Strasbourg, 4 décembre 2018
CEPEJ(2018)15
COMMISSION EUROPEENNEPOUR L’EFFICACITE DE LA JUSTICE
(CEPEJ)
GUIDE SUR LA Communication
des tribunaux et des autorités judiciaires de poursuite pénale
avec le public et les média
Tel qu’adopté lors de la 31ème réunion plénière de la CEPEJ
Strasbourg, 3 et 4 décembre 2018
Table des matières
1.1. Destinataires et objectifs du guide
1.3. Un monde de communication
1.4. Transparence, dans le respect des droits fondamentaux
1.5. Stratégie de communication
2. OBJET DE LA COMMUNICATION JUDICIAIRE
3.2. Associations de juges et/ou de procureurs
3.4. Tribunaux / ministères publics
3.5. Juges et procureurs individuellement
3.8. Formation des juges et procureurs aux techniques de communication
3.9. Liberté d’expression des juges et procureurs
4.5. Réponse écrite à des questions écrites
4.11. Quantité, qualité, teneur et timing de la communication
5. INFORMATION SUR L’ACTIVITE JUDICIAIRE, EN GENERAL
6. COMMUNIQUER SUR DES AFFAIRES SPECIFIQUES
6.3. Ministère public / autre autorité judiciaire de poursuite pénale
9. RÉSUMÉ, CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS
Visibilité, transparence et stratégie
Objet de la communication judiciaire
Communication sur des procédures en cours
Guide sur la communication avec les media et le public à l'intention des tribunaux et des autorités chargées des poursuites
Document préparé par le
Groupe du travail sur la qualité de la justice de la CEPEJ (CEPEJ-GT-QUAL)
sur la base d'une contribution de M. Pierre Cornu, expert scientifique, (Suisse)
1. Le présent guide est destiné aux tribunaux et aux autorités judiciaires de poursuite pénale (ministères publics et, là où ils existent, juges d’instruction).
2. Il vise à les aider à gérer la communication avec le public et les media, notamment sur le fonctionnement général des institutions judiciaires, les questions courantes au sujet de l’activité de ces institutions, des affaires particulières ou encore dans des situations de crise.
3. Il traite donc de la communication externe et non de la communication à l’interne des institutions judiciaires.
4. Au sujet de la communication des autorités judiciaires, on peut aussi se référer aux documents suivants :
· Avis n° 7 (2005) du Conseil consultatif de juges européens (CCJE) à l’attention du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe sur « Justice et société », adopté par le CCJE lors de sa 6ème réunion (Strasbourg, 23-25 novembre 2005) (cité : avis N° 7 CCJE).
· Avis (2013) N°8 du Conseil consultatif de procureurs européens sur les relations entre procureurs et medias, adopté par le CCPE lors de sa 8ème réunion plénière (Erevan, 8-9 octobre 2013) (cité : avis N° 8 CCPE).
5. Des trois pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, c’est ce dernier qui reste le moins visible des citoyens, essentiellement parce que c’est celui qui se manifeste le moins dans le débat public.
6. Cette différence s’explique en bonne partie par le fait que les membres des deux autres pouvoirs doivent constamment justifier de leurs activités, positions et projets envers leurs électeurs ; depuis toujours, le personnel politique a compris que pour atteindre ces derniers, des efforts de communication doivent être mis en œuvre, par tous les moyens à disposition. En ce sens, la communication fait partie de l’ADN des responsables politiques, habitués à y consacrer du temps et des efforts. Les institutions judiciaires ne sont généralement pas soumises aux mêmes impératifs : leur « clientèle » n’a le choix que d’utiliser leurs services, ou de s’en passer. Les magistrats judiciaires ne sont ordinairement pas soumis à réélection et ils ressentent forcément une pression moins importante pour se faire connaître et informer le public de leurs activités. A cela s’ajoute que les magistrats judiciaires sont en principe soumis au secret de fonction en rapport avec les dossiers qu’ils traitent et que de toute manière, dans leur très large majorité, ils estiment – à juste titre – devoir s’imposer une certaine réserve dans leurs contacts avec les media.
7. En conséquence, la justice peut être plutôt mal connue et comprise par les justiciables, le personnel politique et les media, qu’il s’agisse par exemple du fonctionnement général des institutions judiciaires, des méthodes de traitement des dossiers ou encore des limites que la loi fixe aux prononcés des tribunaux. Pour beaucoup, le fonctionnement de la justice demeure obscur, ce que l’usage – notamment en audience – d’un langage parfois hermétique n’arrange pas. Cependant, dans certains pays européens, le public tend à avoir des institutions judiciaires une image plutôt positive et peut parfois accorder une confiance nettement plus grande à la justice qu’aux responsables politiques et aux journalistes. Le CCJE, dans son avis N° 7, ch. 8, a relevé ceci : « Les tribunaux sont, et le public les accepte comme tels, l’endroit approprié pour l’affirmation des droits et obligations juridiques et pour le règlement des litiges qui s’y rapportent ; le public, dans sa majorité, respecte les tribunaux et croit en leur capacité à remplir cette fonction. Cependant, la compréhension du rôle de la justice dans les démocraties – en particulier le fait de comprendre que le devoir du juge est d’appliquer la loi de manière juste et égale, sans tenir compte d’éventuelles pressions sociales ou politiques – varie considérablement selon les pays et les modèles socio-économiques en Europe. La confiance qui est accordée à l’activité des tribunaux n’est donc pas uniforme ».
8. Nous vivons dans un monde de communication, où les activités des institutions font l’objet d’un débat public nourri et la critique envers elles s’exerce avec moins de retenue et plus d’immédiateté que par le passé. Les parties aux procédures et leurs avocats, parfois des policiers ou d’autres personnes encore, ne se privent pas de commenter publiquement les affaires en cours et les décisions prises.
9. Rien n’est acquis, en termes d’image, et la justice ne peut pas échapper à cette tendance. Chaque erreur présumée est susceptible de recevoir le plus large écho, avec des conséquences potentiellement néfastes pour l’institution et ceux qui la représentent. Il en résulte que la justice ne peut plus se contenter, comme dans un certain passé, de vivre dans une tour d’ivoire, de rendre ses jugements sans se soucier de la manière dont ils seront reçus et compris et de contempler avec plus ou moins de détachement l’agitation de la population et des media, en contrebas.
10. Autrefois, une attitude défensive face aux media pouvait passer pour une bonne manière d’appréhender la communication.
11. Aujourd’hui, les juges et les procureurs devraient savoir – et, pour beaucoup d’entre eux, ont bien compris - qu’ils ne peuvent échapper à la médiatisation d’une partie toujours plus large de leurs activités et que les institutions judiciaires, nolens volens, doivent affronter les défis liés à la communication.
12. Cette tendance est aussi liée aux exigences toujours plus grandes de transparence de l’activité étatique. La transparence est vitale pour un fonctionnement efficace de la justice, en ce sens qu’elle permet aux tribunaux et ministères publics de gagner la confiance et le respect de la population et, dans le même temps, de promouvoir une image de qualité. La confiance du public envers la justice dépend d’ailleurs de la compréhension qu’il peut avoir de l’activité judiciaire. Cette compréhension conditionne aussi l’accès à la justice par les citoyens.
13. Dans son avis N°8, le CCPE s’est exprimé de la manière suivante sur cette exigence de transparence : « La transparence dans l’exercice des fonctions du procureur est une composante essentielle de l’Etat de droit et l’une des garanties importantes du procès équitable. Il faut non seulement que justice soit rendue, mais encore qu’elle soit ainsi perçue. Afin que cela soit possible, les media devraient être en mesure de donner des informations sur les procédures judiciaires, pénales ou autres » (ch. 30). « Appliquer le principe de transparence aux activités des procureurs est un moyen d’assurer la confiance du public et la diffusion d’informations sur leurs fonctions et compétences. L'image du ministère public contribue beaucoup à la confiance du public dans le bon fonctionnement de la justice. Donner aux media le droit le plus étendu possible en matière d’accès aux informations sur les activités des procureurs permet également de renforcer la démocratie et de développer une interaction ouverte avec le public » (ch. 31).
14. Le monde judiciaire peut saisir la chance de considérer que « les journalistes sont des partenaires, pas des adversaires », comme le dit le concept de communication du Ministère public de la Confédération helvétique. Les journalistes ont besoin des informations que l’institution judiciaire peut leur fournir. La seconde peut profiter de ses contacts avec les premiers pour expliquer son activité et renforcer son image.
15. Le CCJE a reconnu que « le rôle des media est essentiel pour fournir au public des informations sur la fonction et les activités des tribunaux » (avis N° 7 CCJE, ch. 9). Il a aussi relevé que « les professionnels des media sont entièrement libres du choix des sujets susceptibles d’être portés à la connaissance du public et de la manière de les traiter. Il ne s’agit pas d’empêcher les media d’émettre des appréciations critiques sur l’organisation ou le fonctionnement de la justice. La justice devrait accepter le rôle des media qui peuvent au demeurant, en tant qu’observateurs extérieurs à l’institution, mettre en évidence des dysfonctionnements et contribuer de manière constructive à l’amélioration de la pratique des tribunaux et de la qualité des services offerts aux usagers » (ch. 33).
16. Pour la justice, il est souvent possible de fixer un cadre et des conditions à ces interactions, cadre qui permet à la fois de respecter le secret de fonction, en particulier s’agissant de procédures non publiques, et de répondre aux souhaits des media quand ceux-ci sont légitimes. Ce faisant, il est évidemment nécessaire de maintenir l’équilibre entre la dignité de l’institution judiciaire et de ses représentants, qui comprend une certaine réserve, d’une part, et les nécessités de communication par des moyens adaptés et modernes, d’autre part.
17. Les institutions judiciaires ne peuvent pas se contenter d’améliorer ponctuellement leur communication, quel qu’en soit l’objet. Cette communication devrait au contraire s’inscrire dans une stratégie générale. Celle-ci devrait :
· Porter sur l’information du public au sujet non seulement des procédures traitées, mais aussi de l’ensemble de l’activité judiciaire.
· Prendre en compte l’utilisation de tous les moyens de communication à disposition, notamment des nouvelles technologies et des outils correspondants.
· Définir le public-cible de chaque genre de communication (public en général, media spécialisés, juges et procureurs, autorités politiques, avocats, étudiants, parties aux procédures, etc.).
· Déterminer les situations dans lesquelles chaque groupe-cible a besoin de recevoir une communication.
· Définir le message que l’autorité judiciaire veut faire passer.
18. La partie la plus visible de la communication judiciaire concerne les informations données au public et aux media sur l’activité concrète de la justice, dans des affaires particulières, soit la diffusion d’informations au sujet de procédures d’une importance spécifique que traitent les autorités judiciaires. L’intérêt du public et des media pour ces procédures peut être lié à la gravité des faits (crimes de sang, fraudes de grande ampleur, etc.), à la notoriété des personnes concernées (succession d’un artiste célèbre, poursuites pénales contre des membres d’autorités, etc.), aux principes qui doivent être appliqués à des situations particulières (suicide assisté, mort clinique, état-civil des personnes transgenres, etc.), à la saison (infractions dans les stations balnéaires en été, etc.) ou encore à d’autres particularités des affaires (procédés particulièrement astucieux, etc.). La médiatisation d’un dossier peut aussi survenir là où on ne s’y attend pas, parce qu’un journaliste s’y est intéressé ou quand quelqu’un a donné du dossier un écho sur un réseau social. Dans tous ces cas, la société attend de la justice qu’elle communique sur les dossiers, en fournissant les éléments qui en permettent la compréhension, voire en confirmant ou infirmant les informations qui se trouvent déjà dans le domaine public.
19. Indépendamment de procédures particulières et dans une perspective plus large, l’objet de la communication judiciaire peut consister à affirmer le rôle de la justice dans la société, en expliquant le rôle et le fonctionnement des institutions judiciaires, en général. Trop souvent, le pouvoir judiciaire est considéré comme un pouvoir «mineur», en ce sens qu’il serait moins important que les autres pouvoirs (dans certains Etats, on parle d’ailleurs d’ « autorité judiciaire », plutôt que de « pouvoir judiciaire »). Les pouvoirs exécutif et législatif occupent la scène médiatique. Les institutions judiciaires doivent montrer que, pour le bon fonctionnement de la société, leur contribution n’est pas moins importante que celle des autres pouvoirs.
20. Dans le même sens, la communication judiciaire peut contribuer à affirmer l’indépendance des institutions judiciaires, en particulier quand celle-ci est mise en question. Cela peut être le cas quand des responsables politiques expriment publiquement des avis sur des procédures en cours, en critiquant des décisions judiciaires et prônant des interventions destinées à mettre les juges au pas, ou quand des mesures envisagées par les pouvoirs politiques peuvent mettre en danger l’indépendance de la justice, comme par exemple en modifiant le statut des magistrats dans un sens défavorable ou en influant sur des promotions de juges. La communication permet alors de rappeler le principe de la séparation des pouvoirs et ses implications concrètes.
21. Tribunaux et ministères publics peuvent aussi agir, par une communication bien pensée, pour promouvoir le respect des institutions judiciaires et de leurs représentants. La justice ne peut remplir son rôle que si elle-même, en général, et les magistrats qui la rendent, en particulier, peuvent compter sur le respect de leurs institutions et de leurs personnes. Dans ce cadre, des interventions publiques peuvent notamment permettre au public de mieux comprendre la complexité des tâches judiciaires et l’engagement des magistrats pour une justice de qualité.
22. Une communication adéquate permet aussi de renforcer – ou restaurer – la confiance des citoyens dans les institutions judiciaires, en montrant que ces institutions et les personnes qui les composent ne défendent que l’intérêt général et veillent à statuer dans les limites de la loi et dans des délais aussi raisonnables que le permettent les moyens mis à leur disposition.
23. Quand la situation le justifie, les institutions judiciaires peuvent en outre prendre publiquement position sur des sujets intéressant la justice. Il peut alors s’agir d’informer le public sur des questions intéressant directement les institutions judiciaires (budget, conditions de travail, moyens à disposition, postes non repourvus, déroulement de la carrière des magistrats, statistiques, etc.), de se déterminer sur des projets législatifs pouvant entraîner des conséquences sur le fonctionnement de ces institutions (réforme de la carte judiciaire, nouveau code de procédure, législation sur l’immigration, etc.) ou encore d’expliquer les enjeux en rapport avec des projets de construction de sites judiciaires (exemple : à Neuchâtel/Suisse, projet de construction d’un nouveau tribunal soumis à une votation populaire).
24. Il peut également se justifier que les institutions judiciaires et leurs membres prennent publiquement position sur des sujets de société, indépendamment de procédures en cours, afin de rendre le public et les responsables politiques attentifs aux problèmes juridiques que posent des situations particulières. Par exemple, ces prises de position peuvent concerner le droit de la filiation (mères porteuses, adoption, etc.) et la gestion de la fin de vie (prélèvement d’organes, testament biologique, suicide assisté, prolongation de la vie alors que la personne concernée se trouve en état de mort cérébrale, etc.). L’intervention publique des institutions judiciaires peut contribuer à la recherche de solutions justes et applicables en pratique.
25. Les institutions judiciaires peuvent en outre contribuer à la compréhension de la loi par les citoyens, par exemple en précisant, à l’intention du public, la manière dont des dispositions légales sont appliquées ou en donnant une certaine publicité à des modifications ou compléments apportés à la jurisprudence.
26. Plus généralement, tribunaux et ministères publics peuvent, par une communication adéquate maintenir et renforcer l’image de la justice. Il s’agit d’exister dans le débat public et sur la scène médiatique.
27. La question qu’il convient d’examiner est celle de savoir qui peut et doit se charger, pour l’institution judiciaire, de la communication avec le public et les media.
28. A cette question, il n’est pas possible d’apporter une réponse unique, dans la mesure où le choix du communicant dépend de l’objet de la communication envisagée, mais aussi des circonstances concrètes. Par exemple, s’il appartient, en principe, aux tribunaux et ministères publics directement concernés par une procédure en cours d’informer le public au sujet de celle-ci, la solution est généralement différente pour les communications sur l’activité judiciaire en général.
29. Les associations professionnelles de juges et/ou de procureurs ont pour but de défendre les intérêts des institutions judiciaires et des magistrats individuels, le cas échéant.
30. Des interventions publiques de leur part se justifient notamment sur des sujets généraux concernant la justice (budget, conditions de travail, déroulement de la carrière, statistiques, etc.), des rappels de principes (indépendance de la justice, présomption d’innocence, etc.) et des questions législatives et des sujets de société.
31. Les associations professionnelles peuvent aussi jouer un rôle important pour défendre des tribunaux, ministères publics et/ou magistrats individuels publiquement mis en cause, en rapport avec des procédures particulières ou de manière plus générale (retards particuliers d’un tribunal, intégrité d’un juge mise en doute, etc.).
3.3. Organes chargés de l'administration globale du système judiciaire
32. Dans certains pays, un organe est chargé de l'administration de tous les tribunaux du pays.
33. Ces organes peuvent communiquer - au nom de tous les tribunaux - sur des questions générales et sur des sujets concernant l'administration et le développement des tribunaux. Les domaines de communication possibles peuvent inclure toutes les questions administratives, telles que les statistiques, le temps de traitement des affaires, le nombre et l'objet des affaires, les budgets et l'économie, etc. Ces organes peuvent également communiquer sur le système et les tribunaux sur des questions ayant un intérêt pour le grand public, notamment des programmes à l'intention des écoles, des journalistes, des jeunes, etc., ainsi que des informations générales sur le système judiciaire qui pourraient être utiles aux témoins et aux parties à la procédure.
34. Chaque tribunal doit pouvoir communiquer sur son organisation et son fonctionnement. Dans ce cadre, il peut par exemple informer le public de changements significatifs dans la composition des cours ou fournir des éléments statistiques sur son activité (nombre d’affaires entrantes et liquidées, nombre de dossiers par magistrat, délais de liquidation des affaires, etc.).
35. Ces publications peuvent fournir au tribunal l’occasion d’attirer l’attention sur une situation qui met en danger la bonne administration de la justice, en particulier quand il apparaît que les dotations en effectifs sont insuffisantes ou quand des postes vacants ne sont pas repourvus dans des délais raisonnables. Il peut aussi s’agir de relever des augmentations dans le nombre de nouveaux dossiers de certains types, qui peuvent engorger une juridiction, ou au contraire l’amélioration du taux de liquidation des affaires.
36. Un tribunal devrait aussi pouvoir prendre position sur des situations intéressant spécifiquement l’entité, comme par exemple la vétusté des équipements, des projets de construction ou de rénovation, ou encore des améliorations à apporter à l’organisation des locaux.
37. S’agissant de procédures particulières, le tribunal peut notamment être amené à rappeler au public l’existence de principes fondamentaux, comme l’indépendance de la justice (quand des pressions sont exercées sur un juge) et la présomption d’innocence (quand les media la négligent). Il peut aussi choisir de livrer au public des éléments concernant des procédures en cours, mais dans des limites assez étroites, comme on le verra plus loin.
38. Les mêmes principes s’appliquent, mutatis mutandis, aux ministères publics, lesquels disposent cependant d’une plus grande liberté dans la communication sur des procédures en cours.
39. Les juges devraient en principe s’abstenir de commenter publiquement les procédures dont ils ont la charge et les jugements qu’ils rendent, ne serait-ce qu’afin de maintenir leur apparence d’impartialité (cf. plus loin). Ils peuvent par contre être amenés à intervenir dans le débat public sur d’autres sujets.
40. La situation des procureurs est différente, dans la mesure où, durant l’instruction, il peut leur appartenir – et dans certains systèmes, comme en France, il leur appartient de par la loi – d’informer le public quand la situation le justifie. Des déclarations du procureur aux media sont aussi possibles durant la procédure devant le tribunal, notamment afin d’apporter un peu d’objectivité au débat public quand les avocats des parties utilisent les media pour tenter de faire avancer leurs thèses. De la même manière que les juges, des procureurs individuels peuvent aussi s’exprimer publiquement sur d’autres sujets que des procédures en cours.
41. L’avantage de la communication par des juges et procureurs individuels est que les magistrats concernés connaissent bien les sujets traités. L’inconvénient réside dans le risque d’une communication incohérente des institutions judiciaires dont ils font partie et de pratiques personnelles divergentes : par exemple, si certains procureurs se tiennent volontiers à disposition des media et fournissent à ceux-ci les informations dont ils ont besoin, d’autres manifestent une grande retenue, se rendent volontiers indisponibles et/ou n’informent qu’au compte-gouttes ; ces pratiques individuelles divergentes nuisent à la cohérence de la communication judiciaire et exposent les media à des difficultés inutiles, ce qui prête le flanc à des critiques dont la justice pourrait se passer.
3.6.1. INTRODUCTION
42. Afin notamment d’assurer la cohérence de la communication et l’accessibilité aux informations pour les media, des institutions judiciaires choisissent de désigner un porte-parole, répondant privilégié ou même unique des media pour l’entité concernée, en général ou dans un contexte particulier.
43. Cette solution présente l’avantage de décharger les magistrats des tâches de communication et de leur permettre ainsi de se consacrer pleinement à leur activité judiciaire proprement dite.
3.6.2. PORTE-PAROLE
44. Dans certains pays, des entités judiciaires engagent, pour leur confier leur travail médiatique, des personnes disposant d’une formation journalistique ou analogue. Ces personnes présentent l’avantage de parfaitement maîtriser les techniques de communication. Elles apportent aussi, en principe, une connaissance étendue des media et de leur fonctionnement. Dans leurs activités antérieures, elles ont été amenées à côtoyer de nombreux journalistes, ce qui peut faciliter les contacts dans leur fonction de porte-parole.
45. Cette solution paraît réservée à des entités judiciaires d’une certaine importance et dont le budget permet d’assurer ce genre de dépense. Elle nécessite par ailleurs que le porte-parole se familiarise avec l’activité judiciaire.
46. Plus souvent, la fonction de porte-parole est confiée à un juge ou procureur spécialisé qui, déchargé de certaines autres tâches, peut consacrer à la communication le temps et les efforts nécessaires. Dans ce cas, le porte-parole connaît d’emblée et parfaitement le fonctionnement de la justice, mais ne maîtrise pas forcément les méthodes de communication, ce qui rend nécessaire une formation adéquate (cf. plus loin).
47. Afin d’assurer l’immédiateté de l’information, il peut être judicieux de prévoir une chaîne de remplaçants.
3.6.3. RÔLE DU PORTE-PAROLE
48. Le porte-parole assume en principe l’ensemble des tâches de communication de l’entité judiciaire à laquelle il appartient. Il doit donc être disponible pour ces tâches, de manière à pouvoir notamment répondre rapidement aux questions des media.
49. Il assure une communication proactive et réactive, régulière dans le temps, exacte, suffisante, cohérente et adéquate. Il identifie les besoins spécifiques en communication, qu’il s’efforce de satisfaire dans les limites imposées par la loi et l’opportunité. Il veille à un traitement équitable des différents journalistes (principe d’égalité entre les media).
50. Le cas échéant, le porte-parole veille aussi à la coordination de l’information avec les autres services, entités et personnes concernés (police, autres services étatiques, responsables politiques, etc.).
51. Afin de créer ou maintenir un rapport de confiance et de respect entre l’entité judiciaire concernée et les media, le porte-parole doit entretenir des contacts réguliers – formels et informels - avec les journalistes qui suivent habituellement l’activité des tribunaux et ministères publics. Si un système d’accréditation existe, il le gère avec objectivité, sans favoritisme et de manière transparente. Certains tribunaux et ministères publics ont mis en place un «Club de la presse», auquel sont invités les journalistes qui le souhaitent et qui organise des rencontres régulières, des débats, etc.
52. En cas de problèmes récurrents avec certains media ou journalistes, le porte-parole peut tenter de les résoudre par des discussions avec les personnes concernées, à qui il peut fournir les éclaircissements nécessaires.
53. Des contacts réguliers avec les juges ou procureurs de son entité permettent au porte-parole de se tenir au courant du fonctionnement général de cette entité, des problèmes particuliers rencontrés par certains magistrats ou cours et des affaires en cours qui suscitent ou pourraient susciter l’intérêt des media.
54. En règle générale, il semble opportun que le porte-parole soit directement subordonné au magistrat responsable de l’entité judiciaire concernée (président du tribunal, procureur en chef), qui supervise son activité. Cette supervision permet notamment de définir une ligne cohérente pour la communication du tribunal ou ministère public, de prévenir des dérapages et d’apporter au porte-parole un feedback sur son activité.
55. Le CCJE préconise « le développement de services d’accueil et de communication dans les juridictions, non seulement […] pour recevoir le public et guider les usagers des services judiciaires, mais aussi pour contribuer à la meilleure compréhension par les media de l’activité juridictionnelle » (avis N° 7 CCJE, ch. 41).
56. Pour le CCJE, « ce service, que les juges devraient superviser, pourrait ainsi avoir pour vocation: de communiquer des résumés des décisions aux media ; de fournir des informations factuelles sur les décisions judiciaires aux media ; d’être en contact avec les media par rapport aux audiences qui suscitent une attention particulière du public ; d’apporter des précisions ou des rectifications factuelles sur des affaires ayant donné lieu à une relation dans les media […]. Les services d’accueil ou le porte-parole de la juridiction pourraient à cette occasion préciser à l’attention des media les enjeux et les difficultés juridiques de l’affaire en cause, préparer l’ordonnancement de l’audience, prévoir les dispositions pratiques à prendre, notamment en vue de la protection des personnes participant à l’audience comme parties, jurés ou témoins » (avis N° 7 CCJE, ch. 42).
57. Les tâches que le CCJE souhaiterait voir attribuées à un service peuvent évidemment aussi être confiées à un porte-parole.
3.7. Conflits de compétences
58. Il peut arriver que deux ou plusieurs entités – autorités judiciaires et politiques, police -souhaitent communiquer et communiquent sur le même objet, en particulier en rapport avec la même procédure en cours.
59. Dans ces circonstances, il convient de se demander si, dans les circonstances concrètes du cas d’espèce, il serait préférable qu’une seule entité se charge de la communication et que les autres s’abstiennent d’interventions publiques. Dans l’affirmative, la question peut trouver une solution par le dialogue entre les entités concernées. Si un accord ne peut pas être trouvé, il faut sans doute en référer aux autorités auxquelles les différentes entités sont subordonnées, afin que le conflit de compétence soit résolu.
60. Quand l’intervention publique de différentes entités peut se justifier, il convient en tout cas d’éviter la diffusion d’informations contradictoires, par une coordination adéquate.
61. Par le passé, de nombreux juges et procureurs sont tombés dans le piège d’une communication mal maîtrisée, avec des conséquences néfastes pour une bonne administration de la justice et l’image de l’institution judiciaire en général.
62. La communication est un métier. Celui qui en est chargé – ou s’en charge – doit en comprendre la complexité et disposer des outils nécessaires. Avec la multiplication des moyens de communication et l’immédiateté de l’information qui en résulte, il paraît de plus en plus risqué de confier des tâches médiatiques à des juges et procureurs uniquement formés « sur le tas ». Des formations spécifiques paraissent s’imposer.
63. Il appartient aux institutions judiciaires de rechercher et proposer aux juges et procureurs concernés des formations adéquates aux métiers de la communication. Même quand de tels entraînements sont déjà suivis lors de la formation initiale des magistrats, une adaptation des connaissances aux réalités actuelles s’impose. Ces unités de formation peuvent consister en séminaires destinés aux cadres de la fonction publique, ou spécifiques à l’activité judiciaire, voire en formations individuelles. Elles peuvent réunir des magistrats et des journalistes. Elles permettent à ceux qui les suivent de mieux comprendre le contexte de la communication judiciaire (limites légales, media et leur fonctionnement ; attentes des media et contraintes auxquelles ils sont soumis, notamment quant aux délais, etc.) et les méthodes de communication (spécificités, avantages et inconvénients, risques, etc.).
64. Evidemment, ces formations ne sont pas toujours gratuites et les juges et procureurs concernés doivent y consacrer du temps. Cela implique une définition des objectifs à atteindre et une adéquation entre les moyens engagés et l’utilité réelle des formations pour ceux qui les suivent.
65. Juges et procureurs jouissent, de manière générale, de la liberté d’expression. La conception actuelle du « juge-citoyen » suppose que les magistrats puissent participer à la vie de la cité et exprimer leurs opinions, en privé comme en public, sans restrictions indues.
66. La liberté d’expression des magistrats, quand ils se présentent ou sont présentés en cette qualité, connaît cependant des limites, du fait de leur statut particulier.
67. Ces limites résultent en premier lieu du secret de fonction auquel ils sont soumis et qui est encadré par la loi. Nous verrons plus loin dans quelle mesure les juges et procureurs peuvent donner au public des informations sur des procédures particulières.
68. Des limites à la liberté d’expression découlent aussi des devoirs généraux de réserve et de dignité auxquels les magistrats sont astreints. Si chaque juge et procureur a le droit d’exprimer ses opinions personnelles sur des sujets qui touchent ou non à son activité, il ne peut pas, quand il se prévaut de sa fonction, donner l’impression au public qu’il serait partisan, partial ou manquerait d’objectivité ou de la modération nécessaire à un exercice convenable de cette fonction. Un magistrat peut certes exprimer son désaccord avec des mesures envisagées par des responsables politiques, mais il serait contraire à sa dignité de le faire dans des termes inconvenants. L’exercice est difficile et certains pensent que le plus sûr reste, pour les magistrats, de renoncer à s’exprimer publiquement et à titre individuel dans ce genre de débats. Par contre, on ne voit pas ce qui pourrait empêcher que, selon les cas, l’institution judiciaire en tant que telle, une entité judiciaire particulière ou une association de juges ou de procureurs intervienne publiquement quand les intérêts de la justice sont en jeu. Encore faut-il que cela se fasse d’une manière qui ne nuise pas à l’image de sérénité, d’objectivité et de compétence que l’institution judiciaire se doit d’offrir au public. Cette image est par exemple écornée quand une association de magistrats s’exprime sur Twitter par des accusations rageuses ou, dans le cadre d’une manifestation, s’en prend aux responsables politiques dans des termes mal choisis.
69. Le CCPE a expressément reconnu ces principes, en relevant ceci : « Les procureurs ont également droit à la liberté d’expression, tout en étant soumis au secret professionnel et à un devoir de réserve, de discrétion et d’objectivité. Les procureurs devraient accorder une attention particulière aux risques qui peuvent en découler pour l’impartialité et l'intégrité du ministère public, lorsqu’ils apparaissent dans les media, à quel titre que ce soit » (avis N° 8 CCPE, ch. 19).
70. Alors que, voici une vingtaine d’années, les moyens de communication à disposition des institutions judiciaires se résumaient à peu de choses, les techniques modernes ont élargi le champ des possibilités. Certains juges et procureurs ressentent encore une certaine réticence à faire usage des nouveaux moyens à leur disposition, réticence qui peut être liée à une compréhension insuffisante de ces possibilités ou aux risques inhérents à leur utilisation. Il n’en demeure pas moins que ces moyens existent et qu’il vaut la peine d’en examiner, aussi, la pertinence pour la communication judiciaire.
71. Ci-dessous, on traitera des moyens de communication généraux, utilisables pour informer autant sur des procédures en cours que sur l’activité des autorités judiciaires en général. Quelques autres moyens seront en outre rappelés plus loin, au chapitre consacré à l’information générale sur l’activité de la justice.
72. Le communiqué de presse est et restera un moyen de communication efficace pour fournir à de nombreuses personnes, en principe en même temps, des informations que la justice entend diffuser.
73. Il s’agit d’un texte élaboré par l’autorité, qui livre au public des éléments de fait, des explications juridiques et d’autres considérations que cette autorité entend partager. La règle est que le communiqué devrait, dans la mesure du possible, répondre aux six questions du journaliste : Qui ? Quand ? Quoi ? Où ? Comment ? Pourquoi ?
74. Les modes de diffusion de ces textes s’adaptent au goût du jour. De la distribution par fax à des rédactions inscrites sur une liste préétablie, on en est arrivé à une multi-diffusion, par fax parfois encore, mais aussi et surtout par courriel, publication sur une page Facebook ou postage sur Twitter, ce qui permet de toucher instantanément un plus large public.
75. Parmi les avantages du communiqué de presse, on peut mentionner les suivants :
· Égalité des media : les journalistes intéressés ont un accès immédiat et simultané à l’information.
· Uniformité des informations données : chaque destinataire reçoit la même information.
· Maîtrise des informations données : le texte publié ne dit rien de plus et rien de moins que ce que l’entité judiciaire souhaite communiquer au public.
· Risque réduit de déformation des propos : en principe, les media s’appuient sur le communiqué et s’ils publient sans motif pertinent des informations contraires au texte publié, une demande de rectification pourra être fondée sur des éléments concrets (un journaliste ne pourra alors pas prétendre que l’information alléguée par l’autorité judiciaire n’était pas celle qui avait effectivement été donnée).
· Risque réduit de dérapages : contrairement à ce qui peut être le cas dans une conférence de presse ou une entrevue, l’émetteur du communiqué n’est pas amené à dire plus ou autre chose que ce qui est écrit.
Le communiqué de presse a aussi ses désavantages :
· Possibles insuffisances dans la prise en compte des besoins du public et des media : il n’est pas toujours aisé de déterminer à l’avance quelles informations présentent un véritable intérêt pour leurs destinataires et une formulation trop étroite peut entraîner plus de questions qu’elle n’apporte de réponses.
· Absence d’interaction avec les destinataires : le communiqué ne permet pas à ses destinataires de demander des précisions ou des compléments et si l’un d’eux a mal compris le texte, le risque existe qu’il en fasse une interprétation incorrecte (cf. toutefois ci-dessous).
· Risque d’erreurs : un jour, au sujet d’une affaire de meurtre, l’auteur de ces lignes a mal relu un communiqué qu’il avait dicté à un policier et un communiqué est parti, qui disait que la victime avait été « écorchée », plutôt que « égorgée », ce qui avait suscité un certain émoi chez les journalistes qui, heureusement, avaient rectifié d’eux-mêmes.
· Chaque virgule compte et l’autorité concernée sera liée par ce qu’elle a écrit et diffusé.
76. Afin d’éviter des interprétations hasardeuses ou de satisfaire des besoins d’information qui n’auraient pas été décelés au préalable, les communiqués de presse mentionnent souvent la possibilité, pour les journalistes de s’adresser à une personne dont les coordonnées – numéro de téléphone et/ou adresse électronique - sont mentionnées pour d’éventuels renseignements complémentaires. Dans ce cas, on peut préciser un laps de temps durant lequel cette personne sera atteignable, ce qui permet en principe d’éviter des sollicitations constantes, qui perturbent l’activité de l’entité.
77. La conférence de presse consiste à inviter les media – parfois des media sélectionnés en fonction de leur intérêt supposé pour la matière – à se présenter en un lieu et à un moment déterminés, afin de recevoir des informations de la part de l’entité judiciaire concernée.
78. En général, la conférence de presse commence par une présentation du sujet, par un juge, procureur ou porte-parole (ou plusieurs), et se poursuit par des réponses aux questions que les journalistes présents peuvent poser.
79. Les éléments suivants sont à prendre en considération :
· Égalité des media : les journalistes intéressés ont un accès immédiat et simultané à l’information (en tout cas pour ceux qui ont la possibilité de déléguer un journaliste à la conférence de presse).
· Uniformité des informations données : chaque journaliste présent reçoit la même information.
· Interaction avec les destinataires de l’information.
· Bonne prise en compte des besoins du public et des media : possibilité de compléter et rectifier immédiatement une déclaration (par exemple si la présentation initiale se révèle insuffisante ou inexacte, en fonction d’une question posée par un journaliste).
· Maîtrise partielle des informations données : si la présentation initiale peut être bien maîtrisée, il n’en va pas de même au moment des questions-réponses, qui peuvent apporter des surprises et amener les magistrats ou leur porte-parole à des déclarations non souhaitées au départ, soit à dire plus ou autre chose que ce qui était prévu (risque de dérapages).
Quelques suggestions pour une conférence de presse réussie :
· Lieu : accessibilité pour le plus grand nombre, locaux adéquats, notamment s’agissant du nombre de places, wifi à disposition, possibilités de parcage, etc.
· Moment : s’agissant de la presse écrite, tenir compte du fait que les conférences de rédaction se tiennent souvent le matin et des délais pour la préparation et la publication des articles ; apparemment, les journalistes préfèrent les conférences de presse en fin de matinée, sauf urgence particulière.
· Intervenant(s) : celui ou ceux qui disposent des informations et de l’autorité pour informer et répondre aux questions, en étant crédibles.
· Matière/objet : susceptible d’intéresser, ne pas déranger pour trop peu, éviter que les conférences deviennent une routine le plus souvent sans intérêt.
· Modulation en fonction de l’importance de l’événement et des possibilités pratiques.
· Organisation : « maître de cérémonie », qui passe la parole.
· Distribution d’un résumé écrit : support généralement apprécié des journalistes, qui permet aussi d’éviter des malentendus.
· Objets à présenter (exemple : stupéfiants saisis) ou photographies (objets pas présentables sur place).
· Session questions-réponses : réponses franches aux questions posées, quitte à dire qu’on ne sait pas ou qu’on ne peut pas répondre, en indiquant les motifs.
· Espace ensuite pour des réponses à des journalistes individuels : besoins particuliers de certains media, radio, TV ; « exclusivité » relative, ou au moins donner l’impression aux lecteurs/auditeurs/spectateurs que le journaliste a reçu quelque chose de spécial, ce que les rédacteurs en chef apprécient.
80. L’écho donné à une conférence de presse est généralement plus favorable quand les journalistes qui y ont participé ont le sentiment que l’autorité judiciaire ne les a pas dérangés pour rien et leur a facilité le travail.
81. Les journalistes apprécient parfois qu’un juge, un procureur ou un porte-parole leur accorde une entrevue, dont le but est d’obtenir des informations exclusives, soit des informations dont les concurrents qui n’ont pas fait la même démarche ne disposeront pas avant eux. Elles présentent des avantages pour les journalistes proactifs, qui vont chercher l’information plutôt que d’attendre une communication par la justice et obtiennent ainsi des informations qui n’ont pas encore été publiées.
82. Les entrevues se conçoivent quel que soit le média concerné. Un média électronique peut envisager la diffusion immédiate, en direct depuis un studio ou par téléphone, ou plutôt un entretien enregistré qui sera diffusé – entièrement ou, le plus souvent, partiellement - au moment choisi par la rédaction. Pour la presse écrite, l’entretien a lieu le plus souvent par téléphone, mais aussi avec un journaliste qui se rend personnellement dans les locaux de l’entité judiciaire concernée.
83. Le risque évident lié à une entrevue, pour autant qu’elle ne soit pas diffusée en direct sur un média électronique, consiste dans l’altération des propos tenus. Les exemples ne manquent pas de propos mal rapportés, parce que le journaliste les a mal compris ou qu’il en a fait une interprétation personnelle, voire malveillante. Les cas ne sont pas rares non plus d’une entrevue d’une certaine durée, dont ne sont repris que des extraits qui, pris hors de leur contexte, ne reflètent pas la position que souhaitait donner l’autorité judiciaire.
84. Pour parer à ce risque, il est possible, pour le magistrat ou le porte-parole, d’exiger au préalable, comme condition à l’entrevue, de pouvoir contrôler avant publication les citations qui en seront faites. En principe, les journalistes préfèrent accepter ce genre de condition, plutôt que de se voir refuser purement et simplement l’entrevue. Ce mode de procéder peut notamment se justifier quand le sujet traité est délicat ou technique, avec la possibilité que le journaliste comprenne mal les propos tenus.
85. Selon le sujet traité, l’entrevue peut être définie, d’entente entre le journaliste et la personne qu’il interroge, comme « on the record », en ce sens que le journaliste est ensuite autorisé à publier tout ce qui lui a été dit, avec la mention de la personne qui le lui a dit, ou « off the record », ce qui signifie que le journaliste ne peut pas utiliser directement les informations reçues et ne peut pas faire mention envers des tiers des déclarations recueillies, ni de leur auteur.
86. La convention « off the record » se justifie par exemple quand le représentant de l’entité judiciaire explique à celui d’un média pourquoi telle ou telle information ne peut pas ou pas encore être publiée, ou quand le journaliste n’a besoin que d’une information dite « background » pour avancer dans une investigation et éviter de se lancer sur de fausses pistes. L’exercice est délicat, car il suppose que le membre de l’autorité puisse faire confiance au journaliste s’agissant du respect futur de la convention, ce qui limite par ailleurs sa pratique.
87. Celui qui accorde une entrevue doit être conscient du fait que le message doit être délivré d’une manière correspondant aux particularités de chaque média concerné. Une intervention télévisée ou radiophonique ne dépasse en général pas quelques dizaines de secondes et le propos se doit dès lors d’être particulièrement concis et clair. L’entrevue destinée à une publication dans la presse peut aborder de manière plus large les questions posées, mais le juge, procureur ou autre porte-parole doit savoir que seule une partie de ses déclarations sera effectivement publiée et que s’il veut bien faire passer le message, le recours à des « punchlines » peut produire de bons résultats.
88. On pourrait suggérer que chaque entité judiciaire définisse à l’avance le cercle des magistrats habilités à accepter des entrevues avec des journalistes et les circonstances dans lesquelles ces entretiens sont possibles.
89. Parfois, des journalistes contactent un juge, un procureur ou un porte-parole par écrit, aujourd’hui essentiellement par courriel, pour lui demander des informations. C’est notamment le cas quand un journaliste envisage de publier un article et veut – ou doit, en fonction des règles déontologiques de sa profession - recueillir la réaction ou une prise de position de l’institution ou de la personne mises en cause.
90. Le membre de l’autorité répond ensuite par écrit aux questions posées, de la manière qui lui convient et le cas échéant après en avoir référé à sa hiérarchie. Si le journaliste lui a indiqué un certain format pour les réponses (nombre maximum de signes, par exemple, en fonction de l’étendue prévue pour la publication), le respect de cette demande permet de garantir que les informations seront en principe publiées telles quelles.
91. Comme pour un communiqué, la réponse écrite permet de bien maîtriser l’information donnée (avec, le cas échéant, la même exigence de contrôle avant publication que dans le cas d’une entrevue).
92. Des règles internes à chaque entité judiciaire devraient définir les compétences et processus à suivre pour les réponses écrites.
93. De nos jours, la plupart des institutions judiciaires disposent de sites internet, sur lesquels ils présentent leur organisation et leur activité. Le site internet peut aussi être un vecteur de communication pour renseigner les media et le public sur les procédures en cours (lieux et dates des audiences publiques, etc.), sur des événements à venir (conférences, débats, etc.) et sur l’actualité de l’entité judiciaire concernée (changements dans le personnel, etc.).
94. La conception et la tenue à jour d’un site internet requièrent un certain investissement, mais les autorités judiciaires ne peuvent que difficilement se montrer trop économes à cet égard. Un tel site renvoie en effet directement l’image des autorités concernées et chacun sait qu’un site internet mal conçu, difficile d’accès et d’utilisation, trop sommaire ou encore pas tenu à jour donne une image négative de l’entité qu’il présente.
95. Dans certains cas, il peut être constructif d'avoir des sites ou des pages web spécifiques traitant de sujets spécifiques (par exemple les procédures dans les affaires de succession) ou visant des groupes spécifiques de personnes (par exemple les journalistes, les juges non professionnels).
96. De plus, il serait envisageable de développer des applications à utiliser directement sur un smartphone.
97. Parmi les media sociaux, on distingue les outils de publication (Wikipédia, Twitter), les outils de discussion (Skype et aussi Twitter), les réseaux sociaux numériques de contact généralistes (Facebook, Instagram : les utilisateurs entretiennent des contacts avec d’autres utilisateurs afin de partager des expériences et de garder contact dans le temps) et professionnels (LinkedIn : création d’un réseau de contact professionnel, susceptible aussi d’être consulté par de futurs recruteurs ou partenaires), ainsi que les réseaux sociaux numériques de contenu (Youtube pour les vidéos, Flickr pour les photos : possibilité de partager et de consulter des contenus).
98. Depuis les années 2010, les media sociaux ont fait leur apparition dans la communication politique. La normalisation des media sociaux dans le monde d’aujourd’hui, l’immédiateté des informations ainsi transmises et la perte d’intérêt et de confiance des citoyens pour les media traditionnels expliquent que les responsables politiques utilisent de plus en plus ces moyens pour s’adresser à leurs électeurs et aux autres media. Les media sociaux permettent par ailleurs de toucher un très large public, en particulier les jeunes pour qui ils constituent souvent l’unique source d’information.
99. Les réseaux sociaux se développent rapidement et deviennent une importante plateforme d'influence. Ils perturbent les règles de la communication et ne sont – pour l'instant – pas dirigés par un organisme lui-même régi par des règles ou par une certaine éthique. Comme nous l'avons déjà mentionné, cela permet une diffusion libre et gratuite de l'information au public, mais rien ne garantit que le public cible sera effectivement atteint. Par conséquent, la communication devra souvent se faire par l'intermédiaire d'un site qui attire les destinataires clés du message, sur un site fourni par un tiers, dans certains cas également un organisme non réglementé. Les communicateurs doivent choisir ces derniers prudemment.
100. Les institutions judiciaires n’ont quant à elles, pour la plupart, pas encore pris la mesure des possibilités offertes par ces instruments – ou au moins certains d’entre eux – pour assurer une partie de leur communication. Cela tient sans doute en partie au fait que les magistrats appartiennent pour l’essentiel à des générations qui n’ont pas bénéficié de ces outils dans leur prime jeunesse et n’y sont donc pas forcément habitués, mais aussi qu’une présence sur les media sociaux nécessite des interventions fréquentes, que la plupart des tribunaux et ministères publics peuvent difficilement assumer avec leurs propres ressources.
101. Cela ne signifie pas que, dans un avenir plus ou moins proche, les autorités judiciaires pourront forcément se passer des moyens de communication actuels. Elles pourront certes toujours compter sur le fait que les journalistes reprendront – aussi sur les réseaux sociaux – les informations qu’elles leur transmettront, mais il faut prévoir que l’immédiateté sera toujours plus considérée comme une composante nécessaire de la communication, immédiateté qui ne pourra être obtenue qu’avec le recours aux media sociaux par les tribunaux et les ministères publics.
102. A cet avantage de l’immédiateté, on peut ajouter celui d’une maîtrise complète de l’information transmise au public, qui est touché directement et sans intermédiaire par la communication décidée par l’autorité judiciaire. Cela permet de faire passer des messages clairs, nuancés et en principe complets, sans risque d’altération par des journalistes. Ces messages atteignent le public le plus large, y compris ceux – notamment les jeunes – qui ne lisent pas de journaux, même numériques, et ne regardent pas la télévision. Ils permettent aussi, selon le média en temps réel, une interaction avec les autres utilisateurs de compléter ou rectifier immédiatement les informations données.
103. L’utilisation des media sociaux expose cependant aussi les tribunaux et ministères publics à certains risques. Le premier d’entre eux est celui d’un appauvrissement de l’information, par la réduction à un message sommaire et donc forcément réducteur (Twitter), qui ne sera souvent lu que superficiellement (Facebook). Un autre risque est celui de déclencher, par une publication sur un média social, une discussion qu’il sera ensuite difficile de suivre sur ce média. Une utilisation inadéquate des media sociaux porte en outre le danger d’une certaine banalisation de la justice. En outre, ce qui a été publié une fois sur un média social, même pour une courte durée seulement, est susceptible d’être copié et partagé dans les secondes et minutes suivantes, la correction subséquente d’une erreur n’empêchant pas l’erreur originelle d’être diffusée à l’infini.
104. On peut souligner que la présence sur les réseaux sociaux présente une différence essentielle avec les autres moyens de communication. Elle suppose le dialogue, la conversation. Sur un réseau social, l’émetteur du message initial doit en principe être prêt à interagir, dans les minutes, les heures et même les jours qui suivent, avec celles et ceux qui s’exprimeront sur le même réseau en lien avec le message initial. A défaut, le risque existe d’un détournement de ce message, d’une polémique née d’une mauvaise interprétation – fortuite ou délibérée – de celui-ci ou de ne pas donner suite à des questions légitimes. Cela nécessite évidemment une disponibilité accrue, que des juges et procureurs, individuellement, ne peuvent pas toujours – ou ne peuvent en général pas – assumer.
105. Comme déjà dit, les medias sociaux sont conçus pour le dialogue. Les aborder comme un moyen de communication à sens unique, comme on le faisait avec les anciennes plateformes médiatiques, ferait manquer les opportunités qu’ils offrent et entraînerait le risque de diminuer la confiance faite à l’autorité qui publie les informations, en tant que communicateur digne de crédit.
106. Afin d’éviter le risque d’une utilisation indue des données, en particulier leur revente à des tiers, les autorités recourant à ce type de communication devraient veiller à faire insérer des clauses spécifiques dans les contrats conclus avec des fournisseurs d’accès.
107. Pour le surplus, les publications sur les media sociaux présentent pour l’essentiel les mêmes avantages et inconvénients que le communiqué de presse.
108. Faut-il donc que les autorités judiciaires affirment une présence sur les media sociaux ? Cela se discute. En tout cas, cette présence ne peut pas entièrement remplacer les moyens de communication plus traditionnels et elle nécessite des moyens en personnel dont les tribunaux et les ministères publics ne disposent pas forcément. Si une page Facebook – ou ce qui en sera l’équivalent dans le futur – peut sans doute être considérée comme un investissement raisonnable et peut-être nécessaire, il n’en va pas forcément de même qu’une présence soutenue sur un média comme Twitter, dont les dérives de nombreux utilisateurs ont déjà fait un moyen de communication pas forcément adéquat pour le pouvoir judiciaire.
109. Restera à tenter d’adapter la communication aux différents destinataires, avec la difficulté que, dans certains cas, la même information devrait être livrée sous des formes et avec des contenus différents, afin de répondre aux attentes des publics visés.
110. Les autorités compétentes pourraient, là où ce n’est pas encore le cas, préparer et diffuser des directives destinées à encadrer l’utilisation des réseaux sociaux par les institutions judiciaires et leurs membres. Dans un domaine où les limites ne sont pas forcément claires, de telles directives peuvent sans doute prévenir des abus et des interventions inadéquates.
111. Des conférences et débats publics peuvent être organisés sur des thèmes concernant la justice.
112. Ils peuvent rassembler, en tant qu’intervenants, non seulement des juges et procureurs, mais aussi des responsables politiques, des journalistes, des professeurs de droit et d’autres membres de la société civile.
113. Le public-cible peut être, par exemple, les habitants d’une région déterminée, les avocats, des écoles, etc.
114. Le CCJE a relevé l’importance d’actions en collaboration avec les établissements d’éducation : « Les programmes pertinents d’éducation scolaire et universitaire (qui ne se bornent pas aux facultés de droit) devraient prévoir une description du système judiciaire (incluant des interventions données en classe par des juges), des visites des tribunaux et l’enseignement actif des procédures judiciaires (jeu de rôles, présence aux audiences, etc.). Ainsi, les juridictions et les associations de juges peuvent travailler en collaboration avec les écoles, les universités et les autres établissements scolaires pour présenter dans les programmes scolaires et dans le débat public le raisonnement spécifique du juge » (avis N° 7 CCJE, ch. 12).
115. Dans certains pays, des institutions judiciaires préparent et publient des messages filmés. Ces messages ont pour but d’informer le public – ou certaines parties du public – sur l’activité judiciaire en général ou sur des aspects spécifiques de cette activité. Ils peuvent être diffusés par la télévision, sur internet ou sur des plateformes comme YouTube (notamment pour toucher un jeune public).
116. De même, dans certains pays, les tribunaux sécurisent des séquences vidéo d'audiences spécifiques et/ou de jugements spécifiques. Celles-ci sont diffusées en direct sur les sites Web des tribunaux ou sur YouTube et/ou diffusées par la télévision (généralement par des chaînes de service public).
117. Evidemment, ce mode de communication nécessite des moyens, soit un certain investissement en temps de la part des autorités judiciaires, mais aussi, en règle générale, le recours à des professionnels de la communication. A cet égard, la coopération avec des chaînes de télévision peut faciliter la production de films.
4.10. Diffusion publique d’audiences
118. Certains tribunaux admettent la présence, dans les salles d’audience, de caméras de télévision et la diffusion publique, en direct ou en différé, de tout ou partie d’audiences, le plus souvent dans des affaires à fort retentissement médiatique.
119. La possibilité de recourir à ce genre de moyen dépend des législations internes, de directives des autorités supérieures et des habitudes locales.
120. L’avantage évident de la diffusion publique d’audiences réside dans la transparence, chacun pouvant vérifier concrètement comment la justice est rendue dans la procédure en cause.
121. L’inconvénient majeur provient du fait que les participants au procès (juges, procureurs , parties, avocats, témoins), voire le public présent dans la salle d’audience, peuvent être amenés à adapter ou être tentés d’adapter leur comportement à la présence des caméras, avec le risque que le procès se transforme en spectacle plutôt que de viser à la recherche de la vérité et à la bonne application du droit.
122. Le CCJE s’est exprimé de la manière suivante suivante sur cette question, dans son avis N° 7 :
« La question de la présence des caméras dans les prétoires pour des raisons autres que les motifs de procédure a fait l’objet d’un débat important […]. Certains membres du CCJE se sont montrés très réservés sur cette forme nouvelle de publicité donnée aux activités judiciaires » (ch. 44).
123. « La publicité de la justice fait partie des garanties procédurales fondamentales dans les sociétés démocratiques. Si le droit international et les réglementations internes prévoient des exceptions au principe de la publicité des débats judiciaires, il importe que ces exceptions soient limitées à celles prévues par l’article 6.1 de la CEDH » (ch. 45).
124. « Le principe de la publicité de la justice suppose que les citoyens et professionnels des media puissent avoir accès aux enceintes judiciaires où se déroulent les procès, mais le développement des moyens audiovisuels d’information confère aux événements relatés une amplification telle qu’elle transforme radicalement la notion de publicité de la justice. Si elle peut produire un effet bénéfique auprès du public quant à la connaissance du déroulement des procédures judiciaires et à l’image de la justice, on peut craindre en revanche que la présence des caméras de télévision dans les salles d’audience perturbe le bon déroulement des débats et modifie le comportement des acteurs du procès (juges, procureurs, avocats, parties à la procédure, témoins » (ch. 46).
125. « Dans l’hypothèse où la diffusion des audiences est télévisée, des caméras fixes devraient être utilisées et le président d’audience devrait avoir la possibilité tant de décider les conditions du filmage que d’interrompre à tout instant la diffusion. Ces mesures, ainsi que toute autre mesure nécessaire, devraient préserver les droits des personnes et assurer un bon déroulement de l’audience » (ch. 47).
126. « L’opinion des personnes présentes à la procédure devrait également être prise en considération, en particulier pour certains types de procès comme par exemple ceux mettant en cause des faits de la vie privée » (ch. 48).
127. « Compte tenu de l’impact particulièrement important d’une diffusion télévisée et du risque de dérive vers une curiosité malsaine, le CCJE encourage les media à développer leur propre code de déontologie visant à assurer une diffusion équilibrée des débats filmés, de manière à garantir un compte-rendu objectif de l’audience » (ch. 49).
128. « Il peut y avoir des motifs impérieux justifiant le tournage d’un film des débats judiciaires dans des cas déterminés strictement définis, par exemple à des fins pédagogiques et éducatives, ou pour conserver la mémoire filmée de débats présentant un intérêt historique particulier en vue d’une utilisation future. Si de tels motifs existent, le CCJE souligne la nécessité d’assurer la protection des personnes concernées par le procès, notamment selon des modalités de filmage n’affectant pas la sérénité des débats » (ch. 50).
129. La communication par les autorités judiciaires doit répondre aux besoins de ces autorités, d’une part, et aux attentes perceptibles et supposées des media et du public, d’autre part.
130. Cela nécessite un certain équilibre afin d’éviter le « trop », qui dilue la parole judiciaire et en fait perdre partiellement perdre le sens, comme le « trop peu », qui laisse un champ excessivement libre aux autres acteurs du monde médiatique et ne répond pas aux besoins du public et de la justice elle-même.
131. Dans l’idéal, l’information doit intervenir au bon moment et être adaptée au public visé (journalistes accrédités, media en général, public). Des conférences de presse quotidiennes peuvent se justifier dans des enquêtes de grande envergure, suite à des événements graves qui ont frappé le public (exemple : attentat terroriste), mais pas s’il s’agit de renseigner les media sur l’activité courante d’un tribunal. Une information en quelques lignes peut suffire si le message est simple, mais pas s’il s’agit d’expliquer pourquoi tel ministère public ne dispose pas des moyens nécessaires au bon accomplissement de ses tâches. Tout est affaire de circonstances.
132. L’information judiciaire doit se distinguer par sa qualité : vérité factuelle, objectivité et clarté. Les journalistes n’hésitent pas à relever les cas où des informations reçues sont jugées insuffisantes, imprécises, voire fausses. Ils comprennent en outre mal le refus de l’autorité de confirmer des faits déjà connus des media.
133. La personne en charge de la communication judiciaire doit s’abstenir de spéculations (« il me semble que … » ; « logiquement, … », etc.) et, lorsqu’elle n’est pas certaine des faits, ne doit pas hésiter à répondre « je ne sais pas, je vais me renseigner ». L’aveu d’une méconnaissance des faits vaut toujours mieux qu’une spéculation hasardeuse ou la diffusion d’une information erronée.
134. Les institutions judiciaires devraient sans doute veiller à adresser au public des messages aussi positifs que possible et à ne pas apparaître comme accordant, dans leur communication, une place prépondérante ou même exclusive à des plaintes en rapport avec leur situation. S’il est évidemment légitime qu’un tribunal attire l’attention du public sur des lacunes dans les moyens mis à sa disposition, ce genre de message pourrait, par exemple, être accompagné de considérations en rapport avec une augmentation du nombre de dossiers traités par juge, des améliorations apportées à l’organisation interne du tribunal, etc. Des récriminations perçues comme sempiternelles par le public, les responsables politiques et les media risquent d’affaiblir les messages et la situation des institutions judiciaires.
135. Le moment auquel une information est communiquée doit être bien choisi. Certaines situations requièrent une communication immédiate, en raison de la nature des faits ou de l’intérêt du public et des media. Le timing de la communication peut aussi être dicté par celui de la procédure (proximité d’une audience]. Dans d’autres cas, aucune pression extérieure ne dicte le moment auquel une information sera diffusée. Dans cette dernière hypothèse, le choix du timing par l’institution judiciaire devrait prendre en compte la nécessité, pour elle, de ne pas faire naître le soupçon de motivations étrangères aux nécessités de la communication judiciaire. Il convient notamment d’éviter que cette communication interfère inutilement avec, par exemple, des processus politiques (élections à venir, etc.).
136. Dans certains pays ou à l’échelon local, des autorités judiciaires ont prévu un système d’accréditation des journalistes auprès d’elles.
137. En général, l’accréditation est réservée à des journalistes dûment formés et actifs dans des media qui traitent habituellement de l’activité judiciaire. Elle a pour effet que les journalistes accrédités disposent d’un accès privilégié aux informations, comme par exemple la possibilité de consulter l’ensemble des jugements rendus, non anonymisés, dans une salle de presse, la possibilité facilitée de solliciter des entretiens avec les magistrats ou encore l’attribution prioritaire de places de travail dans les salles d’audiences.
138. Un tel système a pour avantage que des journalistes qualifiés rapportent ensuite sur l’activité judiciaire, ceci d’une manière supposée a priori plus compétente et objective que cela ne serait le cas pour des confrères moins au fait des réalités de la justice.
139. L’inconvénient majeur est que les media ne sont pas traités à égalité, ce qui peut notamment amener les exclus du système à adopter des positions plus critiques envers les autorités concernées.
4.13. Communication par des tiers
140. Selon les circonstances, des tiers peuvent souhaiter prendre des positions publiques en soutien des institutions judiciaires, par exemple quand ils estiment que l’indépendance de la justice est mise en danger par des actions ou déclarations d’autres organes étatiques.
141. La question qui se pose alors aux institutions judiciaires est celle de savoir si elles doivent intervenir publiquement pour appuyer ces prises de position, fournir elles-mêmes des renseignements à ces tiers pour leur permettre d’étayer leurs arguments ou plutôt s’en abstenir. Le problème se pose en des termes particuliers quand les tiers en question envisagent des moyens comme l’appel à manifester dans la rue.
142. La réponse dépend évidemment des circonstances particulières de chaque cas, mais les institutions judiciaires doivent en tout cas veiller à ne pas apparaître comme des instruments dans les mains de tiers qui poursuivent un autre agenda et à respecter leurs devoirs de réserve et de dignité.
143. Comme on l’a vu, il faut partir de l’idée que l’activité des autorités judiciaires est plutôt mal connue et souvent mal comprise par le public et les media.
144. Il se justifie dès lors de prendre des mesures concrètes pour améliorer l’information du public sur cette activité.
145. Les moyens dont la justice peut se servir pour communiquer envers le public et les media sur l’activité judiciaire en général sont en partie les mêmes que ceux qui sont mentionnés plus haut.
146. Pour l’information générale, les institutions judiciaires peuvent cependant recourir à d’autres moyens encore. On en mentionnera quelques-uns ci-dessous, sans prétention à l’exhaustivité :
· Sites internet du pouvoir judiciaire et/ou sites spécifiques de tribunaux et ministères publics (organisation des entités judiciaires, rapports d’activité, jurisprudence, etc.)
· Documentation à disposition du public, sur les sites judiciaires et ailleurs
· Guichets d’information ou « Heure des questions » sur les sites judiciaires
· Journées « portes ouvertes » de tribunaux et ministères publics (avec, par exemple, des stands d’information où des magistrats et greffiers sont à disposition pour répondre à des questions sur des aspects spécifiques de l’activité, une vidéo présentant l’entité, des audiences fictives, etc.)
· Conférences de presse (présentation du rapport d’activité annuel, etc.)
· Participation de juges et procureurs à des débats publics (media, conférences-débats, exposés pour des associations, etc.)
· Interviews de magistrats, à caractère général (« Que fait un procureur / juge de première instance ? »)
· Emissions de télévision centrées sur le fonctionnement du système judiciaire (documentaires, produits par des professionnels des media en collaboration avec les autorités judiciaires et avec l’aval des responsables du pouvoir judiciaire, qui présentent des aspects spécifiques de l’activité de la justice, par exemple le travail quotidien des juges des mineurs)
· Présence sur les réseaux sociaux, en particulier sur Facebook
147. L’expérience montre que les citoyens s’intéressent à l’activité des autorités judiciaires, quand celle-ci leur est présentée de manière accessible. En particulier, les journées « portes ouvertes » attirent généralement un large public, qui en revient avec une image positive de la justice.
148. De tout temps, des procédures ont attiré l’attention des media et du public. C’est surtout le cas des affaires pénales. Dans certains cas, des affaires civiles sont aussi médiatisées (exemples récents, en France : succession contestée d’un chanteur à la mode et procédure d’arbitrage concernant un ancien ministre). Cela peut aussi être le cas de procédures administratives (exemple récent, en Suisse : annulation, par un tribunal administratif, du résultat d’une votation populaire).
149. La justice ne peut pas ignorer les besoins en information du public et a un intérêt à ce que les procédures soient présentées par les media d’une manière correcte. Elle doit donc veiller à permettre aux media d’accéder à des informations aussi complètes et exactes que possible, en fonction du cadre légal.
150. En raison de leurs rôles fondamentalement différents dans le procès, les tribunaux et les ministères publics (ou autres autorités judiciaires de poursuite pénale) n’assument pas les mêmes responsabilités et ne disposent pas de la même marge de manœuvre en ce qui concerne l’information au public. On examinera donc séparément leur situation du point de vue de la communication.
6.2.1. INTRODUCTION
151. En règle générale, les tribunaux et les juges qui les composent n’ont pas à s’exprimer publiquement sur des procédures en cours, ni ensuite à commenter leurs jugements dans les media.
152. Comme l’a en effet relevé le CCJE, « les juges s’expriment avant tout par la motivation de leurs décisions et ne devraient pas expliquer eux-mêmes celles-ci dans la presse ou, plus généralement, s’exprimer publiquement dans les media sur les affaires dont ils ont la charge » (avis N° 7 CCJE, ch. 34).
153. Cela n’empêche cependant pas les tribunaux de veiller à une bonne information du public au sujet des affaires qu’ils traitent, ceci déjà avant les audiences, puis, durant celles-ci, de mener les débats d’une manière qui permet aux media de comprendre les procédures et les enjeux de celles-ci.
154. Les tribunaux sont ouverts et accessibles à tous, à l'exception des audiences spécifiques tenues à huis clos.
155. Ils doivent s'exprimer de façon claire et compréhensible, tant dans la parole que par écrit. La formulation - que ce soit dans les jugements, les lettres ou les lignes directrices - doit être facile à lire pour tous les personnes à qui ils s’adressent.
156. Le niveau de langue utilisée dans les tribunaux devrait refléter la qualité, le service et l'efficacité nécessaires pour être reconnus et respectés. On peut donc envisager la possibilité d'élaborer une politique pour un bon usage de la langue dans les tribunaux. Cette politique linguistique devrait viser à assurer la cohérence et l'accessibilité de la communication orale et écrite pour les différents groupes cibles : citoyens, entreprises, organisations, avocats, autorités publiques, journalistes, hommes politiques, etc.
157. Qu'il s'agisse de rédiger des lettres, des sommations, des directives ou d'autres formes écrites d'information, il est important d'imaginer le destinataire comme un citoyen ordinaire. Très peu de personnes ont les qualifications nécessaires pour comprendre le langage spécialisé utilisé par les professionnels du système judiciaire. De même, très peu de gens sont habitués à lire des phrases longues et compliquées ou des textes rédigés en trop petits caractères. Les lettres et autres textes doivent donc toujours être rédigés dans un langage simple, clair et compréhensible, afin de s'assurer que tous ceux à qui s'adresse le texte puissent le lire et le comprendre sans difficulté.
6.2.2. AVANT LES AUDIENCES
158. Le calendrier des audiences – en principe anonymisé – devrait être mis à disposition des media. Avant l’internet, ils pouvaient être envoyés aux media qui en avaient exprimé le souhait. Actuellement, il suffit de le publier sur le site web du tribunal.
159. Dans les limites imposées par le secret de fonction, d’autres documents peuvent être diffusés avant les audiences. Dans les affaires pénales d’une certaine importance et dans certains pays, il est de tradition que les journalistes puissent accéder, sur demande, à l’acte d’accusation. Cela leur permet de distinguer ce qui, dans la masse des procédures, paraît présenter un intérêt pour le public, puis le cas échéant de se préparer à l’audience.
160. Il peut se justifier, dans les affaires suivies par les media et dont le traitement ne se résume pas à une audience lors de laquelle le jugement est rendu, d’informer les journalistes de l’avancement des procédures. Cela peut se faire par des communiqués de presse et/ou des publications sur le site internet du tribunal.
161. Plus délicate est la question de savoir si, avant l’audience, le tribunal devrait accepter de fournir des explications aux media en rapport avec les procédures. En tout cas, il paraît exclu que les juges qui seront appelés à statuer s’expriment à ce sujet. Dans certains cas, il peut par contre être utile qu’un porte-parole fournisse des renseignements purement factuels, par exemple sur la durée prévue d’une audience, le nombre de témoins qui seront appelés à la barre ou le contexte général de l’affaire.
6.2.3. PENDANT LES AUDIENCES
162. S’il est clair que les juges en charge du dossier ne devrait pas s’exprimer autrement que dans le cadre strict de l’audience, rien ne les empêche, dans ce même cadre, d’expliquer aux parties le déroulement de la procédure, de s’exprimer clairement, de motiver de manière compréhensibles les prononcés intermédiaires, etc. Ce faisant, ils permettent aux media de comprendre ce qui se passe et donc de diffuser ensuite des informations exactes.
163. Selon les circonstances, le porte-parole du tribunal pourrait fournir aux media des informations complémentaires, par exemple en rapport avec des incidents d’audience. Le porte-parole devrait cependant se limiter à des réponses purement factuelles et éviter toute interprétation.
164. Les juges favorisent l'ouverture et la transparence en s'exprimant haut et fort dans la salle d'audience, dans un langage compréhensible, ce qui permet aux parties, aux témoins et à tous les auditeurs présents de suivre les débats.
6.2.4. JUGEMENTS
165. Lorsqu’un jugement est motivé oralement, cette motivation devrait être suffisamment claire, précise et concise pour que non seulement les parties et leurs mandataires, mais aussi le public et les media puissent bien comprendre ce qui a été décidé et pour quels motifs. L’exercice n’est pas toujours aisé, en particulier dans les procédures complexes ou quand sont traitées des questions techniques, mais il mérite d’être tenté.
166. Qu’il y ait eu une motivation orale ou non, la motivation écrite du jugement devrait répondre aux mêmes impératifs de clarté, de précision et de concision. Dès lors, une rédaction dans un langage accessible aussi aux profanes devrait être privilégiée.
167. Les jugements sont souvent adressés à plusieurs destinataires : les parties concernées, les professionnels tels que les juges et les avocats, les membres des jurys et parfois les media. Tous ont des idées préconçues et des attentes différentes, et ils lisent le jugement à partir de leur propre point de vue. Il est difficile de considérer tous ces intérêts, mais si les parties concernées comprennent le jugement et ses prémisses, y compris sa formulation et ses concepts, les professionnels pourront également les comprendre. Le langage et la présentation du jugement doivent donc être non seulement clairs et factuels, mais aussi compréhensibles pour tous ses destinataires. Dans certains pays, des lignes directrices existent à ce sujet.
6.2.5. APRÈS LES JUGEMENTS
168. Les pratiques au sujet de la publication des jugements diffèrent selon les pays et, dans un même Etat, selon les degrés de juridiction. La plupart des cours suprêmes publient intégralement les arrêts qu’elles rendent. C’est aussi le cas pour de nombreuses juridictions d’appel. La publication des jugements de première instance est moins fréquente.
169. Selon les traditions, les jugements publiés sont anonymisés ou pas. L’anonymisation avant publication demande en principe un certain travail et donc des moyens en personnel. Certaines juridictions conçoivent cependant leurs jugements de manière à ce qu’elle puisse se faire automatiquement, au moyen de programmes informatiques adéquats.
170. La publication peut intervenir sur un site internet spécifique, ainsi que dans des revues et recueils de jurisprudence.
171. Il serait sans doute opportun que, dans toute la mesure du possible, les jugements rendus soient publiés sur les sites internet des juridictions. Cela permettrait déjà aux avocats, autres juristes et professeurs de droit de se tenir facilement au courant de la jurisprudence, mais aussi aux media d’avoir accès aux jugements, de manière à pouvoir en rendre compte dans la mesure jugée utile pour le public. Par exemple, tous les arrêts du Tribunal fédéral suisse sont publiés – sous une forme anonymisée – sur le site internet de ce tribunal, quelques semaines après qu’ils ont été rendus.
172. Dans certains cas, il peut se justifier, quand un jugement n’a pas été rendu en audience publique, mais que la procédure antérieure a été suivie par des journalistes, que le tribunal publie un communiqué de presse immédiat, avec le dispositif et un résumé des considérants.
173. Les juges n’ont pas à commenter publiquement leurs jugements après que ceux-ci ont été rendus. La motivation qui en a été donnée en audience ou dans un jugement dont le texte a été rendu public devrait suffire.
174. Il peut cependant arriver qu’un média publie, en rapport avec un jugement, des informations factuellement fausses, parce que le journaliste l’a mal compris. Dans ces cas, l’intérêt public et l’intérêt du tribunal à ce qu’on ne lui impute pas un jugement considéré à tort comme erroné peuvent commander que le tribunal demande au média concerné la publication d’un rectificatif. Ce genre de démarche n’est pas apprécié des rédactions, mais peut se révéler nécessaire en fonction de l’importance de la procédure, de l’impact sur le public de la fausse information, des conséquences éventuelles de cette fausse information sur l’image du tribunal, etc.
6.3.1. INTRODUCTION
175. Les media manifestent un intérêt certain pour les procédures pénales d’une certaine importance, cet intérêt pouvant être lié à la gravité ou à la particularité de l’infraction commise, à la notoriété des personnes en cause ou encore à celle de leurs avocats Les autorités judiciaires de poursuite pénale doivent en prendre acte et s’efforcer de répondre, déjà en cours d’enquête et dans les limites de la loi, aux attentes des media et du public.
176. Dans les pays où la poursuite pénale n’est exercée que par le ministère public, c’est à celui-ci qu’il appartient d’informer le public sur les procédures en cours.
177. Là où existent aussi des juges d’instruction, la loi ou la pratique peuvent déterminer quelle autorité est habilitée à communiquer sur les affaires en cours. En France, les juges d’instruction sont invités à s’abstenir de toute communication, celle-ci relevant de la compétence exclusive du ministère public. La solution peut être différente ailleurs.
178. Dans certains pays, la communication sur les affaires pénales relève entièrement ou partiellement de la police (Grande-Bretagne, Espagne, etc.). Il ne sera pas question ici de la communication par la police, étant cependant entendu que les mêmes principes s’appliquent, mutatis mutandis, à celle-ci.
6.3.2. CADRE GÉNÉRAL DE LA COMMUNICATION PAR LE MINISTÈRE PUBLIC
179. Le ministère public doit respecter un certain cadre pour sa communication. En d’autres termes, celle-ci doit s’inscrire dans certaines limites.
180. Les limites englobent les grands principes du droit pénal : indépendance de la justice ; efficacité, secret et impartialité de l’enquête ; présomption d’innocence ; impartialité du juge ; droits des victimes et de leurs proches ; respect du principe de la dignité humaine (ne pas donner de détails qui ne serviraient qu’à satisfaire une curiosité malsaine) ; etc.
181. Le CCPE s’est exprimé de la manière suivante sur le rôle du ministère public dans la communication envers les media et le public :
182. « Le droit du public à recevoir de l’information devrait […] être assuré[11]. Cependant, la manière dont ce droit est appliqué peut être influencée et dépendre des circonstances spécifiques de l’affaire. Ce droit peut également être sujet à des restrictions, le cas échéant, afin d’assurer le respect des principes de base » (avis N° 8 CCPE, ch. 22).
183. « Les procureurs peuvent donner des informations aux media à tous les stades de leurs activités, tout en respectant les dispositions légales qui régissent la protection des données à caractère personnel, la vie privée, la dignité, la présomption d’innocence, les règles déontologiques relatives aux relations avec les autres participants à la procédure, ainsi que les dispositions légales interdisant ou limitant les conditions de diffusion de certaines informations » (idem, ch. 38).
184. « Dans tous les cas, les dispositions légales qui régissent les secrets protégés par la loi, y compris le caractère confidentiel des enquêtes, devraient être respectées » (idem, ch. 39).
185. « Les procureurs devraient veiller à ce que l’information fournie aux media ne compromette pas le déroulement des enquêtes et des poursuites ou l'objectif de l'enquête. Elle ne devrait pas porter atteinte aux droits des tiers ou influencer ceux qui sont impliqués dans les enquêtes ou les poursuites, ou la procédure judiciaire » (idem, ch. 23).
186. « Les procureurs devraient être spécialement sensibles aux droits de la défense, à la liberté d’expression, à la présomption d’innocence et au droit d’être informé » (idem, ch. 24).
187. « Dans leurs communications, les procureurs devraient veiller à ne pas compromettre les droits de la défense en diffusant une information de manière prématurée et en ne permettant pas à la défense d’y répondre. Ils devraient aussi veiller à ne pas transmettre une information qui ne respecterait pas le droit des victimes à être informées de manière appropriée. Fournir de l'information ne devrait pas non plus porter atteinte au droit des personnes à un procès équitable » (idem, ch. 25).
188. « Dans leurs communications, les procureurs devraient veiller à ne pas compromettre la sécurité des personnes concernées, notamment les témoins, les victimes, les procureurs et les magistrats chargés des dossiers délicats » (idem, ch. 26).
189. « Un équilibre doit être établi, par le biais du respect de la présomption d'innocence, entre l'intérêt du public à l'information et la protection de l'honneur et de l'intégrité des personnes. Le procureur, lorsque cela relève de sa compétence, sera attentif à ne pas permettre d’exposer publiquement une personne détenue et préservera, de manière appropriée, de la pression médiatique les personnes concernées par un dossier et, en particulier, les victimes de manière à éviter tout risque de harcèlement médiatique » (idem, ch. 27).
190. « A toutes les étapes de la procédure, les participants, quels que soient leurs rôles, ont droit à la dignité, au respect de leur vie privée et familiale et à la sécurité personnelle » (idem, ch. 28).
6.3.3. PENDANT L’ENQUÊTE
191. Les besoins en communication peuvent être différents selon que l’enquête porte sur des événements dont la nature fait que les media et le public en sont informés rapidement (crimes commis dans l’espace public, perquisitions d’une certaine ampleur qui nécessitent un important déploiement de moyens, arrestations sur le domaine public, etc.) ou des faits en principe inconnus des media et du public (sous la réserve de fuites, toujours possibles).
192. Le ministère public doit décider s’il se contente, le cas échéant, d’une communication réactive (passive), soit de répondre aux éventuelles demandes des media, ou si, au contraire, il entend diffuser spontanément des informations, par une communication proactive (active).
193. Quand un événement est forcément déjà connu du public, une communication proactive s’impose souvent, notamment afin d’éviter la diffusion de nouvelles fausses ou de devoir répondre au fur et à mesure à de multiples demandes des media. Il s’agit alors d’anticiper au lieu de corriger. La situation est différente quand les faits sont en principe inconnus du public et des media : dans ces cas, il appartient au ministère public de déterminer si une communication proactive se justifie ; cela pourra par exemple être le cas si des fuites sont à craindre, ou s’il existe de toute manière un intérêt public à la diffusion d’informations au sujet de l’affaire (exemple : démantèlement d’un réseau de trafiquants de stupéfiants).
194. Quelle que soit la constellation, la communication par l’autorité pénale doit respecter le cadre légal.
195. Le principe est que le secret de fonction, respectivement le secret de l’instruction, auxquels sont soumis aussi bien les procureurs que leurs auxiliaires et les policiers, empêche la divulgation publique d’informations, à moins que certaines conditions soient réunies.
196. En règle générale, il doit exister un intérêt public – et pas seulement un certain intérêt du public ou des media - à la diffusion d’informations pour qu’une communication se justifie. Il convient de procéder à une pesée d’intérêts, entre celui des personnes concernées au maintien du secret et l’intérêt public – et du public – à la communication d’informations.
197. L’intérêt public se fonde en principe sur l’un ou plusieurs des critères suivants :
· Obtenir la collaboration de la population pour l’élucidation d’affaires ou la recherche de suspects (appel à témoins ; diffusion aux media d’une photo d’un suspect avec visage flouté, avec appel à ce suspect pour qu’il se présente, puis diffusion aux media de la photo non floutée, puis publication des images sur le site internet de la police).
· Mettre en garde ou tranquilliser la population (exemples: série d’escroqueries au préjudice de personnes âgées, arrestation d’un cambrioleur multiple).
· Rectifier ou prévenir la diffusion d’informations ou rumeurs inexactes.
· Portée particulière de l’affaire (gravité de l’infraction, importance de la procédure, publicité déjà donnée à celle-ci dans les media, etc.).
Quant au contenu des informations données par l’autorité pénale, les critères suivants s’appliquent :
· Objectivité de la communication : l’information donnée doit se fonder uniquement sur des éléments objectifs tirés de la procédure.
· Préservation des intérêts de l’enquête : s’abstenir de révéler des faits dont la connaissance par le public pourrait compromettre le résultat de l’enquête en cours (exemples : perquisitions envisagées, nature de certaines preuves recueillies, etc.).
· Réponse, dans toute la mesure du possible, aux six questions traditionnelles du journaliste : Qui ? Quand ? Quoi ? Où ? Comment ? Pourquoi ?
· Exactitude de l’information : ne jamais mentir, même par omission.
· Respect de la présomption d’innocence : pas de préjugés quant à la culpabilité, sauf quand le suspect a déjà fait des aveux crédibles (éventuel rappel exprès de la présomption d’innocence, en particulier quand celle-ci est mise à mal par des publications déjà intervenues).
· Respect de la personnalité des personnes concernées : pas de détails inutiles sur la situation de famille, l’état physique et psychique ou encore la situation personnelle des personnes en cause.
· Identité et autres informations sur la personne poursuivie et les autres personnes concernées : les pratiques varient sensiblement selon les traditions nationales et locales, certaines autorités pénales ayant pour habitude de révéler l’identité des suspects, alors qu’ailleurs, elles ne révèlent même pas leur nationalité ; des critères particuliers peuvent s’appliquer quand des personnages publics sont en cause (le CCPE, dans son avis N° 8, ch. 29, dit ceci à ce sujet : « Dans toute la mesure du possible, lors de la phase d'enquête, l'identité des suspects ne devrait pas être divulguée. Une attention particulière devrait être accordée aux droits des victimes avant la divulgation »).
· Proportionnalité : par exemple, il est en principe disproportionné de publier qu’un commerçant d’un village a été interpellé pour ivresse au volant, la situation étant différente si la personne interpellée est un député.
· Transparence, dans la mesure du possible.
· Ce qui est utile et justifié, mais seulement cela («ni trop, ni pas assez»).
· Respect de l’indépendance de la justice et de l’impartialité des juges.
198. L’autorité pénale dispose d’un large pouvoir d’appréciation pour déterminer dans quel cas une information au public se justifie et, le cas échéant, quelle doit être l’ampleur et la nature de la publication.
199. Dans certains pays, il est courant que des fuites surviennent lors des enquêtes pénales : les media publient le contenu de procès-verbaux d’interrogatoires et de rapports d’expertise, renseignent sur les actes d’enquête envisagés, etc. Ces fuites peuvent être le fait de l’autorité pénale elle-même (procureur et ses auxiliaires), de la police ou des mandataires des parties. Elles peuvent entraîner la nécessité, pour l’autorité en charge de la communication, d’adapter cette dernière à la nouvelle situation créée par les fuites.
6.3.4. PROCÉDURE DEVANT LE TRIBUNAL
200. L’autorité judiciaire de poursuite pénale est partie à la procédure devant le tribunal. Elle dispose donc, en principe, de la même latitude que les autres parties pour commenter publiquement le déroulement de la procédure. Elle devrait cependant s’imposer une certaine réserve et en tout cas s’abstenir de remarques négatives au sujet du tribunal.
201. Un procureur peut notamment être amené à expliquer à des journalistes, en marge des débats, les faits et leur contexte, certaines questions juridiques et l’implication de certains incidents d’audience.
202. Lorsque le jugement a été rendu, les mandataires des parties ne se privent pas de faire part de leurs sentiments et conclusions en rapport avec le prononcé.
203. Quant au ministère public, il devrait là aussi s’imposer une certaine réserve, mais rien ne devrait l’empêcher d’indiquer aux media s’il entend ou non d’appeler du jugement, le cas échéant de déposer un appel joint dans l’hypothèse où une autre partie ferait appel. Il devrait aussi pouvoir répondre à des demandes des media au sujet des conséquences possibles du jugement, dans le cas particulier et, en général, pour l’application de la loi.
204. Les media travaillent souvent avec des délais très courts. Certains journalistes ne travaillent pas régulièrement dans le domaine de la justice et beaucoup d'entre eux ne sont pas formés aux questions judiciaires. Il peut donc être utile de fournir des informations aux journalistes sur les règles générales, les droits et obligations lorsqu'ils couvrent des affaires judiciaires, ainsi que sur les attentes que les tribunaux peuvent avoir envers les media. Ces informations devraient être présentées de manière facilement accessible, c'est-à-dire sur un site web, une application ou tout autre moyen numérique, qui soit constamment mise à jour, permettant ainsi aux journalistes de bénéficier du meilleur environnement possible pour fournir une couverture précise et équilibrée au public.
205. Dans un contexte de forte concurrence, les media peuvent être tentés de rechercher et publier des « scoops », sans égards, par exemple, pour l’intérêt d’une enquête, la maîtrise d’une situation hors normes (attentat terroriste, etc.) ou la protection de la personnalité des personnes en cause.
206. Dans certains pays, des situations particulières ont conduit les autorités politiques à chercher les moyens d’encadrer l’activité médiatique. En France, par exemple, le législateur, après les attentats du 13 novembre 2015, a donné le mandat au Conseil supérieur de l’audiovisuel d’adopter un Code de bonne conduite, destiné à prévenir les débordements dans la couverture audiovisuelle des attentats terroristes (des chaînes de télévision avaient notamment diffusé des images des forces de sécurité se préparant à un assaut contre un terroriste retranché, ce qui avait pu fournir à ce dernier des informations susceptibles de mettre en danger les otages qu’il détenait). Ce code de conduite a été préparé lors de rencontres entre des journalistes, des experts, des organisations professionnelles, des représentants des victimes et le procureur de Paris.
207. Ailleurs, on se contente en principe – pour le moment ? – de l’autorégulation par les journalistes de l’exercice de leur profession. Des codes de déontologie ou autres chartes des droits et devoirs des journalistes contiennent des règles plus ou moins précises, destinées à guider les media dans la recherche et le traitement des informations.
208. Généralement, les crises surviennent au moment où on les attend le moins et donc sans qu’une préparation soit possible.
209. Par crises, on entend notamment les cas suivants, qui nécessitent que l’autorité judiciaire assure une communication rapide et adéquate :
· Événements de grande ampleur (crimes graves, etc.)
· Publication d’informations erronées au sujet d’affaires en cours (dans des cas particuliers où cette publication met en danger immédiat le fonctionnement ou la réputation d’une institution judiciaire, par exemple en raison de la dissémination très large des fausses informations sur les réseaux sociaux)
· Attaques publiques contre un tribunal ou un ministère public en général
· Attaques publiques contre un ou des juges ou procureurs
· Erreurs constatées ou supposées dans le traitement de dossiers par une autorité judiciaire
Le but de la communication de crise consiste alors à, selon les cas :
· Informer sur la situation et les mesures prises
· Rassurer ou mettre en garde la population
· Rectifier des informations inexactes
· Rétablir des faits et expliquer la situation juridique
· Préserver ou rétablir la confiance dans les institutions judiciaires ou d’autres institutions
· Préserver ou rétablir la réputation de personnes physiques et morales
· Répondre aux attaques
210. Dans de telles circonstances, il est essentiel d’assurer aux media l’accès à l’information, afin d’éviter qu’ils spéculent, publient des interprétations douteuses, etc. L’autorité judiciaire devra donc être disponible. En particulier, un porte-parole devrait être désigné, si l’entité concernée n’en dispose pas encore, car cela permet notamment de canaliser et gérer les demandes des media. Ce porte-parole devrait être suffisamment disponible pour répondre en temps réel ou au moins sans retard. Cela peut nécessiter la désignation d’un ou plusieurs remplaçants, qui peuvent le suppléer en cas de besoin. Une cellule de crise peut aussi être mise en place, comprenant le porte-parole éventuel et d’autres membres de l’autorité concerné, ainsi que, le cas échéant, des représentants d’autres entités, dans le but d’assurer une bonne coordination de la communication.
211. La communication doit intervenir en temps utile, en tenant compte de besoins différents selon les types de media et en veillant à un traitement équitable des différents journalistes (égalité dans l’accès aux sources d’information et dans les informations transmises). Les informations communiquées seront exactes et en principe suffisantes.
212. Une priorité sera aussi de permettre aux magistrats et greffiers de l’entité judiciaire concernée – et tout particulièrement à ceux qui, le cas échéant, sont en charge de la procédure qui a donné lieu à la crise - de continuer à travailler de manière sereine et efficace.
213. Quand d’autres entités sont également concernées par la situation, une coordination de la communication avec ces entités revêt une importance primordiale (autres entités judiciaires, police, services de secours, autorités politiques et administratives, personnes et organisations privées directement concernées, le cas échéant leurs mandataires).
214. La première chose à faire pour la personne en charge de la communication est de récolter les informations pertinentes, avec la difficulté que celles-ci peuvent provenir de sources multiples. Le porte-parole doit donc s’assurer un accès direct aux détenteurs des informations, afin de recevoir de leur part les réponses nécessaires, et obtenir de ces mêmes personnes qu’elles lui transmettent spontanément et en temps réel les informations pertinentes.
215. Les étapes du traitement de l’information sont les suivantes :
· Centralisation auprès du chargé de communication
· Tri
· Compilation
· Recoupement
· Synthèse
· Diffusion de l’information
216. La diffusion de l’information peut, selon les circonstances, se faire de manière proactive, ce qui pourrait être la règle, ou réactive. Le cercle des destinataires peut comprendre les media, mais aussi le public directement (par les media sociaux), d’autres entités étatiques et les personnes et organisations directement concernées (victimes, proches, etc.). Une diffusion d’informations à l’interne de l’entité concernée peut aussi se justifier.
217. Pour les moyens de communication, on peut se référer à ce qui a été mentionné plus haut, en précisant qu’il peut être nécessaire de fournir des informations différentes selon les destinataires, en fonction du « need to know » et de la nécessité de protéger certaines informations qui doivent rester confidentielles.
218. La communication de crise comporte forcément des risques. Le premier de ces risques est celui de confondre, dans l’urgence, vitesse et précipitation : le porte-parole doit se souvenir qu’une information exacte communiquée un peu plus tard vaut toujours mieux qu’une information erronée donnée très rapidement. Un autre risque est lié à l’évolution parfois rapide de la situation : les renseignements donnés au public à un certain moment peuvent déjà être dépassés. Les problèmes viennent ensuite de la qualité des informations à disposition, quand elles doivent être recueillies dans l’urgence : ces informations peuvent être lacunaires, non vérifiables, voire contradictoires. Enfin, on peut encore mentionner le risque d’interférences : enquêtes journalistiques menées en parallèle, diffusion d’informations en temps réel dans les media (qui peuvent nuire au processus) et interventions de tiers, notamment du personnel politique (interventions publiques ou directement envers l’entité judiciaire concernée).
219. Quand une institution judiciaire constate qu’une erreur a été commise en son sein, il serait vain de vouloir tenter de la nier quand les media interrogent la juridiction concernée à ce sujet. La communication doit être adaptée à la situation particulière et permettre de la maîtriser dans toute la mesure du possible, en évitant que l’erreur ternisse durablement l’image de l’entité concernée ou même celle du système judiciaire en général. Une méthode qui donne généralement de bons résultats consiste à :
· reconnaître l’erreur (en expliquant, le cas échéant, comment elle a pu se produire et sans tenter de la minimiser de manière peu crédible) ;
· présenter les excuses ou les regrets de l’institution ;
· dire que tout sera mis en œuvre pour qu’une erreur semblable ne se reproduise pas ;
· exposer, le cas échéant, les mesures qui ont été et/ou seront prises pour prévenir la répétition d’erreurs du même genre.
220. Quand l’erreur était individuelle, il est sans doute opportun que le chef de l’institution (président du tribunal ou procureur général) s’exprime publiquement pour, le cas échéant, manifester sa confiance envers la personne concernée et lui apporter son soutien. Une telle intervention se justifie évidemment moins si des sanctions disciplinaires significatives sont envisagées.
221. Si un magistrat est mis en cause de manière injuste dans les media, des mesures spécifiques peuvent être prises. Le CCPE a traité le cas des procureurs (avis N° 8 CCPE, ch. 45), mais les mêmes principes peuvent aussi s’appliquer aux juges : « Lorsqu’un procureur est mis en cause à titre individuel d’une manière injuste dans les media, il est en droit d’obtenir que les informations contestées soient rectifiées ou d’utiliser d’autres recours légaux, conformément au droit national. Néanmoins, dans de tels cas ou quand de fausses informations ont été publiées concernant des événements ou des personnes figurant dans des dossiers qu’il traite, toute réaction devrait émaner, si possible, du chef du service ou d’un porte-parole du service du ministère public, et dans les cas graves du procureur général ou de la plus haute autorité du parquet ou étatique compétente. Cette réaction officielle permettra de limiter le besoin pour le procureur concerné d’exercer son droit de réponse, droit qui est assuré à toute personne, ainsi que le risque d’une personnalisation excessive du conflit ».
222. La conscience des risques et la mise en œuvre de processus bien définis permettent en général d’assurer une communication adéquate dans ces situations de crise.
223. Les autorités judiciaires devraient pouvoir se faire une idée précise de leur image médiatique et de la manière dont leurs propres communications sont appréhendées et traitées par les media et, s’agissant des media sociaux, par le public.
224. A cet effet, elles peuvent, dans la mesure de leurs moyens, constituer ce qu’on appelle des revues de presse, soit rechercher et compiler ce que les media publient à leur sujet et, dans l’idéal, en tirer ce qui paraît relevant et le distribuer à l’interne, à intervalles réguliers.
225. Ces revues de presse permettent aux autorités judiciaires de déterminer si leurs messages ont été correctement compris, repris et diffusés, ce qui présente de l’intérêt pour les media et d’éventuels besoins en informations complémentaires. Elles reflètent aussi l’image générale de l’institution auprès des media.
226. Elles peuvent amener le tribunal/ministère public concerné à prendre des mesures concrètes pour faire rectifier des informations erronées ou compléter les informations données.
227. Une évaluation régulière de la situation, fondée sur les revues de presse, peut démontrer la nécessité, pour l’autorité judiciaire concernée, de prendre des mesures destinées à améliorer sa communication, de manière générale, à rectifier son image auprès du public et, le cas échéant, à améliorer le fonctionnement de l’entité, en fonction de remarques justifiées que ce fonctionnement a suscitées.
228. Quand une entité judiciaire est dotée d’un porte-parole, celui-ci devrait en principe se charger d’établir ces revues de presse et de les diffuser à l’interne, à moins que le budget à disposition permette de déléguer cette tâche à une agence de communication.
229. Afin d’évaluer l’image des institutions judiciaires et l’impact de leur communication, il est aussi possible d’avoir recours à des enquêtes ou sondages. Certains tribunaux proposent à leurs usagers – parties, mandataires, public des audiences - de remplir des formules en répondant à des questions sur la manière dont le processus judiciaire est perçu. A l’initiative de media également, il est parfois procédé à des enquêtes de satisfaction auprès de ces usagers. L’analyse des résultats permet en principe de former un tableau assez exact de l’image des institutions concernées, ce qui peut amener celles-ci à prendre des mesures pour l’améliorer, respectivement pour améliorer son fonctionnement.
230. Des trois pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, c’est ce dernier qui reste le moins visible des citoyens, essentiellement parce que c’est celui qui se manifeste le moins dans le débat public. En conséquence, la justice est souvent mal connue et comprise, alors que la confiance du public envers la justice dépend de la compréhension qu’il peut avoir de l’activité judiciaire.
231. La justice ne peut échapper à la médiatisation d’une partie toujours plus large de ses activités et les institutions judiciaires, nolens volens, doivent affronter les défis liés à la communication, en tenant compte des exigences toujours plus grandes de transparence de l’activité étatique.
232. Les journalistes devraient être considérés comme des partenaires et pas des adversaires des institutions judiciaires. Celles-ci peuvent fixer un cadre et des conditions à leurs interactions avec les media.
233. La communication judiciaire devrait s’inscrire dans une stratégie générale, qui devrait définir les messages que la justice veut faire passer au public, porter sur l’information au sujet de l’ensemble de l’activité judiciaire, prendre en compte l’utilisation de tous les moyens de communication à disposition et définir le public-cible de chaque genre de communication.
234. L’objet de la communication judiciaire consiste à :
· informer sur activité concrète de la justice, dans des affaires particulières
· affirmer le rôle de la justice dans la société
· affirmer l’indépendance des institutions judiciaires, en particulier quand celle-ci est mise en question
· promouvoir le respect des institutions judiciaires et de leurs représentants
· renforcer – ou restaurer – la confiance des citoyens dans les institutions judiciaires
· prendre publiquement position sur des sujets intéressant la justice et des sujets de société, quand les circonstances le justifient
· améliorer la compréhension des lois par le public
· plus généralement, maintenir et renforcer l’image de la justice
235. Déterminer qui peut et doit se charger, pour l’institution judiciaire, de la communication avec le public et les media dépend de l’objet de la communication envisagée, mais aussi des circonstances concrètes.
236. Les associations professionnelles de juges et/ou de procureurs peuvent notamment communiquer sur des sujets généraux concernant la justice, des rappels de principes fondamentaux (indépendance de la justice, présomption d’innocence, etc.) et des questions législatives et des sujets de société. Elles peuvent aussi jouer un rôle important pour défendre des tribunaux, ministères publics et/ou magistrats individuels publiquement mis en cause.
237. Les tribunaux peuvent notamment communiquer sur leur organisation, leur fonctionnement et leur activité. Ils peuvent aussi prendre position sur des situations intéressant spécifiquement l’entité. S’agissant de procédures en cours, la possibilité de diffuser des informations est limitée. Les mêmes principes s’appliquent aux ministères publics, lesquels disposent cependant d’une plus grande liberté dans la communication sur des procédures en cours.
238. Les juges, individuellement, devraient s’abstenir de commenter publiquement les procédures dont ils ont la charge, mais les ministères publics peuvent informer le public en cours de procédure, quand la situation le justifie. Juges et procureurs peuvent être amenés à intervenir dans le débat public sur d’autres sujets.
239. Afin d’assurer la cohérence de la communication et l’accessibilité aux informations pour les media, les institutions judiciaires peuvent désigner un porte-parole, qui :
· décharge les magistrats des tâches de communication ;
· peut être une personne disposant d’une formation journalistique ou un juge ou procureur spécialisé, déchargé de certaines autres tâches ;
· assume en principe l’ensemble de la communication de l’entité judiciaire à laquelle il appartient ;
· assure une communication proactive et réactive, régulière dans le temps, exacte, suffisante, cohérente et adéquate ;
· identifie les besoins spécifiques en communication, qu’il s’efforce de satisfaire dans les limites imposées par la loi et l’opportunité ;
· veille à un traitement équitable des différents journalistes (principe d’égalité entre les media) ;
· veille, le cas échéant, à la coordination de l’information avec les autres services, entités et personnes concernés ;
· entretient des contacts réguliers avec les journalistes qui suivent habituellement l’activité judiciaire, ainsi qu’avec les juges ou procureurs de son entité ;
· devrait être directement subordonné au magistrat responsable de l’entité judiciaire concernée (président du tribunal, procureur en chef).
240. Les institutions judiciaires devraient rechercher et proposer aux juges et procureurs des formations adéquates aux métiers de la communication, dans la formation initiale et continue.
241. Juges et procureurs jouissent, de manière générale, de la liberté d’expression. Cette liberté d’expression des magistrats, quand ils se présentent ou sont présentés en cette qualité, connaît cependant des limites, du fait de leur statut particulier (secret de fonction, devoirs généraux de réserve et de dignité).
242. Moyens de communication à disposition des autorités judiciaires :
· communiqué de presse : permet de fournir à de nombreuses personnes, en principe en même temps, des informations que la justice entend diffuser ;
· conférence de presse (point presse) : permet, en plus, une interactivité immédiate avec les représentants des media ;
· entrevue accordée à un journaliste par un juge, procureur ou porte-parole : le magistrat ou le porte-parole peut exiger, comme condition à l’entrevue, de pouvoir contrôler avant publication les citations qui en seront faites ; chaque entité judiciaire devrait notamment définir le cercle des personnes habilités à accepter des entrevues ; la communication doit être adaptée au type de média concerné ;
· réponse écrite à des questions écrites : des règles internes devraient définir les compétences et processus à suivre pour ces réponses ;
· site internet : organisation et activité de l’entité ; audiences et événements à venir ; autres actualités de l’entité ;
· media sociaux : permettent de toucher directement un très large public, en particulier les jeunes ;
· conférences et débats publics sur des thèmes concernant la justice.
· messages filmés : information du public sur l’activité judiciaire en général ou des aspects spécifiques de cette activité ; diffusés par la télévision ou sur internet (YouTube) ;
· pour l’information générale sur l’activité judiciaire : documentation à disposition du public, guichets d’information, journées portes ouvertes.
· diffusion d'audiences ou de décisions judiciaires spécifiques.
Quel que soit le moyen choisi, la communication par les autorités judiciaires doit :
· répondre aux besoins de ces autorités et aux attentes perceptibles et supposées des media et du public
· intervenir au bon moment
· être adaptée au public visé
· se distinguer par sa qualité (vérité factuelle, objectivité, clarté, absence de spéculations).
243. Un système d’accréditation des journalistes auprès des autorités judiciaires peut être mis en place. Il a pour avantage que des journalistes qualifiés rapportent ensuite sur l’activité judiciaire et comme inconvénient que les media ne sont pas traités à égalité.
En général
244. La justice doit répondre aux besoins en information du public et a un intérêt à ce que les procédures soient présentées par les media d’une manière correcte.
245. En raison de leurs rôles fondamentalement différents dans le procès, les tribunaux et les ministères publics (ou autres autorités judiciaires de poursuite pénale) n’assument pas les mêmes responsabilités et ne disposent pas de la même marge de manœuvre en ce qui concerne l’information au public.
Tribunaux
246. En règle générale, les tribunaux et les juges qui les composent n’ont pas à s’exprimer publiquement sur des procédures en cours.
247. Le calendrier des audiences devrait être mis à disposition des media et du public. En cas de besoin, des communiqués de presse et/ou un site internet du tribunal peuvent informer les journalistes d’autres étapes de l’avancement de procédures.
248. Avant l’audience, les juges concernés n’ont pas s’exprimer publiquement sur la cause. Dans certains cas, il peut par contre être utile qu’un porte-parole fournisse des renseignements purement factuels (durée prévue d’une audience, nombre de témoins).
249. En audience, les juges devraient s’efforcer d’expliquer aux parties le déroulement de la procédure, de s’exprimer clairement et de motiver de manière compréhensible pour le profane les prononcés intermédiaires.
250. Selon les circonstances, le porte-parole du tribunal pourrait fournir aux media des informations complémentaires, par exemple en rapport avec des incidents d’audience.
251. Lorsqu’un jugement est motivé oralement, cette motivation devrait être claire, précise, concise et compréhensible aussi pour les journalistes et le public. La motivation écrite du jugement devrait répondre aux mêmes impératifs ; des directives peuvent être données aux juges à cet effet.
252. Les jugements devraient être publiés – le plus souvent sous une forme anonymisée – sur les sites internet des juridictions, au moins pour les cours supérieures.
253. Les juges n’ont pas à commenter publiquement leurs jugements après que ceux-ci ont été rendus. En cas de compte rendu erroné par un média, le tribunal peut demander la publication d’un rectificatif.
Ministère public
254. Le ministère public peut communiquer sur les procédures en cours, dans les limites fixées par les grands principes du droit pénal.
255. Quand un événement est déjà connu du public, une communication proactive s’impose le plus souvent, afin d’anticiper au lieu de corriger.
256. Il doit exister un intérêt public à la diffusion d’informations pour qu’une communication se justifie (collaboration de la population pour l’élucidation d’affaires ou la recherche de suspects ; mise en garde ou tranquillisation de la population ; rectification ou prévention de la diffusion d’informations ou rumeurs inexactes ; portée particulière de l’affaire).
257. Contenu des informations données :
· objectivité et exactitude ;
· préservation des intérêts de l’enquête ;
· réponse, si possible, aux questions : Qui ? Quand ? Quoi ? Où ? Comment ? Pourquoi ?
· respect de la présomption d’innocence ;
· respect de la personnalité des personnes concernées ;
· respect de l’indépendance des tribunaux et de l’impartialité des juges.
258. Durant la procédure devant le tribunal, le ministère public devrait s’imposer une certaine réserve. Il peut cependant être amené à expliquer à des journalistes, en marge des débats, les faits et leur contexte et certaines questions juridiques.
259. Lorsque le jugement a été rendu, le ministère public devrait là aussi s’imposer une certaine réserve, mais il peut notamment indiquer s’il entend ou non d’appeler du jugement.
Media
260. L’autorégulation par les journalistes de l’exercice de leur profession, par des codes de déontologie est la règle, mais les autorités en charge des media peuvent promulguer un code de bonne conduite.
261. Le but de la communication de crise consiste, selon les cas, à informer sur la situation et les mesures prises, rassurer ou mettre en garde la population, rectifier des informations inexactes, préserver ou rétablir la confiance dans les institutions judiciaires, préserver ou rétablir la réputation de personnes physiques et morales et répondre aux attaques.
262. Il convient d’assurer aux media l’accès à des informations exactes et vérifiées.
263. Un porte-parole devrait être désigné, si l’entité concernée n’en dispose pas encore. Une cellule de crise peut aussi être mise en place. La coordination de la communication avec les autres entités concernées doit être assurée.
264. La communication doit intervenir en temps utile, en tenant compte de besoins différents selon les types de media.
265. Le porte-parole récolte les informations pertinentes auprès des diverses sources, qui devraient aussi les lui transmettre spontanément. Les étapes du traitement de l’information sont ensuite les suivantes : tri, compilation, recoupement, synthèse et diffusion.
266. La communication de crise comporte des risques : confondre, dans l’urgence, vitesse et précipitation ; interférences par des enquêtes et publications journalistiques ; interventions de tiers, notamment du personnel politique.
267. Les autorités judiciaires devraient pouvoir se faire une idée précise de leur image médiatique et de la manière dont leurs propres communications sont appréhendées et traitées par les media et, s’agissant des media sociaux, par le public.
268. A cet effet, elles peuvent, dans la mesure de leurs moyens, constituer des revues de presse et effectuer des enquêtes et des sondages.