Doc. …

12 septembre 2024

Protéger les droits humains et améliorer la vie des travailleuses et des travailleurs du sexe et des victimes d’exploitation sexuelle

Rapport[1]

Commission sur l’égalité et la non-discrimination

Rapporteur : M. Fourat Ben Chikha, Belgique, Groupe des socialistes, démocrates et verts

Résumé

Les travailleuses et travailleurs du sexe constituent un groupe hétérogène, issu de tous les milieux. Ce sont pour la grande majorité des femmes, ce qui fait du travail du sexe une question d’égalité de genre et de droits des femmes. Les travailleuses et travailleurs du sexe subissent la stigmatisation et la marginalisation, sont particulièrement vulnérables à la violence et aux abus, et sont confrontés à des niveaux élevés de discrimination dans l’accès à l’éducation, à l’emploi, à la santé, au logement, à la justice et à la protection contre la violence. La discrimination intersectionnelle a un impact lourd sur travailleuses et travailleurs du sexe.

Ce rapport souligne que les États membres du Conseil de l’Europe disposent d’une large marge d’appréciation dans le choix de leurs politiques et législations sur le travail du sexe, qui vont de la dépénalisation à la criminalisation des activités liées au travail du sexe, ou à l’achat de services sexuels. Quel que soit le modèle de législation choisi, ils devraient intensifier leurs efforts pour lutter contre la discrimination dont sont victimes les travailleuses et travailleurs du sexe et protéger leur sécurité et leur dignité. Ils devraient également lutter contre la prostitution forcée et veiller à ce que les stratégies de sortie soient facilement accessibles à celles et ceux qui souhaitent abandonner le travail du sexe.

La traite des êtres humains est une grave violation des droits humains qui cible de manière disproportionnée les femmes et les filles, en particulier en ce qui concerne la traite à des fins d’exploitation sexuelle, y compris la prostitution forcée. La traite est donc souvent contiguë au travail du sexe, mais les deux phénomènes ne doivent pas être confondus. Les États membres devraient redoubler d’effort pour lutter contre la traite et la violence à l’égard des femmes, notamment en appliquant les conventions pertinentes du Conseil de l’Europe.


A.         Projet de résolution[2]

1.         Les travailleuses et travailleurs du sexe font partie de la société et ont droit à la sécurité, au respect de leur dignité et à la protection contre la discrimination. Leur libre arbitre, leur autonomie corporelle et leur autodétermination doivent être reconnues, et leurs points de vue doivent être écoutés. Les travailleuses et travailleurs du sexe constituent un groupe diversifié et viennent de tous les horizons. La grande majorité d'entre eux étant des femmes, le travail du sexe est particulièrement pertinent pour les questions d'égalité des sexes et de droits des femmes.

2.         L'Assemblée parlementaire observe avec inquiétude qu'en dépit de ces faits, les travailleuses et travailleurs du sexe continuent d'être stigmatisé∙es, et marginalisé∙es, particulièrement vulnérables à la violence et aux abus, et confronté∙es à des niveaux élevés de discrimination dans l'accès à l'éducation, à l'emploi, à la santé, au logement, à la justice et à la protection contre la violence.

3.         La discrimination subie par les travailleuses et travailleurs du sexe n'est pas seulement fondée sur leur profession, mais aussi sur d'autres motifs interdits, notamment le genre, la nationalité, l'origine ethnique, le statut de migrant∙e, l'orientation sexuelle, l'identité de genre et l'expression de genre. Les politiques adoptées pour lutter contre cette discrimination doivent donc tenir compte des spécificités de genre et se fonder sur une approche intersectionnelle.

4.         L'Assemblée note que les États membres du Conseil de l'Europe disposent d'une marge d'appréciation dans l’adoption d'une législation et des politiques sur le travail du sexe. Ils devraient privilégier une approche fondée sur les droits humains visant à prévenir et à combattre l'exploitation et la discrimination à l'encontre des travailleuses et travailleurs du sexe et à garantir leur plein accès aux droits humains et leur pleine jouissance de ceux-ci.

5.         L'Assemblée considère que la prévention et la lutte contre la traite des êtres humains devraient être une priorité absolue pour les États membres du Conseil de l'Europe, qui doivent intensifier leurs efforts pour contrer ce fléau en adoptant une législation et des politiques ambitieuses et en les mettant en œuvre de manière efficace. La traite des êtres humains est souvent perpétrée au-delà des frontières nationales, c'est pourquoi les États membres devraient renforcer davantage la coopération internationale en matière pénale, en utilisant des instruments appropriés tels que la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (STCE n° 197).

6.         L'Assemblée note que, si la traite à des fins d'exploitation sexuelle, y compris la prostitution forcée, est l'une des principales formes de traite des êtres humains, notamment des femmes et des jeunes filles, le travail du sexe ne doit pas être confondu avec la traite. Néanmoins, compte tenu de l'ampleur des chevauchements, la coopération avec les travailleuses et travailleurs du sexe et les organisations de la société civile concernées devrait faire partie de la mise en œuvre des politiques de lutte contre la traite, car ils sont les mieux placés pour identifier les cas où les travailleuses et travailleurs du sexe sont victimes de la traite.

7.         La stigmatisation sociale et la discrimination dans l'accès à l'emploi constituent également des obstacles pour les travailleuses et travailleurs du sexe qui souhaitent changer de métier, les rendant plus vulnérables aux abus et à l'exploitation. Il convient de remédier à ce problème de toute urgence en soutenant les personnes qui décident, pour quelque raison que ce soit, de changer de situation et en luttant contre les attitudes négatives.

8.         Se référant à sa Résolution 1983 (2014) « Prostitution, traite et esclavage moderne en Europe », l'Assemblée réaffirme que, quel que soit le modèle choisi, les législateurs et législatrices nationaux ainsi que les forces de l’ordre devraient être conscients de leur responsabilité de veiller à ce que les travailleuses et travailleurs du sexe puissent exercer leur activité dans la dignité, et, dans tous les cas, les autorités devraient s'abstenir de considérer la réglementation de la prostitution comme un substitut à une action de grande ampleur visant spécifiquement à lutter contre la traite des êtres humains, fondée sur un cadre juridique et politique solide et mise en œuvre efficacement.

9.         L'Assemblée se réfère à l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme du 25 juillet 2024 dans l'affaire M.A. et autres c. France, qui stipule notamment que bien qu'elles disposent d'une marge d'appréciation, les autorités nationales ont le devoir de garder sous un examen constant leur réglementation sur le travail du sexe, en particulier lorsqu'elle est basée sur l'interdiction de l'achat d'actes sexuels, de manière à pouvoir la modifier et l'adapter à l'évolution des normes internationales et à l'impact de leur mise en œuvre.

10.       L'Assemblée note que de nombreuses organisations de défense des droits humains, des spécialistes et des fonctionnaires ont recommandé la dépénalisation totale du travail du sexe comme étant le meilleur moyen de protéger la santé et les droits humains des travailleuses et travailleurs du sexe. Cette position a été adoptée notamment par l'ancienne Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, le Programme commun des Nations unies sur le VIH/sida (ONUSIDA), le Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP), l'Organisation mondiale de la santé (OMS), la Rapporteuse spéciale des Nations unies sur le droit à la santé physique et mentale, l’Expert indépendant des Nations Unies sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre, le Groupe de travail des Nations unies sur la discrimination à l'égard des femmes et des filles, ainsi que de grandes organisations non gouvernementales telles qu'Amnesty International et Human Rights Watch. Les positions et les arguments de ce large éventail d'acteurs devraient être soigneusement pris en compte par les législateurs et législatrice ainsi que les décideurs et décideuses politiques lorsqu'ils réglementent le travail du sexe.

11.       L'Assemblée prend note de la réforme du travail du sexe récemment introduite par les autorités belges, qu'elle considère comme un cadre juridique cohérent, comprenant des règles de droit civil et de droit du travail, visant à garantir la sécurité et la dignité des travailleuses et travailleurs du sexe et à leur donner accès aux dispositions de sécurité sociale. L'Assemblée estime que cette réforme constitue un exemple que les autres États membres qui ont dépénalisé le travail du sexe pourraient suivre, en vue d'éliminer les zones grises juridiques dans lesquelles des activités criminelles peuvent se développer.

12.       À la lumière de ces considérations, l'Assemblée invite les États membres et observateurs du Conseil de l'Europe, les États observateurs de l'Assemblée parlementaire et les partenaires pour la démocratie :

12.1.   en ce qui concerne la collecte de données, l'élaboration et l'examen des politiques :

12.1.1.   à améliorer la collecte de données sur le travail du sexe et la situation des travailleuses et travailleurs du sexe, en mettant l'accent sur leurs conditions de travail et de vie, leur sécurité et leur exposition aux abus et à la violence, ainsi que sur leur accès au logement, aux soins de santé, à l'éducation et à l'emploi ;

12.1.2.   à garder sous un examen constant la mise en œuvre des réglementations relatives au travail du sexe, en particulier lorsque celles-ci sont basées sur l'interdiction de l'achat d’actes sexuels, de manière à pouvoir évaluer leur impact sur la situation et les conditions des travailleuses et travailleurs du sexe. Le suivi et l'évaluation devraient être effectués par les autorités publiques et par des organismes d'évaluation indépendants.

12.2.   en ce qui concerne la coopération avec la société civile :

12.2.1.   à renforcer la coopération avec les organisations de la société civile représentant les travailleuses et travailleurs du sexe ainsi qu'avec celles qui apportent un soutien aux travailleuses et travailleurs du sexe et aux victimes de la traite des êtres humains ;

12.2.2.   à veiller à ce que les représentant∙es des travailleuses et travailleurs du sexe, en particulier les organisations de la société civile qui défendent leurs droits, soient consulté∙es sur la conception, la mise en œuvre, le suivi et l'évaluation des politiques ayant une incidence sur le travail du sexe, ainsi que sur les politiques de lutte contre la traite des êtres humains.

12.3.   en ce qui concerne l'accès à la justice et la protection contre la violence :

12.3.1.   à veiller à ce que les travailleuses et travailleurs du sexe bénéficient de conditions d'accès effectives et équitables aux structures et programmes mis en place pour soutenir les victimes de violence fondée sur le genre, tels que les centres d'hébergement, conformément à la Convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique (STCE n° 210, « Convention d'Istanbul ») ;

12.3.2.   à veiller à ce que les travailleuses et travailleurs du sexe victimes de violences aient accès à des informations sur leurs droits, à des mécanismes de signalement, à des services sociaux et à une assistance juridique, sans discrimination ni criminalisation.

12.4.   en ce qui concerne l'accès aux soins de santé :

12.4.1.   à veiller à ce que les travailleuses et travailleurs du sexe aient accès à l'ensemble des services de santé sexuelle et reproductive, y compris la prévention et le traitement du VIH et des autres infections sexuellement transmissibles, le dépistage des cancers de la reproduction, la contraception, les soins en cas d'avortement sans risque et le conseil en cas de traumatisme.

12.5.   en matière d'éducation, de formation, d'information et de sensibilisation :

12.5.1.   à mener ou soutenir des campagnes de sensibilisation visant à lutter contre la stigmatisation et les préjugés à l'égard des travailleuses et travailleurs du sexe ;

12.5.2.   à diffuser des informations sur les services offerts aux travailleuses et travailleurs du sexe, tels que les services de santé, et sur les programmes de sortie (aide apportée aux personnes qui souhaitent quitter le travail du sexe) ;

12.5.3.   à introduire ou renforcer les programmes de formation sur la situation et les besoins des travailleuses et travailleurs du sexe destinés aux professionnel∙les de la santé, aux services sociaux, aux forces de l’ordre et aux magistrat∙es.

12.6.   en ce qui concerne la réglementation du travail du sexe, les conditions de travail et l’arrêt du travail du sexe :

12.6.1.   à s'attaquer aux inégalités et aux discriminations dans l'accès à l'emploi, afin que personne ne soit contraint de se prostituer pour des raisons de pauvreté ou de discrimination, et que chaque personne puisse quitter le travail du sexe si elle le souhaite ;

12.6.2.   à mettre en œuvre des programmes de protection et de sortie dans tous les États membres du Conseil de l'Europe et au-delà, indépendamment des politiques relatives au travail du sexe ;

12.6.3.   à assurer des actions préventives contre le phénomène du travail forcé du sexe pour décourager une condition vulnérable à des formes d’abus, de violence et d'exploitation, qui est indigne pour les femmes et préjudiciable aux droits humains fondamentaux, en encourageant des solutions pour le soutien, la protection et la réinsertion sociale ;

12.6.4.   à protéger le droit des travailleuses et travailleurs du sexe à des conditions de travail équitables, en intégrant les réglementations relatives au travail du sexe de manière cohérente avec le droit général du travail, et en garantissant l'accès notamment aux dispositions de sécurité sociale relatives aux pensions, au chômage, à l'assurance maladie, aux prestations familiales, aux vacances annuelles, au congé parental ;

12.6.5.   à protéger la sécurité et la dignité des travailleuses et travailleurs du sexe, y compris en stipulant des libertés spécifiques telles que la liberté de refuser un∙e client∙e, de refuser ou d'interrompre un acte, ou de l'exécuter comme elles ou ils le souhaitent, et d'accéder à des dispositifs de sécurité tels qu'un bouton d'alarme ;

12.6.6.   à reconnaître le droit des travailleuses et travailleurs du sexe de s'associer et de former des syndicats ou d'y adhérer.

12.7.   En ce qui concerne les politiques relatives à la traite des êtres humains :

12.7.1.   à signer, ratifier et mettre en œuvre la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains, s'ils ne l'ont pas encore fait, et coopérer pleinement avec son mécanisme de suivi ;

12.7.2.   à allouer des ressources adéquates aux agences et services actifs dans la prévention, l'investigation et la poursuite de la traite des êtres humains.


B.         Exposé des motifs par M. Fourat Ben Chikha, Rapporteur

1.         Introduction

1.         Le travail du sexe et la situation des personnes qui exercent cette activité est un sujet complexe qui se situe à l'intersection de questions multiples et souvent contradictoires, notamment les droits à l'autonomie personnelle et à la vie privée, ainsi que la santé publique et le travail. Il s'agit également d'un sujet politiquement sensible, car des approches différentes et contradictoires divisent les décideurs politiques et les législateurs.

2.         Le présent rapport appréhende le travail du sexe sous l'angle des droits humains et place les droits des travailleuses et des travailleurs du sexe au centre de son analyse et de ses recommandations. Il utilise généralement les termes « travail du sexe » et « travailleuses et travailleurs du sexe » à la place des mots « prostitution » et « prostitué·es », car ces derniers sont considérés par beaucoup, en particulier par les travailleuses et les travailleurs du sexe eux-mêmes, comme stigmatisants et humiliants et, par conséquent, vecteurs d'exclusion sociale[3]. L’expression « travail du sexe », qui n’a pas de connotations morales négatives, est la plus utilisée par les organisations et les spécialistes des droits humains en Europe et ailleurs.

3.         Le terme « travailleuse ou travailleur du sexe » désigne les adultes qui vendent des services sexuels ou les échangent contre des biens ou services, régulièrement ou occasionnellement. Bien que les femmes constituent la grande majorité de ce groupe, ce qui fait du travail du sexe un thème particulièrement pertinent pour les droits des femmes et l’égalité entre les femmes et les hommes, les travailleuses et les travailleurs du sexe viennent de tous les horizons, sont de tout genre et se caractérisent pas toutes les identités de genre et orientations sexuelles. Les motivations qui poussent les personnes à pratiquer le travail du sexe sont variables, allant d'un arrangement temporaire dicté par la nécessité à la volonté de trouver une façon plus stable de gagner sa vie, tout comme le degré d'organisation de cette activité.

4.         Les spécialistes, y compris les groupes d'expert·es au sein du Conseil de l'Europe, constatent qu’on peut souvent faire un recoupement entre travail du sexe, violations des droits humains et infractions pénales, notamment la violence à l'égard des femmes, la prostitution forcée et la traite des êtres humains à des fins d'exploitation sexuelle. Ces formes de criminalité, qui transcendent souvent les frontières internationales, doivent être combattues efficacement. Leur prévention, la poursuite de leurs auteurs et, en fin de compte, l’éradication de ces phénomènes devraient être une priorité absolue pour les pouvoirs publics dans les États membres du Conseil de l'Europe et ailleurs. Il ne faut toutefois pas confondre ces actes criminels avec le travail du sexe en général, car il s'agit de réalités différentes, tant sur le plan conceptuel que dans la pratique, même si des liens peuvent être établis.

5.         Les premières étapes de la préparation de ce rapport ont été réalisées par Margreet De Boer (Pays‑Bas, SOC) qui a coordonné les recherches préliminaires, pris l'initiative d'organiser une audition avec des organisations de la société civile et effectué une visite d'information en Belgique en juin 2023. Je partage l'approche de ma prédécesseure fondée sur les droits humains, en prenant les droits et la liberté des personnes concernées comme point de départ et priorité principale. Cette approche est cohérente avec les principes qui sous-tendent l'action du Conseil de l'Europe et de son Assemblée parlementaire. C'est aussi la meilleure façon de trouver un équilibre entre les enjeux. 

6.         Le travail du sexe a de larges ramifications et peut influer sur les conditions de vie de la population. Il est ainsi devenu un sujet d’une grande actualité pour les acteurs et institutions des droits humains. Outre les recherches universitaires, de nombreux rapports, recommandations, documents de position et documents d'orientation ont été publiés sur cette question ces dernières années. La plupart soulignent la nécessité de prévenir et de combattre la discrimination à l’égard des travailleuses et des travailleurs du sexe, et de défendre leur dignité en luttant contre la stigmatisation et en reconnaissant leur libre arbitre et leur autodétermination.

7.         Les travailleuses et les travailleurs du sexe sont confronté∙es à un grand nombre de difficultés et de formes de discrimination. Il s’agit notamment de la stigmatisation sociale qui conduit à l’exclusion sociale, de problèmes de santé physique et mentale résultant de violences psychologiques et physiques, ainsi que de conditions de travail malsaines. Ces personnes rencontrent des difficultés d’accès au logement, à l’emploi, à l’éducation et aux services financiers, notamment aux comptes bancaires et aux prêts. Ce traitement discriminatoire entrave leurs droits fondamentaux, rend difficile l’abandon de cette activité pour celles et ceux qui le souhaitent et rend les travailleuses et les travailleurs du sexe plus vulnérables à la traite des êtres humains.

8.         La législation et les politiques relatives au travail du sexe varient selon les États membres du Conseil de l’Europe, avec une approche prohibitionniste qui criminalise à la fois la vente et l’achat de services sexuels, une approche réglementaire qui encadre la prostitution (en interdisant des aspects spécifiques, tels que le proxénétisme) et l’approche suédoise ou nordique, qui vise à abolir la prostitution en sanctionnant les personnes qui paient pour des services sexuels. Le débat sur les avantages et les inconvénients de chaque approche est toujours en cours, ce qui nécessite de disposer d’informations fiables pour évaluer l’impact de chacune. En outre, les convictions morales et religieuses jouent un rôle dans le choix de l’une ou l’autre approche. L’objectif de ce rapport est de défendre et de promouvoir les droits des travailleuses et des travailleurs du sexe, quelle que soit la réglementation en vigueur. Par conséquent, ce rapport se concentrera principalement sur l’impact de la législation et des politiques sur les droits et les conditions de vie des travailleuses et des travailleurs du sexe. Il évitera autant que possible les aspects moraux ou religieux de ce débat.

9.         Pour préparer ce rapport, en plus du travail de recherche, des échanges ont eu lieu avec des représentant·es des travailleuses et travailleurs du sexe en Europe, ainsi que d’autres organisations actives dans les droits humains. La rapporteure précédente, Margreet De Boer, a également assisté à plusieurs évènements pertinents lors de la 67e édition de la Commission de la condition de la femme, qui s’est tenue en mars 2023 au siège des Nations Unies à New York, et discuté avec des spécialistes invités et d’autres participant·es. J’estime qu’il est particulièrement important d’écouter les personnes qui pratiquent le travail du sexe et les organisations qui les représentent. Lorsque l’on discute de la situation de personnes ou de groupes et de la façon de protéger leurs droits, les personnes concernées devraient toujours avoir leur mot à dire. Or, les travailleuses et les travailleurs du sexe n’ont pas souvent cette possibilité, ce qui est injuste et devrait être corrigé.

10.       Une audition, qui s’est tenue à Paris le 24 mars 2023 avec la participation de représentantes de l’Alliance européenne pour les droits des travailleuses et travailleurs du sexe (European Sex Workers’ Rights Alliance ou ESWA), d’Amnesty International et de Médecins du Monde, a apporté de précieuses données, à la fois en termes d’informations sur les difficultés auxquelles font face les travailleuses et travailleurs du sexe dans les États membres du Conseil de l’Europe, et de recommandations sur la façon de les résoudre. Avec l’aide de ces expertes, nous avons appris davantage sur les obstacles auxquels sont confrontés les travailleuses et les travailleurs du sexe (dont certain·es sont susceptibles d’être victimes de la traite à des fins d’exploitation sexuelle) et qui les empêchent de jouir de leurs droits humains ou, en d’autres termes, de mener une vie normale. Cette question reste pertinente, que ces personnes travaillent actuellement dans la prostitution, qu’elles souhaitent quitter cette activité ou qu’elles l’aient quittée. Une audition ultérieure s’est tenue le 25 juin 2024, durant laquelle ont été présentés des projets apportant un soutien aux travailleuses et aux travailleurs du sexe – le programme Jasmine (France) et le projet Ugly Mugs Pays-Bas – et à laquelle a participé une représentante du réseau Coalition pour l’abolition de la prostitution (CAP).

2.         Travail du sexe, violence à l’égard des femmes et traite des êtres humains : les normes internationales en matière de droits humains dans le système du Conseil de l’Europe

11.       Le Conseil de l’Europe mène des activités d’établissement de normes et de suivi et il est très actif, entre autres, dans les domaines de la lutte contre la violence à l’égard des femmes et de la traite des êtres humains, respectivement grâce à la Convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique[4] et la Convention sur la lutte contre la traite des êtres humains[5]. Dans ce chapitre, je souhaite aborder certains aspects de ces conventions et des activités de suivi pertinentes qui s’appliquent au travail du sexe. Il est également utile de mentionner dans ce contexte les travaux de la Commission pour l’égalité de genre (GEC) du Conseil de l’Europe.

12.       Étant donné que les travailleuses et les travailleurs du sexe font face à des niveaux élevés de violence en Europe, qu’il s’agisse de violence physique, sexuelle ou psychologique, le Groupe d’experts sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (GREVIO), qui fait partie du système de suivi de la Convention d'Istanbul, a examiné lors de sa 19e réunion la question des femmes en situation de prostitution. En délimitant le champ d’application de la convention, le Groupe d’experts a noté que celle-ci ne définissait pas la prostitution comme une forme de violence à l’égard des femmes. Au lieu de quoi, le document juridique met l’accent sur la protection et le soutien à offrir aux femmes et filles se livrant à la prostitution, dans tous les cas où elles subiraient des violences fondées sur le genre. Le GREVIO reconnaît également que la prostitution doit être considérée comme un important facteur de risque de violence à l’égard des femmes. Il convient dès lors d’examiner systématiquement la situation des femmes en situation de prostitution dans le cadre des procédures d’évaluation, notamment le risque spécifique qu’elles courent d’être exposées à la discrimination multiple et à la discrimination intersectionnelle et les difficultés auxquelles elles se heurtent pour accéder aux services de soutien généraux ou spécialisés.

13.       Les politiques restrictives en matière de travail du sexe/de prostitution sont souvent justifiées par leurs partisan·es par la nécessité de lutter contre la traite des êtres humains, notamment en décourageant la demande de travail du sexe, jugée favoriser l’exploitation. La traite des êtres humains et les nombreuses pratiques qui y sont liées constituent une violation grave des droits humains et la lutte contre ce fléau devrait être une priorité absolue pour les responsables de la législation et des politiques. Le travail du sexe et la traite des êtres humains sont, toutefois, deux phénomènes distincts.

14.       La Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains, qui vise à lutter contre la traite dans le respect des droits humains, définit la traite des êtres humains comme étant composée de trois éléments, communément appelés « l’action » (comme le recrutement d’une victime), « les moyens » (toute forme de manipulation de la volonté de la victime de rendre possible l’exploitation) et « les fins (d’exploitation) » (traite à des fins d’exploitation sexuelle ou de travail forcé), ce qui est conforme à la définition de la traite admise sur le plan international au titre du Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants (Protocole de Palerme), conclu en 2000.

15.       L’article 4 de la convention contient une liste des fins d’exploitation, notamment « l’exploitation de la prostitution d’autrui ou d’autres formes d’exploitation sexuelle ». Cependant, il n’existe pas de définition juridique internationale de « l’exploitation de la prostitution d’autrui ou d’autres formes d’exploitation sexuelle », ce qui laisse à chaque État le soin de décider.

16.       L’article 6 de la convention énumère les mesures que les États parties devraient mettre en œuvre « afin de décourager la demande qui favorise toutes les formes d’exploitation des personnes », telles que des recherches, des mesures visant à faire prendre conscience, des campagnes d’information, et des mesures préventives (des programmes éducatifs sur l’égalité entre les femmes et les hommes).

17.       Le Groupe d’experts sur la lutte contre la traite des êtres humains (GRETA), qui suit la mise en œuvre de la convention par les Parties, souligne dans ses rapports que, si les États parties ont jusqu’à présent axé leur action sur l’exploitation sexuelle et découragé la demande de services sexuels uniquement, toutes les formes d’exploitation devraient être couvertes par les mesures recommandées par la convention. Dans ce contexte, il convient de souligner que le travail du sexe et l’exploitation sexuelle sont des phénomènes différents, bien que dans certains cas ils puissent être liés. Par conséquent, décourager la demande de services sexuels ne réduit pas automatiquement l’exploitation sexuelle. Le GRETA recommande régulièrement de mener des recherches pour évaluer les effets de la législation qui érige en infraction pénale l’achat de services sexuels sur la réduction de la demande de services fournis par des victimes de la traite. De plus, en ce qui concerne l’exploitation sexuelle, le GRETA recommande de mettre en œuvre des mesures qui « doivent être équilibrées et ne pas conduire à considérer les victimes de la traite comme des délinquants ».

18.       Selon l’article 19 de la convention, un État partie « envisage d’adopter les mesures législatives et autres nécessaires pour conférer le caractère d’infraction pénale, conformément à son droit interne, au fait d’utiliser les services qui font l’objet de l’exploitation visée à l’article 4 paragraphe a de la présente Convention, en sachant que la personne concernée est victime de la traite des êtres humains ». Dans le cadre de son suivi des États parties, le GRETA a indiqué à plusieurs reprises que la criminalisation de l’achat de services sexuels n’était pas requise par l’article 19 en tant que tel, ou d’autres dispositions de la convention ciblant la demande. L’approche pénale adoptée par la convention se limite à l’infraction pénale de traite des êtres humains, et aux obligations positives de prévention et de criminalisation qui y sont associées.

19.       Dans sa Résolution 1983 (2014) « Prostitution, traite et esclavage moderne en Europe », l’Assemblée parlementaire abordait le travail du sexe principalement sous l’angle de son lien avec la traite des êtres humains – en reconnaissant néanmoins que les deux phénomènes sont distincts – et appelait les États membres à intensifier leurs efforts pour lutter contre ce fléau. Tout en examinant avec intérêt le modèle suédois fondé sur la criminalisation de l’achat de services sexuels, elle notait que, étant donné les différences de sensibilités culturelles, il était difficile de proposer un modèle unique de réglementation de la prostitution qui conviendrait à tous les États membres. L’Assemblée était « néanmoins convaincue que les droits humains devraient être le critère principal dans la conception et l'application des politiques en matière de prostitution et de traite ». La résolution indiquait également que, indépendamment du modèle choisi, les législateurs et les forces de l'ordre devraient être conscients de leur responsabilité d'assurer que les travailleuses et les travailleurs du sexe « peuvent [...] pratiquer leur activité dans la dignité, libres de toute contrainte ou exploitation ». Point important, elle ajoutait que « dans tous les cas, il convient que les autorités s'abstiennent d'envisager une réglementation de la prostitution pour se dispenser de mettre en place un dispositif complet et spécifique de lutte contre la traite des êtres humains, reposant sur un cadre juridique et politique solide et effectivement mis en œuvre ». Dix ans plus tard, ces prescriptions demeurent pertinentes.

20.       L’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire S.M. c. Croatie (requête n° 60561/14) le 25 juin 2020 concernant une plainte de traite et de prostitution forcée déposée par une ressortissante croate renforce l’idée libérale selon laquelle la prostitution peut être consensuelle et ne constitue pas une exploitation par défaut.

21.       En novembre 2022, la Commission pour l’égalité de genre (GEC) du Conseil de l’Europe a publié une étude intitulée « L’impact de la covid-19 sur l’accès des femmes à la justice ». Cette étude note que « [c]ombinés aux lacunes de la législation et aux failles de sa mise en œuvre, les stéréotypes de genre profondément ancrés liés à la sexualité et à la moralité des femmes soumettent les travailleuses du sexe à de fréquentes sanctions pénales, même dans les pays où la prostitution est légalisée ». Elle se préoccupe également du traitement des travailleuses et travailleurs du sexe tout au long de la chaîne de justice pénale. Selon ce rapport, « les travailleuses et travailleurs du sexe font partie des travailleurs informels les plus précaires, en partie du fait des sanctions auxquelles les différents aspects de leur activité sont exposés, tels que leurs clients et les maisons closes, ce qui fait qu’ils ou elles sont souvent injustement sanctionné·e·s. Ces personnes sont en outre exposées à des niveaux très élevés de violence dans le cadre de leur travail ».

22.       En février 2024, Dunja Mijatovic, qui était alors Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, a publié un article du Carnet des droits de l'homme intitulé « Protéger les droits humains des travailleuses et travailleurs du sexe »[6],qui soulève de graves préoccupations en matière de droits humains au regard des réalités vécues par les travailleuses et les travailleurs du sexe en Europe : ces personnes sont en effet confrontées à « des niveaux élevés de violence, reçoivent une protection insuffisante de la part des forces de l’ordre et du système judiciaire, et font l'objet d'une stigmatisation et de discriminations multiples ». La Commissaire appelait les États membres du Conseil de l’Europe à adopter une approche du travail du sexe fondée sur les droits humains, qui garantisse « aux travailleuses et travailleurs du sexe la protection contre la violence et les abus, l’égalité d’accès à la santé et aux autres droits sociaux, ainsi que le droit au respect de la vie privée et le droit de participer à la vie publique et politique ». Elle rappelait que « les États membres devraient faire en sorte que toute personne bénéficie d'un niveau de vie décent, ait accès aux soins et à l'éducation, et puisse travailler en sécurité et sans être exploitée. Ils devraient aussi garantir l'égalité d'accès à la protection sociale et à l'ensemble des autres droits sociaux ». S’appuyant sur des échanges avec des représentant·es des travailleuses et des travailleurs du sexe de toute l'Europe et faisant référence à la position de diverses organisations non gouvernementales ou intergouvernementales, la Commissaire appelait également à la dépénalisation totale du travail du sexe : comme l'indique l’article du Carnet des droits de l'homme, « adopter une approche fondée sur les droits humains suppose aussi de ne pas conférer le caractère d’infraction pénale à des relations sexuelles consenties entre adultes contre rémunération. [...] L’incrimination et l’application de sanctions aux travailleuses et travailleurs du sexe, à leurs clients ou à des tiers ont réduit considérablement l’accès des travailleuses et travailleurs du sexe aux droits et aux services essentiels et les ont conduits à vivre et à travailler dans la clandestinité et l’isolement, par crainte du système judiciaire ».

23.       En juillet 2024, dans son arrêt de chambre concernant l’affaire M.A. et autres c. France[7], la Cour européenne des droits de l’homme a estimé que les dispositions du droit pénal français consacrant l’infraction d’achat de relations de nature sexuelle n’étaient pas contraires à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Elle a relevé que « les problématiques liées à la prostitution soulèvent des questions morales et éthiques très sensibles, qui donnent lieu à des opinions divergentes, et qu’il n’existe toujours pas de communauté de vues, ni entre les États membres du Conseil de l’Europe ni au sein même des différentes organisations internationales saisies de la question quant à la meilleure manière d’appréhender la prostitution ». Tout en concluant que la France n’avait pas outrepassé sa marge d’appréciation, la Cour a souligné qu’il revenait aux autorités nationales de garder sous un examen constant l’approche qu’elles avaient adoptée – en particulier quand celle-ci est basée sur une interdiction générale et absolue de l’achat d’actes sexuels.

3.         Difficultés auxquelles font face les travailleuses et travailleurs du sexe en Europe

24.       Les travailleuses et travailleurs du sexe sont un groupe à la fois vulnérable et relativement invisible. Ces personnes font face à plusieurs difficultés, et la protection de leurs droits ne semble pas figurer parmi les priorités des législateurs et des responsables politiques dans la plupart des États membres du Conseil de l’Europe. Comme indiqué précédemment, j’ai tenu à recueillir des informations non seulement par le biais de recherches documentaires, mais aussi en échangeant avec des organisations de la société civile, notamment celles qui se consacrent spécifiquement aux droits des personnes qui pratiquent le travail du sexe, et des organisations dirigées par des travailleuses et travailleurs du sexe. Les personnes que j’ai rencontrées ont confirmé qu’elles avaient rarement la possibilité d’être entendues par les autorités.

25.       Les travailleurs et travailleuses du sexe sont touché·es de manière disproportionnée par diverses formes de violence liées à leur activité, comme le confirment de nombreuses études universitaires[8] et les enquêtes menées par des organisations de la société civile. Les auteurs de violences, notamment de violences physiques et sexuelles et de vols, sont le plus souvent les clients. Un rapport publié en 2019 par la Plate-forme pour la coopération internationale pour les migrants sans-papiers (PICUM) explique que les travailleurs et travailleuses migrant·es sont encore plus vulnérables à la violence que les travailleurs et travailleuses du sexe du pays en question, principalement en raison de leur statut juridique précaire, ce qui fait qu’ils et elles sont moins susceptibles de signaler les infractions[9]. Cela augmente le niveau d’impunité des auteurs d’infractions.

26.       Lors de l’audition qui s’est tenue le 24 mars 2023, Monica Costa Riba d’Amnesty International a cité une enquête menée en Irlande et publiée en 2022. La plupart des travailleurs et travailleuses du sexe interrogé·es ont indiqué avoir subi plusieurs formes de violence (attaques physiques et menaces, violences sexuelles, vols, traque, insultes et harcèlement, y compris en ligne). Il s’agit là du résultat d’un contexte de violence structurelle, qui se caractérise par des inégalités et des discriminations économiques et sociales croisées, fondées sur des motifs de race, de genre, d’identité de genre, de handicap, de consommation de drogues, de sans-abrisme et de statut migratoire. Selon Amnesty International, la stigmatisation sociale, les pratiques policières préjudiciables et un cadre juridique et politique inadapté contribuent également à compromettre la sécurité des travailleuses et travailleurs du sexe. De plus, l’étude indique que ces personnes expliquent souvent lors des entretiens qu’elles ont été forcées à adopter des comportements plus risqués en raison des sanctions imposées à leurs clients. Il peut s’agir, entre autres, de se rendre dans des lieux choisis uniquement par leurs clients, qui peuvent être des zones isolées inconnues où il est moins facile d’appeler à l’aide, ou de négocier avec les clients rapidement, sans avoir le temps d’évaluer les risques ou d’écarter les personnes potentiellement dangereuses.

27.       Au cours de la même audition, Sabrina Sanchez, directrice générale de l’ESWA, a énuméré les formes de discrimination auxquelles sont exposé·es les travailleurs et travailleuses du sexe, et notamment les femmes trans, telles que la difficulté d’accéder au logement et à l’emploi. Son expérience personnelle en tant que femme transgenre d’origine étrangère (elle a émigré du Mexique vers l’Europe) confirme ces difficultés. Sans permis de travail ni documents d’identité reflétant son genre, et parce que son diplôme universitaire en communication n’était pas reconnu en Europe, elle a commencé à pratiquer le travail du sexe, en raison des difficultés qu’elle avait à trouver un emploi dans d’autres domaines.

28.       Cet aspect du témoignage de Mme Sanchez semble confirmer que dans certains cas la pratique du travail du sexe n’est ni un choix proprement dit forcé, ni un choix complètement libre, en particulier pour les personnes migrantes. Le rapport susmentionné du PICUM explique que les motivations qui poussent à se livrer au travail du sexe sont multiples et complexes. Les causes dépassent le cadre étroit de la demande masculine de services sexuels rémunérés. Parmi elles figurent notamment l’inégalité d’accès à l’éducation, aux soins de santé, au logement et à l’aide sociale, la normalisation des emplois occasionnels, mal rémunérés et précaires, les politiques d’immigration discriminatoires qui augmentent la vulnérabilité de certaines personnes migrantes, et les choix faits par nombre de travailleuses et travailleurs du sexe, sans autre pression ou contrainte extérieure, d’adopter une autre forme de travail pour des raisons financières et leur indépendance.

29.       Lors de l’audition qui s’est tenue le 27 juin 2024, Mme Héma Sibi, représentante de la CAP, a souligné que le travail du sexe était pratiqué de manière disproportionnée par des personnes appartenant à des groupes vulnérables, comme les femmes et les filles à faibles revenus, les migrant·es, les personnes issues de minorités ethniques ou religieuses ou de castes opprimées. En Europe, les témoignages individuels recueillis par la CAP montrent que les travailleuses et les travailleurs du sexe font face à des niveaux élevés de déshumanisation prenant notamment la forme d'une hypersexualisation et d’une fétichisation des personnes d'ascendance extra-européenne, qui portent atteinte à leur dignité et ouvrent la voie à la discrimination.

30.       Se référant aux recherches menées par son organisation sur la façon dont les acheteurs de services sexuels perçoivent les travailleuses du sexe, Mme Sibi a mis en lumière l’utilisation d’un langage déshumanisant (« viande fraîche ») et de termes péjoratifs ainsi que des stéréotypes racistes répandus, les femmes noires étant décrites comme « agressives » et « dominantes » et les femmes asiatiques comme « menues », « soumises » et « dociles ». Ces résultats confirment que les travailleuses et les travailleurs du sexe se heurtent à des formes de discrimination multiple et intersectionnelle qu’il convient de combattre efficacement.

4.         Débat : abolitionnisme contre dépénalisation du travail du sexe

31.       Si le présent rapport vise à défendre et à promouvoir les droits humains des travailleuses et travailleurs du sexe indépendamment du type de législation et de politiques mises en œuvre dans un pays donné, il est utile de présenter les termes généraux du débat en cours entre abolitionnisme, notamment sous la forme d’une criminalisation de l’achat de services sexuels (modèle suédois ou nordique), et dépénalisation.

32.       Conçue à l’origine en Suède comme une politique d’égalité entre les femmes et les hommes, fondée sur le concept de prostitution en tant que forme d’exploitation du corps de la femme par les hommes, cette approche a ensuite été réinterprétée et présentée comme étant destinée à lutter contre la traite. L’approche suédoise a été saluée par une partie du mouvement féministe et de nombreux responsables de la lutte contre la traite. De plus, plusieurs pays ont adopté une législation fondée sur ce modèle, d’abord dans la région nordique (en Norvège et en Islande) puis au-delà (en Irlande du Nord, en Irlande et en France).

33.       Le modèle suédois fait l’objet du débat politique dans d’autres pays, grâce à la mobilisation active de certaines organisations de la société civile, comme la CAP et le Lobby européen des femmes (LEF), tous deux consultés lors de la préparation du présent rapport. Le LEF, qui fédère de nombreuses organisations, est un acteur majeur de la cause des droits des femmes en Europe. Il convient de noter que la plus grande organisation en son sein, le Deutscher Frauenrat (Conseil allemand des femmes), s'oppose à l'approche suédoise et soutient la dépénalisation totale du travail du sexe. En 2019, le Deutscher Frauenrat et plusieurs autres organisations allemandes[10] ont adopté conjointement un document d’orientation, qui commence par ces mots : « Les études et l’expérience montrent que la criminalisation du travail du sexe ne protège pas les prostitué·es contre la contrainte, mais accroît les risques pour la santé, la violence et les conditions de vie précaires ».

34.       Les critiques à l’encontre du modèle suédois, nombreuses et croissantes, proviennent de diverses sources. L’un des principaux arguments contre l’abolitionnisme, qui s’appuie souvent sur les informations recueillies auprès de travailleuses et de travailleurs du sexe mais parfois aussi auprès des forces de l’ordre, est que la criminalisation pousse la prostitution vers la clandestinité, ce qui rend les travailleuses et les travailleurs du sexe invisibles et plus vulnérables. La criminalisation a d’autres effets connexes, notamment l’accès plus difficile aux soins de santé et à d’autres services pour les travailleuses et les travailleurs du sexe. Les voix critiques estiment que la criminalisation d'un aspect du commerce du sexe a des répercussions sur l'ensemble de l'activité.

35.       Niina Vuolajärvi, chercheuse à la London School of Economics, a publié en 2022 une note d’orientation sur la criminalisation de l'achat de services sexuels, en se fondant sur les expériences de la région nordique[11]. Elle y examine les effets de cette criminalisation sur les travailleuses et les travailleurs du sexe, en particulier sur leur vulnérabilité face à la violence et à l'exploitation, et analyse son articulation avec les politiques d’immigration et leur mise en œuvre. Dans sa note, la chercheuse relève quelques incohérences dans les législations nordiques : en particulier, si le travail du sexe en soi n’est pas directement visé par la criminalisation, il est sanctionné de facto par l’application de politiques fiscales, d’immigration et relatives aux tiers. Par exemple, en Suède et en Finlande, le travail du sexe est un motif d'expulsion ou de refus d'entrée pour les migrant·es extracommunautaires. La note met en lumière toute une série d’effets négatifs des politiques abolitionnistes, notamment l’aggravation de la stigmatisation des travailleuses et des travailleurs du sexe et le harcèlement policier, souvent basé sur le profilage ethnique, qui semblent aller à l’encontre de l’objectif de l’approche suédoise.

36.       L’une des principales critiques des politiques abolitionnistes émane du Groupe de travail des Nations Unies sur la discrimination à l’égard des femmes et des filles, qui a publié en octobre 2023 un rapport marquant[12] appelant à la dépénalisation totale du travail du sexe exercé volontairement par des adultes dans le monde. Ce rapport fondé entre autres sur des entretiens avec des travailleuses du sexe de diverses régions du monde indique que les débats polémiques dominants sur le travail du sexe ne font pas ressortir toute la complexité de la question ni les expériences diverses des personnes qui exercent cette profession. Il ajoute que ces débats « n’ont pas permis de réduire la discrimination, la violence et les autres violations des droits humains dont sont victimes les travailleuses du sexe et [qu’]ils sont contre-productifs ». Par ailleurs, « le Groupe de travail reconnaît que le travail du sexe est un moyen de gagner de l’argent pour certaines personnes et s’inquiète de la discrimination et des violations des droits humains que celles-ci subissent ». Le Groupe de travail plaide avec constance en faveur de la dépénalisation du travail du sexe : le rapport de 2023 est ainsi la septième initiative en ce sens, comme l'a souligné la chercheuse de Human Rights Watch Erin Kilbride[13]. Il fait suite à un rapport sur la discrimination liée au genre dans le domaine de la santé (2016), à un rapport sur les femmes privées de liberté (2019), à un rapport sur les droits des femmes dans le monde du travail (2020) et à un rapport sur la pauvreté (2023), ainsi qu’à deux interventions en faveur de travailleuses du sexe incriminées au Nigeria et en Afrique du Sud.

37.       En 2022, l’université d’Uppsala a procédé à un vaste examen des études existantes sur les politiques relatives au travail du sexe. Elle a recensé plus de 3 000 publications et en a analysé plus de 350[14]. Elle a conclu qu’il existait un besoin non comblé d’études portant sur les expériences vécues par les travailleuses et travailleurs du sexe dans le cadre du modèle suédois. Je juge cette conclusion particulièrement importante. Si l'approche abolitionniste vise à protéger la dignité humaine et à lutter contre le fléau de la traite des êtres humains, au prix d'une restriction de l'autonomie corporelle et de l'autodétermination, il est essentiel de chercher à savoir si elle atteint effectivement ses objectifs. En l'absence d'éléments fiables, les législateurs et les responsables politiques devraient faire preuve de prudence lors de l’adoption d’une réglementation instaurant des sanctions pénales dans ce domaine.

38.       Les indications recueillies auprès de la société civile à l’audition du 24 mars 2023 à Paris étaient très critiques de l’approche suédoise. L’ESWA, qui rassemble des informations sur la situation et les besoins des travailleuses et travailleurs du sexe depuis près de 20 ans, estime que la criminalisation de l’une ou l’autre des parties impliquées dans le travail du sexe est extrêmement préjudiciable à toutes. Elle affirme que cela donne du pouvoir à des acteurs mal intentionnés, y compris au sein des forces de l’ordre, et empêche les victimes d’abus et de traite d’accéder à la justice de manière efficace. En effet, la première recommandation que l’ESWA adresse aux autorités est de s’opposer à la législation et aux politiques qui criminalisent ou répriment, directement ou en pratique, l’échange consensuel de services sexuels entre adultes contre rémunération, y compris la criminalisation des clients et des tiers.

39.       Amnesty International salue les mesures prises en Nouvelle-Zélande et plus récemment en Belgique, où le travail du sexe a été totalement dépénalisé à la suite de campagnes incessantes menées par des organisations dirigées par des travailleuses et travailleurs du sexe. Une étude commandée par le ministère néo-zélandais de la Justice a constaté que les travailleurs et travailleuses du sexe étaient désormais plus enclin·es à révéler leur activité aux professionnel·les de santé et à se protéger des infections sexuellement transmissibles, notamment en ayant des préservatifs, ce qui pourrait être incriminant dans un contexte juridique différent. Ils et elles sont également plus à même de refuser des clients particuliers ou violents et de négocier des rapports sexuels plus sûrs. Amnesty International considère que les récits qui associent la traite (et l’exploitation) avec le travail du sexe exposent les travailleuses et travailleurs du sexe à des risques supplémentaires.

40.       Médecins du Monde mène des programmes de réduction des risques auprès des travailleuses et travailleurs du sexe en France, en Russie et dans plusieurs pays non européens. L’organisation constate que, quels que soient le contexte d’intervention et les personnes impliquées (les travailleuses et travailleurs du sexe qui exercent librement leur activité ou les victimes d’exploitation, les personnes migrantes, LGBTI, en situation d’extrême pauvreté), toute forme de pénalisation directe ou indirecte du travail du sexe entrave l’accès à la santé et aux droits des personnes concernées. Elle estime que la criminalisation, directe ou indirecte, conduit les travailleuses et travailleurs du sexe à se cacher et les expose à la précarité, sapant ainsi les stratégies de prévention et de soins. Même la criminalisation du proxénétisme a des effets secondaires négatifs évidents, car elle augmente les risques de violence, étant donné que le partage d’un espace de travail, qui renforcerait la sécurité, est souvent perçu comme un élément du proxénétisme et criminalisé en tant que tel. En outre, les témoignages recueillis par Médecins du Monde auprès de travailleuses et travailleurs du sexe en France indiquent que la pénalisation des clients met en danger la santé et la sécurité de ces travailleuses et travailleurs en raréfiant les client∙es, ce qui réduit le pouvoir de négociation et fait qu’il leur est difficile de refuser certain∙es client∙es ou certaines pratiques.

41.       Un examen systématique des études relatives à l’impact des politiques en matière de prostitution sur les travailleuses et travailleurs du sexe, publié en mai 2023, montre les effets sur la santé, la sécurité et les conditions de vie et de travail des travailleuses et travailleurs du sexe dans l’ensemble de l’Union européenne. Selon cet examen, les faits démontrent que la criminalisation et la réglementation de toute forme de travail du sexe ont eu des conséquences négatives sur les travailleuses et travailleurs du sexe qui vivent dans l’UE en termes de soins de santé, de prévalence du VIH et des IST et du risque de les contracter, de stigmatisation et de discrimination, de victimisation physique et sexuelle, et de marginalisation en raison d’inégalités sociales marquées, tant pour les ressortissant·es nationaux que pour les personnes migrantes originaires de pays extérieurs à l’UE. En ce qui concerne les implications politiques, l’étude conclut que les données disponibles plaident fortement en faveur de la suppression de toutes les lois pénales et autres formes de sanctions à l’encontre des travailleuses et travailleurs du sexe, des client∙es et des tiers, qui prévalent dans l’UE, et en faveur de la dépénalisation[15].

42.       Les organisations internationales, telles que l’Organisation mondiale de la Santé, l’ONUSIDA, le PNUD, le FNUAP ou l’OIT, sont elles aussi de plus en plus critiques à l’égard de toutes les formes de criminalisation des relations sexuelles entre adultes consentants contre rémunération et demandent la dépénalisation totale du travail du sexe. En 2023, la Commission internationale de juristes, composée de 60 juges et avocat·es éminent·es de toutes les régions du monde, a déploré dans ses Principes du 8 mars[16] l’utilisation continue et, dans certains cas, la nouvelle prolifération de lois pénales interdisant les comportements associés aux relations sexuelles entre adultes consentants, et le fait que ces lois ont entraîné des violations des droits humains, par exemple en générant et en perpétuant la stigmatisation, des stéréotypes de genre préjudiciables et la discrimination. Le Principe 17 sur le commerce du sexe indique que « l’échange de services sexuels entre adultes consentants contre de l’argent, des biens ou des services ne peut être érigé en infraction pénale ».

43.       En plus des organisations non gouvernementales qui ont participé à l’audition de mars 2023 avec la commission sur l’égalité et la non-discrimination, Human Rights Watch[17] a pris une position claire en faveur d’une dépénalisation complète, motivée par des préoccupations liées aux droits humains, à la sécurité et à la santé. La Fédération internationale pour le planning familial (IPPF), dont le réseau européen coopère régulièrement avec notre commission sur les questions de santé et de droits sexuels et reproductifs, a adopté en 2022[18] un document politique sur le travail du sexe, réaffirmant que « les droits humains de toutes les personnes, y compris les travailleurs du sexe, doivent être respectés [et] réalisés » et que « tous les droits humains sont indivisibles et interdépendants ». Ce document fait référence aux droits humains qui sont pertinents pour le travail du sexe, tels que le droit à l'autonomie et à l'intégrité corporelles ainsi que la santé et les droits sexuels et reproductifs. L'IPPF « est favorable à la reconnaissance du travail du sexe comme travail et soutient les travailleurs du sexe et les organisations dirigées par des travailleurs du sexe dans leur plaidoyer pour la reconnaissance du travail du sexe comme travail ». Le document de l’IPPF condamne fermement le travail forcé et la traite des êtres humains, et aide les travailleuses et les travailleurs du sexe à faire la distinction entre le travail du sexe et ces violations.

44.       En septembre 2023, le Parlement européen a adopté la résolution intitulée « Réglementation de la prostitution dans l’Union européenne : implications transfrontières et incidence sur l’égalité entre les hommes et les femmes et les droits des femmes », qui appelle les États membres à criminaliser l’achat de services sexuels[19]. Le texte a été adopté par une minorité des eurodéputé·es participant au vote (234 voix pour, 175 contre et 122 abstentions). Au niveau de la commission compétente, une opinion minoritaire a été signée par certains membres. Elle indique ce qui suit : « Les termes utilisés dans le présent rapport, à savoir "prostitution" et "femmes en situation de prostitution", dénotent les jugements de valeur, comportent des connotations de criminalité et d’immoralité et stigmatisent une communauté marginalisée ; les personnes vendant des services sexuels préfèrent le terme de "travailleuses/travailleurs du sexe", parce que l’utilisation du terme de "prostitué(e)" contribue à leur exclusion sociale, y compris des services de santé, légaux et sociaux ». Elle ajoute que la criminalisation de tout élément du travail du sexe compromet souvent la sécurité des personnes qui vendent des services sexuels. Malheureusement, le choix controversé de soutenir le modèle nordique a radicalement affaibli un texte qui trouve son origine dans des préoccupations fondées concernant les fléaux que constituent la traite des êtres humains à des fins d'exploitation sexuelle, la prostitution forcée et la discrimination à l'égard des travailleuses et des travailleurs du sexe.

45.       Les textes non contraignants comme les résolutions ont une plus grande portée et davantage d’influence lorsqu’ils sont adoptés par une large majorité de votants représentant l’ensemble de l’échiquier politique. C’est généralement le cas des textes de l’Assemblée parlementaire, qui sont solidement ancrés dans le système de protection des droits humains du Conseil de l’Europe, axé sur la Convention européenne des droits de l’homme, sur la Cour européenne et sa jurisprudence et sur de nombreux traités. Le texte que je propose pour adoption à l’Assemblée parlementaire en qualité de rapporteur est, je crois, fondé sur des principes des droits humains largement partagés, appelant les autorités des États membres du Conseil de l’Europe à protéger les droits humains des travailleuses et des travailleurs du sexe et à prévenir et combattre la discrimination à laquelle elles et ils se heurtent, indépendamment de l’approche législative sous-jacente et des politiques relatives au travail du sexe. Un texte adopté par consensus ou avec une grande marge aurait un impact plus fort sur la législation et les politiques des États membres, ce qui serait mérité vu l’ampleur et la prévalence de la discrimination et de la violence auxquelles sont confronté·es les travailleuses et les travailleurs du sexe.

5.         Décriminalisation du travail du sexe : le cas de la Belgique

46.       Les 7 et 8 juin 2023, Mme Margreet De Boer, ancienne rapporteure du présent rapport, a effectué une visite d'information dans mon pays, la Belgique. L'objectif principal de cette visite était d'en apprendre davantage sur la situation des travailleuses et travailleurs du sexe dans ce pays, en particulier après l'introduction, en 2022, d'une législation dépénalisant entièrement le travail du sexe. Je présenterai ici les principaux résultats de cette visite et quelques conclusions qui peuvent en être tirées.

47.       La visite a été l'occasion de rencontrer un large éventail d'acteurs, du ministre de l’Intérieur aux collègues parlementaires, en passant par les forces de l'ordre et un grand nombre d'organisations de la société civile représentant les professionnel·les du sexe ou défendant leurs droits.

48.       La Belgique a introduit une réforme importante de sa législation sur le travail du sexe en 2022, devenant ainsi le premier pays d'Europe à décriminaliser totalement le travail du sexe. Cette nouvelle loi représente un changement substantiel de politique, visant à renforcer les droits et la sécurité des travailleurs du sexe en supprimant les sanctions juridiques associées directement ou indirectement à leur activité et en la reconnaissant comme une profession légitime. Dans le passé, si la prostitution elle-même n'était pas considérée comme illégale, le fait de fournir tout type de service lié à cette activité était sanctionné pénalement. Compte tenu de cette définition large et vague, tout service professionnel fourni aux travailleuses et travailleurs du sexe, tel que l'hébergement, la comptabilité ou le conseil fiscal, pouvait potentiellement être considéré comme une infraction pénale. Le proxénétisme n'est sanctionné pénalement que dans le cas où il procure des « gains anormalement élevés », qui ne sont toutefois pas clairement définis.

49.       Les représentant·es des forces de l'ordre consultés lors de la visite d'information en Belgique ont souligné les aspects positifs et négatifs de la réforme. M. Jean-François Bellot, enquêteur spécialisé dans la traite des êtres humains, estime que les modifications du droit pénal « ont apporté aux travailleurs du sexe le cadre juridique rassurant dont ils avaient besoin ». L'insécurité juridique des réglementations antérieures était en effet problématique. En tant qu'enquêteur ayant 12 ans d'expérience dans la lutte contre la traite des êtres humains à des fins d'exploitation sexuelle, M. Bellot a mis en évidence certaines lacunes potentielles du cadre juridique actuel. Il estimait qu'il est impossible de dissocier totalement le travail du sexe de la traite des êtres humains. Si tous les travailleurs et travailleuses du sexe ne sont pas victimes de la traite des êtres humains ou du proxénétisme, « beaucoup d'entre eux, trop d'entre eux » le sont. Considérer le travail du sexe comme une profession comme une autre et exiger des travailleuses et travailleurs du sexe qu'ils acquièrent un statut professionnel peut pousser certains d'entre eux, en particulier les étrangers sans papiers qui sont souvent victimes de la traite, à disparaître dans la clandestinité, hors de portée des services sociaux et des forces de l'ordre dont ils pourraient avoir besoin.

50.       Karin Minnen, commissaire de police, a souligné plusieurs aspects positifs de la nouvelle législation, notamment le fait que le proxénétisme et d'autres activités liées au travail du sexe étaient considérés comme de l'exploitation et criminalisés lorsqu'ils concernaient des personnes de moins de 18 ans. Il est ainsi plus facile de poursuivre les cas d'exploitation basés sur le modèle du « lover boy », où les filles sont poussées à pratiquer le commerce du sexe par un partenaire manipulateur. Très souvent, les victimes ne sont pas prêtes à dénoncer l'infraction, car elles ne sont même pas conscientes de l'intention criminelle des auteurs. Au moment de la visite, il était difficile d'évaluer pleinement l'impact de la réforme, car les règlements nécessaires à son application (décrets royaux) n'avaient pas encore été adoptés.

51.       Une table ronde avec de nombreuses organisations de la société civile a constitué un élément important de la visite. Les organisations actives dans l'assistance et le soutien aux travailleurs du sexe et dans la lutte contre la traite des êtres humains comprenaient Samilia, Myria, Isala, Pag-Asa et Cavaria. Parmi les autres participant·es figuraient Alias, une ONG travaillant avec des travailleurs du sexe masculins et transgenres, et Utsopi, un réseau géré par les travailleurs et travailleuses du sexe eux-mêmes. Leurs représentant·es se sont généralement félicité·es de la réforme et certains d'entre eux ont fait campagne pendant longtemps pour l'obtenir. Ils estiment que la dépénalisation créera un environnement plus sûr pour les travailleuses et travailleurs du sexe. Il a souvent été souligné que certains textes législatifs étaient encore nécessaires pour achever la réforme. Si la dépénalisation avait été réalisée, l'idée de faire du travail du sexe une profession ordinaire ne pouvait être mise en pratique sans définir le statut professionnel des travailleuses et travailleurs du sexe, en particulier celles et ceux qui sont employé·es par d'autres personnes.

52.       Le ministre de la Justice, Vincent Van Quickenborne, a présenté la situation à Mme De Boer comme un travail en cours, la réforme étant achevée en ce qui concerne le commerce du sexe indépendant, mais la législation sur le commerce du sexe salarié étant en cours de préparation. La future loi sur le travail énoncerait des droits spécifiques pour protéger les travailleuses et travailleurs du sexe et leur garantir des conditions de travail adéquates. L'ensemble du processus de réforme a donné lieu à de vastes consultations avec les organisations de travailleuses et travailleurs du sexe, ce qu'il recommande comme étant la bonne manière d'élaborer une législation et des politiques dans ce domaine. Il est important d'écouter les travailleuses et travailleurs du sexe et leurs organisations. Il estimait qu'il n'y a pas de contradiction entre le respect des droits des travailleuses et travailleurs du sexe et la lutte contre la traite des êtres humains, et que la légalisation du commerce du sexe n'entraverait pas la lutte contre la traite, qui reste une priorité absolue. Le ministre Quickenborne estimait que la réforme belge est le résultat d'un processus non idéologique et il recommande de désidéologiser le débat.

53.       Un an plus tard, la situation a évolué dans le sens indiqué par le ministre. En mai 2024, le parlement belge a approuvé à une large majorité une loi sur le travail s’appliquant aux travailleuses et travailleurs du sexe sous contrat. Alors que le travail sexuel indépendant est déjà reconnu, grâce à cette loi récente, les travailleuses et travailleurs du sexe pourront également travailler sous contrat de travail et avoir accès à la sécurité sociale, y compris la pension, les allocations de chômage, l'assurance maladie, les prestations familiales, les congés annuels et le congé de maternité. La nouvelle loi fixe des limites à l'emploi (par exemple, les étudiant·es ne peuvent pas s'engager dans un contrat de travail sexuel, et ce contrat ne peut pas être stipulé sous la forme d'un emploi intérimaire). Il est important de noter que le droit du travail introduit cinq droits spécifiques pour les travailleuses et travailleurs du sexe, à savoir le droit de refuser un∙e client∙e, de refuser un acte sexuel, d'interrompre un acte sexuel à tout moment, d'accomplir un acte sexuel de la manière qu’elles ou ils souhaitent, et de refuser de s'asseoir derrière une vitrine ou de faire de la publicité. D'autres dispositions régissent la résiliation d'un contrat. La réforme législative du travail du sexe est désormais achevée, la prochaine étape étant la mise en œuvre.

54.       Le cas de la Belgique est extrêmement intéressant et sera certainement suivi de près dans les années à venir. Il est important de déterminer l'impact de la dépénalisation sur la situation et les conditions de vie des travailleuses et travailleurs du sexe, d'une part, et sur la lutte contre la traite des êtres humains, d'autre part. Le processus qui a conduit à la réforme est un exemple positif. Il n'a pas été fondé sur un débat visant à déterminer si le travail du sexe est moralement acceptable ou si les gens ont le droit d'acheter des services sexuels ou non. Au contraire, la priorité a été donnée aux droits et aux conditions de vie des travailleuses et travailleurs du sexe. En outre, la législation belge sur le travail du sexe semble aujourd'hui créer un cadre cohérent, puisque la dépénalisation a été suivie par l'adoption d'une législation civile et d'une législation du travail. Cela réduit le risque de créer des zones grises où la criminalité se développe. D'autres systèmes juridiques, tout en présentant le travail du sexe comme une occupation ordinaire sur le papier, n'ont pas réussi à créer les conditions nécessaires pour qu'il soit pratiqué légalement.

6.         Réduction des risques et protection des droits humains : apporter un soutien et une assistance aux travailleuses et aux travailleurs du sexe

55.       La Résolution 1983 (2014) de l’Assemblée parlementaire susmentionnée, « Prostitution, traite et esclavage moderne en Europe », tout en soutenant prudemment l’approche abolitionniste, ne présentait pas la criminalisation des clients comme une panacée et soulignait qu’elle devait s’accompagner de mesures visant à améliorer la situation et à protéger les droits des travailleuses et des travailleurs du sexe, par exemple en établissant des centres de conseil offrant aux travailleuses et aux travailleurs du sexe une aide juridique et de santé, indépendamment de leur statut légal ou d'immigration et en mettant en place des « programmes de sortie » pour celles et ceux qui souhaiteraient quitter le travail du sexe en prévoyant une approche globale comprenant des services de santé, tant mentale que physique, l’aide au logement, l’éducation, la formation et l’emploi. Ces recommandations sont toujours d’actualité et beaucoup d'entre elles doivent encore être mises en œuvre.

56.       Le soutien et l’assistance aux travailleuses et aux travailleurs du sexe sont généralement un point faible des politiques publiques sur le travail du sexe. Les organisations représentant ces personnes et d’autres organisations de la société civile plaident en faveur d’une augmentation de l’assistance. Certaines de ces structures mènent elles-mêmes des activités de soutien, en s’inspirant de ce qu’on peut considérer comme une approche de réduction des risques. Lors de l’audition du 25 juin 2024, Mme P.G. Macioti, responsable du programme Jasmine de Médecins du Monde, a expliqué que son organisation n’était ni favorable ni opposée au travail du sexe, mais qu’elle visait à protéger la santé des travailleuses et des travailleurs du sexe ainsi que la santé publique. En France, plus de 4 000 travailleuses et travailleurs du sexe ont ainsi bénéficié d’un soutien en 2023 grâce à des activités de réduction des risques qui ont consisté à faciliter l'accès à des soins de qualité, à fournir des tests de dépistage du VIH et de diverses maladies sexuellement transmissibles, à permettre un contrôle des naissances et à fournir des conseils psychosociaux pour soutenir les victimes de violence. En outre, des actions de plaidoyer ont été menées pour traiter les causes du manque d'accès aux soins de santé et à la justice. La stigmatisation sociale, la discrimination dans l’accès aux soins et la criminalisation sont des causes immédiates. Des programmes de sortie pour celles et ceux qui souhaitent quitter le travail du sexe sont proposés par les autorités, mais ils restent inadaptés avec un versement mensuel de seulement 340 EUR.

57.       Aux Pays-Bas, le projet Ugly Mugs apporte un soutien aux travailleuses et aux travailleurs du sexe qui sont victimes de violence et vise à renforcer leur volonté de dénoncer ces actes à la police. Il fournit également des informations sur la santé et la sécurité et propose une plateforme en ligne accessible de manière anonyme. Ugly Mugs a par ailleurs créé et lancé une application pour smartphone qui permet aux travailleuses et aux travailleurs du sexe de recevoir des alertes sur les dangers dans leur quartier et de signaler des violences.

58.       Les politiques de « réduction des risques » et toutes les mesures destinées à lutter contre la discrimination dont sont victimes les travailleuses et les travailleurs du sexe peuvent et devraient être mises en œuvre indépendamment de l’approche législative choisie au sujet du travail du sexe. Même certaines organisations abolitionnistes fournissent une assistance et un soutien aux travailleuses et aux travailleurs du sexe, comme l’a expliqué la représentante de la CAP lors de l’audition du 25 juin 2024, bien qu’elles ne considèrent pas que la réduction des risques soit suffisante et qu’elles estiment que celle-ci ne devrait pas constituer l’objectif final.

59.       En France, où les politiques publiques visent à éradiquer le travail du sexe, l’organisation non gouvernementale Amicale du Nid mène un large éventail d’activités auprès des travailleuses et des travailleurs du sexe, qu’elle considère comme des victimes du « système prostitutionnel ». Une partie de ces activités sont conduites en coopération avec les autorités, dans le cadre de la mise en œuvre de la stratégie nationale de lutte contre la prostitution. Il s’agit par exemple d’offrir un soutien psychologique, juridique et social aux travailleuses et aux travailleurs du sexe, notamment dans le domaine administratif, de fournir des hébergements et de proposer des ateliers professionnels.

60.       L'Amicale du Nid fait partie des organisations habilitées à venir en aide aux personnes qui souhaitent quitter le travail du sexe grâce au « parcours de sortie » mis en place par la loi de 2016. Autorisé par la préfecture, ce programme dure 6 mois. Renouvelable plusieurs fois, il peut aller jusqu’à 24 mois et prévoit un permis de séjour temporaire, un logement, un versement mensuel d'environ 340 EUR ainsi qu’une aide à l'insertion sociale et professionnelle. Entre 2017 et 2024, 1 747 personnes ont eu accès à ce programme. Même si tout le monde ne considère pas l’ensemble des travailleuses et des travailleurs du sexe comme des victimes de la prostitution forcée, il faudrait proposer des programmes de sortie dans les États membres du Conseil de l’Europe et ailleurs, quelles que soient les politiques relatives au travail du sexe. Ces programmes profiteraient à la fois aux victimes de la prostitution forcée et aux travailleuses et aux travailleurs du sexe souhaitant quitter cette activité, qui se heurtent souvent à des difficultés considérables en matière d’accès à l'emploi, notamment pour des raisons de stigmatisation sociale et de problèmes de santé.

61.       Pour la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur le droit à la santé, Mme Tlaleng Mofokeng, médecin sud-africaine ayant une longue expérience en matière d’égalité entre les femmes et les hommes et de plaidoyer pour l’accès universel aux soins de santé, les travailleuses et les travailleurs du sexe ont des droits humains et leurs besoins en matière de santé comprennent la prévention ou le traitement du VIH, mais aussi le dépistage des cancers de l’appareil reproducteur, le dépistage des infections sexuellement transmissibles, l’accompagnement psychologique lié aux traumatismes, les contraceptifs et l’accès à un avortement sûr. Pourtant, les travailleuses et les travailleurs du sexe rencontrent encore des obstacles pour accéder aux services de santé, notamment à la prévention et au traitement du VIH, ainsi qu’aux voies de recours juridiques[20]. Je ne peux que me faire l'écho des propos de Mme Mofokeng et réitérer que, sous l’angle des droits humains et de la non-discrimination, il est essentiel de veiller à ce que les travailleuses et les travailleurs du sexe aient accès aux services de santé susmentionnés, le cas échéant, sur un pied d'égalité avec le reste de la société.

62.       Comme indiqué plus haut, les travailleuses et les travailleurs du sexe courent un risque élevé d'être victimes de violence. Comme tout le monde, ces personnes ont droit à une protection contre la violence et les abus, y compris la violence fondée sur le genre. Le droit de ne pas subir de violences fondées sur le genre n’est pas subordonné au respect par les femmes des rôles traditionnels attribués aux hommes et aux femmes, ni à l’adoption d’un comportement modeste. Il est donc important de supprimer les obstacles à l’accès à la justice des travailleuses et des travailleurs du sexe dans ce domaine, de mettre en place des canaux de signalement adéquats et de veiller à ce que les forces de l’ordre soient formées et qu’elles aient pour instruction de ne pas discriminer les travailleuses et les travailleurs du sexe.

7.         Conclusions

63.       Les activités menées en vue de l'élaboration de ce rapport, tant par ma prédécesseure, Mme Margreet De Boer, que par moi-même – notamment les réunions avec un large éventail d'expert·e·s, de défenseur·e·s des droits humains et de représentant·es des travailleuses et des travailleurs du sexe, ainsi qu'avec des représentant·es des pouvoirs publics et des forces de l'ordre – ont confirmé que les travailleuses et les travailleurs du sexe font partie de notre société, méritent d'être respectés et ont droit aux mêmes droits humains que tout le monde, indépendamment des visions culturelles, morales et politiques sur le travail du sexe. En outre, ces personnes constituent un groupe vulnérable et, à ce titre, sont confrontées à des défis et à une discrimination considérables, y compris de nature intersectionnelle, et sont exposées à un risque particulièrement élevé de violence et d'abus.

64.       Les législateurs et les responsables politiques doivent donc agir pour protéger les droits humains des travailleuses et des travailleurs du sexe et pour lutter contre la discrimination à leur égard. Cet objectif doit être coordonné avec la priorité importante que constitue la lutte contre la traite des êtres humains, fléau souvent parallèle au travail du sexe, car l'exploitation sexuelle, notamment la prostitution forcée, est l'une des principales finalités de la traite. Ces deux phénomènes ne doivent toutefois pas être confondus.

65.       De même, les différentes approches du travail du sexe qui façonnent la législation et les politiques des États membres du Conseil de l’Europe ne devraient pas entraver les efforts visant à protéger les droits humains des travailleuses et des travailleurs du sexe. On ne peut faire abstraction des nombreuses voix qui alertent sur les effets néfastes de la criminalisation du travail du sexe, même lorsque celle-ci ne s’applique directement qu’aux clients, et qui appellent à la dépénalisation. Qu’il s’agisse de la Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, des agences et procédures spéciales de l'ONU, des grandes organisations internationales de défense des droits humains, des ONG œuvrant dans le domaine des droits sexuels et reproductifs ou, ce qui est peut-être le plus parlant, des organisations représentant les travailleuses et les travailleurs du sexe, toutes ces instances s'accordent à dire que la criminalisation d’une partie de cette activité sanctionne indirectement toutes les personnes concernées. Elles insistent sur les conséquences préjudiciables de la criminalisation, indiquant qu’elle accroît le risque de violence et de stigmatisation et complique l’accès à la justice, entre autres. J'ai trouvé leurs arguments convaincants et conformes à une approche fondée sur les droits humains.

66.       L'expérience novatrice menée dans mon propre pays, la Belgique, où a été introduite une réforme du travail du sexe basée non seulement sur la dépénalisation totale du travail du sexe mais aussi sur une réglementation administrative et du travail cohérente, m'incite à me joindre à celles et ceux qui appellent à la dépénalisation.

67.       Dans le même temps, il est important de souligner que les travailleuses et les travailleurs du sexe doivent pouvoir exercer leurs droits humains – peu importe que la législation et les politiques sur le travail du sexe qui sont appliquées dans un pays donné soient fondées sur la dépénalisation ou sur la criminalisation des clients. Bien qu’ils disposent d’une marge d’appréciation pour choisir la réglementation en matière de travail du sexe, les États membres du Conseil de l’Europe ont l’obligation de protéger les droits humains des travailleuses et des travailleurs du sexe. Les considérations que j'ai exprimées dans ce rapport et les éléments figurant dans le projet de résolution qui en découle sont donc destinés à tous les États membres du Conseil de l'Europe.



[1] Renvoi en commission : Doc.15570, Renvoi 4674 du 10 octobre 2022.

[2] Projet de résolution adopté par la commission le 12 septembre 2024.

[4] Convention d’Istanbul, STCE n° 210, Istanbul, 11 mai 2011.

[5] STCE n° 197, Varsovie, 16 mai 2005.

[8] Oliveira A., Lemos A., Mota M., Pinto R., Understanding the Impact of EU Prostitution Policies on Sex Workers: A Mixed Study Systematic Review, Sexuality Research and Social Policy (2023), 6 mai 2023.

[9] Safeguarding the human rights and dignity of undocumented migrant sex workers, Platform for International Cooperation on Undocumented Migrants (PICUM), septembre 2019.

[10] Unterstützung statt Sexkaufverbot, Gemeinsames Positionspapier, Deutsche Aidshilfe e.V., Deutscher Frauenrat e.V., Deutscher Juristinnenbund e.V. et d’autres organisations, Berlin, novembre 2019.

[11] Niina Vuolajärvi, Criminalising the Sex Buyer: Experiences from the Nordic Region, London School of Economics, Centre for Women, Peace and Security, Londres, juin 2022.

[12] Mandat du Groupe de travail sur la discrimination à l’égard des femmes et des filles, Éliminer la discrimination à l’égard des travailleuses du sexe et faire respecter leurs droits humains, Genève, octobre 2023.

[13] Erin Kilbride, Landmark UN Report Calls for Sex Work Decriminalization, Human Rights Watch Dispatches, 28 novembre 2023.

[14] Karlsson H., Sex Work Policy Worldwide: A Scoping Review, Sexuality & Culture 26, 2288–2310 (2022).

[15] Oliveira A., Lemos A., Mota M., Pinto R., Understanding the Impact of EU Prostitution Policies on Sex Workers: A Mixed Study Systematic Review, Sexuality Research and Social Policy (2023), 6 mai 2023.

[17] Why should sex work be decriminalized, Human Rights Watch, 7 août 2019.

[19] Un résumé du texte et le résultat du vote sont disponibles dans l'Observatoire législatif du Parlement européen.

[20] A guide on the human rights of sex workers, compilé par la rapporteuse spéciale sur le droit qu’a toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale possible, l'expert indépendant chargé de la question de la protection contre la violence et la discrimination liées à l’orientation sexuelle et l’identité de genre et le Groupe de travail des Nations Unies sur la discrimination à l'égard des femmes et des filles, mars 2024.