Communication de Jean-Claude Frécon, Président du Congrès des Pouvoirs Locaux et Régionaux du Conseil de l’Europe

À l’occasion de l’échange de vues avec le Comité des Ministres

Strasbourg, 10 septembre 2015

Monsieur le Président, Monsieur le Secrétaire Général, Mesdames et Messieurs les Représentants Permanents, 

C’est un grand plaisir pour moi de vous retrouver pour cet échange de vues désormais régulier et toujours enrichissant.

Je profite de cette occasion pour féliciter la Secrétaire générale adjointe Gabriella Battaini-Dragoni pour sa réélection.

Notre dernière rencontre a eu lieu en octobre dernier, le lendemain de mon élection à la présidence du Congrès. C’était il y a presque un an et, arrivé à mi-mandat, je suis heureux de faire aujourd’hui avec vous un point sur notre action passée et à venir.

Je voudrais tout d’abord vous remercier d’avoir adopté la révision de la Charte du Congrès en juillet, ce qui va nous permettre de poursuivre nos efforts dans le sens d’une plus grande efficacité et d’une pertinence accrue de nos travaux.

L’activité du Congrès a été intense au cours de cette année mais j’aimerais m’arrêter avec vous sur trois dossiers en particulier qui nous ont fortement mobilisés: il s’agit de la crise des réfugiés et des migrants, de la radicalisation menant au terrorisme et de la situation en Ukraine.

1.         Les réfugiés et migrants

Le premier point que je voudrais mentionner est particulièrement douloureux puisqu’il engendre des drames humains au quotidien. Je veux parler des flux massifs de réfugiés et de migrants qui fuient la guerre et les persécutions pour espérer trouver un peu de sécurité sur notre continent européen.

Il s’agit d’un sujet qui s’est installé pour longtemps dans nos agendas politiques. Un sujet qui concerne certes le niveau européen et les gouvernements mais qui touche au premier chef les collectivités locales. Car c’est bien elles qui, une fois les frontières nationales franchies, sont principalement en charge de l’accueil d’urgence de ces populations démunies et désemparées.

Nous avons entendu lors de notre session de mars les maires de Calais et de Lampedusa, deux villes emblématiques en termes d’accueil d’urgence de réfugiés et de migrants. Elles sont venues exposer les difficultés qu’elles rencontrent. Des maires qui, comme de nombreux autres, sur la façade nord de la Méditerranée et en Europe centrale, se débattent afin d’assurer au quotidien les services minimums d’accueil, de soins, d’hébergement, de scolarisation… Nous allons tenir un nouveau débat lors de notre session d’octobre pour continuer à identifier les moyens de gérer cette situation au mieux sur le terrain.

Une réunion ministérielle extraordinaire de l’Union Européenne doit se tenir le 14 septembre sur ce sujet. L’Europe n’a que trop tardé et il devient impératif de mettre en place une politique d’accueil harmonisée, à l’image de la proposition de la Chancelière allemande et du Président français. Ce travail de solidarité entre les Etats de l’Union Européenne mais aussi ceux, plus larges, du Conseil de l’Europe, est indispensable. Nous savons qu’il faudra faire le même travail au sein de chaque pays entre toutes les collectivités territoriales.

Au-delà de l’accueil d’urgence, les collectivités territoriales ont également la responsabilité d’assurer et d’organiser l’accueil à plus long terme et l’intégration de ces nouvelles populations. Je constate que dans tous nos Etats, des élus de différents bords politiques ont exprimé leur solidarité et leur disponibilité à participer à cet effort collectif. Les réseaux et structures d’accueil ont commencé à s’organiser.

Le Congrès peut et doit aider les municipalités à gérer cette crise et je voudrais qu’il réfléchisse dès sa prochaine session à des mécanismes de répartition de la prise en charge des réfugiés et des migrants entre collectivités d’un même Etat, éventuellement fondés sur le volontariat ou sur des critères objectifs à définir et sur les lignes directrices qui définiront de tels mécanismes.

Je salue à cet égard l’initiative politique prise par l’Autriche, où, dès le mois d’octobre, les municipalités devront accueillir un nombre de réfugiés égal à 1.5% de leur population.

2.         La radicalisation pouvant mener au terrorisme

Le deuxième point que je souhaite évoquer devant vous est la radicalisation pouvant mener au terrorisme. Je voudrais rappeler brièvement le contexte. Les attentats terroristes commis dans plusieurs capitales depuis fin 2014 ont amené le Conseil de l’Europe, et ses différentes entités, sous l’impulsion du Secrétaire Général, à se pencher sur les causes de la radicalisation et les moyens de la prévenir. Dans le cadre du Plan d’action du Conseil de l’Europe, le Congrès a, pour sa part, adopté une stratégie qui comporte en particulier des lignes directrices et des propositions d’actions de prévention au niveau local. Notre Vice-Président et rapporteur Leen Verbeek, vous a présenté cette stratégie lors du débat thématique qui s’est tenu ici même le 19 mars dernier.

C’est sur la mise en œuvre de ces actions par les élus locaux que nous allons travailler dans les mois à venir, avec notamment la tenue le 20 novembre prochain d’une conférence à Rotterdam sur « la lutte contre l’extrémisme violent en Europe ». Rotterdam est un choix symbolique puisqu’il s’agit d’une des premières grandes villes dirigées par un Maire musulman d’origine maghrébine. Nous envisageons également la tenue d’un Sommet des Maires sur la radicalisation et ses conséquences au printemps 2016 et le lancement d’une campagne de sensibilisation à mettre en œuvre par les élus eux-mêmes sur le thème « apprendre à vivre ensemble et résister à l’incitation à la haine et à la violence ».

Au Congrès, notre souci permanent n’est pas de participer de façon théorique au débat général mais bien d’identifier les réponses spécifiques que les collectivités territoriales peuvent apporter, de voir en quoi leurs compétences propres, leur situation, celles de la proximité de terrain, peuvent contribuer à une résolution des problèmes que nous rencontrons dans ce domaine.

Dans ce dossier comme dans beaucoup d’autres, la lutte doit être menée sur plusieurs fronts. Contre la radicalisation pouvant mener au terrorisme, les gouvernements doivent assurer la sécurité, la protection et la répression. Les collectivités territoriales, elles, apportent leur fine connaissance du terrain, et elles ont une capacité concrète d’alerte précoce et d’action de prévention. Nous sommes convaincus que c’est la complémentarité entre tous les différents niveaux de la gouvernance, le niveau européen, national, régional et local, qui nous rendra collectivement efficaces et produira les résultats attendus.

Il s’agit d’un combat de longue haleine car, les chiffres nous le montrent, les radicalisés ou les personnes potentiellement radicalisables représentent une menace non négligeable dans nos villes, grandes et petites et il est important d’agir dès les premières manifestations. D’où l’utilité d’initiatives à petite échelle, telles que les cellules de déradicalisation fonctionnant en coordination entre les services sociaux, la police et la justice avec la coopération et l’implication de tous les acteurs, à tous les niveaux et notamment avec les élus locaux.

Je ne veux pas entrer ici dans plus de détails mais je suis convaincu que sur ce dossier, le potentiel d’efficacité à l’échelle locale est immense.

3.         L’Ukraine et le post-monitoring

Le troisième dossier que je souhaitais évoquer avec vous est celui de l’Ukraine. Le Congrès a entrepris, comme vous le savez, un dialogue de post-monitoring avec les autorités ukrainiennes dès mai 2014 et il a travaillé en étroite collaboration à la fois avec les ministres en charge de la décentralisation et avec la Commission constitutionnelle mise en place pour préparer la réforme de la Constitution et la loi sur la décentralisation. Nous sommes donc particulièrement heureux que la réforme constitutionnelle et, avec elle, la loi sur la décentralisation, ait été adoptée par le Parlement ukrainien le 31 août dernier, malgré les regrettables violences de manifestants qui auraient voulu entacher cette décision.

Notre dialogue post-monitoring a débouché sur la signature d’une feuille de route en mai à Kiev, entre le Congrès, que j’ai représenté, et le Vice Premier Ministre ZUBKO, en charge du Développement régional de l’Ukraine. C’est cette feuille de route qui a orienté la contribution du Congrès aux travaux de la Commission constitutionnelle. La réforme entreprise témoigne de la volonté du Président POROSHENKO et du gouvernement ukrainien d’engager un véritable processus de décentralisation. C’est, j’en suis convaincu, un grand pas en avant sur la voie de la démocratie.

A l’invitation des autorités ukrainiennes, nous allons également observer les élections locales du 25 octobre. Il s’agira d’une mission d’observation de grande ampleur, puisque des membres de l’Assemblée parlementaire participeront à la mission d’observation du Congrès et nous nous réjouissons de cette bonne collaboration entre nos deux Assemblées, dans le respect de nos compétences respectives.

Je remercie tout particulièrement les autorités ukrainiennes pour la bonne coopération et le dialogue fructueux que nous avons eu tout au long du processus que je viens de décrire. Et je remercie par la même occasion le gouvernement du Portugal, qui a signé hier une feuille de route de post-monitoring, ainsi que les gouvernements de l’Arménie, de la Géorgie et de la Moldova, qui ont ouvert un dialogue de post-monitoring avec le Congrès. La volonté croissante des gouvernements à engager un tel dialogue est pour nous un signal très positif quant à l’importance accordée par les Etats membres à la bonne santé de leur démocratie locale et régionale.

Vous le savez, Mesdames et Messieurs, nous avons renforcé nos procédures de monitoring et de post-monitoring et nous nous efforçons d’assurer le suivi de chaque Etat membre tous les cinq ou six ans, si nos ressources nous le permettent. C’est un programme ambitieux que nous estimons particulièrement utile pour consolider la démocratie dans nos 47 Etats membres.

C’est sur la base de ce monitoring politique, complété par l’observation des élections locales, que repose une grande partie des activités du Congrès. Je pense en particulier aux activités de coopération. Nous contribuons depuis plusieurs années maintenant aux plans d’action et aux programmes de coopération du Conseil de l’Europe dans les Etats membres et nous proposons notre expertise sur le terrain pour développer les compétences des élus locaux et leur connaissance des bonnes pratiques. Je voudrais remercier les Etats donateurs, notamment le Danemark et la Suisse, ainsi que l’Union Européenne, pour leur contribution financière à cet égard.

C’est donc à la fois sur le plan politique, par l’analyse et le dialogue, et sur le plan pratique, par l’intervention sur le terrain, que le Congrès met son expertise au service des Etats membres pour promouvoir et développer une démocratie locale et régionale de qualité.

J’espère, Mesdames et Messieurs les Représentants Permanents,  que les discussions qui vont s’ouvrir prochainement au Groupe de rapporteurs sur le budget prendront en compte la nécessité d’assurer au Conseil de l’Europe, et à ses différentes composantes, les ressources humaines et financières suffisantes pour lui permettre de remplir ses missions.

4.         La 29è session (20-22 octobre 2015)

Un mot enfin sur notre session qui s’ouvre le 20 octobre prochain. Nous poursuivrons notre réflexion sur le problème de l’accueil des réfugiés et des migrants, avec la participation, entre autres, du Maire de Kos en Grèce. Nous continuerons également la réflexion entamée à la session de mars sur la prévention de la radicalisation, là aussi avec des acteurs de terrain. Nous aurons des échanges avec le représentant du gouvernement de la Bosnie-Herzégovine au nom de la présidence du Comité des Ministres, avec le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, avec plusieurs ministres qui participeront aux débats sur le monitoring de leur pays. Nous célèbrerons également le 30ème anniversaire de l’ouverture à la signature de la Charte européenne de l’autonomie locale, ce texte fondamental, sur lequel repose l’ensemble de notre action.

Je suis maintenant à votre disposition, Mesdames et Messieurs les Représentants Permanents, pour répondre à vos questions.