Visite de la Conférence des OING du Conseil de l’Europe à Chisinau

Participation des ONG au processus décisionnel en Moldavie

Rapport

Chisinau, République de la Moldavie, 9-11 novembre 2015


Introduction :

La préparation de la visite de la Conférence des OING à Chisinau a été réalisée avec l’appui des OING dotées du statut participatif qui ont été sollicitées par la Présidente de la Conférence pour transmettre les coordonnés de leurs membres nationaux situés en Moldavie. Un accord de partenariat a été établi avec l’École d’études politiques de la Moldavie, European Institute for Political Studies, en tant qu’organisateur de la visite. Une vingtaine d’ONG ont été contactées par l’École d’études politiques, une liste enrichie par le réseau des ONG qui travaillent avec l’École. Trois secteurs d’activités ont été concernés : le service social, la citoyenneté démocratique et la jeunesse.. L’école a également organisé des réunions avec les autorités nationales : représentants du Ministère des Affaires Etrangères, représentants des Ministères de la Jeunesse et des Sports, Vice-Ministre de l’Éducation et son équipe, Vice-Ministre du travail, de la famille et de la protection sociale, Vice-Présidente de l’Assemblée parlementaire. Nous avons également tenu deux réunions avec au total treize ONG.

Grâce à l’échange de qualité que nous avons eu avec les autorités nationales et les ONG, la visite a atteint ses objectifs. Les discussions ont permis d’identifier les accomplissements,  opportunités et défis qui se posent aux ONG dans le processus de leur participation aux prises de décisions politiques. Les résultats attendus de la visite ont été les suivants :

-          Se saisir du contexte dans lequel exercent les ONG moldaves et formuler des recommandations afin de renforcer la participation des Organisations de la Société Civile (OSC) dans le pays ;

-          Analyser comment les activités de la Conférence des OING peuvent soutenir ces processus ;

-          Rendre compte et prendre en compte davantage au sein du Conseil de l’Europe,  le contexte national dans lequel exercent les ONG.

La délégation de la Conférence des OING était composée de : Anna Rurka, Présidente de la Conférence des OING, Thierry Mathieu, Vice-Président de la Commission démocratie, cohésion sociale et enjeux mondiaux de la Conférence des OING, Beatriz Collantes, membre du Conseil d’Experts sur le droit en matière d’ONG, Paddy Hennelly, membre du Conseil consultatif de la Jeunesse du Conseil de l’Europe, Jane Crozier, Division de la Société civile du Conseil de l’Europe.

La visite de la Conférence des OING à Chisinau a eu lieu du 9 au 11 novembre 2015, dans une période d’instabilité politique. Depuis le mois d’avril, les actions de protestation antigouvernementale animaient le pays : les partis politiques, les ONG et la société civile ont manifesté d’une manière cyclique et continue contre la corruption et contre l’augmentation du prix du gaz et de l’électricité. Il faut noter que les manifestations réunissaient une population de tout âge qui, en manifestant sous les drapeaux de l'Union européenne, a ainsi montré sa volonté de rapprochement avec les structures européennes. Il s’est avéré assez paradoxal que la population pro-européenne protestât contre le parti politique et la coalition également pro-européenne. En novembre, la situation politique questionnait beaucoup les ONG et les autorités nationales : quelles répercussions auront les affaires de corruption dévoilées et contestées par le mouvement social sur l’accord d’association avec l’Union européenne signé en Juin 2014 ? Si les fonds internationaux ne seront plus accessibles aux ONG, seront-ils gelés ? Il n’était pas étonnant d’entendre ces questions, car les réformes que la Moldavie doit mener dans le cadre de son intégration politique et économique avec l'UE sont également censées améliorer le fonctionnement des ONG et renforcer leur rôle dans les processus démocratiques.

Environnement juridique relatif au fonctionnement des ONG 

Selon la législation de la République de Moldavie, trois lois régissent le fonctionnement des ONG : loi sur les associations (1996), loi sur les fondations (1999) et loi sur la philanthropie et mécénat (2002). Selon le rapport relatif à la gouvernance interne des ONG (OING Conf/Exp (2010)1) du Conseil d’experts sur le droit en matière d’ONG de la Conférence des OING, l’article 41 de la Constitution garantit aux citoyens moldaves le droit à la liberté d'association au sein des partis et au sein des autres organisations socio-politiques qui doivent contribuer à la définition et à l'expression de la volonté politique des citoyens et doivent prendre part dans le processus d’élection, selon la règle de la loi. Cependant, la Constitution passe sous silence cet aspect de la liberté d'association qui concerne les objectifs essentiellement non politiques.

La Moldavie a fait le choix, depuis 2008, d’élaborer des stratégies relatives au développement de la société civile (2009-2011). La deuxième stratégie (2012-2015), adoptée par le Parlement en 2011, a été accompagnée d’un plan d’action visant la mise en œuvre de la Stratégie. La Stratégie pour le développement de la société civile pour la période 2012-2015 montre l'engagement de la République de Moldova à renforcer les conditions de développement de la société civile, en tenant compte des principes de la transparence, de l'indépendance de la société civile par les autorités de l'Etat. Ce document a été élaboré en partenariat avec le Conseil national des ONG, avec les soutiens du programme Moldova Civil Society Strengthening Program (MCSSP) (Programme de renforcement de la société civile) mis en œuvre par FHI 360 (non profit human development organization) (organisation à but non lucratif pour le développement humain).

La  population  de la Moldavie représente 3,6 millions d’habitants dont près de 25% résident dans la capitale du pays. En 2010, 7000 OSC ont été enregistrées, mais seulement 25% d’entre elles ont conduit un projet durant les trois dernières années précédant le recensement. (IDIS, 2014). En 2014, le Ministère de la Justice a enregistré 988 des nouvelles OSC. Cela a augmenté à 9 225 les organisations enregistrées sous le registre des organisations non commerciales. En 2014, des modifications ont été apportées au Code civil qui traite de l'enregistrement et de la dissolution des OSC. Ces amendements ont simplifié et raccourci le processus de dissolution de toute entité juridique de deux ans à un maximum de quatre mois (The 2014 CSO Sustainability Index for Central and Eastern Europe and Eurasia, United States Agency for International Development Bureau for Europe and Eurasia). Peut-être cela permettra de diminuer l’écart entre les ONG enregistrées et les ONG actives, en permettant aux non-actives de plus facilement accomplir la démarche administrative, en cas de fin de leurs activités ?

Financement

Il a été souligné par les ONG rencontrées que les activités des ONG sont financées dans 80-90% des cas par les fonds internationaux (USAID, UE) ou donateurs externes. Environ 33% des ressources financières sont constituées par les cotisations des membres, 23% de financement proviennent des fonds de l’administration publique, presque 25% du financement des ONG proviennent des prestations de services qu’elles proposent (IDIS, 2014). Il semblerait que les ONG moldaves, en manque de moyens financiers, profilent leurs activités pour répondre aux appels d’offres proposés par les fournisseurs de fonds. Pendant longtemps, les priorités des financeurs concernaient le champ de l’écologie. Maintenant, ceux-ci sont davantage intéressés par la gouvernance démocratique et les droits de l’Homme. La diversification des fonds et un équilibre financier semblent être une urgence pour les ONG moldaves. Une répartition équilibrée des fonds permettrait aux ONG de conduire leurs activités à terme dans tous les secteurs des politiques publiques et de lever la suspicion de l’opinion publique quant aux intentions mercantiles des ONG.

Les ONG jugent ces conditions économiques défavorables au développement des initiatives de la société civile. Il semblerait que l’environnement économique difficile et le manque d’infrastructure empêchent les ONG de développer leurs activités sur les territoires ruraux. En effet, 90% d’ONG sont situées administrativement dans la capitale.    

Le processus législatif conduisant à l’adoption de la loi permettant aux contribuables de transmettre 2% de leurs impôts aux OSC était en cours. La « loi de 2% » est une avancée, car permet d’impliquer progressivement la société civile toute entière au développement non commercial, en leur proposant de choisir l’OSC à qui l’argent sera versé par l’Etat. Ce mécanisme a déjà été introduit dans plusieurs autres pays comme la Hongrie, la Slovaquie, la Lituanie, la Pologne et la Roumanie. Progressivement, cette mesure a dynamisé le développement et la professionnalisation des ONG, en les obligeant à travailler leur image publique, à prendre soin de leur crédibilité dans les relations publiques avec les donateurs, à mettre en avant leur expertise découlant de leur présence sur le terrain et de leur proximité avec la population. Bien évidemment cette mesure doit également prévoir un mécanisme garantissant la transparence permettant aux donateurs de savoir comment l’argent a été dépensé. De plus, l’Etat devrait aussi garantir une concurrence loyale entre les ONG (notamment pour les organisations sous-développées sur les territoires ruraux).

Nous avons entendu de la part des autorités nationales que les ONG moldaves souffrent d’un manque de représentativité, que le tissu associatif regroupe toujours les mêmes personnes. Cependant, les ONG ont relevé une difficulté majeure relative au manque d’intérêt de la société civile à s’engager dans le tissu associatif. Ce constat touche aussi les organisations de la jeunesse, affectées en plus par une forte émigration des jeunes moldaves. La loi de 2% pourrait contribuer à changer cette situation. Nous espérons que cette voie l’emportera sur les critiques faites par certaines collectivités locales.

La participation des ONG aux instances consultatives mises en place par les autorités publiques

La Moldavie est un pays favorisant la liberté d’expression de la société civile et n’empêchant pas ses citoyens d’organiser des actions de protestation pacifiques. D’une manière générale, nous avons pu constater que les ONG ont accès aux médias et sont sollicitées par elles pour prendre part dans les débats publics. Pour certaines ONG cette « facilité » de s’exprimer, l’accessibilité des décideurs politiques qui interagissent avec les ONG dans les réseaux sociaux, sert à dissimuler les processus démocratiques, car en fin de compte, les contributions des ONG sont très peu prises en compte dans le processus décisionnel. L’enquête menée par l’Institut du développement et des initiatives sociales (2014) fait également le constat du caractère superficiel du dialogue social entre les autorités et les OSC. Les ONG attendent d’avoir plus de responsabilités dans la mise en place des stratégies du gouvernement ou dans la mise en œuvre des lois votées au Parlement. Pour le moment, la pratique du Parlement est de demander dans le processus législatif trois types de rapports : un rapport du gouvernement, un rapport des parlementaires et un rapport des ONG.

Pour être plus représentatives, les ONG se regroupent en Fédérations. Le Conseil national des ONG en Moldavie, composé d’une trentaine d’ONG des différents secteurs joue un rôle très actif. Le rôle de ce Conseil est, entre autres, de faciliter la collaboration entre les autorités publiques et les ONG dans l’élaboration et le suivi des textes législatifs et d’accroître la transparence et la visibilité des ONG. Ce Conseil occupe un terrain important dans les débats publics. Cependant, certains représentants des ONG lui reprochent un manque d’interaction avec les organisations situées à l’extérieur de Chisinau. Ces ONG ne se sentent pas assez prises en compte par les instances représentatives des ONG. Les ONG qui n’ont pas d’antécédents  suffisants, ne peuvent pas proposer des projets « concurrentiels » au sein de différentes plateformes d’ONG.

Au sein du Conseil national de la jeunesse (membre du Forum européen de jeunes), les secteurs d’activités les plus développés sont : les médias (association des jeunes journalistes), la lutte contre les discriminations, l'éducation et les services sociaux, ainsi que le secteur de la culture, de la démocratie et de la lutte contre la corruption. Les autorités nationales procèdent actuellement à la mise en place des conseils locaux de la jeunesse. Les ONG attendent qu’une cogestion de ces structures leur soit proposée.

Les consultations publiques via les sites web créés par les autorités nationales montrent peu d’efficacité. Un échange animé entre les ONG à ce sujet a montré que les autorités reçoivent peu de propositions par cette voie, car les ONG n’ont pas les moyens de surveiller plusieurs sites web. Un mécanisme d’alerte informant par un e-mail de l’ouverture des consultations publiques semblerait une solution facile à mettre en place. L’enquête menée par l’IDIS Viitorul (2014) citée précédemment montre que 89% des OSC enquêtées jugent que les réunions, conférences et débats publics constituent une meilleure voie pour influencer le programme politique du gouvernement en cours. Les formes privilégiées de consultation semblent être les réunions, suivies des rapports envoyés avec un délai suffisant pour les amendements par les ONG.

Les autorités nationales qui souhaitent avoir une société civile organisée « résonnante » soulignent que des efforts sont nécessaires avant qu’un processus de codécision soit mis en place. Pour argumenter ce point de vue, les autorités mentionnent les absences des ONG aux réunions de consultations ou un faible niveau des contributions envoyées. Mais peut-être serait-il souhaitable d’analyser les causes de ces absences ? L’agenda thématique du gouvernement et celui des ONG n’est peut-être pas le même. Nous avons également noté que de nombreuses ONG ont contribué à la loi sur l’égalité des chances entre les femmes et les hommes, sur les consultations liées à la ratification de la Convention de Lanzarote, sur la loi relative à la traite des êtres humains, celle sur la prévention et la lutte contre la violence domestique, ou celle sur les minorités et sur la réforme de la justice. Peut-être une information plus explicite de la part des autorités sur les enjeux des consultations permettrait de réveiller les forces vives ? Quels bénéfices ont les ONG qui participent aux consultations publiques ?

La situation des ONG en Transnistrie

Notre attention a été attirée par les ONG sur la situation de la société civile organisée dans la région de Transnistrie. Certaines ONG basées à Chisinau développent des activités dans cette république auto-proclamée, dont l’indépendance n’est, à ce jour, reconnue par aucun Etat. Plusieurs affaires déjà jugées et en cours de jugement par la Cour européenne des droits de l’Homme prouvent que les violations des droits de l’Homme sur ce territoire sont fréquentes et que la responsabilité des États, quant à la mise en place des arrêtés, est très faible. Les OING dénoncent sur ce territoire des détentions illégales de défenseurs des droits de l’Homme, de harcèlement d’ ONG et de cas de torture.

Notre constat porte sur un manque de soutiens des ONG moldaves agissant sur le territoire de la Transnistrie. Les différents rapports et témoignages montrent que des pressions sur les défenseurs des droits de l’Homme y sont exercées. Une loi sur les agents étrangers a été votée en 2014 contre les ONG qui reçoivent les subventions étrangères (voir la note d’information de l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme). Cependant, nous avons également noté que la perception sociale des ONG financées par les donateurs et fonds étrangers, les qualifiant comme « agent étranger », dépasse le cadre d’une loi. Elle reflète une division de la société civile vis-à-vis des orientations politiques qui se présentent à elle. 

Conclusion

Nous avons rencontré une société civile organisée déterminée, jeune et dynamique qui souhaite travailler dans un environnement démocratique favorable au respect des droits de l’Homme, de la Démocratie et l’Etat de droits. Les représentants des différents ministères que nous avons également rencontrés ont été ouverts et directs dans l’échange, ne craignant pas d’aborder des sujets sensibles. Des autorités qui déploient des efforts pour former les leaders des ONG, mais aussi les fonctionnaires qui, selon les représentants du Ministère des affaires étrangères, doivent être d’abord formés et préparés à la ratification ultérieure des nouveaux documents législatifs internationaux.

La crise de gouvernance qui traverse actuellement la Moldavie pourrait être une chance pour les ONG nationales qui ont cette occasion de montrer leurs forces et leur volonté de mener les changements démocratiques transparents et respectueux des droits de l’Homme et de l’Etat de droit.  

Compte tenu de ce qui précède, nous avons encouragé les autorités nationales et les ONG à promouvoir publiquement des expériences positives et impartiales de la participation au processus décisionnel afin d’accroître l’intérêt de la société civile à s’engager dans la réalisation de l’intérêt général.

Nous invitons fortement les autorités nationales à mettre en œuvre des stratégies votées visant le développement des ONG, ainsi que de développer des programmes à court et à long terme.

Nous conseillons aux décideurs politiques de renforcer la création et le fonctionnement des ONG sur des territoires éloignés de la capitale, plus spécifiquement sur les territoires ruraux.

Nous encourageons les autorités nationales et locales à être plus explicites dans l’information transmise sur les enjeux des consultations publiques et d’améliorer le système de consultation en ligne.

Nous encourageons les autorités nationales et locales à renforcer les campagnes d’information auprès des citoyens et de valoriser l’engagement civique au sein des ONG.

Nous encourageons les donateurs et fournisseurs de fonds à privilégier le financement des ONG sans tenir compte du critère de la taille des ONG, mais de la qualité de projet proposé. De même, il est nécessaire de s’assurer de la fiabilité de la procédure transparente et équitable dans l’accès aux fonds.

Nous invitons les autorités nationales et internationales à renforcer les soutiens aux ONG moldaves exerçant leurs missions auprès de la population de la Transnistrie.

Nous encourageons les autorités locales à déléguer la responsabilité aux ONG qui ont montré la preuve de leur fiabilité et de la qualité et de viser une cogestion des organisations sociales à l’échelle locale. 

Au nom de la délégation, je tiens à remercier Madame Stella Utica, Directrice de l’Ecole des Etudes politiques et son équipe, ainsi que les ONG rencontrées et les autorités nationales pour la qualité des échanges menés.

Anna Rurka

Présidente de la Conférence des OING