DÉLÉGUÉS DES MINISTRES

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CM(2017)22-addfinal

23 mars 2017

1282e réunion, 22 mars 2017

10 Questions juridiques

 

10.2 Recommandation CM/Rec(2017)2 du Comité des Ministres aux États membres relative à la réglementation juridique des activités de lobbying dans le contexte de la prise de décision publique

Exposé des motifs

Point préparé par le GR-J lors de sa réunion du 16 mars 2017

 

Introduction

1.            La recommandation a pour objectif de promouvoir et d’accroître la transparence des activités de lobbying dans la prise de décision publique. Elle va au-delà du lobbying commercial et concerne toutes les formes de lobbying sur la prise de décision publique. En outre, son principe est bien plus vaste, puisqu’il envisage le lobbying comme une activité légitime qui n’est pas par principe illégale. En effet, le lobbying y est considéré comme un élément important et légitime du fonctionnement démocratique de nos systèmes politiques[1]. Il concerne les activités de tous les acteurs sociaux, publics et privés. Ce point est important, car il signifie que la recommandation ne porte pas uniquement sur les lobbyistes professionnels rémunérés et agissant pour le compte d’intérêts commerciaux privés, mais couvre plutôt les activités de la société civile et de toute autre personne ou entité qui fait campagne auprès de responsables publics. Comme l’a déclaré l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, « les acteurs extra-institutionnels – y compris les groupes d’intérêts et de pression, les syndicats et les organisations de consommateurs – font partie de toute société démocratique. Leurs activités de lobbying ne sont pas intrinsèquement illégitimes et peuvent même s’avérer bénéfiques au fonctionnement d’un système politique démocratique. Pourtant, les activités de lobbying, lorsqu’elles ne sont ni réglementées ni transparentes, peuvent saper les principes de la démocratie et de la bonne gouvernance. Les citoyens doivent savoir quels sont les acteurs ayant une influence sur la prise de décisions politiques. […] » [2]. Dans cette optique, la définition de ce qui constitue les activités de lobbying aux fins de la recommandation est d’une importance cruciale pour garantir que les droits légitimes à la liberté d’expression soient pleinement respectés et mis en œuvre.

2.            Les activités de lobbying semblent occuper une place croissante dans les Etats membres du Conseil de l’Europe. C’est assurément le cas pour le lobbying commercial. Les lobbyistes tentent d’influencer les acteurs publics de multiples manières, par exemple, en adressant des courriers individuels à des agents publics donnés, en présentant des exposés à des groupes d’agents publics, en soumettant des projets de rapports à des administrations, voire par le biais d’appels téléphoniques. L’objectif peut être d’amener à la formulation d’une nouvelle politique publique, qui bénéficiera à un groupe d’intérêt spécifique, ou au contraire d’empêcher qu’une nouvelle politique soit élaborée ou adoptée afin de maintenir le statu quo.Peu importe que la tentative d’exercer une influence produise les effets escomptés, ce qui est important, c’est que des acteurs privés tentent d’influencer des acteurs publics. Il est largement avéré que, dans tous les systèmes politiques démocratiques, les lobbyistes exercent une forte influence sur l’élaboration des politiques publiques et la prise de décision publique[3]. Le nombre des groupes d’intérêt actifs au niveau politique varie selon les pays et leur culture politique spécifique. Leur importance tient à leur connaissance intime des processus politiques nationaux et à leur capacité à mettre cette connaissance au service de leurs clients ou des intérêts qu’ils représentent. De plus, la complexité des décisions que les agents publics doivent prendre dans un État démocratique moderne, du point de vue de leur impact économique et social concernant parfois des millions de personnes, entraîne souvent que des agents publics prennent contact de leur propre initiative avec des groupes d’intérêt en vue de les consulter. Il en résulte que le public se préoccupe de plus en plus aux activités de lobbying et souhaite que les travaux des lobbyistes soient transparents.

3.            Le rôle que joue le lobbying dans la vie publique étant légitime, la réglementation du lobbying devrait chercher à renforcer sa transparence et sa responsabilité. Les enjeux et l’impact du lobbying sur la décision publique sont importants et requièrent inévitablement une réglementation que seul un nombre limité d’États membres du Conseil de l’Europe ont adoptée à ce jour. Plusieurs auteurs ont traité du thème de la réglementation du lobbying[4] et il est généralement admis que l’expression « réglementation du lobbying » renvoie à l’idée que les systèmes politiques ont établi des « règles » que les lobbyistes doivent respecter lorsqu’ils cherchent à influencer les agents publics et la nature des résultats des politiques publiques. Ces règles renforcent la transparence. En l’absence de réglementation, les principes démocratiques et la bonne gouvernance pourraient se trouver menacés. Il convient de souligner que les réglementations du lobbying envisagées dans la recommandation ne concernent pas la corruption. Celle-ci est un acte criminel et ne relève donc pas de leur champ d’application. De plus, les États membres du Conseil de l’Europe disposent déjà de réglementations spécifiques en la matière.

4.            Parce qu’elle fait mieux connaître les processus de décision publique dans des cas spécifiques et les influences qui s’exercent sur les résultats finaux, la promotion de la transparence et de la responsabilité par la réglementation du lobbying peut aussi contribuer plus généralement à renforcer la confiance de la population dans les systèmes politiques. De telles réglementations peuvent renforcer la légitimité du système politique, lutter contre le déclin de la confiance publique observée dans nombre de pays et même servir de base pour une plus large participation à la vie publique et à la prise de décision publique. Il est important de noter que les organisations de la société civile ont elles aussi travaillé et essayé d’améliorer la transparence des activités de lobbying[5].

5.            La réglementation sur le lobbying offrirait aussi à toutes les parties prenantes des règles du jeu plus équitables, même si cela ne signifie pas pour autant que tous les lobbyistes auraient une influence égale sur l’élaboration des politiques ; faire la lumière sur les activités de lobbying permettrait à tous les acteurs – des citoyens aux parties prenantes, en passant par les responsables politiques et les fonctionnaires – d’être tous pareillement informés du moment où une politique publique s’élabore, de l’objet du lobbying et de qui cherche à faire pression sur qui. Ainsi les acteurs de la vie politique seraient encore davantage tenus de rendre des comptes.

6.            La recommandation vient en complément des Principes de l’OCDE pour la transparence et l’intégrité des activités de lobbying, dont le 1er principe appelle les pays à « instaurer des règles du jeu équitables en accordant à toutes les parties prenantes un accès juste et équitable à l’élaboration et à la mise en œuvre des politiques publiques ». Selon le principe 2, les « lignes directrices concernant le lobbying devraient traiter les problèmes de gouvernance que soulèvent les pratiques de lobbying et respecter le contexte sociopolitique et administratif »[6].

7.            En 2010, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe appelait à « des activités de lobbying […] honnêtes […] afin de valoriser l’image des personnes impliquées dans les activités de lobbying »[7]. En même temps, elle appelait le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe à rédiger un Code européen de bonne conduite en matière de lobbying, qui comprendrait « des normes applicables […] aux membres des groupes de pression et aux entreprises devraient être établies, y compris le principe des conflits d’intérêts potentiels ». La présente recommandation est la réponse du Comité des Ministres à cet appel.


8.            La recommandation s’adresse aux États membres du Conseil de l’Europe et énonce plusieurs principes relatifs au champ d’application souhaitable pour les réglementations nationales, à la participation à la vie publique, à la transparence, aux registres de lobbyistes, au comportement éthique des lobbyistes, aux sanctions, à l’intégrité dans le secteur public et aux mécanismes de contrôle. Il appartient aux États membres de décider de la meilleure manière d’appliquer ces principes à la lumière de leur contexte national et situation spécifiques.

9.            La recommandation a été préparée par le Comité européen de coopération juridique (CDCJ) à la demande du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe. Ce travail incluait une consultation des acteurs concernés parmi les groupes de lobbyistes, les régulateurs et la société civile. Le CDCJ a examiné les résultats de cette consultation avant d’achever ses travaux et de soumettre la recommandation au Comité des Ministres pour adoption. La consultation comprenait deux éléments. Premièrement, une consultation écrite de plus de 500 personnes, dont les réponses présentaient une bonne représentativité géographique de 24 Etats membres du Conseil de l’Europe, et provenaient de branches nationales de Transparency International, de lobbyistes, de syndicats et organisations sectorielles, d’universitaires, d’autorités de régulation et d’ONG de la société civile. Deuxièmement, le CDCJ a tenu une audition d’une journée de représentants de 12 acteurs clés émanant de la société civile, du milieu des affaires, des lobbyistes et d’organes publics. La réunion s’est tenue à Strasbourg le 14 juin 2016. Elle a permis aux principaux acteurs d’échanger leurs vues et expériences dans ce domaine et de contribuer à l’élaboration de la recommandation.

Définitions

Lobbying

10.          Il n’existe pas de définition du lobbying qui soit universellement acceptée. Franck R. Baumgartner et Beth L. Leech ont fait observer que « le terme de lobbying est rarement utilisé deux fois de la même manière par ceux qui étudient le sujet »[8]. Ils définissent le lobbying comme « un effort pour influencer le processus politique »[9], tandis que selon A.J. Nownes, le lobbying est un « effort visant à influencer l’action du gouvernement »[10].

11.          Au sens de la présente recommandation, le terme « lobbying » désigne le fait de promouvoir des intérêts spécifiques par le biais d’une communication auprès d’un agent public, menée dans le cadre d’une action structurée et organisée visant à influencer la prise de décision publique. Cet intérêt spécifique peut, par exemple, être un intérêt « privé », comme ceux d’une entreprise qui souhaite que ses préférences en matière de politique publique soient prises en compte dans la législation. Parallèlement, il peut également s’agir de préoccupations de nature plus « publique », par exemple d’ordre environnemental. Par « action structurée et organisée », on entend une stratégie délibérée, planifiée, méthodique ou coordonnée, poursuivie par des lobbyistes afin d’influencer une politique et de promouvoir leur point de vue, généralement en s’appuyant sur une infrastructure ou une organisation. C’est cet élément qui distingue le lobbying d’autres actes d’influence ou de tentative d’influence. Bien que ces actes puissent concerner la prise de décision publique, il convient de les distinguer du lobbying car ce sont des actes isolés, non structurés et/ou spontanés, c’est-à-dire qu’ils ne font pas partie d’un plan préétabli.

12.          Il importe de noter que la recommandation est essentiellement centré[e] sur les éléments constitutifs des activités de lobbying, plutôt que sur l’identité du lobbyiste, quel qu’il puisse être. Cela signifie que les lobbyistes d’entreprises à but lucratif et les organisations de la société civile qui font du lobbying dans l’intérêt public sont inclus, comme l’illustre l’exemple suivant de construction d’autoroutes : dans ce cas, l’autorité publique risque de faire l’objet de pressions de la part tant des entreprises que de la société civile. Les lobbyistes des entreprises peuvent englober les entreprises du bâtiment qui souhaitent faire une offre pour le contrat de construction et les entreprises locales qui tireraient un avantage de la construction. Ces deux groupes d’intérêt feraient alors pression en faveur de la construction de la route pour leurs propres intérêts économiques. Les organisations de la société civile d’autre part peuvent englober deux groupes qui s’opposent. Premièrement, un groupe de résidents locaux qui pourrait tirer avantage de meilleures liaisons de transport routier et par conséquent faire pression en faveur du projet de construction. Deuxièmement, des associations écologistes préoccupées par les conséquences de l’ouvrage sur l’environnement ou la vie sauvage et qui feraient donc du lobbying contre le projet. Dans tous ces cas, tant les entreprises que les organisations de la société civile chercheraient pareillement à influer sur le processus décisionnel, même si le but des entreprises serait d’accroître leurs recettes, alors que les acteurs de la société civile défendraient soit l’intérêt public soit des intérêts privés.


13.          Le lobbying peut prendre de nombreuses formes dont quelques exemples sont donnés ci-dessous :

-                 dispenser des conseils ou présenter des exposés aux agents publics, de manière ponctuelle ou régulière ;

-                 soumettre aux agents publics des rapports contenant des détails spécifiques sur une politique proposée ;

-                 entretenir des contacts informels avec des responsables politiques ou des fonctionnaires (par exemple lors de déjeuners, de visites improvisées, d’appels téléphoniques) ;

-                 adresser des messages ciblés via les réseaux sociaux ou adresser de toute autre manière des informations ou documents en réponse ou non à une demande ;

-                 participer à des consultations publiques (ouvertes) ou restreintes (fermées) ;

-                 participer à des consultations formelles, par les canaux institutionnels ;

-                 participer à des auditions, notamment à celles des commissions parlementaires ;

-                 participer à une délégation ou à une conférence.

Lobbyiste

14.          Il n’existe pas de définition du terme « lobbyiste » qui soit universellement acceptée. Selon certains auteurs, comme K.G. Hunter et al., un lobbyiste est une « personne qui tente d’influer sur l’action législative »[11]. Pour d’autres, comme Raj Chari, John Hogan et Gary Murphy, il s’agit « d’individus ou de groupes ayant chacun des intérêts spécifiques et variés, qui cherchent à influencer les décisions au niveau politique »[12].

15.          Dans la présente recommandation, le terme de lobbyiste désigne toute personne physique ou morale qui se livre à des activités de lobbying lors de la prise de décision publique. Cette définition inclut les activités de lobbying à des fins privée, publique ou collective, rétribuées ou non, telle que spécifiées par Transparency International dans ses normes internationales pour la réglementation du lobbying[13]. Les lobbyistes et les intérêts qu’ils défendent sont innombrables. Il s’agit, dans la majorité des cas, de lobbyistes-conseil agissant pour le compte de tiers qui souhaitent une libéralisation accrue du secteur des télécom, d’entreprises (disposant d’un lobbyiste en interne) qui font directement pression pour faire baisser les charges fiscales des entreprises, d’associations d’agriculteurs qui usent de leur influence pour obtenir le plus de subventions possibles pour les produits agricoles ou encore d’associations de défense de l’environnement qui militent pour l’adoption de lois visant à contrôler les émissions de carbone.

16.          Il est à noter que, dans certains cas, des entreprises publiques, comme des sociétés d’électricité, des compagnies pétrolières ou aériennes, détenues entièrement ou partiellement par l’État, peuvent également faire du lobbying lors de la prise de décisions politiques, par exemple si une libéralisation est envisagée dans leur secteur ou si des fusions et des acquisitions doivent être approuvées. Il appartiendra à chaque État de déterminer s’il convient que ces intérêts soient couverts par les réglementations juridiques nationales relatives au lobbying.

Prise de décision publique

17.          Le terme « prise de décision publique » dans la recommandation désigne toute décision prise par les pouvoirs législatif et exécutif. Dans ce contexte, le pouvoir exécutif inclut non seulement le gouvernement lui-même mais aussi les divers ministères ainsi que les autorités locales et régionales. La prise de décision publique faisant souvent l’objet d’un lobbying comprend, sans s’y limiter :

-                 l’élaboration de toute proposition législative ;

-                 le dépôt, l’amendement, l’examen ou le rejet de tout projet de loi ou réglementation ;

-                 l’élaboration ou la modification de tout programme d’action ;

-                 l’attribution ou le retrait d’un contrat, subvention, autorisation, contribution ou autre avantage (par exemple de nature financière ou en nature comme une nomination à une charge publique).

18.          Le lobbying peut s’exercer dans tout domaine d’action où des décisions publiques sont prises. Il peut concerner des décisions prises au niveau national, régional ou local et viser divers agents publics. Au niveau local, par exemple, l’aménagement du territoire et l’occupation des sols sont des domaines importants de prise de décision.


Agent public

19.          Aux fins de la présente recommandation, le terme « agent public » désigne les personnes qui exercent une fonction publique, qu’il s’agisse d’élus, d’employés ou d’autres personnes. Cela recouvre un large groupe qui inclut les membres du pouvoir exécutif, les membres du parlement ou de l’assemblée législative, les fonctionnaires et les conseillers auprès d’élus (qui conçoivent aussi les politiques même s’ils ne sont pas fonctionnaires).

Réglementation juridique

20.          Il appartient à chaque État membre de déterminer le type de système et d’approche législative qui conviennent en vue de réglementer les activités de lobbying, en fonction de son contexte national et de sa situation spécifiques.

21.          Les systèmes d’« encadrement législatif et réglementaire » comprennent les règles établies par la législation et qui s’imposent aux lobbyistes et, le cas échéant, aux agents publics en contact avec eux. Ces systèmes prévoient des sanctions – administratives ou pénales – en cas de violation de la réglementation et peuvent aller de l’avertissement à l’amende voire, dans certains cas, à une peine de prison. Les systèmes d’encadrement législatif et réglementaire sont la norme pour les Etats qui ont adopté un cadre législatif et réglementaire sur le lobbying.

22.          Les systèmes d’« autoréglementation » permettent aux lobbyistes d’adopter leur propre réglementation et d’y prévoir des sanctions. La menace de sanctions imposées aux membres contribue au respect des systèmes d’autoréglementation. Les codes de conduite adoptés par les associations de lobbyistes professionnels sont une caractéristique des systèmes politiques n’ayant pas opté pour un cadre législatif et réglementaire. Les sanctions prévues dans les systèmes d’autoréglementation seront généralement plus légères que celles des cadres réglementaires. Il pourrait s’agir de restrictions de l’exercice professionnel ou de suspension de l’association professionnelle.

23.          Dans la pratique, la plupart des Etats combinent les deux types – réglementation juridique et autoréglementation – dans des proportions variables. Même les systèmes fortement réglementaires incluent souvent certains aspects volontaires. Cette diversité se reflète dans la place variable accordée aux codes de conduite dans les systèmes nationaux, comme le montrent les exemples suivants :

-                 Au Royaume-Uni, il existe une combinaison du cadre législatif et réglementaire[14] et d’un système d’autoréglementation définissant les règles applicables au lobbying. Il existe trois organismes d’autoréglementation pour les professionnels des affaires publiques - l’Association of Professional Political Consultants (APPC), la Public Relations Consultants Association (PRCA) et la Chartered Institute of Public Relations - qui regroupent des cabinets de consultants, des associations professionnelles, des équipes internes chargées des affaires et relations publiques et des lobbyistes individuels.

-                 En Allemagne, il existe d’une part un dispositif de réglementation pour les activités de lobbying auprès du Parlement fédéral. D’autre part, les associations de professionnels ont mis en œuvre au niveau national des codes volontaires de bonne conduite pour les lobbyistes: la Deutsche Gesellschaft für Politikberatung (Association allemande des consultants politiques) considère que le lobbying constitue un rouage essentiel des relations entre les citoyens et leur gouvernement et qu’il doit être ouvert et transparent. En conséquence, elle appelle tous ses membres à adhérer à son code de conduite[15].

-                 En Autriche, pour encourager les lobbyistes à défendre des valeurs éthiques, la loi énonce des normes fondamentales que les lobbyistes sont tenus d’inclure dans leur code de conduite.

-                 En Lituanie, le cadre législatif et réglementaire définit l’ensemble des règles applicables au lobbying, y compris la nécessité et le contenu des codes de conduite[16].


24.          Deux approches sont possibles en ce qui concerne les réglementations de droit public sur le lobbying. L’une consiste à adopter des dispositions législatives spécifiques relatives au lobbying, par exemple une loi portant sur le lobbying (voir par exemple, « L’ex-République yougoslave de Macédoine »). Une deuxième approche consiste à répartir une réglementation non ciblée entre plusieurs législations pertinentes : par exemple, les dispositions sur les conflits d’intérêts dans la législation relative à la fonction publique, les règles de procédure parlementaire incluant un registre sur les lobbyistes et les réglementations ministérielles sur les contacts entre les agents gouvernementaux et les lobbyistes. En outre, on peut trouver des dispositions pertinentes pour le lobbying à quatre niveaux de réglementation. Au niveau constitutionnel, avec des règles relatives aux incompatibilités (Monténégro) ou à la transparence du processus législatif (Allemagne) ; au niveau infra-constitutionnel avec des lois, par exemple une loi sur la fonction publique régissant les conflits d’intérêts (Pologne) ; au niveau de l’autoréglementation des organes publics : règlement intérieur du parlement (France, Allemagne) ou décrets gouvernementaux pour les ministères (Hongrie) ; au niveau des règles adoptées par les organes gouvernementaux : par exemple un code de conduite adopté par la commission anticorruption (Monténégro). Une même réglementation peut couvrir l’ensemble des secteurs, ou il peut exister des réglementations spécifiques pour différents secteurs, par exemple pour le pouvoir exécutif (Hongrie) ou le pouvoir législatif (France).[17]

A.            Objectif de la réglementation juridique

Principe 1

25.          La présente recommandation a pour principal objectif de promouvoir la transparence des activités de lobbying. Il souligne la légitimité du lobbying mais aussi la nécessité de garantir, dans la mesure du possible, qu’il ne s’exerce pas « à huis clos ». La « transparence » permettra aux citoyens de surveiller les contacts et les communications entre les lobbyistes et les agents publics et leur participation à la prise de décision publique. En conséquence, il devrait être possible d’identifier clairement tous les intérêts qui ont exercé une influence sur le résultat du processus. La transparence accroît la capacité de réaction des agents publics aux demandes de la population et aide, dans le même temps, à prévenir les pratiques répréhensibles et à lutter contre la corruption. L’un de ses principaux bénéfices indirects est d’améliorer la qualité de la vie démocratique et l’égalité d’accès à la prise de décision publique. Enfin, plus les citoyens sont engagés, plus ils ont tendance à considérer les institutions publiques comme légitimes. La tenue obligatoire d’un registre (telle que décrite dans la Partie E) et les divulgations d’informations (telles que décrites dans la Partie D) sont les principaux outils pour assurer la transparence des activités de lobbying. Conjointement, ils représentent la pierre angulaire de la présente recommandation.

B.            Activités soumises à la réglementation juridique

Principe 2

26.          Le principe 2 identifie trois catégories de personnes ou d’organisations exerçant des activités de lobbying et qui devraient faire l’objet d’une réglementation juridique, à savoir les lobbyistes-conseil, les lobbyistes internes (in-house lobbyists) et les organisations représentant des intérêts professionnels ou sectoriels. On trouvera ci-après des exemples de ce que ces catégories pourraient recouvrir :

a)         Les lobbyistes-conseil qui agissent pour le compte de tiers, dont ils perçoivent une rémunération. Les tiers qui font appel aux services de consultants sont, par exemple, des sociétés commerciales, des associations professionnelles et des ONG. Dans certains cas un lobbyiste-conseil peut renoncer à ses honoraires, par exemple au profit d’une œuvre, néanmoins toute activité de lobbying menée pour le compte d’une œuvre caritative doit faire l’objet d’une réglementation.

b)         Les lobbyistes internes qui agissent pour le compte de leur employeur ou leur organisation. Par exemple, de nombreuses entreprises emploient des équipes internes chargées des relations et affaires publiques, qui font du lobbying direct pour elles, sans avoir à recourir obligatoirement aux services de consultants externes. Les ONG et les organisations de la société civile peuvent aussi disposer de lobbyistes internes, qui peuvent être salariés ou bénévoles et dont le rôle peut être occasionnel ou structurel selon l’étendue et la nature de leurs activités de lobbying.

c)         Les organisations ou organismes représentant des associations de professionnels ou d’autres intérêts sectoriels peuvent aussi mener des activités de lobbying afin de protéger ou promouvoir ces intérêts. Ces organisations sont notamment des syndicats, des organisations patronales ou plus généralement des ONG ou organisations de la société civile, y compris des associations professionnelles.

27.          Ces trois catégories mentionnées dans la recommandation recouvrent une large majorité, si ce n’est la totalité, des différents types de lobbyistes, et elles reflètent un large éventail de leurs activités dans les sociétés démocratiques, notamment :

-                 Cabinets de consultants spécialisés/cabinets d’avocats/consultants agissant en qualité d’indépendants ;

-                 « Représentants internes » (in-house lobbyists), groupements professionnels et associations syndicales et professionnelles ;

-                 Organisations non gouvernementales et organisations de la société civile (telles que des associations de défense des droits de l’homme et des associations de protection de l’environnement) ;

-                 Groupes de réflexion, organismes de recherche et institutions académiques ;

-                 Organisations représentant des institutions religieuses[18].

Principe 3

28.          Les États membres peuvent décider d’exempter certaines catégories d’activités de lobbying, à la condition que ces exemptions soient clairement définies et justifiées. Laloi sur le lobbying récemment adoptée par l’Irlande en offre un exemple : le lobbying provenant d’un autre État, de l’Union européenne ou des Nations Unies ou exercé en leur nom bénéficie d’une dérogation, à l’instar des communications visant à demander des informations factuelles ou des communications touchant à des questions de sécurité[19]. En Autriche, ainsi qu’en Australie, au Canada et aux États-Unis, les activités diplomatiques et consulaires (telles que : les communications échangées au nom d’un gouvernement d’un pays étranger) font également l’objet d’une dérogation.

29.          Ces dérogations devraient être clairement définies car, dans le cas contraire, des lobbyistes et/ou des agents publics pourraient en abuser. Par exemple, dans de nombreux Etats, l’invitation d’un gouvernement à s’entretenir avec des représentants des pouvoirs publics fait exception à la loi et ne constitue pas une activité de lobbying ; la personne concernée n’est donc pas tenue de s’enregistrer. Or, si cette personne abuse de la situation, profitant de l’invitation pour promouvoir ses propres objectifs, le motif qui justifiait la dérogation n’est pas respecté et un véritable acte de lobbying est maintenu secret sous couvert d’une communication avec un représentant des pouvoirs publics bénéficiant d’une dérogation[20].

C.            Liberté d’expression, activités politiques et participation à la vie publique

Principe 4

30.          Il est capital que la réglementation relative au lobbying ne porte en aucune manière atteinte au droit individuel et collectif des citoyens d’exprimer leurs opinions et d’adresser des requêtes aux représentants des pouvoirs publics et aux institutions ou organismes publics. Ce droit comprend également celui de faire campagne pour que la législation, une politique ou une pratique soit modifiée (ou pour le maintien du statu quo). Ce principe devrait être expressément mentionné dans la réglementation sur le lobbying. S’il ne l’est pas, cela pourrait dissuader les citoyens d’exercer leurs droits démocratiques d’exprimer leurs opinions et de participer à l’activité politique du pays, par crainte que l’exercice de ces droits soit interdit par la réglementation sur le lobbying. Si ces droits ne sont pas protégés explicitement dans la législation, la participation de la société civile et, plus généralement, le discours démocratique et l’échange d’opinions sur des questions importantes pourraient en être entravés.

D.            Transparence

Principe 5

31.          Rendre publiques les informations sur les activités de lobbying est fondamental. Ceci assure la transparence de la prise de décision publique. La communication en temps opportun des données relatives au lobbying est essentielle pour assurer un contrôle et une intervention efficaces de la part du public. Ces informations devraient être aisément accessibles. Les Etats membres sont libres de décider qui devrait se charger de divulguer ces informations. Les Etats membres ont également toute latitude pour choisir les méthodes qu’ils jugent les plus efficaces et adaptées à leur contexte national et aux circonstances. Bien que le Principe 5 ne précise pas les diverses manières dont les activités des lobbyistes peuvent être rendues transparentes dans l’intérêt du public, elles sont peut-être aussi importantes que le registre des lobbyistes (Partie E).

32.          Les informations peuvent être rendues publiques de diverses manières, selon la procédure particulière et le thème visé, mais aussi en fonction de la culture et des traditions politiques. Il peut s’agir, par exemple, d’« empreintes législatives » visant à conserver une trace de toutes les interventions externes dans la conception et l’adoption d’une nouvelle loi, de la publication des agendas des agents publics, de registres des lobbyistes, de rapports périodiques de la part des lobbyistes et de la publication, habituellement sur les sites web officiels, de toutes les communications reçues par un organe public en lien avec un processus de décision donné. En Allemagne, par exemple, le ministère de la Justice et de la Protection des consommateurs publie toutes les déclarations reçues lors des consultations publiques sur les projets de loi. En Suisse, il en va de même pour tous les ministères. En Autriche, toute déclaration reçue au cours d’une consultation publique sur les projets de loi est publiée sur le site internet du Parlement autrichien. Tous ces outils et mécanismes ne seront pas nécessairement détaillés dans la réglementation sur le lobbying, bien que celle-ci puisse être l’occasion de rappeler leur importance et, le cas échéant, de préciser leur fonctionnement.

Principe 6

33.          Dans la plupart des systèmes de réglementation, la divulgation d’informations standards est demandée aux autorités publiques ou aux lobbyistes. Les États peuvent imposer la divulgation d’informations supplémentaires lorsque le sujet de la prise de décision publique est jugé particulièrement important. A l’inverse, lorsque le sujet de la prise de décision publique est jugé peu important ou de faible niveau – sur la base par exemple de son champ d’application (nombre de personnes concernées) ou de son échelle économique – les niveaux de divulgation pourraient être moindres. La même remarque peut s’appliquer à certaines activités de lobbying, telles que les auditions publiques ou les lettres ouvertes aux législateurs, qui sont en elles-mêmes transparentes et n’appelleront pas nécessairement la divulgation d’informations supplémentaires. Il convient de considérer la mise en place d’une réglementation proportionnée, en particulier pour les initiatives de lobbying bénévoles et à but non lucratif.

34.          La référence aux garanties constitutionnelles prend en compte certains systèmes politiques, par exemple en Allemagne, qui ont établi des voies ou des « liaisons » de communication entre les parlementaires et leurs électeurs qui font partie des garanties constitutionnelles visant à empêcher toute ingérence de l’Etat[21]. L’objectif de ces garanties est de renforcer les liens démocratiques entre les parlementaires et les citoyens de leur circonscription, en protégeant la confidentialité des informations qu’ils échangent entre eux. Pour les mêmes raisons que celles qui ont été données en lien avec la Principe 4 (sur la liberté d’expression), il est important que la réglementation du lobbying ne nuise pas indirectement à ce mode de communication démocratique entre les électeurs et leurs représentants.

E.            Registres publics de lobbyistes

Principe 7

35.          Un registre des lobbyistes devrait être tenu par des autorités publiques. Dans le cadre d’un système d’autoréglementation, un Etat membre peut également charger une entité privée, désignée, de tâches et de responsabilités relatives au registre des lobbyistes. Le Principe 7 utilise la forme plurielle pour « autorités » et « entités » afin de refléter la réalité des différents systèmes politiques. Il n’implique pas qu’elles soient tenues de se doter de registres distincts. Dans les systèmes fédéraux tels que les États-Unis, le Canada et l’Australie, il existe des registres de niveau fédéral et étatique ou provincial. Cela signifie qu’un lobbyiste doit s’enregistrer auprès de l’autorité fédérale compétente s’il cherche à exercer des pressions concernant une question fédérale ; de même, il doit s’enregistrer auprès de l’autorité de l’Etat ou de la province pour toute question relevant de l’un de ces niveaux. Dans les Etats unitaires, tels que le Royaume-Uni, un registre statutaire a été mis en place par le gouvernement du Royaume-Uni. Les administrations responsables peuvent établir leurs propres registres de lobbying ; l’Ecosse a adopté une législation pour ce faire en avril 2016. Certains pays (l’Irlande par exemple) ont choisi de n’avoir qu’un registre, que le lobbying vise le gouvernement central, les pouvoirs locaux ou les députés nationaux au Parlement européen. Ce qui importe, c’est que les registres soient aussi peu nombreux que possible, à la fois dans l’intérêt des lobbyistes et pour les personnes qui veulent consulter ces registres.


36.          Les Etats membres peuvent décider des catégories de lobbyistes qui doivent s’enregistrer. La situation en Europe fait apparaître une diversité de modèles. Par exemple, si on se réfère aux catégories désignées sous le principe 2, au Royaume-Uni et en Lituanie, seulement certaines catégories de lobbyistes-conseil sont tenues de s’enregistrer. En Irlande, plusieurs catégories de lobbyistes-conseil, de lobbyistes internes à des entreprises, d’ONG, d’organisations de la société civile et d’organisations bénévoles sont obligées de s’enregistrer. En Allemagne, l’inscription au registre du Bundestag allemand est volontaire et encouragée au moyen d’incitations (comme la possibilité d’être invité à des auditions si l’on figure dans le registre), mais uniquement les associations peuvent s’enregistrer. En Pologne, toute personne (y compris un lobbyiste professionnel) qui souhaite participer à l’élaboration d’une loi est tenue de faire une déclaration d’intérêts selon la forme prévue par la loi. Le lobbying professionnel (agissant pour le compte d’un tiers contre rémunération) ne peut s’exercer qu’après enregistrement, lequel prend la forme d’une déclaration. Le lobbyiste doit actualiser les informations consignées dans le registre. Chaque institution publique est tenue de publier un rapport annuel sur le lobbying professionnel la concernant.

Principe 8

37.          Dans tous les systèmes politiques requérant l’enregistrement des lobbyistes, c’est à ces derniers qu’il incombe de veiller à ce que les informations figurant dans le registre soient exactes et à jour en signalant au service chargé de l’enregistrement tout changement les concernant. Selon la juridiction (et éventuellement le type de lobbyistes), la fréquence à laquelle l’enregistrement doit être renouvelé varie. Aux Etats-Unis, un lobbyiste doit s’enregistrer (auprès du Secrétaire du Sénat et du Greffier de la Chambre des représentants) et présenter par la suite des rapports semestriels. En Lituanie, l’enregistrement des lobbyistes (qui doivent fournir des rapports annuels d’activité) se fait une fois uniquement et reste valable jusqu’à l’interruption ou l’arrêt des activités de lobbying. Le système d’enregistrement irlandais, simplifié et facile à utiliser, constitue un exemple de bonne pratique[22]. En vertu de la loi autrichienne relative au lobbying, le lobbyiste est tenu d’informer le registre de tout changement dans les données enregistrées dans un délai de trois semaines. Même s’il incombe aux lobbyistes de s’enregistrer et d’actualiser leurs données, il conviendrait qu’une autorité publique, chargée du contrôle du registre, soit également en mesure de vérifier l’exactitude des informations fournies (voir principes 18 et 19).

Principe 9

38.          Dans la mesure où la principale raison d’être d’un registre de lobbyistes est d’assurer la transparence des jeux d’influence entre lobbyistes et agents publics, le registre devrait être aisément accessible au public et facile d’utilisation. Le système irlandais est un exemple de bonnes pratiques à cet égard : le public a gratuitement accès en ligne à une base de données des enregistrements, qui permet de faire des recherches détaillées afin de savoir qui exerce un lobbying sur quels agents publics[23].

Principe 10

39.          Le traitement des données à caractère personnel du registre devrait être conforme aux normes applicables à la protection de ces données. À cet égard, il convient de tenir compte de la Convention du Conseil de l’Europe pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel (STE no 108) et des instruments juridiques pertinents de l’Union européenne.

Principe 11

40.          Le principe 11 évoque les informations qui devraient, a minima, apparaître systématiquement dans le registre, et être apportées par le lobbyiste lors de l’enregistrement et que ce dernier devrait actualiser par la suite le cas échéant. Ces informations devraient comprendre :

Nom et coordonnées du lobbyiste

-         Nom du lobbyiste ;

-         Coordonnées (adresse, téléphone et site web du lobbyiste) ;

-         Raison sociale ;

-         Forme juridique ;

-         Numéro d’enregistrement ;

-         Domaines d’activité (y compris le cas échéant une description de l’entreprise ou des activités du lobbyiste).


Objet des activités de lobbying

-         Objet des contacts et des communications de lobbying (c’est-à-dire des précisions sur les domaines de politique publique ou de législation concernés) ;

-         Les intérêts représentés ou défendus ;

-         Le service public contacté et, le cas échéant, l’agent public concerné (non pas la personne mais le poste).

Identité du client ou de l’employeur, le cas échéant

-         L’identité du client ou de l’employeur représenté (y compris, dans le cas de lobbyistes-conseil indépendants, des précisions sur les organisations pour lesquelles ils travaillent).

41.          Les registres peuvent être structurés de différentes manières. Ils peuvent être organisés par exemple par catégories de lobbyistes, à l’instar du Registre de transparence de l’Union européenne (qui répartit les lobbyistes dans le registre entre consultants, lobbyistes internes et ONG) ou en fonction du domaine d’action publique sur lequel les lobbyistes cherchent à influer, selon les indications fournies lors de leur enregistrement.

Principe 12

42.          Les Etats membres sont encouragés à déterminer si des informations supplémentaires devraient être demandées aux lobbyistes qui s’enregistrent. Par exemple :

-        Indiquer le nombre de lobbyistes employés par le cabinet, lorsqu’il s’agit de lobbyistes consultants ;

-        Indiquer le nom des anciens agents publics (par exemple des responsables politiques ou fonctionnaires) travaillant actuellement comme lobbyistes au sein du cabinet, en particulier lorsque la législation contient des dispositions sur les délais de carence ou sur le pantouflage (voir principe 17) ;

-        Fournir des informations financières indiquant le nombre et la valeur des contrats de lobbying conclus dans le cas des lobbyistes-conseil ou déclarer le montant des dépenses consacrées au lobbying dans le cas des lobbyistes internes.

43.          L’Autriche est un exemple d’un Etat qui demande que des informations financières figurent dans le registre des lobbyistes. Les lobbyistes doivent indiquer, dans les neuf mois suivant la fin de chaque exercice financier, le volume de leurs activités de lobbying et le nombre de dossiers suivis. Dans le cas des lobbyistes internes, l’employeur doit indiquer si les dépenses consacrées aux activités de lobbying au cours de l’exercice financier précédent étaient supérieures à 100 000 euros. Les organisations ou organismes (voir principe 2.c) doivent indiquer les coûts de représentation de leurs intérêts professionnels.

Principe 13

44.          Le principe 13 constitue une exception et concerne uniquement les États qui ont une tradition bien établie de gouvernance ouverte efficace, appuyée par des mesures pertinentes et une culture politique de transparence des affaires publiques. Dans ces États, l’accès aux informations des organes d’administration publique est réglementé et facilité par la loi et chacun a accès à ces informations. A cette fin, des règles régissent la tenue de registres officiels et, le plus souvent, les pouvoirs publics sont tenus d’enregistrer les correspondances et les documents entrants et sortants. Dans ces États, un registre des lobbyistes peut jouer un rôle moins important pour l’objectif de transparence concernant les influences externes sur la prise de décision publique. Le registre peut cependant servir à informer le public de l’existence de certains lobbyistes actifs dans un domaine donné. Toutefois, dans un système politique de gouvernance transparente, l’accent sera mis sur la publicité de « l’empreinte » d’un processus de décision publique spécifique plutôt que sur un simple recensement des lobbyistes actifs. A cet égard, il est rappelé qu’au regard de la recommandation, le registre et la divulgation sont deux principes complémentaires, les forces de l’un compensant les faiblesses de l’autre.

F.            Normes relatives à un comportement éthique des lobbyistes

Principe 14

45.          Le principe 14 énonce quatre principes essentiels d’un comportement éthique des lobbyistes (l’ouverture, la transparence, l’honnêteté et l’intégrité). Ces principes, combinés avec les exemples spécifiques de comportements évoqués dans le paragraphe, sont des valeurs professionnelles communes. En lien en particulier avec le lobbying, ils reflètent la Communication de la Commission européenne du 27 mai 2008, intitulée « Cadre régissant les relations avec les représentants d’intérêts (registres et codes de conduite) {SEC(2008)1926} »[24], qui précise également qu’on attend de ces personnes « qu’ils appliquent les principes d’ouverture, de transparence, d’honnêteté et d’intégrité que les citoyens et d’autres intervenants attendent légitimement d’eux ». Concernant les conflits d’intérêts, le principe 14 porte sur les conflits d’intérêts entre le lobbyiste et l’agent public avec lequel elle ou il est en contact ou en communication. Ce principe vise également à garantir que le lobbyiste évite les conflits avec son client ou son employeur.

G.            Sanctions

Principe 15

46.          Afin de renforcer la confiance des citoyens dans le fonctionnement démocratique des pouvoirs publics, la réglementation du lobbying doit être effective. A cette fin, la réglementation juridique devrait donc prévoir des sanctions effectives, proportionnées et dissuasives, qu’elles soient de nature pénale ou non. Les Etats membres définiront le type de mécanismes approprié concernant le non-respect de la réglementation en fonction de leur contexte national spécifique et des circonstances. Il y aura par exemple non-respect de la réglementation si un lobbyiste ne s’enregistre pas avant de prendre contact avec des agents publics ou s’il fournit des informations trompeuses ou erronées lors de son enregistrement.

47.          Dans les États où le lobbying est réglementé, les sanctions sont le plus généralement des amendes, la radiation du registre et/ou la perte de l’accès privilégié, voire des peines de prison.

Amendes

Les activités professionnelles de lobbying qui enfreignent la réglementation pertinente sur le lobbying sont passibles d’une amende pouvant aller jusqu’à 60 000 euros en Autriche et jusqu’à 16 000 euros en Pologne, en fonction de la gravité de l’infraction. Aux Etats Unis, des agents du Congrès américain informent le Bureau du procureur général américain (District de Columbia) sur les violations de la réglementation sur le lobbying commises dans l’une ou l’autre des deux chambres législatives. Le Bureau du procureur général peut décider de poursuivre les contrevenants et demander que leur soit infligée une amende pouvant aller jusqu’à 50 000 USD. En France, outre les amendes à l’égard des personnes physiques, des amendes d’un montant maximum équivalent à 1% du chiffre d’affaires peuvent être infligées aux personnes morales.[25]

Radiation du registre et/ou perte de l’accès privilégié

En Autriche, l’autorité responsable de l’enregistrement peut décider, à titre de sanction, de radier un lobbyiste du registre public en cas de manquement grave à la réglementation du lobbying.

Emprisonnement

En Irlande, le non-respect des règles régissant le lobbying est passible d’une amende pouvant aller jusqu’à 2 500 euros ou de peines d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à deux ans. Au Canada, au niveau fédéral, les violations de la réglementation sur le lobbying sont passibles de peines d’emprisonnement de six mois à deux ans. Aux États-Unis, un lobbyiste peut être condamné à une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à cinq ans pour connaissance de faits et défaut intentionnel de divulgation.

H.            Intégrité dans le secteur public

Principe 16

48.          Le contexte national visé par le principe 16 recouvre, notamment, le cadre juridique national en matière de prévention de la corruption et de renforcement de l’intégrité. Ce principe rappelle la nécessité d’instaurer des normes nationales en matière d’intégrité dans le secteur public et laisse les Etats membres libres de décider des mesures qu’ils jugent appropriées. Cela pourrait consister à veiller à ce que les codes de conduite applicables aux agents publics incluent les normes et conseils standards sur la manière de répondre aux contacts ou aux communications émanant d’un lobbyiste, et de mettre en place des mécanismes ou des procédures auxquels les agents publics pourront se référer dans les situations complexes où la réponse à apporter ne s’impose pas de manière claire ou évidente. Le Principe 17 fournit de plus amples détails sur ce sujet. Rappelons à cet égard que les agents publics incluent non seulement les fonctionnaires mais aussi les ministres, les parlementaires et autres élus publics, ainsi que leurs conseillers (voir paragraphe 19).

Principe 17

49.          Le principe 17 complète le principe 16 en proposant la mise en place d’un délai de carence et des conseils aux agents publics.

Délai de carence

50.          Cette mesure vise à atténuer l’impact négatif éventuel sur la bonne gouvernance de l’entrée d’un ancien agent public dans les activités de lobbying juste après avoir quitté une fonction ou un emploi public. Il s’agit ainsi d’empêcher que d’anciens agents publics utilisent leur connaissance privilégiée de l’administration publique dans laquelle ils ont travaillé (y compris leurs contacts personnels et les procédures internes) dans leur fonction de lobbyiste, au profit d’un client ou employeur qui souhaite peser sur une prise de décision dans l’administration en question. A titre d’exemple, on peut citer un(e) ministre de la Défense qui quitte ses fonctions et va immédiatement travailler en tant que lobbyiste pour une entreprise du secteur de la défense qui exerce des pressions sur ledit ministère. En Allemagne, tout conflit d’intérêt potentiel doit faire l’objet d’une évaluation au cas par cas pour les fonctionnaires comme pour les anciens membres du gouvernement fédéral (chancelier, ministres et secrétaires d’Etat parlementaires). Lorsqu’un délai de carence s’applique aux membres du gouvernement fédéral et les secrétaires d’Etat parlementaires, celui-ci est généralement de 12 mois, mais celui-ci peut être exceptionnellement porté à 18 mois. La législation lituanienne exige des anciens responsables politiques qu’ils attendent une année avant de devenir représentants d’intérêts et de s’inscrire au registre des lobbyistes. Le Canada, compte tenu de sa structure fédérale, est un exemple d’Etat prévoyant des délais de carence de durées variables: selon la législation fédérale, le titulaire d’une charge publique doit respecter un délai de carence obligatoire de cinq ans, tandis que dans les provinces du Québec, de l’Ontario et de la Nouvelle-Ecosse, les délais de carence sont respectivement de deux ans, un an et six mois. Des restrictions relatives aux agents publics qui prennent un emploi de lobbyiste avant l’expiration d’une certaine période de carence peuvent être incluses dans les réglementations plus générales concernant l’emploi des agents publics après leur départ de la fonction publique, comme c’est le cas en Norvège[26].

Conseils destinés aux agents publics relatifs à leurs relations avec des lobbyistes

51.          Des conseils devraient être établis à l’intention des agents publics afin de les guider dans leurs relations avec des lobbyistes. Pour assurer le comportement éthique des agents publics, ces conseils pourraient, par exemple, indiquer comment répondre aux communications des lobbyistes, préserver la confidentialité des données (afin que les informations soient protégées contre toute utilisation non désirée) et signaler les infractions à la réglementation du lobbying. En principe, les agents publics devraient également refuser les cadeaux ou l’hospitalité offerts par un lobbyiste ou les déclarer. En Allemagne, le Bundestag et les Landtage (parlements des Länder) disposent de codes de déontologie pour leurs membres, qui leur imposent de déclarer les cadeaux, les voyages payés et le financement des campagnes au-dessus de certains seuils et interdisent l’acceptation d’avantages s’ils sont offerts dans l’attente de faveurs politiques. À cet égard, d’autres pays, comme l’Irlande, élaborent actuellement une « législation éthique », obligeant, par exemple, les responsables politiques et les fonctionnaires à déclarer les cadeaux reçus d’une valeur supérieure à un montant donné[27].

I.              Contrôle, conseils et sensibilisation

Principe 18

52.          Le contrôle de la réglementation relative aux activités de lobbying devrait être confié à des autorités publiques désignées afin de s’assurer du respect de la réglementation. Comme certains pays peuvent avoir plusieurs registres opérant chacun à un niveau de gouvernance différent, cette fonction de contrôle peut être assurée par plusieurs autorités publiques au sein d’un même système politique. Par ailleurs, les Etats membres n’ont pas nécessairement besoin de créer une nouvelle instance publique pour assurer ce contrôle, cette tâche pouvant être confiée à une autorité déjà existante.

Principe 19

53.          Ce principe identifie les éventuelles tâches de contrôle des réglementations relatives aux activités delobbying. Les États membres peuvent bien entendu prévoir des tâches supplémentaires. Bien qu’il appartienne aux lobbyistes de donner des informations exactes (principe 8), les autorités publiques devraient être en mesure de vérifier l’exactitude des informations données lors de l’enregistrement et faire l’objet d’un examen lorsque des changements intervenus par rapport aux informations initialement données lors de l’enregistrement n’ont pas été signalés. En ce sens, le « contrôle de conformité » peut aussi être compris comme un contrôle des cas de non-conformité. Les indications données aux lobbyistes et aux agents publics sur la manière d’appliquer la réglementation pourraient être complétées par des actions de sensibilisation, telles que des campagnes d’information à destination des professionnels et du public pour expliquer en quoi consiste la réglementation, à qui elle s’applique (principe 7) et quelles sont les éventuelles sanctions encourues en cas d’infraction aux dispositions (principe 15). Ces campagnes d’information pourraient également permettre de mieux informer les citoyens sur la possibilité de faire des recherches dans le registre.

54.          A titre d’exemple, la France confie le contrôle du respect de la réglementation relative au lobbying à une autorité indépendante existante, la Haute autorité pour la transparence de la vie publique[28]. Cette autorité peut demander aux représentants des groupes d’intérêt de lui communiquer toute information ou tout document nécessaire à l’exercice de sa mission, sans que le secret professionnel puisse lui être opposé. La Haute autorité peut être également saisie pour avis sur la qualification à donner à l’activité d’une personne physique ou morale, pour déterminer si cette activité relève du lobbying. Lorsque la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique constate, de sa propre initiative ou à la suite d’un signalement, un manquement aux obligations de la réglementation sur le lobbying, elle adresse au représentant d’intérêts une mise en demeure, qu’elle peut rendre publique, de respecter les obligations auxquelles il est assujetti, après l’avoir mis en état de présenter ses observations.

J.             Évaluation

Principe 20

55.          Les réglementations en matière de lobbying étant des instruments relativement nouveaux pour la plupart des pays et les formes de lobbying évoluant avec le temps, leur efficacité devrait faire l’objet d’examens réguliers. Les Etats membres pourraient décider de la périodicité et du type d’examen qu’ils souhaitent mettre en place et désigner les autorités ou entités auxquelles ils souhaitent confier l’examen de ce cadre.



[4] En ce qui concerne les publications sur la réglementation du lobbying, voir Zeller B. 1958. « Regulation of Pressure Groups and Lobbyists » Annals of the American Academy of Political and Social Sciences, Vol. 319, pp. 94-103 ; Stark A. 1992. « Political Discourse Analysis and the Debate over Canada’s Lobbying Legislation » Canadian Journal of Political Science, Vol. 25, No. 3, pp. 513-534 ; Bouwen, P. 2003. A Theoretical and Empirical Study of Corporate Lobbying in the European Parliament, European Integration online papers (EIoP)Vol. 7, No. 11 ; Galkowski, J. 2008. « Poland’s Experience of developing and implementing the Act on Legislative and regulatory lobbying » in Lobbyists, Government and Public Trust Paris: OECD.

[5] Pour une analyse récente effectuée par Transparency International, voir Lobbying Regulation in Europe (2015). Parmi les organisations qui appellent à une plus grande transparence du lobbying, on peut citer Alter-EU, dont la lettre adressée en mai 2015 à la Commission européenne montre que les groupes qui demandent une pleine transparence sont extrêmement nombreux.

[6] OCDE. 2013, Transparency and Integrity in Lobbying, voir page 3-5 pour la liste complète des dix principes.

[8] Frank R. Baumgartner et Beth L. Leech, 1998. Basic Interests: The Importance of Groups on Politics and in Political Science. Princeton, NJ: Princeton University Press, 33.

[9] Ibid., 34.

[10] A. J. Nownes, 2006. Total Lobbying: What Lobbyists Want (and How They Try to Get It) Cambridge: Cambridge University Press, 5.

[11] K. G. Hunter, L A. Wilson, et GG. Brunk, 1991. “Societal Complexity and Interest-Group Lobbying in the American States” The Journal of Politics, Vol. 53, No. 2, 490.

[12] Raj Chari, John Hogan et Gary Murphy, “Regulating Lobbying a Global Comparison” (Manchester: Manchester University Press, 2012), 4.

[15] Voir http://www.degepol.de/eng/ pour des informations sur l’Association allemande des consultants politiques.

[17] Voir loi française du 8 novembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, qui couvre l’ensemble des pouvoirs publics.

[21] La Loi fondamentale allemande sur l’indépendance des parlementaires protège la confidentialité des communications entre les parlementaires et leur parti, les associations et les « citoyens n’appartenant pas à une organisation », en particulier dans leur circonscription. Sur l’Allemagne, voir l’article 47 de la Loi fondamentale, et http://www.bundesverfassungsgericht.de/SharedDocs/Entscheidungen/EN/2013/09/rs20130917_2bvr243610en.html, paragraphes 91-99.

[24]Voir document COM(2008)323 final.

[25] Voir loi française relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

[26] Loi norvégienne sur les anciens agents publics (loi 19.6.2015 n° 70).

[28] Voir loi française relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.