CONSEIL DE L’EUROPE
COMITE DES MINISTRES

Recommandation Rec(2003)13

du Comité des Ministres aux Etats membres

sur la diffusion d'informations par les médias

en relation avec les procédures pénales

(adoptée par le Comité des Ministres le 10 juillet 2003,

lors de la 848e réunion des Délégués des Ministres)

Le Comité des Ministres, en vertu de l'article 15.b du Statut de Conseil de l'Europe,

Considérant que le but du Conseil de l'Europe est de réaliser une union plus étroite entre ses membres afin de sauvegarder et de promouvoir les idéaux et les principes qui sont leur patrimoine commun ;

Rappelant l'engagement des Etats membres envers le droit fondamental à la liberté d'expression et d'information tel qu'il est garanti par l'article 10 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (ci-après appelée « la Convention »), qui constitue un des fondements essentiels d'une société démocratique et une des conditions fondamentales du progrès de la société et du développement de chaque individu ;

Rappelant que les médias ont le droit d’informer le public eu égard au droit de ce dernier à recevoir des informations, y compris des informations sur des questions d’intérêt public, en application de l’article 10 de la Convention, et qu’ils ont le devoir professionnel de le faire ;

Rappelant que les droits à la présomption d’innocence, à un procès équitable et au respect de la vie privée et familiale, garantis par les articles 6 et 8 de la Convention, constituent des exigences fondamentales qui doivent être respectées dans toute société démocratique ;

Soulignant l’importance des reportages réalisés par les médias sur les procédures pénales pour informer le public, rendre visible la fonction dissuasive du droit pénal et permettre au public d’exercer un droit de regard sur le fonctionnement du système judiciaire pénal ;

Considérant les intérêts éventuellement conflictuels protégés par les articles 6, 8 et 10 de la Convention et la nécessité d’assurer un équilibre entre ces droits au regard des circonstances de chaque cas individuel, en tenant dûment compte du rôle de contrôle de la Cour européenne des Droits de l'Homme pour garantir le respect des engagements contractés au titre de la Convention ;

Rappelant par ailleurs le droit des médias et des journalistes de créer des associations professionnelles, tel qu’il est garanti par le droit à la liberté d’association en application de l’article 11 de la Convention, qui constitue une des bases de l’autorégulation dans le domaine des médias ;

Conscient des nombreuses initiatives prises par les médias et les journalistes en Europe pour promouvoir un exercice responsable du journalisme, soit à travers l’autorégulation, soit en coopération avec l’Etat à travers des cadres de co-régulation ;

Désireux de promouvoir un débat éclairé sur la protection des droits et intérêts en jeu dans le cadre des reportages effectués par les médias sur les procédures pénales, ainsi que de favoriser de bonnes pratiques à travers l’Europe, tout en assurant l’accès des médias aux procédures pénales ;


Rappelant sa Résolution (74) 26 sur le droit de réponse – situation de l’individu à l’égard de la presse, sa Recommandation n° R (85) 11 sur la position de la victime dans le cadre du droit pénal et de la procédure pénale, sa Recommandation n° R (97) 13 sur l’intimidation des témoins et les droits de la défense, et sa Recommandation n° R (97) 21 sur les  médias et la promotion d’une culture de tolérance ;

Soulignant l’importance de protéger les sources d’information des journalistes dans le cadre des procédures pénales, conformément à sa Recommandation n° R (2000) 7 sur le droit des journalistes de ne pas révéler leurs sources d’information ;

Gardant à l’esprit la Résolution n° 2 sur les libertés journalistiques et les droits de l’homme adoptée lors de la 4e Conférence ministérielle européenne sur la politique des communications de masse (Prague, décembre 1994) ainsi que la Déclaration sur une politique de la communication pour demain adoptée lors de la 6e Conférence ministérielle européenne sur la politique des communications de masse (Cracovie, juin 2000) ;

Rappelant que cette recommandation n’a pas pour objet de restreindre les normes déjà en vigueur dans les Etats membres visant à protéger la liberté d’expression,

Recommande, tout en reconnaissant la diversité des systèmes juridiques nationaux en ce qui concerne les procédures pénales, aux gouvernements des Etats membres :

1.         de prendre ou de renforcer, le cas échéant, toutes mesures qu’ils considèrent nécessaires en vue de la mise en oeuvre des principes annexés à la présente recommandation, dans les limites de leurs dispositions constitutionnelles respectives,

2.         de diffuser largement cette recommandation et les principes qui y sont annexés, en les accompagnant le cas échéant d'une traduction, et

3.         de les porter notamment à l'attention des autorités judiciaires et des services de police, et de les mettre à la disposition des organisations représentatives des juristes praticiens et des professionnels des médias.

Annexe à la Recommandation Rec(2003)13

Principes concernant la diffusion d'informations par les médias

en relation avec les procédures pénales

Principe 1 - Information du public par les médias

Le public doit pouvoir recevoir des informations sur les activités des autorités judiciaires et des services de police à travers les médias. Les journalistes doivent en conséquence pouvoir librement rendre compte de et effectuer des commentaires sur le fonctionnement du système judiciaire pénal, sous réserve des seules limitations prévues en application des principes qui suivent.

Principe 2 - Présomption d’innocence

Le respect du principe de la présomption d’innocence fait partie intégrante du droit à un procès équitable.

En conséquence, des opinions et des informations concernant les procédures pénales en cours ne devraient être communiquées ou diffusées à travers les médias que si cela ne porte pas atteinte à la présomption d’innocence du suspect ou de l’accusé.


Principe 3 - Véracité de l’information

Les autorités judiciaires et les services de police ne devraient fournir aux médias que des informations avérées ou fondées sur des présomptions raisonnables. Dans ce dernier cas, cela devrait être clairement indiqué aux médias.

Principe 4 - Accès à l’information

Lorsque des journalistes ont obtenu légalement des informations de la part des autorités judiciaires ou des services de police dans le cadre de procédures pénales, ces autorités et services devraient mettre à disposition ces informations sans discrimination à tous les journalistes qui formulent ou qui ont formulé la même demande.

Principe 5 - Moyens de fournir des informations aux médias

Lorsque les autorités judiciaires et les services de police ont eux-mêmes décidé de fournir des informations aux médias dans le cadre de procédures pénales, ces informations devraient être fourniessans discrimination et, chaque fois que cela est possible, par le biais de communiqués de presse ou de conférences de presse par des agents autorisés ou des moyens similaires autorisés.

Principe 6 - Information régulière pendant les procédures pénales

Dans le cadre des procédures pénales d’intérêt public ou d’autres procédures pénales attirant particulièrement l’attention du public, les autorités judiciaires et les services de police devraient informer les médias de leurs actes essentiels, sous réserve que cela ne porte pas atteinte au secret de l’instruction et aux enquêtes de police et que cela ne retarde pas ou ne gêne pas les résultats des procédures. Dans le cas des procédures pénales qui se poursuivent pendant une longue période, l’information devrait être fournie régulièrement.

Principe 7 - Interdiction de l’exploitation de l’information

Les autorités judiciaires et les services de police ne devraient pas exploiter des informations relatives aux procédures pénales en cours à des fins lucratives ou à des fins autres que celles concourant à l’application de la loi.

Principe 8 - Protection de la vie privée dans le contexte de procédures pénales en cours

La fourniture d’informations sur les personnes suspectées, accusées ou condamnées, ainsi que sur les autres parties aux procédures pénales devrait respecter leur droit à la protection de la vie privée conformément à l’article 8 de la Convention. Une protection particulière devrait être offerte aux parties qui sont des mineurs ou d’autres personnes vulnérables, aux victimes, aux témoins et aux familles des personnes suspectées, accusées ou condamnées. Dans tous les cas, une attention particulière devrait être portée à l’effet préjudiciable que la divulgation d’informations permettant leur identification peut avoir à l’égard des personnes visées dans ce Principe.

Principe 9 - Droit de rectification ou droit de réponse

Sans préjudice quant à la disponibilité d’autres voies de recours, toute personne qui a fait l’objet d’un compte rendu incorrect ou diffamatoire de la part des médias dans le cadre de procédures pénales devrait disposer d’un droit de rectification ou de réponse, selon les circonstances, contre les médias en question. Un droit de rectification devrait également être disponible en ce qui concerne les communiqués de presse contenant des informations incorrectes qui ont été diffusés par les autorités judiciaires ou les services de police.


Principe 10 - Prévention d’une influence préjudiciable

Dans le cadre des procédures pénales, en particulier celles impliquant des jurys ou des magistrats non professionnels, les autorités judiciaires et les services de police devraient s’abstenir de fournir publiquement des informations qui comportent un risque d’influence préjudiciable substantielle sur l’équité de la procédure.

Principe 11 - Publicité préjudiciable avant le procès

Lorsque l’accusé peut démontrer qu’il est fort probable que la fourniture d’informations entraînera ou a entraîné une violation de son droit à un procès équitable, il ou elle devrait disposer d’une voie de recours juridique efficace.

Principe 12 - Admission des journalistes

Les journalistes devraient être admis sans discrimination et sans exigence préalable d’accréditation aux audiences judiciaires publiques et aux prononcés publics de jugements. Ils ne devraient pas être exclus des audiences judiciaires, sauf si et dans la mesure où le public est exclu conformément à l’article 6 de la Convention.

 

Principe 13 - Accès des journalistes aux salles d’audience

Les autorités compétentes devraient, à moins que cela ne soit manifestement pas réalisable, réserver aux journalistes, dans les salles d’audience, un nombre de places suffisant au regard des demandes, sans exclure la présence du public en tant que tel.

Principe 14 - Reportages en direct et enregistrements dans les salles d’audience

Les reportages en direct ou les enregistrements effectués par les médias dans les salles d’audience ne devraient pas être possibles, sauf si et dans la mesure où la loi ou les autorités judiciaires compétentes le permettent explicitement. De tels reportages ne devraient être autorisés que s’il n’en résulte aucun risque sérieux d’influence indue sur les victimes, les témoins, les parties aux procédures pénales, les jurés ou les magistrats.

Principe 15 - Soutien aux reportages réalisés par les médias

Sauf si cela est impossible, les autorités compétentes devraient, en temps opportun et sur simple demande, mettre à la disposition des journalistes des annonces concernant les audiences qui sont programmées, les chefs d’accusation et toutes autres informations pertinentes pour la chronique judiciaire. Les journalistes devraient être autorisés sans discrimination à effectuer ou recevoir copie des jugements rendus publiquement. Ils devraient avoir la possibilité de diffuser ou de communiquer ces jugements au public.

Principe 16 - Protection des témoins

L’identité des témoins ne devrait pas être divulguée, à moins qu’un témoin n’y ait préalablement consenti, que l’identification du témoin ne soit d’intérêt public ou que le témoignage n’ait déjà eu lieu en public. L’identité des témoins ne devrait jamais être divulguée si cela met en danger leur vie ou leur sécurité. Un respect scrupuleux doit être apporté aux programmes de protection des témoins, spécialement dans le cadre de procédures pénales contre la criminalité organisée ou les crimes commis dans une enceinte familiale.


Principe 17 - Reportages réalisés par les médias sur l’exécution des peines

Les journalistes devraient être autorisés à avoir des contacts avec les personnes qui purgent des peines d’emprisonnement, pour autant que cela ne nuise pas à la bonne administration de la justice, aux droits des prisonniers et du personnel pénitentiaire ou à la sécurité dans les prisons.

Principe 18 - Reportages réalisés par les médias à la suite de l’exécution des peines

Afin de ne pas porter préjudice à la réintégration dans la société des personnes qui ont purgé une condamnation, le droit à la protection de la vie privée en application de l’article 8 de la Convention devrait inclure le droit à protéger l’identité de ces personnes en liaison avec le délit qu’elles ont antérieurement commis une fois qu’elles ont purgé leur condamnation, sauf si ces personnes ont consenti explicitement à la divulgation de leur identité ou si ces personnes et le délit qu’elles ont antérieurement commis sont un sujet d’intérêt public ou sont redevenus un sujet d’intérêt public.