STATEMENT - COMMUNIQUE

Les conséquences du pacte politique entre l’Union européenne et la Turquie sur le destin des réfugiés[1] accueillis en Grèce et en Turquie

Des actes contraires au droit international et au respect de la dignité humaine

Par ce communiqué, la Conférence des OING du Conseil de l’Europe exprime son indignation face au traitement des réfugiés accueillis en Grèce et en Turquie. Le principe énoncé[2] dans l’accord entre l’Union européenne et la Turquie du 18 mars 2016, selon lequel pour chaque réfugié syrien renvoyé des îles grecques vers la Turquie, un autre réfugié séjournant en Turquie sera envoyé vers un pays européen, transforme ces personnes en objet de marchandisation. Nous dénonçons la signature de cet accord, dont le statut reste controversé et discuté par les experts[3]. Sa signature est survenue avant tout examen de la faisabilité. Il a pour premier effet immédiat un déplacement des flux migratoires vers l’Italie, au travers de la Méditerranée.

La Conférence des OING du Conseil de l’Europe exige que toute demande d’asile soit examinée au regard de la Convention internationale de 1951 relative au statut des réfugiés et son Protocole de 1967, ainsi qu’au regard de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Toute catégorisation permettant de prioriser les ressortissants de certains pays par rapport à d’autres est discriminatoire en vertu de l’art 1 de la même Convention.

Les droits fondamentaux des personnes vulnérables

Les conditions dégradantes et humiliantes constatées dans les camps situés en Grèce et en Turquie montrent que les deux pays ne sont pas en mesure d’assurer les conditions satisfaisant les besoins fondamentaux des réfugiés (besoins de protection physique, accès aux soins et à un hébergement décent). Aucune considération spécifique n’est portée aux expériences et aux conditions de migration différentes entre les femmes et les hommes, victimes des conflits armés, bien que les femmes et les jeunes filles et les enfants de sexe féminin soient exposés à un plus grand danger lors de la traversée des frontières. Comme le montre le recueil de témoignages par Amnesty International (Amnesty International, 18 janvier 2016), l’exploitation sexuelle des femmes et la traite des êtres humains commence sur la route des Balkans et continue dans les camps de réfugiés dans les pays considérés comme « sûrs ». La Conférence des OING exprime son grand étonnement que ces éléments fondamentaux de protection des personnes accueillies ne sont pas mentionnés dans l’Accord précédemment cité. Nous appelons donc les autorités à mener des enquêtes approfondies sur les délits qui ont pu avoir lieu dans les camps concernés.

Les lieux d’accueil ne sont pas suffisamment équipés et adaptés pour garantir la protection de certains espaces dédiés aux femmes et filles, permettant de satisfaire leurs besoins spécifiques. Les femmes enceintes ne bénéficient dans certains Etats-membres d’aucun soin et n'ont aucun droit. L'articulation de la Convention de Genève, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et autres traités avec les législations nationales se fait trop souvent au détriment de ces femmes.

Les enfants réfugiés (les mineurs non accompagnés ou séparés de leurs parents) doivent être l’objet d’une considération spécifique de la part des décideurs politiques. Les politiques de migration ne devraient en aucun cas inciter à la séparation des enfants de leur famille, mais, au contraire, privilégier le regroupement familial. La Conférence des OING appelle tous les gouvernements de l’Union européenne à déployer les efforts nécessaires pour garantir des conditions de vie décentes dans les camps afin qu’ils ne se transforment pas « en cimetière à ciel ouvert », selon l’expression employée par des députés français lors de leur visite des campements d’Athènes (Le Monde, 23/04/2016).

Le droit d’asile

Les conditions d’accès à la procédure d’asile doivent respecter les normes internationales et les demandes doivent être traitées d’une manière juridiquement opposable par les intéressés eux-mêmes. Actuellement, le nombre de demandes dépasse les capacités administratives, ne garantissant pas une prise de décision fiable. Les professionnels envoyés en Grèce par les autorités nationales pour instruire les dossiers de demande d’asile, trop peu nombreux, se retrouvent dans une situation qui risque de les placer en conflit avec la loi internationale. Conformément à la résolution 2109 de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, nous soulignons que « le renvoi des réfugiés syriens en Turquie en tant que « premier pays d’asile » pourrait être contraire au droit de l’Union européenne et/ou au droit international ». La Conférence des OING appelle les gouvernements grec et turc à appliquer les considérations juridiques formulées par l’UNHCR le 23 mars 2016 sur le retour des demandeurs d'asile et réfugiés en provenance de la Grèce et allant vers la Turquie et à tenir compte de cette interprétation juridique de la notion de « pays tiers sûr » et « premier pays d’accueil » dans la procédure d’asile[4].

La transparence et la non-incrimination

Les gouvernements et les médias ont une obligation d’agir contre le discours de haine et une rhétorique déshumanisante qui confondent les réfugiés avec les terroristes. La Conférence des OING appelle les autorités à mener les actions au sein des camps en toute transparence, à donner l’accès aux camps aux journalistes et aux OING afin qu’ils puissent transmettre des informations fiables, les plus proches de la réalité. Les OING doivent être autorisées à mener des campagnes d'information de masse pour les réfugiés, apporter des soins, l'assistance psychologique et sociale et l’aide juridique, sans risque d’être criminalisées par les Etats.

Les engagements des Etats membres du Conseil de l’Europe en vertu des traités internationaux

La Conférence des OING du Conseil de l’Europe, forte des actions menées par ses membres auprès des réfugiés, rappelle aux Etats-membres du Conseil de l’Europe leurs engagements en vertu des traités internationaux. Les décideurs politiques internationaux ont un devoir de réagir contre les murs de haine qui s’érigent en Europe. Le resurgissement des murs physiques et symboliques accompagne la mise en place des politiques sécuritaires à l’échelle nationale et internationale, ce qui renforce le sentiment d’insécurité fictif ou réel au sein de la société. Les Etats-membres concernés ne devraient pas oublier que, parmi les personnes qui cherchent à entrer dans l'Union européenne, il y a des personnes ayant besoin d'une protection internationale. Les contrôles aux frontières ne devraient pas violer les droits de protection garantis par les traités internationaux.

4 mai 2016



[1] Le terme « réfugié » est défini par l’Art 1 de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés et du Protocole de 1967. Il s’agit d’ « une personne qui se trouve hors du pays dont elle a la nationalité ou dans lequel elle a sa résidence habituelle, et qui du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social déterminé ou de ses opinions politiques, craint avec raison d’être persécutée et ne peut se réclamer de la protection de ce pays ou en raison de ladite crainte, ne peut y retourner ». 

[3]  Maarten den Heijer, Thomas Spijkerboer (Universiteit van Amsterdam)  (7 April 2016). Is the EU-Turkey refugee and migration deal a treaty? EU Law Analysis http://eulawanalysis.blogspot.fr/2016/04/is-eu-turkey-refugee-and-migration-deal.html?m=1

Marx R. (14 March 2016). Legal opinion on the admissibility under Union Law of the European Council’s plan to treat Turkey like a “safe third stat http://www.asylumineurope.org/sites/default/files/resources/160315_legal_opinion_by_dr_marx_turkey_is_no_safe_third_state.pdf

Anna Di Bartolomeo, Robert Schuman (April 2016). EU Migration Crisis Actions with a focus on the EU-Turkey Agreement, Issue 2016/04, Migration Policy Centre, www.migrationpolicycentre.eu

Simon Cox(September, 2015). EU attempts to block migrants reaching its borders: do European human rights apply http://www.halsburyslawexchange.co.uk/curbing-migrant-traffic-by-blocking-eu-borders-do-european-human-rights-apply/

Özlem Gürakar Skribeland (2016). Seeking Asylum in Turkey. A critical review of Turkey's asylum laws and practices. Norvegian Organisation for Asylum Seekers http://www.asylumineurope.org/sites/default/files/resources/noas-rapport-tyrkia-april-2016_0.pdf

[4] UN High Commissioner for Refugees [UNHCR], Legal considerations on the return of asylum-seekers and refugees from Greece to Turkey as part of the EU-Turkey Cooperation in Tackling the Migration Crisis under the safe third country and first country of asylum concept, 23 March 2016, available at: http://www.refworld.org/docid/56f3ee3f4.html ).