers les juges (paragraphe 52).



avis n°19 (2016)

du conseil consultatif de juges europeens (ccje)

a l'attention du comite des ministres du conseil de l'europe

sur

LE RÔLE DES PRÉSIDENTS DES TRIBUNAUX

I. Introduction

1.         Conformément au mandat qui lui a été confié par le Comité des Ministres, le Conseil consultatif de juges européens (CCJE) a décidé d’élaborer un Avis sur le rôle des présidents des tribunaux, se focalisant en particulier sur les domaines relatifs à l’indépendance, la qualité et l’efficacité de la justice.

2.         Le but du présent Avis est d'examiner les questions et les problèmes liés au rôle des présidents des tribunaux, compte tenu de la nécessité impérieuse d'assurer un fonctionnement plus efficace d’un pouvoir judiciaire indépendant, ainsi qu’une justice de meilleure qualité.

3.         L’Avis a été élaboré sur la base de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (ci-après la CEDH), de la Magna Carta des juges du CCJE (2010) et de précédents avis du CCJE : Avis n° 1 (2001) sur les normes relatives à l’indépendance et l’inamovibilité des juges, Avis n° 2 (2001) sur le financement et la gestion des tribunaux, Avis n° 10 (2007) sur le Conseil de la Justice au service de la société, Avis n° 12 (2009) sur les relations entre les juges et les procureurs dans une société démocratique, Avis n° 16 (2013) sur les relations entre les juges et les avocats, Avis n° 17 (2014) sur l’évaluation du travail des juges, la qualité de la justice et le respect de l’indépendance judiciaire, Avis n° 18 (2015) sur la place du système judiciaire et ses relations avec les autres pouvoirs de l’État dans une démocratie moderne, ainsi que sur la base d’instruments pertinents du Conseil de l’Europe, en particulier la Charte européenne sur le statut des juges (1998) et la Recommandation CM/Rec(2010)12 du Comité des Ministres sur les juges : indépendance, efficacité et responsabilités (ci-après la Recommandation CM/Rec(2010)12). Le présent Avis tient également compte du Plan d’action du Conseil de l'Europe pour renforcer l’indépendance et l’impartialité du pouvoir judiciaire (CM(2016)36final), du rapport 2013-2014 du Réseau européen des conseils de la justice (RECJ) : « Normes judiciaires minimales  IV - Attribution des affaires » (ci-après le rapport du RECJ), des Principes fondamentaux des Nations Unies relatifs à l´indépendance de la magistrature (1985) et des Recommandations de Kyiv de l’OSCE sur l’indépendance de la justice en Europe orientale, dans le Caucase du Sud et en Asie centrale (2010) – Administration judiciaire, sélection et responsabilité.

4.         Le présent Avis prend en considération les réponses fournies par les membres du CCJE au questionnaire concernant le rôle des présidents des tribunaux[355] et de l’avant-projet préparé par l’expert désigné par le CCJE, M. Marco FABRI (Italie), accompagné d’une synthèse des réponses au questionnaire.

5.         Les règles différentes, les structures et l’organisation de chaque système judiciaire ont une influence sur le rôle des présidents. Ce rôle est considérablement affecté par le cadre de gestion de chaque système judiciaire national, de même que par les traditions et pratiques juridiques, sociales et politiques qui prévalent dans leur juridiction.

II. Rôle et fonctions des présidents des tribunaux

6.             Le rôle des présidents des tribunaux est de :

-       représenter le tribunal et les autres juges ;

-       assurer le fonctionnement efficace du tribunal, et donc améliorer le service rendu à la société ;

-       exercer des fonctions juridictionnelles.

Dans l’exécution de leurs tâches, les présidents des tribunaux protègent l’indépendance et l’impartialité des tribunaux et des juges individuellement.

A. Représentation du tribunal et des autres juges

7.         Les présidents des tribunaux jouent un rôle clé dans la représentation des tribunaux. Les informations fournies par les membres du CCJE concernant la situation dans les États membres montrent que l’étendue de ce rôle spécifique est de plus en plus importante. Par ce processus, les présidents des tribunaux contribuent au développement de l’ensemble du système judiciaire, tout en assurant le maintien et le rendu d’une justice indépendante de haute qualité par les tribunaux qui le composent.

En général, les présidents des tribunaux peuvent jouer un rôle dans le maintien et le développement des relations avec d’autres organes ou institutions, par exemple :

·         le conseil de la justice ou un organe similaire lorsqu’il existe ;

·         les autres tribunaux ;

·         le ministère public[356] ;

·         les barreaux[357] ;

·         le ministère de la Justice ;

·         les media ;

·         le grand public.

Le devoir principal des présidents des tribunaux doit rester celui d’agir à chaque instant en qualité de gardien de l’indépendance et de l’impartialité des juges et du tribunal dans son ensemble.

8.         Les présidents des tribunaux sont des juges faisant de fait partie du système judiciaire. Le niveau, l’intensité et l’étendue de la participation du président de tribunal au travail des instances compétentes assurant l’autogestion et l’autonomie du pouvoir judiciaire, telles que le Conseil de la Justice, le Congrès des juges, l’Assemblée générale des juges et les organisations professionnelles de juges, dépendent du système juridique national. Il est important que les présidents, avec leur solide expérience, apportent leur contribution à ces instances. Toutefois, la concentration des fonctions et des pouvoirs entre les mains d'un groupe restreint d'individus devrait être évitée.

9.         A travers la coopération et l’interaction avec d’autres tribunaux, le président peut partager ses expériences et identifier les bonnes pratiques en matière d’administration des tribunaux et de prestation de services aux justiciables. Il serait souhaitable que cette coopération puisse s’étendre au niveau international et s’appuyer sur tous les moyens de communication à disposition.

10.       La formation judiciaire est souvent organisée et gérée par des institutions centrales du pouvoir judiciaire ; il en résulte un rôle limité des présidents des tribunaux dans ce domaine. Les présidents devraient conseiller les institutions de formation judiciaire sur les besoins de formation spécifique. Ils devraient utiliser l'expertise et les connaissances spécialisées de leurs établissements de formation en matière de formation et de développement. En outre, les présidents jouent un rôle important en ce qu’ils incitent les juges à participer à des sessions de formation pertinentes et à créer les conditions pour le faire. Ceci s’applique également à la formation du personnel non-juge des tribunaux.  

11.       Les relations entre les présidents des tribunaux et d'autres organes de l'État devraient être fondées sur les principes fondamentaux de l’égalité et de la séparation des pouvoirs. Dans certains pays, le pouvoir exécutif, par l’intermédiaire du ministère de la Justice, exerce une forte influence sur l’administration des tribunaux par le biais des directeurs de tribunaux et des inspections judiciaires. Le CCJE a adopté la position que la présence d’agents du pouvoir exécutif dans les instances de gestion des cours et tribunaux est à éviter. Une telle présence peut constituer une ingérence dans le fonctionnement de la justice, menaçant ainsi son indépendance[358]. En tout état de cause, dans de tels cas, les présidents des tribunaux jouent un rôle important dans la prévention de possibles ingérences de l’exécutif dans les activités des tribunaux.

12.       Dans leurs relations avec les media, les présidents des tribunaux devraient garder à l’esprit que l’intérêt de la société exige que les media obtiennent les informations nécessaires pour informer à leur tour le public sur le fonctionnement de la justice. Cependant, de telles informations devraient être fournies en respectant pleinement la présomption d’innocence, le droit à un procès équitable et le droit au respect de la vie privée et familiale de toutes les personnes concernées par la procédure[359], de même que la protection du secret des délibérations. 

B. Relations au sein du tribunal : indépendance des juges

13.       Il existe plusieurs principes qui sont essentiels pour régir les relations entre les présidents des tribunaux et les autres juges du tribunal, ainsi que le travail du président du tribunal dans ce contexte. L'indépendance judiciaire interne exige que les juges ne soient pas individuellement soumis aux directives ou à la pression du président du tribunal lorsqu’ils se prononcent sur des affaires[360]. Les présidents des tribunaux, agissant en tant que gardiens de l'indépendance, de l'impartialité et de l'efficacité du tribunal, devraient eux-mêmes respecter l'indépendance interne des juges au sein de leur juridiction[361].

14.       L’administration du tribunal par le président, conformément aux principes fondamentaux du pouvoir judiciaire, est de la plus haute importance. En général, cela exige que les personnes qui sont nommées présidents de tribunal aient une très  grande expérience pour juger des affaires.

15.       Le CCJE estime qu'il est très important que les présidents des tribunaux, après leur nomination, continuent d’exercer leur fonction de juge. La poursuite de la pratique est non seulement importante pour permettre aux présidents d’assurer une continuité au regard de leur niveau professionnel et du maintien des contacts avec les autres juges conformément au principe du primus inter pares, mais aussi de remplir au mieux leur rôle en matière d’organisation, grâce à la connaissance directe des questions découlant de la pratique quotidienne. La charge de travail des présidents des tribunaux peut être réduite au regard de leurs tâches de gestion.

16.       Une jurisprudence cohérente et constante est un élément important de la sécurité juridique. Les présidents des tribunaux ont un rôle à jouer et pour assurer la qualité, la cohérence et la constance des décisions de justice. Cette tâche ne peut être accomplie que si les présidents des tribunaux favorisent la cohérence dans l'interprétation et la mention de la jurisprudence de son tribunal, des tribunaux supérieurs, de la Cour suprême et des tribunaux internationaux (par exemple, en facilitant  des formations incluant des séminaires, des réunions, des tables rondes, l’accès aux bases de données pertinentes et en promouvant le dialogue et l’échange d’informations avec des instances différentes, etc.). Le CCJE souligne que, dans le cadre de l'exécution de ces tâches, le président du tribunal doit respecter le principe de l’indépendance des juges.

17.       Les présidents des tribunaux devraient aussi être habilités à surveiller la durée des procédures judiciaires. Cela est étroitement lié au prescrit de l’Article 6 de la CEDH relative au délai raisonnable et aux exigences de la législation nationale. La surveillance de la durée des procédures et les mesures à adopter par les présidents des tribunaux pour accélérer le traitement des affaires doivent être mis en balance avec les principes d’impartialité et d’indépendance des juges ainsi qu’avec celui de confidentialité des procédures judiciaires[362].

18.       Les présidents des tribunaux devraient donner l’exemple et créer un climat où les juges peuvent s’adresser à eux lorsqu’ils ont besoin de soutien ou d’aide dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions, y compris sur des questions d’éthique et de déontologie.

19.       Les tribunaux sont essentiellement des instances collégiales. Le CCJE encourage la mise en place d’instances composées de juges du tribunal qui jouent un rôle consultatif et qui coopèrent avec le président du tribunal et le conseillent sur des questions essentielles[363].

20.       Les juges peuvent ressentir une certaine « distance» entre eux et les présidents. Il est important que cette « distance » soit comblée. Ceci peut se réaliser si les présidents entretiennent une relation étroite avec le travail juridictionnel, et si les juges sont impliqués et portent une certaine responsabilité dans le fonctionnement d’ensemble du tribunal et les questions managériales que cela implique.

21.       Les affaires devraient être réparties dans les tribunaux en fonction de critères objectifs préétablis. Un juge ne devrait pas être dessaisi d’une affaire sans raison valable. Les décisions de dessaisissement ne devraient pas être prises que sur la base de critères préétablis et selon une procédure transparente[364]. Là où les présidents des tribunaux jouent un rôle dans la répartition des affaires entre les membres du tribunal, ces principes devraient être suivis.

 

22.       Les informations fournies par les membres du CCJE montrent que les présidents assument un rôle de collecte de données et d’évaluation de la performance du tribunal dans son ensemble. Dans certains Etats membres, l’une des fonctions des présidents des tribunaux est d’évaluer les performances de chaque juge. Certaines préoccupations ont été exprimées concernant l’analyse de la performance individuelle des juges. Dans certains États membres, cela peut être considéré comme une menace potentielle sur l’indépendance des juges. Lorsque les présidents jouent un tel rôle, des mesures de protection juridiques et transparentes appropriées doivent être en place pour assurer l’impartialité et l’objectivité de cet examen[365].

23.       Lorsque les présidents des tribunaux sont compétents pour recevoir les plaintes des parties concernant des affaires en cours devant le tribunal et pour y répondre, ils devraient tenir compte du principe d’indépendance des juges et des attentes légitimes des parties et de la société dans son ensemble[366].

C. Rôle en matière de gestion[367]

24.       Le CCJE reconnaît que le rôle des présidents des tribunaux en matière de gestion varie selon les États membres[368]. On observe toutefois une tendance à l’élargissement du rôle de gestion des présidents des tribunaux. Ceci est le résultat d’une demande pour que le service rendu aux justiciables et à la société soit d’une meilleure qualité et reflète l’opinion générale que ce rôle confié aux présidents peut améliorer les prestations des tribunaux. A cet égard, le CCJE souligne que différents modèles de gestion sont envisageables. Tout modèle de gestion doit servir la bonne administration de la justice et ne doit pas être une fin en soi. Le CCJE estime que toute autorité centrale responsable de la gestion du pouvoir judiciaire ne devrait exécuter que les tâches qui ne peuvent pas être exécutées de manière efficace au niveau des tribunaux.

25.       Les systèmes judiciaires étant variés, les fonctions managériales doivent être encadrées et adaptées à l’environnement spécifique de l’organe judiciaire de l’Etat, de façon à respecter son indépendance, ainsi que l’indépendance et l’impartialité de chaque juge. Dans les relations entre les présidents des tribunaux et les autres juges, les fonctions de gestion des présidents reposent également sur ces valeurs fondamentales. Les présidents devraient s’abstenir de toute mesure ou action susceptible de compromettre l’indépendance ou l’impartialité des juges[369].

26.       Les réponses des membres du CCJE montrent que, dans certaines affaires, les présidents des tribunaux ont une fonction de planification stratégique explicite. Le CCJE estime que l’obligation des présidents des tribunaux que soit rendue une justice équitable et impartiale requiert inévitablement la définition d’objectifs et l’élaboration de stratégies pour faire face à divers défis et questions qui touchent le pouvoir judiciaire.

27.       Les présidents sont responsables de la gestion du fonctionnement du tribunal, y compris la gestion du personnel et des ressources matérielles et des infrastructures, de sorte qu’ils devraient disposer des pouvoirs et des ressources nécessaires pour accomplir efficacement cette tâche.

28.       Le rôle joué par les présidents des tribunaux dans la gestion du personnel du tribunal varie assez significativement entre les Etats membres. Les réponses au questionnaire montrent que, dans certains Etats membres, les pouvoirs des présidents des tribunaux peuvent être très vastes. Ces pouvoirs peuvent porter sur la sélection et le recrutement, la fixation des niveaux de rémunération, les mutations, les questions disciplinaires, l’appréciation des performances et l’évaluation et la révocation. Dans d'autres Etats membres, les pouvoirs des présidents sont très limités et la plupart des tâches de gestion sont accomplies par l'organisme ou la personne extérieur au pouvoir judiciaire.

29.       Les réponses des membres du CCJE montrent également que les présidents des tribunaux exercent des fonctions liées à la maintenance et à la sécurité d’infrastructure du tribunal. Si tous ces pouvoirs sont exercés par des organes désignés et responsables devant le pouvoir exécutif, par exemple le ministère de la Justice ou l’autorité centrale, le CCJE est d’avis que les présidents des tribunaux devraient être impliqués et disposer d’une influence significative sur la manière dont ces services sont fournis.

30.       Ces pouvoirs devraient être exercés d’une manière tant professionnelle que transparente. Il existe un net avantage si cette responsabilité est partagée avec le « gestionnaire du tribunal » ou le « directeur administratif », qui peut avoir un niveau d’autorité différent en matière de gestion du personnel du tribunal. Dans ce cas, ces agents devraient être nommés par les présidents des tribunaux et leur rendre compte de leur gestion.

31.       Les présidents des tribunaux devraient également être habilités à créer des services ou des unités organisationnelles au sein du tribunal, ainsi que des postes ou des fonctions individuelles dans le but de répondre aux différents besoins dans le fonctionnement du tribunal. Lorsque les présidents des tribunaux ont l'intention d'apporter des modifications significatives dans l'organisation du tribunal, les juges devraient être consultés.

32.       Dans certains États membres, les présidents des tribunaux exercent certaines fonctions liées à l’allocation du budget du tribunal. Par exemple, ils évaluent les ressources nécessaires pour le traitement des affaires dans un délai raisonnable, puis négocient avec les autorités centrales chargées des affectations budgétaires. Il s’agit d’une question importante, tributaire du cadre administratif du système judiciaire, de son degré d’autonomie et de la répartition des responsabilités au sein du système. Les critères utilisés dans le processus de répartition des ressources financières et humaines entre les différents tribunaux constituent un facteur clé dans la détermination du rôle conféré aux présidents des tribunaux, rôle qui devrait être significatif, si ce n’est déterminant. Cela est particulièrement important sachant que, dans les systèmes judiciaires de certains Etats membres, l’allocation des ressources est strictement centralisée, et le pouvoir discrétionnaire conféré aux présidents des tribunaux est très limité.

33.       Cependant, les présidents devraient disposer du pouvoir de gérer le budget de leur tribunal. Ce pouvoir implique que les présidents des tribunaux doivent rendre compte de cette gestion. Dans l’exercice de cette tâche, les présidents des tribunaux devraient être secondés des professionnels compétents au sein du personnel non-juge du tribunal.

III. Élection, sélection, durée du mandat, révocation

A. Qualifications requises pour devenir président de tribunal

34.       Le minimum de qualifications requises pour devenir président de tribunal est de disposer de toutes les qualifications et de l’expérience nécessaires lors du processus de nomination à une fonction de juge  dans ce tribunal.

35.       En outre, ils devraient avoir des compétences et qualités managériales. Le CCJE a précédemment observé que, si la gestion des tribunaux est confiée à des juges, ceux-ci devraient bénéficier d’une formation adéquate et du soutien nécessaire pour assumer cette tâche[370].

36.       Les qualifications requises pour la nomination des présidents des tribunaux devraient donc correspondre aux fonctions et aux tâches qui leur seront confiées. Plus le rôle de gestion est important, plus les compétences et les qualités en la matière doivent être étendues.

B. Organe chargé de l’élection ou de la sélection des présidents des tribunaux

37.       La manière dont les présidents des tribunaux sont sélectionnés, nommés ou élus diffère selon les États membres, comme le montrent les réponses au questionnaire. Ces procédures sont liées au système d’administration judiciaire et au rôle des présidents des tribunaux. Dans certains systèmes, les présidents sont élus ou promus parmi les juges, alors que d’autres systèmes permettent de les sélectionner ou les nommer de l’extérieur. Dans le premier cas, les mérites du candidat et son expérience judiciaire sont pris en considération.

38.       Le CCJE considère que les procédures de nomination des présidents des tribunaux devraient suivre la même voie que celle de sélection et de nomination des juges. Cela comprend un processus d'évaluation des candidats et un organe ayant autorité pour sélectionner ou nommer les juges suivant les normes établies dans la Recommandation CM/Rec(2010)12 et dans les précédents avis du CCJE[371].

Dans tous les cas, le système de sélection et de nomination des présidents des tribunaux devrait comprendre, en règle générale, une procédure de concours à la suite d’un appel à candidatures déstiné aux candidats remplissant des conditions préétablies par la loi.

 

39.       Le CCJE tient également à souligner que, quelles que soient les règles de procédure existantes et les organes qui disposent du pouvoir de choisir le candidat au poste de président du tribunal, l’essentiel est que les meilleurs candidats soient sélectionnés et  nommés, comme cela est indiqué dans la Recommandation CM/Rec(2010)12[372] et l’Avis n° 1(2001) du CCJE: il incombe « ...aux autorités des États membres responsables des nominations et des promotions ou chargées de formuler des recommandations en la matière d'adopter, de rendre publics et de mettre en œuvre des critères objectifs afin que la sélection et la carrière des juges soient fondées sur le mérite, eu égard à leurs qualifications, leur intégrité, leur compétence et leur efficacité »[373].

Le CCJE est d’avis que les juges du tribunal concerné pourraient être impliqués dans le processus de sélection, ce qui peut prendre la forme d’un vote consultatif ou d’un vote contraignant. 

40.       Dans certains États membres, les présidents des tribunaux ne sont pas sélectionnés et/ou nommés, mais ils sont élus par leurs pairs, c’est-à-dire par les juges du tribunal. Le CCJE estime que dans un tel système, les critères objectifs de mérite et de compétence devraient également prévaloir.

 

C. Évaluation du travail des présidents des tribunaux

41.       En général, la performance des présidents des tribunaux fait l’objet d’une évaluation tout comme celui des juges ordinaires, et toutes les garanties nécessaires doivent s’appliquer[374].

42.       En outre, compte tenu du rôle spécifique des présidents des tribunaux, il est possible d’apprécier le travail globalement accompli, y compris les tâches de gestion, pour envisager d’éventuelles améliorations et tirer les enseignements de l’expérience. Cette appréciation devrait tenir compte des tâches et responsabilités conférées aux présidents.

43.       Seuls quelques États membres déclarent disposer d’un système spécifique d’évaluation des présidents des tribunaux. Cette appréciation suppose l’existence d’indicateurs objectifs. De manière générale, l’évaluation des juges peut en effet être fondée sur un certain nombre de critères quantitatifs et qualitatifs[375]. Cependant, il existe dans les États membres très peu de pratiques spécifiques en matière d’évaluation des performances de gestion des présidents des tribunaux. Dans les États membres qui prévoient l’élaboration d’un programme de travail du tribunal, ce document peut fournir une base  pour l’évaluation des performances de gestion.

D. Durée du mandat

44.       Plusieurs approches s’offrent aux États membres en ce qui concerne la durée des mandats des présidents des tribunaux, qui varient généralement entre deux et sept ans, et sont renouvelables une ou plusieurs fois. Dans certains pays, les présidents des tribunaux, après avoir été élus ou sélectionnés, peuvent occuper leur poste jusqu’à leur retraite. D’une part, la durée du mandat devrait être assez longue pour acquérir une expérience suffisante et permettre la réalisation de projets dans le but d’offrir de meilleurs services aux usagers des tribunaux. D’autre part, le mandat ne devrait pas être trop long, étant donné qu’il peut mener à une forme de routine et empêcher le développement d’idées nouvelles. Le CCJE recommande de trouver, compte tenu du cadre institutionnel de chaque pays, un équilibre adéquat entre ces deux perspectives. Il faudrait aussi prendre en considération que chaque élection ou nomination de président donne à l’organe de sélection ou de nomination une certaine influence sur le tribunal concerné.

45.       Les garanties du principe d’inamovibilité du juge s’appliquent également au mandat du président. Le CCJE convient que « l’inamovibilité des juges et la garantie de leurs conditions de service sont des éléments absolument nécessaires au maintien de l’indépendance de la justice, selon toutes les normes juridiques internationales, y compris celles du Conseil de l’Europe[376]. Rien n’indique dans ces normes que le principe de l’inamovibilité des juges ne doive pas s’appliquer au mandat des présidents de juridiction, indépendamment du fait qu’ils exercent ou non, en plus de leurs fonctions judiciaires, des fonctions administratives ou managériales »[377].

46.       Ces normes ne sont pas en contradiction avec des mandats présidentiels limités dans le temps. Lorsqu’un juge est nommé à la présidence d’un tribunal pour une durée déterminée, il devrait exercer son mandat jusqu’au bout. La révocation d’un président de tribunal (par exemple suite à des procédures disciplinaires) devrait, au minimum, être soumise aux mêmes garanties que celles applicables à la révocation des juges ordinaires[378]. Des défaillances graves en matière d’organisation ou l’incapacité à remplir la fonction de président de juridiction peuvent mener à une procédure de révocation. Toute révocation avant l’expiration du mandat devrait être soumise à des procédures et des garanties clairement établies et reposer sur des critères clairs et objectifs.

47.       En outre, la procédure de révocation anticipée devrait être transparente et tout risque d’influence politique devrait être fermement écarté. Il convient donc d’éviter toute participation du pouvoir exécutif, par exemple du ministre de la Justice, à la procédure. De plus, les procédures devraient être identiques à celles appliquées pour les autres juges.

48.       La résiliation du mandat d’un président de tribunal, ou l’échéance de son mandat, ou sa révocation anticipée, ne devrait pas, en principe, affecter son statut de juge.

IV. Présidents de cours suprêmes

49.       Les présidents des plus hautes juridictions exercent différents rôles et devoirs qui découlent du rôle spécifique de ces juridictions et de leur image emblématique, puisqu’elles sont en quelque sorte l’incarnation de l’ensemble du système judicaire, en particulier dans les Etats membres où il existe une cour suprême. Néanmoins, le CCJE est d’avis que, malgré leurs rôles importants précités, les présidents des cours suprêmes sont également des présidents de leur juridiction. Dans cette perspective, toutes les tâches et les principes énoncés dans cet Avis s’appliquent, également à eux.

50.       Les présidents de cours suprêmes peuvent aussi exécuter des tâches spécifiques supplémentaires en fonction de la place qu’ils occupent dans le système judiciaire national. Ces tâches spécifiques varient selon les États membres, et peuvent par exemple inclure les tâches suivantes :

·                représenter le pouvoir judiciaire national;

·                exprimer leur avis concernant les développements stratégiques et l’élaboration des législations relatives au fonctionnement du système judiciaire ;

·                être consultés par rapport au processus de préparation du budget national et d’attribution des ressources en ce qui concerne le budget de la justice[379] ;

·                préparer des rapports annuels à l’attention du Parlement sur l’état actuel du pouvoir judiciaire[380].

51.       Dans certains Etats membres, les présidents de cours suprêmes sont membres de droit des conseils de la justice et, en cette qualité, jouent un rôle central dans toutes les décisions concernant la gestion du pouvoir judiciaire, la nomination, la promotion, la mutation et la révocation des juges, les procédures disciplinaires à l’encontre les juges, le règlement des litiges, etc.

52.       Compte tenu des tâches spécifiques des présidents de cours suprêmes, le CCJE met en garde contre le risque d'une concentration excessive de différents pouvoirs entre leurs mains, ce qui peut avoir un effet négatif sur l'indépendance du pouvoir judiciaire et la confiance du public dans son impartialité.

 

53.       Dans presque tous les États membres, les procédures d’élection ou de sélection des présidents de cours suprêmes sont assez différentes de celles régissant la nomination des autres présidents de tribunaux. Le CCJE souligne que la procédure d’élection ou de sélection des présidents de cours suprêmes devrait respecter certains critères et fournir certaines garanties, afin de préserver les principes fondamentaux de l’indépendance du système judiciaire et de l’impartialité des juges. La procédure d’élection ou de sélection devrait être définie par la loi et basée sur le mérite. Elle devrait formellement exclure toute possibilité d’influence politique. Un tel risque peut être évité par l’adoption d’un modèle dans lequel le président est élu par les juges de la cour suprême concernée. Le CCJE reconnaît la valeur d’un tel modèle.

54.       Les règles relatives à la durée du mandat des présidents de cours suprêmes varient significativement selon les Etats membres. En effet, cela va d’une nomination d’une durée de deux ans renouvelables une seule fois à une durée de mandat indéterminée jusqu’à l’âge de la retraite.

55.       Le CCJE n’a pas vocation à déterminer la durée la plus appropriée pour le mandat des présidents de cours suprêmes, puisque cela dépend du système juridique national et, par conséquent, du rôle et des fonctions conférés au président. Cependant, le mandat devrait être d’une durée suffisante pour leur permettre d’accomplir leurs tâches de manière indépendante et impartiale, sans être soumis à des influences politiques ou provenant de l’extérieur.

V. Conclusions et recommandations   

1.         Le rôle des présidents des tribunaux est de représenter le tribunal et les autres juges, d'assurer le fonctionnement efficace du tribunal, améliorant ainsi le service rendu à la société, et d’exercer des fonctions juridictionnelles (paragraphe 6). Dans l’exécution de leurs tâches, les présidents des tribunaux protègent l’indépendance et l’impartialité des tribunaux et des juges individuellement et doivent agir à chaque instant en qualité de gardien de ces valeurs et principes (paragraphes 6 et 7).

2.         Les présidents des tribunaux ont un rôle à jouer par leur contribution dans le travail des instances assurant l’autogestion. Toutefois, la concentration des fonctions et des pouvoirs entre les mains d'un groupe restreint d'individus devrait être évitée (paragraphe 8).

3.         Dans leurs relations avec les media, les présidents des tribunaux devraient garder à l’esprit l’intérêt de la société d'être informée, tout en tenant dûment compte de la présomption d’innocence, du droit à un procès équitable et du droit au respect de la vie privée et familiale de toutes les personnes concernées par la procédure, de même que de la protection du secret des délibérations (paragraphe 12). Les présidents des tribunaux, agissant en tant que gardiens de l'indépendance, l'impartialité et l'efficacité du tribunal, devraient eux-mêmes respecter l'indépendance interne des juges au sein de leur juridiction (paragraphe 13).

4.         Lorsque les présidents des tribunaux ont un rôle dans la collecte de données et l'évaluation du travail du tribunal et des juges, des garanties appropriées doivent être en place pour assurer l'impartialité et l'objectivité (paragraphe 22).

5.         Tout modèle de gestion doit faciliter la bonne administration de la justice et ne doit pas être une fin en soi. Les présidents des tribunaux devraient s’abstenir de toute mesure ou action susceptible de compromettre l’indépendance ou l’impartialité des juges (paragraphes 24 et 25).

6.         Le rôle des présidents des tribunaux dans l'allocation du budget au tribunal devrait être significatif, si ce n’est déterminant (paragraphe 32), et ils devraient disposer du pouvoir de gérer le budget de leur tribunal (paragraphe 33).

7.         Le minimum de qualifications requises pour devenir président de tribunal est de disposer de toutes les qualifications et l’expérience nécessaires lors du processus de nomination à une fonction judiciaire dans ce tribunal. Les compétences et les qualités requises pour la nomination des présidents des tribunaux devraient correspondre aux fonctions et aux tâches qui leur seront confiées (paragraphes 34 et 36).

8.         Le CCJE considère que les procédures de nomination des présidents des tribunaux devraient suivre la même voie que celle de sélection et de nomination des juges, conformément aux normes établies dans la Recommandation CM/Rec(2010)12 et dans les précédents avis du CCJE (paragraphe 38). Les juges du tribunal concerné pourraient être impliqués dans le processus d'élection, de sélection et de nomination de leur président. Un vote consultatif ou même contraignant serait approprié (paragraphe 39).

9.         En général, la performance des présidents des tribunaux fait l’objet d’une évaluation tout comme celui des juges ordinaires, et toutes les garanties nécessaires doivent s’appliquer (paragraphe 41).

10.      Le principe de l’inamovibilité des juges devrait s’appliquer au mandat des présidents des tribunaux, indépendamment du fait qu’ils exercent ou non, en plus de leurs fonctions judiciaires, des fonctions administratives ou managériales (paragraphe 45). La révocation d’un président de tribunal avant l’expiration de son mandat devrait, au minimum, être soumise aux mêmes garanties que celles applicables à la révocation des juges ordinaires (paragraphe 46).

11.      La résiliation du mandat d’un président de tribunal ne devrait pas, en principe, affecter son statut de juge (paragraphe 48).

12.      Les présidents des cours suprêmes sont également des présidents de leur juridiction et dans cette perspective, toutes les tâches et les principes énoncés dans cet Avis s’appliquent, en général, également à eux (paragraphe 49).

13.      Les procédures d’élection ou de sélection des présidents de cours suprêmes devraient être définies par la loi et basée sur le mérite et devraient formellement exclure toute possibilité d’influence politique (paragraphe 53).

 



[1] Le CCJE ne tentera pas de faire une synthèse de la bibliographie très abondante sur la séparation des pouvoirs. Le présent document n'en donne qu'un aperçu sommaire comme le fait remarquablement bien Lopez Guerra dans : Le pouvoir judiciaire et la séparation des pouvoirs (communication de la Commission de Venise pour une conférence des juges de cours suprêmes et constitutionnelles de la région d'Afrique australe, février 2000).

[2] Pour une analyse plus approfondie faisant ressortir l'impossibilité, et peut-on dire le caractère peu souhaitable d'une situation où une personne soit totalement soustraite à une influence quelle qu'elle soit, par exemple à des facteurs culturels et sociaux, voir Prof. Henrich, Le rôle de l'indépendance de la justice dans la prééminence du droit (communication de la Commission de Venise pour un atelier au Kirghizstan, avril 1998).

[3] Voir paragraphe 12 ci-dessous.

[4] voir paragraphes 14-16.

[5] Voir paragraphe 43 ci-dessous.

[6] Il se compose de trois juristes nommés par le Ministre de la Justice sur  recommandation de la Cour suprême, de l'Association des juges et de l'Association des avocats après que la Cour suprême a formulé des observations concernant leur candidature et leurs qualifications.

[7] Le CCJE a pourtant connaissance de certains cas où de tels systèmes semblent fonctionner de manière satisfaisante, comme pour la nomination du Président de la Cour suprême en Inde et au Japon.

[8] voir paragraphe 24 ci-dessus.

[9] Le Président, sur le conseil du Premier Ministre.

[10] voir paragraphe 20 ci-dessus.

[11] voir paragraphe 20 ci-dessus.

[12] Voir paragraphes 38-39 ci-dessus.

[13] Voir paragraphes 37 et 45 ci-dessus.

[14] Voir aussi la balance entre le principe général de la liberté d’expression et l’exception (quand des mesures sont nécessaires afin de maintenir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire) dans l’art. 10 de la CEDH.

[15] Voir aussi paragraphe 27 ci-dessus.

[16] Voir l’Opinion N° 1 (2001) sur les règles concernant l’indépendance de la magistrature et l’inamovibilité des juges, la partie intitulée « Les organes de nomination et consultatifs »

[17] Le texte a depuis été révisé en novembre 2002 et est devenu « Les Principes de Bangalore sur la déontologie judiciaire ». Le CCJE n’a pas examiné ces Principes. La Note explicative aux Principes reconnaît la contribution du Groupe de travail du CCJE réuni en juin 2002.

[18] Les mutations de la justice. Comparaisons européennes, Ph. Robert et A. Cottino (dir.), L’Harmattan, 2001.

[19] Voir par exemple Affaire Piersack, arrêt du 1 octobre 1982, Série A 53, § 30, Affaire De Cubber, arrêt du 26 octobre 1984, Série A 86, § 24.Affaire Demicoli, arrêt du 27 août 1991, Série A 210, §40, Affaire Sainte-Marie, arrêt du 16 décembre 1992, Série A 253-A § 34.

[20] Pour une analyse approfondie des incompatibilités voir la Communication de Jean-Pierre Atthenont  présentée lors du séminaire organisé par le Conseil de l’Europe sur le statut du juge (Bucarest, les 19-21 mars 1997) et la Communication de Pierre Cornu présentée lors d’un séminaire organisé par le Conseil de l’Europe sur le statut du juge (Chisinau, les 18-19 septembre 1997).

[21] Ils portent sur les relations avec les justiciables, le devoir de compétence, l’emploi des ressources publiques, l’usage des informations professionnelles,  les relations avec la presse, l’adhésion aux associations, l’image d’impartialité et d’indépendance, l’obligation de correction avec ses collaborateurs, la conduite dans et hors des fonctions et les devoirs des magistrats directeur.

[22] Dans son rapport de synthèse présenté à l’issue des travaux de la 1ère réunion du Réseau de Lisbonne, Daniel Ludet a souligné que la formation devrait offrir le lien et encourager la réflexion sur les pratiques professionnelles des juges et sur les principes d’éthique auxquels elles renvoient (voir : La formation des magistrats  aux questions relevant de leurs obligations professionnelles et de la déontologie de la profession. 1ère réunion des membres du Réseau européen d’échange d’informations sur la formation des magistrats. Editions du Conseil de l’Europe).

[23] Le simple fait que l’Etat ait été jugé responsable pour des délais excessifs ne signifie pas, bien entendu, qu’un juge particulier soit fautif. Le CCJE réitère ici ce qui est dit au paragraphe 27 ci-dessus.

[24] C’est pour cette raison que le groupe de travail du CCJE, pendant et à l’issue de la réunion du 18 juin 2002 avec le Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme a émis des réserves quant à la version actuelle du Code de Bangalore, qu’il avait, par ailleurs, accueilli favorablement en substance, en désapprouvant le lien direct établi entre les principes de conduite qui y sont énoncés et la question des plaintes et de la discipline (voir paragraphe 2 (iii) de l’annexe V, doc. CCJE-GT (2002) 7) ; voir le commentaire n° 1 (2002) du CCJE sur le projet de Bangalore.

[25] En Angleterre, le Lord Chancellor est chargé d’entamer et de décider la procédure disciplinaire. L’action disciplinaire est engagée seulement avec le consentement du Lord Chief Justice et ensuite (sauf si le juge concerné y renonce) un autre juge d’un rang approprié est désigné par le Lord Chief Justice pour enquêter sur les faits et soumettre un rapport assorti de recommandations. Si le Lord Chief Justice y consent, le Lord Chancellor défère alors l’affaire devant le Parlement (lorsque le juge concerné est d’un rang élevé), destitue un juge de rang moins élevé de ses fonctions, prend toute autre mesure disciplinaire ou l’autorise.

[26] Résolution (78) 8 sur l’assistance judiciaire et la consultation juridique.

[27] Recommandation N° R (84) 5 du Comité des Ministres aux Etats membres sur les principes de procédure civile propres à améliorer le fonctionnement de la justice.

[28] Voir partie C, point b.

[29] La question de la charge de travail et de la gestion des affaires a été discutée dans le cadre de la 1ère Conférence européenne des juges (voir paragraphe 8 ci-dessus).

[30] Recommandation N° R (86) 12 du Comité des Ministres aux Etats membres relative à certaines mesures visant à prévenir et réduire la surcharge de travail des tribunaux. Elle couvre :

(a)           les procédures de conciliation (ou, pour utiliser le terme actuel, de “médiation”), y compris l’obligation déontologique des avocats de rechercher la conciliation;

(b)           autres procédures de règlement des litiges en dehors de l’ordre judiciaire, y compris l’arbitrage (et, bien qu’ils ne soient pas expressément mentionnés, les ombudsmen);

(c)           le rôle du juge dans la recherche d’un règlement amiable;

(d)           le fait de décharger les juges des tâches non juridictionnelles;

(e)           la généralisation de l’institution du juge unique en première instance (par opposition aux collèges de juges);

(f)            le réexamen de la compétence des organes juridictionnels, afin d’assurer une répartition équilibrée de la charge de travail;

(g)           l’évaluation de l’incidence de l’assurance judiciaire, afin d’établir si celle-ci encourage l’introduction d’actions dénuées de fondement.

La Recommandation N° R (94) 12 du Comité des Ministres aux Etats membres sur l’indépendance, l’efficacité et le rôle du juge a rappelé aux Etats que, pour s’acquitter de leur obligation de créer des conditions de travail adéquates pour les juges, ils doivent notamment “prendre les mesures appropriées afin de confier des tâches non juridictionnelles à d’autres personnes”, conformément à la Recommandation précédente.

[31] Recommandation N° R (87) 18 du Comité des Ministres aux Etats membres concernant la simplification de la justice pénale.

[32] Cette dernière Recommandation, sur la gestion de la justice pénale, contient diverses recommandations destinées à remédier aux aspects suivants : l’accroissement du nombre et de la complexité des affaires, les retards injustifiés, les difficultés budgétaires et l’augmentation des attentes du public et du personnel, traités sous les rubriques suivantes : (I) La détermination d’objectifs, (II) La gestion de la charge de travail, (III) La gestion de l’infrastructure, (IV) La gestion des ressources humaines et (V) La gestion de l’information et de la communication.

[33] Voir section D du présent Avis.

[34] Voir son Avis N° 2 (2001) sur le financement et la gestion des tribunaux, paragraphes 12 et 13.

[35] Le CCJE renvoie à son Avis N° 3 (2002), où il a traité de déontologie judiciaire.

[36] A propos de cette dernière, voir le paragraphe 26 ci-dessus.

[37] Un problème analogue est soulevé par les accords (à présent autorisés au Royaume-Uni) d’honoraires conditionnels – c’est-à-dire les accords en vertu desquels les honoraires d’avocat ne sont versés par le requérant ayant pris l’avocat en question que s’il obtient gain de cause, mais sont alors payables par le défendeur perdant, qui doit également verser aux avocats du requérant gagnant un supplément dont le montant peut aller jusqu’à 100 %. Un accord de ce type permet à un requérant impécunieux de contrarier un défendeur et de le forcer à accepter un arrangement, puisque i) le requérant et ses avocats n’ont aucun intérêt – bien au contraire – à s’entendre sur un montant d’honoraires raisonnable ; et ii) à moins que le requérant n’ait pris une assurance pour frais de justice, le défendeur, s’il gagne, a peu de chances de recouvrer des frais auprès du requérant perdant. Les tribunaux anglais ont récemment renforcé leur contrôle afin de limiter le montant des honoraires sur lequel il est possible de s’entendre dans le cadre de tels accords et les conditions auxquelles ils peuvent être conclus.

[38] On doit se demander si cela est compatible avec la nature publique du ministère public dans un grand nombre de pays.

[39] La réduction peut généralement aller jusqu’à un tiers de la longueur de la peine qui serait prononcée s’il en était autrement.

[40] Voir Avis N° 2 (2001) du CCJE.

[41] Le Conseil de l'Europe a produit les recommandations suivantes concernant les modes alternatifs de règlement des litiges :

- Recommandation N° R (98) 1du Comité des Ministres aux Etats membres sur la médiation familiale,

- Recommandation N° R (99) 19 du Comité des Ministres aux Etats membres sur la médiation en matière pénale,

- Recommandation Rec (2001) 9 du Comité des Ministres aux Etats membres sur les modes alternatifs de règlement des litiges entre les autorités administratives et les personnes privées,

- Recommandation Rec (2002) 10 du Comité des Ministres aux Etats membres sur la médiation en matière civile.

[42] Cette conférence a porté principalement sur les MARL dans les affaires civiles.

[43] Au paragraphe 14 de l’annexe à la Recommandation N° R (99) 19, il est simplement indiqué que « la participation à la médiation ne doit pas être utilisée comme preuve d'admission de culpabilité dans des procédures judiciaires ultérieures ».

[44] Voir : mandat spécifique du CCJE pour 2004-2005 adopté par le Comité des Ministres à la 876e réunion des Délégués des Ministres (17 mars 2004, point 10.1).

[45] Les participants à la Conférence - juges et autres personnes professionnellement concernées par le sujet, notamment les représentants des médias et des organisations internationales, des parlementaires et les experts dans le domaine discuté - ont pris en considération, d’une part les dispositions pertinentes de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH), la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, les textes et autres instruments du Conseil de l’Europe sur le droit à l’information du public dont la presse assure l’effectivité, d’autre part les exigences du droit à un procès public et équitable, assuré par un tribunal indépendant et impartial, en vue de protéger la dignité humaine, la vie privée, la réputation d’autrui et la présomption d’innocence, l’objectif étant de rechercher les moyens d’un équilibre entre les droits et libertés en conflit.

[46] Voir Conclusions de la 5e réunion des Présidents des Cours suprêmes européennes, Ljubljana, 6-8 octobre 1999, paragraphe 2.

[47] Voir, par exemple, Cour européenne des droits de l’homme, affaire Sunday Times c. Royaume-Uni, arrêt du 26 avril 1976, série A, N° 30, où il est dit que les notions abordées dans le texte sont incluses dans l’expression « autorité du pouvoir judiciaire » contenue dans l’article 10 de la CEDH.

[48] Voir Conclusions de la réunion des Présidents des Associations des Juges sur « La justice et la société », Vilnius, 13-14 décembre 1999, paragraphe 1.

[49] Voir Conclusions de la réunion des Présidents des Associations des Juges sur « La justice et la société », Vilnius, 13-14 décembre 1999, paragraphe 1.

[50] Voir, à ce propos, la Recommandation Rec(2000)19 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe sur le rôle du ministère public dans le système judiciaire pénal.

[51] Voir Conclusions de la 5e réunion des Présidents des Cours suprêmes européennes, Ljubljana, 6-8 octobre 1999, paragraphe 4, où il est clairement dit que le porte-parole ne peut pas donner son avis personnel sur un arrêt rendu ou sur une affaire pendante.

[52] Voir paragraphe 28 du Plan d’action adopté par la Conférence ministérielle européenne sur la politique des communications de masse (Kyiv, 10-11 mars 2005), qui affirme la nécessité de réviser la situation dans les Etats membres en ce qui concerne la législation relative à la diffamation.

[53] Voir Conclusions de la 5e réunion des Présidents des Cours suprêmes européennes, Ljubljana, 6-8 octobre 1999, paragraphe 1.

[54] Voir Conclusions de la réunion des Présidents des Associations de Juges sur « La justice et les médias », Vilnius, 13-14 décembre 1999, paragraphe 1.

[55] Voir Conclusions de la 5e réunion des Présidents des Cours suprêmes européennes, Ljubljana, 6-8 octobre 1999, paragraphe 1.

[56] Varsovie, 16-17 mai 2005.

[57] 956ème réunion des Délégués des Ministres (15 février 2006).

[58] Conseil de l’Union européenne, 5771/1/06.

[59] 804ème réunion des Délégués des Ministres, 11 juillet 2002.

[60] 917ème réunion des Délégués des Ministres, 2 mars 2005.

[61] Article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale), article 9 (liberté de pensée, de conscience et de religion), article 10 (liberté d’expression), article 11 (liberté de réunion et d’association).

[62] Voir Cour européenne des droits de l’homme, arrêt Chahal c. Royaume-Uni (15.11.1996), paragraphe 79 : « La Cour [européenne des Droits de l’Homme] est parfaitement consciente des énormes difficultés que rencontrent à notre époque les Etats pour protéger leur population de la violence terroriste. Cependant, même en tenant compte de ces facteurs, la Convention prohibe en termes absolus la torture ou les peines ou traitements inhumains ou dégradants, quels que soient les agissements de la victime. »

[63] Voir Cour européenne des droits de l’homme, arrêt Chahal c. Royaume-Uni (15.11.1996), paragraphes 80 et 149.

[64] Adoptée par le Comité des Ministres le 15 décembre 2004.

[65] Voir Cour européenne des droits de l’homme, arrêt Chahal c. Royaume-Uni (15.11.1996), paragraphe 151 : « En pareil cas, vu le caractère irréversible du dommage pouvant se produire si le risque de mauvais traitements se concrétisait et vu l’importance que la Cour attache à l’article 3, la notion de recours effectif au sens de l’article 13 exige d’examiner en toute indépendance l’argument qu’il existe des motifs sérieux de redouter un risque réel de traitements contraires à l’article 3. Cet examen ne doit pas tenir compte de ce que l'intéressé a pu faire pour justifier une expulsion ni de la menace à la sécurité nationale éventuellement perçue par l’Etat qui expulse. »

[66] Voir Recommandation Rec(2004)20 : « La procédure devrait avoir un caractère contradictoire. Tous les moyens de preuve admis par le tribunal devraient en principe être mis à la disposition des parties en vue d’un débat contradictoire. » (paragraphe B.4.d).

[67] La Cour européenne des droits de l’homme a abordé le thème de l’accès des parties et des avocats aux preuves dans l’arrêt Chahal c. Royaume-Uni (15.11.1996), paragraphe 144, en faisant indirectement référence à la législation canadienne : « Les amici curiae (…) sont tous d’avis que le contrôle juridictionnel ne constitue pas un recours effectif dans les affaires de sécurité nationale. L’article 13 exige pour le moins qu’un organe indépendant apprécie la totalité des faits et des éléments produits et soit habilité à prendre une décision qui serait contraignante pour le ministre. A cet égard, Amnesty International, Liberty, le AIRE Centre et le JCWI (…) ont attiré l’attention de la Cour sur la procédure utilisée en pareil cas au Canada. Selon la loi canadienne de 1976 sur l’immigration (telle qu’amendée par la loi de 1988), un juge de la Cour fédérale tient une audience à huis clos pour examiner tous les éléments et le requérant reçoit un résumé du dossier à charge; il a le droit d’être représenté et de citer des témoins. Le caractère confidentiel des éléments concernant la sécurité est sauvegardé par l’obligation de procéder à leur examen en l’absence du requérant et de son représentant. Dans ce cas néanmoins, leur place est prise par un avocat bénéficiant d’une habilitation de sécurité et mandaté par le tribunal, qui contre-interroge les témoins et aide d’une manière générale le juge à mesurer la solidité des arguments présentés par l’Etat. Le requérant reçoit un résumé des éléments recueillis lors de cette procédure, avec les omissions nécessaires à la confidentialité. ».

[68] Voir, par exemple, Cour européenne des droits de l’homme, arrêt Maaouia c. France (5.10.2000), paragraphe 40 : “La Cour conclut que les décisions relatives à l'entrée, au séjour et à l'éloignement des étrangers n'emportent pas contestation sur des droits ou obligations de caractère civil du requérant ni n'ont trait au bien-fondé d'une accusation en matière pénale dirigée contre lui, au sens de l'article 6 § 1 de la Convention.”.

[69] Voir Cour européenne des droits de l’homme, arrêt Mamatkulov et Askarom c. Turquie (4.10.2005), paragraphe 124: “De fait, on peut dire que, quel que soit le système juridique considéré, toute bonne administration de la justice implique que ne soient pas accomplis, tant qu’une procédure est en cours, des actes de caractère irréparable”.

[70] Voir également l’arrêt Chahal déjà mentionné selon lequel la Convention interdit la torture de manière absolue.

[71] Voir également, sur le rôle que peut jouer le Ministère public dans la protection des droits de l’homme, la Recommandation Rec(2000)19 sur le rôle du Ministère public dans le système de justice pénale. Le CCJE examinera en détail, dans un Avis futur, les relations entre le corps judiciaire et le Ministère public (voir Programme Cadre d’Action global pour les Juges en Europe, document CCJE (2001)24).

[72] Voir par exemple “Commission de Venise: les services de sécurité intérieures en Europe“, Conseil de l’Europe, CDL-INF(98)6

[73] Aux termes de la Recommandation Rec(2005)10, on entend par « techniques spéciales d’enquête », des « techniques appliquées par les autorités compétentes dans le cadre d’enquêtes pénales cherchant à dépister ou à enquêter sur des infractions graves et des suspects, avec pour objectif de recueillir des informations de telle sorte que les personnes visées ne soient pas alertées. »

[74] Article 5 paragraphe 3 de la Convention européenne des droits de l’homme : « Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1.c du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience. » ; article 5 paragraphe 4 de la Convention européenne des droits de l’homme : « Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »

En outre, dans l’arrêt Brogan et autres c. Royaume-Uni (29.11.1988), la Cour européenne des droits de l’homme précise dans le paragraphe 61 que la recherche des infractions terroristes place sans nul doute les autorités devant des problèmes particuliers. La Cour convient que, sous réserve de l’existence de garanties suffisantes, le contexte du terrorisme dans l’affaire en question, « a pour effet d’augmenter la durée de la période pendant la quelle les autorités peuvent, sans violer l’article 5 paragraphe 3, garder à vue un individu soupçonné de graves infractions terroristes avant de le traduire devant un juge ou un « autre magistrat » judiciaire. La difficulté, soulignée par le Gouvernement, d’assujettir à un contrôle judiciaire la décision d’arrêter et détenir un terroriste présumé peut influer sur les modalités d’application de l’article 5 paragraphe 3, par exemple en appelant des précautions procédurales adaptées à la nature des infractions supposées. Elle ne saurait pour autant excuser, sous l’angle de cette disposition, l’absence complète de pareil contrôle exercé avec célérité». La Cour ajoute qu’en interprétant et appliquant la notion de « promptitude », on ne peut témoigner de souplesse qu’à un degré très faible (paragraphe 62). Aux yeux de la Cour, même la plus brève des quatre périodes litigieuses dans l’affaire en question, quatre jours et six heures de garde à vue, va au-delà des strictes limites de temps permises par la première partie de l’article 5 paragraphe 3. "Le fait incontesté que les privations de liberté incriminées s’inspiraient d’un but légitime, prémunir la collectivité dans son ensemble contre le terrorisme, ne suffit pas pour assurer le respect des exigences précises de l’article 5 paragraphe 3."

[75] Voir Programme Cadre d’Action global pour les Juges en Europe, adopté par le Comité des Ministres lors de sa 740ème réunion, Document CCJE (2001)24.

[76] Recommandation Rec(2005)9 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe aux Etats Membres relative à la protection des témoins et des collaborateurs de justice. Voir aussi les Lignes directrices sur la protection des victimes d’actes terroristes, adoptées par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe le 2 Mars 2005, la Recommandation Rec(85)11 du Comité des Ministres au Etats Membres sur la position de la victime dans le cadre du droit pénal et de la procédure pénale et la Recommandation Rec(97)13 du Comité des Ministres aux Etats Membres sur l’intimidation des témoins et les droits de la défense.

[77] Voir les Lignes directrices sur la protection des victimes d’actes terroristes : « Les victimes d’actes terroristes devraient recevoir une indemnisation juste, appropriée et au moment opportun pour les dommages dont elles ont souffert. Lorsque l’indemnisation ne peut être assurée par d’autres sources, notamment par la confiscation des biens appartenant aux auteurs, organisateurs et commanditaires d’actes terroristes, l’Etat sur le territoire duquel l’acte terroriste a eu lieu doit contribuer à l’indemnisation des victimes pour les atteintes directes à leur intégrité physique ou psychique, quelle que soit leur nationalité. » (principe 7.1).

[78] Adopté par le Comité des Ministres lors de sa 740ème réunion, document CCJE (2001)24.

[79] Le droit européen doit ici être entendu dans un sens large : les instruments du Conseil de l’Europe, en particulier la Convention européenne des droits de l’homme ainsi que le droit de la communauté européenne et les autres instruments de l’union européenne le cas échéant et lorsqu’il est applicable aux Etats membres.

[80] Voir le point IV d) du Programme cadre d’action global pour les juges en Europe.       

[81] Les Etats membres du Conseil de l’Europe participent au « Réseau de Lisbonne » (réseau d’échange d’informations sur la formation des juges et des procureurs), composé d’organismes nationaux responsables de la formation des juges et des procureurs.

[82]  Voir en particulier les conclusions de la deuxième réunion du Réseau de Lisbonne (Bordeaux, 2-4 juillet 1997).

[83] Voir aussi le paragraphe 65 de l’Avis n° 6 (2004) sur le procès équitable dans un délai raisonnable et le rôle des juges dans le procès, en prenant en considération les modes alternatifs de règlement des litiges.

[84] Voir le point IV c) du Programme cadre d’action global pour les juges en Europe.

[85] Voir le point IV b) du Programme cadre d’action global pour les juges en Europe.

[86] Voir en particulier les conclusions de la deuxième réunion du Réseau de Lisbonne (Bordeaux, 2-4 juillet 1997).

[87] Le CCJE estime qu’il est important de rappeler qu’en vertu du Protocole n°14 à la Convention européenne des droits de l’homme, ouvert à la signature en mai 2006, le Comité des Ministres sera autorisé à saisir la Cour européenne des droits de l’homme, par décision prise par un vote à la majorité des deux tiers, lorsqu’un Etat refuse de se conformer à un arrêt rendu par la Cour dans un litige auquel cet Etat est partie. Le Comité des Ministres aura aussi la possibilité de demander à la Cour de se prononcer sur une question d’interprétation d’un arrêt. Ces dispositions visent à aider le Comité des Ministres à surveiller l’exécution des arrêts, et notamment à déterminer quelles sont les mesures nécessaires pour se conformer aux arrêts.

[88] Appellation déjà utilisée par le Réseau européen des Conseils de la justice (RECJ).

[89] Adopté par le Comité des Ministres lors de sa 740ème réunion, document CCJE(2001)24.

[90] La situation détaillée dans les Etats membres est décrite dans les rapports des experts (voir paragraphe 7) et dans les réponses nationales au questionnaire qui peuvent être consultés sur le site internet du CCJE (www.coe.int/ccje).

[91] Certains Conseils sont chargés de garantir l’indépendance des juges mais sont également compétents pour les procureurs. Le CCJE a choisi de se concentrer sur le rôle des Conseils de la Justice vis-à-vis des juges, conformément à sa mission générale. Ceci ne fait pas obstacle à l’application du présent Avis aux Conseils communs aux juges et aux procureurs, en tout état de cause en ce qui concerne les juges. Les questions éventuelles relatives aux procureurs ne sont pas traitées dans le présent Avis. Elles pourraient être examinées à un stade ultérieur, le cas échéant en coopération avec le Conseil Consultatif de Procureurs Européens (CCPE).

[92] En particulier Principe I, 2.c. et Principe VI.3.

[93] Voir document CDL-AD(2007)028.

[94] Principe déjà élaboré dans l’Avis n°1(2001) du CCJE.

[95] Voir Recommandation n°R(94)12.

[96] Le CCJE n’a pas ici considéré la question éventuelle d’un Conseil de la Justice composé à la fois de juges et de procureurs – voir également note en bas de page 4.

[97] Voir également la Charte européenne sur le statut des juges, principe 1.3.

[98] Voir, concernant les juges chargés d’activités de formation, l’Avis N°4(2003) du CCJE, paragraphe 21.

[99] Voir également Avis N°4(2003) du CCJE.

[100] Voir également Avis N°1(2001) du CCJE.

[101] L’Avis n°6(2004) montre que cette question ne doit pas être confondue avec l’appréciation des aptitudes professionnelles des juges eux-mêmes et qu’elle devait tenir compte de la spécificité de l’action judiciaire, pour ne pas être assimilée à celle d’un service public ordinaire.

[102] Voir sur ce point paragraphe 71 de l’Avis n°3(2003) du CCJE.

[103] L’importance de la formation pour l’entretien et le développement des compétences professionnelles des juges est soulignée dans de nombreux documents des Nations Unies et du Conseil de l’Europe. Voir l’Avis N°4(2003) du CCJE et Rapport du Réseau de Lisbonne sur la contribution des structures de formation des magistrats à la mise en œuvre concrète de l’Avis N°4(2003) du CCJE du 11.10. 2006.

[104] Voir l’Avis N°9(2006) du CCJE.

[105] En particulier le problème de la durée des procédures dans le cadre de certains litiges, les violations les plus courantes des droits de l’homme, le volume des retards de traitement des dossiers, les violations de la loi qui aboutissent généralement à l’annulation et à la rectification des décisions judiciaires, les modifications de la législation, les vides juridiques qui engendrent des différences d’interprétation du droit, la nécessité d’une harmonisation de la jurisprudence, les procédures disciplinaires et leurs conséquences.

[106] Voir également Avis N°2(2001) du CCJE.

[107] L’ensemble des textes consacrés à ces questions montre l’esprit dans lequel le Conseil de l’Europe appréhende l’exigence de qualité de la justice : “Pour le Conseil de l’Europe, l’approche de la qualité ne peut être celle d’une décision isolée, mais dépend, dans le cadre d’une approche globale, de la qualité du système judiciaire, incluant les juges, les avocats, les greffiers, tout comme de la qualité du processus qui conduit aux décisions. C’est donc sur chacun de ces points que le Conseil recommande de faire porter les efforts d’amélioration”. (Jean-Paul JEAN, “La qualité des décisions de justice au sens du Conseil de l’Europe”, Colloque organisé les 8 et 9 mars 2007 par la Faculté de droit et des sciences sociales de Poitiers sur le thème de “la qualité des décisions de justice”, voir Etudes de la CEPEJ n°4).

[108] Voir également les conclusions de la Conférence sur la qualité des décisions judiciaires qui s’est tenue à la Cour Suprême d’Estonie à Tartu (le 18 juin 2008) et qui a rassemblé la communauté judiciaire estonienne ainsi que le Groupe de travail du CCJE.

[109] Voir le questionnaire sur la qualité des décisions de justices et les réponses sur le site du CCJE : www.coe.int/ccje

[110] En ce qui concerne plus particulièrement les lois procédurales, le CCJE tient à rappeler ici son Avis n°6 (2004) par lequel il recommande, afin de garantir des décisions de justice de qualité rendues dans un délai raisonnable, que le législateur fasse des choix optimaux dans l’équilibre entre la durée des procès et la disponibilité de modes alternatifs de règlement des conflits, les mécanismes de négociation de la défense, procédures simplifiées et/ou accélérées et procédures sommaires, ainsi que les droits procéduraux des parties, etc. En outre, le financement des modes alternatifs de règlement des conflits devrait être garanti.

[111] Voir Avis N°1(2001) du CCJE, paragraphe 61.

[112] Voir Avis N°2 du CCJE.

[113] Voir Avis n°4 (2003) du CCJE.

[114] Des brochures, études de cas de bonnes et mauvaises pratiques, modèles standards de rédaction des jugements accompagnés de la méthodologie, de fiches techniques, de livres de référence, élaborés à des fins de formation pourront être largement diffusés parmi les magistrats.

[115] Dans son Avis n° 6 (2004), le CCJE, qui se fonde sur les principes énoncés dans la Recommandation N° R (84) 5, a souligné l’importance du rôle actif du juge dans la gestion du procès civil (voir notamment les paragraphes 90 à 102 et 126).

[116] Il convient à cet égard de renvoyer à l’Avis n° 7 (2005) du CCJE, plus particulièrement aux paragraphes 56 à 61 de celui-ci.

[117] Les exceptions peuvent inclure, entre autres, des décisions d’administration judiciaire (comme celles tendant au renvoi de l’affaire à une audience ultérieure), des questions procédurales mineures ou essentiellement non contentieuses (jugements par défaut ou sur l’accord des parties ), des décisions de cours d’appel confirmant une décision de première instance après avoir entendu des arguments similaires ayant les mêmes fondements, des décisions prises par un jury ainsi que certaines décisions concernant l’autorisation d’exercer un recours ou d’intenter une action, dans les pays où de telles autorisations sont requises.

[118] Voir notamment Cr.EDH : Boldea contre Roumanie du 15 février 2007, § 29; Van den Hurk contre Pays-Bas du 19 avril 1994, § 61.

[119] [119] Voir notamment Cr.EDH : Boldea contre Roumanie du 15 février 2007, § 29; Helle contre Finlande du 19 février 1997, § 60.  

[120] Par droit européen, on entend l’acquis du Conseil de l’Europe et le droit communautaire.

[121] Voir Avis n° 9 (2006) du CCJE.

[122] Voir Avis n°6 (2004) du CCJE, paragraphe 130.

[123] Voir Avis N°6 (2004) du CCJE,  partie B paragraphe 34 et Avis N°10 (2007) du CCJE, paragraphes 52 à 56 et 78.

[124] Voir Avis N°6 (2004) du CCJE, paragraphe 36.

[125] Ces Conseils de la Justice doivent être mis en place et fonctionner conformément aux méthodes recommandées par le CCJE dans son Avis N° 10 (2007).

[126] La présente Déclaration est suivie d’une note explicative. Elle a été préparée à Bordeaux (France) conjointement par les Groupes de travail du CCJE et du CCPE et adoptée officiellement par le CCJE et le CCPE à Brdo (Slovénie) le 18 novembre 2009.

[127] Voir notamment l’Avis n°1 du CCJE sur les normes relatives à l’indépendance et l’inamovibilité des juges et la Recommandation Rec(94)12 sur l’indépendance, l’efficacité et le rôle des juges.

[128] Voir également Avis n°3 (2008) du CCPE sur le rôle du Ministère public en dehors du système de la justice pénale.

[129] En ce qui concerne les juges, voir par exemple l’Avis n° 3 (2002) du CCJE sur les principes et règles régissant les impératifs professionnels applicables aux juges et en particulier la déontologie, les comportements incompatibles et l'impartialité, ainsi que les Principes de Bangalore sur la déontologie judiciaire (2002) (adoptés par l’ECOSOC des Nations Unies en 2006) ainsi que la Charte universelle du juge, adoptée par le conseil central de l’association international des juges le 17 Novembre 1999 à Taipei  (Taiwan). En ce qui concerne les procureurs, voir les principes directeurs de l’ONU sur le rôle des procureurs ainsi que les Lignes directrices européennes sur l’éthique et la conduite des membres du ministère public (Lignes directrices de Budapest), adoptées par les Procureurs généraux d’Europe lors de leur Conférence de Budapest le 31 mai 2005.

[130] Voir l’Avis n° 4 (2003) du CCJE sur la formation initiale et continue appropriée des juges, aux niveaux national et européen et l’Avis n° 10 (2007) du CCJE sur le Conseil de la Justice au service de la société, paragraphes 65-72.

[131] Voir l’Avis n 8 (2006) du CCJE sur le rôle des juges dans la protection de l'Etat de droit et des droits de l'homme dans le contexte du terrorisme.

[132] Voir également Avis n°3 du CCPE sur le rôle du Ministère public en dehors du système de la justice pénale.

[133] Voir par exemple Cour européenne des droits de l’Homme, Olujić c. Croatie (requête n° 22330/05). 

[134] Voir notamment le Principe I de l’annexe de la Recommandation Rec(2003)13 et son exposé des motifs.

[135] Ceci a été proposé pour les juges et les journalistes dans l’Avis n°7 du CCJE sur Justice et Société, paragraphe 39 (2005).

[136] Voir par exemple Avis n° 3 du CCJE sur l’éthique et la responsabilité des juges, paragraphe 40 (2003).

[137] Voir par exemple Cour européenne des droits de l’Homme, Daktaras c. Lituanie (Requête n°42095/98) et Olujić c. Croatie (Requête n° 22330/05)

[138] Voir mandat spécifique du CCJE pour 2010 approuvé par le Comité des Ministres lors de la 1075e réunion des Délégués des Ministres le 20 janvier 2010.

[139] Voir Privalikhin c. Russie, 12 mai 2010. La Cour confirme que pour décider si le délai de l’exécution était raisonnable, elle doit examiner la complexité de la procédure d’exécution, le comportement du demandeur et des autorités et la nature de l’enjeu (voir également Raylyan c. Russie, no. 22000/03, § 31, 15 février 2007).

[140] Voir par exemple, Immobiliare Saffi c. Italie, 28 Juillet 1999, and 156 autres requêtes c. Italie; Zielinski et Pradal and Gonzales et autres c. France, 28 Octobre 1999, § 57; Cabourdin c. France, 11 avril 2006.

[141] Voir par exemple Van de Hurk c. Pays Bas, 19 avril 1994; Findlay c. Royaume-Uni, 25 février 1997, notamment § 77.

[142] Voir Koltsov c. Russie, 24 février 2005, §16; Petrushko c. Russie, 24 février 2005, §18; Metaxas c. Grèce, 27 mai 2004, §19.

[143] Une telle compensation constitue également une exigence directe de la CEDH (en particulier Article 1 du Protocole n°1). Selon la Cour, le simple fait d’exécuter un jugement national ne prive pas le demandeur de son statut de victime, conformément à la CEDH, si aucune réparation ne lui a été offerte pour le retard de procédure (Voir par ex. Petrushko c. Russie, 24 février 2005, §15). La réparation adéquate éventuellement payée après le délai doit prendre en compte les diverses circonstances pour compenser la différence entre la somme due et la somme finalement payée par le créditeur, ainsi que pour réparer la perte d’usage (Voir par ex. Akkus c. Turquie, 9 juillet 1997; Angelov c. Bulgarie 22 avril 2004; Eko-Elda Avee c. Grèce, 9 mars 2006). Une réparation peut également être demandée pour les dommages non pécuniaires (voir par ex. Sandor c. Roumanie, 24 mars 2005). L’absence de responsabilité de l’Etat pour retard pour ces différents types de préjudice ne pourrait être justifiée par l’impossibilité d’établir la culpabilité ou la faute de l’autorité publique (voir Solodyuk c. Russie, 12 juillet 2005, §16).

[144] Sur la relation entre symbolisme et justice et le risque de la dérituatilisation du processus judiciaire, tendance des démocraties modernes, voir A. Garapon, “Bien juger – Essai sur le rituel judiciaire” (Odile Jacob, Paris, 2001), qui offre également en annexe une bibliographie complète.

[145] Voir, par exemple, Règlementation (CE) No 1896/2006 du 12.12.2006 (sur la procédure européenne d’injonction de payer) et Règlementation (CE) No 805/2004 du 21.4.2004 (sur la création d’un titre exécutoire européen pour les créances incontestées).

[146] Voir JO C127, 29.4.2011, p.1 : Conclusions du Conseil préconisant l'introduction d'un identifiant européen de la jurisprudence et un ensemble minimal de métadonnées uniformes pour la jurisprudence.

[147] Voir également les Avis du CCJE N° 1(2001) para 9, N°10(2007) et N° 11(2008).

[148] Ces documents de référence ne traitent pas à proprement parler de la spécialisation des juges. Toutefois, ils concernent le juge spécialisé dès lors que les principes qu’ils énoncent sont applicables à tous les juges.

[149] Les spécialisations suivantes ont été identifiées dans le questionnaire du CCJE comme exemples communs dans de nombreux Etats européens: tribunaux de la famille, tribunaux pour enfants, tribunaux administratifs/Conseils d’Etat, tribunaux en matière d’immigration et d’asile, cour des comptes, tribunaux militaires, tribunaux fiscaux, tribunaux du travail/en matière sociale, tribunaux des baux ruraux, tribunaux pour les plaintes des consommateurs, tribunaux des petits litiges, tribunaux en matière de succession, tribunaux en matière de propriété industrielle, tribunaux de commerce, tribunaux des procédures collectives, tribunaux en matière de conflits de propriété, cours d’arbitrage, juridictions criminelles et cours d’assises, tribunaux de contrôle des enquêtes criminelles (par exemple, autorisant les arrestations, les mises sur écoute, etc.), tribunaux de contrôle de l’exécution des sanctions pénales et de la détention.

Le droit de l’Union européenne prévoit la création de chambres ou de juridictions spécialisées dans certains domaines du droit, tels que les marques communautaires (Tribunaux des marques communautaires, art. 90 du Règlement (CE) n° 40/94 du Conseil du 20 décembre 1993 sur la marque communautaire),et les dessins ou modèles communautaires (Tribunaux des dessins ou modèles communautaires, art. 80 du Règlement (CE) n° 6/2002 du Conseil (CE) du 12 décembre 2001 sur les dessins et modèles communautaires).

[150] Par exemple, les cours d’assises dans plusieurs Etats membres. Les jurés sont définis comme des personnes tirées au sort en tant que membres de jury, contrairement aux personnes qui siègent en tant que membres non-professionnels d’une juridiction ; voir également le paragraphe 43 ci-dessous. Dans des affaires pénales, les jurés peuvent, par exemple, se prononcer sur la sanction ou sur la culpabilité, ou prendre une décision sur les dommages dans des affaires civiles.

[151] On songe ici, par exemple, au tribunal des brevets comportant des juges non-juristes ayant des connaissances techniques particulières.

[152] Il a lieu de faire la distinction entre les tribunaux spécialisés et les tribunaux ad hoc ou extraordinaires – voir également le paragraphe 37 ci-dessous.

[153] Comme c’est le cas en matière médicale, d’accident du travail, d’incendie, de construction, de questions technologiques etc.

[154] Voir également Avis du CCJE n°1 (2001), paragraphes 57, 59 et 60.

[155] C’est par exemple le cas des tribunaux de commerce en France et en Belgique, des juridictions du travail en Belgique, des « Employment Tribunals » au Royaume-Uni.

[156] Voir les exemples mentionnés à la note en bas de page n° 2.

[157] En Angleterre et au pays de Galles, le Tribunal des brevets est intégré à la Chancery Division qui s'occupe essentiellement de litiges immobiliers et fiscaux. Le Tribunal de commerce fait partie de la Queen’s Bench Division qui s'occupe du contentieux contractuel et des questions de droit administratif.

[158] Voir également Avis n° 1 du CCJE, paragraphe 61.

[159] Voir Avis n° 1 du CCJE, paragraphe 29.

[160] Voir Avis n° 4 du CCJE, paragraphe 30.

[161] Voir les études de la CEPEJ n° 16, la contractualisation et processus judiciaires en Europe.

[162] Voir également CEDH Nikula c. Finlande, 21 mars 2002 ; CEDH Amihalachioaie c. Moldova, 20 avril 2004.

[163] Voir l’Avis du CCJE No. 1(2001).

[164] Voir les Avis du CCJE No. 3(2002), No. 4(2003), No. 6(2004), No. 11(2008), No. 14(2011).

[165] Voir l’Avis du CCJE No. 1(2001), paragraphes 17-56.

[166] Voir l’Avis du CCJE No. 4(2003), paragraphes 23-30.

[167] Voir l’Avis du CCJE No. 3(2002), paragraphes 51-77.

[168] Ce rapport est intitulé « De quelle manière la nomination et l'évaluation (qualitative et quantitative) des juges est-elle mise en concordance avec les principes de l'indépendance judiciaire ?», voir à  http://www.iaj-uim.org/iuw/wp-content/uploads/2013/02/I-SC-2006-conclusions-F.pdf .

[169] Voir la Recommandation CM/Rec(2010)12, paragraphes 59-65.

[170] Voir Magna Carta des juges du CCJE (2010), paragraphe 15.

[171] Voir l’Avis du CCJE  No. 11(2008), paragraphe 36.

[172] Voir l’Avis du CCJE  No. 11(2008), paragraphe 32.

[173] Voir l’Avis du CCJE No. 13(2010), Conclusion A; Magna Carta des juges (2010) du CCJE, paragraphe 17.

[174] Voir les Avis du CCJE No. 1(2001), No. 3(2002), No. 4(2003), No. 6(2004) and No. 11(2008).

[175] Voir l’Avis du CCJE No. 1(2001), paragraphe 10; Recommandation CM/Rec(2010)12, paragraphes 3 et 11; Magna Carta des juges du CCJE (2010), paragraphe 2.

[176] Voir Magna Carta des juges du CCJE (2010), paragraphes 3 et 4.

[177] Voir l’Avis du CCJE No. 2(2001), paragraphe 2.

[178] Voir l'Avis du CCJE No. 4(2003), paragraphes 4, 8, 14 et 23-37.

[179] Voir l’Avis du CCJE No. 3(2002), paragraphe 51.

[180] Voir l’Avis du CCJE No. 1(2001), notamment paragraphe 45; l’Avis du CCJE No. 6(2004), paragraphe 34.

[181] Voir l’Avis du CCJE No. 1(2001), paragraphe 66; Recommandation CM/Rec(2010)12, paragraphes 22-25.

[182] Voir, par exemple, les systèmes finlandais et néerlandais.

[183] Comme au Royaume-Uni.

[184] Toutefois, des garanties strictes sont appliquées pour protéger l'indépendance d'un juge dans le processus.

[185] Allemagne, Bulgarie, Estonie, Hongrie, Ukraine.

[186] Espagne, Suède (cependant, un très faible pourcentage du salaire est déterminé individuellement et des garanties strictes sont appliquées pour protéger l'indépendance d'un juge). En Belgique et en Bulgarie, le salaire d'un juge peut être réduit en raison des résultats insuffisantsde l'évaluation. En Turquie, les salaires et les pensions peuvent être augmentés en raison des résultats de l'évaluation.

[187] Allemagne, Albanie, Autriche, Bosnie-Herzégovine, Bulgarie, Croatie, Chypre, Espagne (quand des salaires liés à la performance sont déterminés), Estonie, France, Grèce, Hongrie, Italie, « l'ex-République yougoslave de Macédoine », Pologne, Roumanie, Slovénie, Turquie. 

[188] Espagne, Bosnie-Herzégovine.

[189] Allemagne, Pologne.

[190] Bosnie-Herzégovine, Bulgarie, Croatie, Espagne, Estonie, Géorgie, Grèce, Hongrie, « l'ex-République yougoslave de Macédoine », République de Moldova,  Pologne, Roumanie et Turquie.

[191] Allemagne et France.

[192] Allemagne, Autriche, Slovénie.

[193] Allemagne, Pologne, Suède.

[194] Allemagne, Croatie.

[195] Albanie, Autriche, Belgique, Bosnie-Herzégovine, Bulgarie, Croatie, France, Grèce, Italie, « l'ex-République yougoslave de Macédoine », République de Moldova, Monaco, Roumanie, Slovénie.

[196] Géorgie, Turquie,

[197] Hongrie, Slovénie.

[198] Chypre (avec un facteur de productivité), Estonie, Finlande, Pays-Bas, Suède, Royaume-Uni.

[199] Bulgarie, Croatie, Espagne, Estonie, « l'ex-République yougoslave de Macédoine », Turquie.

[200] Croatie.

[201] Allemagne, Autriche, France.

[202] Grèce.

[203] Allemagne, Autriche, Hongrie, Monaco, Royaume-Uni.

[204] Belgique, Finlande, France, Monaco, Roumanie, Suisse.

[205] Belgique, France, Roumanie.

[206] Albanie, Autriche, Bulgarie, Croatie, Estonie, Italie, « l'ex-République yougoslave de Macédoine », République de Moldova, Slovénie, Turquie.

[207] Allemagne, Grèce, Hongrie, Pays-Bas.

[208] Chercheurs en droit et barreaux en Estonie, barreaux en Grèce et psychologues dans certains cas en Roumanie.

[209] Grèce utilise un système à peu près comparable.

[210] Allemagne, Bosnie-Herzégovine, Finlande, Grèce.

[211] Allemagne, Bulgarie, Estonie, Géorgie, Grèce, Ukraine.

[212] Bulgarie, Espagne, Suède (cependant, seul un très faible pourcentage du salaire est déterminé individuellement et des garanties strictes sont appliquées pour protéger l'indépendance d'un juge dans le processus), Turquie.

[213] Belgique, Bulgarie, Chypre, Croatie, Grèce, Hongrie, Pologne, Slovénie.

[214] Autriche, Estonie, uniquement dans des cas rares: Grèce, Hongrie, Italie, « l'ex-République yougoslave de Macédoine », République de Moldova, Pologne, Roumanie, Slovénie.

[215] « L'ex-République yougoslave de Macédoine ».

[216] Roumanie.

[217] Cependant, en Espagne, des critères qualitatifs sont pris en compte si la promotion d'un juge est en question.

[218] Voir l’Avis du CCJE No. 11(2008), paragraphe 70.

[219] Voir l’Avis du CCJE No. 1(2001), paragraphes 17 et 29.    

[220] Voir les Principes fondamentaux des Nations Unies relatifs à l'indépendance de la magistrature (1985),  paragraphe 13.

[221] Espagne, Suède (toutefois, seul un très petit pourcentage du salaire est déterminé individuellement).

[222] Voir la Recommandation CM/Rec(2010)12, paragraphe 55 ; voir également le Rapport général de l’UIM (2006), Conclusions, paragraphe 12.

[223] Voir la Recommandation CM/Rec(2010)12, paragraphe 49.

[224] Voir la Recommandation CM/Rec(2010)12, paragraphe 50.

[225] Voir le Rapport 2012-2013 du RECJ, paragraphes 4.17-4.18.

[226] Voir la Recommandation CM/Rec(2010)12, paragraphe 58.

[227] Voir l’Avis du CCJE No. 1(2001), paragraphe 24.

[228] Voir l’Avis du CCJE No. 1(2001), paragraphe 25.

[229] Voir le Rapport 2012-2013 du RECJ, paragraphe 4.8.

[230] Voir les Recommandations de Kyiv (2010), paragraphe 27.

[231] Voir l’Avis du CCJE No. 6(2004), paragraphe 42.

[232] Voir la Recommandation CM/Rec(2010)12, paragraphe 32, et l'Avis du CCJE No. 2(2001), paragraphe 4.

[233] Voir l’Avis du CCJE No. 11(2008), paragraphe 57.

[234] Voir l’Avis du CCJE No. 11(2008), paragraphe 74, et l’Avis du CCJE No. 6(2004), paragraphe 36.

[235] Voir les Recommandations de Kyiv (2010), paragraphe 28.

[236] Voir le Rapport du RECJ, paragraphe 4.12.

[237] Voir l’Avis du CCJE No. 10(2007), paragraphes 42 et 52-56.

[238] Voir le Rapport du RECJ, paragraphes 4.13-4.15.

[239] Voir le Rapport du RECJ, paragraphe 4.16.

[240] Voir le Rapport du RECJ, paragraphe 4.19.

[241] Comme en Autriche ou en Bulgarie.

[242] Comme en Croatie et au Royaume-Uni.

[243] Voir la Recommandation CM/Rec(2010)12, paragraphe 58. Voir aussi le Rapport 2012-2013 du RECJ, paragraphe 4.19.

[244] Comme en Albanie.

[245] Voir le Rapport 2012-2013 du RECJ, paragraphe 4.11.

[246] Voir la Recommandation CM/Rec(2010)12, paragraphes 49 et 50.

[247] Cependant, en Suède, seule une très petite partie de salaire d'un juge est déterminée par les résultats de l'évaluation et il y existe des garanties strictes pour protéger l'indépendance d'un juge.

[248] Voir le Rapport général de l’UIM (2006), Conclusions, paragraphe 12. Voir aussi la Recommandation CM/Rec(2010)12, paragraphe 55.

[249] Voir Gardbaum, « Separation of Powers and the Growths of Judicial Review in Established Democracies (or Why Has the Model of Legislative Supremacy Mostly Been Withdrawn From Sale?) », 62 American Journal of Comparative Law (2014) 613.

[250] Des universitaires ont mis en évidence «une expansion mondiale du pouvoir judiciaire» : Voir Tate et Vallinder (éd.), Global Expansion of Judicial Power, New York University Press, 1997.

[251] Voir respectivement les rapports du Secrétaire Général sur la « Situation de la démocratie, des droits de l'Homme et de l'Etat de droit en Europe » pour 2014 et 2015, ci-après dénommés respectivement le « Rapport du Secrétaire Général du CdE (2014) » et le « Rapport du Secrétaire Général du CdE (2015) ».

[252] Voir le rapport du CCJE sur la situation de pouvoir judiciaire et des juges dans les Etats membres du Conseil de l’Europe (2013), par. 13-18.

[253] Voir le rapport du Secrétaire Général du CdE (2015), pp. 14, 17, 27.

[254] Voir le rapport du Secrétaire Général du CdE (2015), pp. 20-21.

[255] Concernant l’aide juridictionnelle, voir le rapport du Secrétaire Général du CdE (2015), pp. 22-23.

[256] Voir le rapport du Secrétaire Général du CdE (2015), p. 19.

[257] Voir les rapports du Secrétaire Général du CdE (2014), p. 22, et (2015) p. 27.

[258] A ce séminaire, participaient, outre les membres du Groupe de travail du CCJE, le professeur Robert Hazell (Département d’étude de la Constitution, University College, Londres, Royaume Uni), M. Andrew Drzemczewski, (Chef du Service des questions juridiques et des droits de l'Homme du Secrétariat de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe), Mme Anna Maria Telvis et Mme Ann Speck (Association des Droits de l’Homme) et M. Ziya Tanyar (Secrétariat de la Commission de Venise du Conseil de l’Europe).

[259] Contributions du professeur Jørn Øyrehagen Sunde (Université de Bergen), Mme Hanne Sophie Greve (Présidente de la Cour d’appel de Gulating, ancienne juge à la Cour Européenne des Droits de l’Homme) et Mme Ingjerd Thune (Présidente de l’Association norvégienne des juges).

[260] Voir l’Avis du CCJE No. 3(2002), par. 16.

[261] Voir l’Avis du CCJE No. 1(2001), par. 11 ; voir également la Magna Carta des juges du CCJE (2010), par. 1.

[262] Le CCJE reconnaît que cette dernière tâche est parfois assumée par une cour constitutionnelle et que, dans certains systèmes, les cours constitutionnelles ne sont pas nécessairement considérées comme faisant partie du système judiciaire.

[263] Voir le rapport du Secrétaire Général du CdE (2014), p. 22.

[264] Voir aussi, pour les fonctions du système judiciaire : Garapon, Perdriolle, Bernabé, La prudence et l’autorité : l’office du juge au XXIe siècle, synthèse du rapport de l’IHEJ (2013).

[265] Voir l’Avis du CCJE No. 1(2001), par. 11.

[266] Alexander Hamilton, dans Le Fédéraliste 78, décrit le pouvoir judiciaire comme le moins redoutable des trois pouvoirs : il « n’influence ni sur l’épée, ni sur la bourse. […] On peut dire avec raison qu’il n’a ni FORCE, ni VOLONTÉ, mais un simple jugement ; et c’est, en définitive, du secours du bras exécutif que dépend l’efficacité de ses jugements » . L’opinion d’Hamilton peut ne pas refléter la réalité du pouvoir de la justice sur les actions de l’exécutif ou même du législateur dans l’Europe du XXIe siècle.

[267] Voir l’Avis du CCJE No. 13(2010) sur le rôle des juges dans l’exécution des décisions judiciaires.

[268] Voir Aharon Barak, “The Judge in a Democracy” (“Le juge dans une démocratie”), (Princeton Press 2008) Ch 2.

[269] Voir l’Avis du CCJE No. 1(2001), par. 11 et 12.

[270] Voir l’Avis du CCJE No. 3(2002), par. 9.

[271] Par exemple, lors de leur nomination, tous les juges anglais et gallois doivent jurer de statuer conformément aux lois et usages du Royaume, sans crainte, favoritisme, prévention ni malveillance.

[272] Voir, par exemple, les arrêts de la CrEDH dans les affaires suivants: Orsus c. Croatie, 16 mars 2010, n° 15766/03, par. 147 ; Sejdić et Finci c. Bosnie-Herzégovine, 22 décembre 2009, n° 27996/06 et 34836/06, par. 43 ; Muñoz Díaz c. Espagne, 8 décembre 2009, n° 49151/07, par. 61 ; D.H. et autres c. Ukraine, 23 novembre 2007, n° 57325/00, par. 176 ; Gorzelik c. Pologne, 17 février 2004, n° 44158/98, par. 89-90 ; Eglise métropolitaine de Bessarabie c. Moldova, 13 décembre 2001, n° 45701/99, par. 116 ; Sidiropopulos c. Grèce, 10 juillet 1998, n° 26695/95, par. 41. Sur la protection des minorités par les tribunaux, voir Sandalow, « Judicial Protection of Minorities », Mich. L. Rev. 75 (1977) 1162 ; Cover, « The Origins of Judicial Activism in the Protection of MInorities », Yale Law School Legal Repository (1982).

[273] Voir Volkov c. Ukraine, Cour européenne des droits de l’homme, 9 janvier 2013, n° 21722/11, par. 199.

[274] Voir egalement le rapport du Secrétaire Général du CdE (2014), p. 22.

[275] Du poète anglais John Donne, in « Méditation XVII ».

[276] Voir le rapport du Secrétaire Général du CdE (2015), pp. 14, 17, 27. Voir aussi l’Avis du CCJE No. 13(2010) sur le rôle des juges dans l’exécution des décisions judiciaires.

[277] Voir l’Avis du CCJE No. 1(2001), par. 11.

[278] Voir l’Avis du CCJE No. 1 (2001), par. 11; voir également la Magna Carta des juges du CCJE (2010), par. 1.

[279] Voir l’Avis du CCJE No. 1(2001), par. 19-23 ; voir également la Commission de Venise, Nominations judiciaires, 2007, par. 9-17.

[280] Voir l’Avis du CCJE No. 1(2001), par. 33.

[281] Voir par ex.: Fabian Wittreck, Die Verwaltung der Dritten Gewalt, Mohr-Siebeck, Tübingen, 2006. Il affirme que la légitimité de tous les fonctionnaires d’un Etat tient en définitive à la « volonté du peuple » (art. 20.2 de la Constitution allemande). Un raisonnement analogue peut être avancé pour d’autres constitutions. Voir par ex. l’art. 3 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, intégrée à la Constitution française : « Le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la Nation ».

[282] Voir l’Avis du CCJE No. 1(2001), par. 33.

[283] Voir l’Avis du CCJE No. 1(2001), par. 37.

[284] Voir l’Avis du CCJE No. 1(2001), par. 45, rec. 4 ; l’Avis No. 10(2007), par. 48-51. Selon la Cour européenne, des droits de l’homme, les nominations judiciaires par les pouvoirs législatif et exécutif sont autorisées dans la mesure où les juges nommés ne sont soumis à aucune influence ou pression dans l’exercice de leur rôle décisionnel. Voir Flux c. Moldova, 3 juillet 2007, n° 31001/03, par. 27. La notion de séparation des pouvoirs et son importance pour les nominations judiciaires ont également été discutées par la Cour européenne des droits de l’homme : voir Volkov c. Ukraine, 9 janvier 2013, n° 21722/11, par. 109, et Maktouf et Damjanovic c. Bosnie-Herzégovine, 18 juillet 2013, n° 34179/08, par. 49. La Commission de Venise considère inappropriée la nomination des juges ordinaires par vote du Parlement (Commission de Venise, Nominations judiciaires, 2007, par. 12) et recommande qu’elle soit effectuée par un conseil de la magistrature composé dans une grande mesure ou majoritairement de membres élus par les magistrats eux-mêmes : Commission de Venise, Nominations judiciaires, 2007, par. 29.

[285] Voir l’Avis du CCJE No. 3(2002), par. 22.

[286] Voir l’Avis du CCJE No. 4(2003).

[287] Voir l’Avis du CCJE No. 6(2004).

[288] Voir l’Avis du CCJE No. 9(2006).

[289] Voir l’Avis du CCJE No. 10(2007)

[290] Voir l’Avis du CCJE No. 11(2008).

[291] Voir l’Avis du CCJE No. 13(2010).

[292] Voir l’Avis du CCJE No. 14(2011).

[293] Voir l’Avis du CCJE No. 15(2012).

[294] Voir l’Avis du CCJE No. 17(2014).

[295] Voir l’Avis du CCJE No. 12(2009).

[296] Voir l’Avis du CCJE No. 16(2013).

[297] Un exemple d'une règle de procédure nécessaire est la nécessité d'un juge de se récuser, où il peut y avoir un conflit d'intérêt réel ou perçu.

[298] Voir l’Avis du CCJE No. 3(2002), par. 8.

[299] Voir aussi le rapport du Secrétaire Général du CdE (2015), p. 9.

[300] Dans son rapport 2013-2014, le RECJ affirme qu’un pouvoir judiciaire qui prétend à l’indépendance mais refuse de rendre compte à la société, ne jouit pas de la confiance de cette dernière. Voir le rapport du RECJ 2013-2014, p. 4.

* Le terme « responsabilité » doit être ici entendu au sens du terme anglais « accountability », c’est-à-dire l’obligation de rendre compte.

[301] Pour une discussion sur la responsabilité du pouvoir judiciaire : Graham Gee, Robert Hazell, Kate Malleson et Patrick O’Brien, The Politics of Judicial Independence in the UK’s Changing Constitution, Cambridge University Press, 2015, pp. 16-22.

[302] Sur l’importance d’une bonne gouvernance en lien avec le pouvoir judiciaire, voir les Avis du CCJE No. 7(2005), No. 10(2007) et No. 14(2011).

[303] Voir l’Avis du CCJE No. 1(2001), par. 11 ; l’Avis No.10(2007), par. 9.

[304] Voir le rapport du RECJ 2013-2014, p. 13.

[305] Voir l’Avis du CCJE No. 6(2004), par. 1.

[306] Voir l’Avis du CCJE No. 17(2014), par. 23.

[307] Voir Recommandation CM/Rec(2010)12, par. 32, et les Avis du CCJE No. 2(2001), par. 4, No. 10(2007), par. 37 et No. 17(2014), par. 35.

[308] Voir l’Avis du CCJE No. 2(2001), par. 14, et l’Avis No. 10(2007), par. 12.

[309] Les autres pouvoirs de l’Etat ont le devoir de dégager les moyens financiers permettant de répondre aux nécessités du système judiciaire : l’Avis du CCJE No. 2(2001).

[310] Voir l’Avis du CCJE No. 7(2005), par. 7.

[311] Dans « Reconciling independence et accountability un judicial systems », 3 Utrecht Law Review (2007) 26, 31-32, Contini et Mohr nomment cela la « responsabilité juridique et judiciaire ».

[312] Contini et Mohr (op. cit.) nomment cela la « responsabilité de gestion ».

[313] Sur les relations des tribunaux avec les justiciables, voir l’Avis du CCJE No. 7(2005), par. 24-26. Des exceptions sont possibles dans les affaires où le respect de la vie privée des parties aux litiges l’exige.

[314] Sur cette question sensible de la présence de caméras dans les salles d’audience, voir l’Avis du CCJE No. 7 (2005), par. 44-50.

[315] Voir l’Avis du CCJE No. 7 (2005), par. 9, 24-26 ; voir également Bühlmann et Kunz, « Confidence in the Judiciary: Comparing the Independence et Legitimacy of Judicial Systems », West European Politics vol. 34 n° 2 (2011) 317, 332.

[316] Sur la qualité des décisions de justice, voir l’Avis du CCJE No. 11(2008); l’Avis No. 7(2005), par. 56.

[317] Voir l’Avis du CCJE No. 6(2004).

[318] Voir l’Avis du CCJE No. 13(2010) ; voir le rapport du Secrétaire Général du CdE (2015), pp. 14, 17 et 27.

[319] Voir l’Avis du CCJE No. 1(2001), par. 27, 69 rec. 10.

[320] Voir l’Avis du CCJE No. 17(2014).

[321] Voir la CrEDH, Baka c. Hongrie, 27 mai 2015, n° 20261/12, par. 99-102.

[322] Contini et Mohr, dans « Reconciling independence et accountability in judicial systems », 3 Utrecht Law Review (2007) 26, 41-42, ont préconisé le concept de « responsabilité coopérative ».

[323] Voir l’Avis du CCJE No. 3(2002), par. 34 ; la Belgique et le Monténégro ont signalé des échanges de ce type.

[324] Voir sur les relations entre les juges et le Parlement : Graham Gee, Robert Hazell, Kate Malleson et Patrick O’Brien, « The Politics of Judicial Independence in the UK’s Changing Constitution », Cambridge University Press, 2015, pp 92-125.

[325] Voir l’Avis du CCJE No. 3(2003), par. 36.

[326] Voir la Décision du 21 décembre 1999 de la Cour constitutionnelle de Lituanie, IV.9.

[327] Voir l’Avis du CCJE No. 7(2005).

[328] Voir l’Avis du CCJE No. 7(2005), C.

[329] Voir l’Avis du CCJE No. 7(2005), par. 7-23.

[330] Voir l’Avis du CCJE No. 7(2005), par. 27.

[331] Voir l’Avis du CCJE No. 3(2002), par. 49, recommandation iii).

[332] Voir l’Avis du CCJE No. 3(2002), par. 50, recommandation ii).

[333] Voir l’Avis du CCJE No. 3(2002), par. 51.

[334] Voir le rapport du Secrétaire Général du CdE (2015), pp. 24-25, voir également le travail du GRECO dans le cadre de la quatrième évaluation www.coe.int/greco .

[335] Voir l’Avis du CCJE No. 3(2002), par. 52-54.

[336] Voir l’Avis du CCJE No. 3(2002), par. 55-57.

[337] Voir l’Avis du CCJE No. 3(2002), par. 58-74 ; voir également Recommandations de Kiev, par. 25-26.

[338] Voir l’Avis du CCJE No. 1(2001) ; Recommandation CM/Rec(2010)12, chapitres II, V, VI ; Magna Carta des juges du CCJE (2010), par. 2-13.

[339] Voir le rapport du RECJ 2013-2014, par. 4,9.

[340] Voir l’Avis du CCJE No. 1(2001), par. 63.

[341] Le rapport du RECJ décrit la perception qu’ont les juges de leur propre indépendance en tant qu’aspect d’une « indépendance subjective » ; rapport du RECJ 2013-2014, p. 13, 3.3.2.

[342] Voir la Recommandation CM/Rec(2010)12, par. 18.

[343] Voir la CrEDH, Baka c. Hongrie, 27 mai 2015, n° 20261/12.

[344] Voir la Recommandation CM/Rec(2010)12, VII ; l’Avis du CCJE No. 3(2002), par. 51 ; pour un exemple d’abus dans ce domaine, voir Volkov c. Ukraine, CrEDH, 9 janvier 2013, n° 21722/11, en particulier le par. 199.

[345] Voir l’Avis du CCJE No. 3(2002), par. 75 et 76 ; voir également Recommandation CM/Rec(2010)12, par. 66-71. La responsabilité de l'Etat est une autre question. Le présent Avis ne concerne pas cette question. Dans les decisions suivantes, la Cour de Justice de l’Union europeenne a décidé que la responsabilite de l’Etat était engagée pour les dommages causés par les decisions judiciaires. La Cour de Justice de l’Union europeenne n’a pas jugé que la responsabilité des juges ayant rendu la décision était engagée dans les décisions suivantes : CJUE (30 sept. 2003, C-224/01, Köbler vs. Autriche; Grande Chamber, 13 juin 2006, C-173/03, Traghetti del Mediterraneo s.p.a. in liquidazione v. Repubblica Italiana; 24 novembre 2011, C-379/10, Commission v. Repubblica Italiana; 9 sept. 2015, C160/14, João Filipe Ferreira da Silva e Brito v. Estado português).

[346] Voir la Recommandation CM/Rec(2010)12, par. 66-67, et la Magna Carta des juges du CCJE (2010), par. 22.

[347] Voir la CrEDH, Baka c. Hongrie, 27 mai 2015, n° 20261/12.

[348] Voir la lettre ouverte de la Cour Soupreme d’Ukraine, p. 2.

[349] Voir la Recommandation (2010) 12, art. 8.

[350] Voir le rapport du CCJE sur la situation de pouvoir judiciaire et des juges dans les Etats membres du Conseil de l’Europe (2013), par. 13-18.

[351] Voir le rapport du Secrétaire Général du CdE (2015), p. 17.

[352] Voir l’Avis du CCJE No. 11(2008).

[353] Voir l’Avis du CCJE No. 10(2007).

[354] Voir l’Avis du CCJE No. 2(2001).

[355] 38 membres du CCJE ont répondu au questionnaire.

[356] Voir Avis du CCJE n° 12(2009), Déclaration de Bordeaux, paragraphe 3.

[357] Voir Avis du CCJE n° 16(2013), paragraphe 10.

[358] Voir Avis du CCJE n° 18(2015), paragraphes 48 et 49.

[359] Voir Avis du CCJE n° 12(2009), Déclaration de Bordeaux, paragraphe 11; voir Avis du CCJE n° 7(2005) sur la justice et la société.

[360] Voir les jugements de la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après CrEDH) : Baka c. Hongrie Grande Chambre n° 20261/12, 23 juin 2016, paragraphe 4 de l’opinion concordant du Juge Sicilianos ; Parlov-Tkalčić c. Croatie, n° 24810/06, 22 décembre 2009, paragraphe 86 ; Agrokompleks c. Ukraine, n° 23465/03, 6 octobre 2011, paragraphe 137 ; Moiseyev c. Russie, n° 62936/00, 9 octobre 2008, paragraphe 182. « L’absence de garanties suffisantes assurant l’indépendance des juges au sein du pouvoir judiciaire et notamment vis-à-vis de leurs supérieurs dans la hiérarchie judiciaire pourrait amener la Cour à conclure que les doutes d’un requérant quant à l’indépendance et l’impartialité d’un tribunal peuvent passer pour objectivement justifiés », voir Baka c. Hongrie cité ci-dessus, paragraphe 4 de l'opinion concordant du Juge Sicilianos; Parlov-Tkalčić c. Croatie, cité ci-dessus, paragraphe 86 ; Agrokompleks c. Ukraine, cité ci-dessus, paragraphe 137; Moiseyev c. Russie, cité ci-dessus, paragraphe 184 ; et Daktaras c. Lituanie, n° 42095/98, paragraphes 36 and 38, CEDH 2000X.

[361] M. Sicilianos, Juge à la CrEDH, a soulevé la question de savoir si l’Article 6(1) CEDH pouvait être interprété en ce sens qu’il reconnait, en parallèle au droit des personnes impliquées dans des procédures que leurs affaires soient entendues par un tribunal impartial, un droit subjectif pour les juges de voir leur indépendance sauvegardée et respectée par l’Etat, voir le jugement de la CrEDH : Baka c. Hongrie Grande Chambre, n° 20261/12, 23 juin 2016, paragraphes 5-6 et 13-15 de l’opinion concordant du Juge Sicilianos.

[362] Dans l'accomplissement de ce devoir, les présidents des tribunaux peuvent utiliser les outils et les instruments développés par la Commission européenne pour l'efficacité de la justice (CEPEJ) tels que les Lignes directrices révisées du centre SATURN pour la gestion du temps judiciaire (CEPEJ(2014)16), Checklist pour la gestion du temps (CEPEJ(2005)12REV) et autres.

[363]Dans un certain nombre de pays, ces instances collégiales sont prévues par la loi. Voir en particulier le travail du Groupe d'Etats contre la corruption (GRECO) du Conseil de l'Europe dans le cadre du quatrième cycle d’évaluation qui s’occupe de la prévention de la corruption parmi les parlementaires, les juges et les procureurs : GRECO a adressé des recommandations à plusieurs Etats membres en ce qui concerne l’établissement de mécanismes de conseil confidentiel en matière d’éthique et d’intégrité aux juges exerçant leurs fonctions.

Voir http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/greco/evaluations/index_fr.asp,

[364]Voir le Plan d’action du Conseil de l'Europe pour renforcer l’indépendance et l’impartialité du pouvoir judiciaire (CM(2016)36final), Action 2.1.

[365]Voir Avis du CCJE n° 17(2014), conclusion 11 ; voir également Avis du CCJE n° 10(2007), paragraphes 42 et 53.

[366]Voir Avis du CCJE n° 10 (2007), paragraphes 42 and 64.

[367] Voir Avis du CCJE n° 6(2004), paragraphes 52-55.

[368] Voir Avis du CCJE n° 18(2015), paragraphe 48.

[369] Voir le Plan d’action du Conseil de l'Europe pour renforcer l’indépendance et l’impartialité du pouvoir judiciaire (CM(2016)36final), l’Action 1.5 (les deux premiers paragraphes).

[370] Voir Avis du CCJE n° 2(2001), paragraphe 13, voir aussi le document « Formation au management » du Réseau Européen de Formation Judiciaire (REFJ) de juin 2016.

[371]Voir Avis du CCJE n° 10(2007), paragraphe 51.

[372] Voir Recommandation CM/Rec(2010)12, chapitre VI, paragraphes 44 et 45.

[373] Voir Avis du CCJE n° 1(2001) sur les normes relatives à l'indépendance et l'inamovibilité des juges, paragraphes 25 et 29.

[374] Voir Avis du CCJE n° 17(2014) sur l'évaluation du travail des juges, la qualité de la justice et le respect de l'indépendance judiciaire.

[375] Voir Avis du CCJE n° 17(2014), paragraphe 13.

[376] Voir, entre autres, Recommandation CM/Rec(2010)12, Chapitre 6, paragraphes 49 et 50.

[377] Voir le jugement de la CrEDH: Baka c. Hongrie Grande Chambre, n° 20261/12, 23 juin 2016, paragraphe 17 de l’opinion concordante commune aux juges Pinto de Albuquerque et Dedov.

[378] Voir Avis du CCJE n° 1(2001) sur les normes relatives à l’indépendance et l’inamovibilité des juges.

[379] Voir Avis du CCJE n° 2(2001), paragraphe 10.

[380] Voir le Plan d’action du Conseil de l'Europe pour renforcer l’indépendance et l’impartialité du pouvoir judiciaire (CM(2016)36final), l’Action 1.5 (le troisième paragraphe).