Débat thématique : fausses informations, menaces et violence – pressions sur les maires dans les crises actuelles en europe
23 mars 2022
La démocratie locale –victime de l’infox et des discours de haine
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La pandémie du Covid 19 et la guerre en Ukraine ont accentué la pression sur les élus locaux ciblés par des fake news et des discours de haine en ligne. Depuis 2018, le Congrès du Conseil de l’Europe lutte activement contre ce phénomène. Le débat thématique du mercredi 23 mars 2022, lors de sa 42ème session, a présenté la publication des résultats d’un projet scientifique et universitaire inédit, lancé en 2021 en collaboration avec le Congrès pour mieux cerner le phénomène. Les expériences des membres du Congrès ont nourri cette recherche et seront mises à contribution en vue du rapport en cours de préparation par la Commission de la Gouvernance du Congrès dont les objectifs ont été présentés devant la chambre des pouvoirs locaux par Mme Wilma Delissen Van Tongerlo, Co-Rapporteure (Pays-Bas, GILD).
Le phénomène des fake news et des discours de haine ciblant les élus locaux et régionaux s’est drastiquement accentué ces dernières années, notamment dans le contexte de la montée de l’extrême droite en Europe, puis de la crise sanitaire, des campagnes de vaccination contre le Covid-19 et plus récemment l’invasion de la Russie en Ukraine. Les attaques sur les réseaux sociaux se transforment souvent en attaques physiques. La mort tragique du maire de Gdansk Paweł Adamowicz (2019) et de la maire de Cologne Henriette Reker (2015), mais aussi le « simple » harcèlement en ligne, devenu le lot quotidien pour beaucoup d’élus, dissuade de plus en plus les citoyens de se porter candidats aux élections locales.
Comprendre les leviers pour mieux contrer les infox
Réagir face à un phénomène qui risque de paralyser la démocratie locale en la privant des forces vives et compétentes dont elle a tant besoin est devenu l’une des priorités du Congrès. Les débats que le Congrès a organisé depuis 2018 sur cette thématique ont permis à ses membres de partager leurs approches et expériences, ainsi que diverses stratégies de lutte contre les infox et les discours de haine en ligne. Ces échanges ont révélé le besoin des élus locaux de mieux connaître les leviers techniques, psychologiques, juridiques, médiatiques et surtout politiques permettant de cerner et juguler le développement de ce phénomène.
En réalité, aucune étude scientifique n’avait jusqu’à présent abordé la complexité de la situation au niveau local, d’où l’initiative du Congrès de soutenir un projet en collaboration avec des chercheurs et des experts d'institutions universitaires de Ludwigsburg, Budapest, Bucarest, Kosice et Vienne sur le sujet « Open-Government and Open-Data contre les Fake News et les discours de haines ». Présentée par le professeur Robert Müller-Török lors du débat du 23 mars, la publication des résultats du projet dans un ouvrage intitulé « COUNTERFAKE : une base scientifique pour une politique de lutte contre les fake news et les discours de haine » aidera les élus locaux à mieux appréhender les mécanismes de la désinformation et s’approprier divers outils de « contre-attaque ». Car condamner ces pratiques ne suffit pas sans comprendre les mécanismes psychologiques qui font que les êtres humains ont tendances à croire seulement aux informations confortant leurs opinions et leurs identités politiques.
Un phénomène qui touche beaucoup d’élus
Après une partie dédiée à la définition des « fake news » et « des discours de haine », mais aussi à la manière dont ils fonctionnent en pratique et aux critères qui les distinguent de la liberté d’expression, les auteurs de l’ouvrage se penchent sur les effets que ces phénomènes produisent sur les élus, l’économie et la société. Dans le dernier chapitre décrivant l’apport du questionnaire adressé aux membres du Congrès, ces effets transparaissent à travers une analyse empirique révélant que « plus d’un délégué sur dix est confronté fréquemment aux discours de haine, tandis que la moitié des enquêtés ont souvent ou quelques fois été confrontés au phénomène ». Ces chiffres inquiétants expliquent pourquoi il est de plus en plus difficile de recruter de nouveaux élus au niveau local et régional. En effet, lors du débat dans l’Hémicycle, plusieurs délégués du Congrès ont partagé leurs expériences et inquiétudes dans ce sens.
D’après Pauline Sterrer (PPE, Autriche) « 75% des élus locaux en Autriche sont exposés aux discours de haine en ligne et 42% des élus municipaux ont été directement menacés », ce qui a encouragé le Parlement autrichien à promulguer une loi de lutte contre les discours de haine en ligne obligeant les plateformes à surveiller de près et supprimer ce type d’interventions. L’exemple du président de la Région d’Emilie Romagne qui a vu son téléphone et son adresse publiés sur Internet avec l’incitation à la vengeance suite aux mesures restrictives pendant la pandémie a été rappelé par Belinda Gottardi (SOC, Italie) afin d’illustrer la montée en puissance de la désinformation et des menaces envers le personnel de santé pendant la pandémie du corona virus. « Le covid nous a exposé à la merci des anti-vax ! » affirma Jean-Paul Bastin (Belgique, PPE) dont l’intervention a souligné l’ampleur du « blues des mandataires » qui souffrent de burnout, quittent leurs fonctions et ne veulent plus se représenter.
D’autres députés ont souligné la spécificité du problème dans les petites villes (José Benlloch Fernandez, Espagne) et les zones rurales (Marius Wallstein, jeune délégué Allemagne) où d’une part les maires et leurs habitations sont connus par tous et d’autres part les populations sont plus exposées au risque de désinformation. D’après Tetiana Hoian (Ukraine, PPE) ce risque est devenu très élevé dans le contexte de la guerre en Ukraine que la Russie a appelé « une opération militaire spéciale » : une forme de désinformation qui s’apparente, d’après elle à une arme de guerre ciblant l’opinion publique en Russie, mais aussi la population civile en Ukraine.
Open data et gouvernement ouvert, des outils contre les infox
Quelles solutions pour lutter contre ce fléau ? La recherche scientifique réalisée en coopération avec le Congrès révèle que les mesures coercitives et techniques ne sont pas toujours très efficaces en démocratie. Même si l’ouvrage retrace diverses manières juridiques et techniques de lutte contre les campagnes de haine ou de la désinformation en ligne, les législations des pays libéraux ne permet pas de bloquer facilement ces attaques. En revanche, la solution la plus adaptée pour préserver la démocratie serait d’assurer davantage de transparence à travers des données accessibles à tous (open data) et une gouvernance plus ouverte et participative au niveau local (open government) qui auront pour effet le renforcement de la confiance des citoyens en leurs élus.
En réalité l’effritement de la confiance dans les médias dominants et dans les pratiques des élites politiques procure un terreau propice aux discours complotistes qui brisent et volent des vies humaines. Voilà pourquoi les auteurs de l’ouvrage considèrent qu’une gouvernance plus ouverte et l’accès à l’information pourront « faire décroître de manière significative les fake news et les discours de haine ». Cette idée a été soutenue par l’intervention lors du débat d’Alexander Boomgars (Pays Bas, SOC) qui a souligné la responsabilité des élus locaux quant à la présentation d’une information plus objective : « Il ne faut pas charger la barque quand cela nous arrange ! » D’autres comme Cemal Bas (PPE, Turquie) ont évoqué la présence de discours crypto racistes dans certains médias en Europe, tandis que Elkaer Nicot ZOE (déléguée jeune, Denmark) et Zohra DARRAS (SOC, France) ont pointé les discours discriminatoires contre les femmes au sein même de la classe politique des élus locaux. La lutte contre les fake news et les discours de haine devraient donc s’appuyer également sur l’exemple positif des élus.
Apporter des réponses et des pistes d’action aux élus locaux, c’est l’objectif du nouveau rapport en cours de préparation par la Commission de la Gouvernance du Congrès, présenté par Wilma Delissen Van Tongerlo, Co-Rapporteure (Pays-Bas, GILD) et qui sera débattu lors de la session du Congrès en octobre prochain. Il s’inspirera des expériences personnelles et collectives des membres du Congrès pour formuler des recommandations efficaces visant à soulager la pression exercée sur les élus locaux par les menaces et la désinformation en ligne. Le rapport prendra en compte la nouvelle génération de guerre hybride et informationnelle, y compris des cyber-attaques et des campagnes de désinformation dans le contexte de la guerre menée par la Fédération de Russie en Ukraine.