DAJ/DOC (98) 23

Charte européenne

sur

le statut des juges



Activités pour le développement et la consolidation

de la stabilité démocratique

Charte européenne

Sur

le statut des juges

et

Exposé des motifs

Strasbourg, 8 - 10 juillet 1998



AVANT PROPOS

Les travaux menés au sein du Conseil de l’Europe depuis maintenant de nombreuses années sur l’organisation de la Justice dans un Etat de droit démocratique ont permis d’aborder à de multiples reprises le thème du statut des juges et les différents aspects de celui-ci. Il s’agit en particulier des réunions consacrées, au cours des années passées, au recrutement, à la formation, à la carrière, à la responsabilité et au régime disciplinaire des juges, réunions dont le rythme s’est accéléré depuis la fin des années 80 et les profonds changements intervenus à l’Est de l’Europe.

            En 1997 l’idée a fait son chemin de capitaliser les fruits de cette masse de travaux et de discussions afin de leur donner une plus grande « visibilité », mais aussi et surtout afin de donner un nouvel élan à l’effort, jamais terminé, de perfectionnement des institutions judiciaires comme élément essentiel de l’Etat de droit.

            La nécessité d’élaborer une charte européenne sur le statut des juges a été confirmée en juillet 1997, à l’issue des travaux d’une première réunion multilatérale tenue à Strasbourg et consacrée au statut des juges en Europe. Les participants à cette réunion, originaires de 13 pays d’Europe occidentale, centrale et orientale, auxquels se sont joints des représentants de l'Ecole Nationale de la Magistrature de France (ENM), de l’Association Européenne des Magistrats (AEM) et des Magistrats Européens pour la Démocratie et les Libertés (MEDEL), ont émis le souhait que le Conseil de l’Europe offre le cadre et le soutien nécessaires à l’élaboration de la charte.

            Sur la base de ces conclusions, la Direction des Affaires Juridiques a confié à trois experts, venant de la France, la Pologne et le Royaume-Uni, la rédaction d’un avant-projet de charte.

            Cet avant-projet, élaboré au printemps de 1998, a été soumis aux participants d’une deuxième réunion multilatérale, également tenue à Strasbourg, les 8-10 juillet 1998, et à l’issue des trois journées de discussions, le texte, après avoir été amélioré par un certain nombre d’amendements, a été adopté à l’unanimité.

            La valeur de cette Charte ne résulte pas d’un statut formel qu’elle n’a pas, mais de la pertinence et de la force que ses auteurs ont entendu donner à son contenu. La connaissance de ce contenu et une large diffusion de la Charte sont des éléments essentiels pour que sa dynamique de progrès se concrétise. Elle est destinée aux juges, aux juristes, aux responsables politiques et plus généralement à toutes les personnes intéressées aux institutions de l’Etat de droit et de la démocratie.



CHARTE EUROPÉENNE SUR LE STATUT DES JUGES

Les participants à la réunion multilatérale sur le statut des juges en Europe, organisée par le Conseil de l'Europe les 8 - 10 juillet 1998,

Considérant l'article 6 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales qui dispose que "toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi";

Considérant les Principes fondamentaux relatifs à l'indépendance de la magistrature approuvés par l'Assemblée générale des Nations Unies en novembre 1985;

Se référant à la Recommandation n° R  (94) 12 du Comité des Ministres aux Etats membres sur l'indépendance, l'efficacité et le rôle des juges et ayant fait leurs les objectifs qu'elle exprime;

Soucieux de voir rendue plus effective la promotion de l'indépendance des juges, nécessaire au renforcement de la prééminence du droit et de la protection des libertés individuelles au sein des Etats démocratiques;

Conscients de la nécessité que soient précisées dans un instrument destiné à tous les Etats européens les dispositions de nature à assurer les meilleures garanties de compétence, d'indépendance et d'impartialité des juges;

Désireux de voir les statuts des juges des différents Etats européens prendre en compte ces dispositions pour assurer concrètement le meilleur niveau de garanties,

Ont adopté la présente Charte européenne sur le statut des juges.

1.         PRINCIPES GÉNÉRAUX

1.1.      Le statut des juges tend à assurer la compétence, l'indépendance et l'impartialité que toute personne attend légitimement des juridictions et de chacun et chacune des juges auxquels est confiée la protection de ses droits. Il exclut tout dispositif et toute procédure de nature à altérer la confiance en cette compétence, cette indépendance et cette impartialité. La présente Charte comporte ci-après les dispositions qui sont les mieux à même de garantir la réalisation de ces objectifs. Ces dispositions visent à l'élévation du niveau des  garanties dans les  différents Etats européens. Elles ne peuvent justifier des modifications des statuts nationaux tendant à faire régresser le niveau des garanties déjà atteint dans les pays concernés.

1.2.      Dans chaque Etat européen, les principes fondamentaux du statut des juges sont énoncés dans les normes internes du niveau le plus élevé et ses règles dans des normes du niveau au moins législatif.

1.3.      Pour toute décision affectant la sélection, le recrutement, la nomination, le déroulement de la carrière ou la cessation de fonctions d'un juge ou d'une juge, le statut prévoit l'intervention d'une instance indépendante du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif au sein de laquelle siègent au moins pour moitié des juges élus par leurs pairs suivant des modalités garantissant la représentation la plus large de ceux-ci.

1.4.      Le statut offre à tout juge ou toute juge qui estiment que leurs droits statutaires, ou plus généralement leur indépendance ou celle de la justice sont menacés ou méconnus d'une manière quelconque la possibilité de saisir une telle instance indépendante disposant de moyens effectifs pour y  remédier ou pour proposer d'y remédier.

1.5.      Le ou la juge doivent faire preuve dans l'exercice de leurs fonctions de disponibilité et de respect des personnes en veillant à maintenir le haut niveau de compétence qu'exige en toute circonstance le jugement des affaires, jugement dont dépend la garantie des droits individuels, et à préserver les secrets dont la garde leur est confiée légalement.

1.6.      L'Etat a le devoir d'assurer au juge ou à la juge les moyens nécessaires au bon accomplissement de leur mission et notamment au traitement des affaires dans un délai raisonnable.

1.7.      Les organisations professionnelles constituées par les juges et auxquelles ils peuvent tous librement adhérer contribuent notamment à la défense des droits qui sont conférés à ceux-ci par leur statut, en particulier auprès des autorités et instances qui interviennent dans les décisions les concernant.

1.8.      Les juges sont associés par leurs représentants et leurs organisations professionnelles aux décisions relatives à l'administration des juridictions, à la détermination de leurs moyens et à l'affectation de ceux-ci sur le plan national et sur le plan local. Ils sont consultés, dans les mêmes conditions, sur les projets de modification de leur statut et sur la définition des conditions de leur rémunération et de leur protection sociale.

2.         SÉLECTION, RECRUTEMENT, FORMATION INITIALE

2.1.      Les règles du statut relatives à la sélection et au recrutement des juges fondent le choix, par une instance ou un jury indépendants, des candidats sur leur capacité à apprécier librement et de façon impartiale les situations judiciaires qui leur seront soumises et à y faire application du droit dans le respect de la dignité des personnes. Elles excluent qu'un candidat ou une candidate puissent être écartés sur une considération déterminante tenant à leur sexe, à leur origine ethnique ou sociale ainsi qu'à leurs opinions philosophiques et politiques et à leurs convictions religieuses. 

2.2.      Le statut prévoit les conditions dans lesquelles est garantie, par des exigences liées aux diplômes obtenus ou à une expérience antérieure, l'aptitude à l'exercice spécifique des fonctions judiciaires.

2.3.      Le statut assure au moyen de formations appropriées prises en charge par l'Etat la préparation des candidats choisis à l'exercice effectif de ces fonctions. L'instance visée au point 1.3. veille à l'adéquation des programmes de formation et des structures qui les mettent en oeuvre aux exigences d'ouverture, de compétence et d'impartialité liées à l'exercice des fonctions judiciaires.

3.         NOMINATION, INAMOVIBILITÉ

3.1.      La décision de nomination en qualité de juge d'un candidat ou d'une candidate sélectionnés et la décision les affectant à un tribunal  sont prises par l'instance indépendante visée au point 1.3 ou sur sa proposition ou sa recommandation ou avec son accord ou après son avis.

3.2       Le statut détermine les situations dans lesquelles les activités antérieures d'un candidat ou d'une candidate ou celles exercées par leurs proches font obstacle, en raison des doutes qu'elles peuvent légitimement et objectivement susciter sur leur impartialité ou leur indépendance, à une affectation  à un tribunal.

3.3.      Lorsque la procédure de recrutement prévoit une période d'essai, nécessairement courte,  postérieure à la nomination en qualité de juge avant que celle-ci ne soit confirmée à titre définitif, ou lorsque le recrutement s'effectue pour une durée limitée pouvant être renouvelée, la décision de ne pas nommer définitivement ou de ne pas renouveler ne peut être prise que par l'instance indépendante visée au point 1.3 ou sur sa proposition ou  sa recommandation ou avec son accord ou après son avis. Les dispositions du point 1.4 sont aussi applicables à la personne soumise à une période d'essai.

3.4.      Le ou la juge en fonction dans un tribunal ne peuvent en principe faire l'objet d'une nouvelle nomination ou d'une nouvelle affectation, même en promotion, sans y avoir librement consenti. Il ne peut être fait exception à ce principe que dans le cas où le déplacement a été prévu à titre de sanction disciplinaire et a été prononcé, dans celui d'une modification légale de l'organisation judiciaire et dans celui d'une affectation temporaire  pour renforcer un tribunal voisin, la durée maximale d'une telle affectation étant strictement limitée par le statut  sans préjudice de l'application des dispositions du point 1.4.

4.         DÉROULEMENT DE LA CARRIÈRE

4.1.      Lorsqu'il n'est pas basé sur l'ancienneté, un système de promotion est exclusivement fondé sur les qualités et les mérites constatés dans l'exercice des fonctions confiées au juge ou à la juge au moyen d'évaluations objectives effectuées par un ou plusieurs juges et discutées avec le ou la juge intéressés. Les décisions de promotion sont alors prononcées par l'instance visée au point 1.3 ou sur sa proposition, ou avec son accord. Le ou la juge qui ne sont pas proposés en vue d'une promotion doivent pouvoir former une réclamation devant cette instance.

4.2.      Le ou la juge exercent librement les activités extérieures à leur mandat, dont celles qui sont l'expression de leurs droits de citoyen ou de citoyenne. Cette liberté ne peut être limitée que dans la mesure où des activités extérieures sont incompatibles avec la confiance en l'impartialité et l'indépendance du juge ou de la juge ou avec la disponibilité requise pour traiter avec attention et dans un délai raisonnable les affaires qui leur sont soumises. L'exercice d'une activité extérieure autre que littéraire et artistique devant donner lieu à une rémunération doit faire l'objet d'une autorisation préalable dans des conditions fixées par le statut.

4.3.      Le ou la juge doivent s'abstenir de tout comportement, acte ou manifestation de nature à altérer effectivement la confiance en leur impartialité et leur indépendance.

4.4.      Le statut garantit au juge ou à la juge l'entretien et l'approfondissement des connaissances tant techniques que sociales et culturelles nécessaires à l'exercice de leurs fonctions par l'accès régulier à des formations dont l'Etat assure la prise en charge et veille à l'organisation dans le respect des conditions visées au point 2.3.

5.         RESPONSABILITÉ

5.1.      Le manquement par un juge ou une juge à l'un des devoirs expressément définis par le statut ne peut donner lieu à une sanction que sur la décision, suivant la proposition,  la recommandation ou avec l'accord d'une juridiction ou d'une instance comprenant au moins pour moitié des juges élus, dans le cadre d'une procédure à caractère contradictoire où le ou la juge poursuivis peuvent se faire assister pour leur défense. L'échelle des sanctions suceptibles d'être infligées est précisée par le statut et son application est soumise au principe de proportionnalité. La décision d'une autorité exécutive, d'une juridiction ou d'une instance visée au présent point prononçant une sanction est susceptible d'un recours devant une instance supérieure à caractère juridictionnel.

5.2.      La réparation des dommages supportés de façon illégitime à la suite de la décision ou du comportement d'un juge ou d'une juge dans l'exercice de leurs fonctions est assurée par l'Etat. Le statut peut prévoir que l'Etat a la possibilité de demander, dans une limite déterminée, le remboursement au juge ou à la juge par la voie d'une action juridictionnelle dans le cas d'une méconnaissance grossière et inexcusable par ceux-ci des règles dans le cadre desquelles s'exerçait leur activité. La saisine de la juridiction compétente doit faire l'objet d'un accord préalable de l'instance visée au point 1.3.

5.3.      Toute personne doit avoir la possibilité de soumettre sans formalisme particulier sa réclamation relative au dysfonctionnement de la justice dans une affaire donnée à un organisme indépendant. Cet organisme a la faculté, si un examen prudent et attentif fait incontestablement apparaître un manquement tel que visé au point 5.1 de la part d'un juge ou d'une juge, d'en saisir l'instance disciplinaire ou à tout le moins de recommander une telle saisine à une autorité ayant normalement compétence, suivant le statut, pour l'effectuer.

6.         RÉMUNÉRATION, PROTECTION SOCIALE

6.1.      L'exercice à titre professionnel des fonctions judiciaires donne lieu à une rémunération du juge ou de la juge dont le niveau est fixé de façon à les mettre à l'abri de pressions visant à influer sur le sens de leurs décisions et plus généralement sur leur comportement juridictionnel en altérant ainsi leur indépendance et leur impartialité.

6.2.      La rémunération peut varier en fonction de l'ancienneté, de la nature des fonctions auxquelles le ou la juge exerçant à titre professionnel ont été affectés ou encore de l'importance des charges qui leur sont imposées, appréciées dans des conditions transparentes.

6.3.      Le statut prévoit la garantie du juge ou de la juge exerçant à titre professionnel contre les risques sociaux liés à la maladie, la maternité, l'invalidité, la vieillesse et le décès.

6.4.      En particulier, le statut assure au juge ou à la juge qui ont atteint l'âge légal de cessation de leurs fonctions après les avoir accomplies à titre professionnel pendant une durée déterminée le versement d'une pension de retraite dont le niveau doit être aussi proche que possible de celui de leur dernière rémunération d'activité juridictionnelle.

7.         CESSATION DES FONCTIONS

7.1.      Le ou la juge cessent définitivement d'exercer leurs fonctions par l'effet de la démission, de l'inaptitude physique constatée sur la base d'une expertise médicale, de la limite d'âge, du terme atteint par leur mandat légal ou de la révocation prononcée dans le cadre d'une procédure telle que visée au point 5.1.

7.2.      La survenance d'une des causes visées au point 7.1., autre que la limite d'âge ou le terme du mandat légal, doit être vérifiée par l'instance visée au point 1.3.



EXPOSÉ DES MOTIFS

DE LA

CHARTE EUROPÉENNE

SUR LE STATUT DES JUGES

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1.         PRINCIPES GÉNÉRAUX

            Le champ d’application de la charte européenne comprend non seulement les juges professionnels mais aussi les juges non professionnels. Il est apparu en effet important que certaines garanties attachées notamment au recrutement des juges, aux incompatibilités, au comportement en dehors des fonctions ou à la cessation de celles-ci s’appliquent à tous les juges.

            La charte signale cependant de façon expresse les dispositions qui sont appelées à s’appliquer spécifiquement aux juges professionnels, cette spécificité étant d’ailleurs inhérente à certaines notions telles que la carrière, par exemple.

            Les dispositions de la Charte concernent le statut des juges composant toutes les juridictions auxquelles les personnes sont amenées à soumettre leur cause ou qui sont appelées à juger leur cause, que ces juridictions soient qualifiées de civiles, pénales, administratives ou autrement.

1.1.      La charte entend définir le contenu du statut des juges par rapport à des objectifs qu’il s’agit d’atteindre : assurer la compétence, l’indépendance et l’impartialité que toute personne est en droit d’attendre des juridictions et de chacun et chacune des juges dont est rappelée la mission de protection des droits des personnes. Le statut n’est donc pas une fin en soi mais un moyen d’assurer aux personnes dont la protection des droits est confiée aux juridictions et aux juges des garanties nécessaires à l’effectivité de cette protection.

            Ces garanties au profit des personnes résident dans la compétence, au sens de savoir-faire, l’indépendance et l’impartialité, références positives, puisque le statut des juges doit tendre à les assurer, et négatives, puisqu’il doit exclure tout ce qui pourrait altérer la confiance en leur existence.

            La question s’est posée de savoir si les dispositions de la charte devaient se présenter comme impératives, c’est-à-dire devant figurer obligatoirement dans les statuts nationaux des juges, ou si elles avaient la valeur de recommandations ne faisant pas obstacle à l’application d’autres dispositions considérées comme permettant d’assurer des garanties équivalentes.

            Cette dernière solution pouvait être inspirée par le souci de ne pas stigmatiser des systèmes nationaux où, au-delà de modalités juridiques peu marquées par des préoccupations de protection statutaire des juges, la pratique ancienne et constante aboutit cependant à ce que les garanties soient effectives.

            Mais on a aussi fait valoir le point de vue selon lequel l’absence de dispositifs de type statutaire assortissant l’exercice, par des autorités politiques, de pouvoirs en matière de nomination, d’affectation, de promotion ou de cessation de fonctions se traduisait, dans l’expérience d’un assez grand nombre de pays dont ceux ayant récemment adhéré au Conseil de l’Europe, par l’ineffectivité des garanties de compétence, d’indépendance et d’impartialité.

            C’est pourquoi, sans donner à ses dispositions un caractère proprement impératif, la charte les présente comme étant les mieux à même de garantir la réalisation des objectifs précédemment énoncés.

            Beaucoup de dispositions de la charte ne peuvent s’appliquer dans les systèmes où les juges sont directement élus par les citoyens. Il n’était pas possible d’élaborer la Charte en ne retenant que des dispositions compatibles avec de tels systèmes d’élection, car on aurait alors abouti à un « plus petit commun dénominateur » fort modeste. La Charte ne se propose pas non plus « d’invalider » en quelque sorte les systèmes d’élection qui peuvent être regardés, par les ressortissants des pays où ils sont mis en oeuvre, comme la quintessence de la démocratie. Il y a lieu de considérer que ses dispositions s’appliquent autant que cela est possible aux systèmes d’élections des juges. Par exemple, les dispositions des points 2.2. et 2.3. (première phrase) sont certainement applicables par rapport à de tels systèmes, où elles apportent des garanties heureuses.

            Les dispositions de la Charte visent à l'élévation du niveau des garanties dans les différents Etats européens, élévation dont l'importance dépendra du niveau déjà atteint dans ces pays. Mais les dispostions de la Charte ne peuvent en aucune manière servir de fondement à des modifications des statuts nationaux qui tendraient au contraire à faire régresser, reculer, le niveau des garanties déjà atteint dans tel ou tel pays.

1.2.      L’importance du statut des juges, auquel est liée la garantie de la compétence, de l’indépendance et de l’impartialité des juges et des juridictions, conduit à faire figurer ses principes fondamentaux dans les normes internes du niveau le plus élevé, c’est-à-dire, pour les Etats européens disposant d’une constitution rigide, dans cette constitution. Les règles du statut seront quant à elles inscrites dans des normes du niveau au moins législatif, qui sera en même temps le niveau le plus élevé pour un Etat doté d’une constitution souple.

            Ces exigences tenant au niveau normatif requis pour l’inscription des principes fondamentaux et pour celle des règles empêchent que les uns et les autres puissent être modifiés par des procédures expéditives non proportionnées aux enjeux en cause. En particulier, le niveau constitutionnel des principes fondamentaux doit empêcher que la législation adopte des dispositions ayant pour objet ou pour effet de les méconnaître.

            En indiquant le niveau normatif requis dans l’ordre interne, la charte ne préjuge pas du respect qui est dû, dans cet ordre, aux dispositions protectrices contenues dans des instruments internationaux contraignants pour les Etats européens. Elle dispense d’autant moins de leur respect qu’elle se réfère aux principaux d’entre eux, ainsi qu’il a été indiqué dans le préambule, comme une source d’inspiration.

1.3.      La charte prévoit l'intervention d’une instance indépendante du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif pour toute décision affectant la sélection, le recrutement, la nomination, le déroulement de la carrière ou la cessation de fonctions d’un ou d'une juge.

            La formulation retenue vise à couvrir des situations variées, qui vont du conseil donné par l’instance indépendante à un organe du pouvoir exécutif ou du pouvoir législatif jusqu’à la prise de décision elle-même par l’instance indépendante.

            Il devait être tenu compte à cet égard de certaines différences entre les systèmes nationaux. Dans certains d’entre eux, il serait difficilement admis qu’une instance indépendante se substitue à l’autorité politique de nomination. Mais l’obligation posée, dans un tel cas, de recueillir au moins la recommandation ou l’avis d’une instance indépendante ne peut manquer

d’avoir un effet très incitatif, sinon en pratique contraignant, pour l’autorité politique de nomination. Dans l'esprit de la Charte, les recommandations ou avis de l'instance indépendante ne constituent des garanties que s'ils sont de façon générale suivis dans la pratique. L'autorité politique ou administrative qui ne suivrait pas une telle recommandation ou un tel avis devrait à tout le moins être tenue de faire connaître les motifs de ce refus.

            La charte retient une formulation où l’intervention de l’instance indépendante pourra prendre aussi bien la forme d’un avis simple que d’un avis conforme, d'une recommandation, d’une proposition ou encore d’une décision.

            La question de la composition de l’instance indépendante s’est posée. La charte a retenu une formulation suivant laquelle siègent dans cette instance au moins pour moitié des juges élus par leurs pairs. Elle n’a donc pas voulu permettre que les juges soient minoritaires au sein de l’instance indépendante, mais elle n’a pas non plus entendu imposer qu’ils y soient majoritaires. En présence de conceptions différentes et de débats philosophiques dans les Etats européens, il a semblé que la référence à un plancher minimum d’une moitié de juges assurait un niveau de garanties appréciable tout en respectant les considérations de principe qui peuvent s’exprimer dans tel ou tel système national.

            La charte indique que les juges siégeant au sein de l’instance indépendante sont élus par leurs pairs. Elle a considéré que l’indépendance qui doit s’attacher à l’instance en question excluait que les juges y siégeant soient élus ou désignés par une autorité politique appartenant au pouvoir exécutif et au pouvoir législatif.

            Une telle formule serait en effet de nature à conférer un caractère partisan à la désignation et au rôle des juges. Il n’est pas précisément attendu des juges appelés à siéger au sein de l’instance indépendante qu’ils s’efforcent d’obtenir la faveur de partis politiques ou d’organes devant eux-mêmes leur désignation ou leur élection à de tels partis ou à leur action.

            Enfin, sans imposer un mode de scrutin particulier, la Charte indique que les modalités de l'élection des représentants des juges au sein de cette instance doivent assurer la représentation la plus large de ceux-ci.

1.4.      La charte consacre le « droit au recours » du juge ou de la juge qui estiment que leurs droits statutaires ou plus généralement leur indépendance ou celle de la justice sont menacés ou méconnus d’une manière quelconque devant une instance indépendante telle que celle qui a été précédemment examinée.

            Ainsi, le ou la juge ne sont pas désarmés face à une atteinte à leur indépendance. Le droit au recours est une garantie nécessaire, car l’affirmation de principes protecteurs n’est qu’un voeu pieux s’il n’existe pas en toute circonstance de mécanismes permettant de garantir leur application effective. L’intervention de l’instance indépendante dans toute décision concernant le statut individuel du juge ou de la juge ne couvre pas forcément toutes les hypothèses où l’indépendance de ceux-ci peut se trouver affectée, et il est indispensable que la saisine de cette instance puisse aussi intervenir sur l’initiative du  juge ou de la juge eux-mêmes.

            La charte précise que l’instance indépendante ainsi saisie doit disposer de moyens effectifs pour remédier elle-même, ou proposer à l’autorité compétente de remédier à la situation affectant l’indépendance du juge ou de la juge. Cette formule tient compte de la diversité des systèmes nationaux, étant observé que la seule recommandation d’une instance indépendante à propos d’une situation individuelle a nécessairement un effet très incitatif en pratique sur l’autorité à laquelle elle s’adresse.

1.5.      La charte énonce les principaux devoirs du juge ou de la juge dans et pour l’exercice de leurs fonctions. La disponibilité se réfère à la fois au temps nécessaire pour juger convenablement les affaires et à l’état d’esprit attentif, en éveil, qui est évidemment requis dans une tâche aussi importante, puisque c’est au travers du jugement des affaires qu’est assurée la garantie des droits individuels. Le respect des personnes s’impose particulièrement dans la situation de pouvoir qui est celle du juge ou de la juge, et il s’impose d’autant plus que les individus se présentent souvent devant la justice dans un état de fragilité personnelle. Le devoir de préserver les secrets dont la garde est légalement confiée au juge ou à la juge est également mentionné. Enfin, il est indiqué que le ou la juge doivent veiller à maintenir le haut niveau de compétences qu’exige en toute circonstance le jugement des affaires. C’est dire à la fois que le haut niveau de compétence, de savoir faire, sont pour le ou la juge une exigence de tous les instants dans l’examen et le jugement des affaires, et qu’il leur incombe de maintenir ce haut niveau sous réserve de l’accès qui doit leur être assuré, comme cela sera précisé, à des actions de formation.

1.6.      La Charte précise que l'Etat a le devoir d'assurer au juge ou à la juge les moyens nécessaires au bon accomplissement de leur mission, et notamment au traitement des affaires dans un délai raisonnable.

            Sans l'indication expresse de cette obligation à la charge de l'Etat, les dispositions relatives à la responsabilité des juges verraient leurs justifications s'altérer.

1.7.      La Charte reconnaît le rôle des organisations professionnelles constituées par les juges et auxquelles tous les juges doivent pouvoir librement adhérer, ce qui exclut toute discrimination dans le droit d’en faire partie, en indiquant qu’elles contribuent à la défense des droits statutaires des juges auprès des autorités et instances qui interviennent dans les décisions les concernant. Il n’est donc pas possible d’interdire aux juges de constituer de telles organisations professionnelles ni d’y adhérer.

            La Charte, sans leur donner d’exclusivité dans la défense des droits statutaires des juges, indique que leur contribution à cette défense auprès des autorités et des instances intervenant dans les décisions concernant les juges doit être reconnue et respectée. Ceci s’applique notamment en ce qui concerne l’instance indépendante qui a été visée au point 1.3.

1.8.      La Charte prévoit que les juges sont associés, par leurs représentants, notamment au sein de l’instance visée au point 1.3, et par leurs organisations professionnelles, aux décisions relatives à l’administration des juridictions, à la détermination de leurs moyens et à l’affectation de ceux-ci sur le plan national et sur le plan local.

            Sans prendre parti sur une forme juridique déterminée ni sur un degré de contrainte, il s’agit d’associer les juges à l’établissement du budget consacré à la justice prise globalement et aux différentes juridictions prises individuellement, ce qui implique des procédures de consultation ou de représentation au niveau national et au niveau local. Ceci s’applique aussi plus largement à l’administration de la justice et à celle des juridictions. La charte n’exige pas que cette administration incombe aux juges, mais elle impose qu’ils n’en soient pas tenus à l’écart.

            La consultation des juges, par leurs représentants ou leurs organisations professionnelles, sur les projets de modification de leur statut ou la définition des conditions de leur rémunération et de leur protection sociale, y compris la pension de retraite, doit permettre que les juges ne soient pas tenus à l’écart de la préparation des décisions dans ces domaines sans, cependant, qu’il y ait empiétement sur le pouvoir de décider dévolu aux instances nationales constitutionnellement compétentes.

2.         SÉLECTION, RECRUTEMENT, FORMATION INITIALE

2.1.      La sélection et le recrutement des juges doivent relever d’un choix effectué parmi les candidats par une instance ou un jury indépendants. Il n’est pas précisé qu’il doit s’agir de l’instance visée au point 1.3, ce qui ménage la possibilité de recourir par exemple au système du jury de concours ou de la commission de sélection dès lors qu’ils sont indépendants. En pratique, la procédure de sélection est souvent distincte de la procédure de nomination proprement dite. Il est important de préciser les garanties spécifiques s’attachant à la procédure de sélection.

            Le choix effectué par l’instance de sélection doit reposer sur des critères en relation avec la nature des fonctions qu’il s’agit d’exercer.

            Il s’agit d’abord d’évaluer la capacité des candidats à apprécier librement les situations qui sont soumises à un juge ou une juge, ce qui évoque la liberté d’esprit. L'aptitude à faire preuve de l'impartialité indispensable à l'exercice des fonctions judiciaires est aussi un élément essentiel. La capacité à faire application du droit renvoie à la fois à la connaissance du droit et à l’aptitude à le mettre en pratique, ce qui n’est pas la même chose. La sélection doit enfin s’assurer de la capacité des candidats à imprégner leur comportement de juge du respect de la dignité des personnes, qui est essentiel dans une relation de pouvoir et face à des individus qui se présentent devant la justice souvent en situation de difficulté.

            Enfin, la sélection ne peut reposer sur des critères de discrimination fondés sur le sexe, l’origine ethnique ou sociale, les opinions philosophiques et politiques, les convictions religieuses.

2.2.      Il est nécessaire, afin de garantir l’aptitude à exercer les fonctions de juge, qui ont un caractère spécifique, que les règles statutaires relatives à la sélection et au recrutement posent des exigences quant aux diplômes obtenus ou à une expérience antérieure, ce qui est le cas, par exemple, du mode de recrutement où l’exercice de fonctions à caractère juridique ou judiciaire pendant un certain nombre d’années est posé comme condition.

2.3.      Le caractère spécifique des fonctions de juge, où il s’agit d’intervenir dans des situations complexes et souvent sensibles pour la dignité des personnes implique que l’on ne se contente pas de la vérification en quelque sorte abstraite de l’aptitude à être juge.

            Une préparation des candidats sélectionnés à l’exercice effectif des fonctions de juge au travers de formations adéquates est nécessaire. Ces formations doivent être prises en charge par l’Etat.

            La préparation, par ces formations, à rendre une justice indépendante et impartiale renvoie à la nécessité de certaines précautions, afin que la compétence, l'impartialité et l’indispensable ouverture se trouvent garanties tant dans le contenu des programmes de formation que dans le fonctionnement des structures qui assurent la mise en oeuvre de ces programmes. Il est donc prévu que l’instance visée au point 1.3 veillera à l'adéquation des programmes de formation et des structures qui les mettent en oeuvre aux exigences d'ouverture, de compétence et d'impartialité liées à l'exercice des fonctions judiciaires. Il faudra qu’elle dispose des moyens d’y veiller. Ceci veut dire que les règles du statut devront préciser les modalités d’un contrôle de cette instance par rapport aux impératifs en cause en ce qui concerne les programmes et leur mise en oeuvre par les structures de formation.

3.         NOMINATION, INAMOVIBILITÉ

3.1.      Les systèmes nationaux peuvent distinguer la procédure de sélection proprement dite de celle de nomination dans les fonctions de juge et de celle d’affectation d’une personne nommée juge à un tribunal déterminé. Il importe de préciser que la décision de nomination et celle d’affectation sont prises par l'instance indépendante visée au point 1.3. ou interviennent sur sa proposition ou sa recommandation ou avec son accord ou après son avis.

3.2.      La charte a envisagé la question des incompatibilités. Elle n’a pas retenu l’hypothèse des incompatibilités absolues qui feraient obstacle, pour des raisons liées aux activités antérieures d’un candidat ou d'une candidate ou à celles exercées par leurs proches, à une nomination en qualité de juge. En revanche, elle considère qu’il faut tenir compte, pour l’affectation à un tribunal, de circonstances telles qu’elles viennent d’être évoquées lorsqu’elles peuvent légitimement et objectivement susciter des doutes sur l'impartialité et l'indépendance du juge ou de la juge.

            A titre d’exemple, un avocat ou une avocate ayant précédemment exercé dans une ville ne peuvent certainement être affectés immédiatement comme juges dans cette même ville, et il est aussi difficilement concevable qu’une personne soit affectée comme juge au tribunal d’une ville dont son conjoint ou son père ou sa mère, par exemple, est le ou la maire ou le député ou la députée. Les règles statutaires doivent donc, pour l’affectation à un tribunal, prendre en considération les situations de nature à faire naître légitimement et objectivement des doutes sur l’indépendance et l’impartialité des juges.

3.3.      Dans certains systèmes nationaux, la procédure de recrutement prévoit une période d’essai postérieure à la nomination avant que celle-ci soit confirmée à titre définitif, et dans d’autres une durée limitée des fonctions susceptibles de renouvellement.

            Il est nécessaire, dans de tels cas, que la décision de ne pas nommer définitivement ou de ne pas renouveler ne soit prise que par l'instance indépendante visée au point 1.3., ou sur sa proposition, sa recommandation ou après son avis. Il est clair que les situations de période d’essai ou de renouvellement sont délicates sinon dangeureuses du point de vue notamment de l’indépendance et de l’impartialité du juge ou de la juge à l’essai espérant sa confirmation ou du juge ou de la juge souhaitant son renouvellement. Des garanties doivent donc être prévues à travers l’intervention de l’instance indépendante. Dans la mesure où la qualité de juge de la personne soumise à une période d'essai pourrait être discutée, la Charte précise que le droit au recours prévu au point 1.4. est applicable à une telle personne.

3.4.      La Charte consacre l’inamovibilité des juges, entendue comme l’impossibilité de donner à un juge ou une juge une nouvelle affectation, de nouvelles fonctions se substituant aux précédentes, sans que ceux-ci y aient librement consenti. Des exceptions doivent cependant être admises lorsque le déplacement du juge ou de la juge, prévu dans le statut national comme sanction disciplinaire, a été décidé dans ce cadre, lorsqu'intervient une modification légale de l'organisation judiciaire entraînant par exemple la suppression d'un tribunal et lorsque le ou la juge sont appelés à aller renforcer un tribunal voisin en situation de difficulté. Dans ce dernier cas, l’affectation temporaire doit être d’une durée limitée définie par le statut. Compte tenu, cependant, du caractère très sensible du déplacement d’un juge ou d'une juge auxquels ceux-ci n’ont pas consenti, il est rappelé que ceux-ci disposent, en vertu du point 1.4., d’un droit général au recours devant une instance indépendante qui peut être ainsi amenée à vérifier la légitimité du déplacement. C’est d’ailleurs aussi le droit au recours qui peut permettre de répondre à des situations qui n’ont pu être précisément prises en compte dans des dispositions de la charte et où un juge ou une juge se verraient surchargés afin de les empêcher en pratique de conduire normalement les procédures dont ils ont la charge.

4.         DÉROULEMENT DE LA CARRIÈRE

4.1.      Sauf lorsque les promotions sont conférées aux juges strictement sur la base de l’ancienneté, système que la Charte n’a nullement entendu exclure dans la mesure où il est considéré comme hautement protecteur de l’indépendance, mais qui implique dans les systèmes nationaux concernés que la qualité du recrutement soit garantie de façon absolue, il est important de veiller à ce que, à travers la question de la promotion, l’indépendance et l’impartialité du juge ou de la juge ne se trouvent pas atteintes. On doit préciser que ce qui est à craindre ici, c’est autant le ou la juge illégitimement bloqués dans leurs promotions que ceux excessivement récompensés.

            C’est pourquoi la Charte définit les critères de promotion exclusivement comme étant les qualités et les mérites constatés dans l’exercice des fonctions confiées au juge ou à la juge, appréciés au moyen d’évaluations objectives effectuées par un ou plusieurs juges, étant ajouté que ces évaluations doivent faire l’objet d’une discussion avec les intéressés.

            C’est sur la base de la connaissance de ces évaluations que les promotions sont prononcées par l'instance indépendante visée au point 1.3. ou sur sa proposition, sa recommandation ou avec son accord ou après son avis. Il est expressément prévu que le ou la juge qui ne font pas l’objet d’une présentation en vue d'une promotion soumise à cet examen de l'instance indépendante doivent pouvoir former une réclamation devant cette instance.

            Les dispositions du point 4.1. n’ont naturellement pas vocation à s’appliquer dans les systèmes où il n’existe pas de promotion ni de hiérarchie des juges, systèmes qui sont aussi à cet égard hautement protecteurs de l'indépendance.

4.2.      La Charte a envisagé ici la question des activités menées parallèlement aux fonctions judiciaires. Elle a prévu que le ou la juge exercent librement les activités extérieures à leur mandat, dont celles qui sont l'expression de leurs droits de citroyen ou de citoyenne. Cette liberté, qui constitue le principe, ne saurait se trouver limitée que dans la seule mesure où des  activités extérieures seraient incompatibles soit avec la confiance en leur impartialité et leur indépendance, soit avec la disponibilité requise pour traiter avec attention et dans un délai raisonnable les affaires qui leur sont soumises. La Charte n’a pas pris parti sur les types précis d’activités. Une appréciation concrète est nécessaire au regard des effets défavorables des activités extérieures sur les conditions d’exercice des fonctions judiciaires. La Charte a prévu que le ou la juge doivent solliciter l'autorisation d' exercer des activités, autres que littéraires ou artistiques, lorsqu'elles doivent donner lieu à rémunération.

4.3.      La Charte a abordé ici la question de ce que l’on appelle parfois la « réserve » du juge ou de la juge. Elle a retenu une position qui découle de l’article 6 de la Convention européenne des Droits de l’Homme et de la jurisprudence de la Cour européenne relative à cette disposition en énonçant que le ou la juge doivent s’abstenir de tout comportement, acte ou manifestation de nature à altérer effectivement la confiance en leur impartialité et leur indépendance. En se référant au risque d’une altération effective, la Charte permet d’éviter des rigidités excessives qui aboutiraient à une mise à l’écart du  juge ou de la juge de la société et de la citoyenneté.

4.4.      La Charte prévoit un « droit à la formation continue» du juge ou de la juge, qui doivent avoir régulièrement accès à des actions de formations prises en charge par l’Etat et visant à garantir au juge ou à la juge l’entretien et l’approfondissement de leurs connaissances tant techniques que sociales et culturelles. L’Etat doit veiller à l’organisation de ces actions de formation dans le respect des conditions visées au point 2.3., qui sont relatives au rôle de l’instance indépendante visée au point 1.3. pour garantir l'adéquation du contenu des actions de formation et des structures qui les mettent en oeuvre aux exigences d'ouverture, de compétence et d'impartialité.

            Les dispositions figurant aux points 2.3. et 4.4. relatives à la formation définissent des garanties de façon suffisamment souple pour pouvoir s’adapter à la variété des systèmes nationaux en matière de formation : école relevant administrativement du ministère de la Justice, structure placée auprès du Conseil supérieur de la Magistrature, fondation de droit privé, etc.

5.         RESPONSABILITÉ

5.1.      La Charte envisage ici la responsabilité disciplinaire du juge ou de la juge. Elle se réfère tout d’abord au principe de légalité des sanctions disciplinaires en prévoyant que seuls peuvent donner lieu à sanction les manquements à l’un des devoirs expressément définis par le statut et que l’échelle des sanctions susceptibles d’être infligées est précisée par le statut. La Charte impose par ailleurs des garanties quant à la procédure disciplinaire : la sanction disciplinaire ne peut être prise que sur la décision, suivant la proposition, la recommandation ou avec l'accord d'une juridiction ou d'une instance comprenant au moins pour moitié des juges élus, et dans le cadre d’une procédure à caractère contradictoire où le ou la juge poursuivis peuvent se faire assister pour leur défense. Dans le cas où une sanction est prononcée, son choix dans l’échelle statutaire des sanctions est soumis au principe de proportionnalité. La Charte a enfin prévu un droit de recours devant une instance supérieure à caractère juridictionnel contre une décision prononçant une sanction lorsqu’elle a été prise par une autorité exécutive, une juridiction ou une instance composée au moins pour moitié de juges élus.

            Dans la formulation qu’elle a retenue, la Charte n’impose pas que ce recours puisse s’exercer dans le cas où la sanction a été prise par le Parlement.

5.2.      La Charte concerne ici la responsabilité pécuniaire, civile du juge ou de la juge. Elle pose en principe que la réparation des dommages supportés de façon illégitime à la suite de la décision ou du comportement d’un juge ou d'une juge dans l’exercice de leurs fonctions est assurée par l’Etat. Cela signifie que c’est l’Etat qui, vis-à-vis de la victime, est en toute hypothèse le garant de la réparation des dommages.

            En précisant que cette garantie de l’Etat s’applique aux dommages supportés de façon illégitime à la suite de la décision ou du comportement d’un juge ou d'une juge, la Charte ne se réfère pas de façon nécessaire au caractère fautif de la décision ou du comportement, mais insiste plutôt sur les dommages qui en sont le résultat et qui sont supportés « de façon illégitime ». Ceci est parfaitement compatible avec une responsabilité ne reposant pas sur la faute du juge ou de la juge, mais sur le caractère anormal, spécial et grave du dommage résultant de leur décision ou de leur comportement. Ceci est important au regard des préoccupations tenant à ce que l’indépendance juridictionnelle du juge ou de la juge ne soit pas affectée au travers d’un régime de responsabilité civile.

            La Charte prévoit par ailleurs que, lorsque le dommage que l’Etat a dû garantir est le résultat d’une méconnaissance grossière et inexcusable par le ou la juge des règles dans le cadre desquelles s’exerce leur activité, le statut peut donner à l’Etat la possibilité de leur demander, dans une limite que ce statut détermine, le remboursement de la réparation par la voie d’une action juridictionnelle. L’exigence d’une faute grossière et inexcusable, le caractère juridictionnel de l’action en remboursement, doivent constituer des garanties significatives pour éviter un détournement éventuel de la procédure. Une garantie supplémentaire est constituée par l'accord préalable que doit donner l'instance visée au point 1.3. à la saisine de la juridiction compétente.

5.3.      La Charte envisage ici la question des réclamations, des plaintes des justiciables à l’égard de dysfonctionnements de la justice.

            Le traitement des plaintes est plus ou moins organisé dans les Etats, et il n’est pas forcément très bien organisé.

            C’est pourquoi la Charte prévoit la possibilité pour toute personne de soumettre sans formalisme particulier sa réclamation relative à un dysfonctionnement de la justice dans une affaire donnée à un organisme indépendant. Dans le cas où un examen prudent et attentif ferait incontestablement apparaître à cet organisme indépendant un manquement de nature disciplinaire de la part d’un juge ou d'une juge, cet organisme aurait la faculté d’en saisir l’instance disciplinaire, ou au moins une autorité ayant compétence, suivant les règles du statut national, pour effectuer cette saisine. Ni cette instance, ni cette autorité ne serait contrainte d'adopter la même opinion que l'organisme saisi de la réclamation, et il en résulte donc des garanties sérieuses contre des risques de dévoiement de la procédure de réclamation par des justiciables voulant en réalité faire pression sur la justice.

            L’organisme indépendant dont il est question ne serait pas forcément conçu comme se consacrant spécifiquement à vérifier l’existence de manquements de la part des juges. Ceux-ci n’ont pas le monopole des dysfonctionnements de la justice. Il serait donc concevable que ce même organisme indépendant saisisse de façon analogue, lorsque cela lui parait justifié, l’instance disciplinaire ou l’autorité de poursuite des avocats, des fonctionnaires de justice, des huissiers, etc.

            Mais la Charte, consacrée au statut des juges, n’a à envisager plus précisément que la question d’une saisine concernant un juge ou une juge.

6.         RÉMUNÉRATION, PROTECTION SOCIALE

            Les dispositions envisagées sous cette rubrique ne concernent que les juges exerçant à titre professionnel.

6.1.      La Charte prévoit que l’exercice à titre professionnel des fonctions judiciaires donne droit à une rémunération au profit du juge ou de la juge et que le niveau de celle-ci doit être fixé de façon à les mettre à l’abri de pressions visant à influer sur le sens de leurs décisions et plus généralement sur leur comportement juridictionnel en altérant leur indépendance et leur impartialité.

            Il a paru préférable d’indiquer que le niveau de la rémunération devait être fixé de façon à mettre le ou la juge à l’abri de pressions plutôt que de prévoir une détermination de ce niveau par référence aux rémunérations versées aux titulaires de hautes fonctions au sein du pouvoir législatif ou du pouvoir exécutif, car les titulaires de ces fonctions sont loin d’être traités de façon comparable d’un système national à un autre.

6.2.      Le niveau de rémunération d’un juge ou d'une juge comparé à celui d’un autre ou d'une autre juge peut connaître des variations en fonction de l’ancienneté, de la nature des fonctions auxquelles ils ont été affectés ou encore de l’importance de charges qui leur sont imposées, comme les permanences de fin de semaine par exemple. Mais ces charges justifiant une rémunération plus élevée doivent être appréciées de façon transparente afin d’éviter des différences de traitement étrangères à des considérations tenant au travail accompli ou à la disponibilité requise.

6.3.      La Charte prévoit le bénéfice de la sécurité sociale, c’est-à-dire de la couverture des risques sociaux classiques qui sont la maladie, la maternité, l’invalidité, la vieillesse et le décès, au profit du juge ou de la juge.

6.4.      Elle précise à cet égard que le ou la juge qui ont atteint l’âge légal de cessation de leurs fonctions après les avoir exercées pendant une durée déterminée doivent bénéficier du versement d’une pension de retraite dont le niveau doit être aussi proche que possible de celui de la dernière rémunération d'activité juridictionnelle.

7.         CESSATION DES FONCTIONS

7.1.      Une vigilance est requise en ce qui concerne les conditions dans lesquelles un juge ou une juge sont amenés à cesser leurs fonctions. Il importe de déterminer de façon limitative les causes de cessation des fonctions. Ce sont la démission, l’inaptitude physique constatée sur la base d’une expertise médicale, la limite d’âge, le terme atteint par le mandat légal lorsque les fonctions s’exercent pour une durée légalement limitée, enfin la révocation prononcée dans le cadre de la responsabilité disciplinaire.

7.2.      Hormis les causes de cessation des fonctions qui peuvent être constatées sans difficulté, à savoir la limite d’âge ou le terme du mandat légal par écoulement de la durée de ce mandat, les autres causes de cessation des fonctions doivent, lorsqu’elles surviennent, être vérifiées par l’instance visée au point 1.3. Cette condition est réalisée de plano lorsque la cessation des fonctions résulte d'une révocation précisément décidée par cette instance, ou sur sa proposition, sa recommandation ou avec son accord.