797e réunion – 29 mai 2002
Point 10.3
Droits locaux / statuts particuliers -
Projet de réponse à la Recommandation 70 (1999) du Congrès des Pouvoirs Locaux et régionaux de l’Europe
(CM/Del/Dec(2002)781/10.1, 794/10.3, 795/10.3 et 796/10.6, CPLRE Rec 70 (1999), REC_1201 (1993) de l’Assemblée parlementaire)
Décision
Les Délégués adoptent la réponse suivante à la Recommandation 70 (1999) du CPLRE sur les droits locaux/statuts particuliers :
« 1. Le Comité des Ministres a examiné avec attention la Recommandation 70 (1999) du CPLRE sur les droits locaux/statuts particuliers et prend note des inquiétudes du Congrès. Le Comité des Ministres souhaite cependant souligner qu’il est important de situer toutes propositions concrètes d’action dans le cadre des instruments juridiques et des normes généralement reconnues sur le plan international.
2. Certains Etats membres ont effectivement octroyé à certains territoires des pouvoirs législatifs et/ou administratif spéciaux reflétant leur histoire et culture. Il faudrait souligner que la concession de tels pouvoirs devrait être envisagée dans l’optique des principes et méthodes reconnus par les instruments du Conseil de l’Europe. Ces instruments poursuivent les mêmes objectifs, tels que la participation effective des personnes appartenant aux minorités nationales à la vie culturelle, sociale et économique, ainsi qu’aux affaires publiques. Dans ce contexte, le Comité des Ministres souhaite attirer l’attention du Congrès sur la Recommandation du Comité des Ministres aux Etats membres (Rec(2001)19) sur la participation des citoyens à la vie publique au niveau local.
3. A cet égard, le Comité des Ministres indique que la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales est à ce jour le principal instrument multilatéral juridiquement contraignant dans ce domaine auquel les Etats européens ont, dans leur grande majorité, adhéré et que les gouvernements disposent d’autres instruments juridiques du Conseil de l’Europe relatifs à la protection des personnes appartenant à des minorités nationales. Il souhaite aussi indiquer une fois de plus que la protection des personnes appartenant à des minorités nationales s’inscrit dans le domaine plus vaste de la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales, en conformité avec la Convention européenne des Droits de l’Homme et d’autres instruments juridiques pertinents du Conseil de l’Europe.
4. Il faut noter que l’existence de subdivision territoriale prenant en compte les problèmes des minorités nationales dans certains Etats membres constitue une expérience réussie pour le fonctionnement du modèle de société européenne promu par le Conseil de l’Europe. Son introduction devrait se conformer au droit constitutionnel et à la législation interne de chaque Etat.
5. De ce fait, pour le Comité des Ministres la « création de collectivités territoriales regroupant des membres des minorités nationales » est une option importante parmi les divers moyens à la disposition d’un Etat permettant d’assurer une protection efficace des personnes appartenant aux minorités nationales.
6. Quant à l’invitation que le CPLRE a adressée au Comité des Ministres pour qu’il envisage la possibilité de recourir davantage au CPLRE en pareil cas, pour la formulation d’avis et de propositions de mise en place ou sauvegarde de droits locaux ou statuts spéciaux, le Comité des Ministres agira conformément à l’article 2 de la Résolution statutaire du CPLRE libellé comme suit : « le Comité des Ministres et l’Assemblée parlementaire consultent le CPLRE sur les questions qui sont susceptibles de mettre en cause les compétences et les intérêts essentiels des collectivités locales et/ou régionales que le CPLRE représente ».
7. Le Comité des Ministres souhaiterait également informer le Congrès qu’il a transmis la présente recommandation aux gouvernements des Etats membres. Il l’a également transmise pour information au Comité directeur pour les droits de l’homme (CDDH), à la Commission européenne pour la démocratie par le droit (CDL) et au Conseil de la coopération culturelle (CDCC). A titre d’information, il est rappelé que le Conseil de la coopération culturelle a été récemment remplacé par quatre comités directeurs. Le Comité des Ministres souhaiterait également attirer l’attention du Congrès sur l’Avis de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) concernant l’interprétation du sujet de la présente recommandation du CPLRE, qui est jointe en annexe à la présente réponse. »
Annexe
Avis de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) sur l’interprétation de l’article 11 du projet de Protocole à la Convention européenne des Droits de l’Homme annexé à la Recommandation 1201 (1993) de l’Assemblée parlementaire
Introduction
Par lettre du 24 novembre 1995, la Commission des Affaires juridiques et des Droits de l'Homme de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a demandé l'assistance de la Commission européenne pour la démocratie par le droit pour la préparation d'un avis portant interprétation du Projet de Protocole à la Convention européenne des Droits de l'Homme contenu dans la Recommandation 1201 (1993), en particulier de l'article 11 de ce projet.
La sous-Commission sur la protection des minorités a examiné cette question lors de sa réunion qui s'est tenue à Venise le 29 février 1996 sur la base d'un rapport préparé par MM. Malinverni et Matscher.
Le présent avis, limité pour le moment à la question de l'article 11, a été adopté par la Commission plénière, lors de sa 26e session (1-2 mars 1996).
* * *
1. Objet de la demande
Par sa Recommandation 1201 (1993), l'Assemblée parlementaire a recommandé au Comité des Ministres du Conseil de l'Europe d'adopter un protocole additionnel à la Convention européenne des Droits de l'Homme en s'inspirant d'une proposition annexée à cette Recommandation et faisant partie intégrante de celle-ci. La proposition en question a constitué l'un des textes de référence pour les travaux du Comité d'experts pour la protection des minorités nationales (CAHMIN) chargé de la rédaction d'un protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'Homme garantissant des droits individuels dans le domaine culturel, notamment pour les minorités nationales. Par ailleurs, cette proposition a été, et continue à être utilisée, comme texte de référence par l'Assemblée lorsqu'elle se prononce sur les demandes d'adhésion de nouveaux Etats membres du Conseil de l'Europe (voir Recommandation 1285 (1996) de l'Assemblée). Mais surtout, des références à la proposition en question ont été faites dans certains traités bilatéraux de bon voisinage conclus entre Etats membres du Conseil de l'Europe.
La lettre par laquelle l'assistance de la Commission a été sollicitée par la Commission des affaires juridiques et des Droits de l'Homme se réfère à cette circonstance particulière et aux difficultés d'interprétation, dans ce contexte, du projet de protocole dans son ensemble et, notamment, de son article 11 qui dispose :
« Dans les régions où elles sont majoritaires, les personnes appartenant à une minorité nationale ont le droit de disposer d'administrations locales ou autonomes appropriées, ou d'un statut spécial, correspondant à la situation historique et territoriale et conformes à la législation nationale de l'Etat. »
Le fait que la disposition susmentionnée ne soit pas une règle de droit international en vigueur mais une simple proposition, à laquelle se réfèrent toutefois d'autres traités internationaux, est une situation particulière qui rend l'interprétation de ce texte difficile à aborder. La Commission estime qu'il y a lieu en l'espèce de tenir compte non seulement du sens ordinaire des termes que cette disposition utilise, mais aussi des travaux préparatoires qui ont conduit à son adoption, des autres travaux engagés au sein du Conseil de l'Europe en matière de protection des minorités nationales, de la pratique des Etats membres en ce qui concerne le droit des minorités de disposer d'administrations locales ou autonomes et de l'attitude adoptée par les Etats membres du Conseil de l'Europe face à cette disposition (voir par analogie, les articles 30 et 31 de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités).
Tous ces éléments sont susceptibles de révéler le contenu du droit des minorités de disposer d'administrations locales ou autonomes tel qu'il peut être conçu et appliqué par les Etats européens.
2. Eléments à prendre en considération pour l'interprétation de l'article 11 en général
a. Les travaux préparatoires : Le Rapport proposant l'adoption de la Recommandation 1201 (1993) (Rapport WORMS)
Le Rapport introductif de M.WORMS n'est pas d'un grand secours pour l'interprétation de l'article 11. Il se limite à constater que « les articles 10 et 11 traitent de droits pouvant avoir des prolongements politiques ; ils ont été rédigés avec le souci de préserver, en tout état de cause, l'intégrité de l'Etat ; les contacts avec les ressortissants d'un autre pays doivent se faire « dans le respect de l'intégrité territoriale de l'Etat ». Quant aux statuts appropriés des collectivités territoriales pour permettre une certaine autonomie administrative des régions où les minorités sont majoritaires, ils ne peuvent être établis qu'en conformité avec la législation de l'Etat ».
b. Les travaux engagés au sein du Conseil de l'Europe en matière de protection des droits des minorités
La proposition de la Commission de Venise pour une Convention européenne pour la protection des minorités ne contient pas un droit pour les personnes appartenant à des minorités de disposer d'administrations locales ou autonomes. L'article 14 par. 1 de la proposition dispose que « les Etats favorisent la participation effective des minorités aux affaires publiques, en particulier aux décisions concernant les régions dans lesquelles elles vivent ou aux affaires les concernant ».
Dans la déclaration de Vienne des chefs d'Etat et de gouvernement des Etats membres du Conseil de l'Europe, du 9 octobre 1993, il est constaté que la création d'un climat de tolérance et de dialogue est nécessaire à la participation de tous à la vie politique. A cet égard une contribution importante doit être apportée par les collectivités régionales et locales.
La Convention-cadre pour la protection des minorités nationales n'a pas repris l'idée de l'article 11 du projet parlementaire d'octroyer aux personnes appartenant à une minorité nationale, dans les régions où elles sont majoritaires, « le droit de disposer d'administrations locales ou autonomes appropriées, ou d'un statut spécial ». Dans cette Convention, le droit de disposer d'un statut spécial est en fait remplacé par une disposition inspirée partiellement de la proposition de la Commission de Venise : L'article 15 de la Convention-cadre garantit le droit de participation effective des personnes appartenant à une minorité aux affaires publiques les concernant. Toutefois toute référence à des collectivités locales y fait défaut. Pour la Convention-cadre, la participation aux affaires publiques est avant tout une question d'autonomie personnelle et non d'autonomie locale.
L'interprétation de la Convention européenne des Droits de l'Homme n'a pas, non plus, laissé entendre que des dispositions de celle-ci pourraient être utilisées pour revendiquer un droit à un statut spécial. A deux reprises la Commission européenne des Droits de l'Homme, a constaté que la Convention ne comporte pas un droit des minorités nationales à l'autodétermination (N° 6742/75, DR/3 p. 98, concernant des Allemands qui vivaient autrefois en Tchécoslovaquie ; N° 7230/75, DR/7 p. 109, concernant la population de Suriname). L'article 3 du Protocole n°1 (garantissant des droits électoraux) ne s'applique pas aux élections à des organes non-législatifs tels que les conseils communaux
(N° 10650/83, DR/42, p. 212) et ne garantit aucun droit à une représentation politique distincte des minorités nationales (N° 9278/81 et 9415/81, déc. 3.10.83, DR/35 p. 30) 1 .
Il résulte des développements qui précèdent que le droit international ne saurait en principe imposer aux Etats des solutions territoriales au problème des minorités et que ceux-ci ne sont en principe pas tenus d'instituer des formes de décentralisation en leur faveur (cf. aussi l'article 35 par. 2 de la déclaration de Copenhague).
c. L'attitude des Etats face à l'article 11
Le traité croato-hongrois du 5 avril 1995 se réfère lui aussi à la Recommandation 1201, sans que les Parties contractantes n'aient fait des déclarations au moment de sa ratification.
Le traité slovaco-hongrois sur les relations de bon voisinage et la coopération amicale du 19 mars 1995 (art. 15 par. 4(b)) se réfère à la Recommandation 1201, mais le Gouvernement slovaque a assorti la ratification de ce traité par la déclaration suivante : « Le Gouvernement de la République slovaque souligne qu'à aucun moment il n'a accepté ni consacré dans le traité une formulation qui se fonderait sur la reconnaissance du principe de droits collectifs pour des minorités et qui admettrait la création de structures autonomes sur une base ethnique. »
Enfin, il semble que l'inclusion d'une référence à la Recommandation 1201, et notamment à l'article 11 est au centre des négociations relatives à un traité bilatéral entre la Hongrie et la Roumanie.
Les Etats semblent en fait craindre que le droit de disposer d'administrations locales ou autonomes appropriées, combiné avec le droit de contacts transfrontaliers (article 10 de la proposition de Protocole), puisse promouvoir des tendances sécessionnistes. Même les Etats qui, tout en restant fidèles au principe de la république une et indivisible, ont en réalité accordé un large degré d'autonomie régionale, hésitent à accepter des instruments internationaux contraignants sur le droit des minorités à une certaine autonomie. Comme le note H.KLEBES 2 , la sensibilité à l'égard d'une autonomie quelconque de minorités nationales est encore trop forte dans bon nombre d'Etats : on craint la spirale autonomie culturelle, autonomie administrative, sécession.
d. La pratique des Etats européens en matière du droit des minorités de disposer d'administrations locales ou autonomes
La Commission a déjà pu constater, dans ses travaux, la variété des modèles juridiques de protection des minorités mis en place sur le continent européen, variété qui reflète la complexité des situations de fait et, par conséquent, la variété des solutions adoptées par les différents Etats pour faire face au problème en question 3 . Les travaux de la Commission et l'étude des systèmes nationaux de protection des minorités ne révèlent pas l'existence d'une pratique commune – ne serait-ce que dans ses grandes lignes -en matière d'autonomie territoriale.
De l'avis de la Commission, l'ensemble des éléments susmentionnés indique que :
– toute tentative d'interprétation de l'article 11 de la Recommandation 1201 (1993) doit être particulièrement prudente ;
– compte tenu de l'état actuel du droit international, une approche extensive du droit des minorités de disposer d'administrations locales ou autonomes n'est possible qu'en présence d'un instrument de droit international contraignant, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.
3. Interprétation de l'article 11 de la Recommandation 1201 (1993)
a. « ... les personnes appartenant à une minorité nationale ... »
Les titulaires du droit prévu à l'article 11 sont « les personnes appartenant à une minorité nationale » et non les minorités en tant que telles, bien que, de l'avis de la Commission, en dépit de cette formulation, le droit à l'autonomie n'est concevable qu'en tant que droit exercé en association avec d'autres. Le droit en question n'implique donc pour les Etats ni l'acceptation d'une entité ethnique organisée au sein de l'Etat, ni l'adhésion à la conception d'un pluralisme national en tant que composante du peuple ou de la nation, conception susceptible d'affecter l'éventuelle « unicité » de l'Etat. L'appréhension du phénomène minoritaire dans le cadre de l'article 11 ne diffère pas de celle opérée par les autres dispositions de la proposition contenue dans la Recommandation 1201 : elle est indirecte et fondée sur la reconnaissance de droits individuels, bien qu'exercés en association avec d'autres (collectivement), ce que la déclaration slovaque accompagnant la ratification du traité de bon voisinage avec la Hongrie ne fait que rappeler. Cet élément doit néanmoins être pris en considération pour l'interprétation du contenu du droit prévu à l'article 11.
L'article 1er donne par ailleurs une définition de l'expression « minorité nationale ». Celle-ci désigne un groupe de personnes qui résident sur le territoire d'un Etat et en sont citoyens ; entretiennent des liens anciens, solides et durables avec cet Etat ; présentent des caractéristiques ethniques, culturelles, religieuses ou linguistiques spécifiques ; sont suffisamment représentatives tout en étant moins nombreuses que le reste de la population d'un Etat ou d'une région de cet Etat ; sont animées de la volonté de préserver ensemble ce qui fait leur identité commune.
Il ressort de la définition susmentionnée que les personnes auxquelles les droits de la Recommandation 1201 sont garantis sont des nationaux (citoyens) de l'Etat et non des migrants étrangers. Ceci est davantage souligné par le fait que seules les personnes appartenant aux minorités « historiques » (ayant « des liens anciens, des lien solides et durables » avec l'Etat) peuvent en bénéficier.
L'expression « liens anciens solides et durables avec cet Etat » doit être interprétée de façon à comprendre aussi les liens avec le territoire d'un Etat en tant qu'élément de ce dernier. De cette façon, les personnes appartenant à une minorité ne perdront pas le statut de minorité par un transfert du territoire à un autre Etat ou à un nouvel Etat et la Recommandation 1201 préservera sa substance en cas de tels transferts ou de succession d'Etats, dans l'hypothèse -bien entendu- où les personnes en question continueront à être minoritaires.
b. « ... dans les régions où elles sont majoritaires ... »
Le fait, pour une minorité, d'être majoritaire dans une « région » est la condition nécessaire pour l'application de l'article 11. Or, il est particulièrement difficile de donner une définition du terme « région » dans le cadre de cette disposition.
En principe, ce terme doit être entendu dans son sens géographique et non administratif ou politique. Mais il a également une dimension historique qui n'est pas sans relation avec l'implantation de divers groupes sur un territoire précis.
En réalité, les Etats ont une large marge d'appréciation pour définir ce qu'ils entendent par « région ». Toutefois, la qualification d'un certain territoire de « région », aux fins de l'application de l'article 11, doit être faite de bonne foi. En particulier, elle ne doit pas viser à rendre inapplicable l'article 11, ni être arbitraire (cf. dans cette même optique l'article 16 de la Convention cadre) ; elle doit au contraire se fonder sur des critères objectifs et tenir compte du phénomène minoritaire. Dans le cadre de ses propres travaux, la Commission avait d'ailleurs explicitement affirmé qu' « il est nécessaire que les Etats tiennent compte de la présence d'une ou plusieurs minorités sur leur sol lorsqu'ils procèdent à des découpages du territoire en subdivisions politiques ou administratives ainsi qu'en circonscriptions électorales » (Rapport explicatif de la proposition de la Commission de Venise pour une Convention pour la protection des droits des minorités, par. 42).
Le terme « majoritaires » doit, par ailleurs, être interprété à la lumière de la finalité poursuivie par l'article 11. L'octroi du droit de disposer d'administrations locales ou autonomes constitue la réalisation la plus complète des revendications des minorités concentrées dans le cadre des Etats unitaires ; un Etat fédéral peut en effet aller encore plus loin en la matière (voir sur ce point le Rapport de la Commission de Venise sur la protection des minorités dans les Etats fédéraux et régionaux) 4 .
Le terme « majoritaires » doit, en outre, être entendu en ce sens qu'il ne se rapporte pas à un simple rapport numérique, mais implique une implantation et une concentration de la minorité dans la région en question.
c. « ... ont le droit de disposer d'administrations locales ou autonomes appropriés ou
d'un statut spécial ... »
L'article 11 prévoit un droit de disposer d'une certaine autonomie par trois moyens (administrations locales, administrations autonomes et statut spécial), qu'il ne définit pas.
De manière générale, on peut affirmer que le droit garanti à l'article 11 ne peut être interprété comme exigeant des mesures affectant fondamentalement la structure de l'Etat, même si une structure fédérale ou régionale permet de reconnaître une autonomie aux minorités résidant sur le territoire de l'Etat, en leur attribuant une assise territoriale propre où elles pourront mener une politique par le biais d'institutions autonomes ; il n'impose pas, non plus, un modèle précis d'institutions d'autonomie locale et la variété de ces modèles sur le continent est telle qu'on ne saurait en préconiser un comme modèle à suivre.
L'Etat aura donc un large choix d'options pour s'acquitter de ses obligations en vertu de l'article 11.
• Administrations locales ou autonomes appropriées
Des indications importantes sur le contenu du droit de disposer d'une certaine autonomie peuvent être fournies par la Charte européenne de l'autonomie locale. Selon cet instrument, les collectivités locales sont en mesure « de régler et de gérer sous leur propre responsabilité et au profit de leurs populations, une part importante des affaires publiques » (art. 3.1 de la Charte). La Charte de l'autonomie locale fournit par ailleurs une série d'éléments concernant les implications de ce « droit de régler et gérer une part importante des affaires publiques ». Ainsi,
– ce droit est exercé par des conseils et assemblées composées de membres élus au suffrage libre, secret, égalitaire, direct et universel et pouvant disposer d'organes exécutifs responsables devant eux (article 3.2 de la Charte) ;
– les collectivités locales doivent pouvoir exercer leur initiative pour toute question qui n'est pas exclue de leur compétence ou attribuée à une autre autorité, étant donné que l'exercice des responsabilités publiques doit, de façon générale, incomber, de préférence, aux autorités les plus proches des citoyens (articles 4.2 et 4.3 de la Charte) ;
– les collectivités locales doivent pouvoir définir elles-mêmes les structures administratives internes dont elles entendent se doter, en vue de les adapter à leurs besoins spécifiques et afin de permettre une gestion efficace (Article 6 de la Charte) ;
– le contrôle administratif des actes des collectivités locales doit s'opérer dans les cas et selon les procédures prévues par la loi et la Constitution ; il doit viser à assurer le respect de la légalité et des principes constitutionnels ; il peut comprendre un contrôle de l'opportunité par des autorités de niveau supérieur en ce qui concerne les tâches dont l'exécution est déléguée aux collectivités locales (article 8 de la Charte) ;
– les collectivités locales doivent disposer d'un droit de recours juridictionnel afin d'assurer le libre exercice de leurs compétences et le respect des principes d'autonomie locale qui sont consacrés dans la Constitution ou la législation internes (article 11 de la Charte).
Il s'agit là d'indications dont devrait s'inspirer la pratique des Etats lorsqu'ils s'acquittent des obligations qui pourraient leur incomber en vertu de l'article 11 et non d'exigences propres découlant de ce dernier.
• Statut spécial
Le sens du terme « statut spécial » est certes peu clair, mais celui-ci manifeste la volonté des rédacteurs de l'article 11 de permettre aux Etats de s'écarter des schémas traditionnels d'administration locale. A cet égard, l'Etat reste libre de déterminer quelle sera la portée de ce « statut spécial ». En l'absence d'une pratique commune pouvant préciser les exigences minimales d'un tel statut, ce sont les objectifs de l'article 11 en général et la volonté présumée des Etats membres du Conseil de l'Europe qui constituent les points de référence pour déterminer la portée du « droit à disposer d'un statut spécial ». Des exemples peuvent être trouvés dans les statuts spéciaux en Italie ou en Espagne, sans que cela exclue la solution de l'autonomie personnelle.
De l'avis de la Commission, à la base de tout « statut spécial » doit se trouver la volonté d'assurer aux personnes appartenant à une minorité une participation effective aux décisions concernant les régions dans lesquelles elles vivent ou aux affaires qui les concernent. Les institutions qui composeront ce « statut spécial » doivent être en mesure de représenter les minorités et d'assurer que les personnes appartenant à celles-ci
– seront consultées, lorsque les Parties envisagent des mesures législatives ou administratives susceptibles de les toucher directement ;
– seront associées à l'élaboration, à l'évaluation et à la mise en oeuvre des plans et des programmes de développement national et régional susceptibles de les toucher directement ;
– participeront effectivement dans le processus de prise de décision et dans les instances élues à la fois au plan local et national, notamment en ce qui concerne les domaines de la culture, de l'éducation, de la religion, de l'information et des affaires sociales.
Ce ne sont là que des exigences minimales. Un statut spécial peut, bien entendu, aller beaucoup plus loin et doter une région où une minorité est majoritaire d'un pouvoir législatif et exécutif propre concernant les affaires régionales, approchant ainsi une fédéralisation partielle de l'Etat.
d. « ... correspondant à la situation historique et territoriale ... »
Le membre de phrase « correspondant à la situation historique et territoriale » a une double fonction :
D'une part, elle demande aux Etats de tenir compte des traditions des minorités en question et de leurs besoins spécifiques ; en ce sens elle complète l'adjectif « approprié » figurant dans la même disposition.
D'autre part, il introduit la possibilité d'appliquer de façon différenciée ce même droit d'Etat à Etat, voire de minorité à minorité au sein d'un même Etat. L'application de l'article 11 ne sera donc pas uniforme, mais adaptée à l'extrême diversité des situations des minorités nationales. La jurisprudence des organes de la Convention européenne D.H. a su ménager un équilibre entre le pouvoir discrétionnaire de l'Etat d'apprécier les circonstances particulières d'un cas précis et le contrôle européen voulu par la Convention et il est légitime de croire qu'un pareil équilibre sera aussi maintenu, dans le cadre de l'article 11.
e. « ... conformes à la législation nationale de l'Etat ... »
Le fait que les administrations autonomes ou locales et le statut spécial dont devraient disposer les minorités doivent être conformes à la législation nationale de l'Etat marque d'abord les limites de ce droit. En effet, c'est l'Etat qui fixe le cadre légal dans lequel le droit pourra s'exercer et la protection internationale n'est accordée qu'aussi longtemps que ce droit sera exercé dans la légalité.
Mais en même temps, cette phrase comporte la garantie de l'existence d'un cadre juridique pour l'exercice de ce droit.
De plus, conformément à la jurisprudence constante des organes de la Convention européenne D.H., le pouvoir discrétionnaire qu'a l'Etat en fixant le régime juridique en question est limité par le fait que ce régime doit être lui-même compatible avec la Convention et ses protocoles. En particulier, il ne doit pas avoir pour effet de vider l'article 11 de sa substance.
4. L'article 11 de la Recommandation 1201 (1993) combiné avec les articles 13 et 14 de celle-ci
Les articles 13 et 14 disposent :
Article 13
« L'exercice des droits et libertés énoncés dans ce Protocole s'applique intégralement aux personnes appartenant à un groupe majoritaire dans l'ensemble de l'Etat, mais minoritaire dans une ou plusieurs de ses régions. »
Article 14
« L'exercice des droits et libertés énoncés dans ce Protocole ne saurait limiter les devoirs et les responsabilités qui s'attachent à la citoyenneté d'un Etat. Toutefois, cet exercice ne peut être soumis qu'à des formalités, conditions, restrictions, ou sanctions prévues par la loi et nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
La possibilité d'une application de l'article 13 combiné avec l'article 11 de la Recommandation 1201 ne saurait être exclue.
Quant à l'article 14, il prévoit la possibilité de restreindre l'exercice des droits garantis, y compris celui prévu à l'article 11, par des mesures prévues par la loi, qui sont nécessaires, dans une société démocratique à la réalisation de certains objectifs reconnus comme légitimes par la Convention, parmi lesquels la sécurité nationale et l'intégrité territoriale. La jurisprudence de la Convention européenne des Droits de l'Homme concernant l'interprétation des paragraphes 2 des articles 8 à 11, notamment le principe de la proportionnalité entrent ici en ligne de compte.