CONSEIL DE L’EUROPE
COMITE DES MINISTRES

EXPOSE DES MOTIFS
Recommandation
Rec(1999)4

sur principes concernant la protection juridique des majeurs incapables

(adoptée par le Comité des Ministres
le 23 février 1999,
lors de la 660e réunion des Délégués des Ministres)

I. Considérations générales

1.   La 3e Conférence européenne sur le droit de la famille, organisée sur le thème «Le droit de la famille à l'avenir» (Cadix, Espagne, 20-22 avril 1995), a porté en particulier sur la question de la protection des majeurs incapables. Elle a demandé au Conseil de l'Europe d'inviter un groupe de spécialistes compétents en la matière à examiner l'opportunité d'élaborer un instrument européen destiné à protéger les majeurs incapables en garantissant leur intégrité et leurs droits et, dans la mesure du possible, leur autonomie. A la suite de cette proposition, le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe a créé en 1995 le Groupe de spécialistes sur les majeurs incapables et les autres adultes vulnérables (CJ-S-MI).

2.   Le groupe de spécialistes, sous l'autorité du Comité européen de coopération juridique (CDCJ), a été chargé d'étudier et de préparer des projets de principes sur les aspects juridiques des actes accomplis par des majeurs incapables; d'étudier et de préparer des projets de principes sur le rôle et les devoirs d'assistance et de protection de leurs représentants, du personnel soignant et des autorités administratives et judiciaires; et de formuler des propositions au CDCJ en vue d'élaborer un instrument international (convention ou recommandation) sur ces questions. A sa 67e réunion, le CDCJ a autorisé le CJ-S-MI à établir un projet de recommandation sur les principes concernant la protection juridique des majeurs incapables.

3.   Le Groupe de spécialistes sur les majeurs incapables, sous l'autorité du CDCJ, a tenu six réunions sous la présidence de M. Jacques Jansen (Pays-Bas). Lors de la première réunion, le CJ-S-MI a établi un questionnaire sur les problèmes concernant les majeurs incapables, destiné à être envoyé aux Etats afin de réaliser une étude comparée de mesures de protection existantes dans les Etats membres du Conseil de l'Europe et de déterminer le nombre des personnes concernées ces dernières années. M. Eric Clive, membre de la Law Commission écossaise et vice-président du CJ-S-MI, a réalisé cette étude concernant les majeurs incapables sur la base des réponses au questionnaire.

4.   A sa quatrième réunion, le groupe de spécialistes a établi un projet de recommandation sur les principes concernant la protection juridique des majeurs incapables sur la base de l'avant-projet de principes qu'il avait élaboré lors de ses deuxième et troisième réunions. Le CJ-S-MI a parachevé le projet de recommandation lors de deux réunions conjointes avec le Comité directeur pour la bioéthique (CDBI) et le Comité d'experts sur le droit de la famille (CJ-FA), afin de suivre une approche multidisciplinaire en vue d'assurer une protection globale des majeurs incapables.

Pour les mêmes raisons, le CDCJ a décidé, lors sa 68e réunion, de transmettre le projet de recommandation pour information et commentaires au Comité européen de la santé (CDSP), au Comité directeur sur la politique sociale (CDPS) et au Comité directeur pour les droits de l'homme (CDDH).

5.    Le Groupe de spécialistes sur les majeurs incapables a achevé ses travaux sur le projet de recommandation sur les principes concernant la protection juridique des majeurs incapables lors de sa sixième réunion. Le projet de recommandation a ensuite été révisé par le CDCJ et adopté par le Comité des Ministres le 23 février 1999 en tant que Recommandation no R (99) 4.

II. Observations sur la recommandation

6.   Les rapports et les débats qui ont suivi leur présentation lors de la 3e Conférence européenne sur le droit de la famille ont montré clairement que la question des majeurs incapables s'est révélée être l'un des sujets majeurs d'actualité pourles prochaines années. L'intérêt accru pour ce groupe de personnes majeures s'explique pour de multiples raisons: les changements démographiques, les progrès de la médecine, les mutations de la société et l'accroissement général de l'intérêt porté à la protection des droits de l'homme.

7.   Le nombre des personnes âgées ne cesse d'augmenter en Europe en raison de l'amélioration des conditions de vie et des progrès de la médecine. Les facultés mentales de ces personnes déclinent souvent avec l'âge, et le nombre de personnes atteintes de démence sénile connaît un accroissement notable dans les pays européens. Néanmoins, en ce qui concerne cette question de changements démographiques, il convient de souligner que l'espérance de vie dans certains pays d'Europe centrale et orientale est actuellement inférieure à celle des pays d'Europe occidentale, même si on constate une tendance à la hausse. En dépit de ces différences, on peut dire que le nombre de personnes âgées tend à augmenter en général en Europe. A cet égard, la Recommandation 1035 (1986) relative au vieillissement des populations en Europe: conséquences économiques et sociales de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe constatait que, pendant la période de 1990-2020, «on prévoit des augmentations de 20 % et plus pour le groupe d'âge de 45-60 ans, et de 15 à 20 % pour le groupe d'âge de 65 ans et plus; il y aura une croissance disproportionnée du nombre de personnes très âgées (80 ans et plus) qui équivaudrait au tiers de la dimension de ce groupe». Pour sa part, la Résolution 1008 (1993) relative à une politique sociale en faveur des personnes âgées et de leur autonomie de l'Assemblée parlementaire constatait que «sur une population totale de 480 millions d'habitants, les Etats membres du Conseil de l'Europe comptent plus de 60 millions de personnes du troisième âge et [que] leur nombre ne cesse d'augmenter».

8.   Comme cela a été dit, les progrès de la médecine sont l'une des causes de cette augmentation du nombre de personnes âgées. En fait, ces progrès de la médecine permettent aujourd'hui de maintenir en vie de nombreuses personnes qui autrefois mouraient à la suite d'une maladie, de troubles ou de blessures, bien que l'on puisse parfois constater une réduction des facultés mentales. Grâce aux progrès médicaux du traitement des maladies mentales, un grand nombre de patients qui auraient dû autrefois être placés dans des établissements spécialisés peuvent continuer maintenant à vivre en société. Certaines de ces personnes peuvent être vulnérables et ont besoin de mesures de protection.

9.   L'évolution des modes de vie éloigne de nombreuses personnes de leur famille, celle-ci ne pouvant pas toujours les prendre en charge lorsque leurs facultés mentales sont altérées. Par ailleurs, du moins dans certains pays, la distribution des richesses est plus large. De nombreux majeurs incapables ont droit à certaines allocations ou pensions. Il n'est pas rare parallèlement que des personnes âgées souffrant de démence aient eu l'opportunité d'acquérir des biens pendant leur vie professionnelle. Dès lors, les législations conçues dans le passé pour régler les problèmes d'un nombre réduit de personnes fortunées doivent être appliquées maintenant à un plus grand nombre de personnes.

10.   Pendant la deuxième moitié du XXe siècle, l'accent a davantage été mis sur les droits de l'homme. Cette évolution modifie les comportements pour les soins et la protection des majeurs incapables. On s'accorde aujourd'hui à reconnaître que les libertés et les aptitudes existantes doivent être préservées autant que possible, les mesures qui lèsent les droits des personnes sans nécessité étant inacceptables. L'accent est également mis sur le bien-être de la personne, par opposition à la préservation du patrimoine.

11.   Lors de l'élaboration de la recommandation, le groupe de spécialistes a tenu compte du contexte juridique international de cette question. Il s'est arrêté en particulier, comme le reflète le préambule, sur les instruments internationaux élaborés dans le cadre du Conseil de l'Europe. A cet égard, le groupe a examiné la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales du 4 novembre 1950 et ses protocoles additionnels (en particulier les articles 5, 6 et 8 de la Convention et l'article 1 du premier Protocole à la Convention), ainsi que la jurisprudence pertinente de la Commission et de la Cour européennes des Droits de l'Homme. De plus, il s'est particulièrement intéressé aux dispositions de la récente Convention pour la protection des droits de l'homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine: Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine (dorénavant Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine) du 4 avril 1997 concernant les interventions dans le domaine de la santé sur des personnes n'ayant pas la capacité

de consentir. Enfin, pour éviter tout double emploi, le groupe a examiné les différentes résolutions et recommandations du Comité des Ministres et de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe concernant la protection et le bien-être des personnes souffrant d'incapacités et de vulnérabilités diverses.

12.   Le groupe de spécialistes a aussi examiné les instruments internationaux pertinents élaborés dans le cadre des Nations Unies: la Déclaration universelle des droits de l'homme, proclamée le 10 décembre 1948 par l'Assemblée générale des Nations Unies; le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 16 décembre 1966; la Déclaration des droits du déficient mental proclamée le 20 décembre 1971 par l'Assemblée générale des Nations Unies; la Déclaration des droits des personnes handicapées, proclamée le 9 décembre 1975 par l'Assemblée générale; la Résolution de l'Assemblée générale sur l'application du Plan d'action international sur le vieillissement et activités connexes du 16 décembre 1991 et la Résolution de l'Assemblée générale sur la protection des personnes atteintes de maladie mentale et l'amélioration des soins de santé mentale du 17 décembre 1991.

13.   Enfin, le groupe de spécialistes a tenu compte des travaux préparatoires de la Conférence de La Haye de droit international privé sur la protection des majeurs. A cet égard, le groupe de spécialistes souligne la complémentarité d'approche entre la présente recommandation, qui contient des règles de droit matériel, et l'avant-projet de convention concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l'exécution et la coopération en matière de protection des adultes de la Conférence de La Haye, relative aux questions de droit international privé concernant la protection des majeurs incapables.

14.   Une étude comparée, fondée sur les réponses au questionnaire concernant les majeurs incapables, a montré que des réformes législatives sur la protection, par le biais de la représentation ou de l'assistance, des majeurs incapables ont été élaborées ou sont à l'examen dans un certain nombre d'Etats membres du Conseil de l'Europe et que, bien que ces réformes présentent des traits communs, de larges disparités subsistent encore dans ce domaine dans la législation des Etats membres. Malgré ces disparités, il semble possible de discerner certains modèles dans les législations européennes couvertes par ces réponses. En fait, selon le rapport de M. Clive, il y existe trois types de systèmes dans les droits nationaux en ce qui concerne la protection des majeurs incapables: d'abord, un modèle de type traditionnel, où la réponse juridique classique consiste à supprimer ou à restreindre la capacité juridique et qui est d'ordinaire associée à la désignation d'un tuteur qui représente l'incapable dans presque tous les domaines. On trouve ensuite un modèle qui pourrait être qualifié de «type traditionnel modifié fonctionnellement», où les besoins sociaux qui sont perçus ont été satisfaits par des adjonctions au cadre législatif et où l'on trouve un éventail de mesures disponibles plus large et une plus grande souplesse dans la réponse juridique. Enfin, un modèle que l'on pourrait qualifier de système remanié en profondeur, où l'accent est mis résolument et sans exception sur la protection et l'assistance plutôt que sur la privation de la capacité juridique.

III. Dispositions introductives sur le champ d'application

15.   La partie I de la recommandation porte sur le champ d'application et contient les définitions de certaines notions, telles qu'elles sont entendues dans le contexte de la recommandation. D'abord, elle se focalise sur la question cruciale de la définition de l'expression «majeur incapable»; elle traite ensuite des causes d'incapacité; elle évoque également des mesures auxquelles les principes s'appliquent; elle examine ensuite le sens du terme «majeur» et aborde ensuite la signification des termes «intervention dans le domaine de la santé» utilisés dans la partie V.

16.   Le premier paragraphe de la partie I porte sur la question cruciale de savoir qui est considéré comme «majeur incapable» dans le contexte de la recommandation. Selon la définition, une personne est incapable en raison d'une altération ou d'une insuffisance de ses facultés personnelles. Aux fins des présents principes, l'incapacité est un concept fonctionnel relatif à l'aptitude à prendre des décisions. L'incapacité peut être, et sera souvent, uniquement partielle ou temporaire. Les effets de l'incapacité peuvent être temporaires en fonction, par exemple, du stade particulier d'une maladie ou des effets du traitement. En d'autres termes, la définition est essentiellement axée sur la capacité à prendre des décisions.

17.   Cependant, il serait trop restrictif de ne définir les majeurs incapables qu'en fonction de leur aptitude à prendre des décisions, car cela conduirait à des positions indéfendables. Il peut y avoir des personnes – qualifiées parfois d'adultes «vulnérables» – aptes à prendre des décisions, mais qui ne sont pas en mesure, en raison de troubles mentaux ou physiques, de les comprendre, de les exprimer ou d'y donner suite. Ces personnes sont aptes à prendre des décisions, mais elles ne peuvent pas les mettre en Ïuvre. Quelqu'un qui est totalement incapable de communiquer ou d'exprimer des décisions constitue un exemple d'une personne capable de prendre des décisions, alors même qu'elle est vulnérable et qu'elle a par conséquent autant besoin de protection par voie de représentation ou d'assistance qu'une personne qui ne pourrait en prendre. Un autre exemple serait celui d'un majeur qui est en mesure de prendre des décisions, mais qui, en raison de troubles mentaux non cognitifs, prend des décisions tout à fait irrationnelles dont on ne pourrait prétendre raisonnablement qu'elles lui permettent de gérer convenablement ses intérêts personnels ou patrimoniaux. On pourrait citer comme troisième exemple le cas d'une personne apte à prendre des décisions, mais qui, en raison de troubles mentaux, ne peut s'en souvenir pendant plus d'une minute ou deux et qui est donc incapable de gérer ses affaires de manière adéquate. Un quatrième exemple pourrait concerner une personne apte à prendre des décisions et s'en souvenir, mais qui, en raison de troubles mentaux non cognitifs, est totalement incapable de donner suite à ses décisions ou à certaines d'entre elles. Il y a enfin l'exemple d'une personne qui peut prendre des décisions, mais qui, en raison d'une influençabilité extrême, a besoin d'être protégée par voie de représentation ou d'assistance. La définition couvre donc non seulement les personnes incapables de prendre des décisions, mais aussi celles qui sont incapables de les comprendre, de les exprimer ou de les mettre en Ïuvre.

18.   Certains systèmes juridiques incluent expressément les personnes qui abusent d'alcool ou d'autres substances, voire les personnes prodigues qui dilapident leur fortune au détriment de leur famille, dans la catégorie des majeurs pour lesquels des mesures de protection peuvent être prises. D'autres les excluent expressément de cette catégorie. D'autres encore ne les mentionnent nulle part. Des abus considérables d'alcool ou d'autres substances ou la prodigalité ne devraient pas en soi justifier le classement d'une personne dans la catégorie des «majeurs incapables». Cependant, une personne qui est en fait incapable en raison de tels abus serait susceptible d'entrer dans le champ d'application de ces principes.

19.   Le concept d'autonomie est un élément important du premier paragraphe. Il est employé dans une acception large, fondée sur l'idée de l'authenticité des décisions compte tenu du caractère, des valeurs et de la biographie de la personne considérée. Une décision autonome doit être exempte de coercition externe et de compulsion interne due, par exemple, à des facteurs tels qu'un délire schizophrénique ou de graves épisodes dépressifs. Elle devrait aussi se baser sur une compréhension suffisante de l'importance et des conséquences de cette décision. La rationalité, autre notion importante, n'est pas employée dans ce contexte. En effet, une référence à cette notion pourrait être interprétée à tort, car un comportement purement excentrique ou une attitude s'écartant des normes sociales prédominantes pourraient être considérés comme irrationnels. A cet égard, la Cour européenne des Droits de l'Homme a dit dans l'affaire Winterwerp que la «Convention n'autorise pas à détenir quelqu'un du seul fait que ses idées ou son comportement s'écartent des normes prédominant dans une société donnée» (Cour européenne des Droits de l'Homme, arrêt Winterwerp c/Pays-Bas du 24 octobre 1979, série A, vol. 33).

20.   Le paragraphe 2 de la partie I reproduit les raisons pour lesquelles une personne majeure peut être considérée comme incapable, telles qu'elles sont énoncées à l'article 6, paragraphe 3, de la récente Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine: «un handicap mental», «une maladie» ou «un motif similaire». Conformément au rapport explicatif de cette convention, l'expression «motif similaire» fait référence à des situations telles que l'accident ou des états de coma, par exemple, dans lesquels le patient est dans l'impossibilité de formuler ses souhaits ou de les communiquer (voir paragraphe 43 du rapport explicatif à la Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine). Bien que l'important, du point de vue de la prise de mesures juridiques de protection, soit la nature de l'incapacité, plutôt que ses causes sous-jacentes, il peut être utile de donner des exemples de la cause de l'incapacité. Cependant, il est risqué d'indiquer des causes particulières étant donné la constante évolution des connaissances médicales et scientifiques. La terminologie adoptée évolue aussi, en partie parce que certains termes destinés à l'origine à être purement descriptifs sont progressivement considérés comme péjoratifs. Une liste de conditions ou de causes particulières risque donc d'être rapidement obsolète. Néanmoins, les troubles mentaux et les troubles du comportement suivants, entre autres, peuvent conduire dans certains cas à une incapacité au sens de la définition: retard mental; démence sénile, en particulier la maladie d'Alzheimer à un stade avancé; certaines formes de maladies maniaco-dépressives et de schizophrénie. Des incapacités physiques graves, telles que l'incapacité totale de communiquer, peuvent également entrer dans le champ d'application du paragraphe 1.

21.   Comme l'indique le titre de la recommandation, il importe de souligner la nature plutôt juridique de la protection sur laquelle porte l'instrument. Celui-ci ne concerne ni l'ensemble des mesures de sécurité sociale ou de services sociaux, ni les divers traitements des maladies mentales ou des troubles mentaux, mais essentiellement la protection juridique par le biais de la représentation ou de l'assistance. Les termes «représentation» et «assistance» sont utilisés ici dans une acception fonctionnelle. La représentation désigne avant tout la prise de décisions pour ou au nom d'une personne majeure. L'assistance désigne avant tout l'aide ou les conseils offerts à une personne majeure en liaison avec les décisions ou l'acceptation de décisions prises par cette personne. Ces deux notions peuvent comprendre des fonctions d'administration. Le troisième paragraphe de la partie I évoque des «mesures de protection» stricto sensu et d'«autres mécanismes juridiques» tous les deux dans un sens juridique. La différence entre une «mesure» et un «mécanisme» tient essentiellement à la personne ou à l'organe qui a pris la décision: une «mesure» est adoptée par une autorité judiciaire ou administrative, tandis qu'un «mécanisme» est du ressort de la personne elle-même ou de tiers qui n'agissent pas dans l'exercice de fonctions judiciaires ou administratives.

22.   Le paragraphe 4 de la partie I porte sur le sens du terme «majeur» dans le cadre de ces principes. L'âge auquel une personne cesse d'être légalement incapable au sens qu'elle n'est plus considérée comme un mineur varie d'un pays à l'autre. L'âge de 18 ans est à présent l'âge courant de la majorité; mais, dans certains pays, la capacité juridique pour la totalité, sinon la quasi-totalité, des questions en matière civile est atteinte à l'âge de 16 ans. Il y aurait dans ces pays un vide en matière de protection si une personne cessait, à l'âge de 16 ans, d'avoir un représentant légal en tant qu'enfant, mais ne pouvait encore bénéficier d'un représentant juridique en tant qu'adulte. Les principes s'appliquent donc aux personnes considérées comme des personnes majeures du point de vue de la loi applicable à la capacité en matière civile. Cette formule («considérée comme») présente l'avantage supplémentaire de couvrir les mineurs émancipés.

23.   Le paragraphe 5 de la partie I de la recommandation aborde la question de la signification des termes «intervention dans le domaine de la santé» dans le cadre de la présente recommandation (partie V). Il importe de souligner à cet égard que la Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine utilise l'expression «intervention dans le domaine de la santé», sans toutefois la définir dans le texte. Le rapport explicatif contient toutefois quelques indications. Cette expression est utile dans la mesure où elle couvre non seulement les soins médicaux, chirurgicaux ou dentaires, mais également les actes réalisés dans un but de prévention, de diagnostic, de rééducation ou de recherches. Il se peut que, dans le contexte de la Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine, aucune définition ne soit nécessaire, car ce texte s'adresse aux experts d'un domaine spécifique. Dans le cadre d'un nouvel instrument destiné aux législateurs et aux conseillers politiques en général plutôt qu'aux spécialistes des soins de santé en particulier, il est utile de donner une définition. A cet égard, on entend par «intervention dans le domaine de la santé» tout acte professionnel pratiqué sur une personne pour des raisons de santé. Cette expression comprend en particulier les interventions réalisées à des fins de prévention, de diagnostic, de traitement, de rééducation ou de recherche.

IV. Observations sur les principes

Partie II – Principes directeurs

   Principe 1 – Respect des droits de l'homme

24.   Ce titre souligne que lorsqu'on prend une mesure de protection à l'égard d'un majeur incapable ou qu'on lui applique d'autres mécanismes juridiques, il est nécessaire de tenir compte de ces principes essentiels et fondamentaux.

25.   Les majeurs incapables sont en position de faiblesse en raison de leur incapacité si bien qu'ils peuvent facilement être victimes d'abus. Dans le préambule et notamment dans le principe 1, il est donc souligné que le respect de la dignité de chaque personne en tant qu'être humain est un principe servant de fondement à tous les autres principes. Le principe 1 précise aussi que les lois, les procédures et les pratiques concernant la protection des majeurs incapables doivent reposer sur le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales. La référence aux droits de l'homme est de nature générale pour éviter tout double emploi avec des dispositions d'autres instruments internationaux concernant les droits de l'homme (dont certains figurent dans le préambule).

26.   Il y a certains cas où, dans l'intérêt des personnes concernées, il peut y avoir une atteinte, par exemple au droit à la liberté ou au droit de jouir de ses biens. Il peut également y avoir des cas où, par exemple, le droit à la liberté d'une personne doit être restreint dans l'intérêt d'autrui. La recommandation laisse expressément le soin de réglementer ces questions à d'autres instruments juridiques internationaux mentionnés dans le préambule, notamment à la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales et à la Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine (article 26, paragraphe 1).

   Principe 2 – Souplesse dans la réponse juridique

27.   Lorsqu'un pays entreprend une révision de sa législation interne sur ce sujet, il doit avant tout veiller à ce que le cadre législatif soit suffisamment souple pour admettre plusieurs réponses juridiques. Il est inutile, par exemple, d'adopter un principe préconisant la solution la moins restrictive possible ou un principe préconisant une réaction parfaitement adaptée aux besoins de la situation si le cadre juridique ne prévoit pas un large éventail de réactions appropriées. Cet éventail peut comporter soit les différents types de mesures ou mécanismes disponibles, soit un type de mesures dont le contenu peut varier pour répondre aux besoins de chaque cas, soit une combinaison de ces méthodes. Il appartient aux législations nationales de définir le choix des moyens retenus.

28.   Des mesures d'urgence efficaces devraient toujours être disponibles. Sur ce point, il importe de prendre en considération les principes énoncés dans la Recommandation no R (91) 9 du Comité des Ministres sur les mesures d'urgence concernant la famille.

29.   Le principe de souplesse implique aussi que le cadre juridique devrait prévoir des mesures et autres mécanismes juridiques simples et peu onéreux. Ces mesures pourraient consister par exemple à confier la gestion de fonds, dans certaines limites, à l'administration hospitalière ou à d'autres autorités, ou à la désignation de représentants aux pouvoirs strictement limités par les autorités administratives selon une procédure simple et peu coûteuse.

30.   L'éventail des mesures disponibles devrait comprendre celles qui ne restreignent pas nécessairement la capacité juridique de la personne concernée. C'est là un corollaire à la politique générale en faveur d'une préservation maximale de la capacité définie par le principe 3. Dans de nombreux cas, les personnes qui font l'objet de mesures de protection se trouvent dans un état de passivité au vu duquel il n'y a aucun risque qu'elles contractent des engagements légaux. Il n'y a donc aucune raison de leur retirer leur capacité juridique. Une telle mesure peut toutefois se révéler nécessaire si la personne concernée, en dépit ou plutôt en raison de son handicap, est active et qu'il est nécessaire de la protéger contre des décisions qu'elle pourrait prendre et qui comportent des risques. Il peut également être nécessaire d'empêcher l'exploitation de ces personnes par des tiers.

31.   L'éventail de mesures devrait aussi prévoir des mesures limitées à un acte spécifique ou à une intervention ponctuelle. Dans de nombreuses situations, il n'est pas nécessaire de désigner un représentant doté de pouvoirs permanents. En fait, il peut être inutile de désigner un type quelconque de représentant. Il peut suffire que le tribunal lui-même ou un autre organe autorise l'intervention. Cette autorisation peut par exemple concerner la vente d'une maison ou une intervention médicale particulière.

32.   Le paragraphe 6 traite des mécanismes en vertu desquels la personne désignée agit conjointement avec le majeur concerné, lequel n'est pas forcément totalement privé de capacité. Une autre forme de représentation conjointe mérite aussi d'être citée, à savoir celle assurée par deux ou plusieurs représentants. L'avantage d'un tel mécanisme est que les représentants peuvent offrir des compétences différentes. Ce mécanisme permettra parfois d'accorder une protection accrue. Un représentant peut par exemple apporter un soutien précieux en matière personnelle tout en étant peu fiable en ce qui concerne la gestion des ressources financières. Une tutelle conjointe peut permettre d'assurer à la fois une surveillance et une protection. Une autre méthode impliquant deux représentants peut consister à désigner un représentant et un représentant suppléant habilité à remplacer le premier si le représentant principal décède ou est dans l'incapacité d'agir.

33.   Le paragraphe 7 mentionne les avantages que présente le fait de reconnaître juridiquement les dispositions prises à l'avance par une personne lorsqu'elle était encore pleinement capable. Certaines dispositions peuvent ne pas demander d'intervention juridique. Par exemple, une personne peut être en mesure de passer un contrat avec sa banque ou un établissement analogue, en vertu duquel des paiements peuvent être effectués à une personne désignée lorsque des signes évidents d'incapacité apparaîtront. Il peut être possible d'ouvrir des comptes joints pour parvenir au même résultat. Certaines de ces dispositions prises à l'avance peuvent exiger davantage de réglementation juridique. On peut citer comme exemple de telles dispositions les procurations permanentes ou des instructions données à l'avance dans le domaine de la santé. Certains systèmes juridiques recourent de plus en plus à des actes de procuration spécialement adaptés. Une procuration est un mandat ou un pouvoir accordé par une personne (concédant ou donneur ou mandant ou commettant) à une autre (le fondé de pouvoir ou mandataire ou agent) autorisant le mandataire à agir au nom du mandant. La portée du mandat ou du pouvoir dépend des termes de l'acte de procuration ou du mandat qui les constitue. Le concept fondamental de mandat ou de pouvoir pour agir accordé volontairement par mandat ou délégation de pouvoir est un concept familier dans les systèmes juridiques européens. Un exemple typique est le pouvoir donné à un agent immobilier d'agir au nom d'un propriétaire absent. Cependant, l'application particulière de ce concept aux majeurs incapables soulève des difficultés particulières. D'abord, il faut savoir si le droit applicable dispose que le mandat cesse de produire des effets lorsque le mandant devient par la suite incapable ou au contraire s'il continue de produire des effets malgré la survenue de l'incapacité. Si la règle générale est la cessation, il faut alors que le système juridique prévoie une exception pour que, dans des circonstances spécifiques et sous réserve de sauvegardes appropriées, le mandat continue d'avoir des effets lorsque survient l'incapacité. Si la règle générale est le maintien des effets juridiques, il est nécessaire que le système juridique envisage les sauvegardes nécessaires pour la situation qui se produit dès que survient l'incapacité.

34.   Le paragraphe 8 traite des avantages que présente une certaine reconnaissance légale des fonctions exercées couramment de facto par les membres de la famille et les personnes intervenant dans les affaires du majeur incapable, par exemple un partenaire cohabitant avec le majeur incapable ou un ami proche. Deux des principes directeurs lors de l'adoption des mesures de protection sont les principes de nécessité et de subsidiarité (voir principe 5 ci-après). Si la protection et l'assistance nécessaires peuvent être correctement assurées par la famille ou d'autres personnes intervenant dans les affaires du majeur incapable, il n'est pas forcément nécessaire dans ce cas de prendre des mesures formelles. A l'heure actuelle, il semble probable que, dans de nombreux systèmes juridiques, les membres de la famille et les personnes intervenant dans les affaires du majeur incapable agissent dans un vide juridique ou du moins dans une situation juridique confuse. Des doctrines comme la negotiorum gestio[1] peuvent ne pas apporter de réponse complète,[2] même dans les systèmes où elles ont connu un développement élaboré. Certes, si les décisions prises par un parent ou par une personne intervenant dans les affaires du majeur incapable sont reconnues par la loi, tout pouvoir conféré ou reconnu devra être soigneusement limité, contrôlé et surveillé.

   Principe 3 – Préservation maximale de la capacité

35.   Le cadre juridique devrait reconnaître que différents degrés d'incapacité peuvent exister et que l'incapacité peut varier dans le temps. Par conséquent, le cadre juridique devrait assurer que des conséquences extrêmes ne soient pas automatiquement attachées aux mesures de protection. En particulier, une mesure de protection ne devrait pas aboutir automatiquement à une restriction totale de la capacité juridique. Cependant, une telle restriction de la capacité juridique devrait être possible si elle est nécessaire pour protéger la personne concernée. Il est supposé qu'il ne sera jamais nécessaire de restreindre la capacité de voter, de tester, de consentir ou de refuser de consentir à un traitement médical quelconque ou à une autre intervention dans le domaine de la santé, ou de prendre d'autres décisions à caractère personnel telles que la décision de se marier. De tels actes devraient dépendre de l'existence ou de l'absence d'une véritable capacité le moment venu. Toute règle concernant l'évaluation de la capacité devrait préciser clairement que cette évaluation doit porter sur la capacité de prendre des décisions particulières ou des types de décisions, ou d'effectuer des actes spécifiques ou des actes dans un domaine spécifique.

36.   Le représentant d'un majeur incapable devrait encourager, le cas échéant, le majeur à agir par lui-même. Le principe général ici est que, dans la mesure où cela est possible et approprié, l'adulte concerné devrait participer à l'adoption et à la mise en Ïuvre des mesures de protection quelles qu'elles soient. Une application particulière de ce principe pourrait être un arrangement par lequel le majeur est autorisé par son représentant à accomplir certains actes spécifiques ou des actes dans un domaine spécifique, ce, même dans des domaines qui relèvent de la compétence générale de ce dernier. Ce principe s'applique également dans le domaine de la santé (voir à cet égard l'article 6, paragraphe 3, de la Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine).

   Principe 4 – Publicité

37.   La question de la publicité qui doit être accordée aux mesures de protection est une question délicate. D'une part, cette publicité comporte certainement un risque de stigmatisation de la personne concernée. D'autre part, dans certains cas, la publicité peut servir à protéger non seulement les tiers, mais aussi le majeur concerné. La seule conclusion certaine est peut-être que la nécessité de donner une certaine publicité à certains types spécifiques de mesures et le type de publicité qu'il convient de leur donner doit être soigneusement évaluée. L'inscription sur un registre pouvant être consulté par ceux qui peuvent être concernés par une telle mesure, mais qui le consulteront sans doute rarement, serait moins stigmatisante que, par exemple, un avis public ou une annotation sur un certificat de naissance. Il est apparu en définitive préférable de laisser aux législations nationales une certaine latitude quant aux techniques à employer dans la pratique. Cependant, il est clair qu'il convient d'éviter toute publicité inutilement stigmatisante.

   Principe 5 – Nécessité et subsidiarité

38.   Deux des principes clés qui ont inspiré les réformes récentes de ce domaine sont les principes de nécessité et de subsidiarité, également connus sous l'expression de «principe d'intervention nécessaire minimale». Ils impliquent d'abord qu'aucune mesure de protection ne devrait être instaurée à moins qu'elle ne soit nécessaire, compte tenu des circonstances particulières de l'espèce. Ensuite, lorsqu'il est décidé qu'une mesure est nécessaire, il faut prendre en considération tout mécanisme moins formel qui pourrait être adopté ou employé et toute assistance qui pourrait être assurée par les membres de la famille, par les autorités publiques ou par d'autres moyens. Ce dernier est le principe connu comme «subsidiarité»: une intervention par le biais de mesures juridiques devrait avoir un caractère subsidiaire par rapport à une intervention impliquant des dispositions informelles ou l'octroi d'assistance. Toute législation traitant le problème des majeurs incapables devrait réserver une place privilégiée à ces principes. Le principe de nécessité n'empêcherait pas qu'une mesure qui n'est pas strictement nécessaire soit prise avec le consentement du majeur incapable, non sans rechercher, toutefois, s'il jouit de capacité suffisante. Ainsi, il est possible d'instaurer une mesure de protection afin de prévenir les conséquences de toute incapacité future (par exemple une personne atteinte de la maladie d'Alzheimer à un stade préliminaire).

39.   La référence à la nécessité soulève la question du critère qui doit être appliqué. Nécessaire dans quel but? Il est implicite que la mesure doit être nécessaire pour la protection du majeur, de ses intérêts ou de son bien-être. La protection induit une protection contre un quelconque danger ou inconvénient, y compris le risque de perdre un avantage ou une chance qui aurait été autrement offerte.

   Principe 6 – Proportionnalité

40.   Un autre principe, dont l'importance a été reconnue dans toutes les réformes récentes, est le principe selon lequel, lorsqu'une mesure de protection est nécessaire, elle doit être proportionnelle au degré de capacité de la personne concernée et adaptée aux circonstances particulières de l'affaire. Ce principe est également qualifié de principe de la «solution la moins contraignante». La mesure devrait restreindre la capacité juridique, les droits et libertés de la personne concernée seulement dans la limite nécessaire pour atteindre les objectifs poursuivis par l'intervention. Les systèmes juridiques plus traditionnels selon lesquels certaines mesures de protection privent automatiquement la personne concernée de la capacité juridique, ou en restreignent substantiellement sa capacité juridique sans qu'il soit tenu compte des besoins de la situation particulière, ne seraient manifestement pas conformes à ce principe.

   Principe 7 – Caractère équitable et efficace de la procédure

41.   Le présent principe prévoit qu'une procédure équitable et efficace soit mise en place pour prendre des mesures de protection. Le caractère «équitable» doit être considéré comme un principe applicable pendant le déroulement de la procédure. Il implique, en particulier, que l'on prévoie des procédures adéquates pour l'enquête et l'évaluation (voir principe 12 ci-dessous). L'efficacité de la procédure est liée au principe 11 ci-dessous qui porte sur la compétence pour engager une procédure.

42.   Des garanties procédurales appropriées devraient être prévues pour protéger les droits fondamentaux de la personne concernée et pour prévenir les abus éventuels. Il faut être vigilant face au risque qu'un changement dans la terminologie en matière de protection ne masque la nature exacte de la mesure. Une mesure appelée mesure de protection ou d'assistance peut en réalité constituer une atteinte aux droits et aux libertés du point de vue du majeur concerné.

   Principe 8 – Prééminence des intérêts et du bien-être de la personne concernée

43.   Il importe de souligner que les intérêts et le bien-être[3] du majeur concerné devraient être pris en compte de manière prééminente lors de l'instauration ou de la mise en Ïuvre d'une mesure de protection. Ils ne constituent pas nécessairement les seuls éléments à prendre en considération. Des tiers, comme ceux qui s'occupent de la personne concernée et, dans certains cas, des voisins et d'autres personnes encore, peuvent aussi avoir des intérêts qu'il faut prendre en considération. Toutefois, l'accent devrait être mis clairement sur les intérêts et le bien-être de la personne majeure concernée.

44.   Le principe implique entre autres que le choix de celui qui est chargé de représenter ou d'assister un majeur incapable doit se fonder sur l'aptitude de cette personne à sauvegarder et à promouvoir les intérêts et le bien-être du majeur concerné. Dans certaines situations familiales, il y a des conflits d'intérêts parfois très aigus et, si le rôle inestimable et irremplaçable des membres de la famille doit être pleinement reconnu et apprécié, le droit doit aussi tenir compte des risques qui existent dans certaines situations liées à un conflit familial.

45.   La sauvegarde et la promotion des intérêts et du bien-être du majeur sont deux conditions cumulatives devant présider au choix du représentant. Il convient de souligner les liens étroits entre le paragraphe 2 du présent principe et le paragraphe 2 du principe 9. Les souhaits exprimés par le majeur quant au choix de la personne qui le représentera ou l'assistera doivent être pris en compte et être dûment respectés, pour autant que la personne choisie par le majeur soit adéquate pour sauvegarder et promouvoir ses intérêts et son bien-être (voir paragraphe 47 ci-après).

46.   Le principe de la prééminence des intérêts et du bien-être du majeur concerné implique aussi que les biens de celui-ci ne soient pas préservés dans l'intérêt de ses héritiers ou d'autrui s'ils peuvent être gérés et utilisés utilement et de manière adéquate dans l'intérêt du majeur concerné et pour améliorer sa qualité de vie.

   Principe 9 – Respect des souhaits et des sentiments de la personne concernée

47.   L'une des questions théoriques qui se pose au sujet des majeurs incapables est de savoir si le principe régissant l'intervention est celui portant sur «l'intérêt supérieur» de la personne concernée ou celui dit du «jugement substitué». Lorsque le choix se fait entre les intérêts de la personne majeure et les intérêts d'autres personnes et lorsque l'on ne connaît pas les souhaits du majeur en la matière, il semble alors raisonnable, comme cela est suggéré plus haut, de donner prééminence aux intérêts du majeur incapable. Il peut toutefois, dans certains cas, s'agir de choisir entre les intérêts de la personne majeure et les souhaits exprimés ou supposés de celle-ci. On ne peut donner de réponse stricte à cette question. Dans certains cas, il serait déraisonnable et sans doute inacceptable de donner automatiquement et pleinement effet à ce qui est supposé être le souhait de la personne majeure. L'incapacité peut frapper toutes sortes de personnes. Il n'est pas nécessairement opportun de considérer les souhaits exprimés antérieurement comme absolument contraignants pour tout représentant et en toutes circonstances. Il semble cependant clair que l'un des principes directeurs devrait être qu'en instaurant ou en appliquant une mesure de protection il convient de rechercher, dans la mesure du possible, de prendre en compte et de respecter dûment les souhaits passés et présents, et les sentiments de la personne concernée. La formule «respecter dûment» autorise cependant une certaine liberté d'appréciation.

48.   Le principe du respect des souhaits et sentiments de la personne concernée implique en particulier qu'il faut prendre en considération et, dans la mesure du possible, dûment respecter les souhaits de la personne quant au choix de son représentant ou assistant. Il implique aussi que le représentant devrait informer la personne concernée de toute décision portant sur des questions importantes qui la concernent, de manière à ce qu'elle puisse exprimer son point de vue. Le respect des souhaits de la personne majeure peut, par exemple, justifier de petits dons conformément à ses souhaits.

49.   Le principe s'applique aussi au refus de se voir administrer certains types de traitement médical. Il est utile de rappeler, dans ce contexte, l'article 9 de la Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine de 1997, selon lequel «les souhaits précédemment exprimés au sujet d'une intervention médicale par un patient qui, au moment de l'intervention, n'est pas en état d'exprimer sa volonté seront pris en compte».

   Principe 10 – Consultation

50.   Le principe de l'intervention nécessaire minimale signifie qu'il y aura très souvent des situations où tant les membres de la famille (ou d'autres personnes intervenant de manière informelle dans les affaires du majeur incapable) que les représentants désignés auront ensemble un rôle à jouer dans la protection et l'assistance de la personne concernée. Il peut aussi y avoir des situations où il y a deux ou plus de deux représentants qui agissent ensemble, et d'autres où un tribunal ou autre organe ou une personne sont appelés à autoriser ou à approuver une intervention particulière alors qu'un représentant est déjà désigné. Il est clair que, lorsque plusieurs personnes s'occupent de la protection et de la promotion du bien-être d'une personne majeure, le principe fondamental est que celles-ci doivent être consultées, dans la mesure de ce qui est raisonnable et possible, par toute personne instaurant ou exécutant une mesure de protection. La manière dont cette consultation doit se dérouler, les effets de la consultation ou de l'absence de consultation doivent être déterminés par le droit interne, de même que le cercle des personnes à consulter.

Partie III – Principes procéduraux

   Principe 11 – Engagement des procédures

51.   L'énumération des personnes pouvant engager une procédure conduisant à l'instauration de mesures de protection pour des majeurs incapables devrait être suffisamment large pour garantir que ces mesures de protection seront envisagées dans tous les cas où elles seront nécessaires. Le majeur incapable doit figurer parmi ces personnes. Il n'est plus possible de présumer, notamment dans le cas des personnes âgées, qu'il y aura toujours au sein de la famille du majeur une personne responsable et concernée prête à engager une procédure. Comme cela a été dit précédemment, ce principe configure l'un des aspects de l'efficacité de la procédure (voir principe 7).

52.   Lors de l'engagement de cette procédure, il est nécessaire de donner pleinement effet à la garantie procédurale particulière selon laquelle la personne concernée doit être informée de l'engagement d'une procédure pouvant avoir une incidence sur sa capacité juridique, à moins qu'une telle information soit manifestement inutile ou comporte un danger sérieux pour l'état de santé de la personne concernée. A cet égard, il est nécessaire de rappeler les exigences de l'article 6 (paragraphes 1 et 3.a en particulier) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales.

   Principe 12 – Enquête et évaluation

53.   Il conviendrait de prévoir des procédures appropriées en ce qui concerne l'enquête et l'évaluation des facultés personnelles de l'adulte concerné. C'est là un élément de l'équité de la procédure prévue par le principe 7.

54.   Le juge ou toute autre personne qui instaure une mesure de protection quelconque ayant pour effet de restreindre la capacité juridique d'une personne majeure devrait la voir personnellement avant de prendre sa décision, ou avoir pris connaissance personnellement de la situation de celle-ci. Des rapports d'experts devraient toujours être exigés dans le cas de mesures plus formelles ayant une incidence sur la capacité. Ces rapports peuvent se présenter sous forme écrite ou doivent être enregistrés par écrit dans le cas où les experts présentent leurs rapports oralement, par exemple lors du processus de décision visant à instaurer une mesure de protection. Même lorsque le majeur a été vu par la personne qui prend la décision, un rapport d'expert pourrait constituer une bonne garantie. A cet égard, il faut souligner l'exigence d'une évaluation des capacités sociales de la personne concernée par des experts qualifiés inscrite dans la Déclaration des droits du déficient mental des Nations Unies (Rés. 2856 (XXVI) de l'Assemblée générale, 20 décembre 1971).

   Principe 13 – Droit d'être entendu personnellement

55.   Le droit d'être entendu personnellement dans le cadre de toute procédure pouvant avoir une incidence sur sa capacité juridique est une autre garantie procédurale spécifique. La personne titulaire de ce droit d'être entendue peut toutefois ne pas être en mesure de l'exercer dans certains cas particuliers, par exemple lorsque l'adulte est incapable d'intervenir et d'exprimer une opinion ou lorsqu'il est trop souffrant pour participer à une procédure judiciaire. L'exercice de ce droit peut également faire l'objet d'un contrôle, par exemple lorsqu'il est établi que la personne est perturbée. En pareil cas, il convient de veiller à ce que le droit de représentation du majeur concerné soit respecté. En ce qui concerne le droit d'être entendu, il est nécessaire de tenir compte des dispositions de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, en particulier de son article 6, paragraphe 1, ainsi que de la jurisprudence de la Commission et de la Cour européennes des Droits de l'Homme concernant le droit d'être entendu.

   Principe 14 – Durée, révision et recours

56.   Les mesures de protection ne devraient pas être instaurées pour une durée indéterminée, à moins que cela ne s'avère nécessaire ou indiqué pour garantir les intérêts du majeur concerné, par exemple lorsque le majeur ayant besoin d'un représentant est atteint de démence sénile incurable. Il conviendrait d'envisager la révision périodique de toute mesure de protection adoptée, à moins que celle-ci ne soit d'une durée courte et déterminée. La périodicité de ces révisions pourrait par exemple être fixée par l'autorité ayant instauré la mesure de protection.

Il faut laisser au droit interne le soin de désigner les personnes habilitées à demander une révision des mesures de protection. A cet égard, le majeur concerné doit également avoir la possibilité de formuler une telle demande.

57.   Compte tenu de l'approche adoptée par la présente recommandation, laquelle reconnaît l'existence de divers degrés d'incapacité et admet que celle-ci peut varier dans le temps et que, partant, toute mesure de protection doit être régie par le souci d'une préservation maximale de la capacité du majeur concerné, tout changement de circonstances et, surtout, toute modification de l'état du majeur doit donner lieu à une révision des mesures de protection. Les changements de circonstances, autres que les modifications de l'état de l'adulte, à prendre en considération peuvent inclure, par exemple, le fait que cet adulte hérite de biens ou qu'il change de lieu de résidence. De surcroît, si les conditions justifiant la mise en place de mesures de protection

ne sont plus réunies, il convient de mettre un terme aux mesures en question.

58.   Il conviendrait de prévoir aussi des voies de recours appropriées, comme le requiert la Déclaration des droits du déficient mental des Nations Unies (Rés. 2856 (XXVI) de l'Assemblée générale, 20 décembre 1971).

   Principe 15 – Mesures provisoires en cas d'urgence

59.   Il devrait y avoir, dans la mesure du possible, des procédures simples et rapides permettant d'adopter une mesure de protection provisoire dans les cas d'urgence. Dans ces cas, les principes concernant l'engagement de procédures (principe 11), l'enquête et l'évaluation (principe 12), le droit d'être entendu (principe 13) et la durée, la révision et le recours (principe 14) devraient aussi pouvoir s'appliquer, dans la mesure du possible, en fonction des circonstances.

   Principe 16 – Contrôle adéquat

60.   Il conviendrait de prévoir un système approprié de contrôle de la mise en Ïuvre des mesures de protection et des actes et décisions des représentants. Il est toutefois important de trouver un équilibre, car un contrôle excessif, en particulier s'agissant de mesures moins formelles, pourrait aller à l'encontre du but recherché et rendre totalement impossible la mise en Ïuvre effective des mesures. Le système de contrôle devrait tenir compte du fait que des frais et fardeaux excessifs peuvent empêcher ou décourager l'emploi de mesures qui seraient dans l'intérêt des personnes concernées.

   Principe 17 – Personnes qualifiées

61.   Il conviendrait de prévoir un nombre suffisant de personnes qualifiées pour assurer la représentation et l'assistance des majeurs incapables. Le niveau de qualification requis dépendra largement du rôle et des fonctions des personnes qui représentent ou assistent les majeurs incapables. Dans certains pays, notamment en Autriche et en France, il a été jugé très utile de créer et de soutenir des associations qui ont pour vocation de proposer et de former des personnes pouvant représenter ou assister des majeurs incapables.

Partie IV – Rôle des représentants

   Principe 18 – Contrôle des pouvoirs conférés au titre de la loi

62.   Le principe 18 est le premier principe de la partie IV de la recommandation, qui traite du rôle des représentants.

63.   Dans certains pays, certaines personnes peuvent, dans certains cas, disposer de pouvoirs relativement étendus au titre de la loi. Ainsi, les parents d'une personne qui est incapable pendant sa minorité peuvent continuer à exercer les pouvoirs de représentants légaux après que la personne aura atteint l'âge de la majorité. Cependant, d'autres pays ne permettent pas qu'une personne ait de plein droit des pouvoirs étendus dans la gestion des affaires d'un majeur incapable. En particulier, ils ne permettent pas que la responsabilité parentale puisse se poursuivre une fois qu'un enfant a atteint la majorité. Il peut s'agir dans ces pays d'une politique générale opposée à une «infantilisation» des majeurs incapables. Toutefois, même dans ces pays, il est probable que la loi confère des pouvoirs limités. Ainsi, la législation concernant la negotiorum gestio (ou «gestion d'affaires») peut autoriser que des actes d'administration ou des actions visant à protéger les biens soient réalisés au nom d'une personne majeure qui n'est pas apte à le faire. Il serait déplacé de déclarer que l'ensemble de ces pouvoirs est inacceptable. En effet, l'octroi ou la reconnaissance de certains pouvoirs limités pourrait être très utile pour souligner et mettre en valeur le rôle des membres de la famille, du personnel soignant et du corps médical, et pour éviter un vide juridique technique.

64.   Il est en tout cas clair qu'il est nécessaire de limiter et de contrôler l'exercice de tout pouvoir conféré par la loi à une personne pour agir ou prendre des décisions au nom d'un majeur incapable. Il y a ici des répercussions évidentes sur les droits de l'homme et un risque évident de porter atteinte aux principes de nécessité et de proportionnalité. Il est donc nécessaire de souligner que l'octroi par la loi de ces pouvoirs ne devrait jamais priver le majeur concerné de la capacité juridique. Tout pouvoir de cette nature devrait être considéré comme complémentaire. Il devrait pouvoir être modifié ou remplacé à tout moment par une mesure de protection prise par une autorité judiciaire ou administrative. La nécessité de contrôler l'exercice de ce type de pouvoir ne signifie pas qu'il faille instaurer un système de contrôle trop lourd. Il suffirait de veiller à ce que l'exercice de ces pouvoirs puisse être soumis à contrôle si nécessaire.

65.   Les principes concernant la prééminence des intérêts et du bien-être de la personne concernée (principe 8), le respect des souhaits et sentiments de la personne concernée (principe 9) et la consultation (principe 10) devraient s'appliquer à l'exercice des pouvoirs de cette nature conférés par la loi à une personne quelconque.

   Principe 19 – Limitation des pouvoirs des représentants

66.   Certains systèmes juridiques prévoient expressément que le représentant ne peut s'occuper au nom du majeur incapable de certaines questions de nature éminemment personnelle. Il est relativement clair qu'il y a certaines questions dont presque tout le monde conviendrait qu'elles sont de nature si personnelle qu'un représentant ne devrait jamais s'en occuper au nom du majeur concerné. Ainsi, le vote, le mariage, la reconnaissance et l'adoption d'un enfant. Mais il existe tout un éventail d'autres mesures pour lesquelles des avis différents peuvent être adoptés et sur lesquelles il appartient au droit national de se prononcer en tenant compte des autres principes pertinents. Il existe par exemple des arguments contradictoires en ce qui concerne l'élaboration, la modification ou la révocation d'un testament au nom du majeur incapable, la réalisation d'une donation, ou encore la situation de demandeur ou défendeur dans une procédure de divorce.

67.   Une autre technique souvent employée consiste à demander au tribunal ou à un autre organe d'approuver spécifiquement certaines décisions de nature importante, comme le consentement à certaines interventions médicales graves ou controversées, la disposition de biens selon certaines modalités, ou encore le consentement d'être lié par certains types d'obligations. Le droit national peut requérir une telle approbation dans certains cas spécifiques.

   Principe 20 – Responsabilité

68.   Le principe général est que les représentants sont responsables dans l'exercice de leurs fonctions, en conformité avec le droit interne, en cas de fait dommageable survenu au majeur incapable. En particulier, la législation relative à la responsabilité en cas de dol, négligence et mauvais traitements devrait avoir vocation à s'appliquer au représentant et à toute autre personne intervenant dans les affaires d'un majeur incapable.

69.   Cependant, il se peut que les dispositions classiques sur la responsabilité doivent être adaptées pour tenir compte de certains principes. Ainsi, un représentant devrait-il être tenu pour responsable d'une diminution du patrimoine du majeur concerné, si cette diminution résulte directement de l'application du principe selon lequel les souhaits passés du majeur doivent être dûment respectés et pris en considération ou si elle provient de ce que le représentant a respecté le principe permettant à la personne majeure de participer à la gestion de ses propres affaires? Dans de telles situations, si le représentant a agi avec prudence et est de bonne foi conformément aux principes de la recommandation, il ne devrait pas être tenu pour responsable. Par ailleurs, il serait nécessaire, ou du moins souhaitable, de mettre en place une assurance obligatoire pour permettre de faire face à toute responsabilité éventuelle du représentant.

   Principe 21 – Rémunération et dépenses

70.   La rémunération des représentants et autres assistants est manifestement une question très importante dans la pratique. La question du remboursement des dépenses l'est tout autant. Le droit interne doit disposer d'une large marge d'appréciation. Lorsque le majeur incapable possède un patrimoine considérable, aucune raison de principe ne semble s'opposer à ce que les frais de représentation soient couverts par ce patrimoine. Le problème devient plus délicat quand les ressources de l'adulte sont modestes, et, en pareil cas, une aide publique peut même être nécessaire ou souhaitable. Certaines législations nationales établissent une distinction entre ceux qui interviennent à titre professionnel et ceux qui le font en tant que membres de la famille. Il peut également y avoir des cas dans lesquels il est pleinement justifié de distinguer entre la gestion des questions personnelles et celle des questions patrimoniales de la personne concernée. En tout état de cause, l'objectif de ce principe est de souligner que les législations nationales devraient comporter des dispositions régissant cette importante question.

Partie V – Interventions dans le domaine de la santé

71.   La partie V porte sur les interventions dans le domaine de la santé. A cet égard, il est nécessaire de souligner que le groupe de spécialistes qui a élaboré la présente recommandation a examiné les relations entre cette recommandation concernant la protection juridique des majeurs incapables et la Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine lors d'une réunion conjointe avec le Comité directeur pour la bioéthique (CDBI). Les conclusions inscrites dans ce premier instrument juridique international contraignant dans ce domaine sont suivies pour autant qu'elles se situent dans le champ d'application de la présente recommandation. Il a cependant été décidé que la recommandation sur la protection juridique des majeurs incapables devrait comprendre certains principes sur les interventions dans le domaine de la santé. D'abord, certains points n'ont pas été réglés par la Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine. Ainsi, ce texte laisse en suspens la question importante de savoir si, en règle générale, la capacité de consentir à une intervention médicale doit se fonder sur la capacité réelle au moment de l'intervention proposée ou sur l'incapacité juridique. Ensuite, même pour les questions traitées par la Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine, il n'est pas inutile d'en répéter les conclusions les plus pertinentes dans la présente recommandation. Il se peut que certains pays s'abstiennent de ratifier la Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine pour des raisons qui sont étrangères aux règles concernant les majeurs incapables. Or, les principes énoncés par la recommandation pourraient avoir une influence dans ces pays-là. Il subsiste cependant un problème dans ce domaine. Certaines interventions médicales (ou l'absence d'intervention) sur des majeurs incapables – comme le fait de mettre fin ou de refuser de mettre en place un traitement qui maintient une personne en vie ou d'entreprendre sur elle des recherches à des fins non thérapeutiques – peuvent donner lieu à des divergences d'opinions si profondes que la controverse qu'elles suscitent pourrait dominer le débat sur l'ensemble de l'instrument et empêcher un examen objectif des propositions sur les mesures de protection en général. Il a donc été décidé de ne pas faire figurer de recommandations détaillées sur ces questions.

72.   Pour les raisons mentionnées aux paragraphes ci-dessus, la partie V du projet de recommandation reprend certaines dispositions de la Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine, légèrement amendées. Il importe d'insister sur le caractère spécifique de cette partie dans le contexte de la recommandation. En effet, la partie V ne traite pas de la représentation et de l'assistance du majeur, à l'instar des autres dispositions de la recommandation, mais aborde la question de la protection du majeur dans les cas où une intervention dans le domaine de la santé est envisagée.

   Principe 22 – Consentement

73.   Le paragraphe 1 de ce principe souligne que, si un adulte, même s'il fait l'objet d'une mesure de protection, est en fait capable de donner, au moment voulu, son consentement libre et éclairé pour une intervention dans le domaine de la santé, celle-ci ne peut être pratiquée qu'avec son consentement. Ce principe est une conséquence directe de l'approche de la recommandation, qui favorise la capacité réelle dans la mesure du possible. Il tient également compte du fait qu'un adulte peut n'être soumis qu'à une mesure de protection limitée, portant uniquement sur ses biens, par exemple. Ce principe n'empêche pas l'adulte faisant l'objet d'une mesure de protection de consulter son représentant. La deuxième phrase de ce principe aborde la question du rôle actif que les spécialistes des soins de santé et les représentants devraient jouer pour rechercher le consentement de l'adulte concerné. Dans certains cas, il peut être nécessaire que le consentement de l'adulte soit communiqué par l'intermédiaire d'une personne en qui l'adulte a confiance.

74.   Si un désaccord concernant la capacité réelle de l'adulte survient entre un médecin et le représentant de l'adulte, par exemple, et qu'il ne peut être résolu autrement, l'autorité compétente pourrait être invitée à statuer sur le différend.

75.   S'agissant de la protection des personnes n'ayant pas la capacité de consentir (paragraphe 2), il convient d'adopter les solutions retenues à l'article 6 de la Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine en en modifiant le libellé de manière adéquate[4]. Il importe de rappeler que, hormis des cas exceptionnels (voir les observations relatives au principe 24), l'article 6 dispose que l'intervention doit se faire pour le bénéfice direct de la personne concernée et qu'elle ne peut être effectuée sans l'autorisation du représentant de celle-ci, ou d'une «autorité, ou d'une personne ou instance désignée par la loi». Il convient de noter que les principes 8 à 10 s'appliquent aux interventions dans le domaine de la santé (voir le principe 27). En conséquence, si un adulte n'est pas en mesure de donner son consentement en vue d'une intervention donnée, il convient néanmoins, dans la mesure du possible, de s'assurer de ses souhaits, de les prendre en compte et de les respecter dûment. Ce principe ne sera pas interprété comme limitant ou portant atteinte à la faculté, pour le droit interne, d'accorder une protection plus étendue à la personne concernée pour ce qui regarde les interventions médicales.

76.   La question de savoir quelle autorité, personne ou instance devrait être désignée par la loi comme ayant un pouvoir de prendre des décisions concernant un majeur incapable est une question particulièrement importante s'agissant d'un traitement médical (paragraphe 3). A tout moment et dans n'importe quel pays, de nombreux patients potentiels seront en fait incapables de donner un consentement libre et éclairé pour un traitement médical, mais n'auront pas pour autant de représentant légal formellement désigné. Les dispositions relatives au traitement en cas d'urgence ne donnent qu'une réponse partielle aux problèmes pratiques qui peuvent surgir[5].

77.   Il est probable qu'il y ait de nombreuses interventions mineures et de routine qui ne découlent pas de situations d'urgence, qui peuvent

______

1.

2.

44

------------------------------------------------------------------------

être légèrement envahissantes, mais qui ne justifient pas la désignation formelle d'un représentant légal, ni même une requête aux fins d'autorisation auprès d'un tribunal ou d'un organe similaire. Par exemple, la cryothérapie d'une verrue qui cause une irritation ou des désagréments ou la suture d'une petite coupure, dont la cicatrisation serait moins belle sans intervention. Dans la pratique, il ne fait aucun doute que de nombreux traitements de cette nature seront dispensés sans formalisme. Cependant, si la loi n'autorise pas d'une manière ou d'une autre à agir dans de tels cas, toute intervention sera techniquement d'une légalité douteuse. Les médecins qui font de leur mieux pour leurs patients et s'efforcent d'agir conformément aux règles de conduite applicables en l'espèce et aux codes déontologiques reconnus au niveau international méritent mieux de la part de la loi que de devoir intervenir dans un vide juridique. Il n'est dans l'intérêt de personne qu'une procédure juridique soit engagée dans de tels cas afin de désigner un représentant ou d'accorder une autorisation formelle.

78.   Il est proposé que les Etats qui réforment leur législation sur les majeurs incapables envisagent quels organes, autorités ou personnes doivent être habilités par la loi à autoriser un traitement médical, qui, de l'avis du professionnel médical chargé du dossier, est manifestement dans le bénéfice du majeur incapable. De nombreux arguments plaident pour que les professionnels de la santé puissent eux-mêmes autoriser certaines interventions mineures. Les interventions de nature plus grave requièrent l'autorisation d'un représentant désigné et doté des pouvoirs appropriés ou, dans certains cas, d'un organe spécifique ou du tribunal. Il revient au droit national de déterminer les modalités précises et le champ d'application du système d'autorisation. L'important est que les principes soulignent la nécessité de traiter ces questions avec prudence. L'accent mis désormais sur la subsidiarité et la proportionnalité signifie qu'il sera tout à fait normal qu'un majeur incapable n'ait pas un représentant doté de pouvoirs étendus. C'est là une évolution qu'il faut saluer plutôt que déplorer, même si cela implique la nécessité de veiller à combler les vides juridiques inutiles.

79.   Une question particulièrement délicate se pose dans les cas où un désaccord survient entre des personnes ou des instances habilitées à consentir ou à refuser de consentir à des interventions dans le domaine de la santé sur des adultes incapables d'exprimer leur consentement (paragraphe 4). Le droit interne devrait prévoir des mécanismes permettant de résoudre ce type de conflits. Un exemple connu concerne deux représentants du majeur incapable: l'un doté d'un mandat général et l'autre doté d'un mandat spécifique dans le domaine de la santé. En pareil cas, il se peut que le représentant doté d'un mandat général conteste ou oppose son veto à un traitement médical disponible que les médecins ou d'autres personnes chargées des soins de santé, y compris la personne dotée d'un mandat spécifique dans le domaine de la santé, considèrent nécessaire dans l'intérêt du majeur incapable. Une première approche, contestable sur le plan des droits de l'homme, consiste à affirmer que le représentant doté d'un mandat général peut refuser le traitement au nom du majeur de la même manière que l'intéressé pourrait refuser le traitement s'il jouissait de la pleine capacité. Une deuxième approche consiste à affirmer que si ledit représentant peut techniquement refuser le traitement au nom de la personne majeure, il s'expose par là même à des poursuites réclamant des dommages-intérêts pour avoir agi de manière contraire à l'intérêt supérieur de la personne majeure. Cette approche est elle aussi contestable. Il serait préférable d'aborder le problème avant plutôt qu'après que la personne concernée a subi des dommages irréparables. Une troisième possibilité consiste à affirmer que, alors que le représentant doté d'un mandat général peut avoir le droit d'être consulté, il n'aura jamais un droit de veto ni celui d'imposer un délai ou un réexamen de la question. Au vu de ces différentes approches possibles et du caractère délicat de cette question, le présent principe se contente d'affirmer la nécessité de prévoir des mécanismes de résolution sans toutefois proposer une démarche spécifique à suivre pour résoudre le conflit. Cependant, la solution retenue devra toujours être compatible avec les autres principes de la présente recommandation, en particulier avec ceux relatifs au respect des droits de l'homme et à la prééminence des intérêts et du bien-être de la personne concernée.

   Principe 23 – Consentement (règles alternatives)

80.   Comme cela a été mentionné ci-dessus, la Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine laisse en suspens la question importante de savoir si, en règle générale, la capacité de consentir à une intervention médicale doit se fonder sur la capacité réelle au moment de l'intervention proposée ou sur l'incapacité juridique. La présente recommandation traite de cette question et considère qu'en la matière la règle principale devrait être fondée sur la capacité réelle au moment de l'intervention proposée (voir les observations ci-dessus concernant le principe 22). Cependant, la recommandation contient également le principe 23 afin de tenir compte du fait que, dans les systèmes juridiques de certains Etats membres du Conseil de l'Europe, la notion de capacité de fait est inconnue et une déclaration d'incapacité émanant d'une autorité judiciaire est nécessaire. Les pays ayant de tels systèmes pourront utiliser l'approche alternative établie au principe 23.

81.   Le paragraphe 1 traite des cas où un majeur fait l'objet d'une mesure de protection et, par conséquent, une intervention dans le domaine de la santé ne peut être effectuée qu'avec l'autorisation d'une personne ou d'une instance désignée par la loi. Cependant, le consentement du majeur doit être recherché lorsque ses facultés de discernement le permettent.

82.    Le paragraphe 2 traite des cas où, selon la loi, un majeur n'est pas en mesure de donner son consentement libre et éclairé à une intervention dans le domaine de la santé. Dans ces cas, il convient d'adopter les solutions retenues à l'article 6 de la Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine, qui dispose que l'intervention doit se faire pour le bénéfice direct de la personne concernée et qu'elle ne peut être effectuée sans l'autorisation du représentant de celle-ci, ou d'une «autorité, ou d'une personne ou instance désignée par la loi» (voir les observations contenues au paragraphe 75 ci-dessus).   

83.   Le paragraphe 3 fait référence à la nécessité d'établir, dans le droit interne, des voies de recours appropriées permettant au majeur d'être entendu par une instance officielle indépendante (par exemple un tribunal) avant qu'une intervention médicale importante ne soit effectuée. Cette règle s'applique aux deux situations décrites aux paragraphes précédents. L'idée est que, dans les cas où le majeur s'oppose à une intervention médicale importante, le droit interne devrait prévoir des voies de recours appropriées permettant l'audition équitable de la personne concernée par une instance officielle indépendante, au cours de laquelle le majeur peut exprimer son opinion. L'intervention médicale ne pourrait pas être effectuée jusqu'à ce moment-là.

 

   Principe 24 – Cas exceptionnels

84.     Le présent principe porte sur les interventions de nature particulière qui exigent des règles spéciales et pour lesquelles il faut parfois légèrement modifier le principe normal selon lequel une intervention doit se faire au bénéfice direct de la personne concernée. La notion de «bénéfice» est, en réalité, difficile à appliquer lorsque, par exemple, un diagnostic fiable établit qu'une personne est dans un état végétatif persistant – c'est-à-dire qu'elle est dans un état de coma permanent et peut être maintenue en vie uniquement par des moyens artificiels. La notion de «bénéfice» est également difficile à appliquer aux cas où une intervention aurait pour effet, au mieux, de prolonger artificiellement pendant quelques minutes ou quelques heures le processus naturel menant au décès. Cependant, toute modification de la notion de «bénéfice direct» dans ce domaine devrait être contrebalancée par une protection supplémentaire accordée à la personne concernée, de manière à la préserver contre le risque d'abus ou d'irrégularité. A cet égard, il convient de tenir compte de ce que la Convention sur des droits de l'homme et la biomédecine autorise la réalisation d'interventions qui ne sont pas au bénéfice direct de l'intéressé, pour autant qu'elles soient justifiées par des circonstances exceptionnelles (voir article 17, paragraphe 2, de la convention).

85.   Les questions qui entourent la recherche sur les majeurs incapables ont été étudiées et débattues en détail dans le cadre de la Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine. Elles soulèvent également des problèmes délicats d'une nature quelque peu différente de ceux abordés dans la présente recommandation et impliquent une limitation de la notion de bénéfice direct associé avec une protection complémentaire.

En outre, d'autres instruments juridiques internationaux ont abordé ces questions liées à la recherche médicale[6]. Pour ces raisons, la présente recommandation ne contient aucune disposition spécifique relative à la recherche médicale.

86.   Le présent principe énonce donc que le droit interne peut prévoir, conformément aux instruments internationaux en vigueur, des dispositions particulières applicables aux interventions, qui, en raison de leur caractère spécial, exigent une protection supplémentaire de l'intéressé. De telles dispositions peuvent prévoir une dérogation limitée au critère du bénéfice direct à condition que la protection supplémentaire soit telle qu'elle limite au minimum les risques d'abus ou d'irrégularité.

   Principe 25 – Protection des majeurs souffrant d'un trouble mental

87.   L'article 7 de la Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine porte sur les interventions ayant pour objet de traiter le trouble d'une personne souffrant d'un trouble mental grave. Ces personnes forment une sous-catégorie particulière de personnes vulnérables. Elles sont quelquefois capables de prendre une décision mais peuvent néanmoins avoir besoin d'un traitement impératif. Il semble judicieux d'adopter la solution proposée à l'article 7 de la Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine.

88.   Lors de la préparation de la présente recommandation, le groupe de spécialistes a également tenu compte des travaux réalisés par le Groupe de travail sur la psychiatrie et les droits de l'homme (CDBI-PH), qui s'employait à réviser la Recommandation no R (83) 2 du Comité des Ministres aux Etats membres concernant la protection juridique de personnes atteintes de troubles mentaux et placées comme patientes involontaires.

   Principe 26 – Possibilité d'intervenir en situation d'urgence

89.   Il est manifestement essentiel d'autoriser des interventions même en l'absence de consentement dans les situations d'urgence. Ce principe figure à l'article 8 de la Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine, qui mérite là encore d'être repris aux fins de la recommandation. Le rapport explicatif de la Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine explique que l'«urgence» ne doit pas être interprétée trop strictement: elle n'est pas réservée aux interventions nécessaires à la survie de la personne, mais s'étend aussi aux interventions médicalement indispensables et qui doivent être réalisées sans délai.

   Principe 27 – Application de certains principes concernant les mesures de protection

90.   Il est nécessaire de souligner qu'en raison de la spécificité de la partie V de la recommandation, qui ne traite pas de la représentation, mais des interventions dans le domaine de la santé, seuls quelques-uns des principes susmentionnés seront applicables aux interventions dans le domaine de la santé. A l'évidence, le principe 1 (relatif au respect des droits de l'homme) sera toujours applicable. De plus, les principes de la prééminence des intérêts et du bien-être de la personne concernée, de respect des souhaits passés et présents, et des sentiments de celle-ci, et de consultation s'appliquent aux interventions dans le domaine de la santé de même qu'aux mesures de protection. En particulier, conformément au principe 9, les souhaits exprimés précédemment au sujet d'une intervention médicale par un patient qui n'est pas, lors de l'intervention, en état d'exprimer ses souhaits devraient être pris en considération. Cet aspect pourrait revêtir une importance particulière dans les cas où l'adulte a exprimé valablement, au moment où il était en état de le faire, son refus de donner son consentement à un type d'intervention particulier. Le principe portant sur la consultation est aussi pertinent dans ce domaine, car, par exemple, une personne ou un organe habilité spécifiquement par la loi à autoriser une intervention devrait consulter des parents proches pour autant que ce soit possible et raisonnable. Ces principes sont totalement conformes avec l'approche de la Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine.

   Principe 28 – Possibilité d'appliquer des dispositions particulières à certaines questions

91.   Le principe 28 permet aux Etats de prendre des dispositions particulières dérogeant aux principes de la partie V. Ces dispositions peuvent être prises à condition qu'elles soient conformes aux instruments internationaux applicables en la matière et qu'elles constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sûreté publique, à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé publique ou à la protection des droits et libertés d'autrui. Ce principe reprend le premier paragraphe de l'article 26 de la Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine. Des dispositions particulières peuvent être nécessaires, par exemple dans les cas où un traitement s'impose pour empêcher que l'adulte contamine d'autres personnes ou lorsqu'il représente un risque pour la sûreté publique et doit en conséquence être hospitalisé pour recevoir un traitement.



[1] Il s'agit là de la doctrine de la «gestion d'affaires», selon laquelle une personne peut légalement intervenir pour gérer ou protéger les affaires d'un tiers qui n'est pas en mesure de le faire, soit parce qu'il est absent, soit, du moins dans certains systèmes, parce qu'il est incapable. Le gestionnaire peut se faire rembourser les sommes déboursée pour l'accomplissement de sa tâche. Il ne reçoit pas d'autorisation de la part de la personne dont les affaires sont gérées: l'autorité pour intervenir découle de la loi elle-même.

[2] On ne sait pas toujours très bien si elles s'appliquent aux décisions concernant le bien-être de la personne concernée.

[3] Il y a diverses façons d'exprimer ce principe. Des expressions telles que «l'intérêt supérieur», «le bien-être» ou «le bénéfice» ont été envisagées. La formule «des intérêts et le bien-être» est celle qui est employée dans la Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine.

[4] Il ne semble pas nécessaire de répéter les règles sur la communication d'informations, car elles sont d'application générale et ne concernent pas spécifiquement les majeurs incapables.

[5] Les règles ne se limitent pas aux interventions visant à sauver la vie des personnes. Voir le rapport explicatif de la Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine, paragraphes 56-59.

[6] De nombreux instruments internationaux, outre la Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine, portent sur ces questions. Voir en particulier la Recommandation no R (90) 3 du Comité des Ministres du Conseil de l'Europe sur la recherche médicale sur l'être humain. Pour une étude des positions nationales et internationales concernant la recherche médicale, voir le rapport élaboré en 1994 par le professeur Roscam Abbing dans le cadre des travaux du Comité directeur pour la bioéthique du Conseil de l'Europe (DIR/JUR (94) 9).