DECLASSIFIE[1]
AS/Mon (2024) 16
11 septembre 2024
fmondoc16 2024
or. angl.
Commission pour le respect des obligations et engagements des Etats membres du Conseil de l'Europe (Commission de suivi)
Le respect des obligations et engagements de la Türkiye
Note d'information faisant suite à la visite d'information (11-14 juin 2024)
Corapporteurs : M. Stefan Schennach (Autriche, SOC) et Mme Jill Mortimer (Royaume-Uni, CE/AD)
1. Introduction
1. Le 12 octobre 2022, l'Assemblée parlementaire a adopté la Résolution 2459 (2022) sur « Le respect des obligations et engagements de la Türkiye »[2], dans le cadre d'un examen à mi-parcours de la procédure de suivi. L'Assemblée s'est principalement intéressée à la mise en œuvre des arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme (« Cour »), notamment dans les affaires de MM. Osman Kavala[3] et Selahattin Demirtaş[4], l'indépendance du pouvoir judiciaire, les défis à l'État de droit et la préparation des élections législatives et de la présidentielle de 2023[5].
2. Les 12 et 13 janvier 2023, les précédents corapporteurs pour la Türkiye - MM. John Howell (Royaume-Uni, CE/AD) et Boriss Cilevičs (Lettonie, SOC) ont effectué une visite d'information dans le pays afin de rencontrer M. Osman Kavala, toujours en détention provisoire, et de discuter avec les autorités de sa situation. Les conclusions de cette visite figurent dans la précédente note d'information des corapporteurs de janvier 2023[6].
3. Depuis, la situation politique en Türkiye a évolué avec les élections présidentielle et législatives de 2023 et les élections locales du 31 mars 2024. L'organisation d'une nouvelle visite d'information a été reportée à plusieurs reprises en raison de l’évolution de la situation politique et également en raison de changements de rapporteurs[7]. Finalement, une visite d'information a été fixée du 11 au 14 juin 2024 mais malheureusement la corapporteure, Mme Mortimer, n'a pas pu y participer en raison des élections générales prévues au Royaume-Uni le 4 juillet 2024.
4. Au cours de la visite, j'ai rencontré tous les groupes politiques et les commissions de l'enquête sur les droits humains et de la justice à la Grande Assemblée nationale, la délégation de la Türkiye à l'Assemblée, les Vice-ministres de la Justice et des Affaires étrangères, les juges de la Cour constitutionnelle, le Procureur général près la Cour de cassation, différentes ONG et les milieux diplomatiques. En outre, j'ai visité les prisons de Sincan (Ankara), de Marmara (Istanbul) et d’Edirne. A la prison de Sincan, j'ai rencontré M. Murat Arslan ; à la prison de Marmara, MM. Osman Kavala et Bekir Kaya, et à la prison d'Edirne, M. Selahattin Demirtaş. A Istanbul, j'ai également parlé à l’épouse de M. Kavala, Mme Ayşe Buǧra Kavala.
5. Le programme de la visite est joint (voir annexe I), ainsi que la déclaration publiée à la fin de ma visite (voir annexe II). Je tiens à remercier les autorités d'avoir contribué à la préparation de cette visite, en particulier M. Yıldırım Tuğrul Türkeş (NI), Président de la Délégation turque à l'Assemblée, pour ses bons offices et les efforts qu'il a déployés afin de faciliter mes rencontres avec MM. Osman Kavala et Selahattin Demirtaş, cette dernière ayant été organisée dans des délais très brefs.
6. La présente note d'information portera sur les principales questions que j'ai soulevées avec les autorités ‑ l'indépendance du pouvoir judiciaire, les conditions de détention, l’exécution des arrêts de la Cour et la pratique consistant à remplacer les maires démocratiquement élus par des gouverneurs. En outre, je rendrai compte de mes visites dans les prisons de Sincan (Ankara), de Marmara (Istanbul) et d’Edirne.
2. Contexte politique et socio-économique
7. Le 6 février 2023, deux tremblements de terre dévastateurs, touchant les provinces du Sud-est de la Türkiye et le Nord-ouest de la Syrie, ont fait plus de 50 000 morts en Türkiye, au moins 100 000 blessés et près de 220 000 sans-abri et personnes déplacées. La crise du coût de la vie s’est poursuivie, avec une inflation des prix extrêmement élevée, estimée à plus de 71,60 % au début du mois de juin 2024[8].
8. Lors de la compétition présidentielle à deux tours de mai 2023, le président Recep Tayyip Erdoğan a été réélu, battant M. Kemal Kılıçdaroğlu, du Parti républicain du peuple (CHP) dans un contexte de forte participation. Toujours en mai 2023, une alliance menée par le Parti de la justice et du développement (AKP) au pouvoir a remporté la majorité des sièges parlementaires avec 49,5 % des voix, tandis qu'une alliance menée par le CHP en a obtenu 35 %. Le Parti de la gauche verte (YSP), pro-kurde, a obtenu 10,6 % des voix.
9. Les observateurs de l'Assemblée et du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (BIDDH/OSCE) ont indiqué que les médias publics avaient largement favorisé l'AKP et la coalition au pouvoir, qui avaient bénéficié d'un « avantage injustifié, y compris par une couverture médiatique biaisée » et que le Président Erdoğan avait accusé à plusieurs reprises des opposants politiques légitimes de soutenir le terrorisme au cours de la campagne. Les observateurs ont également souligné que les élections avaient été entachées par des restrictions continues des libertés de réunion, d'association et d'expression[9].
10. Les élections locales du 31 mars 2024 ont conduit à la victoire de l'opposition, en particulier dans les grandes villes, sur la côte méditerranéenne et dans le Sud-est du pays. Le scrutin a été observé par la mission d’observation électorale du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux, qui s'est félicitée du taux de participation élevé et des conditions pacifiques et professionnelles de leur déroulement[10].
3. Questions relatives à l'indépendance du pouvoir judiciaire
11. Dans sa Résolution 2459 (2022), l’Assemblée a noté que les amendements constitutionnels établissant un régime présidentiel ne garantissaient pas la séparation des pouvoirs et l'indépendance du pouvoir judiciaire, notamment en raison de la composition du Conseil des juges et des procureurs[11]. En outre, malgré certaines mesures prises - notamment l’adoption d’un plan d’action sur les droits humains en mars 2021 et le quatrième paquet de mesures judiciaires en juillet 2021 - les autorités n’ont pas été en mesure de traiter et de remédier à certains des problèmes systémiques qui compromettaient gravement le fonctionnement du système judiciaire[12]. L'Assemblée a également souligné le rôle important de la Cour constitutionnelle dans la promotion de la protection des libertés fondamentales, y compris le droit à un procès équitable, notamment par le biais du mécanisme des requêtes individuelles[13].
12. Les conclusions de l'Assemblée ont été soutenues par celles du Groupe d’Etats contre la corruption (GRECO) du Conseil de l'Europe qui, en mars 2022, a conclu, en ce qui concerne les juges et les procureurs, que « le niveau actuel de conformité avec les recommandations restait globalement insatisfaisant ». Le GRECO a également noté que « [...] l’exécutif a gardé une forte emprise sur un certain nombre de domaines clés concernant le fonctionnement du système judiciaire, notamment: le processus de sélection et de recrutement des candidats juges et procureurs; les mutations d’office de titulaires de fonctions judiciaires; les procédures disciplinaires; et la formation des juges et des procureurs » [14]. En juin 2023, le GRECO est parvenu aux mêmes conclusions. Il a estimé que « (...) des changements plus substantiels sont également nécessaires pour que les recommandations du GRECO soient pleinement mises en œuvre, notamment pour limiter le rôle et l’influence de l'exécutif sur un certain nombre de questions clés concernant le fonctionnement du système judiciaire » [15]. En outre, en mars 2024, Mme Dunja Mijatović, précédente Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, a souligné « une forte partialité du pouvoir judiciaire envers les intérêts politiques et un manque systémique d'indépendance du pouvoir judiciaire turc » dans son « Mémorandum sur la liberté d'expression et des médias, des défenseurs des droits humains et de la société civile en Türkiye[16]. Elle a conclu que « (...) la situation concernant l'indépendance et l'impartialité du pouvoir judiciaire représentait un risque existentiel pour l’état de droit en Türkiye et, par extension, pour le respect de tous les droits humains consacrés par la Convention européenne des droits de l’homme »[17].
13. Par conséquent, l'une des questions les plus problématiques est la structure du Conseil des juges et des procureurs (HSK), qui est au cœur du problème concernant le manque d'indépendance du pouvoir judiciaire turc et qui est suivie dans le contexte de la mise en œuvre des arrêts Kavala et Selahattin Demirtaş (n° 2) (pour ce qui est des mesures de caractère général)[18]. Le problème tient à ce que la majorité des membres du HSK sont nommés par les pouvoirs exécutif et législatif[19], ce qui n'est pas conforme aux normes européennes[20]. Cette situation soulève des doutes quant à l'indépendance du pouvoir judiciaire par rapport au pouvoir politique en raison du rôle du HSK dans la nomination et la révocation des juges et des procureurs et dans la prise de décisions relatives à leur carrière. A l'initiative de la Commission de suivi, la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) élabore actuellement un avis sur les dispositions pertinentes de la Constitution et de la législation turques[21] et l'adoptera probablement en décembre 2024.
14. Un autre problème est la résistance des tribunaux turcs ou du Parlement qui refusent de se conformer à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, aggravée par les attaques verbales répétées de responsables publics à l'encontre de la Cour constitutionnelle. Par exemple, dans l'affaire du député de l'opposition Can Atalay (qui est également l’un des cinq accusés condamnés dans le procès du parc Gezi), dont la Cour constitutionnelle avait ordonné la libération le 25 octobre 2023, le Président de la République a publiquement exprimé son mécontentement au sujet de l’arrêt[22]. Par ailleurs, au lieu de réexaminer l'affaire, la Treizième haute Cour pénale d'Istanbul, a refusé de la rouvrir et a renvoyé sa décision à la Cour de cassation, qui a ensuite demandé l'ouverture d'une enquête pénale sur les juges de la Cour constitutionnelle. J'ai soulevé cette question lors de ma rencontre avec les juges de la Cour constitutionnelle, qui ont souligné que leur décision dans cette affaire était contraignante et que la non-conformité résultait de la décision du tribunal de première instance, car celui-ci a refusé de rouvrir l'affaire. Ils ont également souligné que les décisions de la Cour constitutionnelle étaient appliquées dans la majorité des cas, bien que le Parlement n'ait pas encore donné suite à la décision par laquelle elle critiquait la levée de l’immunité de députés.
15. L'efficacité de la Cour constitutionnelle en tant que recours contre les violations des droits humains en Türkiye est également compromise par la persistance de retards de traitement des affaires plus sensibles ou controversées par nature, telles que les affaires Osman Kavala et Selahattin Demirtaş (examinées ci-dessous) ou la dissolution du Parti démocratique populaire (HDP) demandée en mars 2021 par le procureur général près la Cour de cassation pour des liens présumés avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Bien que j’aie évoqué ces affaires lors de ma rencontre avec les juges de la Cour constitutionnelle, je n'ai reçu aucune information sur l'état d'avancement de leur examen.
16. Selon mes interlocuteurs de la société civile, les tribunaux turcs continuent d'accepter systématiquement des actes d'accusation bidons (souvent pour des infractions liées au terrorisme), et condamnent sans preuve convaincante d'activité criminelle des personnes et des groupes que le gouvernement considère comme des opposants politiques. Parmi eux figurent des journalistes, des hommes politiques de l'opposition, des activistes et des défenseurs des droits humains. Mes interlocuteurs se sont également plaints du fait que le ministre de la Justice ait refusé de les rencontrer pour discuter de la réforme judiciaire à venir.
17. Lors de ma rencontre avec le vice-ministre de la Justice, on m’a dit qu'une nouvelle (neuvième) stratégie judiciaire était en cours de préparation et que la Türkiye s'engageait à respecter les droits humains et l’Etat de droit. Des garde-fous constitutionnels sont en place pour garantir l'indépendance judiciaire, il n'est pas possible de donner des ordres sur des affaires spécifiques aux tribunaux et toute tentative d'influencer un procès judiciaire est une infraction pénale.
4. Conditions de détention
18. Dans sa Résolution 2459 (2022), l'Assemblée est restée préoccupée par la situation dans les prisons, y compris celle des détenus gravement malades. Tout en se félicitant de l'engagement des autorités en faveur d'une politique de tolérance zéro à l'égard des mauvais traitements et de la torture, elle les a néanmoins exhortées à prendre des mesures plus résolues et plus crédibles pour enquêter de manière approfondie sur les allégations sérieuses de tels traitements[23]. En janvier 2024, dans sa Résolution 2528 (2024) sur les « Allégations de torture et de peines ou traitements inhumains ou dégradants systématiques dans les lieux de détention en Europe[24], l'Assemblée s'est inquiétée du fait que « (...) malgré le message de « tolérance zéro » donné par les autorités, le recours à la torture et aux mauvais traitements en garde à vue et en prison a augmenté ces dernières années, reléguant au second plan les progrès antérieurs de la Türkiye dans ce domaine »[25].
19. Dans les deux résolutions susmentionnées, l'Assemblée a invité les autorités à mettre en œuvre les recommandations du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) et à autoriser la publication de tous ses rapports. Pour l'instant, cinq rapports du CPT restent non publiés faute d'autorisation des autorités[26]. Le CPT a effectué sa dernière visite - ad hoc - dans le pays en février 2024. Son principal objectif était d'examiner le traitement des personnes détenues dans des prisons de haute sécurité ainsi que la situation des personnes LGBTI et des femmes détenues[27]. Selon les Statistiques pénales annuelles sur les populations carcérales (SPACE I) récemment publiées par le Conseil de l'Europe pour 2023[28], la Türkiye a le taux d'incarcération le plus élevé avec 405 détenus pour 100 000 habitants et, de janvier 2022 à janvier 2023, une augmentation considérable du nombre de détenus a été enregistrée dans ce pays (+15 %).
20. Au cours de ma visite, des représentants de la société civile m'ont fait part de leurs préoccupations concernant la surpopulation dans les établissements pénitentiaires et la durée excessive des peines d’emprisonnement et de la détention provisoire. Les peines d’emprisonnement sont souvent prononcées sur la base d'infractions liées au terrorisme. Beaucoup de détenus, comme M. Demirtaş (voir ci-dessous), sont placés en détention à des centaines de kilomètres de leur famille, ce qui renforce leur sentiment d'isolement et peut constituer une violation de leur droit au respect de la vie familiale. Les procès ont souvent lieu à des centaines de kilomètres du lieu où les infractions alléguées ont été commises. Le surpeuplement des centres de détention et des établissements pénitentiaires est officiellement reconnu, puisque selon les données officielles du ministère de la Justice au 2 mai 2024, il y avait 329 151 détenus et condamnés dans 403 établissements pénitentiaires, dont la capacité totale était de 295 328. Mes interlocuteurs de la société civile ont également indiqué que près de 350 enfants vivaient avec leurs parents dans les établissements pénitentiaires. Ils ont également déploré les conditions de détention psychologiquement difficiles dans les prisons de haute sécurité (prisons de type F), où les détenus sont soumis à différents types d’isolement, et ont condamné la situation des détenus gravement malades (actuellement 651), soulignant que 42 de ces détenus étaient décédés en 2023. J'ai également été informé qu’on disposait de peu d’informations sur la situation actuelle de M. Abdullah Őcalan, incarcéré dans l'établissement pénitentiaire de l'île d'Imrali. Aucun de ses proches n'a pu lui rendre visite depuis mars 2020, et c’est en mars 2021 qu’il a parlé la dernière fois à son frère au téléphone. Aucun de ses avocats ne l'a vu depuis août 2019.
21. J'ai soulevé la question des conditions de détention lors de mes réunions au Parlement et au ministère de la Justice. La responsable de la Commission parlementaire d'enquête sur les droits humains m’a informé que la Commission et le ministre de la Justice suivaient de près la situation dans les établissements pénitentiaires. Elle a admis que le nombre de prisonniers avait récemment considérablement augmenté pour des « raisons de sécurité » et de beaucoup de chefs d’accusations liées à des activités terroristes présumées. L'état de santé des détenus malades est régulièrement contrôlé par les tribunaux et les établissements de santé.
5. Affaires pendantes devant la Cour européenne des droits de l'homme et mise en œuvre des arrêts de la Cour
22. Selon le rapport annuel 2023 de la Cour publié en janvier 2024, la Türkiye était en tête de la liste des pays ayant des affaires en attente de jugement avec 23 397 requêtes, soit 34,2 % du total. Elle était suivie par la Fédération de Russie, l'Ukraine, la Roumanie et l'Italie. Les recours liés aux arrestations, aux poursuites et aux licenciements dans le secteur public à la suite de la tentative de coup d’État en juillet 2016 représentaient la moitié des requêtes. Au 1er avril 2024, la Türkiye occupait la première place en ce qui concerne le nombre de requêtes pendantes devant la Cour européenne des droits de l'homme (avec 23 950 requêtes sur 65 500, soit 36,6 % du nombre d'affaires traitées par la Cour)[29].
23. En ce qui concerne l'exécution des arrêts de la Cour contre la Türkiye, au 31 décembre 2023, 446 affaires étaient pendantes devant le Comité des Ministres, qui supervise leur exécution (contre 480 en 2022 et 510 en 2021). La Türkiye se classe ainsi au troisième rang (après l'Ukraine et la Roumanie) des États membres du Conseil de l'Europe pour le nombre d’arrêts de la Cour non exécutés[30]. Sur ces 446 affaires, 35 étaient des affaires de premier plan classées selon la procédure renforcée, et 89 étaient des affaires de premier plan classées selon la procédure normale. Parmi les affaires de premier plan relevant de la procédure renforcée, 24 sont pendantes depuis cinq ans ou plus; de même, 48 des affaires de premier plan relevant de la procédure normale sont pendantes depuis cinq ans ou plus. Le nombre élevé d'arrêts non exécutés a été souligné dans la dernière résolution en date de l'Assemblée sur la mise en œuvre des arrêts de la Cour – la Résolution 2494 (2023)[31].
24. Les arrêts non exécutés de la Cour concernent principalement des violations du droit à la liberté d’expression et d’information, des violations de la liberté de réunion et d'association, des violations de la liberté de pensée, de conscience ou de religion, le fonctionnement de la justice, la légalité de la détention, le peu d’effectivité des enquêtes sur les actions des forces de sécurité et leur impunité, et la violence domestique[32]. Actuellement, le Comité des Ministres supervise également la mise en œuvre d'un nouvel arrêt - Yüksel Yalçınkaya c. Türkiye, où la Cour a jugé que la condamnation du requérant (un enseignant) pour appartenance à une organisation terroriste armée, fondée sur l'utilisation d'une application de messagerie cryptée (ByLock), était contraire à l’article 6 (droit à un procès équitable), à l’article 7 (pas de peine sans loi) et à l’article 11 (liberté de réunion et d’association) de la Convention européenne des droits de l’homme (« Convention ») [33]. Cet arrêt pourrait avoir des implications considérables pour des milliers de personnes confrontées à des accusations similaires en Türkiye et au moins 8 000 requêtes concernant ce problème sont actuellement pendantes devant la Cour[34].
25. Lors de mes rencontres avec les autorités d'Ankara, j'ai rappelé que l'exécution des arrêts de la Cour était une obligation légale inscrite dans la Convention. J'ai demandé instamment aux autorités turques de prendre sans délai toutes les mesures nécessaires pour mettre en œuvre les arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme concernant MM. Kavala et Demirtaş. J'ai souligné que la résolution de ces affaires relevait du pouvoir judiciaire turc, qui devrait être impartial et libre de toute pression politique et qui avait la capacité de trouver une solution juridique conforme aux exigences du Comité des Ministres. Mes différents interlocuteurs ont souligné que la Türkiye avait mis en œuvre près de 90 % des arrêts de la Cour et ont réitéré leur volonté de coopérer pleinement avec le Conseil de l'Europe. Les juges de la Cour constitutionnelle m'ont également informé qu'ils examinaient les mesures à prendre pour mettre en œuvre l'arrêt Yüksel Yalçınkaya c. Türkiye[35].
6. Remplacement de maires démocratiquement élus par des gouverneurs
26. Depuis 2016, plus de 150 maires élus ont été démis de leurs fonctions et remplacés par des gouverneurs nommés par le ministre de l'Intérieur dans des municipalités dirigées par le parti DEM (ex- HDP). Beaucoup de ces maires ont été emprisonnés, certains libérés plus tard, et beaucoup d’autres ont dû quitter le pays et vivent actuellement dans des pays européens en tant que réfugiés ou demandeurs d'asile[36].
27. Après les élections du 31 mars, dans la ville de Van, le comaire élu du parti DEM, M. Abdullah Zeydan, a d’abord été privé de ses fonctions à la suite d’une décision de justice de dernière minute le privant de ses droits civiques et a été remplacé par un candidat de l'AKP. Cet événement a déclenché des protestations et des affrontements avec la police. Finalement, le mandat de M. Zeydan a été rétabli à la suite d’une décision du Conseil électoral suprême (YSK).
28. Le 3 juin 2024, M. Memet Sıddık Akış, le comaire élu de la municipalité de Hakkari, a été arrêté, placé en détention provisoire et remplacé par le gouverneur de Hakkari. Les charges retenues contre lui ont été déterminées dans le cadre d’une enquête qui avait été lancée près d’une dizaine d’années auparavant. Le 5 juin, il a été condamné à une peine de 19 ans et 6 mois d'emprisonnement pour des infractions liées au terrorisme. Lors de la quasi-totalité de mes réunions avec les autorités, j'ai soulevé cette question et souligné qu'une telle pratique est antidémocratique car elle va à l'encontre de la volonté des personnes qui ont voté lors des élections locales.
7. Mes rencontres avec les détenus
7.1. Le cas de M. Osman Kavala
29. M. Osman Kavala, philanthrope, défenseur des droits humains et homme d'affaires bien connu, est privé de liberté depuis le 18 octobre 2017, malgré deux arrêts de la Cour appelant à sa libération immédiate, dont l'arrêt du 11 juillet 2022 rendu dans le cadre de la procédure en manquement (article 46 § 4 de la Convention) [37]. Le 28 septembre 2023, la Cour de cassation a confirmé l'arrêt de la Cour d'assises du 25 avril 2022 concernant sa condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité aggravée pour avoir tenté de renverser le gouvernement dans le contexte des événements du parc Gezi en 2013. Le précédent corapporteur, M. Howell, et moi, nous avons fermement condamné cette décision[38].
30. Le 9 octobre 2023, l'Assemblée a décerné à M. Osman Kavala le Onzième prix des droits de l’homme Václav Havel et, le 12 octobre, elle a adopté la Résolution 2518 (2023) « Appel à la libération immédiate d'Osman Kavala », où elle considère que M. Kavala relève de sa définition de « prisonnier politique » et demande à nouveau sa libération immédiate. Elle a également suggéré que le Conseil de l'Europe et ses Etats membres prennent les mêmes mesures, y compris en engageant la procédure conjointe complémentaire prévue dans sa Résolution 2319 (2020), pour faire pression sur la Türkiye afin qu'elle mette en œuvre les arrêts rendus dans cette affaire. En outre, dans sa Résolution 2534 (2023) sur « L'évolution de la procédure de suivi de l'Assemblée (janvier-décembre 2023) », l'Assemblée a de nouveau appelé les autorités à libérer M. Kavala.
31. M. Kavala est en prison depuis sept ans. Plusieurs procédures internes sont toujours en cours dans son cas. Il a déposé deux requêtes devant la Cour constitutionnelle pour contester l'illégalité de sa détention après sa condamnation (le 9 juin 2022) et de sa condamnation définitive (le 24 octobre 2023). Les deux procédures sont en cours devant la Cour constitutionnelle.
32. M. Kavala a également tenté d'utiliser des recours judiciaires extraordinaires. En vertu de l’article 311 du Code de procédure pénale, il a déposé deux demandes de réouverture de la procédure devant la 13e Cour d'assises, les 26 mars et 6 mai 2024. Les deux demandes ont été rejetées, de même que les recours du requérant contre ces rejets. Le 6 mai, le requérant a en outre déposé devant la 13e Cour d'assises une demande de « réformation de l'arrêt dans l'intérêt de la loi » [39].
33. Le 18 janvier 2024, M. Kavala a exercé une deuxième requête devant la Cour européenne des droits de l’homme, où il estimait que la décision de la Cour de cassation confirmant sa condamnation avait violé plusieurs dispositions de la Convention (notamment le droit à un procès équitable) [40]. Le 21 mars, la Cour a communiqué l'affaire au gouvernement, qui devait y répondre au plus tard le 16 juillet 2024. Ce délai a été prolongé jusqu’au 16 septembre 2024.
34. La question des voies juridiques qui pourraient conduire à la libération de M. Kavala a été discutée lors d’une mission technique de haut niveau du Conseil de l’Europe pendant sa visite à Ankara le 15 février 2024[41]. Une mission de suivi de haut niveau est en cours d’organisation.
35. Le Comité des Ministres continue d'examiner l'affaire Kavala lors de ses réunions hebdomadaires. La dernière décision sur cette question a été adoptée lors de sa 1501e réunion (DH) du 11 au 13 juin 2024[42]. Le Comité a souligné que « (...) compte tenu du caractère exceptionnel des conclusions de la Cour dans ses deux arrêts en l'espèce, la Türkiye demeure en violation grave de ses obligations au titre de la Convention et des principes d’état de droit jusqu'à ce que M. Kavala soit libéré »[43]. Il a réitéré sa « profonde préoccupation » au sujet de la détention de M. Kavala et a « vivement déploré » l'absence de progrès en vue de sa libération; il a donc « (...) vivement exhorté toutes les autorités turques, y compris les juridictions internes compétentes, à envisager toutes les options possibles pour assurer sa libération immédiate » [44]. Il a également déploré les retards de l'examen des requêtes de M. Kavala devant la Cour constitutionnelle et « (...) a exhorté les autorités à veiller à ce que la Cour constitutionnelle statue sur ces requêtes rapidement et en tenant pleinement compte des obligations de la Türkiye au titre de la Convention » [45].
36. Au cours de ma visite, j'ai soulevé la question de la mise en œuvre des arrêts dans l'affaire Kavala avec les autorités, y compris les membres de la Grande Assemblée nationale, les Vice-ministres de la Justice et des Affaires étrangères, les juges de la Cour constitutionnelle et le Procureur général près la Cour de cassation. La plupart de mes interlocuteurs ont souligné que la Türkiye figurait parmi les États membres du Conseil de l'Europe ayant le meilleur taux de mise en œuvre des arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme et que l’affaire Kavala ne devait pas être mise en exergue. Ils ont également souligné que la Türkiye menait un dialogue avec le Comité des Ministres sur cette affaire et ont rappelé que, jusqu'à présent, la Cour n'avait statué que sur la détention provisoire de M. Kavala et non sur sa condamnation finale. L'affaire de M. Kavala était pendante devant les tribunaux nationaux (y compris la Cour constitutionnelle), qui ne devaient pas être soumis à des pressions politiques. Lors de la réunion avec le Procureur général près la Cour de cassation, des informations contextuelles m'ont été communiquées sur les manifestations de 2013 au parc Gezi et sur les opérations financières de M. Kavala; cependant, je ne les ai pas trouvées convaincantes en ce qui concerne les raisons de sa condamnation.
37. J'ai rassuré les autorités sur le fait que mon intention n'était pas de distinguer l’affaire de M. Kavala des autres. Toutefois, j'ai rappelé que la Cour avait considéré d’emblée qu'il n'y avait pas de preuve permettant de soutenir qu’il existait un soupçon raisonnable que M. Kavala ait commis une infraction. C'est pourquoi j'ai insisté, lors de chacune de mes rencontres avec les autorités, pour qu'il soit libéré sans délai.
38. Le 13 juin 2024, j'ai visité la prison de Marmara (ex-Silivri), où j'ai été accueilli par le directeur du bloc pénitentiaire, M. Ali Demirtaş, qui m'a fourni des informations sur l'établissement. J'ai rencontré M. Kavala dans une salle de visite, des agents pénitentiaires se trouvant dans une salle voisine. Il n’y avait pas de restriction de temps et notre conversation a duré environ une heure.
39. M. Kavala a exprimé sa satisfaction quant aux conditions matérielles de sa détention, notamment le fait qu'il occupait une cellule individuelle, prévue pour trois personnes au maximum. Sa famille la plus proche peut lui téléphoner une fois par semaine et lui rendre visite deux fois par mois (une réunion en parloir et une derrière une paroi de verre). Il était bien informé de la procédure devant le Comité des Ministres et a parlé des voies légales disponibles qui pourraient conduire à sa libération. Il espère que le ministre de la Justice engagera une procédure qui permettra à la Cour de cassation de revenir sur sa condamnation définitive et que la Cour européenne des droits de l'homme rendra un autre arrêt concluant à la violation de la Convention à la suite de sa deuxième requête devant la Cour. En ce qui concerne la situation politique dans le pays, M. Kavala a exprimé un certain espoir de changement après les élections locales du 31 mars, mais s'est dit préoccupé par le remplacement du maire de Hakkari par un gouverneur et par la situation de M. Can Atalay, qui n'a pas été libéré (voir ci-dessus). J'ai assuré M. Kavala de mon ferme engagement et de mon soutien pour trouver une solution en vue de sa libération.
7.2. Le cas de M. Selahattin Demirtaş
40. M. Selahattin Demirtaş a été, entre 2007 et 2018, l’un des coprésidents du parti HDP et député à la Grande Assemblée nationale. Il s'est présenté aux élections présidentielles de 2014 et 2018 et a obtenu respectivement 9,76 % et 8,32 % des voix[46].
41. En octobre 2014, de violentes manifestations ont eu lieu dans 36 provinces de l'Est de la Türkiye (« événements du 6 au 8 octobre »), suivies d’autres violences en 2015 à la suite de l'échec des négociations visant à résoudre la « question kurde ». Le 20 mai 2016, afin de « répondre à l'indignation de la population concernant les déclarations de certains députés qui constituaient un soutien émotionnel et moral au terrorisme », l’article 83 § 2 de la Constitution a été amendé, levant l'inviolabilité des poursuites pour certains députés.
42. Par conséquent, M. Demirtaş a fait partie des 154 parlementaires (dont 55 membres du HDP) qui ont perdu l'inviolabilité parlementaire. Il a été arrêté le 4 novembre 2016 et placé en détention provisoire, accusé de diverses infractions liées au terrorisme. Dans le même temps, huit autres députés démocratiquement élus du HDP, ont également été placés en détention, ainsi que l'ancienne coprésidente du HDP, Mme Figen Yüksekdağ Şenoğlu.
43. En décembre 2020, la Cour a rendu un arrêt où elle a constaté plusieurs violations de la Convention liées à la détention provisoire de M. Demirtaş entre le 4 novembre 2016 et le 7 décembre 2018 et à la levée de son inviolabilité parlementaire (violations des articles 5 §§ 1 et 3, de l'article 10 de la Convention et de l'article 3 du Protocole n° 1)[47]. La Cour a estimé que les juridictions internes n'avaient pas retenu de faits ou d'informations spécifiques pouvant donner lieu à un soupçon raisonnable que M. Demirtaş ait commis les infractions en question. Enfin, prenant en considération, entre autres éléments, le retour du requérant en détention provisoire le 20 septembre 2019, la Cour a estimé qu'il était établi que la détention visait le but inavoué d’étouffer le pluralisme et de limiter la liberté du débat politique (violation de l'article 18 combiné à l’article 5 de la Convention). Dès lors, elle a considéré que tout prolongement de la détention provisoire du requérant pour des motifs relevant du même contexte factuel entraînerait une prolongation de la violation de ses droits ainsi qu’une violation de l’obligation pour l’Etat défendeur de se conformer à l’arrêt de la Cour (article 46 § 1 de la Convention). Elle a donc jugé que la Türkiye devait prendre toutes les mesures nécessaires pour obtenir la libération immédiate de M. Demirtaş[48].
44. M. Demirtaş reste en détention, malgré l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme et les nombreuses décisions du Comité des Ministres[49] et les résolutions de l'Assemblée appelant à sa libération immédiate[50]. En ce qui concerne Mme Yüksekdağ Şenoğlu, la Cour est parvenue à des conclusions similaires à celles de l'affaire Selahattin Demirtaş (n° 2) et a constaté les mêmes violations de la Convention dans un arrêt de novembre 2022[51], dont l'exécution est actuellement surveillée par le Comité des Ministres.
45. Le 16 mai, M. Demirtaş a été condamné par un tribunal de première instance d'Ankara à une peine de 42 ans de prison pour « atteinte à l'intégrité de l'État et du pays“ dans l'affaire dite « de Kobané ». Dans la même décision, Mme Yüksekdağ a été condamnée à 30 ans et 3 mois. Selon la défense, la décision ‑ qui n'est pas définitive et dont le tribunal n'a pas encore donné la motivation ‑ était fondée sur des preuves erronées et a été mené sous influence politique. J'ai fermement condamné cette décision dans ma déclaration du 17 mai[52].
46. Le 7 novembre 2019, M. Demirtaş a déposé devant la Cour constitutionnelle un recours concernant sa détention provisoire actuelle, tandis que Mme Yüksekdağ Şenoğlu l'a fait le 8 juin 2023. Les deux recours sont toujours pendants. Dans sa récente décision concernant les deux affaires, adoptée lors de sa 1501e réunion (DH) le 13 juin 2024, le Comité des Ministres « (...) a vivement encouragé les autorités à veiller à ce que la Cour constitutionnelle achève sans plus tarder l'examen des requêtes des deux requérants (...) » [53].
47. Le 20 mars 2020, M. Demirtaş a également déposé une requête concernant sa détention actuelle auprès de la Cour européenne des droits de l’homme; son examen est toujours en cours.
48. Lors de ma visite à Ankara, j'ai évoqué le cas de M. Demirtaş et de Mme Yüksekdağ Şenoğlu avec les autorités, notamment les députés de la Grande Assemblée nationale, le Vice-ministre de la Justice et les juges de la Cour constitutionnelle. Le Vice-ministre de la Justice a souligné que la Cour européenne des droits de l'homme n'avait pas eu accès à de nouvelles preuves, y compris celles sur la base desquelles les requérants ont été condamnés par le tribunal de première instance dans l'affaire de Kobané, et que des requêtes étaient toujours pendantes devant la Cour constitutionnelle et la Cour européenne des droits de l'homme. Lorsque je les ai rencontrés, les juges de la Cour constitutionnelle ont reconnu que le crime « d’atteinte à l'intégrité de l'État et du pays » aurait dû être formulé de manière plus précise, de même que l’article 14 de la Constitution qui fait référence à certains crimes contre l'intégrité de l'État[54].
49. Le 14 juin 2024, je me suis rendu à la prison d'Edirne (prison de haute sécurité de type « F »), où j'ai rencontré M. Demirtaş dans un parloir, en présence de deux gardiens de prison. Il n’y avait pas de restriction de temps et notre conversation a duré environ une heure et demie.
50. M. Demirtaş a été surpris de recevoir une délégation du Conseil de l'Europe, car une demande de visite d'un rapporteur du Parlement européen avait été précédemment rejetée. Il ne s’est pas plaint des conditions matérielles de la prison et a souligné qu'il était traité avec respect et gentillesse par le personnel pénitentiaire. Néanmoins, il a déploré son isolement et les mesures de sécurité excessives et a critiqué l'ensemble du système des prisons de type F en Türkiye. Il partage sa cellule avec un ancien maire de Diyarbarkır également accusé d'infractions pénales liées au terrorisme.
51. M. Demirtaş s'est plaint d'être éloigné de sa famille, qui vit à Diyarbarkır, à près de 1700 km de l’établissement pénitentiaire. Sa femme lui rend visite une fois par semaine et ses filles, une fois par mois. M. Demirtaş s'est dit préoccupé par le fait que sa femme ait reçu des menaces par le biais de médias sociaux.
52. En ce qui concerne les accusations portées contre lui, M. Demirtaş a critiqué la formulation vague des infractions liées au terrorisme dans la législation turque, qui est facilement utilisée contre les opposants politiques. Il a souligné qu'il ferait appel du jugement rendu dans l’affaire de Kobané et a espéré que la cour d'appel pourrait renverser le jugement du tribunal de première instance. Il a indiqué que près de 140 enquêtes pénales avaient été ouvertes à son encontre et qu'il bénéficiait de l'assistance de plus de 1 500 avocats, dont la plupart intervenaient à titre bénévole. Depuis son placement en détention, plus de 10 000 avocats lui ont rendu visite. Il a également déploré le fait que, lors d'une récente visite en Espagne, le président Recep Tayyip Erdoğan l’ait publiquement qualifié de « terroriste ».
53. Bien que M. Demirtaş ait rendu hommage à l’action des organisations internationales, y compris le Conseil de l'Europe, il pensait qu’il fallait en faire davantage pour veiller au respect des droits humains par la Türkiye. Il a souligné qu’il ne convenait de compromettre les valeurs européennes. Je l’ai assuré de mon ferme engagement et de mon soutien dans la recherche d’une solution pour sa libération et je suis fermement convaincu que le Conseil de l'Europe devrait considérer son cas davantage comme prioritaire.
7.3. Le cas de M. Murat Arslan
54. M. Murat Arslan est avocat, ancien rapporteur de la Cour constitutionnelle et président de l'Association pour l'Union des juges et des procureurs (YARSAV), aujourd'hui dissoute. Le 26 octobre 2016, il a été arrêté en raison de liens présumés avec le mouvement Gülen. Il a été condamné à une peine totale de 11 ans et est en prison depuis 8 ans aujourd’hui. Le 9 octobre 2017, il a reçu le Prix Václav Havel des droits de l'homme de l'Assemblée pour son action en faveur de l'indépendance du pouvoir judiciaire en Türkiye.
55. J'ai rencontré M. Arslan le 12 juin 2024 à la prison de Sincan (Ankara). N’ayant pas été prévenu de ma visite prochaine, il a été un peu surpris de rencontrer un représentant du Conseil de l'Europe et a parlé des événements qui ont précédé son arrestation et des raisons de sa condamnation. Notre conversation a duré environ 45 minutes.
56. M. Arslan avait été condamné à 10 ans de prison pour « participation à une organisation terroriste ». Il m'a expliqué qu'il avait été condamné sur la base des déclarations de deux témoins qui prétendaient avoir « entendu » qu'il était membre de la FETŐ (Organisation terroriste de Fetulla Gülen); l'un de ces témoins était anonyme et n'avait témoigné que par écrit. M. Arslan pense que sa condamnation est liée à l'élection de 2014 au sein du Conseil des juges et des procureurs, où il avait refusé de soutenir des candidats pro-gouvernementaux, ainsi qu'à diverses interviews qu'il avait données à la presse après le coup d'État manqué du 15 juillet 2016. Il a également indiqué qu'il avait été condamné à une année supplémentaire d'emprisonnement pour « outrage au président de la République », car il avait critiqué le parti au pouvoir dans une lettre envoyée à l'extérieur de la prison. Après que la Cour constitutionnelle a rejeté son recours concernant sa condamnation, il a exercé une requête devant la Cour européenne des droits de l'homme, qui est toujours pendante.
57. En ce qui concerne ses conditions matérielles de détention, M. Arslan vit avec quinze autres détenus dans une cellule prévue pour six personnes. Il voit sa famille une fois par semaine ; trois visites par mois ont lieu à travers une paroi en verre et une visite par mois, dans un parloir. M. Arslan a noté une légère détérioration des soins médicaux.
7.4. Le cas de M. Bekir Kaya
58. M. Bekir Kaya est un ancien co-maire de Van (élu à deux reprises). Il a également été l'un des avocats qui ont défendu M. Abdullah Őcalan. Depuis novembre 2016, il purge une peine de 17 ans d'emprisonnement pour appartenance à une organisation illégale (dans deux affaires différentes) et est détenu depuis près de 8 ans.
59. J'ai rencontré M. Kaya le 13 juin 2024 à la prison de Marmara (Istanbul), juste après mon échange avec M. Kavala. Nous avons parlé pendant près d'une heure, sans la présence d'aucun gardien de prison.
60. M. Kaya estime qu’il a été condamné dans le cadre de sa fonction de maire élu et critique l'ensemble de la législation sur le système judiciaire et le droit pénal, qui est utilisée comme instrument politique. À la suite de sa condamnation, il a déposé un recours devant la Cour constitutionnelle, qui est toujours en cours, et n'a donc pas encore saisi la Cour européenne des droits de l’homme. Plusieurs procédures pénales ont été engagées contre lui en relation avec ses activités d'avocat de M. Őcalan; dans certaines d’entre elles, il a déjà été acquitté.
61. Bien qu'il soit détenu à des centaines de kilomètres de sa famille, qui vit à Van, M. Kaya ne s'est pas plaint des conditions matérielles de sa détention. Il reste seul dans une cellule de 12 m² (prévue pour trois personnes maximum).
8. Observations finales
62. Je tiens à remercier une fois encore les autorités turques, qui ont facilité cette visite et en particulier les visites dans les prisons susmentionnées, ce qui était un geste de bonne volonté. Je m'en félicite et je pense que ma visite a constitué une avancée importante dans le dialogue entre le Conseil de l'Europe et les autorités de la Türkiye, l'un des plus anciens membres de l'Organisation. J'espère également que nous poursuivrons notre bonne coopération pour promouvoir le renforcement du système de protection des droits humains du pays et nos valeurs européennes communes.
63. Néanmoins, je voudrais souligner à nouveau que l'exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme est une obligation légale inscrite dans la Convention européenne des droits de l’homme. Bien que les autorités turques affirment avoir mis en œuvre près de 90 % des arrêts de la Cour concernant leur pays, il reste encore de nombreuses questions en suspens et de longue date. L’exécution des arrêts dans les affaires de MM. Kavala et Demirtaş ainsi que de Mme Yüksekdağ Şenoğlu est une question de la plus haute importance et une urgence, car elle met en péril l'existence de l’Etat de droit et le respect des droits humains dans le pays. J'appelle une fois de plus les autorités turques à prendre sans délai toutes les mesures nécessaires pour exécuter ces arrêts. La résolution de ces affaires est du ressort du pouvoir judiciaire turc, qui a la capacité de trouver une solution juridique conforme aux conclusions de la Cour européenne des droits de l'homme et aux exigences du Comité des Ministres. Une telle solution juridique montrerait que le système judiciaire turc est prêt et désireux de répondre aux remarques critiques concernant son manque d'indépendance et d'impartialité et de se conformer aux normes internationales en matière de droits humains et d’Etat de droit.
64. Au cours de ma visite, je n'ai abordé que quelques questions importantes, tout en laissant de côté d'autres problèmes graves signalés dans la Résolution 2459 (2022) de l’Assemblée, en particulier les restrictions à la liberté d'expression, les représailles contre les journalistes, les universitaires, les avocats et les militants de la société civile, ainsi que les droits des femmes et l'égalité entre les sexes[55]. J'espère pouvoir examiner ces questions en détail lors de ma prochaine visite dans le pays et j'ai l'intention de les faire figurer dans le prochain rapport de suivi.
Annexe I
Visite d'information en Türkiye
11-14 juin 2024
Programme
Corapporteurs : Mme Jill Mortimer (Royaume-Uni, CE/AD) - absente, et M. Stefan Schennach (Autriche, SOC)
Secrétariat : Mme Agnieszka Szklanna, Secrétaire de la Commission de suivi de l'APCE
Objet de la visite:
Derniers développements politiques et judiciaires en Türkiye, en particulier la mise en œuvre des arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme concernant M. Osman Kavala
(*) Réunions organisées par le Secrétariat du Conseil de l'Europe
Lundi 10 juin 2024 - Ankara
Arrivée de la délégation
Mardi 11 juin 2024 - Ankara
09:00 - 11:30 Petit-déjeuner de travail avec les ONG (*)
12:00 - 13.30 Déjeuner de travail avec les membres de la délégation turque à l'APCE
13.45 - 14.30 Rencontre avec Mme Derya Yanik, Présidente de la commission d'enquête sur les droits humains
14.45 - 15.30 Rencontre avec M. Cüneyt Yüksel, Président de la commission de la justice
15.45 - 16.15 Rencontre avec M. Abdullah Güler, Président du groupe politique AKP
16.30 - 17.00 Rencontre avec M. Gökhan Günaydin, Président du groupe politique CHP
17.15 - 17.45 Rencontre avec M. Sezai Temelli, Vice-Président du groupe politique DEM
18.00 - 18.30 Réunion avec M. Erkan Akçay, Vice-Président du groupe politique MHP
18.45 - 19.15 Réunion avec M. Turhan Çömez, Vice-Président du groupe politique İYİ
19.30 - 20.00 Réunion avec M. Selçuk Özdağ, Président du groupe politique Saadet
20.30 - 21.30 Rencontre avec les ONG (continuation) (*)
Mercredi 12 juin 2024 - Ankara
09.00 - 09.40 Rencontre avec M. Hurşit Yilmaz, Vice-ministre de la Justice
10.00 - 10.40 Rencontre avec Mme Berris Ekinci, Vice-ministre des Affaires étrangères
11.00 - 11.40 Rencontre avec M. Basri Bağci, Vice-Président de la Cour constitutionnelle
13.20 - 13.45 Rencontre avec M. Muhsin Şentürk, Procureur général auprès de la Cour de cassation
14.00 - 15.30 Déjeuner de travail avec les diplomates (Lituanie, Suède, Finlande, Italie, Espagne, Belgique) (*)
16.00 – 17.00 Rencontre avec M. Murat Arslan (prison de Sincan)
Départ pour Istanbul
Jeudi 13 juin 2024 - Istanbul
11.30 – 13.30 Rencontres avec M. Osman Kavala et M. Bekir Kaya (prison de Marmara)
16.00 – 18.00 Rencontre avec la famille de M. Osman Kavala et des ONG (*)
20.00 – 22.00 Dîner de travail avec M. Yıldırım Tuğrul Türkeş (NI), Président de la délégation turque de l'APCE, et M. Sevan Sivacioğlu (NI), membre de la délégation
Vendredi 14 juin 2024 - Edirne
11.30 – 13.00 Rencontre avec M. Selahattin Demirtaş (prison d'Erdine)
Départ de la délégation
Annexe II
A l'issue de sa visite, un rapporteur de suivi de l'APCE exhorte à nouveau les autorités turques à mettre en œuvre les arrêts de la Cour de Strasbourg
18/06/2024 | Suivi
A l'issue d'une visite d'information à Ankara et Istanbul du 11 au 14 juin 2024, le corapporteur de l'APCE pour le suivi de la Türkiye, Stefan Schennach (Autriche, SOC), a de nouveau appelé les autorités turques à mettre en œuvre les arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme et à poursuivre leur dialogue à haut niveau avec le Conseil de l'Europe.
« Je suis très reconnaissant aux autorités turques, et en particulier au Président de la délégation auprès de l'APCE, Yıldırım Tuğrul Türkeş (Türkiye, NI), d'avoir facilité mes rencontres avec Osman Kavala et Selahattin Demirtaş, ces dernières ayant été organisées dans un délai très court.
M. Kavala est en prison depuis octobre 2017, malgré deux arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme appelant à sa libération immédiate. Le 28 septembre 2023, sa condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité aggravée a été confirmée par la Cour de cassation.
M. Demirtaş est détenu depuis novembre 2016 malgré un arrêt de la Cour de Strasbourg ordonnant également sa libération immédiate. En mai dernier, il a été reconnu coupable par un tribunal de première instance et condamné à une peine de 42 ans de prison dans l'affaire dite ‘Kobané’. J'ai fermement condamné cette peine, qui repose sur des accusations infondées.
Lors de mes rencontres avec les autorités, j'ai rappelé que l'exécution des arrêts de la Cour de Strasbourg est une obligation légale inscrite dans la Convention européenne des droits de l'homme et j'ai appelé fermement les autorités turques à prendre sans délai toutes les mesures nécessaires pour mettre en œuvre les arrêts concernant MM. Kavala et Demirtaş. La résolution de ces affaires est entre les mains du système judiciaire turc, qui a la capacité de trouver une solution juridique conforme aux exigences du Comité des Ministres, qui supervise leur exécution.
Au cours de ma visite, les représentants de la société civile m'ont également fait part de leurs préoccupations concernant le surpeuplement des établissements pénitentiaires et la durée excessive des peines d'emprisonnement et de la détention provisoire. Les détenus sont souvent maintenus en détention à des centaines de kilomètres de leur famille, ce qui accroît leur sentiment d'isolement et viole leur droit au respect de la vie familiale.
Je pense que ma visite constitue une étape importante dans le dialogue entre le Conseil de l'Europe et les autorités de la Türkiye, l'un des plus anciens membres de l'Organisation. J'espère également que nous poursuivrons notre bonne coopération afin de promouvoir le renforcement du système de protection des droits humains du pays et de nos valeurs européennes communes ».
***
Au cours de sa visite, M. Schennach a rencontré des représentants de tous les groupes politiques ainsi que les membres des commissions d'enquête sur les droits de l'homme et sur la justice de la Grande Assemblée nationale, les membres de la délégation de la Türkiye auprès de l'APCE, les Vice-ministres de la Justice et des Affaires étrangères, les juges de la Cour constitutionnelle, le procureur général de la Cour de cassation, les représentants de différentes ONG et des membres de la communauté diplomatique.
Il a également visité la prison de Sincan à Ankara, où il a rencontré Murat Arslan, juge et lauréat du Prix Václav Havel 2017 ; la prison de Marmara à Istanbul, où il a rencontré Osman Kavala et l'ancien co-maire de Van Bekir Kaya ; et la prison d'Edirne, où il a rencontré Selahattin Demirtaş.
[1] Document déclassifié par la commission de suivi le 11 septembre 2024.
[2] Voir le rapport de la commission de suivi, Doc 15618 du 26 septembre 2022 et Doc 15618 Add du 10 octobre 2022, corapporteurs : M. John Howell (Royaume-Uni, CE/AD) et M. Boriss Cilevičs (Lettonie, SOC).
[3] Kavala c. Türkiye, requête n° 28749/18, arrêts du 10 décembre 2019 et du 11 juillet 2022 (arrêt de Grande Chambre sur l'article 46 §4 de la Convention européenne des droits de l'homme).
[4] Selahattin Demirtaş (n° 2) c. Türkiye, requête n° 14305/17, arrêt du 22 décembre 2020 (Grande Chambre).
[5] Voir les paragraphes 1, 8 et 9 de la résolution.
[6] AS/Mon (2023) 01 rev / Note d'information « Respect des obligations et engagements de la Türkiye », 31 janvier 2023.
[7] J’ai été désigné le 24 janvier 2023 et M. Howell a été remplacé le 25 janvier par Mme Mortimer.
[8] Trading Economics | Taux d’inflation de Türkiye.
[9] Voir les conclusions de la délégation d’observation des élections de l’Assemblée, Doc. 15793 du 17 juin 2023.
[10] Déclaration de la mission d’observation du Congrès [1er avril 2024].
[11] Paragraphe 9.1 de la Résolution.
[12] Paragraphe 9.2 of the Résolution.
[13] Paragraphes 9.2.2 et 9.2.1 de la Résolution. Selon cette résolution, 70 % des infractions constatées par la Cour constitutionnelle dans les affaires de recours individuel introduites depuis 2012 concernaient le droit à un procès équitable.
[14] Troisième rapport intermédiaire de conformité sur la Türkiye du Groupe d'États contre la corruption (GRECO) du Conseil de l'Europe, GrecoRC4(2022)5, adopté le 25 mars 2022, par. 94.
[15] GRECO, quatrième rapport intermédiaire de conformité sur la Türkiye, GrecoRC4(2023)12, adopté le 9 juin 2023, par. 74.
[16] CommHR(2024)16, 5 mars 20024, paragraphe 51.
[17] Ibid., paragraphe 57.
[18] Supra, note 2.
[19] Le HSK est le principal organe autonome du pouvoir judiciaire. Il supervise les nominations, les promotions, les mutations, les mesures disciplinaires et la révocation des juges et des procureurs. Il comprend treize membres : le ministre de la Justice et son adjoint, quatre membres directement nommés par le Président et, à la suite des amendements constitutionnels de 2017, sept membres nommés par la Grande Assemblée nationale. En ce qui concerne les membres élus par le Parlement, il y a trois membres de la Cour de cassation, un membre du Conseil d'État, et trois autres membres qui doivent être des universitaires et des avocats ayant des qualifications spécifiques prévues par la loi. En outre, le HSK est présidé par le ministre de la Justice.
[20] Selon la Recommandation CM/Rec(2010)12 du Comité des Ministres, la composition d'un Conseil de la Justice devrait comprendre une majorité de juges élus par leurs pairs. Il n’est pas acceptable qu’il y ait des membres de droit et il ne devrait pas y avoir de membres ou de représentants du pouvoir législatif ou exécutif.
[21] Voir sa décision adoptée lors de la réunion du 18 avril 2024, AS/Mon (2024) CB 03.
[22] CommHR(2024)16, supra, note 15, paragraphe 54.
[23] Paragraphe 9.2.3 de la Résolution.
[24] Adoptée le 24 janvier 2024 sur la base d’un rapport de la Commission des questions juridiques et des droits humains, Doc. 15880 ; rapporteur: M. Constantinos Efstathiou (Chypre, SOC).
[25] Paragraphe 6.3 de la Résolution.
[27] Communiqué de presse : Le Comité anti-torture du Conseil de l’Europe (CPT) visite la Türkiye.
[28] Elles ont été publiées le 6 juin 2024.
[29] Statistiques – Cour européenne des droits de l’homme.
[31] Du 26 avril 2023. Voir le paragraphe 4. Voir également le rapport de la Commission des questions juridiques et des droits de l'homme, Doc.15742 du 11 avril 2023, Rapporteur : M. Constantinos Efstathiou (Chypre, SOC).
[32] Pour plus d'informations sur les affaires concernant la Türkiye, voir la note d'information de la Commission des questions juridiques et des droits humains AS/Jur (2023) 06 du 26 janvier 2023, « La mise en œuvre des arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme - 11e rapport - Note d'information en préparation d'une audition relative à la Türkiye ».
[34] Ibid., paragraphe 414.
[35] Dans son arrêt, la Cour a indiqué que la réouverture de la procédure interne serait le moyen le plus approprié de mettre fin aux violations constatées en l'espèce et d'accorder réparation au requérant. Elle a également noté que les violations résultaient notamment de l'approche adoptée par les juridictions nationales à l’égard de l'utilisation de Bylock ; supra, note, paragraphes 412-413.
[37] Supra, note 2. Dans son arrêt du 10 décembre 2019, la Cour constate notamment que l'arrestation et la détention provisoire du requérant ont eu lieu en l'absence de preuves permettant de le soupçonner raisonnablement d'avoir commis une infraction (violation de l'article 5 §1 de la Convention) et également qu'elles visaient le but inavoué de le réduire au silence et de dissuader d'autres défenseurs des droits humains (violation de l'article 18 combiné à l’article 5§1). La Cour indique que tout maintien en détention provisoire du requérant entraînerait une prolongation de ces violations de la Convention, ainsi qu'un manquement à l'obligation de la Türkiye de se conformer aux arrêts de la Cour conformément à l'article 46 § 1 de la Convention (obligation de l'Etat de se conformer aux arrêts de la Cour). Elle a donc estimé que le gouvernement devait assurer sa libération immédiate. Toutefois, le requérant n'a pas été libéré et le Comité des Ministres a donc saisi la Cour en vertu de l'article 46 § 4 de la Convention (« procédure de manquement »). Dans l'arrêt du 11 juillet 2022 qui a suivi (deuxième arrêt jamais rendu dans le cadre d'une procédure de manquement), la Grande Chambre a estimé que la Türkiye avait manqué à son obligation de se conformer aux arrêts définitifs de la Cour en vertu de l’article 46 § 1 de la Convention. Elle a également estimé que son constat, dans le premier arrêt Kavala, d'une violation de l'article 18 combiné à l’article 5 § 1 de la Convention, avait entaché toute action résultant des accusations relatives aux événements du parc Gezi et à la tentative de coup d'État, et que la procédure ayant abouti à sa condamnation n'avait pas permis de remédier aux problèmes déterminés dans le premier arrêt.
[38] Déclaration des corapporteurs [29 septembre 2023].
[40] Requête n° 2170/24.
[41] Pour plus d'informations, voir Notes du Comité des Ministres, 1501e réunion (11-13 juin 2024) (DH) - H46-34 Kavala c. Türkiye (Requête n° 28749/18).
[42] CM/Del/Dec(2024)1501/H46-34, 13 juin 2023.
[43] Ibid., paragraphe 1.
[44] Ibid., paragraphe 4.
[45] Ibid., paragraphe 5.
[46] AS/Jur (2023) 06, supra note 31, paragraphe 12.
[47] Supra, note 2.
[49] Voir notamment la dernière décision en date adoptée lors de sa 1501e réunion (DH) adoptée le 13 juin 2014, CM/Del/Dec(2024)1501/H46-35, paragraphe 4.
[50] Voir notamment la Résolution 2381 (2021) sur « Les responsables politiques doivent-ils être poursuivis pour des déclarations faites dans l'exercice de leur mandat ? », adoptée par l'Assemblée le 21 juin 2021, sur la base du rapport de la Commission des questions juridiques et des droits de l’homme, Doc. 15307, rapporteur : M. Boriss Cilevičs (Lettonie, SOC).
[51] Yüksekdağ Şenoğlu et autres c. Türkiye, requête n°14332/17, arrêt du 8 novembre 2022.
[52] Déclaration des corapporteurs [17 mai 2024].
[53] Supra, note 48, paragraphe 3.
[54] Article 14 de la Constitution turque : « Aucun des droits et libertés consacrés par la Constitution ne peut être exercé sous la forme d'activités visant à violer l’intégrité indivisible de l'État avec son territoire et sa nation, et à mettre en danger l'existence de l'ordre démocratique et laïque de la République fondé sur les droits humains.
Aucune disposition de la présente Constitution ne peut être interprétée de manière à permettre à l'État ou à des personnes privées de ruiner les droits et libertés fondamentaux reconnus par la Constitution ou de mener une activité visant à les restreindre plus largement que ne le prévoit la Constitution.
Les sanctions à appliquer contre les auteurs d'activités contraires à ces dispositions sont déterminées par la loi ».
[55] Voir les paragraphes 4 et 5 de la Résolution.