Strasbourg, 7 décembre 2016
CEPEJ(2016)13É
COMMISSION EUROPÉENNE POUR L’EFFICACITE DE LA JUSTICE
(CEPEJ)
Lignes directrices sur la conduite du changement vers la Cyberjustice
Bilan des dispositifs déployés et synthèse de bonnes pratiques
Préparé par le CEPEJ-GT-QUAL
sur la base d’un travail préparatoire de
Harold ÉPINEUSE, expert scientifique (France)
Tel qu’adopté lors de la 28ème réunion plénière de la CEPEJ, le 7 décembre 2016
Table des matières
1.1.1 Des améliorations orientées vers les usagers et la qualité du service public de la justice
1.1.2 Échantillon d’outils d’accès à la justice déployés en Europe
1.1.3 Panorama du taux de développement des outils d’accès à la justice déployés en Europe
1.2 La communication entre les tribunaux et avec les professionnels
1.2.2 Échantillon d’outils de communication entre les tribunaux et les professionnels en Europe
1.2.3 Panorama du taux de développement des outils de communication entre les tribunaux et avec les
1.3 L’assistance au juge, au procureur et au greffier
service de la sécurité juridique
1.3.2 Échantillon d’outils d’assistance aux juges, procureurs et greffiers déployés en Europe
1.3.3 Panorama du taux de développement des outils d’assistance au juge, au procureur et au greffier
1.4 L’administration des tribunaux
1.4.1 Un levier de transformation pour l’efficience managériale des tribunaux
1.4.2 Échantillon d’outils d’administration de la justice déployés en Europe
1.4.3 Panorama du taux de développement des outils d’administration des tribunaux
2.1 Quelques remarques préalables au développement d’outils informatiques dans la justice
2.2 Commencer par la définition d’objectifs clairs dégagés de toute considération technique
2.3 Prendre en considération les critères de base facilitant le bon déploiement de l’informatique
2.4 Allouer des moyens adaptés et proportionnés à l’ambition des projets
2.6 Concevoir une politique de déploiement impliquant tous les acteurs du changement
2.7 Passer d’une culture de gestion de projet à un véritable pilotage de l’innovation
1. Depuis plusieurs années, tous les États membres du Conseil de l’Europe[1] se sont dotés d’applications informatiques dans le but d’améliorer la performance et l’efficacité de leurs systèmes judiciaires. Que ces politiques soient menées à petite ou à grande échelle, avec des implications financières plus ou moins importantes, l’introduction d’outils numériques a souvent été considérée en elle-même comme un levier de modernisation de la justice. Pour autant, elle a rarement donné lieu à une réflexion préalable sur l’impact global qu’elle aurait sur les systèmes judiciaires ainsi modernisés. Si l’on s’accorde aujourd’hui pour dire que la justice ne peut rester sur le côté d’une évolution qui touche massivement les sociétés dans lesquelles elle s’insère et les populations auxquelles elle s’adresse, force est de constater que le défi d’intégrer les technologies de l’information et de la communication dans la justice, sans dénaturer la mission et les valeurs de celle-ci, demeure un champ encore trop peu documenté. Le développement et la maturité de certaines technologies appliquées au champ judiciaire depuis le début des années 2000 autorisent pourtant qu’un premier bilan de leur utilisation puisse être dressé quinze années après sur la base des expériences des États membres du Conseil de l’Europe.
2. À travers ces Lignes Directrices, la CEPEJ souhaite non seulement contribuer à documenter ce champ en rassemblant des expériences parmi les plus récentes des systèmes judiciaires européens, mais aussi apporter un regard critique sur l’évolution de l’informatique appliqué à la justice dans les dernières années, ainsi que les défis qu’elle pose, tant aux professionnels de la justice qu’aux décideurs publics. C’est donc en faisant référence au terme « Cyberjustice » que la CEPEJ entend promouvoir un certain nombre de réflexions sur ce champ, et apporter aux systèmes judiciaires qui le souhaitent une expertise qui dépasse les questions du développement et du bon fonctionnement des outils informatiques, pour embrasser toutes les évolutions à l’œuvre dans la façon dont se rend la justice en mobilisant des technologies de l’information et de la communication. Utilisée de préférence à l’appellation « e-Justice » qui présente l’informatique comme une modalité d’application de la justice dans le monde numérique, la Cyberjustice fait en effet référence à une littérature riche et désormais transdisciplinaire issue de la théorie de l’information. Une littérature qui annonce la profondeur des changements à l’œuvre dans les organisations et les activités humaines ayant recours aux systèmes d’information, pour mieux repérer les défis qu’ils leur posent. Ainsi, et largement entendue, la Cyberjustice regroupe toutes les situations dans lesquelles une application au moins des technologies de l’information et de la communication, est intégrée à un processus de règlement des litiges, qu’il soit juridictionnel ou extra-juridictionnel.
3. Si les outils numériques de la Cyberjustice contribuent souvent aujourd’hui à une meilleure efficacité et efficience des systèmes judiciaires, dans un contexte global de réduction des moyens à disposition, il paraît essentiel que leur déploiement puisse tenir compte d’une part de l’exigence de garantir des standards élevés de qualité du service public de la justice, et d’autre part, de tenir compte des attentes et des besoins des professionnels de la justice aussi bien que des usagers. Le développement de système d’information pour la justice ne saurait en particulier remettre en cause les principes fondamentaux qui encadrent l’activité de celle-ci. Le droit à un procès équitable protégé par la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales (ConvEDH) de même que les instruments de promotion de la qualité de la justice établis par la CEPEJ ne sauraient être battu en brèche mais au contraire voie leurs effets prolongés par l’informatique qui ne constitue alors en rien une fin mais seulement un moyen à disposition des décideurs publics, des professionnels et des parties à un litige.
4. L’objectif de ces Lignes Directrices est donc double. En premier lieu, elles dressent un inventaire des solutions existantes au niveau européen, tout en s’interrogeant sur les finalités qu’elles poursuivent et leur capacité à améliorer la qualité et l’efficacité des systèmes judiciaires. En conformité avec cette approche, les différentes applications de cyberjustice recensées ont été classées en quatre catégories principales, selon le but qu’elles visent : l’accès à la justice, la communication entre les tribunaux et les professionnels, l’administration des tribunaux et l’assistance directe au travail du juge et du greffier. Seront présentés pour chaque catégorie : les gains attendus par l’introduction de l’outil, les développements possibles sur le long terme qui naîtront de son usage, les points d’attention essentiels au succès de l’innovation envisagée et les risques potentiels liés à son utilisation.
5. Dans un second temps, ces Lignes Directrices visent à accompagner les décideurs publics dans la maîtrise de la conduite du changement vers la Cyberjustice, en mettant en perspective des principes généraux et des retours d’expérience qui ont été jugés particulièrement utiles dans le cadre du développement et pour la mise en œuvre de politiques européennes en matière de justice numérique.
6. Les présentes Lignes Directrices ont été rédigées en s’appuyant sur les amples données et informations recueillies par la CEPEJ dans le cadre de ses activités, notamment dans le cadre de l’évaluation des systèmes judiciaires européens (CEPEJ-GT-EVAL). A cet égard, il convient de mentionner que le cycle d’évaluation 2016 (données de l’année 2014) consacre une place très importante à la question des technologies de l’information et de la communication, moyennant un rapport spécifique publié au mois de septembre 2016 et rédigé sur la base des réponses fournies par les États membres à un questionnaire thématique spécifique. Ce rapport, exhaustif, détermine de manière précise le niveau de développement de chaque pays en la matière, et approfondit également les analyses précédentes de la CEPEJ relatives à l’impact de l’utilisation de l’informatique sur l’efficacité et la qualité des systèmes judiciaires. Ces données ont été complétées d’informations originales recueillies sur la base du volontariat auprès de représentants des États membres au cours du printemps de l’année 2016 sur des projets informatiques spécifiques, et de différents entretiens auprès des membres de la CEPEJ et du Réseau des Tribunaux Référents.
7. Des pistes de réflexions critiques ont enfin été esquissées et discutées par le groupe de travail de la CEPEJ sur la qualité de la justice (CEPEJ-GT-QUAL), à partir de l’expérience de chacun des membres du groupe. Afin de s’inscrire dans la continuité des travaux de ce groupe, ces Lignes Directrices s’efforcent dès lors d’indiquer les liens qui existent entre la matière traitée dans ce rapport et les enjeux en matière de qualité de la justice. En particulier, il est renvoyé lorsque cela est pertinent à la « Check-list pour la promotion de la qualité de la justice et des tribunaux » (CEPEJ(2008)2E) instrument qui se présente comme un outil d’introspection pour les décideurs publics et les praticiens du droit, visant, par le biais de questions multiples, à les aider à améliorer les législations, les politiques et les pratiques en matière de qualité de la justice. Une Check-list complémentaire et spécifique au champ de la Cyberjustice est proposée en annexe de ces Lignes Directrice afin de prolonger et de faciliter ce travail d’introspection s’agissant du développement des technologies de l’information et de la communication dans l’administration de la justice. Elle est suivie d’une bibliographie sommaire renvoyant aux différents instruments et documents du Conseil de l’Europe directement liés au sujet de la Cyberjustice.
8. Cette partie dresse un panorama synthétique des dispositifs de cyberjustice existants au niveau européen sur la base des données disponibles dans le dernier rapport du CEPEJ-GT-EVAL[2], auxquelles ont été ajoutées des informations sur les initiatives déjà remarquées par la CEPEJ à l’occasion des concours « Balances de Cristal ». Elle s’enrichit aussi d’informations communiquées par les États Membres, invités à contribuer sur une base volontaire à la présente étude en partageant avec l’expert scientifique les expériences de leur choix. Elle incorpore enfin le contenu de discussions avec les membres de la CEPEJ et le Réseau des Tribunaux Référents.
9. Les dispositifs recensés ont été regroupés en fonction du but poursuivi par leur promoteur : l’accès à la justice, la communication entre les tribunaux et les professionnels, l’assistance directe au travail du magistrat et du greffier, et enfin l’administration des tribunaux. Il s’agit évidemment d’un découpage à valeur pédagogique dont les frontières peuvent parfois s’avérer floues. Certains exemples parmi les plus avancés auraient ainsi pu figurer dans plusieurs catégories pour la raison qu’ils opèrent une liaison entre des outils améliorant l’accès à l’information et la communication entre agents, un système de pilotages des affaires, et des outils d’assistance au professionnel. Pour autant, et afin d’éviter les répétitions, la tendance retenue sera de ne les citer qu’une fois, en raison d’une caractéristique particulière de l’outil qu’il convient de mettre en avant à ce moment-là dans l’échantillon considéré.
10. Une analyse générale est proposée dans ces Lignes Directrices sur les potentialités de chaque catégorie d’outils en interrogeant de façon systématique les gains identifiés pour la justice, les développements possibles pour les systèmes judiciaires, les points d’attention à considérer dans leur mise en œuvre, et enfin les risques potentiels de leur introduction. Chaque sous-partie propose ainsi un résumé des enjeux à considérer suivie d’un résumé infographique de l’équipement par pays et d’un échantillon d’outil afin d’illustrer la diversité et la richesse des expériences des États Membres en la matière.
11. Cette notion doit être entendue ici de manière de large en tant qu’elle regroupe tant les dispositifs d’accès au droit (informations en ligne sur ses droits, diffusion de la jurisprudence) que les dispositifs d’accès au règlement des différends (attribution de l’aide judiciaire en ligne, saisine d’une juridiction ou d’un service de médiation) [3]. Ainsi, l’accès à la justice est une notion fréquemment mise en avant par les systèmes judiciaires pour justifier le recours aux outils numériques qui, selon le cas, doivent augmenter le niveau d’information ou de services à disposition du justiciable, ou encore réduire les barrières – entendu comme les coûts matériels et les coûts financiers – d’accès aux services existants.
12. En 2008 déjà, la « Check-list pour promotion de la qualité de la justice et des tribunaux » de la CEPEJ (CEPEJ(2008)2E) soulignait le lien important qui existe entre l’informatique et l’accès à la justice en lui consacrant un chapitre entier[4]. Plus récemment, une résolution de l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe de novembre 2015 faisait remarquer que si l’accès à la justice est « une pierre angulaire de tout Etat démocratique fondé sur l’Etat de droit et une condition préalable indispensable à la jouissance effective de leurs droits de l’homme par les citoyens (…) l’accès au système judiciaire est souvent très coûteux en temps et en argent ». Et l’Assemblée de se féliciter de ce qu’un « certain nombre d’États prennent des initiatives pour réformer le processus judiciaire, en vue d’accélérer les procédures et de les rendre plus abordables, notamment grâce à l’utilisation accrue de formes modernes des technologies de l’information et de la communication (TIC) »[5].
13. L’informatique ouvre donc la promesse d’un service public de la justice plus accessible, pour autant que les citoyens soient eux-mêmes connectés et prêts à se satisfaire de cette nouvelle relation. A condition aussi que les systèmes judiciaires soient prêts à investir suffisamment, dans des outils de plus en plus poussés et de plus en plus complexes, qui nécessitent ou entraînent de repenser leur organisation, leurs relations entre eux, et parfois même les compétences nouvelles qu’ils doivent s’adjoindre en leur sein pour tirer pleinement parti des nouveaux services numériques proposés au citoyen et au justiciable.
14. Le développement des technologies de l’information ayant partout conduit à une extension des capacités d’interaction entre les individus, les services publics, dont celui de la justice, ont dès lors cherché à tirer parti des nouveaux outils numériques pour repenser leurs modalités de communication avec leurs usagers[6]. Livrer plus d’informations, et mieux livrer les informations, sont les deux objectifs qui sont apparus aux systèmes judiciaires comme devenus accessibles à un coût de déploiement moindre, grâce à l’informatique. Avec en ligne de mire d’en retirer deux séries de bénéfices : améliorer la qualité du service rendu d’une part, tout en maîtrisant les dépenses de fonctionnement de la justice d’autre part.
15. Le premier objectif des nombreux sites internet d’information mis en ligne ces dernières années est d’apporter un niveau d’information de base aux citoyens[7], en amont de tout conflit ou de toute saisine d’une juridiction, depuis chez eux et dans un langage qu’ils comprennent, par le développement d’une interface qui leur soit aisée, les renseignant sur l’étendue de leurs droits et les voies procédurales à suivre pour les mettre en œuvre ou les défendre. Des portails d’information sont ainsi progressivement mis en place dans tous les pays, qui associent le plus souvent les cours et les tribunaux mais aussi les Barreaux ou des associations, afin de proposer un niveau d’information le plus complet possible et homogène en tout point du territoire. Notons que l’Union Européenne prolonge cet effort en travaillant de son côté à l’interconnexion des informations proposant, dans les langues des pays de l’Union, un portail d’accès aux informations nationales fournies par les États.
16. Le développement de services d’information en ligne privilégie désormais l’accompagnement du citoyen dans la fourniture d’informations pratiques concernant les procédures à suivre[8]. En suivant une sorte de questionnaire dynamique destiné à cerner précisément sa demande, tant dans sa nature que dans son montant ou son rattachement géographique, le justiciable qui se rend sur ces portails de nouvelle génération y reçoit une information personnalisée et contextualisée lui permettant de poursuivre son cheminement institutionnel auprès des institutions appropriées : mise en contact avec un avocat, lien avec un service de conciliation ou de médiation, mais aussi bien sûr saisine des tribunaux compétents. Le justiciable bénéficie en outre parfois d’informations plus précises encore sur les modalités de saisine de l’institution avec des documents à remplir, téléchargeables en ligne, une liste des pièces à fournir à l’appui de sa demande, l’adresse postale ou électronique de l’institution, le plan d’accès, l’organisation des services et le cas échéant les délais auxquels s’attendre. Des services qui de l’expérience des États demandent un travail important de remise à plat dans l’organisation existante de l’information, de simplification du langage, d’attention à l’ergonomie, et parfois même de rationalisation des procédures.[9]
17. Certains systèmes judiciaires considèrent le développement de l’Open data (données ouvertes) comme un point d’achèvement des politiques d’accès à la justice. Une tendance nette se dessine ces dernières années, avec un portage politique fort au niveau international[10] pour que se développe dans certains pays un mouvement d’ouverture des données judiciaires au grand public. Il s’agit de rendre l’ensemble des décisions de justice accessibles à tous en ligne et gratuitement (avec des restrictions plus ou moins importantes quant aux données personnelles – nom des parties, domicile – selon la législation en vigueur dans le pays) [11]. Ces politiques « d’open data » représentent une avancée théorique considérable dans l’accès au droit par la mise à disposition de tous et dans les mêmes conditions de la jurisprudence ; en même temps qu’elles posent beaucoup de questions sur l’accessibilité réelle d’un droit livré brut aux citoyens, et annoncent de profonds bouleversements dans les milieux professionnels du conseil et de l’édition juridique.
18. L’impact du développement des données judiciaires ouvertes sur l’accès à la justice paraît ainsi devoir être nuancé. Celui-ci, pour être efficace, doit en effet prendre en considération qu’en pratique, les moyens de naviguer dans une telle masse de données et d’en tirer parti pour la revendication ou la défense de ses droits, n’est pas chose aisée pour le justiciable, et nécessite dans bien des cas le recours à un intermédiaire professionnel en raison de la complexité du droit ou de l’affaire, quitte à voir émerger dans certains pays de nouveaux intermédiaires du traitement de l’information juridique et judiciaire libre et ouverte. Par ailleurs, les systèmes judiciaires sont amenés à réfléchir à la valeur que représente la mise en ligne de ces données pour certains secteurs d’activité (assurance, banque, marché de l’emploi) et l’exploitation individuelle ou statistique qu’ils peuvent être amenés à en faire. Une mise en ligne consentie par la puissance publique, parfois à l’insu, et peut-être au détriment, des personnes qu’elles sont censées servir ou protéger, c’est à dire les justiciables, n’est possible qu’à certaines conditions au risque d’entraîner une défiance dans l’appareil judiciaire[12].
19. De plus en plus de systèmes judiciaires entreprennent la mise en œuvre de politiques de communication institutionnelle actives sur internet, utilisant la puissance du multimédia et des réseaux sociaux[13]. À l’échelle d’une cour ou de tout un réseau de juridictions, les pays expérimentent une nouvelle forme de relation avec les citoyens qui permet à la justice de rendre compte de son travail sous des modalités diverses[14] (à l’image de ce que font les autres pouvoirs – exécutif ou législatif – sur leurs sites internet), en mettant en place de véritables stratégies et politiques de communication qui passent par le web : communiqués de presse (parfois en plusieurs langues), retransmissions de tout ou partie des audiences en vidéo (pour les cours suprêmes ou constitutionnelles le plus souvent), page Facebook ou compte Twitter, pour ne citer que les deux réseaux sociaux les plus couramment utilisés. La justice voit ces nouveaux outils comme autant d’occasions directes pour se faire entendre et se faire comprendre auprès d’un public national ou local consommateur de ces nouveaux médias.
20. La simplicité et le prix très abordable pour la mise en place de certains outils aujourd’hui ne doivent cependant pas faire oublier une réalité bien plus complexe selon les systèmes judiciaires qui en ont l’expérience. L’investissement dans les outils de communication élaborés qui suscite de fortes attentes dans la population, doit impérativement être suivi d’investissements bien plus importants encore dans les techniques de communication et de relations publiques, à travers le recrutement de professionnels et la formation des différents intervenants à l’échelle de l’institution considérée, et ce de manière pérenne. Aussi, la mise en place d’une véritable politique de communication doit aussi permettre de s’interroger sur les limites à celle-ci, pour une institution judiciaire. C’est à dire s’interroger sur le type d’information qu’il convient ou pas de mettre en ligne, ainsi que le traitement adéquat pour ces informations[15]. Il va en effet de l’image et de la dignité de l’institution judiciaire de répondre à ces questions de manière sereine et argumentée avant de se jeter corps et âme dans la communication la plus à la mode. Sans doute d’ailleurs la réponse à toutes ces questions est-elle différente selon le type de juridiction et le contentieux qu’elle traite[16].
21. Des services de communication dématérialisée avec les justiciables sur leurs affaires sont déjà opérationnels dans certains pays, et en cours de développement dans d’autres[17]. Des services de saisine en ligne directe des juridictions d’abord, essentiellement pensés pour les procédures sans représentation obligatoire, ces services dispensent le justiciable de l’envoi de documents sous format papier par la poste ou de leur remise en mains propres aux greffes du tribunal. Suivant cette logique, les systèmes d’information récemment mis en place proposent d’offrir au justiciable, assisté ou non d’un avocat, de recevoir des nouvelles de sa procédure sous format dématérialisé par le biais d’alertes SMS ou par courriel électronique, l’invitant à se rendre sur un compte en ligne sécurisé et/ou à prendre attache avec son avocat. Certains pays ont également déployé des systèmes dématérialisés de convocation à l’audience, mais aussi de confirmation de présence par message envoyé quelques jours avant au justiciable sur leur téléphone, permettant d’augmenter significativement le taux de comparution effective des deux parties, et par là-même de faire baisser le taux de report des audiences. D’autres encore mettent à la disposition des parties sur leur espace personnel et sécurisé la décision de justice rendue dans leur affaire, suivie d’une information sur les voies légales offertes (en ligne ou non) pour la faire exécuter ou la contester.
22. La mise en place des systèmes d’information améliore potentiellement l’accueil physique dans les palais de justice… ou ailleurs. Outre le gain pour les usagers, qui individuellement ne sont plus obligés de se déplacer physiquement dans les juridictions pour obtenir une information ou déclencher une procédure, ces services en ligne profitent à l’organisation du tribunal, en ce qu’ils permettent de réduire les temps d’attente dans les accueils des palais de justice, si ce n’est de supprimer pour qui est en mesure d’obtenir l’information qu’il recherche depuis un poste informatique. Le temps gagné à ne plus renseigner les personnes qui vont directement chercher les informations qu’ils cherchent sur internet, permet aussi aux personnels dûment formés de se concentrer sur l’assistance aux personnes exclues de ces dispositifs, ou dont la procédure nécessite un niveau d’information particulier ou encore un entretien direct avec un professionnel. Il est à noter que certains pays complètent cette offre d’information en ligne et physique au tribunal, par un système hybride, de mise en relation téléphonique en tout point du territoire. D’autres soutiennent une politique plus ambitieuse encore de redéploiement des points physiques d’accès au droit, en créant des antennes locales partagées entre services publics, où des agents spécialement formées à la transversalité peuvent naviguer dans les différents systèmes d’information concernés et offrir une assistance de proximité aux citoyens, en lien avec le personnel judiciaire des tribunaux le cas échéant.
23. D’autres dispositifs permettant d’éviter un déplacement dans les tribunaux se développent à travers le recours à la visioconférence. Un développement qui se systématise dans chacun des pays, et pour la coopération judiciaire entre les différents pays. Ouverts à une catégorie de personnes ou de situations particulières[18], dans le cadre de la mise en état d’une affaire ou pour certaines parties d’une audience (compte-rendu d’expertises, dépôt de plainte, interrogatoire ou témoignage à distance), ces dispositifs sont vécus comme une source d’économie importante, en matière civile comme en matière pénale. Du point de vue de la qualité par contre, le recours à la visioconférence nécessite encore un certain nombre d’améliorations techniques ou de protocoles d’audience, pour beaucoup de praticiens des États membres. Ainsi que le souligne le rapporteur à la résolution de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe sur l’accès à la justice et les TIC : « Il importe que les tribunaux qui recourent à la visioconférence continuent d’examiner comment atténuer ces défauts, par exemple en recherchant des avancées technologiques qui améliorent la qualité de la visioconférence et en cryptant les signaux vidéo pour les protéger contre toute interception. Les avocats, les juges et le personnel des tribunaux devraient également se familiariser avec les différences que présentent habituellement une déposition faite en personne par un témoin et une déposition par visioconférence, afin de savoir comment ces différences peuvent avoir certaines conséquences sur une déposition faite par visioconférence. Les personnes qui témoignent par visioconférence ont par exemple tendance à regarder l’écran pour voir leur interlocuteur au lieu de regarder la caméra, ce qui a pour effet de supprimer le contact visuel direct avec les personnes qui se trouvent en salle d’audience. Le fait de comprendre cet élément et les autres différences propres à cette situation peut aider les avocats, les juges et le personnel des tribunaux à modifier ce qu’ils attendent d’un témoignage déposé par visioconférence, par rapport à une déposition, faite en personne par le témoin ». Ce qui, assurément, est un souci de qualité de la justice.
24. Des sites internet conçus pour le traitement en ligne des différends ont également été développés récemment dans certains pays du Conseil de l’Europe. En matière civile, ils concernent généralement le traitement des litiges de faible montant (consommation, baux d’habitation) ou les procédures spéciales d’injonctions de payer, mais se développent aussi désormais dans le domaine des affaires familiales (règlement du divorce). Des opérateurs publics mais aussi des opérateurs privés proposent ainsi des services de résolution en ligne des conflits (Online Dispute Resolution – ODR) directement accessibles aux justiciables. Certains systèmes judiciaires y voient une offre alternative, quand d’autres la pensent comme une offre complémentaire, en amont de la saisine éventuelle d’un juge. Ce type de démarche participe nettement à prévenir l’engorgement des juridictions en favorisant un traitement du différend par la conciliation ou la médiation informatisée. Le basculement vers le système juridictionnel en cas d’échec de la conciliation et de la médiation est alors possible, mais se retrouve facilité - lorsque le système d’information est rattaché ou reconnu par la puissance publique – en raison d’une reprise automatique des informations sur les parties et le litige, lequel est alors quasiment en état d’être jugé, évitant aux greffes de créer manuellement une nouvelle entrée dans leur système de gestion des affaires, et aux parties de devoir redonner une nouvelle fois les informations, les prétentions et les pièces à l’appui de leur litige[19].
25. Il convient de noter que l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe a récemment appelé les États membres à mettre des procédures volontaires de Règlement en Ligne des Litiges (RLL) à la disposition des citoyens dans les situations appropriées ; sensibiliser l’opinion à l’existence de ces procédures et créer des incitations pour amener les citoyens à y prendre part, notamment en promouvant l’exécution extrajudiciaire des décisions de RLL et en faisant mieux connaître le RLL aux professions du droit ». Non sans évoquer le nécessaire encadrement de la contribution des RLL afin que celle-ci puisse être une offre de justice de qualité pour les citoyens, qui consiste pour les États « à veiller à ce que les procédures actuelles et futures de RLL comportant des garanties conformes aux articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui peuvent consister notamment en un accès au conseil juridique ; à veiller à ce que les parties qui engagent une procédure de RLL conservent un droit d’accès à une procédure d’appel devant les tribunaux qui satisfasse à l’exigence d’un procès équitable énoncé à l’article 6 de la Convention ; (et enfin) à entreprendre d’élaborer des normes minimales communes auxquelles les prestataires de RLL devront se conformer, notamment pour garantir que leurs procédures ne favorisent pas injustement les acteurs fréquents au détriment des acteurs occasionnels, et s’appliquer à établir un système commun d’accréditation des prestataires de RLL qui satisfont à ces normes »[20].
26. L’accès à la justice par les systèmes d’information, entre réduction des coûts et réaffectation des ressources. Additionnant toutes ces innovations qui cherchent à n’accueillir le justiciable sur le lieu physique du palais de justice que dans des hypothèses devenues strictement nécessaires, des réformes de cartes judiciaires dans le sens d’une réduction de la présence physique des tribunaux sur un territoire donné, ont été mises en œuvre ou sont envisagées dans certains pays[21]. Elles sont d’ailleurs souvent présentées comme le bénéfice ultime du recours aux services numériques. Les coûts de développement et de fonctionnement des systèmes d’information étant perçus par les États comme largement inférieurs aux coûts relatifs à l’immobilier judiciaire et à son entretien ; ils autoriseraient même des économies en matière de ressources humaines au niveau local.
27. Certains font cependant remarquer qu’une telle équation ne prend pas forcément en compte les coûts cachés des transformations vers les services dématérialisés. Il s’agit d’abord d’un transfert de coût de l’opérateur (système judiciaire) vers l’utilisateur (le justiciable), essentiellement le temps passé par celui qui nourrit et agit sur le système d’information, que l’on constate dans la plupart des services en ligne, publics ou de consommation. Il s’agit ensuite des coûts induits qui pèsent sur les économies associées, l’accès en ligne à la justice bouleversant le rôle, les services, et par là-même, le modèle économique des professions juridiques et judiciaires. Il s’agit enfin des coûts nouveaux, nécessaires au bon déploiement pérenne du service dématérialisé : par exemple l’investissement dans de nouveaux profils de ressources humaines devenus indispensables à une justice en ligne (par voie de recrutements le plus souvent lorsque les reconversions ou la formation ne peuvent suffire), alors même que la masse salariale statutaire des magistrats et des greffiers devrait rester, pour un moment au moins, à l’identique.
28. D’autres systèmes judiciaires font observer que la simple mise en ligne de tels services ne suffit pas à atteindre automatiquement les objectifs de qualité et de réduction de coûts qu’ils s’assignent parfois. La mise à disposition de services dématérialisés se double d’un effort (et d’un coût) en terme de communication, considérable et de long terme, auprès du public, par tous les canaux possibles, avant d’espérer : i) que l’existence des nouveaux outils soit connue d’une masse suffisante de citoyens; ii) produire la confiance qui permettra au public de franchir le pas pour y avoir recours ; et iii) provoquer des changements récurrents et pérennes dans les habitudes du public pour ce qui est de sa relation avec le service public de la justice.
29. À l’opposé d’une démarche de développement tous azimuts de services en ligne, certains pays paraissent vouloir limiter le recours aux saisines par voie électronique des juridictions, qui pourraient finir par banaliser le recours au juge, dans une sorte de mise à niveau avec les différents services d’assistance et plateformes de règlement des différends en ligne. C’est en réalité la même question qui anime la réflexion des tenants du développement des services en ligne et leurs opposants, à savoir celle de comment mettre en valeur aux yeux du citoyen la plus-value et la garantie qu’apporte le service public de la justice pour la défense de ses droits, qu’il soit dématérialisé ou non ? Ainsi le Comité Consultatif des Juges Européens dans son avis n°14 sur « Justice et technologies de l’information (TI) » rappelle-t-il que « L'introduction des TI dans les tribunaux en Europe ne doit pas compromettre les aspects humain et symbolique de la justice. Si la justice est perçue par les justiciables comme purement technique, dépourvue de sa fonction réelle et fondamentale, elle risque de se déshumaniser. La justice est et doit rester humaine car elle traite avant tout des personnes et de leurs litiges »[22].
30. La perception des justiciables sur des dispositifs entièrement dématérialisés reste en tout état de cause à mesurer et à évaluer, afin de savoir si le niveau de confiance accordé à un traitement en ligne est identique à celui d’une interaction en face à face pour ce qui est de l’information sur ses droits, la remise de son affaire entre les mains d’un représentant identifiable d’une institution, et la tenue d’un débat animé par un professionnel de la justice en présence des différents intervenants. Ceci est particulièrement vrai lorsqu’il s’agit d’évaluer le comportement des parties et de leurs témoins, qui est un exercice qui se fait dans un tribunal par le juge compétent. Ceci apparaît d’autant plus nécessaire en vue de prendre en compte les besoins spécifiques des populations qui, pour des raisons d’âge ou de condition sociale, n’ont pas d’accès aisé, ni une culture pratique très développée des services et des interactions numériques[23]. Ainsi que l’écrit le CCJE dans son avis précité : « L’ensemble des usagers n’a pas toujours accès aux TI. Les moyens traditionnels actuels d’accès à l’information ne devraient pas être supprimés. Des « Help desks » et d’autres formes d’assistance dans les tribunaux ne devraient pas être supprimés au motif erroné que les TI rendent la justice ‘accessible à tous’. Cet aspect est particulièrement important concernant la protection des personnes vulnérables. L’utilisation des TI ne devrait pas diminuer les garanties procédurales disponibles pour les personnes qui n’ont pas d’accès aux nouvelles technologies. Les États doivent veiller à fournir une assistance spécifique en la matière aux parties qui ne bénéficient pas d’un tel accès »[24].
31. La grille ci-dessous se veut un résumé graphique des points évoqués précédemment.
Gains identifiés · Faciliter l’information des justiciables à tous les niveaux (informations sur l’accès physique au tribunal, l’organisation, les modes de saisine des juridictions et voies alternatives existantes, suivi en ligne des procédures, accès à la décision dès son prononcé) · Réduire les temps d’attente dans les accueils « physiques » des tribunaux ou rendre inutile certains déplacements · Régler en ligne certains contentieux en amont d’une saisine d’un tribunal pour désengorger la juridiction d’affaires simples à traiter |
Points d’attention · Maintenance et pérennité des données en particulier des archives · Réinvestissements importants en matière de ressources humaines par le biais de plans de recrutement ou de formation pour les nouveaux services proposés · Prendre en compte la multiplication de l’offre en solutions de règlement des différends Online Dispute Resolution privé (ODR) portés par le secteur privé comme élément de complémentarité ou de concurrence avec le public |
Développements possibles · Intégrer les outils d’accès à la justice au système global d’information des services judiciaires de sorte · Repenser la carte judiciaire et l’investissement immobilier à l’aune d’une migration de certains usages du bâtiment vers l’espace dématérialisé du tribunal |
Risques potentiels · Saisine en ligne : attention à la banalisation du recours à la justice · Menace sur les auxiliaires de justice qui ne sont plus les intermédiaires entre le tribunal et le justiciable · Perception du justiciable : celui-ci aura-t-il le sentiment d’avoir été entendu et traité équitablement si le processus d’ADR ou judiciaire se déroule en ligne ? Le caractère potentiel de la procédure peut-il être affecté ? · Récupération des données judiciaires ouvertes à d’autres fins que l’accès au droit par des compagnies privées |
Autriche : COURTPUB– Publication en ligne des décisions des tribunaux de commerce et guichet unique d’information en matière commerciale [source : Balance de Cristal 2006]
Espagne : Redabogacia –Guichet unique pour formuler une demande d’aide judiciaire à travers un accueil physique et un accès en ligne [source : Balance de Cristal 2014]
Estonie : AET – Service en ligne pour le déclenchement d’une procédure et le suivi des informations relatives à une affaire incluant la transmission de documents et service de paiement en ligne des frais [source : Balance de Cristal 2014]
France : Justice.fr – Portail d’information du justiciable sous forme dynamique permettant notamment d’identifier la juridiction compétente et de télécharger les formulaires correspondant pour sa saisine [source : Enquête 2016]
France : Sagace – Service en matière administrative permettant au justiciable de consulter une synthèse des informations relatives à son dossier contentieux [source : Enquête 2016]
France : Consultation Avocats – Plateforme nationale pour la consultation d’un avocat (sur rendez-vous, par téléphone ou par courrier électronique) dont le service est alors couvert par une convention d’honoraire [source : Enquête 2016]
France : JuriCA et JuriNET – Bases de données de jurisprudence des cours d’appel en matière civile et commerciale (JuriCA) et de la Cour de cassation en toute matière (JuriNET) [source : EVAL 2016, données 2014]
France : Medicys – Plateforme de médiation en ligne pour les litiges de consommation proposée par la Chambre Nationale des Huissiers de Justice de France [source : Enquête 2016]
Lituanie : TEISMAS – Portail d’information de la justice facilitant la communication avec les justiciables en ayant recours aux courriels électroniques d’alerte pour se connecter sur un serveur sécurisé [source : EVAL 2016, données 2014]
Pays-Bas : Rechtwijzer – Plateforme de conciliation et de médiation avant tout procès pour les litiges de nature relationnelle notamment en matière de baux, voisinage ou famille [source : Balance de Cristal 2015]
Pays du Conseil de l’Europe – Cour Européenne des Droits de l’Homme : HUDOC – Accès à l’ensemble de la jurisprudence de la Cour avec moteur de recherche avancé [source : Enquête 2016]
Pays du Conseil de l’Europe – Cour Européenne des Droits de l’Homme : Webcasts of Hearings – Retransmission des audiences de la Cour sur internet et mise à disposition des données relatives à l’affaire en plusieurs langues [source : Enquête 2016]
Pays de l’Union Européenne : E-Justice Portal – Portail d’information sur les justices d’Europe (systèmes judiciaires et professions, jurisprudences européennes) proposant un numéro d’identification unique des décisions de justice en Europe [source : Enquête 2016]
Pays de l’Union Européenne : Portail pour le règlement en ligne des litiges de consommation – plateforme de mise en relation des parties à un litige transfrontalier de consommation en Europe [source : Enquête 2016]
Royaume Uni : Make a plea – Service de plaider coupable en ligne pour les infractions routières évitant au justiciable de se déplacer au tribunal lorsque l’infraction n’est pas contestée, et d’obtenir une décision de justice dans des délais raccourcis [source : Enquête 2016]
Turquie : UYAP – Système d’information centralisé proposant un portail d’information sur la justice et les procédures avec notification des événements aux usagers par SMS [source : Balance de Cristal 2008]
1.1.3 Panorama du taux de développement des outils d’accès à la justice déployés en Europe
Tableau 1 : Communication entre les tribunaux et les usagers en 2014
Source : « Systèmes judiciaires européens, efficacité et qualité de la justice : L’utilisation des technologies de l’information dans les tribunaux en Europe », les études de la CEPEJ n°24, édition 2016 (données 2014) – question 64 du questionnaire d’évaluation
32. Le développement de systèmes d’information facilitant l’accès à la justice des citoyens ne saurait prospérer sans le substrat d’une communication électronique approfondie entre les différentes institutions qui concourent au traitement des affaires des justiciables : les tribunaux entre eux, les tribunaux avec les différents services de l’Etat, et avec les auxiliaires de justice aussi bien évidemment. C’est pourquoi nombre de systèmes judiciaires ont placé au cœur de leur stratégie numérique l’amélioration des échanges entre les tribunaux et avec les professionnels. La qualité attendue de la justice s’entend ici d’une plus grande fluidité dans la communication, permettant un traitement plus rapide, mais aussi plus sûr, de son affaire[25].
33. L’interrogation des registres informatiques tenus par les différentes administrations (à l’image du casier judiciaire, des registres fonciers ou d’insolvabilité des personnes) si elle est pratiquée depuis longtemps, se fait désormais par voie électronique directe, soit en envoyant une requête au service concerné, soit en ayant un accès direct aux données depuis son ordinateur. La constitution, la mise à jour, et l’interrogation à distance des registres ont pu être vécues comme un véritable défi pour certains pays, mais elle n’est rien à côté de la généralisation des communications électroniques entre tous les acteurs concourant à la procédure qui tend à se généraliser dans toute l’Europe. Un défi d’autant plus important que ces acteurs appartiennent à des organisations professionnelles différentes, publiques ou privées, qu’il convient de concerter au moment même où chaque organisation est sommée de s’adapter à de nouvelles formes de travail. Un défi dont les enjeux juridiques liés à la communication sont par ailleurs de première importance pour les citoyens.
34. Dans la plupart des pays désormais, les avocats sont en mesure ou sur la voie de pouvoir communiquer de façon totalement dématérialisée avec les juridictions pour la transmission de leurs actes de procédures, conclusions, dépôt de pièces[26]. Vécue comme un chantier de grande ampleur par l’ensemble des pays qui s’y sont lancés, la migration vers le tout électronique connaît en général deux étapes : l’établissement de communication sécurisées par le biais des boîtes électroniques habituelles, qui nécessite le traitement des données par un agent au point d’entrée du tribunal comme tout courrier sauf qu’il est déjà – avec ses pièces – livré sous forme numérisée. Et l’action directe que peut avoir la communication de l’avocat sur le système d’information du tribunal (e-filing) sans saisie ou transfert de donnée par l’agent au point d’entrée du tribunal qui ne fait qu’en vérifier la validité du dépôt et les effets de droits que celui-ci emporte (s’agissant de l’ouverture d’un dossier de l’interruption d’un délai de prescription, etc.). Ces systèmes les plus avancés emportent d’évidence une économie de tâches pour le travail des greffes que certains pays envisagent de recentrer sur leurs activités à forte valeur juridique et d’assistance du magistrat.
35. Certains pays ont étendu les possibilités de communication avec les juridictions à travers des portails spécialisés ouverts aux autres auxiliaires de justice. Il s’agit ici des huissiers de justice (ou autres agents d’exécution reconnus) et des experts. La communication électronique avec les premiers permet un suivi accéléré et facilité pour l’exécution des décisions de justice. Quant aux seconds le dépôt de leur rapport à une date imposée par le système informatique sur un espace partagé ouvert à la juridiction et aux parties, permet une transmission de l’information sans disparité ou écart, et une plus grande discipline dans l’accomplissement de la mission selon les utilisateurs actuels. Les prestataires des services judiciaires d’une manière générale au premier rang desquels les experts ou interprètent, bénéficient dès à présent dans certains pays d’un espace d’échange avec les magistrats et les greffes qui permet d’accélérer et de fiabiliser aussi la prescription et le paiement de la prestation dans un seul et même circuit, accélérant et fiabilisant là encore leur schéma de collaboration.
36. La phase de mise en état préalable aux audiences est ainsi totalement dématérialisée dans certains pays : les juges et les avocats ne communiquant plus leurs écrits que par voie électronique. Certains pays envisagent même que les audiences de mise en état puissent elles-mêmes avoir lieu en différents endroits ; chacun – le juge et les représentants des parties - apparaissant aux autres en visioconférence depuis son lieu de travail habituel ou depuis le point de connexion le plus proche autorisé par le système.
37. La seule limite à la dématérialisation de la relation demeure celle de l’audience de jugement pour laquelle la présence physique des parties (ou de leur représentants) semble encore devoir s’imposer. Très nettement en matière pénale pour la plupart des pays, de façon plus nuancée s’agissant de la matière civile ou administrative. Si la comparution à distance reste encouragée dans certaines hypothèses (en matière pénale, les économies sur le coût de transfèrement et le confort des détenus est souvent mis en avant) elle se heurte pour ce qui est de l’audience de jugement à certaines limites d’abord juridiques. Mais elle connaît aussi quelques obstacles s’agissant de la qualité de la justice ainsi rendue : les investissements dans des équipements de visioconférence sont loin de donner satisfaction pour une audience de qualité dans bien des pays et ne pourront l’être que lorsque les espaces de comparution auront été repensés aux deux bouts de la chaîne. L’ajout d’une caméra et d’un écran ne suffit pas, pas plus que leur multiplication, s’ils ne sont pas complétés de protocoles et de rituels d’audience adaptés[27].
38. Les technologies de l’information ont ainsi permis, au fur et à mesure de leur développement, une redéfinition des modalités de collaboration entre les tribunaux et les professions judiciaires[28]. Par conséquent, elles ont été pour beaucoup une occasion de remise à plat des modalités de travail dans chacune des professions concernées. La dématérialisation, en accompagnant ou en supprimant le papier, a d’abord et le plus souvent cherché à générer une réduction des coûts de traitement liés à la production et à la manipulation du papier, au sein des juridictions, comme des cabinets d’avocats[29]. Le travail des greffes en particulier s’est dans certains cas transformé, et dans d’autres s’est adjoint d’assistants spécialisés. La normalisation des schémas de communication étant susceptible de générer des gains considérables d’efficacité, a autorisé dans certains cas des redéploiements d’effectifs entre types de juridictions plus ou moins impactées par le traitement automatique de certaines tâches. Des politiques de « conduite du changement » ont pu faire défaut ou au contraire bénéficier à la transition lorsqu’on été anticipée le plus tôt possibles les conséquences organisationnelles et humaines des nouvelles modalités de communication avec les partenaires des juridictions. Les systèmes judiciaires ont ainsi cherché à faire du développement des communications électroniques le vecteur d’une accélération du temps dans la transmission et le traitement de l’information, en finissant par faire de l’informatique l’élément structurant commun de la procédure sur le plan juridique et de l’organisation du travail entre les différents opérateurs qui y concourent.
39. Ce nouveau type de communication a requis des changements importants dans tous les éléments structurants des organisations. Une adaptation de la législation d’abord qui a dû évoluer pour faire produire les effets juridiques attendus aux échanges électroniques (interruption des délais par exemple) et s’adapter à une nouvelle temporalité (avec des conclusions rendues non plus « en dernière minute » mais « en dernière seconde ») pour continuer à faire respecter le principe du contradictoire. Un changement des pratiques ensuite, certains pays faisant par exemple remarquer que la limitation du volume des pièces jointes structurant le système informatique rend parfois mal aisé le travail de l’avocat. Mais la dématérialisation nécessite aussi de mettre en œuvre une excellente coordination entre les services informatiques d’un bout à l’autre de la chaîne institutionnelle (juridictions et barreaux par exemple) en vue d’assurer la cohérence technique, et bien sûr la sécurité de celle-ci compte-tenu du caractère confidentiel des échanges en question. Ainsi, et en particulier dans le cas de procédures transfrontalières, les avocats font face à de nouveaux dilemmes en matières de droit à la preuve (électronique) et d’harmonisation des déontologies afin de sécuriser l’échange dématérialisé à un niveau au moins équivalent à l’échange matériel. D’une manière générale, le développement des communications dématérialisées impose à chaque pays de considérer la spécificité de la nature et du rôle des preuves numériques par des législations spécifiques et adaptées[30].
40. Un argument fréquemment échangé autour du développement des communications électroniques entre professionnels est celui du niveau de sécurité[31]. Certains pays y voient une vulnérabilité pour le bon fonctionnement de la justice en raison des cyber-attaques de plus en plus sophistiquées et nombreuses auxquelles les administrations sont exposées. Quand d’autres relativisent cette évolution en montrant toutes les vulnérabilités et dégâts causés par le passé par le système papier. Une chose est sûre : les vulnérabilités entre les deux mondes – papiers et numérique – sont différentes. Tous insistent sur la nécessité de disposer des moyens de protection et de surveillance adéquates, sur l’importance de former l’ensemble des personnels à la sécurité informatique à l’occasion d’échanges dématérialisés. Autant de dispositifs aujourd’hui déployés à l’échelle de l’Etat lui-même et auxquels les services judiciaires peuvent évidemment se raccrocher, tout en faisant valoir le caractère particulier des données qu’ils traitent font remarquer certains systèmes judiciaires et qui nécessite que les autres services de l’Etat n’y aient aucun accès sur le fond. Mais la sécurité des données ne saurait être complète si l’on n’était pas en mesure d’en assurer l’intégrité, c’est à dire la qualité de celle-ci pour une administration – celle de la justice – dont l’un des principaux moteurs est la confiance du public en son fonctionnement et ses décisions.
41. La grille ci-dessous se veut un résumé graphique des points évoqués précédemment.
Gains identifiés · Réduction des coûts, rapidité de traitement · Simplification des organisations |
Points d’attention · Compatibilité et fiabilité techniques des dispositifs entre entités différentes · Politique de conduite du changement à définir rigoureusement · Effets de blocage de la chaîne de communication en cas de panne |
Développements possibles · Définitions de schémas de communication communs (en partant des services d’un tribunal à l’ensemble des services concourant au fonctionnement du système judiciaire) |
Risques potentiels · Pertes considérables de temps en cas de défaillance technique non maîtrisée |
Allemagne : Electronic Court and Administration Mailbox at the Federal Patent Court – Système de boîtes électroniques permettant un échange et un archivage entièrement en ligne devant le tribunal fédéral en matière de brevets [source : Enquête 2016]
Allemagne : RegisSTAR – Système de gestion électronique des données en matière de registres commerciaux accessible au citoyen [source : Enquête 2016]
Allemagne (Basse Saxe) : elektronische Justiz Niedersachsen (eJuNi) – Système d’accompagnement de la transition et du changement vers un univers totalement sans papier en Allemagne, proposé par le Land de Basse Saxe [source : Enquête 2016]
Autriche : ERV (Elektronischer Rechtsverkehr) – Système de saisine des juridictions en ligne relié au système d’administration des affaires [source : Enquête 2016]
Bosnie Herzégovine : Judicial Information System – Système de communication électronique multimédia entre professionnels pour l’échange de données et de documents relié au système de gestion des affaires [source : Enquête 2016]
Croatie : Electronic collaboration between national registers – Espace d’interconnexion entre les différents registres nationaux intéressant la justice permettant un partage en temps réel des dernières informations disponible utiles à la prise de décision [source : Enquête 2016]
Espagne : Ventes aux enchères électroniques – Plateforme de ventes aux enchères judiciaires en ligne [source : Balance de Cristal 2006]
Espagne : Lexnet – Dispositif avancé de traitement des affaires par échange de documents et signature électronique [source : Balance de Cristal 2012]
Estonie : E-Toimik (e-File) – Système de communication électronique avancée entre les tribunaux, les services de poursuites, les services de police, les prisons, les services de probation, les huissiers, les bureaux d’aide judiciaire, les services des douanes, incluant échange de documents et données sur les affaires vers un fonctionnement totalement sans papier [source : Balance de Cristal 2014]
Estonie : Digital Payment Order Procedure – Système semi-automatique de gestion des affaires en matière d’injonction de payer permettant au juge assistant en charge de ce type d’affaires un traitement sans papier du déclenchement de la procédure à la communication de la décision [source : Enquête 2016]
France : RPVA (Réseau Privé Virtuel des Avocats) et E-Barreau – Plateforme de communication entre les avocats via les barreaux et les tribunaux en matière civile à travers son équivalent le RPVJ (Réseau Privé Virtuel Justice) [source : Enquête 2016]
France : EIA – Echanges inter-applicatifs entre le ministère de l’intérieur et le ministère de la justice pour le traitement des procédures pénales [source : Enquête 2016]
France : OPALEX – Plateforme d’échanges entièrement dématérialisés entre les experts et la juridiction en matière civile à laquelle les avocats ont également accès pour consulter les rapports dès leur dépôt [source : EVAL 2016, données 2014]
France : CHORUS Portail Pro – Portail permettant la gestion et le paiement des prestataires relatifs aux dépenses de frais de justice par les juridictions [source : EVAL 2016, données 2014]
France : Télérecours –Dispositif de dépôt des procédures en ligne accessible aux avocats et aux administrations pour l’ensemble du contentieux administrative [source : Enquête 2016]
Irlande: Digital Evidence Bundles – Système de numérisation des dossiers, y compris des preuves, livrées en un seul fichier PDF indexé et navigable pour une utilisation en audience [source : Enquête 2016]
Irlande: Remote Witness Video Conferencing – Système de comparution par visioconférence pour les témoignages à distance de personnes vulnérables contrôlé par le juge en charge de l’audience [source : Enquête 2016]
Italie : PCT (Processo Civile Telematico) – Système de communication et de soumission de documents électroniques en matière civile entre les avocats et les tribunaux [source : Enquête 2016]
Lettonie : TIS (Tiesu informatīvā sistēma) – Système de comparution par visioconférence pour les témoignages à distance de personnes vulnérables contrôlé par le juge en charge de l’audience [source : Enquête 2016]
Lituanie : e-Services System – Système de communication entièrement électronique avec les parties incluant le paiement des frais de procédures ou des condamnations pécuniaires ainsi que la consultation des enregistrements audio des audiences [source : Enquête 2016]
Moldavie : Integrated Case Management System (ICMS) – Système informatisé de gestion des affaires incluant une fonction d’attribution aléatoire des dossiers aux juges de première instance et d’appel [source : Enquête 2016]
Pays de l’UE : E-CODEX – Outils d’interconnexion des justices Européennes à disposition des États pour la circulation des données et la gestion des affaires transfrontalières [source : Enquête 2016]
Royaume Uni : Crown Court Digital Case System – DCS – Système de gestion collaborative des affaires pour les services du procureur partageable avec les greffiers, les avocats de la défense et juges [source : Enquête 2016]
Slovaquie : Electronic Case File – Système informatisé de gestion des affaires et des calendriers d’audience couplé à une base de donnée de jurisprudence, ouvert dans certaines matières à la production électronique de documents [source : Enquête 2016]
Tableau 2 : Communication entre les tribunaux et les professionnels en 2014
Source : « Systèmes judiciaires européens, efficacité et qualité de la justice : L’utilisation des technologies de l’information dans les tribunaux en Europe », les études de la CEPEJ n°24, édition 2016 (données 2014) – question 64 du questionnaire d’évaluation
42. Ce troisième exemple des usages informatiques dans les tribunaux des pays membres du Conseil de l’Europe s’intéresse au travail des juges, procureurs et greffiers. Il ne nie pas l’importance que représentent les systèmes d’information dans l’assistance au travail des avocats par exemple, et à quel point un certain nombre d’applications informatiques transforment aujourd’hui autant les pratiques que l’économie de la profession comme cela a déjà été évoqué précédemment. Si certains outils sont communs à l’ensemble des professions juridiques judiciaires, c’est dans la perspective de l’organisation d’un tribunal que nous nous placerons ici, en visant l’appui qui peut être donnée par l’informatique au travail juridictionnel proprement dit.
43. L’informatique a produit ses premiers effets dans les tribunaux en se substituant aux machines à écrire pour la mise en forme des décisions, mais également pour automatiser un certain nombre de tâches répétitives. Les personnels non-juges et non-procureurs qui les assistent, puis les juges et les procureurs eux-mêmes, ont investi ces outils pour générer des gains de productivité considérables dans des contentieux de masse. C’est plus récemment que les uns et les autres ont pu recevoir une assistance sur le fond dans leur travail intellectuel de juriste. L’informatique étant devenue dans les juridictions le premier outil de travail des juges, des procureurs et des greffiers, et le vecteur par excellence d’une meilleure sécurité juridique[32].
44. L’accès à de larges bases de connaissances a contribué à mieux outiller les magistrats[33]. Il s’agit principalement des bases de données législatives et de jurisprudence qui se sont perfectionnées avec le temps, offrant désormais une plus grande facilité de navigation dans les corpus juridiques, et un nombre plus importants de données mises à disposition des praticiens. Certains y voient un progrès en termes de sécurité juridique par la diffusion des mêmes sources, et de toutes les sources du droit, à l’ensemble du milieu professionnel, d’autant que ces bases de données ont tendance à se développer dans un certain nombre de pays en format ouvert et gratuit, autour d’un service public de la donnée juridique. D’autres y voient une perte d’efficacité en ce qu’elles provoquent une inflation des sources et des citations dans les écritures qui leurs sont soumises par les avocats, avec une perte de hiérarchisation dans l’autorité des décisions de justice en particulier, propres à la construction des bases de données. Dans certains pays, le développement des bases de données contribuerait à modifier le raisonnement juridique des praticiens, vers moins de raisonnement par principes et une plus grande casuistique liés à la profusion de références jurisprudentielles disponibles. Au titre des bases de connaissance informatisées, on peut aussi noter le développement d’apprentissages en ligne qui se développent dans les écoles et institutions de formation en Europe, ajoutant aux bibliothèques virtuelles des formats d’apprentissage multimédia et interactifs pour ce qui est des plateformes les plus récentes. Des outils qui diffusent très largement les pratiques judiciaires et l’expérience auprès de tous les professionnels, prolongeant les listes de discussion qui ont commencé à se développer aux débuts de l’internet entre magistrats.
45. La possibilité d’accéder à distance à des dossiers de procédure dématérialisés étend les modalités de collaboration au sein des juridictions. D’abord pensé pour le partage des informations à l’intérieur du service concerné[34], l’accès aux dossiers dématérialisés permet désormais non seulement un meilleur partage de l’information entre services (lorsque ce partage est juridiquement possible) mais rend aussi possible dans certains cas le travail des magistrats depuis n’importe quel lieu : un bureau mis à disposition ailleurs que dans la juridiction dans laquelle ils siègent, ou encore depuis leur domicile, tout en restant en contact avec ses collègues et utilisant les mêmes outils de travail. La surface immobilière consacrée aux bureaux dans les tribunaux a-t-elle pu ainsi parfois être repensée, faisant de la présence physique permanente des agents dans les locaux du tribunal une option de travail dans certains cas. La baisse des surfaces consacrées aux bureaux ou la mutualisation de ceux-ci s’est alors accompagnée d’une augmentation ou spécification des espaces de rencontres ou de convivialité. Selon certains, si le travail dématérialisé apporte souplesse et efficacité dans bien des cas, il ne doit pas pour autant conduire à épuiser l’opportunité ou la richesse de rencontres physiques sur le lieu du tribunal entre professionnels, mais redéfinir les conditions de leur accueil.
46. L’utilisation des outils informatiques pour des actes de procédure hors les murs augmente les prérogatives du magistrat et son efficacité en situation de mobilité. A l’instar des services de police et de toutes les professions (comme les huissiers de justice lors de leurs déplacements et les avocats au Palais) le travail en dehors du bureau est rendu possible par le développement d’applications mobiles et la généralisation de l’accès à des réseaux sans fil sécurisés. Ces outils dits de mobilité permettent d’élargir les possibilités d’intervention des magistrats sur les lieux (d’un crime ou lors d’une constatation par exemple), en facilitant un exercice immédiat de ses prérogatives par une prise de décision mieux informée, validée et communiquée immédiatement ; en interagissant directement avec la personne sur place dont on recueille le consentement ou la signature, par exemple pour un juge des tutelles; en réduisant d’autant le temps de traitement des informations n’ayant pas à faire de reprise de donnée une fois revenu au tribunal. En matière pénale, la consultation de fichiers d’antécédents judiciaires depuis le lieu de commission d’une infraction peut accroître la connaissance du parcours des mis en cause (notamment avec l’interconnexion des casiers judiciaires européens), et ainsi permettre une meilleure des décisions de poursuite.
47. L’utilisation de trames et guides de jugements par les magistrats s’avère un facteur de cohérence pour les pratiques judiciaires. L’utilisation de trames a permis à de nombreux tribunaux de maintenir une bonne efficacité de traitement des affaires dans les contentieux répétitifs et simples. Couplée à des grilles d’analyse des cas par matière, véritables guides pour le raisonnement judiciaire à suivre, elles assurent une meilleure cohérence dans la production judiciaire qui pour certains génère une meilleure égalité de traitement et une meilleure prévisibilité pour le justiciable[35]. L’informatique permet une mise en commun des connaissance et des pratiques au sein d’une communauté professionnelle (juges de l’application des peines, de l’instance, de la famille ) pour mieux tirer parti de l’intelligence collective des juges et procureurs et diffuser les bonnes pratiques comme autant de standards : afin que les meilleures pratiques bénéficient au plus grand nombre. La constitution des trames paraît ainsi devoir résulter de travaux partagés entre plusieurs magistrats et juristes, régulièrement mis à jour, et en aucun cas relever des seuls apports d’éditeurs juridiques ou informatiques[36].
48. L’informatique s’est au fur et à mesure construite comme un facilitateur de décision, permettant un accès facilité à une quantité d’information, ou permettant une compréhension aisée de la complexité d’une affaire. Dans un tel contexte, la prise de décision des juges ou des procureurs peut se trouver autant renforcée par le niveau d’information supplémentaire mis à leur disposition pour la résolution de leur affaire, que fortement influencée par la profusion, la nature et le lien entre les informations tels que produits par les systèmes informatiques. La croyance que l’on peut avoir en une information donnée comme étant la plus récente et la plus intègre (qui renvoie aux méthodes de saisine), la structuration de l’information invisible aux yeux de l’utilisateur hiérarchisant pourtant la présentation des résultats d’une requête ou des preuves (qui renvoie à neutralité supposée des algorithmes), tous ces éléments intrinsèques au système d’information paraissent donc non seulement devoir être garantis en termes qualitatifs et de neutralité, mais aussi devoir être portés à la connaissance des utilisateurs dans un format qu’ils comprennent. En particulier pour le magistrat, dont l’indépendance dans la décision dépend aussi de sa capacité à se défier ou se libérer du système d’information qui s’offre à lui. Ainsi que le note le CCJE dans son Avis n°14 (2011) précité : Les outils d’aide à la décision judiciaire doivent être conçus et perçus comme une aide auxiliaire au processus de décision du juge, permettant de faciliter son travail, et non comme une contrainte. (…) Aucune injonction, qu’aucun modèle ou qu’aucune autre suggestion concernant les formes ou le contenu des décisions ne saurait être adressé aux juges par quelque autorité que ce soit pour des motifs de nécessité due à l’architecture des systèmes de technologies nouvelles. Au contraire, cette architecture doit être flexible et à même de s’adapter à la pratique judiciaire et à la jurisprudence »[37].
49. Le respect du principe d’indépendance commande néanmoins que chacun puisse et doive in fine, prendre une décision qui lui soit personnelle à la suite d’un raisonnement qu’il doit pouvoir assumer à titre personnel, sans égard pour l’outil informatique. L’utilisation de trames et de guides de raisonnement ne peut ainsi avoir pour effet de priver le juge de sa faculté de décision en tout point de la chaîne, en lui imposant une forme de raisonnement auquel il ne saurait pouvoir déroger quand il le souhaite, ou en le mettant face à une masse de travail telle qu’elle ne lui laisse pas la possibilité de réinterroger la forme de raisonnement induite par l’outil informatique. La Cour européenne des droits de l’Homme, si elle tolère que le juge puisse recourir à des procédés de motivation simplifiées dans certaines circonstances, note bien que son obligation demeure de se livrer à un examen effectif des moyens, arguments et offres de preuve des parties[38]. Le Comité Consultatif des Juges Européens dans son Avis n°14 (2011) précité est de son côté catégorique : « Les TI ne doivent pas empêcher les juges d’appliquer la loi de façon indépendante et impartiale (…) Un excès de dépendance à la technologie et à ceux qui la contrôlent est un risque pour la justice. La technologie doit être adaptée au processus judiciaire et à tous les aspects du travail du juge. Les juges ne doivent pas être soumis, pour des raisons d’efficacité uniquement, aux impératifs technologiques et à ceux qui contrôlent la technologie »[39].
50. La garantie du principe du contradictoire et l’égalité des armes doivent également être garantis de la même manière que dans les procédures sans informatique au regard des outils technologiques mis à disposition ou auxquels ont recours de leur propre initiative les différentes parties à un procès. Le débat à l’audience doit pouvoir offrir les mêmes outils (de recherches dans un dossier numérique par exemple) à l’ensemble des parties, et garantir que les limites techniques imposées par l’outil informatique ne porte pas atteinte aux droits et prérogatives des parties. Comme le note le CCJE : « L’utilisation des TI ne saurait toutefois ni diminuer les garanties de la procédure (ou affecter la composition du tribunal), ni, en aucun cas, priver le justiciable de son droit à un débat contradictoire devant un juge, à la production de preuves en original, à faire entendre des témoins ou experts et à présenter toute pièce ou contestation qu’il estimera utile »[40]. Le juge doit en tout état de cause être attentif à ce qu’une partie ne soit défavorisée par rapport à une autre pour la seule raison qu’elle n’aurait pas les moyens d’accéder à la technologie, notamment de gestion électronique des documents dans les dossiers particulièrement volumineux, mais aussi par exemple, en présence de reconstitutions de faits par images de synthèses dans des dossiers de responsabilité.
51. Le recours aux données en masse (big data) comme outil d’assistance aux magistrats annonce l’émergence d’une justice prédictive. Il s’agit là d’une tendance qui se développe dans certains pays, avec des outils d’analyse de données en masse censées mieux asseoir les politiques de poursuite ou de prononcé des peines, les politiques d’indemnisation, ou d’anticiper les effets d’un jugement (analyse criminologique d’une population ou d’un territoire, barèmes de pension alimentaire ou de prestation compensatoire, évaluation du risque de récidive). Certains outils offrent une analyse poussée de la jurisprudence en la matière pour renseigner le juge sur les probabilités qu’une décision ait pu être prise par ses pairs dans un sens ou dans un autre. D’autres outils offrent de contextualiser la situation de fait de données externes au cas qui renvoient à des catégories statistiques. Avec ce type de dispositifs, la part de jugement du magistrat peut se trouver aussi bien confortée, que biaisée par des effets de surdétermination ou « d’ancrage ». Des effets auxquels il convient de porter la plus grande attention, de même que la nature des données quand il ne s’agit pas strictement de la jurisprudence (l’identité des juges par exemple, à des fins de profilage).
52. La grille ci-dessous se veut un résumé graphique des points évoqués précédemment.
Gains identifiés · Amélioration de la qualité formelle des décisions · Accès à de larges bases de données juridiques · Gain de temps par l’administration des preuves par voie électronique · Faciliter le travail à distance ou l’équilibrage de la distribution des contentieux entre juges · En matière pénale, garantir une bonne connaissance du parcours des mis en cause pour accroître l’individualisation des décisions |
Points d’attention · Pour les trames préétablies, s’assurer de leur qualité (groupe de travail) et de leur mise à jour régulière · Concevoir les outils de telle manière que le magistrat garde à tout le moment la possibilité de reprendre la main sur le système |
Développements possibles · Levier pour améliorer la diffusion de la jurisprudence · Harmonisation des pratiques de rédaction et de motivation des arrêts |
Risques potentiels · La décision ne doit pas être influencée par les contraintes d’un système informatique · Le système ne doit pas remettre en cause l’indépendance des juges ni créer des ruptures d’égalité des armes entre les parties · Lors de la conception des bases des données, s’assurer que la neutralité des critères de consultation soit acquise et comprise des utilisateurs · Risque de priver le juge de sa faculté de décision ou d’enfermer son pouvoir de juger dans un cadre trop formel (par une masse de travail conduisant à un travail automatique ou la référence à des standards de jugement) |
Allemagne (Brandeburg) : SAS - eJustice used in the Public Prosecutor’s Offices – Trames de documents et assistance à la rédaction des procureurs incluant un système de vocale, et couplé au système de gestion des poursuites [source : Balance de Cristal 2009]
Allemagne : forumSTAR – Système destiné à faciliter le travail de chaque juge et la communication entre juges sur la base de modules professionnels simples d’utilisation [source : Enquête 2016]
Azerbaïdjan : e-Court system – Outil de gestion d’affaires couplé avec des trames de décisions [source : Balance de Cristal 2014]
France : OARM – Outil d’aide à la rédaction sur la base de trames de décisions et de blocs de motivation utilisé en matière familiale [source : Enquête 2016]
France : Persée – Outil développé sur tablette en matière pénale d’aide à la préparation et la tenue des audiences avec fonction d’intégration des données et documents de l’affaire dans l’agenda, d’aide à la rédaction de décisions par recours à des trames partagées entre professionnels, une base complète de droit et de jurisprudence, ainsi que des blocs de motivation [source : Enquête 2016]
Irlande : Winscribe– Système de dictée et de reconnaissance vocale à la disposition des juges de la Cour suprême, de la Cour d’appel et de la Haute cour, sur demande [source : EVAL 2016 – données 2014]
Pays de l’Union Européenne : ECRIS– Système Européen d’information sur les casiers judiciaires qui organise le partage d’information entre les pays membres de l’Union Européenne qui y sont connectés [source : EVAL 2016 – données 2014]
Royaume-Uni (Écosse) : The Judicial Hub– Espace de formation et de travail collaboratif en ligne ouvert à tous les personnels judiciaires et accessible depuis différents types d’appareil [source : Balances de cristal 2015]
Royaume-Uni : Professional Court User Wifi – Equipement des juridictions pénales en accès wifi pour les professionnels sur réseau sécurisé et utilisation pendant l’audience (consultation de données, partage de documents) [source : Enquête 2016]
Royaume Uni : In-Court Presentation– Equipement des juridictions afin de pouvoir connecter simplement le matériel informatique des professionnels au système de partage sur écran de la salle d’audience en vue d’une présentation des arguments et des preuves sous format multimédia [source : Enquête 2016]
Royaume Uni : HMCTS Store and Magistrates Bench Devices – Système de partage de fichiers sécurisé basé sur la technologie infonuagique afin d’assurer une transmission électronique des pièces entre les services du procureur et le tribunal en matière pénale au fur et à mesure de leur présentation à l’audience sur une tablette connectée [source : Enquête 2016]
Tableau 3 : Assistance directe aux juges, procureurs et greffiers en 2014
Source : « Systèmes judiciaires européens, efficacité et qualité de la justice : L’utilisation des technologies de l’information dans les tribunaux en Europe », les études de la CEPEJ n°24, édition 2016 (données 2014) – question 62 du questionnaire d’évaluation
53. Les outils d’administration des tribunaux sont évoqués en derniers, bien qu’ils aient été, dans leur forme la plus simple, parmi les premières utilisations de l’informatique à faire leur entrée dans les tribunaux. De la simple tenue du nombre d’affaires traitées au sein d’une juridiction aux systèmes de pilotage de l’activité juridictionnelle toute entière que l’on connaît aujourd’hui, la puissance des systèmes d’information a bouleversé le champ de l’administration judiciaire offrant aux chefs de juridiction, mais aussi à chaque juge, procureur, greffier ou agent du tribunal, des capacités d’information et d’analyse de leur travail. La quantité d’informations toujours plus grande, produite par des applications informatiques toujours plus nombreuses, constitue un vivier de données et de métadonnées inédit pour le pilotage devenant partout un élément structurant, véritable « épine dorsale » de l’activité judiciaire.
54. Le recours aux systèmes d’information pour l’administration de la justice est une longue histoire de plusieurs décennies qui connaît de nombreux développements au gré des évolutions successives de l’informatique, et connaît un certain nombre d’échecs aussi. Ces échecs, caractéristiques de toute la matière, ont pu tenir parfois à des détails, et peuvent se résumer aux cas fréquents suivants, rencontrés par les systèmes judiciaires Européens : une documentation inadéquate ou une absence de documentation permettant une appropriation complète du système, en particulier quand celui-ci est fourni par un prestataire ; l’utilisation d’une technologie dépassée ou marginale entraînant l’obsolescence rapide du système d’information dans lequel il a été investi ; un développement partiel ou insuffisamment rapide du système d’information laissant subsister des situations différentes sur une trop longue période qu’il finit par être impossible de gérer correctement ; une formation insuffisante ou un effort d’accompagnement sous-estimé de sorte que le meilleur système au monde n’a aucune chance d’être vraiment investi par ses utilisateurs ; une analyse insuffisante des besoins enfin débouchant sur un produit marginalisé au profit des anciennes pratiques ; un défaut d’assistance aux utilisateurs pour rapidement corriger les erreurs récurrentes ou défauts du système aux premiers temps de son déploiement. L’état de développement et surtout la qualité des systèmes informatiques d’administration de la justice connaissent une certaine disparité aujourd’hui encore parmi les systèmes judiciaires du Conseil de l’Europe. Ceux qui sont partis les plus tôt dans cette course ne sont d’ailleurs pas forcément les plus avancés aujourd’hui : lestés par de lourds investissements dans des applications informatiques anciennes qui, certes, fonctionnent toujours, et remplissent aujourd’hui encore le rôle qui leur avait été assigné alors… mais qui ne supportent ni mises à jour substantielle, ni extensions de fonctionnalités, pas plus que l’interconnexion avec d’autres applicatifs développés plus récemment. Dans d’autres cas, les systèmes judiciaires connaissent une variété de juridictions pour lesquelles il semble qu’il ait fallu, ou qu’il faille encore, développer pour chacune des outils d’administration spécifiques. Quel que soit le niveau d’informatisation atteint et le degré des difficultés rencontrées par le passé néanmoins, tous les systèmes judiciaires sans exception semblent s’être engagés dans la construction de systèmes d’administration de la justice « nouvelle génération » qui promettent d’atteindre une efficience managériale inégalée.
55. La gestion des affaires, est le domaine qui s’est informatisé le premier, le plus vite et de manière la plus approfondie[41]. En déplaçant la gestion des registres papiers vers des bases de données informatiques, gérée par des personnels dûment formés pour cela, les applications de greffe électronique ou Case Management System (CMS) se sont améliorés au fil des ans et des expériences souvent malheureuses à leurs débuts. D’abord conçues de manière autonome et comme des systèmes fermés, ces applications sont aujourd’hui au cœur des organisations judiciaires, pensées comme le noyau d’un système d’information plus vaste qui intègre ou associe des fonctionnalités parmi les plus poussées d’import et d’export de données générées par d’autres applications. Essentiels au pilotage des juridictions et à l’affectation des ressources qui permettent de juger les affaires en fonction des flux et des stocks constatés, les outils de greffe électronique produisent l’essentiel de l’appareil statistique à disposition des juridictions, des Ministères ou des Conseils de Justice[42]. Ils servent aussi bien sûr de repère aux magistrats, greffiers, agents, concernant l’état de leur cabinet[43]. Connecté aux outils d’assistance personnels, les systèmes les plus avancés permettent de lier le suivi d’une affaire aux différentes applications déjà mentionnées : calendrier des audiences, systèmes de convocations, gestion électronique de documents, trames de décisions…
56. Ces outils, encore plus que d’autres, ont facilité la diffusion des principes de nouvelle gestion publique dans les tribunaux. En structurant le travail des greffes en particulier autour de nouveaux schémas d’organisation du travail, mais aussi celui des magistrats pour lesquels des politiques d’évaluation de leur activité se sont développées dans certains pays sur des critères essentiellement quantitatifs et objectivement quantifiés par l’informatique[44]. D’une manière générale, les outils statistiques et d’informatique décisionnelle ont permis d’appuyer de nombreuses modernisations des politiques de gestion publiques basées sur la performance : distribution des moyens budgétaires et humains corrélée aux stocks et flux d’affaires par exemple, chaque année par l’administration qui alloue les ressources, mais également en cours d’année par le responsable de la juridiction[45]. Ces outils ont aussi permis d’élaborer des solutions proactives de gestion des affaires (Active Case Management)[46]. Des solutions qui permettent par exemple de mettre l’évolution d’un dossier en parallèle du calendrier de procédure avec une computation fine des délais propre à la matière, une analyse des actions entreprises par les parties, et un système d’alerte sur l’urgence à intervenir dans l’un d’eux. Des outils mis en place qui permettent notamment d’anticiper les violations du délai raisonnable requis par la Convention Européenne des Droits de l’Homme en son article 6[47].
57. Associés aux outils de communication avec les usagers et les professionnels, aux outils d’aide et d’assistance aux personnels des tribunaux, les applications d’administration des tribunaux sont au cœur du système d’information judiciaire, étant susceptibles d’animer toutes ces composantes et d’harmoniser tous les schémas de procédures et de données, structurant les pratiques professionnelles et les politiques locales autour du circuit de l’information et de son analyse. Les technologies de l’information devenant un levier essentiel de réorganisation des tribunaux par leur capacité à modifier simultanément l’ensemble de la chaîne de traitement, dans toutes ses dimensions (organisationnelle, humaine, budgétaire), leur construction s’avère donc particulièrement stratégique, commandant de ne pas demeurer entre les seules mains des informaticiens et à lui associer l’ensemble des utilisateurs[48].
58. Le développement de systèmes d’information complets concentre la vulnérabilité de l’action judiciaire sur son mode d’administration électronique. Cette vulnérabilité est double, à la fois humaine et informatique. Les problématiques relatives à la qualité de l’enregistrement des données dans le système informatique paraissent prégnantes dans de nombreux pays, même les plus avancés, et demeure souvent un obstacle à une utilisation complète et apaisée des potentialités de l’informatique. Susceptibles de produire des « bugs » non pas informatiques mais dans les procédures judiciaires, la saisie des informations à l’entrée du système s’avère d’autant plus décisive que la tendance de tous les utilisateurs est de ne pas de remettre en cause le résultat produit par la machine. Des politiques de qualité des données sont donc à mettre en place au niveau du pays et au niveau local : attention portée au profil et à la formation des personnes qui saisissent les données, sondages aléatoires sur la qualité de paquets de données, sensibilisation de tous les acteurs… Par ailleurs, sur le plan humain toujours, les distorsions importantes entre les chiffres produits, les applications informatiques et la réalité perçue dans les tribunaux en particulier ne manquent pas d’interroger. Si là encore elles peuvent s’expliquer par des informations enregistrées de manière incorrecte, dans des logiciels parfois peu ergonomiques, ou par des personnes insuffisamment formées ou qualifiées, l’analyse des données, et en particulier leur interprétation par les responsables de l’administration judiciaire et les utilisateurs doit être non seulement de qualité, mais transparente et partagée dans ses méthodes pour constituer un véritable outil de pilotage accepté par tous[49].
59. Du point de vue de la vulnérabilité informatique maintenant, si les systèmes complets présentent des avantages évidents de mise en cohérence des informations, les risques de cette concentration sont pour autant multiples. La fiabilité technique des dispositifs est donc à garantir rigoureusement (en assurant une haute disponibilité des infrastructures), ce qui peut conduire à des coûts de maintenance élevés. L’absence de disponibilité de telles applications, véritables « moteurs » de l’efficacité des juridictions, est un risque qui doit être pris en compte sérieusement par les systèmes judiciaires, car il peut très vite conduire à la création d’un arriéré important et compromettre l’obtention des gains attendus (en plus des coûts financiers qu’il faut déployer pour réagir en urgence). Ainsi que le note le Comité Consultatif des Juges Européens : « Il est particulièrement important de s’assurer que des difficultés dans le fonctionnement des TI n’empêcheront pas le système judiciaire, même brièvement, de prendre des décisions ou d’accomplir tout acte de procédure utile. Des alternatives appropriées devraient toujours être prévues en cas de maintenance ou d’accident du système informatique, afin d’éviter des perturbations de l’activité des tribunaux »[50].
60. Il semble que les systèmes informatiques les plus performants aient développé plusieurs parades à ce que l’on appelle « l’effet rideau » (panne générale et subite de l’ensemble du système). En concevant d’abord leur organisation autour de briques logicielles qui dialoguent entre elles. Il est alors possible d’interrompre le fonctionnement d’un seul de ces dialogues pour des raisons de sécurité ou de maintenance, plutôt que de devoir arrêter l’ensemble du système (par ailleurs, cette construction modulaire permet une mise à disposition progressive des outils ainsi qu’une mise à jour et un renouvellement l’un après l’autre facilité). Des protocoles précis, clairement établis, connus de tous et éprouvés (tant sur un plan technique que juridique) doivent également être mis en place pour palier à une possible défection du système, et ouvrir la voie à un rétablissement de celui-ci dans les meilleurs délais, au meilleur coût, avec le moins de dommages possibles subis par le service et ses usagers. Ceci implique que l’ensemble des personnels y soient formés, quand bien même le risque de survenance d’une panne informatique serait considéré comme étant minime.
61. La transition de dossiers de procédure papiers vers des dossiers entièrement électroniques est cependant loin d’être finalisée dans les pays du Conseil de l’Europe[51]. Le support « papier » reste majoritairement aujourd’hui une réalité physique dans la plupart des juridictions en Europe, voire un impératif, et ce essentiellement pour des raisons de preuve, tous les pays ne reconnaissant pas la même valeur au support matériel et à son équivalent immatériel. Il en va ainsi des documents échangés entre les parties et versés aux dossiers, qui entraînent dans cette période de transition des pratiques et des coûts de numérisation puis d’archivages redondants par rapport aux coûts d’investissement et d’exploitation informatiques en cours de développement. Ainsi, très souvent, les pays conservent aujourd’hui un double circuit de gestion: matériel pour assurer la force probante des pièces, immatériel pour une communication plus aisée et plus rapide (indispensable en particulier pour les dossiers volumineux). La perspective d’une justice sans papier (ou presque) demeure un objectif pour tous les pays, non sans faire remarquer que le processus de transition prendra du temps, et sans savoir précisément parfois si et quand l’objectif sera atteint.
62. L’opération de gestion et de manipulation des documents papiers et de tous supports physiques lorsqu’ils demeurent, peut être facilitée par l’utilisation de dispositifs de balisage.Il en va ainsi du recours à des étiquettes qui seront scannées pour être intégrées à des bases de données ou mieux encore, du marquage des dossiers, pièces et scellés, par des puces RFID. La possibilité de géolocaliser les dossiers, pièces et scellés en temps réel sur une carte du bâtiment judiciaire et au-delà, améliore sensiblement la performance dans la gestion documentaire selon les systèmes judiciaires qui y ont recours.
63. Un champ actuellement en plein développement est celui de l’enregistrement audio et vidéo des audiences sur support numérique à l’usage du tribunal et des parties. Il permet une administration de la justice supposée plus efficace, lorsqu’il est combiné au système d’administration des affaires et aux outils à disposition des professionnels (juges, greffiers, mais aussi parfois procureurs et avocats) comme des outils de prise de note, et bien sûr le dossier de procédure. L’idée d’une procédure enregistrée de bout en bout incluant la possibilité de livrer l’enregistrement du prononcé de la décision comme titre exécutoire, ou d’utiliser l’enregistrement de première instance comme support de la procédure en appel, fait actuellement son chemin dans un certain nombre de pays. Cette évolution que connaissent déjà certains systèmes judiciaires à des degrés différents, n’est pas sans apporter son lot de questions nouvelles propres à l’informatique, comme celles liées à l’archivage – l’intégrité, la pérennité, et la sécurité – de toutes ces données multimédias stockées sur des serveurs. Elle amène aussi d’autres transformations plus profondes, étrangères à l’informatique, sur les transformations du rituel de l’audience, sur la place forcément plus importante accordée au principe d’oralité dans les procédures, ou encore au rôle dévolu à l’appel et aux voies de recours en général sur la foi des enregistrements.
64. La grille ci-dessous se veut un résumé graphique des points évoqués précédemment.
Gains identifiés · Amélioration de la performance des tribunaux · Gains ou redéploiement de personnels (ETP) en réduisant les redondances de tâches · Réduction des coûts du fonctionnement des tribunaux · Amélioration des statistiques relatives à l’activité judiciaire |
Points d’attention · Fiabilité technique des dispositifs à assurer et à entretenir · Politique de conduite du changement à définir rigoureusement · Qualité de saisie à superviser pour éviter des distorsions statistiques · Frontière mince entre la performance de la juridiction dans son ensemble et celle de chaque individu (notamment les juges) et conséquences sur l’évaluation du travail des magistrats |
Développements possibles · Levier pour des réorganisations de fonctionnement d’une juridiction · Définition d’objectifs de pilotage et suivi en temps réel des performances de la juridiction · Intégration des applications de CMS dans un système d’information plus large (avec de la communication électronique notamment) |
Risques potentiels · Pertes considérables de temps en cas de défaillance technique · Pertes financières considérables en cas d’échec de déploiement · Concentration sur les performances quantitatives de la juridiction au détriment de performances qualitatives |
Albanie : ICMIS – Système pour le suivi entièrement informatisé des affaires portées devant les juridictions [source : Enquête 2016]
Azerbaïdjan : e-Court system – Outil de gestion d’affaires couplé avec des trames de décisions [source : Balance de Cristal 2014]
Finlande : Sakari – Système intégré de gestion de la chaîne pénale entre les tribunaux et les bureaux des procureurs [source : Enquête 2016]
France : Cassiopée, Minos –Outils combinés de gestion des affaires pénales de première instance (couvrant à la fois les activités du ministère public et du tribunal), échangeant les données structurées des procédures judiciaires avec les services d’enquête du ministère de l’intérieur afin de réduire les saisies informatiques[source : Enquête 2016]
France : PHAROS – Système pour le suivi de l’activité des juridictions de première et d’appel instance intégrant des paramètres quantitatifs et qualitatifs avec production de tableaux de bord et comparatifs personnalisés par types de juridiction [source : Enquête 2016]
France : Pilot – Système de gestion du calendrier des audiences et des moyens affectées à celles-ci [source : Enquête 2016]
France : OUTILGREF– Outil de Gestion et de Répartition des Emplois de Fonctionnaires, applicatif permettant de mesurer la charge de travail des fonctionnaires de greffe et d’évaluer les besoins des juridictions en personnel sur la base d’indicateurs mesurant le flux d’affaires dans la juridiction concernée [source : EVAL 2016, données 2014]
Géorgie : COURT – Système intégré de gestion des affaires avec espace de travail des professionnels et de communication par internet [source : Enquête 2016]
Grèce : ICMS-AJ (Integrated Case Management System for the Administrative Justice) – Système informatisé de gestion des dossiers devant les juridictions administratives sous forme de portail ouvert au justiciable couplé à un système d’échanges électroniques des pièces d’un stade de la procédure à l’autre, et enfin de production statistique d’activité, le tout disponible en plusieurs langues [source : Enquête 2016]
Norvège : LOVISA – Système de gestion des affaires avancé permettant à chaque juge et notamment au Président de la juridiction de connaître l’état d’un dossier et le nombre d’affaires en cours de traitement par chaque juge. Le système inclut une gestion proactive des délais de procédure à l’aide de couleurs [source : EVAL 2016, données 2014]
Pologne : Audio Protocols in Courts - Enregistrement des audiences avec système d’indexation relié à l’interface de gestion des dossiers et aux notes prises par le juge et le greffier pendant l’audience [source : Enquête 2016]
Pologne : Système de gestion de l’information basé sur la technologie RFID – Balisage systématique des pièces et dossiers papiers d’une procédure aux fins de géolocalisation [source : Enquête 2016]
Portugal : CITIUS – Système combiné de gestion des affaires et de communication sous la forme d’un portail unique d’interconnexion des applicatifs utilisés par les professionnels de justice, dont une partie est également accessible et actionnable par le public [source : Enquête 2016]
Portugal : SITAF – Equivalent du portail CITIUS pour les juridictions administratives et fiscales [source : Enquête 2016]
Slovénie : Judicial Data Warehouse and Performance Dashboards – Outil pour le suivi et la gestion en temps réel de l’activité de la Cour Suprême [source : Balance de Cristal 2012]
Slovénie : EVIP – Système de gestion centralisé des affaires [source : Enquête 2016]
Slovénie : Presidents’ Dashboards– Outil d’information statistique complet à l’attention des Présidents de juridiction permettant de connaître en temps réel l’affectation des ressources et la productivité au sein de la juridiction [source : EVAL 2016, données 2014]
Suisse : Base de données de statistiques judiciaires – Système permettant aux pouvoirs judiciaires cantonaux lorsqu'ils le désirent se comparer avec d'autres cantons afin de motiver des demandes ou documenter des projets spécifiques en matière d'organisation judiciaire [source : Enquête 2016]
Turquie : UYAP – Système de gestion des affaires et d’information centralisé sur l’état des procédures sous forme de portail destiné aux professionnels ainsi qu’aux justiciables incluant un nombre important d’interactions [source : Balance de Cristal 2008]
Tableau 4 : Administration des tribunaux et case management (Q63) Source : « Systèmes judiciaires européens, efficacité et qualité de la justice : L’utilisation des technologies de l’information dans les tribunaux en Europe », les études de la CEPEJ n°24, édition 2016 (données 2014) – question 63 du questionnaire d’évaluation
65. La Check-list développée par le groupe de travail de la CEPEJ sur la qualité de la justice (CEPEJ-GT-QUAL)[52] consacrait en 2008 une section entière aux systèmes d’information dans chapitre sur les moyens de la justice. Bien d’autres références signalées au fur et à mesure dans ce document soulignaient l’intérêt de l’outil informatique comme moyen pour atteindre certains objectifs de qualité. L’enjeu du développement de la Cyberjustice est donc, comme la première partie de ces Lignes Directrices a pu le montrer, tout autant celui de l’efficacité des tribunaux que celui de la qualité du système judiciaire, lesquelles sont rendues entre les mains de ses promoteurs autant que de ses utilisateurs. Au-delà de la mise en place d’un outil, il s’agit donc de faire émerger collectivement chez les promoteurs et chez les utilisateurs des systèmes d’information judiciaire, de nouvelles pratiques, en phase avec les principes fondamentaux de la justice et les objectifs d’un service de qualité rendu par les tribunaux.
66. Après avoir dressé un état des lieux circonstancié de l’acquis européen en matière de Cyberjustice, les Lignes Directrices entendent proposer un complément d’information aux décideurs confrontés à l’un des défis majeurs qui émerge de l’analyse de tout retour d’expérience en la matière : la conduite du changement. Si la conduite du changement donne son nom aux présentes Lignes Directrices, c’est parce qu’elle s’est révélée un élément clé du succès aussi bien que de l’échec des politiques de développement et de mise en œuvre des systèmes d’information. Aussi, cette seconde partie passe-t-elle en revue les différentes questions à considérer face à un projet informatique. C’est à dire une série d’enseignements que l’on peut d’ores et déjà tirer des expériences passées en termes, non plus de fond s’agissant des transformations à l’œuvre sur la justice, mais en termes de conduite de projet. Autrement dit, il s’agit de livrer quelques clés avérées par la pratique pour le succès d’un projet informatique œuvrant pour la recherche d’une meilleure qualité de la justice.
67. Les analyses et recommandations qui figurent dans cette seconde partie puisent aux mêmes sources que la première (notamment les données 2014 recueillies par le groupe de travail sur l’évaluation des systèmes judiciaires européens, CEPEJ-GT-EVAL)[53] avec une large place à la collecte et aux entretiens complémentaires réalisés dans le cadre de l’enquête qualitative menée au cours du Printemps de l’année 2016. Une synthèse de ces analyses et recommandations figure en annexe, sous la forme de questions complémentaires à la Check-list développée en 2008, et spécifiques à la conduite des projets informatiques de la justice. Mais avant de rentrer dans les détails de celles-ci, il convient de recontextualiser le développement de la Cyberjustice à l’aune des expériences étudiées.
68. L’approche majoritairement observée dans les pays du Conseil de l’Europe est celle des « petits pas », fragmentée entre les différents types de juridiction ou de contentieux. Ceci s’explique sans doute par un contexte historique peu favorable aux grands projets informatiques : soit pour le coût à mettre en œuvre que ce type de projet représente, soit pour la complexité d’exécution qu’ils entraînent. De fait, les projets structurants développés entre les années 1990 et le début des années 2000 ont servi de contre-modèles pour beaucoup de systèmes judiciaires, préférant désormais aborder le développement de l’informatique par petites touches, autorisant plus de flexibilité au cours du développement, livrant les innovations au fur et à mesure plutôt que toutes ensemble, selon une approche graduelle comme cela sera vu plus loin.
69. Il convient de mesurer lepoids respectifs de l’industrie et de la demande sociale dans la course à la technologie avant de se lancer dans un projet informatique. La pression est parfois forte aujourd’hui sur les décideurs publics, enjoints de moderniser le système judiciaire par l’entremise de solutions informatiques qui se développent dans tous les secteurs de la société. Si cette tendance suit bien entendu les évolutions des services publics en général et celles du rapport des citoyens avec leurs administrations, il convient néanmoins de s’interroger à tout moment d’un projet informatique sur les intérêts des uns ou des autres à voir adopter certaines solutions, étant entendu que les décideurs publics sont dans ce domaine garants de l’intérêt général, guidés par la seule promotion des valeurs de justice. Face aux sollicitations régulières des entreprises informatiques et la mise en forme de leur offre pour la justice avec les meilleurs outils marketing qui soient, un certain nombre de questions doivent traverser l’esprit des décideurs lorsqu’ils sont approchés : Existe-t-il une demande pour la solution informatique proposée ? Cette solution correspond-elle à un besoin identifié dans mon cas ? Quel apport à la qualité de la justice la solution informatique proposée me garantit-elle ? La solution informatique envisagée est-elle la meilleure, parmi d’autres imaginables, informatique ou non, pour atteindre une meilleure qualité de la justice dans le domaine considéré ?
70. Il est également important de prendre du recul par rapport aux applications technologiques de la vie quotidienne au lieu de les reproduire à l’aveugle dans le monde judiciaire. Loin de refuser toute innovation venue d’un autre secteur que celui de la justice ou des services publics en général, il convient de prendre le temps d’en évaluer les bénéfices, les coûts, les risques, pour des juridictions ; de se faire une idée de nature et de la pérennité du service rendu, de se poser la question de la plus value qu’il représente pour atteindre les valeurs de justice. On pourra en particulier se demander si la solution informatique envisagée porte atteinte à l’image de la justice, ou si elle contribue au contraire à la valoriser.
71. L’informatique doit être un levier pour améliorer la qualité de fonctionnement du service public de la justice. Elle ne doit pas être une fin en soi. Les projets informatiques (de toute ampleur) doivent apparaître aux yeux de tous les acteurs (promoteurs et futurs utilisateurs) comme les leviers choisis pour réaliser certaines réformes au bénéfice des systèmes judiciaires (organisation judiciaire, carte judiciaire, simplification procédurale, réduction de délais de traitement, redéploiement d’effectifs, amélioration des conditions de travail…) et non pour répondre aux sollicitations soit des services informatiques internes (qui peut répondre à un seul objectif, celui d’une réduction des coûts), soit encore de l’industrie informatique (pourvoyeuse d’équipement ou de logiciel) en quête de nouveaux débouchés commerciaux. Ainsi, comme le fait remarquer le Comité Consultatif des Juges Européens dans son avis sur les technologies de l’information (TI) : « Les TI doivent être des outils ou des moyens pour améliorer l’administration de la justice, pour faciliter l’accès des justiciables aux tribunaux et pour renforcer les garanties offertes par l'article 6 de la CEDH, à savoirl'accès à la justice, l'impartialité, l’indépendance du juge, l’équité et le délai raisonnable des procédures »[54].
72. Les échecs en la matière sont à contextualiser au regard des méthodes de conception des projets et des moyens alloués. Les difficultés rencontrées par certains systèmes judiciaires dans la mise en œuvre d’outils informatiques (avec des conséquences financières non négligeables dans un contexte budgétaire devenu partout contraint) ne peuvent être réduites à une simple réticence au changement de la part des juges, procureurs, greffiers ou autres professionnels de la justice, mais sont à contextualiser au regard des méthodes et des moyens employés par les pays. La seule recherche d’efficacité ou encore une vision par trop « technocratique » de la modernisation par l’informatique, risque ainsi de se heurter très vite aux spécificités métiers et à la culture de l’activité judiciaire, comme elle le ferait dans tout autre domaine professionnel. La conception des projets informatiques doit donc prendre en compte de nombreuses dimensions non techniques, qui viendront nourrir le système d’information et lui rendre sa pertinence sur le terrain une fois déployé.
73. Le changement suscité par l’introduction de technologies de l’information doit être accompagné.Le seul déploiement d’équipement et de logiciels informatique a pu être perçu comme un facteur de modernisation en lui-même, améliorant de fait l’efficacité des tribunaux. Pour autant, les retours d’expérience se révèlent bien plus hétérogènes, montrant les limites du seul déploiement de nouveaux outils sur le terrain : matériels et solutions logicielles sous utilisés ou sous employés, maintien des anciennes pratiques, nombreuses résistances développées au nouvel outil, contournement, etc. Avec de meilleurs résultats sur le taux d’utilisation correct de l’outil à l’inverse, lorsque le développement informatique s’inscrit dans une stratégie plus large de changement, laissant une place suffisante aux dispositifs d’accompagnement de toutes les personnes impactées pour les convaincre du bénéficie individuel à en tirer. Si l’accompagnement des personnels est devenu un volet indispensable dans tout projet informatique, c’est parce qu’il a démontré sa capacité à atteindre des résultats tout à fait opposés : meilleurs taux d’utilisation et pénétration plus rapide des outils mis en place, utilisation correcte et conforme aux usages attendus. Ceci s’explique par le fait que le développement informatique s’inscrit dans une stratégie plus large de changement, qui demande à ce que toutes les personnes impactées par ce changement soient convaincues du bénéficie individuel qu’elles pourront tirer de l’adoption d’une nouvelle méthode d’organisation ou d’un nouvel outil de travail.
74. Il est indispensable d’établir un état des lieux complet des technologies existantes avant d’entreprendre des projets d’une certaine ampleur. La première démarche à engager consiste à bien comprendre où l’on en est exactement des politiques et des pratiques informatiques appliquées à la justice dans son ensemble dans le système judiciaire considéré, et non plus à la façon impressionniste, matière par matière, technologie par technologie, profession par profession. Une meilleure compréhension de l’existant et une vision à 360° permettent en effet d’affiner son regard sur les défis à relever, et de construire une véritable stratégie de changement en repérant tous les liens existant entre utilisateurs, bénéficiaires direct ou indirects, ainsi que l’impact sur chacun[55].
75. La question de la sécurité des systèmes d’information doit être maniée avec pragmatisme. Comme cela a déjà été évoqué précédemment[56], le recours aux solutions informatiques fait craindre la multiplication de failles de sécurité qui mettrait en danger l’intégrité du système judiciaire et des données qu’il manie. Si les menaces du cyberespace sont bien réelles pour les systèmes judiciaires comme pour toutes les administrations ou organisations privées, il existe évidemment des moyens de s’en prémunir (en réduisant le risque de survenance d’une attaque), ou de se protéger contre ses effets (en anticipant la bonne façon de réagir en cas d’attaque). De manière plus triviale, le passage aux données numériques fait craindre une vulnérabilité plus importante du système contre le vol, le caviardage ou l’effacement de données par l’intrusion de tiers ou des utilisateurs internes malveillants. Même si en soi, ce genre de risque n’est pas le privilège de l’ère informatique (chaque pays connaît des précédents de vol, correction, ou disparition de documents papiers) c’est l’attaque à grande échelle qui est crainte ici.
76. Des réponses à chacun de ses risques existent fort heureusement au sein des directions informatiques. Pour autant, les systèmes judiciaires doivent apporter des réponses pragmatiques au niveau de sécurité exigible des systèmes d’information. D’abord, les systèmes numériques représentent souvent une amélioration du niveau de sécurité par rapport aux systèmes papiers préexistants dans lesquels la perte, le vol ou la destruction de données peut être monnaie courante, ne serait-ce que par les moyens de vigilance et d’alerte sur l’ensemble des données et point d’entrées dans le réseau informatique. Ensuite, parce qu’entre l’absence de sécurité qui met en péril le système numérique et un niveau de sécurité maximal exigé qui finit bien souvent par bloquer toute initiative, il faut considérer un juste milieu qui doit être clairement défini dans une politique de gestion des risques, de préférence à une politique d’évitement des risques[57].
77. Un projet informatique gagne à se nourrir d’une approche comparative. La comparaison est d’abord possible en interne, afin de garantir la compatibilité technique avec les autres systèmes d’information auxquels les tribunaux ont ou pourraient avoir recours au sein du système judiciaire[58], mais également au-delà : dans les autres administrations, dans d’autres secteurs professionnels. Il faut aussi garder en ligne de mire la possibilité d’échanges de données judiciaires pour la coopération entre les pays, en matière pénale comme en matière civile, dont le développement nécessite un niveau minimum d’interopérabilité par le montage de plateformes d’intercommunication entre les systèmes d’information (voir l’initiative E-Codex de l’Union Européenne déjà citée). La comparaison d’un système judiciaire à l’autre pourra s’avérer également utile enfin, pour la construction d’un outil informatique domestique, en permettant à un pays de bénéficier de l’expérience et des bonnes pratiques d’un autre pays au sein de l’espace Européen. Et ce d’autant plus que se développe le recours aux solutions dites en « code ouvert » (open source) qui facilitent grandement sur le plan juridique les possibilités d’un tel échange et pourquoi pas, une communauté de développeurs en matière judiciaire entre les pays.
78. Pour autant, la comparaison entre les expériences nationales connaît bien sûr quelques limites. Il doit notamment être distingué entre les pays à forte culture centralisatrice d’une part, et les pays fédéraux ou composés d’entités différentes d’autre part. Il faudra distinguer aussi entre le nombre et le type d’autorités impliquées dans la gestion des moyens de la justice d’un pays à l’autre, voire les modalités d’organisation et de gouvernance des départements en charge de l’innovation et de l’informatique au sein de ces autorités. Les différences institutionnelles qui existent d’un pays à l’autre pourront ainsi avoir un impact direct sur la conduite des projets informatiques et les conditions de la conduite du changement, ce qui n’empêche pas aux promoteurs dans chaque pays d’en tirer quelques leçons et de bonnes pratiques, à recontextualiser bien évidemment avant toute application dans un système judiciaire donné.
79. Une politique d’amélioration de la qualité de la justice ayant recours à un développement informatique doit pouvoir être formulée à travers des objectifs clairs, mesurables et vérifiables, pour lesquels la technologie n’est conçue que comme un moyen et non comme une fin. Elle est partie intégrante d’une stratégie de modernisation de la justice qu’elle met en œuvre en ayant recours à un outil spécifique que l’on doit considérer comme étant un outil parmi d’autres.
80. Le changement en matière de cyberjustice doit être judiciairement conduit et non techniquement conduit. Cette affirmation souvent entendue implique une définition des objectifs de modernisation qui puisse être dégagée de toute préoccupation liée à l’informatique elle-même. Il s’agit d’un préalable indispensable à la réussite de tout projet, à défaut de quoi la mise en œuvre de moyens informatiques risque de ne satisfaire ni l’intérêt des justiciables, ni celui des professionnels de justice, et risque au contraire au final d’affaiblir la confiance dans l’institution judiciaire. Ainsi que le fait remarquer le rapporteur à la Résolution de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe sur « l’accès à la justice et les TIC » précitée : « les concepteurs des technologies devraient s’appliquer à mieux comprendre le système judiciaire et à collaborer avec les juges et le personnel des tribunaux pour veiller à ce que l’architecture des TIC réponde aux besoins aussi bien des tribunaux que des justiciables »[59]. Sans doute les responsables judiciaires peuvent-ils largement contribuer à ce que dialogue puisse avoir lieu.
81. Les objectifs assignés au changement doivent pouvoir être rattachés à la promotion de valeurs de justice[60] communément admises et juridiquement protégées dans l’espace européen, afin de contraindre les solutions techniques envisagées au respect de finalités propres à la justice, et à l’amélioration de sa qualité. Et ce, à toutes les étapes de la conduite du projet, comme dans les moindres détails du système d’information mis en œuvre. Cette expression préalable de valeurs doit servir de ligne d’horizon aux décideurs, gestionnaires et bénéficiaires de projet dans l’évaluation et la conduite du changement. Ainsi que le souligne le Comité Consultatif des Juges Européens dans les conclusions à son avis n°14 (2011) précité : « Les TI doivent être adaptées aux besoins des juges et des autres usagers, ils ne doivent jamais porter atteinte aux garanties et aux droits procéduraux tels que ceux assurant un procès équitable devant un juge »[61]. Un système judiciaire qui prend au sérieux la promotion des valeurs de justice comme fil rouge dans la conception et dans la communication de son projet, n’aura que plus de chances d’en faire un projet fédérateur pour la conduite du changement.
82. Le déploiement d’un système d’information nécessite un audit des procédures et des processus à l’œuvre dans le système judiciaire[62]. Le développement de la cyberjustice est une occasion pour remettre à plat les modes d’organisations et les règles procédurales héritées du passé, dans le respect des principes fondamentaux du droit processuel et de l’organisation judiciaire. En effet, les systèmes informatiques de la justice remettent en cause l’équilibre entre la procédure d’un côté qui est l’ensemble des règles de droit applicables à une action en justice, les prérogatives des différents acteurs de la procédure en quelque sorte, et les processus de l’autre, qui sont les choix de mise en forme pratique des règles de procédure à travers une certaine organisation du travail, par le recours à une série de tâches. Or, si les processus de travail au sein de la juridiction sont encadrés par la procédure et découle d’elle, cette procédure est aussi elle-même définie en amont en fonction des pratiques possibles au sein de la juridiction (les règles de preuve traditionnelle ayant été pensées pour l’échange de documents écrits depuis que ceux-ci sont d’un échange facile et vu comme fiables, et jusqu’à leur passage au format électronique aujourd’hui qui en change la nature). Il existe donc une corrélation très forte entre la définition du standard procédural et celle des processus de travail. Or, c’est en raison d’une informatisation des tâches provoquée par l’arrivée de l’informatique dans la procédure qu’un audit de celles-ci doit être réalisé : soit que certaines règles de procédure qui étaient pertinentes ne le sont plus aujourd’hui (la conservation de copies papier des documents à titre de preuve par exemple, ou encore une computation des délais inadaptée à la nouvelle temporalité des échanges électroniques de documents) ; soit que de nouvelles règles de procédures s’imposent pour encadrer l’informatisation des tâches par l’informatique afin de lui imposer les principes fondamentaux du droit (créer des fenêtres d’accès aux documents qui respectent les droits de chacun, notamment le principe d’égalité des armes, ou des fenêtres de communication dans le temps qui préservent l’exercice du principe du contradictoire). Un tel audit doit permettre une réactualisation si ce n’est une simplification des règles encadrant l’activité judiciaire lorsqu’elle est possible, par l’adoption de nouvelles règles de procédure le cas échéant. En tout état de cause on doit s’assurer que l’informatique, à travers ses processus, ne présente pas d’entorse aux principes fondamentaux de la procédure reconnus par le droit du pays et le droit Européen au risque de créer de l’insécurité juridique.
83. S’il doit être tiré avantage de l’arrivée d’un système d’information pour conduire en parallèle une réforme de l’organisation judiciaire, il convient de le faire de manière pragmatique. Les réorganisations théoriques par l’écriture de notes ou de circulaires sont vouées à l’échec si elles ne prennent pas appui sur la redéfinition de pratiques, protocoles et rituels judiciaires autour du nouvel outil et des nouvelles procédures ou organisations qui en découlent. Lorsqu’un nouvel encadrement juridique est nécessaire pour autoriser les nouvelles pratiques, celui-ci doit arriver ni trop tôt ni trop tard par rapport au calendrier de conception et de déploiement de l’outil informatique considéré. Ni trop tôt ce qui risquerait de ne pas correspondre à l’outil finalement mis en place, ou de laisser les usagers en attente de droits ou prérogatives reconnus dans les textes mais pas effectifs. Ni trop tard, ce qui aurait pour effet de retarder l’entrée en vigueur effective de l’outil.
84. Le besoin de financement associé à l’innovation implique l’élaboration de calculs de retour sur investissement dès la définition du projet. L’insertion d’un calcul de retour sur investissement participe de la définition claire des objectifs, des délais et des moyens alloués au projet, et représente un contrat d’engagement supplémentaire de la part du promoteur du projet à l’égard des citoyens contribuables comme des utilisateurs. À la condition d’être construit sur des données transparentes et fiables, le calcul du retour sur investissement permet aussi d’emporter plus facilement l’adhésion des autorités en charge du budget pour allouer les moyens nécessaires à la mise en œuvre du projet. Pendant le déroulé du projet, il servira de balise aux écarts éventuels entre coût prévisionnel et coût réel, et autorisera un pilotage plus rigoureux. En fin de course, le calcul du retour sur investissement permettra d’objectiver le succès ou l’échec du pilotage du projet. Le cas échéant révisé en fin de projet pour tenir compte des résultats et notamment du coût final de celui-ci, le calcul du retour sur investissement de l’outil désormais livré permettra de continuer à engager une dynamique d’action responsable avec l’ensemble des acteurs mobilisés autour du changement, en partageant avec eux des objectifs de long terme qui peuvent être mesurables au-delà du projet, quand le point d’amortissement pourra justement être atteint par une utilisation fréquente ou intensive de l’outil.
85. Le retour sur investissement sur l’innovation doit prendre en compte l’intégralité des coûts générés par l’opération et leurs variations éventuelles. Les coûts des dépenses en capital (CAPEX) pour la conception et la mise en œuvre du nouvel outil (y compris toutes opérations de conduite du changement) mais aussi les coûts d’exploitation (OPEX) pour les dépenses fonctionnement, de maintenance et de mise à jour tout au long de la vie du système d’information (opérations de débogage, service d’assistance, gestion des changements et améliorations techniques ou juridiques notamment). Autant de dépenses qui doivent être mises en face d’économies réalisées dans l’organisation, en raison de l’exploitation du système d’information dans une vision de long terme du système judiciaire[63].
86. L’établissement d’un diagnostic le plus complet et précis possible de l’environnement informatique du système judiciaire considéré, est un préalable indispensable à l’introduction de tout nouvel outil. Plusieurs facteurs doivent être considérés comme accélérant le succès ou l’échec d’un projet informatique :
87. La nature et l’ancienneté des plateformes techniques existantes. Tous les pays européens qui s’engagent dans un projet informatique sont amenés à le faire aujourd’hui, en héritant de structures techniques du passé avec lesquelles il faut bien entendu composer. Qu’ils optent pour leur maintien ou pour leur remplacement, ce choix conditionne aussi bien la qualité de la solution logicielle à adopter pour le nouvel outil en cas de maintien, que le coût supplémentaire de conception et de déploiement de cet outil en cas de substitution. Plusieurs choix sont évidemment possibles qui dépendent des réponses aux questions suivantes : Une migration vers une plateforme nouvelle est-elle envisagée ? Totale pour l’ensemble des applicatifs du secteur, ou partielle pour la seule solution envisagée ? S’agit-il de plateformes propres au système judiciaire, ou encore partagées entre services publics, le cas échéant développées en code ouvert, sur lesquels les responsables des politiques de justice ont entièrement ou partiellement la main ? S’agit-il au contraire de plateformes mises à disposition par des prestataires privés, en code propriétaire, sur lesquels le bénéficiaire n’a que peu ou pas du tout la main ?
88. Le coût de transition d’un système à l’autre et celui des mises à jour. Le coût du maintien de la plateforme existante a-t-il été comparé au coût de solutions de remplacement en tenant compte des conséquences spécifiques de chaque solution à court, moyen et long terme ? A-t-on bien mesuré le coût de reprise des données et est-on vraiment en mesure de l’assurer dans de brefs délais sans en faire peser le poids sur les futurs utilisateurs ? Ces questions qui doivent être posées en phase de conception de la politique de promotion d’un nouvel outil informatique sont cruciales. Il convient par exemple de comparer le coût global de mise à niveau technique, d’intervention de tiers pour la reprise de données et son contrôle qualité, et le coût de formation des différents personnels intervenant sur la création et la maintenance d’une plateforme nouvelle, au coût global des limitations techniques et de service, comme de l’obsolescence programmée, dans le cas d’un investissement dans des solutions informatiques nouvelles développées sur la base de plateformes anciennes inchangées. La réponse à cette question n’a rien d’évident et dépendra beaucoup du contexte et de l’ambition du projet.
89. Le niveau d’interopérabilité entre tous les acteurs d’une chaîne de communication dématérialisée. La conception d’un nouvel outil informatique enfermée autour d’un groupe unique et homogène d’utilisateurs, si elle est théoriquement possible et peut se justifier pour des raisons de confidentialité, semble n’être que de courte vue, tant la raison principale du recours au numérique est de favoriser la circulation des données entre différents opérateurs d’une chaîne d’information (avec bien sûr toutes les réserves et restrictions qui peuvent être imposées du point de vue technique pour réserver l’accès à certaines informations à des catégories de personnes bien identifiées). L’utilisation et le réemploi des données pour le suivi des procédures et des métadonnées dans le cadre du pilotage des juridictions comme des politiques de justice en général, n’a d’intérêt que si les données appelées à circuler peuvent être échangées facilement au sein d’une chaîne d’information, et être utilisées sans nouveau traitement ou transformation par des procédés techniques – ou manuels – supplémentaires. Une attention particulière doit donc être apportée aux conditions d’interopérabilité entre tous les acteurs de la chaîne d’information au sein et en dehors du système judiciaire (avocats, police, experts) pour les besoins immédiats identifiés, mais aussi pour permettre le cas échéant un partage ou une circulation des données dans des utilisations futures, en particulier avec les autres systèmes du gouvernement. Penser par principe les possibilités de circulation de l’information et leur apporter les restrictions qui s’imposent à un moment particulier par des règles de sécurité et de confidentialité appropriées, apporte une plus grande souplesse et s’avère être un meilleur investissement qu’un système conçu en vase clos pour un groupe d’utilisateur unique sans possibilité de l’ouvrir, ou au prix d’un nouvel investissement et de complications techniques. Un audit des conditions d’interopérabilité mettant tous les acteurs identifiés au même niveau d’information sur les possibilités de communiquer entre eux en l’état de leurs systèmes d’information, ou au prix de certaines modifications apparaît donc comme essentiel.
90. L’homogénéité des niveaux d’équipement informatique. Le déploiement de l’outil informatique doit pouvoir se faire sur un niveau d’équipement cible dont sont alors dotés l’ensemble ou la plupart des acteurs concernés, faute de quoi l’initiative nouvelle ne pourra être totalement effective. Il est donc indispensable d’évaluer l’état du parc informatique des groupes d’utilisateurs préalablement identifiés et d’anticiper dans la conception du projet, le temps et le coût d’un éventuel renouvellement de celui-ci. Par ailleurs, et même si le coût de son renouvellement n’échoit pas au système judiciaire lui-même, les promoteurs de l’outil informatique devront avoir une bonne idée du niveau d’équipement des utilisateurs extérieurs : les avocats par exemple, mais aussi les justiciables quand le service s’adresse partiellement ou en totalité à eux, afin d’opérer les choix techniques permettant une utilisation effective du service mis en place.
91. Une autre solution consiste à considérer le développement d’une solution qui puisse être déployée en « mode dégradé » permettant un usage plus ou moins complet de l’outil en termes de fonctionnalités, ou à travers des interfaces différentes, selon l’équipement considéré. Ce n’est pas tant l’uniformisation matérielle qui doit être recherchée (en raison en particulier de l’investissement que cela représente dans un environnement informatique coûteux et aux cycles industriels courts) que l’équipement des bonnes personnes avec le matériel qui sera suffisant compte-tenu de l’usage qu’elles seront amenées à en faire, au vu des seules applications ou fonctionnalités informatiques qui les concernent.
92. Les conditions de gestion des données judiciaires. La conservation, la propriété et la sécurité[64] des données informatiques générées ou brassées par l’outil envisagé sont des questions essentielles ayant trait à l’intégrité du système judiciaire encadré par le droit général des données applicable dans l’espace européen et complété par la législation de chaque Etat. Le calcul de la quantité de données qui sera produite à court, moyen et long terme, par l’application informatique considérée ne doit pas être sous-estimé, puisqu’en seront déduites des conséquences en termes d’espace de stockage nécessaire au bon fonctionnement de l’application et du système judiciaire. Cela a forcément un coût dont il faut pouvoir anticiper l’évolution et les variations sur le marché.
93. Une attention particulière sera apportée aux conditions d’accès aux données judiciaires, à la fois protégées de toute intrusion extérieure, et d’un accès rapide et facile pour les utilisateurs autorisés[65]. Ainsi que le recommande le CCJE dans son avis précité : « Les données et informations, telles que celles contenues dans les registres, les dossiers individuels, les notes et projets préparatoires, les décisions judiciaires ainsi que les données statistiques concernant l’évaluation du processus judiciaire et de la gestion des tribunaux doivent être gérées avec un niveau approprié de sécurité. Au sein des tribunaux, l’accès à l’information devrait être limité à ceux qui en ont besoin pour l’accomplissement de leurs tâches »[66]. Le secret professionnel lorsqu’il existe devra être garanti aux utilisateurs, en particulier les avocats. D’une manière générale, les systèmes d’information seront construits selon le régime relatif aux données personnelles en vigueur dans l’Etat, et de préférence dans le respect des normes les plus avancées en la matière en Europe[67] afin de garantir la confiance des citoyens dans l’appareil judiciaire[68].
94. Un autre point d’attention concerne les conditions de conservation des données sur le long terme[69]. Si l’investissement dans des fermes de serveurs dont la propriété est publique est susceptible de mieux garantir l’intégrité des données, il convient de choisir une solution qui garantisse contre tout risque de péremption des données avec le temps, que ce soit en raison du support matériel choisi que de l’évolution des formats et langages. A travers ces questions techniques, il faut garder en tête que c’est la mémoire de la justice qui est en jeu, pour des affaires amenées à être rouvertes quelques années ou décennies plus tard, et pour l’histoire de nos institutions.
95. Les conditions du recours à des prestataires extérieurs au système judiciaire. Souvent indispensable, même à titre accessoire quand le renfort en interne des équipes informatiques au service des tribunaux est la solution privilégiée, le choix de recourir à des prestataires privés n’apparaît pas en soi et du point de vue de l’exécution du projet comme une condition certaine de réussite ou d’échec de celui-ci. Ce sont les conditions juridiques parfois, et les modalités pratiques de gestion de la relation publique-privée bien souvent qui feront la différence. Ces conditions qui sont d’abord formalisées dans un contrat et vivent ensuite de la rencontre des modes de travail respectifs du public et du privé, s’avèrent un élément clé du succès ou de l’échec d’un projet informatique bien ou mal exécuté.
96. S’agissant du recours à un prestataire privé pour le design de la solution informatique, il doit être rappelé ce qui a été dit précédemment concernant la maîtrise judiciaire des objectifs de service poursuivis par l’outil. S’agissant maintenant de l’exécution informatique elle-même et de son déploiement auprès des bénéficiaires, l’intervention d’un prestataire doit là encore être contrainte par le commanditaire judiciaire, et le mettre en lien le plus direct possible avec les futurs utilisateurs qui sont les mieux à même de lui faire comprendre les subtilités du métier, les habitudes et les besoins des personnels judiciaires. Cette proximité encadrée aura plus de chances de déboucher sur une commande précise des prestations, et une évaluation plus fine et pas à pas des prestations réalisées par le partenaire privé ensuite.
97. Il doit être rappelé que le choix de recourir à un prestataire privé pour l’hébergement des données judiciaires peut comporter des risques important pour la puissance publique. La plus grande attention doit en effet être portée aux questions de propriété et de droit applicable aux données ainsi confiées, qui ressortiront des termes du contrat signé avec le prestataire, mais aussi de la réalité physique et géographique des fermes de serveurs auxquelles celui-ci aura recours, sans pour autant que cela soit indiqué au contrat. Les solutions d’accès aux données dans les « nuages informatiques » peuvent s’avérer coûteuses et mettre en péril le droit des individus si elles ne sont pas maîtrisées a minima, juridiquement et techniquement par la puissance publique qui, en les produisant, en assume la responsabilité vis-à-vis des justiciables qui les lui confient ou consentent à leur collecte. Enfin, l’autorité publique doit bien veiller, sinon exiger de son prestataire, qu’il lui remette l’ensemble de la documentation utile à la prise en main, à l’analyse, et à la reprise du système d’information. Il s’agit d’une condition essentielle pour l’exercice de sa liberté vis-à-vis du prestataire en tant que bénéficiaire de la prestation.
98. La juste allocation de moyens aux projets de modernisation ayant recours à l’informatique doit prendre en compte l’ensemble des coûts directs et indirects générés par l’introduction d’un nouvel outil et de nouvelles pratiques professionnelles[70]. Il s’agit des coûts de réalisation du projet lui-même et de mise en œuvre de l’outil, mais aussi des coûts induits en amont par les audits préalables, et en aval par les nécessaires actions de communication (le plus large possible y compris à l’intention des autorités en charge du budget de la justice), d’information et de formation des usagers (professionnels ou justiciables) parmi l’ensemble des coûts à considérer pour le bon déroulement d’un projet. Le succès d’un projet doit être un objectif en soi, mais l’objectif ultime de tout projet est d’offrir le service attendu à travers ses livrables aux conditions auxquelles il a été budgétairement autorisé.
99. Les moyens budgétaires doivent être adaptés à la gestion de projet dans leur montant au regard du cycle de vie du projet. Si des moyens sous-évalués ont trop souvent mis en difficulté des projets informatiques, les demandes de rallonges budgétaires appelées à les sauver lorsqu’elles sont possibles, finissent par compromettre durablement la crédibilité du projet auprès de ses bénéficiaires et celle des autorités en charge du budget de la justice. Le coût réputationnel encouru par un budget trop juste, amené à être dépassé en cours ou en fin de projet, mais aussi dans le cas contraire un budget qui apparaît comme largement surévalué, font planer une réelle menace sur la bonne exécution et les résultats du projet autant qu’un doute sur les capacités de gestionnaire du promoteur. La dénonciation de mauvaises prévisions ou de dépenses injustifiées par l’autorité de contrôle des comptes publics ou les médias doit ainsi être intégrée à un processus d’analyse de risques propre au projet. Toute modification du budget ou interrogation sur celui-ci devra être justifiable au regard des scénarios envisagés dans l’analyse de risque et évacuer le cas échéant l’argument de mauvaise gestion. Il faut rappeler que même s’il était mené jusqu’à son terme, le coût réputationnel lié au déroulement d’un projet dont le budget ou les délais auraient été mal maîtrisés, a un effet direct sur l’adhésion des bénéficiaires. Le coût comparé d’une analyse de risques préalable et d’une information de qualité sur les décisions relatives au budget du projet conçue en amont, doit ainsi être mise au regard du coût supplémentaire que représente en aval le fait de devoir défendre le projet devant les autorités de contrôle et l’opinion publique, avec en plus celui de rattraper, par des actions de communication et de formation supplémentaire, l’adhésion des futurs utilisateurs.
100. S’agissant des moyens humains, il semble indispensable de pouvoir se reposer sur des équipes pluridisciplinaires spécialement dédiées au projet, dirigées par un professionnel de la justice. Doté d’une expérience et d’une autorité suffisantes, ce professionnel qui doit incarner le bénéfice de l’outil pour les utilisateurs, sera appuyé par un directeur technique, avec à leur disposition au sein de l’équipe un panel de compétences couvrant les différentes dimensions judiciaires et informatiques du projet, sans oublier les aspects par exemple d’ergonomie pour l’application informatique, de communication autour du projet et de ses livrables, et de formation des futurs usagers, qui sont autant de compétences particulières nécessitant l’intervention de spécialistes au sein ou aux côtés de l’équipe projet. La pleine disponibilité de ses personnels autour des objectifs et du calendrier du projet apparaît évidemment essentielle d’où il ressort qu’une équipe transversale doit bénéficier d’une réelle autonomie de gestion et d’action.
101. La gestion de projet implique par ailleurs une certaine souplesse dans le pilotage et la mise en œuvre des moyens, avec l’appui de personnels spécialisés, sans conflit d’intérêt avec les éventuels prestataires en charge de la réalisation ou de la maintenance des solutions techniques adoptées, ni conflits d’autorité avec d’autres pans de l’administration judiciaire. Les lignes de reporting doivent être claires et comprises de tous, vers la seule direction du projet. La question du montant des moyens alloués au budget du projet doit être abordée en même temps que celle des modalités de mise en œuvre de la gestion de ces moyens budgétaires, dans ses dimensions à la fois comptables et juridiques. La flexibilité qu’il sera possible d’obtenir dans un cadre préalablement défini pouvant offrir à la direction de projet les marges de manœuvre nécessaires aux impondérables de la vie du projet informatique.
102. Aussi, pour toutes ces raisons et en particulier pour les projets longs ou complexes, il apparaît utile de dimensionner le projet en une succession de petits objectifs concrets, réalisables dans des délais courts et maîtrisables, dont les avancées sont également perceptibles par les bénéficiaires. Afin d’éviter ce qui est connu comme « l’effet tunnel » et « l’effet big-bang », on pourra ainsi préférer la mise en œuvre de petits projets cohérents entre eux, en parallèle ou de manière consécutive, livrés les uns après les autres comme autant d’innovations qui se succèdent, plutôt qu’un grand projet complexe qui reste dans l’ombre trop longtemps et doit tout révolutionner d’un coup.
103. L’intervention d’utilisateurs expérimentés dans les métiers judiciaires ne doit pas être réduite à la seule expression de leurs besoins, au début du projet, laquelle demeure bien entendu un préalable essentiel[71]. Elle doit en être étendue à la conception des solutions techniques envisagées, de l’identification des enjeux métiers et des enjeux juridiques attachés au développement des outils[72], ainsi qu’à toutes les phases de leur expérimentation et de validation tout au long de la vie du projet[73].
104. Une association étroite et constante des futurs utilisateurs permet de minimiser les écarts entre la définition théorique du besoin et sa réalisation concrète par les informaticiens. Cette association étroite permet en effet de réorienter les solutions techniques proposées tant que cela est possible et sans incidence sur le coût et le respect des délais, plutôt que de remettre en cause un projet fini, avec les incidences que l’on peut imaginer sur les coûts et les délais. Pour les applications informatiques les plus lourdes, des « tests de charge » menés en laboratoire avant toute utilisation réelle, en ayant recours à des scénarios conçus conjointement avec des professionnels de la justice, permettront de mieux anticiper et de mieux prévenir les difficultés éventuelles qui pourraient surgir au moment de l’implémentation à grande échelle de l’outil. Leur organisation est donc fortement conseillée.
105. Le recours à des sites pilotes permet de bénéficier d’un retour d’expérience en cours de projet. Pratique devenue courante, le recours à des expériences sur sites pilotes permet de tenir compte des leçons apprises d’une série de premiers usagers avant de valider la suite du projet ou de passer à sa diffusion à une plus grande échelle. Cette démarche s’inscrit dans une approche « du bas vers le haut » (bottom-up) qui est d’ailleurs recommandée par la CEPEJ dans le cadre des processus de réforme des systèmes judiciaires. Encore doit-il être compris que l’expérience pilote est aussi une expérience particulière qui donc, ne se généralise pas. On apprend d’une expérience pilote quelques leçons qu’il convient de méditer pour le déploiement d’un outil ou d’une nouvelle organisation dans un contexte plus général. Lequel modèle devra être décliné en autant de scénarios possibles que de facteurs clés de réussite ou d’échec dans le déploiement de l’outil ou de l’organisation qu’aura pu révéler l’expérience pilote.
106. La livraison d’un outil informatique dans le respect des délais impartis, du cadre financier donné, et des besoins exprimés par les utilisateurs tout au long de la vie du projet ne suffit pas à en assurer le succès sur le terrain. Une attention particulière doit encore être apportée aux méthodes de déploiement de l’outil et à l’accompagnement du changement à la bonne échelle du système judiciaire considéré.
107. La conduite du changement doit être menée simultanément à tous les niveaux. C’est à dire que tous les métiers dont la pratique sera affectée par l’outil, mais également l’ensemble des niveaux hiérarchiques à l’intérieur de ces métiers – concernés directement ou pas par l’outil – devront être visés afin de s’assurer que chaque personne a une connaissance suffisante de ce que le nouvel outil ou la nouvelle organisation aura d’impact sur elle-même ou sur les autres avec qui elle travaille . La désignation de pairs référents à tous les niveaux, spécialement au fait du projet et formés à l’accompagnement du changement, représentera un plus dans le déploiement de l’outil au sein de la communauté utilisatrice. Loin d’être un simple niveau d’exécution de la mise en œuvre de l’outil, cet échelon de dialogue aura été intégré à la méthodologie du projet et participera de l’évaluation des résultats obtenus par celui-ci par une collecte précise des informations de réception et de perception remontées du terrain. Pour les outils accompagnant ou induisant des changements dans l’organisation du travail, il appartient aux plus hauts responsables hiérarchiques d’intégrer dans un projet de service ces changements, qui ne peuvent être délégués aux informaticiens.
108. La formation au nouvel outil doit être individualisée et n’oublier personne dans l’environnement judiciaire.Distinct du rôle joué par les pairs référents du projet, celui des formateurs qui interviennent auprès des utilisateurs doit être adapté au public considéré. Une évaluation des besoins de formation doit prendre en compte le profil utilisateur, mais aussi les dispositions personnelles, aptitudes particulières ou difficultés, à prendre en main et à maîtriser l’outil. L’offre de formation sera d’autant plus performante qu’elle sera adaptée au profil de chaque individu, aussi bien en temps que du point de vue des méthodes pédagogiques mobilisées. Si elle représente structurellement un coût de formation plus important au démarrage, l’expérience montre que ce coût peut se révéler au final moindre que celui qui consiste à corriger les erreurs et remotiver le personnel quelques mois après les premières périodes d’utilisation.
109. L’offre de formation doit également être bien séquencée dans le temps du déploiement de l’outil : ni trop tôt, ni trop tard, et suffisamment longtemps pour s’assurer que la prise en main du nouvel outil est effective chez tous les utilisateurs. Une formation théorique en amont du déploiement de l’outil est aussi inutile qu’une formation pratique qui arrive trop tard après l’arrivée de l’outil est porteuse de risques et de mauvaises habitudes. Un accompagnement individualisé de formation devra être privilégié qui pourra avoir recours par exemple à la distribution d’une documentation de sensibilisation à l’outil en amont, à des formations de prise en main collective au moment du déploiement, et à des points réguliers d’évaluation des compétences en cours d’utilisation, afin de vérifier que les bons réflexes de travail sont acquis.
110. Les formateurs doivent avoir une formation « juridique » (ou « métier ») adaptée aux fonctionnalités de l’outil considéré, et au public à former, et pas seulement une compétence technique, afin de bien comprendre la problématique des utilisateurs et nouer un dialogue constructif avec eux (idéalement il peut s’agir de personnels issus des métiers, délégués temporairement à cette tâche de formation après une formation aux outils et aux méthodes pédagogiques mobilisés).
111. Le besoin en formation d’utilisateurs extérieurs au système judiciaire devra également être pris en compte, il en va ainsi de l’accompagnement des justiciables en particulier, à l’aide d’outils en ligne adaptés ou d’un service d’assistance individuelle (par téléphone ou clavardage). Même lorsqu’elle n’est pas de la responsabilité directe du promoteur du projet, la formation d’utilisateurs extérieurs devra être encouragée. Ce sera le cas notamment pour le besoin de formation à dispenser aux avocats par leurs Barreaux respectifs, formation auxquelles le promoteur du projet pourra par exemple apporter une assistance dans la définition des contenus.
112. Communiquer de manière adaptée. Il est important d’engager un dialogue continu avec les futurs utilisateurs, en visant toute personne qui pourrait être concernée par les effets du nouvel outil. Cette communication est à engager dès les premières études sur les besoins éventuels, et jusqu’aux résultats de l’évaluation des bénéfices apportés par l’outil informatique, en passant par toutes les étapes de définition, de construction et d’implémentation du projet auprès de ses bénéficiaires. Il s’agit d’impliquer les futurs utilisateurs sur les gains attendus par le nouvel outil, les actions requises de leur part et le calendrier.
113. Il convient de ne pas adopter une communication par trop manichéenne dépeignant une situation actuelle déplorable et des perspectives idéales qui seraient rendues possibles avec le nouvel outil. Plus les promesses sont hautes, plus elles sont difficiles à atteindre. Mais surtout, une critique insuffisamment fine et nuancée de la situation actuelle peut vite être perçue par les utilisateurs comme une critique directe de leur travail et de leur capacité à innover, et au final, s’avérer un frein à leur mobilisation.
114. La mise en place d’outils et de services d’accompagnement du changement (lettres d’information, dépliants, guides pratiques, didacticiels vidéo, formations en ligne, numéros verts, forums d’échanges) représente autant d’occasions de créer du lien et de fédérer une communauté autour de l’objectif de modernisation identifié de manière claire et précise au tout début du processus. Cet objectif de modernisation est d’autant plus fédérateur encore une fois quand il est exprimé autour de la promotion de valeurs de justice dont la particularité est de susciter l’adhésion de l’ensemble des usagers (aussi bien les professionnels que les justiciables).
115. Une communication maîtrisée et performante comprend également la capacité à expliquer de manière ouverte et simple les difficultés rencontrées dans le projet, et avec elles les solutions effectivement apportées pour les résoudre, plutôt que de les cacher (et de les retrouver dans la presse, sommé alors de se justifier dans la précipitation).
116. La politique de communication qui aura dû être déployée tout le temps du projet devra se poursuivre une fois celui-ci formellement achevé, pour rendre compte des gains effectivement réalisés sur le court, moyen et long terme. Elle nourrira un climat de confiance pour d’autres projets informatiques ultérieurs et facilitera la tâche du promoteur de nouveaux outils informatiques.
117. Les promoteurs d’un projet de modernisation ayant recours à l’informatique doivent développer une vision du système judiciaire qui dépasse la seule logique d’un projet. Pour cela il peut être nécessaire qu’ils soient, eux aussi, accompagnés à leur niveau dans la conduite du changement par ce qu’il convient d’appeler un véritable pilotage de l’innovation.
118. L’adoption d’une gouvernance simple, unique et clairement définie, permettant d’isoler la conduite du projet du reste de l’administration est une clé essentielle du pilotage pour un outil livré conforme et dans les temps impartis. La mise en place d’organisations « éphémères », sous la forme d’une équipe projet qui intègre à la fois les fonctions « métier » et « informatiques » en une seule structure, est une forme pragmatique d’organisation susceptible d’assurer à la fois une meilleure maîtrise des délais et de la dépense, tout en assurant efficacité et réactivité. Il apparaît indispensable que l’équipe projet puisse jouir d’une certaine souplesse dans la gestion afin de pouvoir facilement et rapidement avoir recours tout au long du développement à des interventions et solutions ponctuelles qui, si elles ne sont pas apportées immédiatement en raison de validation hiérarchiques ou externes trop longues à obtenir, compromettent plus largement le coût et le calendrier du projet. Cette forme d’organisation sera d’une grande aide dans le pilotage et le succès du projet. Aussi, l’équipe projet rend-elle des comptes uniquement sur les objectifs du projet.
119. Un pilotage effectif par la même entité tout au long de la vie de l’outil doit permettre un suivi continu des moyens spécifiques consommés et faciliter les retours d’expérience. Il existe un risque à séparer trop radicalement l’entité en charge du développement et de la mise en œuvre du système d’information de celle assurant son utilisation. Ce risque est de provoquer une vision fragmentée de l’innovation, entre une conception et une livraison d’un outil qui serait jugée comme satisfaisante d’un côté (conforme au cahier des charges initial, livré dans les temps et dans le respect du budget par exemple) et une exploitation de celui-ci qui s’avèrerait ne pas apporter les effets attendus de l’autre (design trop complexe, coût d’exploitation trop élevé, failles techniques) sans que des solutions ou corrections puissent être apportées. Les gains effectifs d’utilisation apportés par les nouveaux outils doivent pouvoir être mesurés régulièrement et mis à jour tout au long de la vie de l’outil, pour évaluer les effets de l’innovation sur le long terme, et en rendre compte auprès des utilisateurs notamment. Ceci implique que des indicateurs de performance des bénéfices du système d’information aient été pensés en amont dans le cadre d’un système d’évaluation plus vaste. La collaboration entre l’entité future utilisatrice et l’entité productrice de l’outil informatique est alors essentielle car elle permet d’intégrer les outils de mesure de la performance directement dans le système d’information afin d’assurer une collecte automatique des données au moindre coût par rapport à une mesure ex-post.
120. Développer les possibilités d’accompagnement à la maîtrise d’ouvrage à tous les stades d’un projet d’innovation. Le regard informé de tiers, experts ou chercheurs indépendants, venus de toutes les disciplines est une assurance supplémentaire pour la conduite du changement. Se laisser accompagner par eux dès l’identification et la définition des besoins, jusqu’à l’évaluation des effets produits par l’innovation, en passant par le design et la mesure de la performance de l’outil est un apport considérable i) pour bénéficier ponctuellement de compétences dont les organisations ne sont habituellement pas dotées en interne (sociologie, management, psychologie sociale, économétrie, anthropologie, etc.) ; ii) et pour garantir l’impartialité du processus de collecte et d’analyse des données vis-à-vis des utilisateurs et du public. Chaque regard extérieur est porteur d’idées ou d’informations nouvelles sur la stratégie et le développement des systèmes d’information dans un milieu professionnel donné. Les études préalables, scénarios ou retours d’expérience peuvent en effet s’enrichir de perspectives nouvelles grâce aux méthodes et interventions de spécialistes en sciences sociales, participer d’une meilleure diffusion des innovations, et informer les décideurs comme les praticiens des effets induits, désirés ou non, des solutions informatiques promues au rang des innovations pour les systèmes judiciaires. Elles sont particulièrement nécessaires pour analyser et apprendre des difficultés de mise en œuvre, déceptions ou échecs des projets informatiques, et ainsi mieux orienter les futures politiques de modernisation, selon des modalités de collaboration flexibles et ouvertes.
121. Valoriser les possibilités de réaffectation des ressources économisées d’un secteur à l’autre de la justice lorsque cela est possible. Bien que l’informatique soit associée à l’image d’une « création destructrice » l’innovation replacée dans un contexte judiciaire n’a pas pour finalité, ni comme unique moteur, d’économiser des ressources ou d’apporter des gains en termes d’efficacité. Elle peut comme cela a été vu aussi bien viser un plus grand accès ou un accès facilité à la justice, garantir un meilleur équilibre des armes entre les parties, ou encore améliorer la lisibilité des décisions ou la transparence du système judiciaire. Quand bien même l’efficacité serait au centre de l’innovation soutenue par l’informatique, le pilotage de celle-ci doit amener les promoteurs du changement à considérer la réaffectation des moyens économisés vers d’autres besoins comme étant une priorité dans leurs politiques. Ces réaffectations sont facteurs d’une meilleure mobilisation de la part des acteurs du système judiciaire et permettent d’élargir la base des réformes considérées. En effet, l’informatisation ne doit pas conduire à supprimer l’intervention humaine mais à soulager celle-ci lorsque cela est possible, en la délestant de certaines servitudes comme les tâches fortement répétitives ou de faible mobilisation intellectuelle. La cyberjustice peut être un horizon de valorisation pour les personnels concernés, qu’ils soient juges, procureurs, greffiers, avocats et autres auxiliaires de justice, en réaffectant leur temps de travail à des missions qu’il n’est pas pensable ou même souhaitable de voir accomplies par des machines. Des missions accessibles à l’intelligence et à la sensibilité humaines qui constituent encore aujourd’hui l’essence de la justice.
CHECK-LIST « CONDUIRE LE CHANGEMENT VERS LA CYBERJUSTICE »
1. Check-list à destination de l’organisation en charge de la conduite d’un projet informatique
· Préparation du projet
üUne évaluation rigoureuse des besoins a-t-elle été menée qui a su rester neutre vis à vis des pressions venant de la demande d’un côté et de l’offre de l’autre ?
üUn état des lieux complet des systèmes d’information en usage chez tous les acteurs et partenaires de la justice a-t-il été mené ?
ü Les infrastructures techniques existantes permettent-elles un déploiement aisé et une longévité suffisante du système d’information que vous considérez déployer ?
ü Y a-t-il dans votre environnement proche (judiciaire, extra-judiciaire, international) des précédents que vous avez pris la peine d’interroger avant de considérer l’introduction et le développement d’un système d’information particulier ?
ü Des leçons ont-elles été tirées des expériences passées (succès comme échecs) en matière de systèmes d’information ?
· Objectifs du projet
üDes objectifs clairs (mesurables et vérifiables) pour l’amélioration du fonctionnement du système judiciaire ont-ils été assignés au projet de transformation ayant recours au système d’information ?
üCes objectifs peuvent-ils être rattachés à la promotion de valeurs de justice et exprimés en fonction de ses valeurs ?
üAvez-vous procédé à un audit des procédures et des processus qui risquent d’être impactés, directement ou indirectement, par l’introduction du système d’information ?
üL’interopérabilité sera-t-elle assurée avec le nouvel outil ?
üAvez-vous vérifié s’il est nécessaire de mener une réforme de l’organisation judiciaire préalable ou parallèle à l’introduction du système d’information ?
üQuelle approche en termes de gestion du risque et de sécurité avez-vous développée s’agissant du système d’information considéré ?
üAvez-vous une politique particulière protectrice des droits des individus et du secret professionnel en matière de gestion des données produites et gérées par le système d’information considéré ?
· Moyens alloués au projet
ü Le besoin de financement associé au projet est-il correctement dimensionné eu égard aux différents coûts à prendre en considération et à la longévité du système d’information ?
ü Avez-vous en particulier pris en considération le coût spécifique de transition d’un système à l’autre et de possibles mises à jour ?
ü Un plan de retour sur investissement a-t-il été réalisé ?
ü Avez-vous défini des indicateurs clés de performance pour le nouvel outil ? Leur mesure a-t-elle été intégrée au design de celui-ci ?
ü Pouvez-vous réaffecter des ressources gagnées grâce au développement du système d’information vers d’autres secteurs du système judiciaire qui en auraient besoin ?
· Organisation du projet
üToutes les compétences dont vous avez besoin sont-elles réunies au sein de votre équipe projet ?
üAvez-vous considéré l’assistance dont vous pourriez bénéficier au titre de maître d’ouvrage aux différents stades du projet ?
üLa gouvernance du projet est-elle clairement définie ? Avez-vous considéré les bénéfices d’un pilotage unique et isolé du reste de l’administration ?
üLe pilotage du projet bénéficie-t-il d’une certaine souplesse de fonctionnement, en particulier dans la mise en œuvre des moyens du projet ?
üAvez-vous pensé avoir recours à des sites ou initiatives pilotes avant de déployer votre outil à grande échelle ?
üDes retours d’expérience en cours de projet sont-ils prévus afin de réajuster les méthodes de celui-ci ?
üUn dispositif de pilotage spécifique au projet se poursuivra-t-il une fois le système d’information livré afin d’intégrer les données de l’utilisation dans l’évaluation des objectifs fixés à l’outil ?
üAvez-vous considéré tous les risques et pris toutes les assurances relatives à l’intervention de prestataires extérieurs dans la construction et la mise en œuvre de votre système d’information ?
· Conduite du changement
üLes différents niveaux hiérarchiques sont-ils impliqués pour conduire activement le changement ?
üLes futurs utilisateurs ont-ils été associés étroitement à la construction de l’outil, et les resteront-ils tout au long de la vie du projet ? Des instances de concertation entre gestionnaire du projet et utilisateurs ont-elles été mises en place ?
üLes dispositifs de formation au nouvel outil envisagés permettent-ils une personnalisation en fonction des besoins de chaque utilisateur ?
üÊtes-vous sûr de communiquer de manière adaptée pour informer et rassurer votre public sur les objectifs et la conduite du projet ?
2. Check-list à destination des utilisateurs du système d’information
· Perception des utilisateurs du système informatique existant
üConsidérez-vous, de manière globale, que le système informatique prend suffisamment en compte vos besoins métiers ?
üLe système informatique a-t-il facilité l’exécution de vos tâches au quotidien ? A-t-il réduit le temps d’exécution de tâches redondantes ou récurrentes ? A-t-il apporté une expertise supplémentaire (calcul de délais de convocation, lien avec de la jurisprudence etc) ?
üConsidérez-vous l’ergonomie adaptée à l’exécution des tâches à réaliser ?
ü Le contenu du système informatique évolue-t-il correctement au regard des éventuelles évolutions législatives ou règlementaires ?
· Formation
ü Comment est organisée la formation au système informatique ? (obligatoire / facultative, organisée par le tribunal ou un service administratif / réalisée par un collègue)
ü Considérez-vous avoir été bien formé à l’utilisation du système informatique ?
ü Lors d’évolution dans le système informatique, comment êtes-vous formés à l’utilisation des nouveautés ?
· Administration de la juridiction
ü Le système informatique produit-il des tableaux de bord (statistiques, dénombrements) utiles pour le pilotage de la juridiction ?
ü Considérez-vous que les tableaux de bord produits sont fiables ? Devez-vous procéder à des recomptages selon d’autres méthodes ?
ü Les outils de la CEPEJ ont-ils été implémentés dans les tableaux de bord ?
ü Transmettez-vous ces statistiques à d’autres services judiciaires ou les données sont-elles directement extraites dans le système par ces services ?
· Souhaits d’évolution du système informatique existant
üVos demandes d’évolutions ou vos remarques sont-elles actuellement prises en compte par l’équipe gérant le système informatique ? Considérez-vous que vos demandes sont prises en compte de manière satisfaisante ?
üQuelles fonctionnalités souhaiteriez-vous voir évoluer dans le système informatique existant ?
üQuelles fonctionnalités considérez-vous comme indispensables et que vous ne souhaiteriez pas voir évoluer ?
BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE
La Cyberjustice dans les instruments du Conseil de l’Europe
« Systèmes judiciaires européens, efficacité et qualité de la justice : L’utilisation des technologies de l’information dans les tribunaux en Europe », les études de la CEPEJ n°24, édition 2016 (données 2014)
Comité Consultatif des Juges Européens (CCJE), Avis n°14(2011), « Justice et technologies de l’information ».
Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe, Résolution 2054 (2015), « L’accès à la justice et internet : potentiel et défis », Rapport : Doc. 13918 du 10 novembre 2015.
Comité Européen de Coopération Juridique du Conseil de l’Europe intitulée « L’utilisation des preuves électroniques dans les procédures civiles et administratives et son impact sur les règles et modes de preuve », CDCJ(2015), à paraître fin 2016.
« Dématérialisation des procédures judiciaires et utilisation des technologies de l’information et de la communication (TIC) dans les tribunaux », Rapport CEPEJ-COOP(2009)4, par Ronald Beau, Elsa Garcia Maltras De Blas, Georg Stawa.
« Utilisation des technologies de l’information et de la communication (TIC) dans les systèmes judiciaires Européens, Les études de la CEPEJ n°7 (2006), par Marco Velicogna.
Lettre d’information de la CEPEJ n°14, décembre 2015. Voir en particulier les contributions générales suivantes : « Evaluer l’impact des outils technologiques sur l’efficacité et la qualité de la justice », par Jean-Paul Jean ; Conduire le changement vers la Cyberjustice, par Yannick Meneceur ; L’utilisation des nouvelles technologies dans les tribunaux : outil indispensable à la gestion des affaires, par Fabio Bartolomeo. Et le dossier thématique en ligne « Conduire le changement vers la Cyberjustice » basé sur une session d’étude organisée par la CEPEJ le 10 décembre 2015 lors de sa 26ème réunion plénière.
[1] - Les données fournies par Chypre n'incluent pas celles des territoires qui ne sont pas sous le contrôle effectif du Gouvernement de la République de Chypre.
- Les données fournies par la République de Moldova n'incluent pas celles des territoires de Transnistrie qui ne sont pas sous le contrôle effectif du Gouvernement de la République de Moldova.
- Les données fournies par la Serbie ne comprennent pas les données du territoire du Kosovo * (toute référence au Kosovo dans ce texte, qu'il s'agisse du territoire, des institutions ou la population, doit se comprendre en pleine conformité avec la Résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations Unies et sans préjudice du statut du Kosovo).
- Les données relatives à l'Ukraine n'incluent pas les territoires qui ne sont pas contrôlés par le gouvernement ukrainien. Toutes les activités du Conseil de l'Europe concernant la République autonome de Crimée et la ville de Sébastopol visent à promouvoir les droits de l'Homme dans l'intérêt des personnes vivant dans ce territoire. Elles ne peuvent pas être interprétées comme reconnaissant ni les autorités qui exercent leur juridiction de fait, ni aucune altération de l'état du territoire en question.
- Les résultats du Royaume-Uni sont présentés séparément pour l’Angleterre et Pays de Galles, l’Ecosse et l’Irlande du Nord, car les trois systèmes judiciaires sont organisés différemment et fonctionnent de manière indépendante.
[2] « Systèmes judiciaires européens, efficacité et qualité de la justice : L’utilisation des technologies de l’information dans les tribunaux en Europe », les études de la CEPEJ n°24, édition 2016 (données 2014).
[3] Voir la résolution n°2054 (2015) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, Commission sur l’égalité et la non-discrimination, intitulée « l’égalité et la non-discrimination dans l’accès à la justice », pour qui le concept large d’accès à la justice renvoie aux différents éléments conduisant à la réparation appropriée de la violation d’un droit, tels que l’information sur les droits et les procédures, l’aide judiciaire, la représentation juridique, la qualité pour agir ou l’accès général aux tribunaux.
[4] Voir en particulier le chapitre III. de la Checklist intitulée « Accès à la justice, communication aux justiciables et au public ».
[5] Résolution n°2081 (2015) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, Commission juridique et des droits de l’Homme, intitulée « L’accès à la justice et internet : potentiel et défis », § 1 et 2.
[6] Voir les incitations en ce sens du Comité Consultatif des Juges Européens dans son avis n°14 (2011) sur « Justice et technologies de l’information (IT) » aux §19 à 24.
[7] Un objectif qui satisfait directement aux point suivants de la Check-list, III.1.2: « Des sites internet gratuits permettent-ils de prendre connaissance des textes de loi ? » ; III.1.4 : « Les décisions et les arrêts sont-ils disponibles sur le site internet du tribunal ? ».
Sur le même sujet, la « Magna Carta des juges » adoptée par le Comité Consultatif des Juges Européens (CCJE) en 2010 souligne en son §14 sur l’accès à la justice que « La justice doit être transparente et des informations doivent être publiées sur le fonctionnement du système judiciaire ».
Le CCJE qui énonçait déjà dans un avis n°7 (2005) sur « justice et société » au §6 que « Le développement de la démocratie dans les États européens implique que les citoyens reçoivent une information appropriée sur l’organisation des pouvoirs publics et les conditions d’élaboration des règles de droit. Il est tout aussi important pour les citoyens de connaître le fonctionnement des institutions judiciaires ». Et également plus loin, au §13 : « Le CCJE a déjà déclaré de façon générale que les tribunaux eux-mêmes devraient participer à la diffusion d’informations concernant l’accès à la justice (rapports périodiques des tribunaux,guides pour les citoyens, sites Internet, bureaux d’information, etc.) ; le CCJE a déjà formulé ses recommandations sur le développement de programmes éducatifs dans le but de présenter des informations spécifiques (telles que le caractère des procédures ; la durée moyenne de la procédure judiciaire dans les différents tribunaux ; les frais de justice ; les moyens alternatifs de règlement des litiges proposés aux parties ; les décisions les plus marquantes prononcées par les tribunaux) (voir paragraphes 12-15 de l’Avis n° 6 (2004) du CCJE) ».
[8] Des fonctionnalités qui renvoient aux points suivants de la Check-list, III.1.9 : « Des informations sur le fonctionnement des tribunaux sont-elles disponibles et facilement accessibles aux citoyens ? » ; III.1.10 : « L’information sur les droits et devoirs des citoyens (découlant de la législation) est-elle largement accessible (par exemple par le biais d’un numéro de téléphone général) ? ; III.1.13 : « Une liste des avocats est-elle disponible à l’accueil du tribunal ou sur son site internet ? » ; III.2.3 : « Les coûts/frais de procédure sont-ils transparents ? » ; II.8.1 : « Existe-t-il une liste à jour des experts et des interprètes du tribunal qui peut être consultée ? ».
[9] À rapprocher de la résolution n°2054 (2015) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe précitée sur l’égalité et la non-discrimination dans l’accès à la justice précitée, aux § 4.1 et 4.2 : « L’Assemblée invite les États membres à promouvoir et à améliorer les connaissances juridiques en recherchant et mettant en œuvre des mécanismes d’information spécifiques et des stratégies de communication innovantes ; à veiller à ce qu’une information suffisante sur les droits et les procédures soit disponible dans différentes langues et dans différents formats dans un langage clair, et à s’appuyer sur des intermédiaires de la société civile pour diffuser des informations ciblées ».
[10] Voir notamment l’Open Government Partnership lancé en 2011 qui repose sur un groupement d’États aux politiques volontaristes en la matière, et les nombreuses déclinaisons nationales qu’il peut susciter.
[11] Voir à ce sujet le point 16 du Préambule de la Directive 2003/98/CE du Parlement Européen et du Conseil du 17 novembre 2003 concernant la réutilisation des informations du secteur public : « La publicité de tous les documents généralement disponibles qui sont détenus par le secteur public – non seulement par la filière politique, mais aussi la filière judiciaire ou administrative – constitue un élément essentiel pour développer le droit à la connaissance, principe fondamental de la démocratie. Cet objectif est applicable aux institutions, et ce, à tous les niveaux, tant local que national et international ».
[12] Il convient de rappeler ici la protection offerte par l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme s’agissant de la confidentialité des données à caractère personnel sous l’angle du respect à la vie privée, allant même jusqu’à reconnaître que des restrictions soient apportées au principe du contradictoire pour la protection de documents confidentiels dans le cadre d’une instance en justice (décision rendue le 21 juin 2007 dans l’affaire Antunes et Pires c. Portugal, req. n°7623/04). Aussi, les systèmes d’information judiciaires doivent-ils garantir une totale inviolabilité des données transmises et un parfait respect du secret professionnel selon la Cour, en application des droits combinés de la défense de l’article 6 et du respect à la vie privée de l’article 8 de la Convention (voir la décision rendue le 24 juillet 2008 dans l’affaire André c. France, req. n°18603/03).
De son côté, le Comité Consultatif des Juges Européens dans son avis n°14 (2011) estime que « compte tenu de la nature des contentieux traités par les juridictions, la mise à disposition en ligne sur internet de certaines décisions de justice est susceptible de mettre en péril le droit à la vie privée des personnes et de porter atteinte aux intérêts des entreprises. C’est pourquoi, les tribunaux et les systèmes judiciaires devraient s’assurer que des mesures appropriées soient prises pour la protection des données conformément au droit applicable en la matière », §17.
[13] Conformément au CCJE qui « encourage le développement des TI en tant qu’outils pouvant améliorer la communication entre les tribunaux et les médias, par exemple en donnant aux médias un accès plus facile aux décisions judiciaires ainsi qu’une notification des audiences à venir », Avis n°14 (2011), §18.
[14] Une telle politique participe à la mise en œuvre du point I.2.2 de la Check-list : « L’administration judiciaire communique-t-elle largement sur la mission / la vision et la stratégie auprès des bénéficiaires, des juges et procureurs et des agents ? ».
[15] La Check-list propose en son chapitre II un certain nombre de questions sur ce thème, permettant de mesurer la diversité des informations qu’il est possible de rendre public : II.10.4 : « Existe-t-il une politique relative à la publication de l’évaluation des résultats ? » ; II.10.7 : « Le pourcentage des affaires traitées par un collège de juges est-il enregistré et publié ? » ; II.10.8 : « Le nombre de récusations acceptées est-il enregistré et publié ? » ; II.10.9 « Le nombre des appels est-il enregistré et publié ? » ; II.10.12 « La durée des procédures est-elle systématiquement enregistrée et publiée ? » ; À l’inverse, la check-list n’envisage pas la diffusion au public des informations suivantes, mais seulement leur enregistrement pour un usage interne : II.10.10 « La productivité des juges et des agents des tribunaux est-elle enregistrée ? » ; II.10.11 « Le pourcentage des décisions censurées est-il enregistré ».
[16] Sur ces questions, voir l’avis n°7 (2005) du CCJE, et spécialement les recommandations qui figurent dans la section C relative aux « relations des tribunaux avec les médias ».
[17] Voir les points suivants de la Check-list III.6.7 : « Les parties ont-elles la possibilité de recevoir, à tout moment, des informations relatives à la situation de la procédure en cours : directement (information donnée directement ou via internet) ? Indirectement, par le biais du conseil (avocat ou représentant légal) ? ; II.7.2 : « Existe-t-il un système de notification des décisions judiciaires ? ».
[18] Ce principe de spécialité est important à souligner car, selon la Cour Européenne des Droits de l’Homme, « si la participation de l’accusé aux débats par vidéoconférence n’est pas en soi contraire à la convention, il appartient à la Cour de s’assurer que son application dans chaque cas poursuit un but légitime », CourEDH, Marcello Viola c. Italie, 5 octobre 2006, n°45106/04, §67.
[19] Un recours aux systèmes d’information à mettre en regard du point 1.4.5 de la Check-list : « L’effectivité et l’efficacité des procédures judiciaires et d’ADR sont-elles systématiquement évaluées ? ».
[20] Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe, Rapport préalable à la résolution 2081 (2015), « L’accès à la justice et internet : potentiel et défis » précitée, Doc. 13918 du 10 novembre 2015, § 27 à 30.
[21] On renverra ici aux « Lignes directrices relatives à la création de cartes judiciaires visant à faciliter l’accès à la justice dans un système judiciaire de qualité », CEPEJ(2013)7, qui à la section 2.3.5 sur l’informatisation précisent : « La consolidation des tribunaux devrait cependant aller de pair avec une utilisation accrue des TIC pour réduire la fréquence des déplacements des parties et des avocats dans les tribunaux. De plus, les TIC devraient être utilisées pour accroître la visibilité des procédures judiciaires. Les applications logicielles se substituent aux documents papier et permettent aux usagers de ne pas se présenter en personne. Plus elles sont développées, plus le tribunal peut être éloigné. Lors du choix de l’emplacement des tribunaux, l’informatisation peut apporter une certaine souplesse, qui détermine les services à mettre en place au niveau de chaque instance judiciaire ».
D’un avis différent, le CCJE considère de son côté au §20 de son avis n°14 (2011) précité que « le développement des TI ne peut justifier la suppression de tribunaux ». sans doute convient-il de comprendre qu’il ne peut le justifier « à lui seul », ce qui renvoie à la nécessité d’inscrire le développement des TI dans une stratégie plus large que préconisent ces Lignes Directrices.
[22] Avis n°14 (2011) du CCJE, §6.
[23] Ainsi l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe invite-t-elle les États membres « à recourir aux nouvelles technologies » pour promouvoir l’accès à la justice, mais « à veiller à ce que les catégories de personnes défavorisées à cet égard aient à leur disposition d’autres formes d’accès aux institutions judiciaires », Résolution n°2054 (2015) précitée, § 5.3.
Dans le même esprit, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) fait remarquer dans l’un de ses arrêts que l’exercice des droits « pourrait être rendu pratiquement impossible ou excessivement difficile pour certains justiciables, et notamment ceux ne disposant pas d’un accès à internet, s’il ne pouvait être accédé à la procédure (ici, de conciliation) que par voie électronique ». Ainsi, selon la Cour, la protection juridictionnelle invoquée résultant des articles 6 et 13 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme et 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne, est assurée pour autant que la voie électronique ne constitue pas l’unique moyen d’accès à la procédure (de conciliation) : Affaires jointes : Rosalba Alassini et Filomena Califano c. Wind SpA, Lucia Anna Giorgia Iacono c. Telecom Italia SpA, Multiservice Srl c. Telecom Italia SpA, C-317/08 à C-320/08, arrêt du 8 mars 2010, §58 et 60.
La Cour Européenne des Droits de l’Homme de son côté, impose une obligation positive aux États d’équiper les juridictions et de prévoir les moyens nécessaires pour assurer concrètement le recours aux technologies d’accès à la justice : affaire Lawyer Partner c. Slovaquie, décision n°54252/07 du 16 juin 2009. En l’occurrence le tribunal avait refusé d’inscrire au rôle une affaire au motif qu’il ne disposait pas des moyens techniques pour le faire, alors que la législation offrait bien au requérant la possibilité d’une saisine électronique.
[24] Avis n°14 (2011) du CCJE précité, §9 et 10.
[25] La communication électronique apparaît ici comme un moyen parmi d’autres pour mettre en oeuvre le point Check-list II.4.6 de la Check-list : « Les procédures sont-elles organisées de façon à obtenir un règlement rapide du litige ? ».
[26] Un apport à la qualité de la justice directement visé par le point II.9.5 de la Check-list : « Est-il possible de déposer des documents au tribunal sous forme électronique ? ».
[27] Voir précédemment d’autres développements de la visioconférence, pris sous l’angle de l’accès à la justice (Section 1.1.1).
[28] Participant ainsi de la mise en œuvre du point II.8.2 de la Check-list : « la juridiction collabore-t-elle avec d’autres institutions (police, avocats, procureurs, assistants sociaux, curateurs, experts, etc. ?) ».
[29] Voir le point II.4.7 de la Check-list : « Les procédures sont-elles organisées et se déroulent-elles en sorte que les dépenses pour les parties et les autres personnes impliquées dans les procédures subissent un coût minimal ? ».
[30] Voir à ce sujet l’étude du Comité Européen de Coopération Juridique du Conseil de l’Europe (CDCJ) intitulée « L’utilisation des preuves électroniques dans les procédures civiles et administratives et son impact sur les règles et modes de preuve », CDCJ(2015), à paraître fin 2016.
[31] Voir sur ce sujet le chapitre V. de la Check-list et les développements ultérieurs sur la sécurité dans ce document : sous l’angle de la vulnérabilité d’une administration tout électronique de la justice (Section 1.4.1), et l’approche du sujet sécurité qu’il convient d’avoir dans le cadre de la conduite de projet (Section 2.1).
[32] Voir la Check-list qui dans sa section II.3 fait expressément référence à la sécurité juridique en tant qu’objectif de qualité de la justice, évoquant par exemple l’apport du recours à un système interne pour la jurisprudence (II.3.2) ; ou d’une manière plus générale le recours à des outils permettant d’aider à remplir l’objectif d’une préparation soigneuse de l’audience par le juge (II.3.8).
[33] Concourant à la mise en œuvre des points suivants de la Check-list IV.4.1 : « L’administration judiciaire facilite-t-elle une culture du partage des connaissances ? » ; IV.4.2 : « Les sources de connaissances judiciaires sont-elles disponibles et facilement accessibles ? » ; IV.4.6 : « Les juges participent-ils à des fora de discussions de leurs propres décisions : avec des collègues d’autres juridictions ? Avec des intervenants réguliers, comme les avocats ? Avec d’autres tiers ? » ; IV.4.9 : « Existe-t-il suffisamment de possibilités d’autoformation des juges et procureurs ? ».
[34] Voir la plus-value en matière de qualité de la justice qu’apportent selon la Check-list les points suivants : la connaissance en temps réel (de) l’état des affaires en cours dans son cabinet (II.4.1), information qui peut même être partagée au sein du cabinet (II.4.3) ; ou encore comme outil à l’appui d’une politique de gestion des audiences (II.5.1).
[35] C’est en ces termes que le rapporteur à la Résolution n° 2081 (2015) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe voit la contribution des outils d’aide à la décision (ici en matière pénale) : « Le systèmes d’aide au choix des peines offrent aux juges chargés de déterminer les peines le moyen de consulter facilement les informations relatives au choix des peines dans des affaires similaires, sans pour autant restreindre le pouvoir d’appréciation judiciaire des magistrats, en vue de renforcer la cohérence de la pratique des différents tribunaux et de favoriser ainsi l’égalité de traitement et la sécurité juridique. (…) Les technologies telles que les bases de données électroniques de jurisprudence et les systèmes d’aide au choix des peines peuvent (…) contribuer à rendre l’issue des procédures plus juste, plus égalitaire et plus prévisible », Rapport, Doc. n°13740 du 31 mars 2015, §65 et 66.
[36] Les questions posées par le recours, et les limites du recours aux trames de jugement, se retrouvent dans la Check-list aux point suivants, III.5.1 : « Le prononcé et les motifs de la décision du juge sont-ils compréhensibles ? » ; III.5.2 : « Les motifs de la décision sont-ils exposés de manière détaillée et systématique ? » ; III.5.3 : « La motivation des décisions parvient-elle à guider clairement les parties et les professionnels de la justice dans leur acceptation de l’équité et la légalité des décisions ? » ; III.5.4 : « Existe-t-il des règles et des normes utilisées pour présenter les décisions judiciaires ? » ; III.5.5 : « Les attentes des parties, des avocats, des juridictions inférieures ou supérieures, sont-elles prises en considération lors de l’élaboration des décisions judiciaires ? » ; III.5.6 : « Des décisions et règles ‘standards’ sont-elles utilisées pour des types d’affaires déterminées ? ».
[37] Avis n°14 (2011) précité, §27 et 35.
[38] CourEDH, décision du 21 mars 2000, affaire Dulaurans c. France, req. n°34553/97.
[39] Avis n°14 (2011) précité, §8 et 34.
[40] Avis n°14 (2011) précité, §28.
[41] Conformément au point II.9.1 de la Check-list : “Existe-t-il un système informatisé de gestion des dossiers permettant d’enregistrer et de suivre les dossiers et les procédures ?”.
[42] A rapprocher des points suivants de la Check-list, II.10.3 : « L’administration judiciaire évalue-t-elle périodiquement la production des tribunaux ? » ; II.10.13 : « Est-il possible de déterminer le nombre total d’affaires pendantes et d’affaires jugées dans une période de temps déterminée ? » ; II. 10.14 : « La nature des affaires pendantes est-elle analysée systématiquement ? »
[43] Voir la Check-list au point I.3.1 : « Existe-t-il un système pour suivre en permanence la charge de travail d’un juge ? ».
[44] Voir la Check-list aux point suivants, II.10.16 : « Existe-t-il un système d’évaluation quantitative et qualitative de l’activité de chaque juge ? » ; II.10.18 : « Chaque juge a-t-il accès à l’information concernant son propre cabinet, ceux de ses collègues et aux chiffres concernant l’ensemble de la juridiction ? ».
Sur le sujet de l’évaluation, le comité Consultatif des Juges Européens estime de son côté que les TI « peuvent jouer un rôle concernant l’évaluation des juges et des tribunaux. Cependant, les données collectées par les systèmes informatisés ne peuvent être les seules bases pour une analyse du travail individuel des juges », Avis n°14 (2011) précité, §39.
[45] Dans l’esprit des points suivants de la Check-list : I.3.2 : « Le tribunal a-t-il la possibilité de réallouer les affaires ou d’allouer les affaires pour gagner en efficacité ? » ; II.5.5 : « Existe-t-il un système informatisé utilisé pour une planification efficace des audiences ? »
[46] Des outils qui permettent la mise en oeuvre des points suivants de la Check-list, II.6.3 : « Existe-t-il une politique pour gérer le flux des affaires et prévenir les retards ? » ; II.6.4 Des mesures sont-elles prises pour accélérer le traitement des affaires ayant subi un retard et pour réduire l’arriéré judiciaire ? » ; II.7.4 : « Les délais entre l’élaboration de la décision finale et son exécution est-il contrôlé périodiquement ? ».
[47] Sur ce sujet, voir l’étude de F. De Santis, « Quelles actions pour améliorer le fonctionnement de la justice et décharger les systèmes judiciaires », CEPEJ-GT-QUAL(2016)1, à paraître fin 2016, spécialement la section 3.3 intitulée « Informatisation de l’enregistrement et de la gestion des affaires, digitalisation du dossier et des communications ».
[48] Voir la seconde partie de ces Lignes Directrices et notamment les paragraphes 2.4 et 2.5 ; Voir également les points V.2.4 et V.2.5 de la Check-list : « Est-ce que les informations recueillies dans le système informatisé de gestion du tribunal permettent de donner une image complète de la production du tribunal ? » ; « L’analyse des données enregistrées dans le système informatisé de gestion du tribunal est-elle à la portée de tous les agents du tribunal (ou du personnel autorisé) ou est-elle limitée à des agents spécialisés (informaticiens par exemple) ? ».
[49] Par exemple, au point I.3.4 de la Check-list (« L’administration judiciaire a-t-elle défini une méthode objective pour répartir les affaires entre les juges ») celle-ci prend-elle bien la peine de préciser au point suivant (I.3.5) : « Cette information a-t-elle été portée à la connaissance de l’ensemble de l’organisation du tribunal ? ».
[50] Avis du CCJE n°14 (2011) précité, §11.
[51] À rapprocher de la Check-list au point II.9.4 : « Existe-t-il un système de dossiers électroniques au sein des tribunaux ? »
[52] Check-list pour la promotion de la qualité de la justice et des tribunaux (CEPEJ(2008)2E).
[53] « Systèmes judiciaires européens, efficacité et qualité de la justice : L’utilisation des technologies de l’information dans les tribunaux en Europe », les études de la CEPEJ n°24, édition 2016 (données 2014).
[54] Avis n°14 (2011) du CCJE « Justice et technologies de l’information (TI) », §5.
[55] En ce sens, la Check-list au point V. 2.1 évoque la nécessité de développer « une politique relative à l’utilisation des technologies de l’information et de la communication dans les tribunaux (justice électronique, vidéoconférence, échange de données électroniques, etc.) ».
[56] Voir les développements sur ce sujet dans la première partie des Lignes directrices, Sections 1.2.1 à propos du développement des communications électroniques et 1.4.1 sur la vulnérabilité d’une administration tout électronique de la justice.
[57] Voir les points suivants de la Check-list, V.3.7 « L’administration judiciaire a-t-elle formulé une politique concernant la sécurité physique et informatique du tribunal ? ; V.4.4 : « La sécurité des systèmes d'information est-elle garantie ? » ; V.4.5 « Les risques de perte, de dégâts matériels sont-ils couverts ? ».
[58] Conformément au point V.2.3 de la Check-list : « Le développement du système d’information ‘métier’ est-il techniquement compatible avec les autres systèmes opérationnels des tribunaux (par exemple les systèmes de gestion des affaires, le système d’information financière, etc.) ?».
[59] Résolution 2081 (2015) précitée, Rapport, doc. 13918, 10 novembre 2015, §69.
[60] Le champ de la cyberjustice s’inscrit ainsi pleinement dans le sens du point I.2.1 de la Check-list : « L’administration judiciaire a-t-elle formulé une mission/une vision et une stratégie (il convient d’intégrer les caractéristiques fondamentales de la justice que sont l’impartialité, l’indépendance, l’unicité du droit et l’accessibilité) ? ».
[61] Avis n°14 (2011) du CCJE, conclusion/recommandation n°4.
[62] Ainsi que le recommande d’une manière générale la Check-list dans son point I.4.2 : « La mise en œuvre des politiques relatives aux changements de la structure de l’organisation des tribunaux est-elle régulièrement évaluée ? »
[63] A cela on peut ajouter comme l’écrit le rapporteur de la Résolution 2081 (2015) au §67 du rapport précité : « Le risque de diminution à court terme de la productivité après la mise en place des TIC souligne l’importance de l’étalement dans le temps des nouvelles technologies. Il importe que les tribunaux soient conscient de la courbe d’apprentissage qui accompagne l’intégration des nouvelles technologies, notamment si la baisse d’efficacité à court terme peut limiter les futurs investissements dans les TIC ».
[64] À inclure dans un audit plus large sur les risques, comme le préconise la Check-list au point I.4.1 : « Existe-t-il un système d’audit portant sur la gestion des risques stratégiques ? ».
[65] Voir la Check-list aux points V.2.6 et V.2.7 : « Des règles ont-elles été définies quant à la confidentialité du traitement de l'information (par exemple interdiction de rentrer des données dans le système depuis chez soi) ? » ; « La sécurité de l'information contenue dans le système est-elle assurée (contre la possibilité d'introduction dans le système des hackers) ? ».
[66] Avis n°14 (2011) précité, §16.
[67] Voir par exemple la Convention pour la protection des personnes à l'égard du traitement automatisé des données à caractère personnel du Conseil de l’Europe en date du 28 janvier 1981.
[68] Ainsi que le note le rapporteur à la Résolution 2081 (2015) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (§70 du rapport précité) : « La violation des systèmes de sécurité pourrait entraîner la falsification de documents ou la divulgation d’informations confidentielles (…). Au vu de ces éléments, les tribunaux doivent réfléchir à des mécanismes permettant d’améliorer la sécurité des données et aux possibilités d’établir des procédures sans utilisation de papier à un niveau de sécurité équivalent à celui des procédures classiques ».
[69] À rapprocher de la Check-list aux points suivants, II.9.2 : « Existe-t-il une politique spécifique relative à l’archivage des dossiers et des décisions de justice ? » ; II.9.3 : « Existe-t-il un système d’information (électronique) pour l’archivage des dossiers et des décisions de justice ? ».
[70] Voir en ce sens l’Avis n°14 (2011) du CCJE précité au §15, pour qui si « l’utilisation des TI améliore l’accès à la justice, et accroît son efficacité et sa transparence (…) néanmoins, les TI requièrent des investissements financiers importants. C’est pourquoi, la recommandation selon laquelle il convient de renforcer l’accès à la justice par l’utilisation de TI doit s’accompagner d’allocations financières appropriées au système judiciaire ».
[71] Voir la Check-list au point I.2.5 : « L’administration judiciaire prend elle en compte les attentes au regard des besoins et souhaits justifiés des parties prenantes internes et externes lorsqu’est préparée une politique judiciaire ? ».
[72] Voir la recommandation du CCJE dans son Avis n°14 (2011) au §8 : « Les juges doivent être impliqués dans l'appréciation des impacts des TI, notamment lorsqu’il peut être exigé ou décidé que la documentation ou la procédure soient mises en œuvre par la voie électronique ».
[73] Voir la Check-list au point I.2.7 : « L’administration judiciaire instille-t-elle une culture destinée à stimuler et à inspirer le progrès de l’ensemble de l’organisation ? ».