P-PG/RTD(2006)4
Alcool, drogues et médicaments au volant : l’Europe doit agir de manière globale.
La conduite sous l’influence de drogues autres que l’alcool fait l’objet d’une attention grandissante de la part des pouvoirs publics depuis quelques années. Si l’alcool reste la substance la plus fréquemment détectée chez les conducteurs responsables ou non d’accidents mortels de la route, les drogues illicites et les médicaments psychoactifs ont eux-aussi fait une entrée remarquée dans les statistiques.
Les données épidemiologiques en la matière sont cependant rares et, lorsqu’elles existent, elles sont difficiles à comparer en raison de l’absence d’harmonisation dans les protocoles d’étude, les méthodes d’investigation et l’analyse des résultats. De récentes études conduites notamment en France et dans les pays nordiques tentent d’apporter un éclairage sur la situation actuelle dans ces pays. La Commission Européenne doit quant à elle lancer « Druid » un vaste programme de recherche à l’automne 2006.
L’ensemble des données en la matière ont été présentées lors du Séminaire organisé les 10 et 11 juillet à Strasbourg par le Groupe Pompidou du Conseil de l’Europe. Une cinquantaine de participants, experts gouvernementaux, chercheurs, magistrats, juristes, médecins, policiers ont fait part de leurs expériences et ont examiné les voies de coopération et d’échanges à l’échelle européenne pour faire face à ce qui menace de devenir un véritable fléau en particulier parmi les jeunes.
L'alcool combiné au cannabis augmente considérablement le risque d'accidents mortels
"L'alcool reste un grave problème de sécurité routière mais ses effets sont considérablement augmentés lorsqu'il est associé au cannabis ou à d'autres drogues", a estimé Wolf Rüdiger Nickel, psychologue, président élu du Conseil international sur l'alcool, les stupéfiants et la sécurité de la circulation (ICADTS) et rapporteur général du séminaire. Si l’on en croit l’étude française SAM menée par la Direction Générale des stupéfiants (DGS) et l’Observatoire français des Toxicomanies (OFDT), « la conduite sous stupéfiants augmente le risque du conducteur d’être responsable d’un accident (mortel) » et « être sous stupéfiants au moment de l’accident augmente le risque de décès (du conducteur) ».
Sur 6000 accidents mortels par an sur les routes françaises, 2270 seraient dûs aux effets de l’alcool et pas moins de 230 à ceux du THC. 3 conducteurs sur 100 conduiraient sous influence de cannabis et celui-ci serait responsable de 2,5 % des accidents mortels. Sont particulièrement exposés les hommes, jeunes (14-24 ans), conducteurs de deux-roues pendant les nuits de week-end. Mais l’étude démontre également que le sur-risque augmente considérablement avec la concentration sanguine en THC et l’alcoolémie. Ainsi, le jeune motocycliste sous cannabis et alcool multiplie son sur-risque d’accident mortel par 170.
Dans les pays nordiques, les constats sont similaires : les résultats de l’étude montrent que l’alcool et les drogues jouent un rôle significatif dans la survenue d’accidents mortels. L’étude va même plus loin en concluant que les drogues, en particulier les benzodiazépines, semblent avoir une responsabilité proche voire aussi grande que l’alcool. Le phénomène semble en pleine évolution puisqu’une étude similaire menée en Norvège en 1989-1990 constatait que les effets des drogues sur les conducteurs étaient responsables de 20% des accidents mortels, contre 40% en 2002.
"L'abus simultané d'alcool et de drogues aggrave les dangers", a également confirmé Joël Valmain, de l'unité Sécurité routière de la Commission Européenne. Ce phénomène a des effets catastrophiques, notamment parmi les jeunes : "tous les ans en Europe, 2000 jeunes se tuent le dimanche au petit matin dans des accidents, alors qu'ils rentrent de soirées ou de sorties nocturnes," a-t-il déclaré.
Recherche : A quand des tests de dépistage fiables?
Les experts au Séminaire ont déploré l’absence de tests fiables permettant de détecter, lors de contôles routiers, la présence de substances psychotropes et de cannabis en particulier. Ainsi, les tests salivaires actuels ont une sensibibilité de 50% seulement au THC (85 à 90 % pour d’autres drogues). Seules les analyses de sang s’avèrent satisfaisantes en terme de fiabilité mais elles présentent un handicap majeur, celui du coût.
L’évolution rapide des pratiques de consommation avec notamment l’introduction de nouvelles drogues et le détournement de produits licites tels que les médicaments représentent également un frein au développement du dépistage. Où et comment pratiquer des tests ? La pratique de tests aléatoires ou systématiques est sujette à controverse : Quand faut-il aller jusqu’à la prise de sang si le test sur l’urine ou la salive est négatif mais la présomption grande?
Le représentant du Tispol, Cor Kuijten a mis l’accent sur la nécessité de former la police à la détection du conducteur sous influence par l’observation comportementale. Le test serait ainsi pratiqué de façon aléatoire « au flair » à l’instar de ce qui s’est fait pour l’alcool. Mais là aussi, outre les questions d’ordre éthiques soulevées par les participants, c’est le coût de tels programmes de formation qui reste prohibitif.
Législations et sanctions nationales : de grandes disparités subsistent
En matière de conduite sous influence de drogues, les poursuites judiciaires sont encore rares, les sentences prononcées aléatoires, les difficultés rencontrées pour établir les faits grandes. Les participants au séminaire se sont accordés à conclure qu’il était essentiel de développer des législations nationales performantes.
Les études menées par l’Observatoire Européen des Toxicomanies (OEDT) mettent en évidence de grandes disparités entre les législations et les sanctions encourues dans les pays européens. Nombre d’Etats européens ne pratiquent pas de tests sur la route, pour détecter la présence d’alcool et de substances psychotropes chez les conducteurs et moins de 50 % d’entre eux font état de l’existence d’une législation dans le domaine.
La réinsertion du contrevenant :un élément essentiel pour la cohésion sociale
Parmi les sanctions les plus couramment appliquées figure le retrait du permis de conduire pour une durée déterminée voire de façon définitive en cas de récidive. De nombreuses réticences ont été exprimées vis-à-vis de cette mesure, qui ne doit pas être considérée comme la panacée.
Selon Wolf R. Nickerl, « la suppression à vie du permis de conduire ne mène à rien : les gens se mettent à conduire sans permis et le remède est finalement pire que le mal ».
Il faut réussir à identifier le problème et y apporter une solution pluridisciplinaire, plutôt qu’une approche d’exclusion dans une société où le véhicule est un vecteur d’intégration, ont souligné plusieurs intervenants. Dès lors, la préoccupation principale est de réhabiliter le contrevenant en évitant la récidive.
A cet égard, le rôle du médecin prescripteur a été mis en exergue, qui « est dans une relation privilégiée grâce à sa relation unique de confiance avec le patient, pour lui donner les informations utiles et les conseils adaptés, qui complèteront sa prise en charge médicale ». Selon le généraliste français Charles Mercier-Guyon, Secrétaire du Conseil Médical de la Prévention Routière, le médecin doit accepter de se joindre aux autres acteurs impliqués, associations de prévention, services de l’Etat, pour créer une certaine « pression » sociale autour de chaque individu.
Les Etats s’accordent pour estimer qu’il n’y a pas de solution « globale», mais plutôt des stratégies individuelles en fonction de chaque conducteur. En Allemagne et en Autriche, les jeunes surpris au volant après avoir pris de la drogue peuvent entrer dans un groupe de suivi où ils parleront de leurs problèmes et seront aidés. Pendant six semaines, ils s’engagent à accepter des tests de dépistage inopinés auxquels ils ne pourront se soustraire, quelle que soit l’heure et la raison. S’ils n’ont rien pris pendant ces six semaines, ils pourront repasser leur permis de conduire. Le taux de récidive reste malheureusement élevé. Il existe aussi d’autres solutions, comme l’«autolock », un dispositif qui bloque le démarrage de la voiture si le conducteur dégage une haleine alcoolisée, et qui pourrait être adapté à certaines drogues.
Les conducteurs, enfin, devraient être mieux sensibilisés aux dangers combinés de l’alcool et des drogues. On sait que la mise en place de mesures de sécurité routière draconiennes entraîne encore de nombreuses résistances dans les populations, ce qui ne facilite pas la tâche des gouvernements C’est pourquoi les campagnes d’information ont certainement un grand rôle à jouer à l’avenir.
Plus d’échange d’informations et d’harmonisation sur le plan européen
Afin de fournir des études comparatives et des statistiques à l'échelle de l'Europe, le Groupe Pompidou, organe chargé de la prévention en matière de toxicomanie au Conseil de l'Europe, et les services nationaux intéressés ont été invités à contribuer davantage à la collecte et à la diffusion de l'information.
Un vaste programme de recherche "Druide", sera lancé également cet automne par la Commission Européenne. Présenté lors du Séminaire, le programme devrait répondre à un certain nombre des besoins ou préoccupations exprimés par les experts de tous bords. Il vise en effet à optimiser les politiques destinées à empêcher les conducteurs de boire, de prendre de la drogue ou d'user d'autres substances psychotropes, légales ou non. Il doit également permettre d'en apprendre davantage sur les effets de l'ensemble des substances psychotropes sur la conduite, d'encourager les études épidémiologiques, d'améliorer les techniques de contrôle et de dépistage et d'évaluer les politiques de prévention et de répression.