CommDH/Speech(2018)5

74e Journée de la Mémoire de l’Holocauste des Roms

Auschwitz-Birkenau, 2 août 2018

Allocution de Dunja Mijatović

Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe

Je remercie le Conseil central des Roms et Sintis allemands et l’Association des Roms de Pologne de m’avoir invitée à participer à cette journée de commémoration. Je vous remercie tous également d’être venus ici aujourd’hui, en ce lieu où l’humanité a montré son visage le plus vil.

Mais surtout je veux rendre hommage à Rita Prigmore et aux autres survivants qui sont présents avec nous aujourd’hui. Vous êtes parvenus à surmonter votre douleur pour revenir sur le lieu où ont péri des membres de votre famille et vos amis, et qui a marqué votre vie à jamais. Votre témoignage et votre présence ici aujourd’hui constituent un puissant exemple d’endurance et de courage. Cela accroît encore pour nous l’obligation de ne jamais oublier ce qui s’est passé et d’agir en permanence pour empêcher que l’histoire ne se répète.

Chaque fois que je visite ce camp d’extermination, j’ai du mal à trouver des mots pour décrire les sentiments que ce lieu fait naître en moi. Les baraquements, les clôtures, les laboratoires, les fours crématoires, tous témoignent de la cruauté dont sont capables des êtres humains lorsqu’ils sont sous l’emprise de la propagande et de préjugés générateurs de crainte et de haine.

En même temps, lorsque je marche à l’intérieur de ce camp, je pense à tous les actes de résistance courageux qui ont eu lieu ici : le partage de nourriture, les soins affectueux donnés par des parents à leurs enfants pour les protéger, les actes de révolte comme l’insurrection du 16 mai 1944 dans le « Zigeuner Lager ». Ces actes d’humanité ont défié le règne de la cruauté dans ce camp et semé des graines d’espoir.

Le Musée national Auschwitz-Birkenau, qui nous rappelle notre devoir de mémoire, nous fait aussi « éprouver » l’impératif d’agir en conformité avec cette mémoire et d’aider les générations actuelles et futures à éradiquer les préjugés et la haine qui ont rendu possible l’Holocauste et causé tant de souffrances à nos semblables pour la seule raison qu’ils étaient Juifs, Roms ou considérés d’une manière ou d’une autre comme n’ayant pas leur place dans les projets monstrueux du régime nazi.

L’impératif de l’action se fait sentir avec une force particulière aujourd’hui. L’ignorance, la négation des crimes passés, l’antitsiganisme et l’antisémitisme, la haine et la violence se répandent en effet dans de nombreux pays européens.

Il y a dans l’Europe actuelle des pays où il est encore acceptable pour les autorités de désigner spécifiquement les Roms pour en faire la cible d’opérations de police, des pays où les Roms sont expulsés de leurs maisons par des milices néo‑nazies, où les Roms ne peuvent vivre une vie normale parce qu’ils sont constamment expulsés par les autorités, et où des enfants roms sont affectés à des écoles ségréguées ou bien sont séparés abusivement de leur famille. Nous ne devons pas oublier que ces violations des droits de l’homme sont la continuation de pratiques du passé.

Il n’est pas rare d’entendre des personnalités politiques minimiser ou justifier d’horribles violations des droits de l’homme commises dans le passé. Ce faisant, elles offensent la mémoire des victimes, mais rendent aussi possible la perpétuation des crimes passés. En désignant les Roms comme boucs émissaires et en leur attribuant la responsabilité des violations des droits de l’homme qu’ils subissent, ces discours contribuent à leur déshumanisation. Ils attisent un climat de haine semblable à celui qui a conduit peu à peu à l’Holocauste des Roms.

Ils insultent non seulement les Roms et les Sintis et ceux qui sont morts et ont souffert ici, mais aussi nous tous en tant qu’êtres humains. Nous avons le devoir d’endiguer ce flot de haine.

La meilleure manière de le faire est de prendre ouvertement la parole, de confronter, d’éduquer. Éduquer en faisant connaître à la fois les événements tragiques du passé et l’apport positif des Roms et des Sintis à l’Europe. Éduquer en déconstruisant les mythes ancestraux et les préjugés les plus tenaces. Éduquer en apprenant à résister et à combattre le discours de haine et les violations des droits de l’homme commises à l’encontre des Roms. Éduquer à la justice et à l’égalité pour tous.

J’aimerais qu’un plus grand nombre de responsables politiques, d’intellectuels, de faiseurs d’opinion et d’enseignants sortent du silence et prennent la parole contre ceux qui cherchent à inculquer la haine des Roms et à provoquer des violations des droits de l’homme à leur encontre.

J’aimerais qu’un plus grand nombre de systèmes éducatifs enseignent l’histoire et la culture des Roms, traitent les enfants roms à égalité avec les autres enfants et leur offrent les mêmes chances de contribuer à la vie de la société.

J’aimerais voir se créer un plus grand nombre de commissions pour la vérité et la réconciliation, afin de rétablir une fois pour toutes la vérité historique au sujet des violations des droits de l’homme que les Roms ont subies dans le passé, d’indemniser les victimes et de promouvoir la confiance et la compréhension mutuelles.

J’aimerais que des jeunes de plus en plus nombreux visitent les lieux de mémoire tels que ce camp et engagent le dialogue avec les institutions qui cherchent à préserver la mémoire des crimes passés.

En tant que Commissaire aux droits de l’homme, je n’épargnerai aucun effort pour contribuer à la réalisation de ces objectifs. Je continuerai à rappeler aux autorités étatiques leur devoir de mémoire, de protection et de prévention. Je m’exprimerai haut et fort pour combattre l’antitsiganisme sous toutes ses formes et rappeler que les Roms doivent jouir de leurs droits comme tous les autres Européens, sans être en butte à la coercition et à la peur.

Je m’adresserai aussi aux jeunes, aux médias et à l’ensemble de la société afin de favoriser une meilleure compréhension de l’histoire rom, de combattre les préjugés et la discrimination, de promouvoir la tolérance au sein de la société, et de surmonter les obstacles qui continuent à reléguer de nombreux Roms en marge de la société.

Nous honorons aujourd’hui la mémoire des Roms qui ont souffert et péri aux mains d’individus qui étaient aveuglés par la peur et la haine. Dès demain, nous devons nous efforcer d’ouvrir les yeux des membres de notre famille, de nos amis et de nos collègues sur la cruauté des événements qui ont eu lieu ici, sur leurs causes et sur leurs conséquences. Le témoignage que Rita Prigmore a partagé avec nous doit être pour nous un appel à l’action.

Les femmes, les hommes, les personnes âgées et les enfants qui sont morts ici aimaient, rêvaient et espéraient comme chacun d’entre nous. Rendre toujours plus visible leur sort tragique contribuera à nous guider sur la voie d’un avenir plus juste, plus inclusif et plus pacifique.